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Dans leurs yeux, l'avenir

Dans leurs yeux, l'avenir 1441234380-soleil


La tête pesante, lourde, et l'esprit embrumé. Ouvrir les yeux est un effort réel, combattre la puissante lumière du jour en est un de plus. Les piques ardentes du soleil s'immiscent jusqu'à ma rétine pour en mutiler la surface. Raah… L'air est sec, j'ai la bouche pâteuse, la tête dans un étau. Seulement la tête ? Non… Je m'habitue à la lumière, puis parvient à ouvrir les yeux. Mes poignets me brûlent, bloqués dans les étaux du pilori. Déjà deux jours que je suis là, les genoux écorchés contre les dalles du macadam, le dos perclus de courbatures, le cou irrité par la morsure du bois. Voilà ce qu'ils font, sur Poiscaille, aux adversaires politiques, ils les châtient puis les humilient. Ils les butent, les tabassent et les rouent de coups, puis ils les exposent comme ça sur la place publique. Ils les montrent comme des œuvres d'art. Comme pour dire regardez nous sommes forts. Regardez nous étions vingt contre lui et nous avons vaincu. Puis c'est la mise en cadre. On encadre cette représentation fière et belle de la tyrannie des plus corrompus à l'aide d'un vieux pilori au bois sec et aux gonds grinçants.

De la nourriture pour cette si belle prise qu'est le Capitaine Percebrume ? Non. De l'eau ? Peuh ! Non. À la table des Cruels il n'y a pas de siège pour la Pitié. Si bien que je suis là, seul, entravé et tuméfié, ignoré ou moqué par les passants. Quelle frustration que celle d'être ainsi montré ! Autant je répugne ces badauds immondes qui me pointent du doigt et s'esclaffent devant l'absurdité de mon sort, alors qu'ils ne savent en rien ce que j'ai tenté pour eux, autant je bouille de rage à constater l'indifférence de d'autres ! Raaah ! N'y a-t-il point pire châtiment que de ne plus être humain aux yeux de ses semblables ? Désigné comme une bête ou un paria par les uns, alors que les autres ne daignent même pas vous accorder une once d'attention. Je suis peut-être prisonnier de ses étaux, mais je suis avant tout prisonnier de leurs regards à tous. Ces regards que je ne peux éviter… qu'ils soient de pitié ou de hargne, moqueurs ou hautains, ils savent tous éveiller en moi la plus injuste des frustration ! NE VOIS-TU PAS QUE J'ÉTAIS CELUI QUI DEVAIT TE SOUSTRAIRE À LA CORRUPTION DES ÉLITES, POISCAILLE ?



Bien évidemment, tu ne peux le voir. Puisque la plaque de bois m'intitulant préfère me qualifier de "pirate et anarchiste notoire."

Je les ai tous perdus dans l'opération, mes compagnons. Landacier et Kurn, disparus dans un guet-apens. Uriel, Dimitri et Erik, évanouis dans la jungle urbaine. Blop, le maire, lui, s'est bien targué de garder ses fonctions de gras et pathétique homme corrompu, puisque désormais les odieux pirates qui le gardaient captif n'étaient plus que souvenirs… L'échec est amer, même à la bouche de celui qui ne mange plus depuis deux jours. Hier, mon estomac ne cessait de gémir et de grincer, me triturant le ventre comme si un poignard s'y était planté. Ce matin, il semble bien que ce soit ma tête qui me fasse savoir que l'eau manque gravement à mon corps… Misère. Elle est belle, la vie de pirate, lorsqu'on se confronte à l'échec.

Moi qui ai voulu faire connaître la vérité aux habitants de Poiscaille, je me suis retrouvé trahi par ces derniers, vendu à la Marine comme le simple pirate que je suis. Ces Malsouin, Keudver et Portdragon, bourgeois richissimes et hautement corrompus, ont bien fait d'étendre leurs racines gangrénées sur toutes les strates de la population locale, si bien que, du sommet de leurs brillants feuillages, ils sont désormais indétrônables. Si on me libère avant que je ne crève de ces carences, je jure de ne plus jamais me laisser ainsi jouer par les Élites. Moi qui les ai si longtemps côtoyé pourtant, quelle ironie. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour retrouver Napoléon, mon brave compère capibara, et pour reprendre la mer ! Depuis ma capture, je n'ai plus eu de nouvelle de mon sage compagnon rongeur, et encore moins de ce qui était advenu de mes hommes… Tant d'inquiétudes que seule la mer pourrait apaiser. Et qu'est-ce que j'ai soif.

- Hé… Vous… Un peu d'eau pour un pauvre damné assoiffé ?


Dernière édition par Maxwell Percebrume le Jeu 03 Sep 2015, 00:54, édité 2 fois
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Benjamin errait sans but dans la singulière ville de Poiscaille. Dans sa main, il serrait avec affection le goulot d’une bouteille de rhum. Cette flasque poussiéreuse contenait un liquide translucide. C’était un tafia d’assez bonne qualité que notre marin chérissait comme sa seule distraction sur la terre ferme. Il avançait donc dans la ville, portant régulièrement  le flacon à ses lèvres gercées par le sel. Ses pérégrinations l’avaient mené bien loin de sa zone d’errance habituelle. Il avait quitté le quartier malfamé pour se risquer dans le secteur bourgeois. Son passage était donc remarqué tant il tranchait d’avec la couleur locale. Là où on pratiquait la tenue raffinée, il portait un pardessus sale et rapiécé ; là où l’on affectionnait être rasé de frais, Benjamin appréciait sa barbe drue et inégale. Bref, le marin se sentait comme une pucelle livrée à un équipage de fiers à bras qui n’a pas vu la terre depuis trop longtemps.

C’est fortuitement qu’il découvrit une place élégante encadrée de magnifiques bâtiments. Son regard s’attarda sur les dorures travaillées, les sculptures des façades, la précision et le raffinement instillés dans chaque placement de pierre. Au milieu de cette place, trônait un pilori qui dénotait furieusement vis à vis du cadre propret. Cette potence accueillait pour l’heure un pauvre diable à l’air quelque peu revêche. Intrigué, Benjamin prit le parti de s’avancer pour mieux y voir. Il engloutissait régulièrement une quantité raisonnable de son élixir tout en avançant vers le centre de la place d'un pas décidé. Autour du prisonnier siégeait quelques soldats à l’air absent. Ils ne se préoccupèrent guère du marin, au mieux certains lui jetèrent une œillade assez morne avant de retomber dans leurs rêveries.

C’est là que le captif l’interpella.

- Hé… Vous… Un peu d'eau pour un pauvre damné assoiffé ?

Benjamin s’intéressa alors plus en avant à cet homme réprimé par la justice des hommes. Il affichait une barbe quelque peu sale mais pas dénuée d’une certaine rigueur, ses mains étaient calleuses, son regard honnête et fier. Nul doute pour un œil expert en la matière : le gaillard était un marin. Quelle pitié que de voir tel spectacle jugea Benjamin. La place d’un marin n’était pas ici, dans ce lieu si éloigné de la mer, à la merci de ces hommes.

