Dans sa course effrénée à travers la voûte céleste, le soleil déclinait de son zénith quand l'horreur étreignit la petite ville de Chom. Au delà, ce fut toute l'île d'Inu Town qui se souvint à jamais de ce funeste jour comme de cette fois où un anarchiste fou perpétra une série d'attentats à la bombe qui coutèrent la vie à plus d'un.
Mais pour le moment, Chom était aussi paisible qu'elle pouvait l'être en cette période de grand tourisme. Habitants et vacanciers vaquaient à leurs paisibles train-train quotidien sans se soucier, sans savoir que parmi eux s'étaient glissées trois personnes aux intentions biens obscures.
Vivons cette journée historique à travers les yeux de Tom.
Il était jeune Tom, à peine son quart de siècle en poche, avec tout ce que ça comportait de vivacité, de rêverie et d'ambition. Sans qualification particulière, pour gagner sa croûte le jeune homme avait, après bien des efforts, déniché un travail de vendeur dans l'une des boutiques Muramasabre de l'île. Depuis tout petit, il avait une passion pour les armes blanches et rêvait, au mieux, de devenir un aussi fameux forgeron que Kitetsu ou au pire, d'être un bretteur reconnu parcourant les mers à la chasse de prime. En entendant un jour d'accomplir les hauts faits qui peuplaient ses nuits de rêves de gloire, de pouvoir, d'argent et de femmes, il travaillait dur à la boutique N°4 de Muramasabre, celle qui était située rue des hachoirs, sur la place du marché. Si ce travail n'était au début qu'un honnête moyen de trouver son pain quotidien, il fut vite évident que Tom avait un don dans ce domaine. Plutôt beau gosse, négliment décoiffé et stylé, ce brun aux yeux verts avait tout du mec ténébreux qui faisait chavirer les coeurs de la veuve et de l'orpheline. Il avait aussi à son arc "un bon bagout et du tchacthe" comme cela se disait dans le métier. En d'autres termes, une verve facile en sus d'un don de persuasion qui avaient fait de lui le meilleur vendeur de Muramasabre depuis ses débuts. En guise de promotion, la gestion de la N°4 lui avait été confiée. Vendeur, il l'était toujours, couplé à son nouveau rôle de chef de boutique.
Pour Tom, c’était une journée de travail semblable à n’importe quelle autre. Il était arrivé avant six heures et avait arrangé les locaux pour les heures à venir. Exeptionnellement aujourd'hui, il serait le seul vendeur dans sa boutique. Il avait la veille, donné une permission d'une journée à ses trois subordonnés.
A partir de huit heures, les clients commencèrent à défiler, la plus part étant des touristes faisant du lèche-vitrine d’un air ébahi en contemplant les sabres exposés. Sous les coups de dix heures, il avait vu défiler un petit troupeau de bleuets de la marine venus acquérir des sabres de kendo. Ils n’étaient pas spécialement nantis, aussi Tom les aiguilla-t-il vers les sabres d’occasions, presque attaqués par la rouille. Tom savait qu’ils reviendront, ces bleuets, dans quelques années, acquérir d’autres lames plus dignes de confiance, quand ils en auront les moyens et surtout la stature et l’expérience.
Juste après les douze coups de midi, un excentrique entra dans la boutique. Depuis le temps maintenant, il était habitué aux styles vestimentaires des plus interrogatifs. Le nouvel arrivant était de noir vêtu, attifé dans une espèce de combinaison à excroissance végétale. Enfin, c’est comme ça qu’il aurait décrit la chose, ou simplement aurait-il dit que l’homme -nan, il n’en était pas sûr non plus-, que cette personne était vêtue d’algues. Un chapeau conique à fanfreluche masquait la partie haute du visage de la personne si bien que Tom ne put voir la couleur de ses yeux. Et quand elle s’adressa à lui, ce fut d’une voix sans timbre, sans genre. Elle désirait un Yamata, le quatrième du nom plus précisément.
« Les Yamata, les cinq du nom ayant été fabriqués par le célèbre forgeron ninja Tenzou Yamata sont des wakizashi de légendes, tous propriétés de la dynastie Fang du pays des Lucioles. Le quatrième Yamato a été dérobé l’année passée durant une exposition, et je puis vous certifier que dans notre maison, le recel est banni. Les enseignes Muramasabre ne commercent que des lames légales, avec titres de propriétés » avait-il annoncé non sans fierté.
