Je ne saurais pas dire si la traversée a été plus simple ou plus éprouvante. Différente, ça, c'est un fait. On est passé de deux bouches et un bec à nourrir à cinq bouches et un bec. J'avoue volontiers que je me serais aisément passé de ce surplus d'estomacs affamés qui crient famine comme des goélands sans mères, mais d'un autre côté, je pense qu'on n'aurait jamais pu arriver si vite et en un seul morceau.
Nous avons croisé un panneau à quelques trois miles marins indiquant la direction de « Poiscaille ». J'ai été surpris de voir un truc pareil stoïquement dressé au-dessus des vagues claires et constellé de moules et de bernards-l’hermite, mais Lei, elle, n'a fait que relever la tête et acquiescer quand je lui ai demandé si c'était normal. Elle est retournée sur ses cordages sans ajouter un mot.
Elle est calée, et j'sais pas comment elle a fait pour apprendre ça en tant que femme. C'est sensé porter malheur bordel de merde ! Mais quand je l'ai laissé sous-entendre la première fois, quatre jours plus tôt, j'ai pris trois beignes : deux de ta part, une de la sienne, histoire de marquer le coup.
Mais faut que je reste objectif. Elle est douée. Ou tout du moins, plus que moi. J'ai certes aucune matière à comparaison – j'ai jamais croisé de vrai navigateur – mais en suivant ses instructions et ses conseils pour faire des nœuds, force est de reconnaître que ça fonctionne bien mieux. La preuve, on a passé une nuit horrible à se battre contre des vents contraires et une houle de travers, eh ben grâce à elle, on s'en est tiré avec les trois voiles intactes et toutes les planches à leur place.
Le seul très gros inconvénient de cette bonne dame à bord, ce sont ses chiards. Ses chieurs. Ceux qui beuglent quand ils ont faim, qui beuglent quand ils sont fatigués, qui beuglent quand ils ont le mal de mer et qui beuglent quand ils jouent. J'sais même pas comment on a fait, toi et moi, pour pas les balancer accidentellement par dessus bord. Moi, c'est peut-être parce que j'avais toujours un Cormoran lové dans leurs pattes qui me lançait des yeux noirs quand je m'approchais avec mon regard des mauvais jours. Toi, t'es probablement juste pas assez salope pour jeter des bambins par dessus bords. Et elle... c'est pas compliqué : elle les supporte. Moi beaucoup moins. La preuve, j'ai beaucoup moins dormi depuis qu'elle est là, et c'est pas à cause des quarts qu'on prend.
Mais comme on dit, les gamins, c'est comme les pets. On supporte que les siens.
En parlant des quarts, il a bien fallu qu'on mette ça en place. On était une personne de plus, on pouvait se permettre de dormir un peu plus. Même si veiller aux vents, aux gréements, au Cormoran et aux gosses aurait réquisitionné une garnison entière de la marine ailleurs que sur ce navire. Encore une fois, j'sais pas trop comment on a fait pour pas s'écorcher vif ou s'entendre parler. Rien que pour les repas c'était une merde incommensurable. On a fini par manger chacun son tour. Et c'était souvent Lei qui faisait la bouffe. Moi je faisais des trucs inbouffables, et toi, t'avais tendance à faire cramer mon assiette. Et pas la peine de nier, je sais que ça te fait bander de m'intoxiquer au carbone alimentaire.
Toujours est-il qu'avec Lei aux commandes et aux conseils, même toi tu as pu mettre quelques doigts à la pâte et on est arrivés ici, à Poiscaille, en un temps record. Juste après le panneau indicatif avec une réglementation sur la vitesse à respecter en approche des côtes, nous avons pu apercevoir les premiers chalutiers aux tailles monumentales. Et par taille monumentales, j'veux dire qu'on a croisé un trois mâts puis un trois ponts. Pour la pêche. Dès lors j'ai l'impression que Poiscaille n'est cette fois-ci pas un nom choisi au hasard.
Et sinon, pourquoi cette île ?
-Parce que le poisson sera beaucoup moins cher ici qu'ailleurs. On va avoir besoin de stocks pour la traversée.
Si tu le dis.
-Et avec toutes les exportations vers Grand Line...
C'est bon j'ai compris. T'as pas visé au hasard.