- De l’eau ?! Quelle idée saugrenue. Rétorqua Benjamin avec un accent de pure surprise.

Un des gardes, plus zélé que les autres, avait suivi cette petite conversation. Il se fit fort d'agir avant les autres.

- Ôla drôle ! On ne donne rien au prisonnier.

Benjamin, en homme respectueux de son état physique, n’avait guère l’intention de s’opposer à plusieurs hommes armés. Il haussa donc les épaules d’un air interdit.

- Pour sûr mes braves ! Je suis honnête homme. Pas l’intention d’aider cette racaille.

Et d'un geste vif, il envoya une gerbe de rhum dans le visage de Maxwell. Ce qui provoqua l'étonnement de tous.

- T’en veux encore fiston ?

Le marin fixa Maxwell d’un air éloquent, celui qui disait : je suis un frère de la côte. Et il envoya la totalité de sa bouteille sur le visage du captif. Landstorm espérait bien par ce geste offrir une petite lampée de rhum au malheureux. Les gardes quant à eux n’y virent qu’un geste de mépris qu’ils saluèrent par des rires gutturaux.

Benjamin contempla sa bouteille désormais vide avec une pointe de déception. Mais la cause était belle...


Dernière édition par Benjamin Landstorm le Mar 01 Sep 2015, 12:39, édité 5 fois
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Ça coule contre mon visage et me pique les yeux. Je tends désespérément la langue, attrapant entre mes lèvres quelques larmes épicées. Assez pour m'humecter la bouche, assez pour que les acides fragrances du breuvage me brûlent la gorge. Autant le goût de l'alcool n'arrive en rien à me rassasier, autant je me sais désormais en eaux connues, avec ce grand homme qui a déversé sa flasque sur mon visage. Un vieux breuvage qu'on ne sert que dans les rades et les bouges portuaires. Une boisson que personne arpentant ce quartier de Poiscaille ne porterait si simplement à la main. Non. Cet homme est plus qu'un homme.

Il est marin.

L'iode marin et les embruns qu'exhalent ses habits me chatouillent le nez. Tout en lui est bourru, de ces épaisses mains, capables de faire tenir cap à un grand largue même en pleine tempête, jusqu'à ces épais favoris qui adoucissent ces forts traits carrés. Il est fier, brave et bâtit pour le large. Vieux ? Non. Expérimenté. Aigri ? Non. Sage. Il émane de lui une confiance toute aquatique, presque indémontable de par sa rugueuse bonhommie. La fiabilité habite ses gestes, sa voix rappelle les grondements et les grincements des calles. Il est gigantesque. Et dans ses yeux la mer. La mer comme tu ne la verras jamais si tu ne pars pas loin. Très loin. La mer que tu ne peux voir qu'avec des yeux qui l'ont vu des tonnes de fois avant. Une mer comme ça, tu ne peux la voir qu'après l'avoir vu mille fois. Tu dois d'abord la connaître, la vaincre, la traverser, de long en large, d'un côté puis de l'autre, tu dois y survivre, puis en avoir peur. Là, peut-être, c'est elle qui te respecte, alors. Et cette mer qui te respecte tu ne peux la voir qu'après toutes ces épopées, tous ces voyages, toutes ces tempêtes, tous ces naufrages.

Cette mer là elle t'avale comme le bleu clair de ces yeux Neptuniens, si tu oses ne pas la craindre. Crains-la toute ta vie, la mer, même le jour où elle te respecte. Elle est traître, la mer, mais Lui, il lui fait confiance, à cette satanée amante qui guide nos vies à nous. Les vrais pirates.

Sa redingote délavée, ses vieilles bottes qui connaissent tous les ponts, ce grand nez fait pour humer le mistral et la tramontane, mais surtout, ce tricorne vieux comme le monde. Ce tricorne qui a vu plus de mille nautiques que je n'en verrai jamais. Mouillé par les pluies des quatre océans, balayés par les vents glacés de Boréa jusqu'aux brûlantes gifles d'Hinu, il n'y a pas de doute sur ce vieux morceau de cuir saccagé par le temps. Il n'y a qu'un tel tricorne sur les Blues. Et il n'appartient qu'à un seul homme dont seul les vrais pirates connaissent la légende. Les Toreshky connaissent son nom.

- Le Landstorm… Benjamin Landstorm en personne, ma parole…  

Il affiche une mine surprise. J'ai du lui dire ça d'un air fasciné, si ça se trouve. À ma défense, ce n'est pas tout les jours que l'on tombe devant un monument de la vieille piraterie, doublé du meilleur navigateur des océans sûrs. Je trépigne malgré mes muscles endoloris. Le Landstorm ! Devant moi ! Ici, sur Poiscaille ! Mes poignets se secouent dans mes étaux, faisant grogner l'un de mes geôliers. Le voilà, mon moyen de reprendre la mer ! Benjamin Landstorm, un véritable pirate avec qui je pourrai parcourir West Blue. Il n'a qu'à me libérer de ce pilori en contestant le joug de mes oppresseurs. Puis, nous n'aurons plus qu'à retrouver Napoléon et gagner le large. Il n'y a pas mieux que cet homme comme Quartier-maître, pour fonder l'équipage qui aura la propension de reprendre la place des pirates du Seigneur d'Ivoire. Un homme d'une si grande valeur, loyal et sincère, marin jusqu'au bout des ongles, est clairement le fondement-même qui manque aux Héritiers.

- Je suis Maxwell Percebrume ! Capitaine pirate. Prends la mer avec moi, je saurai honorer ta décision de mon mieux, foi de pirate !


Dernière édition par Maxwell Percebrume le Mar 01 Sep 2015, 01:28, édité 2 fois
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C'est ainsi, Balty, c'est ainsi que s'articule la vie d'une proie.

G-Glaciale... Putride... coque de noix... Ce GUEUX LÉPREUX incapable de décrypter un traître mot de mon langage chantant !
ET CES MILLIONS DONT IL A VOULU ME DÉLESTER !


C'est désormais la valeur de ton anonymat.
Heureusement, ce grand-père lépreux repose en pièces désormais. Cette antiquité bien serviable t'aura permis de rallier ici l'île la plus proche de la tumultueuse, la purulente, la cuite à point, Hat Island. Poiscaille. Poiscaille ! Ses marchés ! Ses gueux ! Ses pavés ! Son port commercial ! Son aberrant manque d'originalité ! ... Non, vraiment. Je m'y perds en ces banales terres, cela pourrait être n'importe quelle agglomération d'urbains sauvages de ce monde étroit. Tsssk. Je méprise déjà cette cité. Passons... C'est Maxwell que nous venons chercher. Si tant est qu'il est encore en état de nous attendre. La houle l'a peut-être déjà englouti, ce jeune piaf tout juste extirpé de son oeuf. La houle l'a peut-être déjà englouti, lui et ses rêves.

