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A L'ombre des Ombelles.

[Premier topic du projet perso "Aleatoirium", ou "quand on a pas d'idées pour un topic ou si comme moi on trouve ça rigolo de se tirer une balle dans le pied quand on est déjà quasi-inactif ces temps-ci, on prend 5 mots en aléatoire sur wiktionary et on fait une histoire avec". En cliquant, vous trouverez les définitions de chacun des mot-clés sur lequel je suis tombé ci-dessous. J'espère que cette première histoire vous plaira !]

[ AntifraudeDevenir rareSoudrilleOmbellesSaxtuba ]

A l'ombre des ombelles jouaient les enfants.
A l'ombre des ombelles s'agitaient les insectes.
A l'ombre des ombelles rampait fébrilement Robb Lochon.

Il n'avait pas mangé depuis une semaine et surtout pas consommé ni lardons, ni fromages durant les dernières vingt-quatre heures. Il ne s'accrochait à la vie que par pure habitude et entêtement, espérant la venue d'un bienfaiteur non végétarien. En bon Montagnard, il conchiait ces espèces de fofolles. Manquerait plus qu'ça, d'être sauvé par des citadins chiants ! Oh, joli pléonasme mon cerveau - De rien mon petit clafoutis. Cerveau , tu pourrais m'aider à ramper, mes muscles commencent à comprendre le concept de grève. Cerveau ..? Ceeeerveaaaaaauuuu ?

Votre cerveau n'est pas accessible pour le moment, il est trop occupé à se repasser des souvenirs de votre chien cyborg Rex.

Mais j'ai jamais eu d'chien ! Et pis pourquoi ça sent l'toast, on m'nargue c'est ça ?! Eh, cerveau, reviens !

Ah oui, désolé, enfaite, vous avez une attaque. Vous êtes entrain de mourir. Dommage que vous ne croyez pas au concept de réincarnation.

Meeeeeeeeeeeerde !


« Oh, qu'avons-nous là ?
- Maaanger...
- Encore un pauvre qu'il nous faut aider. Ombelline, je vous nomme pour aujourd'hui présupposée aux pauvres, réjouissez-vous HAHA !
- Bien, monsieur. »

***

L'odeur des œufs au bacon fut la première des soixante-dix choses qui parvint à le réveiller. Le Médecin dans un réflexe bien d'chez lui engloutit nourriture et assiette et une heure plus tard sortit enfin des toilettes, un air un peu honteux sur le visage tandis qu'il tendait la porcelaine, lavée, à une bonniche dégoûtée. Le ridicule n'ayant cependant peu de prise sur la bonhomie du papa, c'est avec le sourire qu'il souleva son sauveur grâce à un câlin plein de gratitude quelques minutes plus tard. Jean-Paul Hpah était un homme bien bâti, qui dégageait une impression de force tranquille, faisant sonner la corde sensible aux enfants bien potelés de Robb. Sa coiffure impeccable signe du Citadin aisé, son art des mimiques et des sourires figés de politicien, ainsi que sa mâchoire si forte qu'il pourrait sans doute réellement couper du beurre avec ne pouvait attirer chez le Lochon qu'un drôle de malaise que la plupart des citadins lui intimait, avant qu'il ne découvre qu'ils n'étaient pas si mal en fin d'aventure. Aussi, encré d'inconfort coutumier et ancré de bons sentiments habituels, voulant remercier son sauveur par une consultation gratuite ou un tabassage en règle de gros vilainous du coin, Robb ne vit aucun mal dans la proposition de Jean-Paul :

« Dites, vous, un job, ça vous intéresse ? »

***

« Non, pas trop, non. Ne vous inquiétez pas ! »