Il tenta ensuite, comme il était préconisé dans la politique de la maison, d'orienter le client vers des articles de qualités équivalentes mais là parfaitement légales et de première main. Habituellement, Tom parvenait toujours à ses fins, mais là, il fit chou blanc. Le mystérieux client se retira après avoir refusé toutes les alternatives que lui proposait Tom. Derrière son comptoir à aiguiser un couteau à peler, le jeune vendeur regarda partir son client cagoulé et se dit qu'il était vraiment étrange. D'ailleurs à son entrée, n'avait-il pas un sac en bandoulière ? Mécaniquement, Tom promena son regard dans le magasin. Non, finalement, il s'était trompé se dit-il, sûrement les excroissances végétales sur la combinaison de cette loufoque personne l'avaient-elles induit en erreur. Il chassa ce type bizarre de son esprit et se hâta vers le fond de sa boutique pour vaquer à une de ses tâches.
C'était une belle journée.
Quelques minutes après cette rencontre incongrue mais normale quand on avait pour métier de vendre des sabres, Tom était toujours occupé au fond de sa boutique quand sa belle journée bascula dans l'horreur. Il entendit un gros bruit, semblable à celui d'une explosion. Tout ce dont il se souvint ensuite ce fut qu'il se réveilla sonné au milieu de débris entassés pêle-mêle. Quelqu'un l'avait retiré des décombres et l'avait allongé dos contre terre. Tout autour de lui, des gens se pressaient, parlaient, criaient, pleuraient, s'interrogeaient. Lui, ne semblait pas blessé à l'exception de ce tintement strident et continu dans ses oreilles. Tom attribua ce désagrément passager à la détonation de la bombe, car oui, il le savait sans qu'on ne lui dise -il n'était pas idiot-, il savait que sa boutique venait d'être plastiquée et qu'il avait eu de la chance d'en ressortir vivant. Il se surprit lui-même car le sentiment qui l'animait en ce moment n'était ni la peur, ni la colère mais seulement de la peine. Pourquoi quelqu'un en ce monde commettrait-il un acte aussi abominable ?
Quand il parvint enfin à se lever, il tenta de se renseigner, de savoir s'il y avait eu des victimes. Certes dans sa boutique, il n'y avait aucun client au moment de l'explosion, mais dans les alentours, peut-être que... (Et son cœur s'emballa à cette pensée).
« La déflagration a été contenue par les cloisons en fibre de la boutique, c’est un vrai miracle. T’imagines qu’il y avait cinquante personnes dans le resto juste à côté ? Ça aurait pu être un vrai carnage » confia un vieux marine à son collègue.
Aucune victime... Tom sentit un énorme poids se délester de sa cage thoracique. Ses jambes flageolèrent de soulagement et il faillit s'écrouler. Quelqu'un, un marine le rattrapa à temps à coup de : « Hé, c’est pas toi l’gamin qui a survécu ? J’te cherchais, j’ai des questions à t’poser pour l’enquête. Viens par ici. »
S’ensuivit de longues minutes de débriefing à même la rue bondée de curieux. Quand il eut fini de raconter ce qu’il savait, Tom avait une certitude, son client accoutré de noir était le plastiqueur que recherchait la Marine. Il n’avait pas rêvé, le client avait bien un sac avec lui en entrant mais s’en était déchargé en ressortant. Et dans ce sac, il y avait eu un engin de mort.
Tom fut libéré mais au lieu de rentrer chez lui, deux de ses supérieurs, Ady et Cléo de leurs noms, l’accostèrent et l’emmenèrent dans une autre enseigne Muramasabre, la N°3, celle située rue de l’alberta. Ils tenaient à être là pour lui, à le soutenir dans ces moments difficiles et Tom leur en fut reconnaissant. La boutique N°3 était pour ainsi dire le quartier général de Muramasabre. Pour une curieuse raison, elle ne portait pas le N°1, mais était incontestablement la boutique la mieux pourvue, la plus grande, la plus animée.
Assis dans un salon au premier étage de l’immeuble qui abritait le N°3, Tom entendait la rumeur des clients qui marchandaient au rez-de-chaussée. Il était encore pas mal déboussolé et les questions de ses supérieurs qui voulaient connaître la raison de l’attentat ne l’aidaient pas. Même s’ils remerciaient le ciel qu’il s’en soit sorti vivant, Ady et Cléo sous-entendaient sans subtilité que Tom aurait peut-être vexé un client, à un moment ou un autre du mois, voir de l’année, qui expliquerait cet acte ignoble. Mais Tom voyait bien qu’ils ne croyaient pas tant que ça à leurs soupçons, parce qu’ils savaient -et nul n’aurait pu en douter- qu'il était bien le meilleur vendeur que Muramasabre ait jamais recruté. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’on l’avait muté du N°3 au N°4, pour que sa verve et son talent incomparable boostent les ventes de ce magasin qui commençaient à décroitre.