Restes bien terré sous ta capuche. Les badauds t'accrochent du regard. Inutile de crier lorsque tu déblatères tes insanités et tes blasphèmes, également. Première leçon de survie, qui en est aussi une de bon sens -tu en auras besoin- : faire gicler hémoglobine et hurlements salira tes chances aussi sûrement que tu souillais tes draps autrefois. Calme. Silence. Prudence. Aaah... Si seulement j'étais encore capable d'employer un martinet. Je me sens mal, Balty ! Je me sens nostalgique. C'est anormal. Je suis délavée de toute forme d'émotions depuis bien longtemps. Hors de question que je me laisse replonger dans ces absurdes ivresses d'âmes ! Moi qui me croyait à jamais immunisée à ces odieuses faiblesses gravées dans nos Êtres ! Quelle décadence !

Fais le bourricot, Balty ! Ça me divertira !

... Je suis sérieuse. Fais le.


... Hi Han ?

Oh ! Non. Ce n'est pas amusant. Et je ne te demanderai pas d'anéantir cette ville-ci non plus. Les mêmes plaisanteries à répétition deviendront aussi insipides que la chair elle-même. La grisaille de tes os contamine mon humeur. Je trouvais cela excitant, pourtant, un tel dérapage incontrôlé, un imprévisible renouveau, un si cruel péché dont l'écho se serait diffusé sur l'entiereté de ton existence ! Noble ! Descendu Chasseur ! Descendu... Fripouille de bas étage ! Descendra Pirate ? Délicieuse dégringolade !

Poiscaille, donc. Port des plus banals, synonyme de médiocre. Embruns aguicheurs aimantant raclures poilues et ivrognes des océans. Boucaniers. Que dire ? Une cité où les rêves accouchent de bâtards laids et naïfs. Le parfait repère pour notre oisillion blondinet, la fièvre de l'aventure semblant avoir carbonisé sa raison. Maxwell, le "rejeton d'empereur", hinhin. Il était aussi léger qu'un nuage, aussi creux également, et je suis prête à parier qu'il partage également leur éphémérité. Crois-tu qu'il est encore vivant ? J'aurais apprécié te voir te servir de son cadavre comme fosse sceptique. Ça m'aurait peut-être réappris le sourire...


Volatile de malheur ! DESCENDRAS-TU DONC QUE JE TE PLUME, VOLAILLE GÂTÉE ? EST-CE UNE FORME D'HYPNOTIQUE ADMIRATION QUI T'ENCHAÎNE A MOI DEPUIS MON DÉCOLLAGE DE CE DÉSERT FANGEUX ?

Bougre de corniaud pourri-gâté ! Restes courtois avec ce gentleman au noble plumage ! Ne t'en fais pas, Hans. Les neurones de mon fils ont depuis bien longtemps brûlé en un profond magma de haine.

Hans ?

Ce gracieux vautour s'est délecté de ces offrandes de viande morte que tu as répandu à travers Hat Island. Ainsi, coquin, malin et gourmand, on dirait qu'il a suivi ton trajet pour se repaître des cadavres que tu laisseras dans ton sillage. Adorable !

Ne crains-tu pas qu'il révèle ma position à tournoyer ainsi au-dessus de ma goudronneuse crinière ?

Bah ! Négligeable effet secondaire ! Aucun risque, pour le moment, qu'on n'attribue la présence d'un charognard à ton arrivée ici -bien que je ne doute pas que le lien deviendra vite très logique et très facile-.
Hans m'a tout l'air d'être un compagnon très sain. Tu auras besoin d'alliés désormais, désormais que le monde braque ses incendiaires projecteurs sur toi : quitte à devoir traîner des boulets, autant les sélectionner avec célérité. Donc. Quoi ? Que t'arrives-t-il ? Tes mirettes globuleuses ricochent entre les édifices phalliques qui t'encerclent de toute part. Place bondée, masse grouillante. Ta haine intérieure bouillante. Eh oui, Balty, te voici âme sombre et voilée, en plein milieu d'une horde d'innocents bouseux. Bien que depuis que ta noblesse t'a quitté comme une vieille catin lassée, tu es habitué à ramper parmi la fange populaire, tu n'arriveras, je pense, jamais à te faire aux nauséabondes présences d'autant de chiens aboyants réunis au même endroit.

Une place. Bienvenue à Poiscaille ! Je pense que nous pouvons nous le répéter. Pour essayer de nous en convaincre. N'ai-je pas raison, Hans ?


As-tu vu ces prétentieuses bâtisses, Maman ? Pourvu qu'aucune famille noble locale ne soit capable de faire de l'ombre à...

Tu-tu-tut ! Tu ne sortiras pas de ton ombre, aujourd'hui. A moins que tu ne veuilles apprendre à digérer la moisissure des geôles du gouvernement mondial.

Où donc cette serpillière de Maxwell peut bien récurer ses crasseuses aspirations ?

Un tripot en ruines, peut-être ? A siroter... de la bière ? Que boivent-ils, déjà, ces amas de fumiers ? Une espèce de gadoue répugnante dans laquelle un porc n'accepterait pas de faire ses besoins... Oh, du rhum, oui. Il doit se noyer quelque part dans un baril de rhum, sans aucun doute.
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Le captif semblait se délecter de ce nectar parmi les nectars. Benjamin enviait presque ce blondin qui profitait d’une rasade de rhum après une période certaine de sevrage. Lui cela faisait bien trop longtemps qu’il traînait sur Poiscaille, à s’abrutir de cet alcool frelaté, pour en apprécier les bienfaits.

Quelque peu revigoré, le blondin s’intéressa à la physionomie de Benjamin. Son attitude changeait à mesure que son investigation avançait. Ses mains puissantes s’activaient malgré l’étreinte, son regard devenait plus profond, plus aventureux ; en l’espace d’un instant l’homme venait de gagner formidablement en charisme. Le vieux marin afficha un sourire paternaliste. Il reconnaissait bien là un vrai loup de mer qui changeait de contenance au contact d’un de ses frères. Malgré les années, ces rencontres importunes restaient des instants précieux, des moments de joie indicible. Fichtre qu’il aurait aimé avoir une autre bouteille de rhum pour célébrer ce tête-à-tête !

- Le Landstorm… Benjamin Landstorm en personne, ma parole…

La remarque fit l’effet d’une bombe ! Seuls les vrais frères de la côte l’appelaient « Le Landstorm ». Benjamin accueillait toujours cette manière de le nommer avec un brin de fierté habilement dissimulé derrière sa bonhomie habituelle. Certain de la qualité de son interlocuteur, il n’était que plus heureux d’avoir sacrifié sa dernière bouteille de rhum sur l’autel de la piraterie.

- Je suis Maxwell Percebrume ! Capitaine pirate. Prends la mer avec moi, je saurai honorer ta décision de mon mieux, foi de pirate !

Sang-dieu ! L'homme avait de la poudre dans le sang pour avoir une telle explosivité en de telles circonstances. Mais il avait aussi de l'eau de mer dans le crâne pour agir comme un mousse, excité alors que l'on distingue à peine les voiles ennemies. Percebrume semblait être un de ses fiers à bras qui sont toujours premiers dans les gréements, premiers à monter à l'assaut. Ce sont aussi les premiers qui prennent une balle, les premiers à se faire ouvrir la panse par une pièce de trente-six, les premiers à goûter de la mitraille là où il faudrait rester docilement derrière le bastingage. Ah ! Frivole jeunesse, impétueuse catin qui conduit les marins vers une brusque mort. Landstorm regardait à nouveau ce visage juvénile, ce Percebrume... Perce-brume... Percebrume ?