L'île en forme de fleur abritait en son cœur la ville d'Ombellule, qui faisait jaillir de quelques bâtiments une étrange fumée noirâtre qui se dispersait dans les airs et son bienfaiteur expliquait à mesure qu'il passait une belle rue pavée couronnée de fleurs ombellifères telles que l'anis vert ou la coriandre qu'elles avaient donné leurs noms à cette terre. Des immeubles en construction commençaient à gratter le dos du Sentier des Guerriers -la périphrase pour ciel chez les Montagnards- et, avec la fumée-cendres-mauvais-esprit que charriait les petits volcans de fer comme le disait Robb à son interlocuteur amusé, le Docteur se demandait s'ils ne risquaient pas d'être malades. Malade, non, pas trop, non apparemment rassurait le maire Hpah, même si Robb, médecin lui et surtout Montagnard pensait que c'était un tas de menteries dû à l'ignorance. De la grosse fumée qui te bouffe pas les bronches, ce serait quand même une première pensa-t-il en s'allumant une cigarette. La voiture et les chevaux qui la tiraient s'engouffrèrent dans la grand-rue pour revenir vers la maison de Jean-Paul et le voyageur revit anis verts, coriandres, fenouils, cumins, persils, plantés comme autant d'autres villes plantent des fleurs et il sourit, regardant ces petits ombellifères jetaient leurs branchounettes en l'air, leurs ombelles toutes contentes de cette attention particulière.  Son sourire s'estompa un peu en voyant les affiches de la prochaine élection municipale et leurs couleurs fuyantes. Bien des visages en passant aussi rapidement ressemblaient à celui de Jean-Paul Hpah et l'intéressé confirma nonchalamment qu'il était en effet loin devant les deux autres participants selon les sondages d'opinion. Ce sourire figé sur papier glacé était donc bien le sien et ces couleurs, argent et bleu, proches de celle du drapeau de l'île (une ombelle blanche sur un fond bleu roi) bien les siennes. Politique. Politiques. Tout cela l'avait toujours mis mal à l'aise. Les couleurs des autres affiches n'avaient pas cette flamboyance et avant que l'étranger ait pu mieux les observer, elles  avaient disparu.

Ils venaient de tourner à l'angle de la rue.

Le passager détourna son visage de la ville, son profil se reflétant translucide et transpercé de panachés fugitifs, les sourcils froncés, silencieux, barbu et sale.

Intrigué.

Robb venait d'oublier pourquoi il souriait plus tôt.

   
***
Jean-Paul Hpah, rayonnant, le combiné de l'escargophone aux lèvres fit une pause pour reprendre son souffle avant d'entamer la phase la plus importante de son discours. A ses côtés, de part et d'autre de ses grandes épaules, se tenait son garde du corps et sa secrétaire, en retrait, dans l'ombre, les bras croisés, confiants. Robb Lochon, les sourcils froncés, silencieux, rasé de près et propre, dans une chemise hors de prix, cheveux en arrière et bien coiffés n'en pouvait plus de toutes ses merdes politiques. Ombelline Fenouillard, avec ses lunettes trop larges, son léger rictus de satisfaction, ses cheveux ondulés noués de façon démodé en une queue de cheval mémère, son tailleur strict et son collier de perles que venait, espiègles, rehaussait un amas de tâches de rousseurs attendait le triomphe.

La voix du candidat retentit de nouveau, profonde et forte, répétant un discours préparé avec Ombelline ; elle buvait ses paroles, à présent sûr de leur victoire ; les yeux du garde se firent chassieux, il avait repéré un mouvement dans la foule.

« Je mettrai tout en œuvre pour que plus jamais l'on ne vole Ombellule, pour que plus jamais la fraude sape notre économie et notre commerce ! Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, ce n'est pas de plus de bras, mais de plus d'armes pour lutter mes chers concitoyens. Ce dont nous avons besoin c'est de nouvelles lois anti-fraudes, pour que les commerçants d'ombellifères et les ouvriers d'Ombellule bénéficient de la Justice qu'ils méritent et qu'ils demandent depuis si longtemps. Des lois dont mes adversaires ont préféré ne rien dire, des lois d- »

L'éclat du mousquet fut comme la première lueur d'un lever de soleil et si au Royaume Blanc, la Dame Rousse ne faisait que de brèves apparitions, Robb avait bougé. L'éclat se fendit devant l'éclair qu'était la pelle de ses ancêtres et roula bientôt au milieu de la foule confuse. Au moment où les armes finissaient de racler le sol et où les secondes d'incompréhension perlaient sur l'assistance immobile, deux hommes s'étaient déjà élancés.

L'agresseur, dès son échec, avait couru de toutes ses forces. Sans savoir qui l'avait arrêté, sans savoir s'il pourrait même le semer. Il n'entendait plus les pas de son poursuivant cavalaient derrière lui.

Et pour cause : Robb Lochon s'était arrêté, jambes fléchis, bras tendus, en position du coureur sur le départ.

Un rapide coup d’œil en arrière faillit le faire sourire. Faillit. Parce que, pourtant bien loin derrière lui le garde du corps releva la tête ; et le sourire qui aurait dû être sur la bouche de Nans Cighët était sur son visage...