En fin de compte, les hautes strates de Muramasabre ne crurent pas bon de fermer toutes les boutiques par prévention et conclurent à un dramatique évènement isolé. Aussi laissa-t-on Tom tranquille sans l’assaillir de plus de questions. Avachi de tout son long dans un canapé moelleux, il se détendit et chercha même le sommeil sans succès. A défaut, il regarda à travers la baie vitrée qui donnait une vue panoramique sur le rez-de-chaussée. La boutique était bondée, une quarantaine de clients –dont une large majorité de conscrits de la Marine- s’y pressaient. Tom ne saurait dire s’il approuvait ou non la décision de sa hiérarchie. Les intentions obscures de plasticien ne rassuraient pas face à une éventuelle absence de récidive mais d’un autre côté, il fallait montrer son assurance au public et ne pas céder face à la terreur.
Perdu dans ses pensées, les yeux de Tom se perdirent dans la nuée de client. Non, en fait, ils se mirent à suivre sans qu’il ne s’en rende compte lui-même, un individu à la dégaine étrange. Enfin, pas aussi étrange que celui qui était venu dans sa boutique à lui mais… Assurément avaient-ils quelque chose en commun. Celui-ci était clairement une femme à en juger par les proéminences sur son torse, mais une femme voilée, de blanc, comme une prêtresse. Une prêtresse trimballant un sac à main comme la dernière des stylées… Et encore, cela aurait pu lui paraître juste curieux s’il n’avait pas vu la blanche voilée déposer discrètement ce sac entre deux étagères. Nul ne l’avait vu, nul ne l’aurait pu, la configuration des lieux empêchait ça. A moins d’observer la scène du dessus, comme il en avait l’occasion en ce moment même.
« Ils ne vont quand même pas remettre ça ! » pensa furieusement Tom avant de beugler un : « Décampez ! Y a une bombe ! »
Et une nouvelle fois l’horreur s’installa.
[…]
« Vous avez sauvé quarante-neuf vies aujourd’hui, Mr Dylan » lui dit le Colonel Ogaryan Mortimer en personne d’une voix chaleureuse. « C’était une bombe à minuterie, elle avait été programmée pour exploser trois minutes après le départ du plasticien. Votre alerte les a pris de court, presque toutes les personnes ont pu sortir avant la pétarade. »
"Presque", avait-il dit ?
Allongé dans un lit d’hôpital, Tom serra des poings de rage pendant qu’un noeux de chagrin se formait dans sa pomme d’Adam. Il n’avait pas besoin des détails du colonel, cette fois-ci, il avait tout vu, il ne s’était pas évanoui, il n’avait eu aucune absence. Il avait vu le flash orangé de la déflagration, il avait vu son monde et l’immeuble se retourner comme un gant. Il avait vu le sang, il avait vu les corps de quatre personnes. Ady, Cléo et deux marines qui aidaient les gens à sortir et qui n’avaient pas pu sauver leur propre peau. Tom ne s’expliquait pas sa survie encore une fois mais il aurait préféré mourir avec ses amis, parce que là, il avait l’impression d’être un chat noir attirant les bombes partout où il allait. Deux attentats en moins de deux heures avec lui comme dénominateur commun. Ady avait-il raison ? Était-ce lui que le -non, les-, que les terroristes voulaient éliminer avec tant d’acharnement ? Si c’était le cas, il lui fallait partir, parcourir des milliers de kilomètres pour ne plus être entouré de gens, s’enfuir loin de tout individu pour ne plus mettre personne en danger.
« N’y pensez même pas » fit le Colonel en le repoussant d’une poigne de fer dans le lit. « Le syndrome du survivant est très puissant, je sais ce qui peut se passer dans votre tête. Mais je vous le répète, ce n’est pas de votre faute gamin, au contraire, vous êtes un héros. Mes conscrits vous doivent la vie. »
« Vous… vous…ne comprenez rien… » hacha Tom qui aurait voulu hurler. Ce vieux fou ne comprenait rien. Pourquoi ne voyait-il pas qu’il mettait tout le monde dans l’hôpital en danger en l’empêchant de partir ?