La pupille du marin se dilata. Il semblait estomaqué. Comme un marin sur un voilier qui vient de démâter sans signe avant-coureur. Percebrume ? Ce nom lui évoquait bien des choses maintenant qu'il y songeait. C'était le nom d'emprunt d'une famille illustre, d'un homme légendaire, d'un marin parmi les marins. Ô l'information ne filtrait guère mais Benjamin était un vieux de la vieille. Dès lors, cette nouvelle lui souleva le cœur.

- MORDIOU ! Hurla-t-il.

Les gardes, qui n'avaient rien manqué de la conversation, écoutaient l’œil sombre, les mains serrées fermement sur leurs escopettes. Benjamin jugea qu'il avait donné trop de voiles et qu'il fallait reprendre la main. D'un revers de poing, il cogna le visage de Maxwell. C'était une frappe solide, aussi dure qu'un roc. Il affecta d'afficher un visage empreint du plus pur mépris. Sa bouche se tordit en un rictus de dégoût.

- Landstorm qui !? C'est qu'il voudrait me faire passer pour un de ses congénères le drôle ! Déclara-t-il au plus proche des gardes.

S'écartant de quelques pas, il réajusta son tricorne rapiécé. Puis il s'attarda sur les gardes de la place, des hommes aux muscles d'enfants, à la posture mal-assurée, aux armes mal entretenues. C'était de la vraie bleusaille de terre ferme. Mais la place était étroite, les vis-à-vis nombreux ; puis il pouvait y avoir non loin suffisamment de canons pour trouer trois Landstorm. Il n'était pas question d'intervenir dans ces conditions. De plus, ce nom ne pouvait qu'être une coïncidence, une erreur provenant d'une caboche vieillissante ; Percebrume pouvait être en réalité un tire-au-flanc qui ne mérite pas qu'on se mette dans l'embarras pour lui. Puis crévindiou ! Pas question de se mettre en danger pour mourir sur la terre ferme ! Il n'y a pas pire malheur que de rendre son dernier souffle à l'air libre ! Fort de toutes ces convictions, Benjamin entreprit de regagner le port avant qu'un drame ne survienne. Ses bottes sombres pivotèrent sur les dalles de pierre et tout en marchant il jeta un dernier regard en arrière.

Il restait incertain.

Percebrume...

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- Raaah ! Non ! Landstorm ! Attends ! Ne m'accuse pas de fausses paroles !

De ma pommette brûlante irradie de brèves mais douloureuses pulsations, comme si un cœur brûlant s'y était niché. Il a cogné fort. Assez pour m'en faire perdre momentanément le sens du haut et du bas. Quelle ironie, de se sentir tanguer ainsi alors que si loin de la mer. Je devine bien que je ne pourrai m'éviter la naissance d'un gros hématome sur la joue, les jointures de Landstorm ne m'ayant pas manqué. Ce que je peux m'éviter, en contrepartie, c'est le départ de ce dernier, et donc la fin de mes chances de m'échapper. Je me braque malgré mes fers. Je tends le cou malgré mes étaux, tente par le fait même de lever mes mains, assez pour faire grogner le garde le plus près avec mécontentement. Qu'ils aillent au Diable, ces êtres corrompus, et me laissent gagner les mers pour faire la différence chez ceux qui méritent véritablement d'être aidés.

Ils ne sont ni geôliers, ni gardiens, ni tyrans. Ils sont larves incapables.

La silhouette massive du Landstorm s'arrête, à l'orée de la place. Je sais qu'il est lui, ses yeux ne peuvent mentir à ce propos. Sans lui, qui sait combien de jours j'attendrai à nouveau avant que quelqu'un ne daigne m'accorder une attention à l'altruisme valable ! Je ne sais pourquoi il s'en est allé si rapidement… L'ai-je offensé ? Il n'y a pas de non-dit qui blesse chez les marins, ce n'est certainement pas son genre. Néanmoins, il s'en va, fuyant une quelconque confrontation avec ces frêles combattants… Si seulement il me libérait, simplement. Il n'y a pas trente-six façons de le ramener ici. Chez les marins, seuls comptent les actes et les titres. La réputation se forge au gré des vagues et par la force des torrents. Rien ne sert de posséder un grand navire s'il n'a jamais affronté les affres de l'océan. Rien ne sert de diriger un grand équipage s'il ne t'est pas loyal. Rien ne sert de se vanter Capitaine si on ne sait le justifier.

Moi, j'ai mon passé pour me justifier.

- Je suis fils et petit fils de pirate avant moi ! Descendant d'une longue lignée de marins !

Si le Landstorm connait les véritables légendes qui courent le monde pirate, alors il connait la réputation des pirates qui naissent sur les rives de Maple Island. Tu ne saurais pourquoi, mais depuis trois générations, ils marquent les mers, ces pirates. C'est comme ça, c'est dans l'air. Et ils ont un nom, ces pirates-là.

- Je n'ai que mon patrimoine pour te prouver que je ne suis ni charlatan ni fieffé menteur… Tu dois connaître mon oncle, le Capitaine Allan Percebrume ! Il écumait West Blue des Îles Franches jusqu'aux Récifs Mordants sur un trois-mâts qui plus vif qu'une caravelle ! Il a pris terre depuis longtemps, quand son bras et sa jambe sont atterris entre les crocs d'un roi des mers ! Ce même Capitaine Percebrume qui avait un frère..!

Il doit comprendre qu'il ne peut me laisser ici. Que mon destin m'attend par-delà l'horizon et que cet horizon je ne peux l'atteindre sans lui.

- Ce même Capitaine dont le nom complet est Allan T. Percebrume.

Je le toise et soutient son regard. Je connais les récits du monde pirate comme si j'y avais baigné toute ma vie, alors que j'en ai gaspillé une bonne partie à servir la politique gangrénée du Gouvernement. Je ne dois pas révéler la totalité de mon secret, mais juste assez pour que lui comprenne.

- Son frère se nommait Vla-SBAFF !
- Bon ça va faire les contes de pirates oui ? gronde le marin qui vient d'abattre la crosse de son mousquet contre mon visage.

Une décharge électrique secoue mon crâne. Je sens mon cortex cérébral voler de parts et d'autres de ma boîte crânienne, pris de nausée, avant de goûter le fer sur ma langue. Je crache péniblement une glaire de sang en haletant péniblement… Aarf… Si tu étais là, mon brave Napoléon, combien ce garde pâtirais de son geste… Toi tu lui réglerais son compte.



À moins que Benjamin Landstorm ait lui aussi pris une décision ?
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Oh ! Attendrissante tradition. Ils ont un pilori en place publique. Sacrés bouseux, toujours prompts à cingler les leurs. Et le plus cocasse dans cela, c'est qu'ils ont glissé un homme dans leur jouet !