Lent étaient les Montagnards, car ils vivaient en un pays où toute grande vitesse pouvait les précipiter dans une crevasse ou les faire tomber à bas de leurs montagnes. Jambes qui ont toujours marchés dans la neige sont pourtant fortes ; et trembla Nans et la rue toute entière quand le Lochon se propulsa jusqu'à lui, son bras tendu.

Tout ce dont se souvint Nans fut le souffle,  puis l'impression de s'être pris un galion dans le dos avant de tournoyer dans les airs. Ça et les mots distincts et étranges "Papa fait l'linge les enfants !".

La douleur irradiante alors que se troublait le ciel, avant de devenir noir, ne fut jamais pour lui qu'un lointain souvenir. Jusqu'à ce qu'il se réveille et que les adversaires soient à nouveau face à face, à l'intérieur d'une cellule.


« J'te jure, j'étais à l'autre bout de la rue quand c'est arrivé. J'en ai vu des trucs, mais ça !
- Allez raconte, t'fais pas prier !
- Il a défoncé les pavés d'où il est parti, pis tous ceux sur lesquels ses pieds sont passés. Le Cig', il a dû rien voir, i' devait êt' comme une fusée ! Et sbim dans sa ganache !
- Comme... comme la pâtisserie ?
- Yep, comme la pâtisserie. Une pâtisserie pleine de muscles avec un napage aux gnons ! Et-
- Mais tu crois vraiment que c'est lui ? J'veux dire le Cig' a jamais été un type honnête, mais de là à être un tueur, faut quand même pas déconner.
- Bah, 'faut dire que Hpah junior se cachait pas de son fameux projet anti-fraude et ça a énervé pas mal de monde. 'Faut dire aussi ce qui est, quand Jean-Khoz Hpah était maire, y avait du laissé-aller sur ça, hein. Ça y allait comme dans une maison close, rapport aux va-et-vient et tout ça nyéhéhéhé.
- Béhéhé, j'sais bien, 'me souviens d'caisses de pinard qui sont tombés du camion, qu'ont roulés jusqu'à chez moi et qui sont restés parce qu'y s'y sont plut. Un peu comme ta femme ! Béhéhé !
- Hé ho, la Monique, elle s'est rangée, c't'une honnête femme maintenant, alors tu te calmes mon loustic.
- Comment t'as fait mec, sérieux, j'ai jamais compris quoi !
- L'mec i'm'demande des trucs sur comment j'ai eu ma bonne femme. L'mec il a la conf' quoi, ça y est, youplabadoum, poitrine bombé, air goguenard, la conf' quoi.
- Allez Patrick, merde quoi, tu peux bien le dire à un pote !
- Nan mais si j'te le dis tu vas te fout' de moi, j'suis sûr.
- Mais naaan.
- Tu l'dis à personne alors hein ? Et pas un souffle à Monique hein, si elle apprend que j'ai raconté l'histoire, j'vais avoir un d'ses savons moi !
- Mais nan t'inquiètes. "Ciguë d'avant, Ciguë d'maintenant, si j'mens, qu'tu plantes ma maman !"
- Okay. Alors bah – oh i'sort !
- Ah bah nan, hé !
- Alors, Nans il a causé?
- Rhhmppf...
- L'mioche veut rien entendre. J'lui ai pourtant donné un bon sandwich d'ma compo' et tout, mais i'm'dit qu'il sait pas pourquoi il a fait ça. D'ce que vous m'avez dit il avait des raisons, mais il semblait désorienté l'pauv' bichon. Bon, faut dire j'l'ai bien secoué. Pourtant je comprends pas, j'me suis loupé, j'ai trébuché à moitié.
- Comment ça vous vous êtes loupé ?
- - Bah moi j'comptais lui péter la moitié des côtes et j'en ai pété qu'trois alors, j'me sens un peu nul. En plus je lui ai filé ma dernière paye comme un gros con et donc j'ai plus de sandwichs œufs pochés – lardons ultraluxes avant au moins une semaine. La méga loose, j'vous dis.
- Ah ouais, mince, c'est ballot.
- Fais pas genre que tu comprends Rémi, t'as pas d'la barbaque de qualité toi.
- Ah c'est sûr que toi tu comprends, avec ta bonne femme et tout...
- Quoi ?! T'as dis quoi putain ?!
- T'as bien entendu !
- C'est pour ça que t'as pas de famille, Rémi, c'est exactement pour ça.
- Ils sont tous morts dans un incendie, espèce de connard !
- - Yep, désolé à propos d'ça d'ailleurs. J'ai entendu dire que tout était parti d'la cuisine, 'm'semble.
- Oh merci. Ouais.
- Attends Rémi. Attends une seconde... tu as quand même pas laissé Martine cuisi-oh putain tu la fais bougre de con. T'es rentré chez toi, comme un enculé d'beauf, t'as foutu tes pantoufles sous la table basse et t'as lu l'journal comme un gros bâtard ! Putain, tu le savais pourtant que la Martine c'était une chiasse complète en cuisine ! Merde mec... merde.
- Bon euh moi j'vais voir comment l'Jean-Paul y va hein ! Sur ce,  mes bichons !