« Si, si, je comprends fiston. D’ailleurs, je vais te montrer. Regarde, c’est une carte du plasticien. Les deux attentats ont été revendiqués. Par Jonathan Nivel. C’est un anarchiste célèbre sur West Blue. Il s’est échappé de sa prison y a quelques temps, j’ignore ce qu’il fait sur North, encore moins pourquoi il s’en prend à Muramasabre et à Inu Town, mais je t’assure qu’il ne continuera pas longtemps ! » garantit le vieux Colonel d’une voix ferme avant de s’éloigner comme s’il partait à la guerre.
Malgré lui, et pour la seconde fois de la journée, Tom sentit ce poids indistinct glisser et tomber de lui. Certes, la douleur de la perte de ses amis et d’innocents était toujours aussi vive mais sans le sentiment de culpabilité, elle était un chouïa moins lancinante.
Tom constata ensuite avec gêne que le Colonel ne bluffait pas, on le prenait vraiment pour un héros ; plusieurs fois au cours de l’heure, des anonymes se glissèrent dans sa chambre pour le féliciter de son courage ; plusieurs marines défilèrent devant lui, l’embrassant tendrement sur la joue pour les femmes ou le gratifiant d’un solennel salut militaire pour les hommes. Quelques collègues endeuillés et larmoyants vinrent lui rendre visite sous les coups de quinze heures. Ensemble, ils pleurèrent à chaude larme leurs amis morts avant que mine de rien, l’un d’entre eux ne lâche une info qui, pour Tom, ressembla à une bombe.
« Mr Lampre va venir me voir ? Moi ? Ici ? » répéta-t-il avec une voix rauque.
« Bah oui, toi, idiot ! T’es un héros pour toute la ville. Le Survivant ! » répondit l'ami qui lui confia la nouvelle.
Presque immédiatement après, une doctoresse aux airs sévères vint chasser ses amis sous prétexte que Tom avait besoin de repos psychologique. Elle voulut même lui donner des calmants-nerfs mais il s’y opposa férocement. Son grand patron en personne allait lui rendre visite, ce n’était sûrement pas le moment idéal pour qu’une quelconque drogue lui lobotomise le cerveau. Giorgio "Ned" Lampre, cet homme qui depuis l’horrible évènement qui avait fauché sa vie ne sortait quasiment plus de ses appartements dans un lieu tenu secret… Il allait donc sortir de sa retraite pour venir le voir, lui, Tom Dylan, un simple chef-vendeur… Tom se sentit gratifié au-delà de toute mesure que son patron s’intéresse autant au petit peuple. Dans son honneur et sa gratitude, il remarqua -seulement maintenant- que sa doctoresse était une femme-poisson à la peau bleutée et striée de rainures. Tom ne manifesta pas plus de surprise que nécessaire, des hommes-poissons en cette période estivale, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus rare à Inu Town. Un promoteur immobilier homme-poisson lui-même avait depuis longtemps flairé la manne et avait construit un complexe semi-aquatique à l’est, à l’extérieur de Chom. On appelait l’endroit Minus Atalante et tous les hommes-poissons débarquant à Inu, pour tourisme, ou pour exercice saisonnier de leur travail -comme cette doctoresse sûrement- y trouvaient logis.
Pendant que la doctoresse faisait de réguliers va-et-vient pour soit prendre sa température, soit vérifier ses réflexes cognitifs -ce que Tom trouva curieux et exaspérant à force-, il eu le temps de soigner un peu son apparence, essuyer la suie et la poussière qui maculaient son visage, arranger du bout des doigts une ou deux bricoles en désordre dans sa chambre d’hôpital puis ouvrir grandes les fenêtres à guillotine pour laisser entrer la lumière et le vent. Quand la doctoresse revint pour la énième fois, elle lui annonça d’une voix monocorde qu’il allait recevoir de la visite, puis elle introduisit Giorgio Lampre sans plus de cérémonie avant de s’en aller en claquant la porte.
Etrangement, la première pensée qui traversa Tom fut qu’on devrait s’abstenir de rencontrer ses héros sous peine de déception. Ned Lampre n’était plus cet homme bien bâti dans la maturité de l’âge qu’il avait rencontré jadis. Il n’avait plus rien de l’archétype de l’héritier d’une grande famille de samurai. Certes, il revêtait toujours son éternel kimono à trois pièces et à sa ceinture pendouillait toujours un katana mais ses cheveux autrefois bruns avaient blanchis, des rides de vieillesse semblables à des toiles d’araignées marbraient son visage. Ned avait l’air étrangement sans substance, comme quelqu’un ayant vieilli de 50 ans en 3 ans seulement. Malgré tout, quand il s’adressa à Tom, ce fut avec la voix ferme et vigoureuse de ses jeunes années.