Camelote... Tissu roturier mité... Infâmes démangeaisons qui me hantent comme milles oeufs grouillants sous mon épiderme !

Ne fais pas l'enfant, mon instable feu follet ! Maintiens la totalité de ton horrible visage bien à l'abri dans l'ombre de ta capuche. Sait-on jamais. Cette vieille quincaillerie rouillée de Mornepus aidera peut-être la nouvelle de ton impétueuse clé des champs à franchir plus vite que prévu les océans, les déserts, les cieux et les cimetières. Tu es peut-être déjà primé ! J'espère que l'enchère initiale sera alléchante. Minimum cinquante millions pour le mulet lessivé qui me sert de descendance ! Ne va pas te livrer toi-même à la marine pour percevoir la récompense offerte à qui t'arracheras ce rouleau de haine froissée qui te sert de caboche, surtout ! Ça ne marche pas comme cela.

... Eh bien ? Ta cervelle périmée t'aurait-elle coulée dans les jambes pour que tu décides ainsi à t'affaler sur le parvis d'une piteuse chapelle ?


Une fourmilière dans les... jambes... Une quantité divine d'efforts tassés en un ridicule laps de temps... Je me concède une seconde... une minute... à repuiser en mon sang d'étalon la force de poursuivre mon... odyssée... Keuf ! Keuf !

Je t'en prie, n'hésites pas à manger ta chair moite si tu as un petit creux, aussi. Ce n'est pas comme si le Temps nous poursuivait en rouleau compresseur, hum ? Ton avance sur la Marine s'émiette. Tu n'as toujours pas retrouvé Maxwell. Bientôt, tu auras plus de valeur Mort que Vivant, même si je ne suis guère sûre que ça soit inédit. Tes poumons pourraient au moins servir de combustibles. Ce brave Hans se lèche les babines, là en-haut, probablement s'attend-t-il à ce que ton coeur cesse de tambouriner erratiquement sous ta poitrine à tout instant. Évites de décéder si tôt, tout de même.

Hinhinhin.
L'un de ces pions armés du gouvernement vient d'infliger une pathétique correction à la fripouille incrustée dans le pilori, le blondin au champ de maïs pourri planté sur le ciboulot. L'un des gardes dont la violence s'écrie poétiquement à travers ce genre de petites intentions à l'égard des aigrefins maladroits livrés à la rancoeur publique des petits gens civilisés. Ah ! Si j'étais encore enrobée de peau ! Je lui montrerais comment dispenser l'instructive douleur d'une sanction bien mesurée ! As-tu vu avec quelle mollesse il joue de sa crosse ? Où donc ce vilain caniche a-t-il donc fait ses classes pour ainsi ne rien avoir compris à l'Art de la punition ? Dans une école maternelle ? Tsssk !


Mais... Cette canaille rieuse...

Oui, c'est Maxwell. Ta vue est probablement obstruée par ces perles de sueur purulentes qui s'extirpent de tes pores. Mieux vaut tard que jamais.

Gnhinhinhin ! Voici donc l'équipage qu'il m'a réuni ?! Un briscard au menton cubique qui le largue aux bons soins des troufions ? Est-ce LUI, son vaillant et FIDELE COMPAGNON ? Je ne me méprenais pas à son sujet ! C'était bel et bien un charlatant dépenaillé aux rêveries protubérantes assises sur sa jugeote ! Je m'en irais volontiers me délecter de ses désillusions comme d'un goûteux champagne !
Ça... ça va, m'sieur ? Vous parlez à qui ? ... A l'oiseau là-haut ?
Et qui donc sera rendu à sa mère sous la forme d'abats frais et de poudre d'os si tu oses venir polluer mon introspection de tes sottises, grossier diablotin ?
MAMAAAAAAAN !


Ce grotesque petit rat joufflu s'en va donc hurlant à sa génitrice, alarmant la foule alentours en manque de scandales. Par chance, les regards sont davantage aimantés par les simagrées de Maxwell dans son pilori. Regardes le, s'efforçant de rester fier malgré l'opulente dégradation de ses ambitions, l'exposition publique du tissu de ses idéaux déchiquetés ! Hinhinhin ! Tu craignais qu'il ait osé trouvé la Mort sans qu'elle ne soit arrivée de ta main, mais je le soupçonne d'être tombé dans un gouffre bien plus cruel et déshonorant que les libératrices griffes de la faucheuse !

Hans croisse d'amour gourmand en t'observant te relever depuis le clocher de l'église, qu'il a adopté comme luxueux perchoir. Toujours fourré sous ta vielle toile grouillante d'une impressionnante faune d'insectes à faire pâlir n'importe quel cadavre, tu t'empresses de t'éloigner du parvis. Et d'un pas qui se prétend princier, et d'un regard dont la suffisance ne trouverait d'égal que dans les globuleuses niaises d'un dragon céleste, tu te joins à l'attroupement de charognards humains qui naît autour du pilori.

Hinhinhin. Je retrouve le sourire ! Contempler la plèbe se nourrir de la souffrance de ses plus malchanceux congénères ! Réunis autour d'un martyr qui eut l'audace de considérer ses fantasmes dignes d'intérêts ! Ces fantômes creusés par la civilisation, dont la personnalité s'efface autour d'un ennemi commun ! Ils huent, ils exècrent, ils méprisent, car ce sont les uniques privilèges nobles dont ils ont les moyens de s'imprégner, du haut de leurs misérables naissances ! Ce sont ce genre de frivolités naïves qui rendent mon séjour dans l'outremonde moins exaspérant ! Notre oisillion blondinet finira-t-il plumé et consommé sur place par cette grouillante masse anonyme ?

Que j'ai hâte d'éprouver la solidité de l'orgueil d'un pirate !
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Percebrume n’appréciait guère la défection rapide du marin. Par tous les moyens il tenta de faire revenir son compatriote des mers. Il invoqua sa lignée : des anciens pirates, des anciens marins ; il décrivit son oncle avec force précision et il fit enfin allusion à son père, même s’il n’eut pas l’opportunité de terminer son éloge. Pas besoin du reste, Benjamin avait pertinemment compris quelle était la réelle identité du prisonnier ; fort probablement ce secret était inconnu de la soldatesque qui n’avait détaché qu’un contingent de moutons. Pardieu ! Benjamin était furieux, furieux de ce Percebrume éloquent mais complètement niais ; furieux de son attitude, de cette manière de se faire reconnaitre. Il fit aussitôt demi-tour et se mêla à la foule qui commençait à s’amasser autour du pilori ; il avait la mine ombrageuse, celle qu’il a lorsqu’il sait qu’il va risquer sa vie sur la terre ferme ; celle qu’il a également lorsqu’il sait que des hommes vont mourir sans revoir une dernière fois la mer…

La foule s’était densifiée, les soldats venaient d’ouvrir la cambuse et les rats, affamés et avides de sang, s’y ruaient têtes baissées. Ils avaient tous les yeux rivés sur Percebrume qui faisait les frais de sa grande gueule. La crosse tombait dur au regard des petits bras du soldat. Benjamin serrait les dents à s’en casser les jointures. Il était temps d’agir, avant que le marin ne tombe inconscient pour un bon moment. Et justement, le garde le plus proche leva à nouveau son fusil pour gratifier son prisonnier d’un nouveau coup musclé. Il n’eut pas le temps de finir son mouvement, sa vie fut emportée en même temps que sa glotte. Une balle venait de lui traverser la gorge, faisant jaillir une gerbe de sang magnifique qui éclaboussa le premier rang des badauds. Si l’homme est avide de sang, il le craint également. Ainsi, cette mort inattendue emporta la foule dans un tourbillon de peur et, comme un seul homme, elle entreprit de quitter l’endroit au plus vite.