Mal à l'aise, le garde du corps laissa la flicaille se crêper l'képi. Les noirs secrets des Citadins, 'valait mieux les oublier ou n'pas les entendre. Malheureusement, le ton monta derechef et Robb entendit la suite derrière lui.

- Ta gueule Patrick. Ta gueule, merde, okay. TA GUEULE ! C'est quoi TON problème ? Tu lui donnais du vous à c'profiteur, à ce sbire de Hpah à l'instant ! Et...
- Écoute Rémi. Je suis désolé pour ta famille et tout. Mais les autres, ceux qui restent, ton oncle et tes cousins, i' t'aime pas pour une raison, c'est que t'oublies toujours de fermer ta gueule quand i' faut. Toujours à la ramener, toujours à vouloir faire ton cake. C'que t'as dis sur ma femme mec... sans déconner, un autre, je l'aurais tué. Mais j'suis flic et t'es mon pote. Si c'était pas comme ça, je t'aurais foutu une droite Rémi. Sans déconner. Et honnêtement, quand t'as en face un type qui peut satelliser des mecs quand i'veut, tu lui donnes du vous et tu fais pas semblant.
- Putain... putain mec. J'suis... putain... tu sais que j'peux pas encadrer tous ces monstres.
- Ouais, je sais. Mais c'est eux qui font rouler l'monde mec. Et nous, on essaye de ramasser les miettes qu'ils veulent bien nous laisser...
-...
-...
- T'as besoin d'une bière. Et moi aussi. Je paye. Viens. Désolé, je-Viens Rémi.
- Tu payes la mienne, je paye la tienne. On va où ?
- ...
- ...
- Okay. Même endroit que d'hab' ? Allons Chez Stéphanie.
- J'espère que Sid f'ra pas chier.
- M'étonnerait, il s'fait rare en c'moment... »

Robb s'arrêta sur le pas de la porte, soupira, puis sortit dans le smog et le soleil. Un 'tit verre de rhum ça lui f'rait aussi du bien.
   
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***

Sid Crette, pilier de bar, ancien soldat - patriote diront certains, soudrille d'autres- avait pourtant ses larges épaules, sa vilaine balafre et son monosourcil mal dégrossi vissé sur un tabouret quand ils entrèrent. Leurs rictus comme des serres tentèrent de s'agripper à lui, mais l'ancien soldat ne leur offra même pas un regard. Il leva à nouveau son verre comme il l'avait fait avant leur arrivée et comme il le ferait après. Deux ombres poisseuses passèrent sur lui et leurs mots empoisonnés "t'es encore là, toi ?". Il faisait chaud. Le crépuscule et ses couleurs étaient là pourtant pensa Robb non loin. Sid leva à nouveau son verre, pensif. Le Montagnard cherchait quelque chose dans le Sentier des Guerriers qu'il ne trouvait pas. Des grommellements et des œillades en coin vers lui présageaient que les flicards et les connards allaient bientôt l'emmerder ; Sid commanda une autre pinte.

Un monument étrange, une espèce de stèle, un petit bout de granit venait de surgir sur son côté et le Docteur s'approcha. La bière était pas mauvaise. Stéphanie avait du mal à l'encadrer, mais au moins elle avait le professionnalisme pataud de ceux qui savent qu'ils n'auront de meilleurs clients que les pires raclures de la ville. Merci Stéph'. La gorgée fraîche réchauffait son cœur, mais il était toujours obligé de boire d'un côté plus que de l'autre sinon ses points de suture le tiraient ; quand il était tellement bourré que des gouttes d'alcool venaient titiller sa chair blessée, il savait qu'il était temps de rentrer. N'en déplaise aux autres, ce n'était pas encore arrivé et Sid commanda un whisky. Il en prenait toujours un pour finir la soirée avec ce qui lui restait de rigueur militaire.