« Tom Dylan… Je me souviens de vous, vous avez reçu le prix du meilleur vendeur pendant ces cinq dernières années, et j’aurais dû venir en personne vous les remettre mais toujours, quelque chose m’en empêchait, toujours une occupation m’appelait ailleurs. Je suis désolé qu’on se rencontre dans une telle situation mais une fois encore, vous avez porté haut les couleurs de Muramasabre. En survivant deux fois, en sauvant des vies » débita-t-il.
« Ce..ce n’est rien. C’..c’est normal, monsieur. Ce métier est toute ma vie, je donnerai ma vie pour Muramasabre. Merci de vous être déplacé jusqu’ici pour moi. » bégaya Tom.
« Nous vous en remercions aussi, Monsieur » fit une voix féminine pleine de sarcasme qui n’était autre que celle de la doctoresse femme-poisson.
« Ceci est une conversation privée, Doctoresse ! J’ai demandé à ce que nul ne nous dérange ! »
Tom aurait dit pareil si quelque chose dans l’attitude de la doctoresse ne lui clouait pas le bec. En tant que vendeur, il avait appris à analyser plusieurs facteurs que les gens normaux négligeaient et qui pourtant donnaient une mine d’information. Comme par exemple, le langage corporel. Celui de la doctoresse -qui se tenait contre et faisait dos à la porte fermée avec une mine espiègle- indiquait clairement que ses intentions n’étaient pas très catholiques… D’ailleurs, dit une voix analytique dans le cerveau de Tom, n’avait-elle pas la même carrure que la prêtresse voilée de blanc qu’il avait aperçue dans la boutique N°3 ? Oui… se dit la voix avec horreur… En tout cas, elles avaient en commun leurs petites tailles, à peine le mètre-cinquante…
Irrésistiblement, Tom sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. C’était un traquenard, il le savait.
« Doctoresse, m’avez-vous compris ? D’ailleurs donnez-moi votre nom, j’irai me plaindre de votre odieux comportement à vos supérieurs ! » tonna autoritairement Ned Lampre.
Dans sa voix, Tom le devina, n’était pas uniquement présentes l’indignation et l’outrance d’avoir été interrompu par un médecin visiblement irrespectueux mais quelque chose de plus viscéral. De la haine. Oui, l’essence même de la haine était visible dans les yeux de Giorgio Lampre et Tom fit facilement le lien avec l’horrible épisode qui secoua sa vie. Si Ned ne connaissait la doctoresse ni d’Ève ni d’Adam, il haïssait par contre son espèce, sa race.
« Mon nom ? Je suis Krav’ma Gah. Mais mes amis m’appellent Krav’. »
« Attention, monsieur ! C’est un des plasticiens ! » avertit Tom qui se leva de son lit, avant de sentir une puissance douleur lui traverser l’épaule droite.
« Du calme le Survivant ! » chantonna la voix follement amusée de Jonathan Nivel que Tom reconnut avec horreur.
Le Niveleur, tel un oiseau de proie, était perché sur le rebord de la fenêtre de la chambre d’hôpital et à sa droite se trouvait un autre individu dont Tom assimila la silhouette à celle de la personne emmitouflée de noir et d’algues. Le plastiqueur de sa boutique.
« Tu dois te dire, le Survivant, "mais que me veulent-il ? Pourquoi me poursuivent-ils ? Après avoir fait exploser deux magasins, pourquoi viennent-ils me chercher jusque dans mon lit d’hôpital ? Qu’ai-je bien pu faire sur terre pour mériter un tel acharnement ?
Bah la ferme ! Nous ne sommes pas là pour toi, hihahihahiha ! » s’amusa Nivel.
« Nous avons tapé sur la ruche, le roi est sorti, nous l’avons suivi jusqu’à ce qu’il soit seul et débarrassé de ses chiens de gardes. »
« Vous ! Vous avez détruit mes magasins et tué quatre personnes uniquement pour me faire sortir ? » murmura Ned qui sentit le piège se refermer sur lui.
Il empoigna son katana, mais aussitôt, il sentit une époustouflante douleur dans les côtes qui le terrassa et lui coupa le souffle. L’attaque venait d’un angle mort dans lequel était situé Krav’.
« Inutile de résister Ned. Je vais vous demander de venir avec nous » enjoignit Avada.