Cette foule hurlante montra rapidement la limite de sa bravoure. Dorénavant ils se marchaient tous dessus, méprisant ceux avec qui ils riaient il y a peu. Benjamin restait immobile, son physique massif le rendait imperméable aux mouvements de foule. Il releva la tête vers le clocher de l’église non loin ; même les vautours venaient assister à la fête, avaient-ils déjà senti l’odeur de la mort ?

Au niveau du pilori c’était l’incompréhension. Certains soldats avaient quitté leurs postes pour s’élancer à l’aveugle dans la foule. Il ne restait que trois gaillards pour assurer la sécurité du prisonnier. Benjamin avait rechargé son arme avec minutie, il parvint à s’approcher au plus près des gardes de telle sorte que son canon vint tâter la colonne vertébrale de l’un d’eux. La détonation se fit entendre malgré le tumulte aux alentours. Le soldat s’effondra, dévoilant le solide marin sabre dans une main, bouteille de rhum dans l’autre. D'un pas rapide il arriva à hauteur du second gardien. La bouteille de rhum se brisa à moitié sur le visage de l’individu, l’autre moitié s’enfonça profondément dans les chairs. Deux hommes venaient de tomber, le vautour délivra un cri de satisfaction du haut de sa tour. Le dernier garde, apeuré, sembla venir seul se planter sur le sabre de Landstorm. Peu de gens avaient remarqué cette rapide attaque. Sans cérémonie, le marin détruisit le pilori à l’aide de son sabre et attrapa Maxwell par la peau du col.

Son regard était particulièrement haineux.

- Ouvre bien tes écoutilles gamin ! Fils de pirate, petit-fils de pirate, descendant d’une longue lignée de marins, filleul d’Allan T. Percebrume ; fils de Vladimir Toreshy ; J’EN AI RIEN A FOUTRE !

Et Benjamin le lâcha sans se départir de son regard mauvais.

- Qu’on se comprenne bien ! Je suis venu pour libérer un marin, pas un Percebrume, ni un Toreshky. Si tu crois que Vladimir se cachait derrière une lignée, peuh ! Et il cracha sur le sol, signe d’une irritabilité impressionnante.

- Sang-dieu ! Suffisait de me dire que tu étais un frère de la côté pour que j’accoure ! Au péril de ma vie je viendrai en aide à un vrai marin ! Faut-il encore parler vrai pour ça ! Vais-je être intéressé par le sauvetage d’un capitaine qui souhaite me recruter alors qu’il est au pilori ? Suis-je si bête que je veuille aider un homme sous prétexte qu’il a des parents plus valeureux que lui ?! Choisi mieux tes mots la prochaine fois !

Les yeux de Benjamin ressemblaient à un torrent azuré alors qu’il plongeait son regard dans celui de Percebrume, non, de Toreshky ! Pour le vieux marin, seuls les actes comptaient.

- Cap de Diou ! Il y a trois sortes d’êtres : les vivants, les morts et les marins. Tâche de n’appartenir qu’à la dernière catégorie !

Il réarma son pistolet avec adresse et le rangea dans son fourreau, ensuite il vérifia le fil de son sabre qu’il lança à Maxwell avant de tirer un coutelas effilé de sa botte.

- Te voilà armé et libre Percebrume. Avec les compliments de Landstorm.

Il salua Maxwell en réajustant d’un coup net son tricorne, puis il entreprit de scinder la foule avant d’avoir davantage d’ennuis.


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- Huhu… Haha, hahaha !

Le torrent qui se déverse dans ses yeux me fascine ! Quelle prestance ! Quelle colère ! Rustre et brave, ce cher Benjamin Landstorm. Je retrouve en lui ce que je voudrais bien voir en chaque marin qui aura à poser le pied sur mon navire. Je suis euphorique…et libre, qui plus est ! Je frotte mes poignets douloureux où se sont creusées de longues stries écarlates, quel bien de ne plus être si bêtement entravé… Mais à quel prix. Je pose les yeux sur les pauvres matelots qui baignent dans leur fluide. Écœurant. Triste. Ayant sacrifié leurs âmes sur l'autel de la corruption, les voilà désormais bien amèrement punis. Tu apprendras peut-être un jour que tu ne peux t'épanouir alors que tu es sans cesse grugée par le cancer qu'est la corruption, Poiscaille. Toutefois, ce n'est qu'envers toi-même que tu causes du tors, alors que tu ignores le mal qui ronfle en ton sein… Peu importe, la liberté s'ouvre à moi, que dis-je ! à nous ! Je serre avec force le lourd sabre que m'a confié Landstorm, puis entreprends de me faire un chemin à travers la foule à sa suite.

J'écarte de l'épaule quelques badauds pressés, alors que la plupart fuient mon regard et ma route, comprenant bien que je suis désormais un criminel en liberté. Peu m'importe. Maigre conséquence que celle d'une mauvaise notoriété lorsque la Liberté vous tend à nouveau les bras. J'arrive à la hauteur de Landstorm, une fois extirpé de l'assemblée hystérique de la place, juste devant le parvis d'une imposante église de pierre. Un irrépressible sourire me rappelle que mes blessures ne s'estomperont pas de sitôt, quelle tronche tuméfiée je dois afficher… Néanmoins, je capte le regard grave du marin en lui offrant une main tendue.

- Sache que je ne suis ni un prince, ni un dauphin, Benjamin Landstorm. Je suis d'abord un pirate qui prêche par ses rêves et la Liberté. Toutefois, sache aussi qu'un jour je gagnerai le Bout du Monde pour y restaurer le mérite qu'y avait feu-mon père. Et ce destin, j'espère l'accomplir en ta compagnie, en tant que Quartier-maître de mon navire !

Sans un mot, le tumulte de ses iris revient au calme. Sa moue dérangée s'efface en un demi-sourire bienveillant. Hm, Landstorm, un livre de légendes bien cadenassé. Sa forte poigne se referme sur mon avant-bras, je fais de même avec le sien. Pirates, nous sommes pirates.

- Bienvenue chez les Héritiers, Maître Landstorm.
- Vindiou, pas très humble comme nom ça !
- Peut-être, mais il a une signification bien plus sincère que ce à quoi tu dois penser.