La stèle semblait être une commémoration de quelque chose. Robb n'arrivait pas à lire : la pierre avait été à moitié effacé par les années et le manque d'entretien. Les lierres ici avaient fait leur jardin et le Docteur put seulement déchiffrer une date. 'Vingt ans de cela. Une guerre probablement. Il se redressa, s'essuya avec un plaisir manifeste sur son pantalon bien trop luxueux -et propre- pour lui, puis finit par atteindre un endroit où il supposait qu'il y avait du rhum.

Juste avant de rentrer Chez Stéphanie, Robb releva la tête une ultime fois et souffla.

A cause de la pollution lumineuse, de toutes ces lumières partout dans les cités, dans cette cité, on ne voyait aucune étoile. On oubliait les guerriers ici.

Il entra ; Sid ne tourna pas la tête ; l'individu vient s'asseoir à côté de lui et commanda une bouteille de rhum. Le soldat tourna mollement son regard vers lui. Le Lochon posa un deuxième verre qui étonna froidement l'assemblée du bar. Sid allait lui dire de dégager s'il voulait pas d'ennuis, mais la voix calme du guerrier l'interrompit.


« C'est ma tournée. »

Les verres défilèrent, puis l'alcool.

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Mogwai~~1 % Of Monster

"J'ai fais un rêve une fois. Des tours de métal et de verre avaient fleuris partout et cachaient la Soleil. Des porcs frottaient leurs ventres de contentement parce que c'était du verre et du métal et plus du bois ou de la pierre. La nourriture était poison et dans le ciel, il n'y avait plus d'étoiles. J'étais seul et j'entendais le chant des derniers arbres." qu'il me dit. Le mec est... non je sais pas s'il est bourré quand il me dit ça. Il a le regard flou, sans doute parce qu'il a plus d'alcool dans son verre sur lequel refléter son âme. On s'est calé tous les deux dans un parc minable proche, jonché de canettes finies, comme moi. J'détourne le regard parce que, à chaque fois que je les vois et qu'ensuite j'mire mes pieds, mes mirettes voient d'autres panards qui marchent en cadence dans leurs bottes cirées. Fringants p'tits cons qu'on était. Le poids du paquetage sur le dos, j'le sens encore et les cicatrices pathétiques et rouges des lanières sont toujours là. Un instant, j'me vois lui donner la dernière gorgée de ma canette, pis j'la finis d'un trait, parce que je me souviens pas être devenu ami avec môssieur garde du corps.

Et maintenant, j'me rends compte qu'il a pas soif et que moi, j'suis le seul à vouloir noyer c'qui me reste de vie. Soif de mourir. J'refourgue ces pensées à la sorgue, crasse et sans loupiotes, m'rappelant pas avoir survécu pour devenir faible. Hier n'était pas mieux, aujourd'hui est terrible et demain ce sera pire.

J'respire tellement la joie d'vivre que je dois empester le tournesol à deux kilomètres à la ronde, ha ! C'la me colle un sourire torve qui va en écho discordant avec le sien, bien plus honnête.

Bien plus léger, même. Comme le silence. L'air est lourd pourtant. C'est toujours comme ça ici. T'as beau zyeuté toutes les ombellifères du coin et chanter leur beauté, la ciguë est trop répandu pour qu'l'île soit peuplé de gens d'Bien. Not' histoire, elle est vide de sang et vide de sens, encré avec la bile des empoisonnés et marqués par l'ombre des empoisonneurs.

Et si on m'dit que le poison est une arme de lâche ou d'femme, j'répondrais, "comme les femmes, la grande ciguë peut être attirante."

Robb regardait les ombres des ombelles s'allongeaient sur le sol et les hérissons de lumière que projetait les lampadaires. Élégants et incurvés comme de vieilles sentinelles, colorés d'un bleu sombre qui s'imbriquait parfaitement dans la peinture de la nuit et de ses nuages grisâtres, survivants du crépuscule. De drôles de socles, derniers empires étoilés d'une nuit sans lumières. Sa face teintée de noir et de jaune, tel un œuf dans la poussière sembla sourire un instant avant que le jaune ne s'écoule : il s'était levé. Sid le suivit mollement du regard et du cœur. Il observa en baillant son camarade de beuverie se rapprocher d'un parterre d'ombellifères et eut un rictus. Partout ces foutues plantes. Parasites. Quand on regardait les autres îles monomaniaques comme Zaun ou Water Seven, on avait pas cette impression de pas fini, on avait une impression de spécialité. Ici, non.

