_____Là, je ne comprends pas trop ce qu’il se passe. Elle, qui n’est pas bien plus corpulente que moi, me soulève par le col comme si de rien n'était et me colle son nez furibond au visage :
_____— QUI SONT CES PERSONNES ?! TIJAC, NOLWEN ET COMPAGNIE ?! RÉPONDS, ET PEUT ETRE QUE…
_____Elle me hurle au visage. Elle me fait mal. Je sens son souffle chaud me parcourir des paupières que je maintiens fermées pour me protéger d’elle, pour ne pas la voir, voir son visage hideusement déformé par la colère, son visage de démon aux deux rubis sanguinolents. Soudain, je la sens qui me tire vers elle. Sans comprendre, je la percute et elle me LANCE avec une force improbable, m’envoyant valser sur un homme qui passait par là. Le choc est brutal. Sonnés, nous nous ramassons douloureusement par terre. Paralysée de peur et de douleur, je rampe pitoyablement sur le sol pour échapper à ce monstre, j’ai mal. Mon dos me fait souffrir, ma cuisse a pris un violent coup de genou et mon coude saigne abondamment ; je serre les dents. Je sens des bras puissants qui me soulèvent et je vois le visage serein de Nolwen qui me regarde d’un air inquiet et curieusement amusé. Contente de l’apparition de cette personne familière, je lui souris bêtement avant que quelqu’un me colle un pistolet sur la tempe.
_____— Pas un geste ou on la butte !
_____Quoi, quoi ? Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Deux personnes m’aident à me tenir debout et me maintiennent immobiles, l’une d’elles me menace d’une arme de mort. Les marines me regardent, déstabilisés et hésitants mais boucles d’or n’a cure de ma situation désespérée :
_____— NON MAIS GENRE, VOUS AVEZ VRAIMENT CRU QUE CA ALLAIT MARCHER ?! LES GARS ILS TENTENT DE SAUVER LEUR COPINE EN LA FAISANT PASSER POUR UNE OTAGE ! CHARGEZ !!!
_____Mais, mais… Sans faire plus de manière, Benichou, que je reconnais à sa chevelure blonde en étoile de mer, me prend sur ses épaules et se barre.
_____— Putain, fallait qu’elle tombe sur la marine, comment ils ont fait pour reconnaître la viande ?
_____— J’sais pas, on s’en fout : cours, merde alors !
_____Hein, hein ? Reconnaître la viande, tomber sur la marine ? Mais… Nolwel et Raphy tirent abondement sur nos poursuivants pour couvrir nos arrières et Benichou continue de m’emmener sans ménagement. Il est bien gentil, Benichou, mais il me fait vachement mal et je ne suis pas un sac de farine.
_____— Ah, mais lâchez-moi, vous êtes des pirates ?!!
_____— Ta gueule, putain !
_____Enragée, je me débats furieusement, je gigote dans tous les sens et me désarçonne d’un violent coup de genou qui coupe le souffle de mon cavalier. Celui-ci s’arrête net, imité par ses quatre comparses.
_____— Fais chier, on aurait dû la trouer dès le début ! Une petite balle dans le dos et on n’en parlerait plus.
_____Je suis à terre, la respiration saccadée, les poumons ébroués par ma rencontre avec le sol… C’est comme si tout mon corps vibrait, secoué par des ondes de choc étourdissantes.
_____— Ah oui, t’es marrant, toi ! Et comment on aurait récupéré la viande ?
_____— Haha, prendre la fille en otage, quelle belle idée !
_____Kalim, le petit noir au crâne rasé, se rapproche de moi avec un sabre dans la main. Il y a une lueur indescriptible dans ses yeux, une lueur de folie mêlée de colère et de détermination. Ses lèvres sont retroussées, ses dents jaunes serrées.
_____— Mais crève-la, bordel, qu’est-ce que tu attends ?
_____Est-ce la fin ? Moi, éviscérée, exécutée dans cette ruelle déserte par une personne que j’ai aimée ? Je ne peux pas y croire, je ne peux juste pas y croire. J’en ai les larmes aux yeux, je vois le sabre s’abattre sur moi, rapide comme le vent. On dit que, à l’approche de la mort, on voit la scène au ralenti le temps que sa vie défile devant soi. C’est n’importe quoi. Moi je n’ai rien vu du tout, juste un éclair jaune fondre lourdement sur le jeune homme et lui éclater la mâchoire d’un violent coup de poing, Craaaack… Ça a été trop rapide pour que je puisse le voir, mais la blonde m’a sauvée.
_____— Putain, merde !
_____— Attention !
_____Alors que Benichou dégaine son épée et que Nolwen arme son arbalète, Raphy fond sur la marine. Imposant, la dominant de deux têtes, il lui assène un dangereux coup de hache qu’elle pare le plus naturellement du monde avant de le forcer à lâcher son arme d’un revers de la main. La tête graisseuse de Raphy se déforme d’un rictus tandis que son adversaire se saisit de son coup en prenant de grandes inspirations… Mais que fait-elle ?? Tijac, qui avait de longues secondes d’avance sur nous, rapplique et lui fonce dessus. Nolwen la vise de son arbalète. Benichou l’attaque à coup d’épée.
_____— Eeeek !
_____Sans trop réfléchir, je me lance sur Nolwen et dévie son arbalète qu’elle lâche immédiatement pour dégainer un petit couteau… Oups. J’esquive le premier coup. Ses yeux concentrés sont vides, son visage est sévère. Elle me regarde mais elle ne me voit pas. Krrbrkl !! Je me couvre les oreilles et je ferme les yeux. Cling ! … Plus rien ne se passe. J’ouvre un œil timide. En face de moi, les gars de la marine sont arrivés et tiennent Nolwen en respect de leurs fusils en surnombre. L’un d’eux a tiré sur Benichou qui est blessé à l’épaule. Tijac s’est arrêté net, muet de stupéfaction devant ce qui semblait être le cadavre d’un colosse. Raphy. Long de deux mètres, ce gros plein de muscles gisait sans vie au pied de celui qui l’avait toujours admiré pour sa force. Tijac. Un homme aux longues jambes qui était très doué pour courir mais très peu pour se battre. Il s’est fait dessus.
_____Franchement, ça ne me fait pas rire. Je ne trouve pas ça ridicule et je ne me moque pas de lui. En fait, j’ai eu la trouille de ma vie. J’ai cru mourir au moins deux fois, et je peux vous dire que je n’ai pas tout compris quand cette jolie blonde frêle s’est transformée en un monstre destructeur capable de briser des nuques de titans et de me lancer comme un vulgaire projectile. D’ailleurs, elle s’avance vers moi d’un pas menaçant, avec une mine frustrée qui ne présage rien de bon. Oh là là, si seulement je pouvais me tirer de là fissa ! Ses deux yeux rouges et graves se plantent profondément dans les miens. Des yeux menaçants et torturés.