Elle baisse les yeux en soupirant et j'entends presque sa voix vexée résonner dans ma tête. Sur son dos, l'un de ses marmots est ficelé comme un jambon et observe le monde comme s'il le découvrait alors qu'il est sur les flots depuis quatre jours. Je me suis inquiété, au début, des maux de mers et d'autres maladies que les embruns et le froid de la haute mer auraient pu entraîner chez les deux têtes blondes, mais Lei nous a expliqué qu'ils avaient le sang marin dans les veines. J'ai trouvé ça stupide, encore une fois, mais encore une fois, je me la suis bouclé et j'ai recommencé mes nœuds trop compliqués pour mes bras de charpentiers bourrins. Toi, blondie, tu tiens la barre comme si c'était ta vie que tu tenais entre tes mains, et je suis assez persuadé que c'est pas loin de la vérité. Et moi, comme un con, je me démène pour ramener les voiles et faire perdre de la vitesse au Berckois alors que j'ai l'ainé de la fratrie qui joue dans mes pattes avec un Cormoran surexcité.
Nous arrivons finalement en vue du port. Enfin, des ports. Parce qu'évidemment, il ne faut pas confondre commerce et tourisme. Et que nous, vraisemblablement, on est catégorisés touristes. C'est en tout cas ce que laisse entendre ce monsieur perché sur sa petite hune en plein milieu de la mer et qui fait office de phare comme d'agent de circulation. Derrière lui, deux mecs jouent aux cartes sur une table de pic-nique et un reste de salade de carottes traîne sur une chaise vide.
-Vous êtes un navire de pêche ?
-Non, nous sommes de simples visiteurs.
On a trois cannes à pêche, ça compte pas ?
Nous avons croisé un panneau à quelques trois miles marins indiquant la direction de « Poiscaille ». J'ai été surpris de voir un truc pareil stoïquement dressé au-dessus des vagues claires et constellé de moules et de bernards-l’hermite, mais Lei, elle, n'a fait que relever la tête et acquiescer quand je lui ai demandé si c'était normal. Elle est retournée sur ses cordages sans ajouter un mot.
Elle est calée, et j'sais pas comment elle a fait pour apprendre ça en tant que femme. C'est sensé porter malheur bordel de merde ! Mais quand je l'ai laissé sous-entendre la première fois, quatre jours plus tôt, j'ai pris trois beignes : deux de ta part, une de la sienne, histoire de marquer le coup.
Mais faut que je reste objectif. Elle est douée. Ou tout du moins, plus que moi. J'ai certes aucune matière à comparaison – j'ai jamais croisé de vrai navigateur – mais en suivant ses instructions et ses conseils pour faire des nœuds, force est de reconnaître que ça fonctionne bien mieux. La preuve, on a passé une nuit horrible à se battre contre des vents contraires et une houle de travers, eh ben grâce à elle, on s'en est tiré avec les trois voiles intactes et toutes les planches à leur place.
Le seul très gros inconvénient de cette bonne dame à bord, ce sont ses chiards. Ses chieurs. Ceux qui beuglent quand ils ont faim, qui beuglent quand ils sont fatigués, qui beuglent quand ils ont le mal de mer et qui beuglent quand ils jouent. J'sais même pas comment on a fait, toi et moi, pour pas les balancer accidentellement par dessus bord. Moi, c'est peut-être parce que j'avais toujours un Cormoran lové dans leurs pattes qui me lançait des yeux noirs quand je m'approchais avec mon regard des mauvais jours. Toi, t'es probablement juste pas assez salope pour jeter des bambins par dessus bords. Et elle... c'est pas compliqué : elle les supporte. Moi beaucoup moins. La preuve, j'ai beaucoup moins dormi depuis qu'elle est là, et c'est pas à cause des quarts qu'on prend.
Mais comme on dit, les gamins, c'est comme les pets. On supporte que les siens.
En parlant des quarts, il a bien fallu qu'on mette ça en place. On était une personne de plus, on pouvait se permettre de dormir un peu plus. Même si veiller aux vents, aux gréements, au Cormoran et aux gosses aurait réquisitionné une garnison entière de la marine ailleurs que sur ce navire. Encore une fois, j'sais pas trop comment on a fait pour pas s'écorcher vif ou s'entendre parler. Rien que pour les repas c'était une merde incommensurable. On a fini par manger chacun son tour. Et c'était souvent Lei qui faisait la bouffe. Moi je faisais des trucs inbouffables, et toi, t'avais tendance à faire cramer mon assiette. Et pas la peine de nier, je sais que ça te fait bander de m'intoxiquer au carbone alimentaire.