Car à bord de cet équipage nous sommes tous Héritiers. Héritier des volontés de mon père et de ma famille. Napoléon -où est-il toujours passé d'ailleurs…- héritier de la sagesse de son millénaire peuple rongeur. Et toi, Benjamin Landstorm ? De quoi seras-tu l'héritier ? Des vraies valeurs pirates ? Des grandes traditions des mers ? Qui sait, nous avons jusqu'au bout du monde pour le deviner, cher Quartier-maître. J'avais d'abord promis un poste d'une telle importance à ce drôle de personnage que j'ai croisé sur Inari. Un pédant et exécrable Baron nommé…

- Balthazar B. Brixius…

Incroyable. Il est là, debout sur le porche de l'église, une lourde cape sombre jetée sur les épaules. Il est venu jusqu'ici, ce chasseur de pirates et déloyal combattant. Jamais je n'aurais cru avoir à ce point appâté ce drôle de démon jusqu'à lui faire traverser les mers ! Car de démon il a toutes les qualités… mais aussi les pouvoirs. Armé du fruit des péchés, il est fourbe, certes, malicieux, certes, puant, certes, hautain, certes, hargneux, certes, agressif, certes, sanguinaire, certes, mais il a aussi définitivement les qualités -bon, disons plutôt le potentiel…- d'être un fameux leader ! Je le sens, ou bien je le sais… je ne saurais dire, mais j'ai confiance qu'il existe en chaque homme libre un fond de bien.

Peut-être que chez Brixius, ce fond de bien n'est qu'enseveli sous une épaisse couche crasseuse de vice, qui sait.

- Eh bien ! Qui aurait cru que je te reverrais réellement en un tel endroit, Baron ! Serais-tu ici pour prendre ma tête, comme tu me l'avais promis ?

Je lui dis ça avec une once de sarcasme, de quoi titiller son orgueil faramineux -tout en espérant que la raison de sa venue ne soit pas réellement ma mort. Hm ? Des voix qui s'élèvent de plus belle dans notre dos. Je fais volte-face pour apercevoir une patrouille de soldats se dépêcher vers la place, de par une avenue connexe. Les choses s'annoncent corsées.

- Qui est ce drôle de goéland ?
- Un vieux… partenaire, si on peut dire ainsi, Landstorm. Mais si tu veux mon avis, nous pourrons bientôt l'appeler "camarade."

Mais pour l'instant, cessons de nous étendre en tergiversations ! Nous aurons bien la chance de parler une fois que nous aurons rejoins la mer, ce que nous ne devrions pas tarder à faire. Néanmoins, je suis presque persuadé que ces pauvres mouettes ne sont pas de cet avis…

La morgue se glisse sur mon regard alors que mon sabre siffle devant moi. Angle droit rivé vers la dizaine de soldats qui présentent lames et mousquets. Je déteste priver des hommes de choses aussi précieuses que leur vie, mais il faut parfois combattre à armes égales avec les tyrans qui, eux, n'oseraient pas une seconde me délester de la mienne. Je hausse le ton pour être perçu de Balthazar, dans mon dos.

- Pardonne-moi, Baron, mais tu vois bien que d'autres problèmes m'appellent. Messieurs, je crains bien que cela soit notre baptême de feu.
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Encerclez-les, les gars ! On a le nombre !
Il est avec eux, l'encapuchonné louche ?
Dans le doute, empalez moi tout !


Veux-tu donc énoncer à nouveau mon identité à cette masse grouillante ? Je ne crois pas que leur cérumen leur ait permis de profiter de CETTE VULGAIRE TRAHISON, CORNIAUD !

Quelle confiance dégoulinante ! Vois-tu comment il te tourne le dos, t'expose sa colonne vertébrale comme un hochet au-dessus du berceau d'un joyeux bambin ? Et cet enrôlement précipité qu'il t'inflige ! Pas la moindre goutte de bave acide en forme de mot n'a encore eu le temps de perler à tes lèvres ! Je n'ai pas la moindre idée du comment il a pu se retrouver exposé ici à la candeur infantile populaire, mais je constate avec peine que ça n'a en rien refroidi le brasier incontrôlable qui lui sert de volonté. Il se jetterait volontiers dans une machoire acérée de roi des mers si on le convainquait que c'était conseillé par le code des pirates, hm ?

Et qui est-ce, l'autre cochon ? Sincèrement, dans quelle infâme porcherie est-il passé l'enlever ? "Maître Landstorm" ? Je ne perçois pas grandes grâces de "maître" en ce grotesque cube de chair renfrogné. Tu dévisages cet impudent étranger, tu lui décoches l'un de ces regards propres à la noblesse : perçant, hautain, inquiétant mais toujours sarcastique. S'il y a bien une insignifiante parcelle de noblesse que tu as eu la décence de ne pas enterrer sous des couches de vices, c'est bien ce don de faire comprendre, par les yeux, à n'importe quel roturier, que tu le méprises au plus profond de sa moelle osseuse.

Ce couard se plaque dos au mur, dégainant l'un de ces traditionnel mousquet de basse qualité chère à la caste des apprentis pirates, alors que les hostilités s'enclenchent et que les ricochets des sabres pétillent sur la lame de Maxwell ! N'est-elle pas friable, la fierté d'un pirate ? J'allais le surnommer "vétéran de la fange" ! Mais d'un vétéran, il n'a guère que l'âge, et de la fange, il semble bel et bien en avoir la mollesse ! Confiance et bravoure réservée aux beaux discours ? Le propre du dragon de papier qui finit en cendres à la moindre étincelle ! Décidément, le blondinet a l'oeil pour repérer les médiocres. D'abord toi, puis cet étrange bouc craintif. Soit !

Tu restes toi-même à l'arrière, chicots jaunis tordus en une rieuse banane pourrie. Te délectant de la difficulté de Maxwell à repousser les avances d'une dizaine d'empotés. Il feinte ! Il esquive ! Il recule ! Il recule énormément ! Il se laisse ronger son territoire, et dans le même mouvement, ses espoirs !


Eh bien... Balthazar... Viendrais-tu me regarder périr ?
Je m'amuse simplement de ton incapacité à assumer ton impertinence !

ÉCARTES-TOI, BOUCANIER DE CIRQUE, A MOINS QUE TU NE VEUILLES CONTEMPLER DE PRES LE VERTIGINEUX VIDE SIÉGEANT EN TES RÊVES CREUX !

ACEDIA !
ACEDIA !
ACEDIAAAA !


Une étrange hydre de paresse, triple serpent entremêlés et vibrants comme un seul, s'extirpe de tes doigts pour se glisser jusqu'aux entrailles de trois du régiment de valeureux matelots osant s'interposer entre trois fugitifs et l'océan. Provoquant de vives réactions de surprise teintée d'ire parmi ces décérébrés enduits d'hypocrisie gouvernementale -pensent-ils réellement qu'ils font régner leur illusoire Justice en se servant des mêmes armes que leurs ennemis ? hinhin-.

Puis ils constatent que les crocs de tes serpents ne sont pas matériels. Puis ils ricanent. Puis ils grimacent. Et d'étranges conflits commencent à désorganiser le troupeau de matelots. Sous l'incompréhension d'une foule autant médusée que paniquée, tes trois pions mettent d'eux-mêmes le roi en échec !