Le Montagnard se pencha, intrigué.

Ici, rien.

Tout comme un ivrogne cherche ses clés à la lumière des réverbères alors qu'il sait pertinemment qu'elles ne sont pas là, Robb cherchait quelque chose dont il ne se souvenait plus.

Ici la mort dans la peau, la mort de la foi.

Se réverbérant dans ses yeux, quelque chose d'étrange.

Ici la mort des couilles, la mort des tripes.

Certaines ombellifères avaient germés, d'autres non.

Ici rien que du poison pour les bronches et la bouche et le cœur.

Jean-Paul sortit délicatement les gonades, les intestins, le foie et la peau du poisson fugu. C'était bien la seule chose qu'il daignait cuisiner lui-même.

Les plantes, sous les sentinelles froides, n'avaient pas pu germer. Comme si on ne leur avait pas dit qu'elles pouvaient le faire.

Ses doigts habiles manipulèrent le couteau qui coupa en tranches le poison-poisson, puis les mouillèrent de jus de citron et les saupoudrèrent de coriandre et de poivre noir.

Le Docteur se releva, soucieux.

Combien de temps était-il ici ? Et pourquoi cette sensation ?

Les tranches étaient si fines que l'on voyait les motifs torsadés bleus rois de la vaisselle sur laquelle elles reposaient. Satisfaisant. Il avait bien réussi le sashimi cette fois.

Qu'est-ce qu'il loupait ?

Il s'assit à sa table, seul, dans la salle à manger blanche de monde, vide à cette heure. 5h05. Pathétique. Il aurait dû finir à cinq heures du matin pile. Un rictus barra son visage avant qu'un large sourire le remplace. Jean-Paul salivait. La sueur vint perler sur sa peau lorsqu'il approcha la première bouchée de ses lèvres. Une bouchée mortelle, un plaisir exquis, un raffinement suprême ; il l'engloutit en un instant, laissant l'adrénaline courir en lui à mesure que son repas disparaissait de son assiette.

Quelque chose obstruait son esprit, mais quoi ?

Maintenant au sol, torse nu, le candidat comptait silencieusement le nombre de pompes qu'il effectuait dans la solitude de sa grande demeure.

« Sid, bichon, combien de temps que tu m'vois au côté de Jean-Paul ?
- Ohlà, j'mange pas de ce pain-là moi, alors évite les bichons et autres gourmanderies.
- Mec, bonhomme, réponds à ma question. C't'important.
- J'vois surtout qu't'es bourré comme une paquetage ouais. Et évite de m'appeler fils, j'ai une mauvaise expérience avec les pères.
- Je suis meilleur que lui sans aucun doute. C'moi ton papa maintenant d'façon. T'seras bien 'vec moi, t'inquiètes, je fais des câlins et donne des compliments de manière régulière et affectueuse.
- Ha ! T'as un grain mon gars, ça c'est certain. J'vais mettre ça sur le compte de l'alcool et on va en rester là, hein.

Il se leva.
Robb le stoppa d'une main sur son épaule, sentant un poids dans son estomac grossir. Il apparaissait véritablement inquiet cette fois-ci.

- Combien de temps ? S'il te plaît Sid.

Echos. Il avait déjà entendu cette supplique d'une autre bouche et d'une main semblable autrefois. Mais qui ? Le souvenir était flou.

En même temps bonhomme, en même temps on dit depuis combien d'temps j'suis là.
- Putain tu fais ch-
- SID !
- ... bon ok. Mais après tu m'fous la paix.
- Trois.
- Deux.
- UN !
- DEUX SEM- un mois et demi. »

Une tâche sur son costume fait sur mesure. Sa main frotte, puis jette. Les domestiques se lèveront bientôt, ils s'en chargeront. Sa montre sonne et il entend un petit délic.

Le vent souffle dans le parc, tandis que le soleil point.

Jean-Paul sort le papier qu'il vient de découvrir dans sa montre.

Suit les indications et s'approche d'un tiroir, puis d'un coffre une clé à la main.

Les deux hommes s'éloignent de quelques pas l'un de l'autre, ne comprenant pas.

Et Sid lui aussi, ressent à nouveau la sensation d'avoir déjà vécu ses sueurs froides.

Déjà Vus dont il ne se souvient pas.

Et le maire rit aux éclats en voyant ce qu'il y a dans le coffre.

Ici, rien que l'oubli.
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