Toujours est-il qu'avec Lei aux commandes et aux conseils, même toi tu as pu mettre quelques doigts à la pâte et on est arrivés ici, à Poiscaille, en un temps record. Juste après le panneau indicatif avec une réglementation sur la vitesse à respecter en approche des côtes, nous avons pu apercevoir les premiers chalutiers aux tailles monumentales. Et par taille monumentales, j'veux dire qu'on a croisé un trois mâts puis un trois ponts. Pour la pêche. Dès lors j'ai l'impression que Poiscaille n'est cette fois-ci pas un nom choisi au hasard.
Et sinon, pourquoi cette île ?
-Parce que le poisson sera beaucoup moins cher ici qu'ailleurs. On va avoir besoin de stocks pour la traversée.
Si tu le dis.
-Et avec toutes les exportations vers Grand Line...
C'est bon j'ai compris. T'as pas visé au hasard.
Elle baisse les yeux en soupirant et j'entends presque sa voix vexée résonner dans ma tête. Sur son dos, l'un de ses marmots est ficelé comme un jambon et observe le monde comme s'il le découvrait alors qu'il est sur les flots depuis quatre jours. Je me suis inquiété, au début, des maux de mers et d'autres maladies que les embruns et le froid de la haute mer auraient pu entraîner chez les deux têtes blondes, mais Lei nous a expliqué qu'ils avaient le sang marin dans les veines. J'ai trouvé ça stupide, encore une fois, mais encore une fois, je me la suis bouclé et j'ai recommencé mes nœuds trop compliqués pour mes bras de charpentiers bourrins. Toi, blondie, tu tiens la barre comme si c'était ta vie que tu tenais entre tes mains, et je suis assez persuadé que c'est pas loin de la vérité. Et moi, comme un con, je me démène pour ramener les voiles et faire perdre de la vitesse au Berckois alors que j'ai l'ainé de la fratrie qui joue dans mes pattes avec un Cormoran surexcité.
Nous arrivons finalement en vue du port. Enfin, des ports. Parce qu'évidemment, il ne faut pas confondre commerce et tourisme. Et que nous, vraisemblablement, on est catégorisés touristes. C'est en tout cas ce que laisse entendre ce monsieur perché sur sa petite hune en plein milieu de la mer et qui fait office de phare comme d'agent de circulation. Derrière lui, deux mecs jouent aux cartes sur une table de pic-nique et un reste de salade de carottes traîne sur une chaise vide.
-Vous êtes un navire de pêche ?
-Non, nous sommes de simples visiteurs.
On a trois cannes à pêche, ça compte pas ?
« Ta gueule ducon. »
-Vous avez un numéro d'immatriculation pour votre navire ?
Lei se tourne vers moi comme si j'avais la réponse. Je lui rend son regard et n'arrive pas à réprimer une mine courroucée.
Quoi !? J'fais des bateaux moi, pas des papelards !!
Elle serre la mâchoire puis se passe la langue sur les dents avant de reporter son attention sur l'agent de circulation qui ne masque pas son impatience de retourner jouer au pouilleux (comme tout bon pnj fonctionnaire qui se respecte).
-Aucun.
-Je vous donne ce papier, pensez à vous faire homologuer ou vous recevrez une amende très prochainement.
-D'accord et merci beaucoup.
Putain, t'es vraiment balèze.
-Tu l'ouvres encore je te fais bouffer la couche du p'tit !
Sur ton visage, un rictus méprisant s'étire. J'ai vraiment pas l'impression que nos relations s'améliorent, mais j'ai surtout l'impression que tu t'en réjouis plus qu'autre chose.
Et fais gaffe à toi, parce que ça pourrait me foutre en rogne.
-Vous avez un numéro d'immatriculation pour votre navire ?
Lei se tourne vers moi comme si j'avais la réponse. Je lui rend son regard et n'arrive pas à réprimer une mine courroucée.
Quoi !? J'fais des bateaux moi, pas des papelards !!
Elle serre la mâchoire puis se passe la langue sur les dents avant de reporter son attention sur l'agent de circulation qui ne masque pas son impatience de retourner jouer au pouilleux (comme tout bon pnj fonctionnaire qui se respecte).
-Aucun.
-Je vous donne ce papier, pensez à vous faire homologuer ou vous recevrez une amende très prochainement.
-D'accord et merci beaucoup.
Putain, t'es vraiment balèze.
-Tu l'ouvres encore je te fais bouffer la couche du p'tit !
Sur ton visage, un rictus méprisant s'étire. J'ai vraiment pas l'impression que nos relations s'améliorent, mais j'ai surtout l'impression que tu t'en réjouis plus qu'autre chose.
Et fais gaffe à toi, parce que ça pourrait me foutre en rogne.