R-Rentrez dans l'rang, soldats ! Qu'est-ce que...
Désolé, sergent ! Je viens d'me rendre compte que j'ferais un bien meilleur leader que vous !


BANG !

Rah, c'est ballot, le tir est parti tout seul !
Allez ! Ces guignols au frais, ma promotion sera assurée !

TA promotion ?
Putain, les gars ! Putain !

BANG ! BANG !

Lui, j'aimais pas la façon dont ma femme le mirait ! Bien fait !

Le "Maître" des lièvres, Landstorm, commence à généreusement canarder ce petit monde hypnotisé par les sadiques délices d'une Jalousie satisfaite -et non pas de PARESSE, triple buse !-.

Tu as dompté ton pouvoir ! Magnifique manoeuvre, aussi belle que retorse ! Finissons-en, héritiers !

Tes pantins, peu à peu cassants les fils qui les attachent à tes fourberies, prennent dans le même temps la pleine mesure des atrocités qu'ils ont pensés et commises ! Hinhinhin ! L'Envie, ce péché si mesquin, frère consanguin de la Colère, qui annihile la raison pour la remplacer par une pleine cité de Haine dont les réseaux tentaculaires envahissent l'esprit, puis les ACTES ! L'Envie est une porte grande ouverte et fort accueillante sur le merveilleux et très sélect club du sadisme ! Et lorsque les scrupules y tiennent le rôle de videur...

Ces envieux qui prennent donc conscience de ce qu'ils ont fait restent tétanisés par la souffrance l'espace de quelques secondes. Mais l'inquisiteur fleuron de Maxwell s'abat sur eux avant même qu'ils n'aient eu le temps d'entrer en une bouillonnante tempête intérieure ... ! Les envieux trépassent, après leur libérateur forfait, et emportent les restes de leur honneur ensanglanté dans la tombe !

... Oh ! Prends garde ! Un malicieux et hargneux petit mousse s'est faufilé jusque dans tes flancs. Son sabre tente d'épouser ta hanche, mais il ne rencontre que le glacial acier noir de ta dague d'obsidienne ! "Ta" dague ? Oui, bien sûr ! Sa soeur jumelle assoiffée se précipite dans sa gorge, puis s'empresse de faire de l'existence de ce malandrin un mauvais souvenir, en réduisant sa trachée à l'état d'élégant boudin dégonflé et sanglotant. Je pense que cette pièce de choix régalera notre brave Hans, qui, en bon gastronome et connaisseur des Belles choses, observe attentivement les cuisiniers préparer son déjeuner !


Qu'attends-tu ? Qu'attendez-vous ? Il faut les griffer avec leur propre cage thoracique puis les fouetter à l'aide de leurs intestins grêles ! C'EST LA PLUS CONVENABLE DES MÉTHODES POUR QU'ILS CESSENT DE M'IMPORTUNER ! ALLEZ ! Un peu de nerf, MORPIONS AMORPHES !
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Le vieux marin se collait à la paroi pierreuse la plus proche comme s’il eut voulu s’y introduire. La mine bourrue, pistolet en main, il regardait Maxwell s’escrimer contre les soldats. Le gamin se débrouillait bien malgré la multitude de reitres qui avait investi l’endroit. Non loin de lui, un individu qui semblait avoir dégringolé de l’arbre de la laideur en emportant toutes ses branches dans sa chute, prenait aussi part à l’affrontement. Mais Benjamin restait irrémédiablement scotché au mur, trop désireux de ne pas se mettre en dange. Car si l’homme était courageux voire téméraire en mer, il perdait toute velléité dès qu’il regagnait le plancher des vaches. Une attitude facilement explicable : l’homme voulait mourir sur l’océan et craignait par dessus tout de trépasser ailleurs.

Alors, tandis que les balles fusaient, tandis que les soldats entraient en action, Benjamin cherchait surtout à protéger un maximum son épiderme. C’est alors que l’affreux qui prêtait main forte à Maxwell propulsa de ses mains des sortes de rayons macabres. Aussitôt percutés, les ennemis commencèrent à se retourner les uns contre les autres. Landstorm en profita pour tirer sur les plus résistants qui semblaient ne pas même l’avoir remarqué.

- Ah, ce misérable est une enclume ! Il ne manquait plus que ça !

Il n’y avait pas à s’y tromper, le gaillard à l’aspect revêche disposait du pouvoir d’un fruit démoniaque. Ces fruits horribles qui empêchaient les hommes de toucher l’eau, d’y nager ; en somme des fruits incapacitants qui réduisent le marin à contempler la mer sans jamais y goûter. Pour Benjamin, les hommes qui s’étaient adonnés à de tels vices étaient des moins que rien ; des enclumes bonnes à jeter à la mer pour nourrir les poissons.

Cependant, il devait l’avouer, l’homme faisait un office respectable. La troupe ennemie était réduite à peau de chagrin. Resta bien un jeune mousse qui fut remercié de sa bravoure par un coup de dague net et précis. Un acte qui ne manqua pas d’étonner le solide marin.

- Sang dieu ! Cet homme est le démon pour tuer roide un bambin ! Baste ! Fuyons messieurs !

Et sans s’inquiéter de savoir s’il était suivi ou non, il s’engouffra dans la première ruelle direction le port. Il n’y avait pas énormément de solutions dorénavant. Fuir par la mer ou inévitablement se faire arrêter sur terre. Alors Benjamin redoubla de vigueur en ouvrant la marche d’un pas vif. Des gouttes de sueurs aussi grosses que le doigt perlaient le long de ses larges joues. Derrière lui il entendait caqueter le furieux Balthazar dont il méconnaissait encore tout, même le nom.

Au détour d’une ruelle il tomba face-à-face avec une patrouille de quelques marines. Son ventre entra en contact avec le canon d’un fusil. Aussitôt il fut comme pétrifié, son visage devint livide. Mon dieu, je suis mort, adieu Landstorm, adieu la mer, très cher océan je te quitte sans te revoir, songea-t-il en une fraction de seconde. C’est alors qu’un rayon le frôla pour toucher ses adversaires. Aussitôt les marines tombèrent les fusils, le plus proche empoigna même la fesse d’un Benjamin médusé.

- Dit moi mon mignon, ça te dirait de batifoler avec un okama ?

Le rouge monta aux joues de Landstorm qui assomma de son large poing le malotru. Les autres sbires filèrent à la poursuite d'une femme qui passait non loin. Benjamin se retourna alors vers Balthazar qui, à n’en point douter, était responsable de cette mascarade.

- Quoi, vieux bouc ? Vas-tu faire ton office tout seul ou devrai-je te prêter ma haine ? Elle n'attend qu'à être égorgée, cette triviale guimauve !
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Je lui écrase le nez, à celui-là, avant de faire volte-face pour taillader le mollet d'un énième ennemi. Ils tombent, l'un les mains crispées sur son pif, l'autre les tendons de ses muscles fendus. C'est l'accalmie, je poursuis Brixius dans les ruelles, guidé par Benjamin, mais aussi par la brise salée de la mer… On peut déjà la sentir, la douce fragrance de cette irrésistible amante qui veut à nouveau nous happer dans son cœur torrentiel. Elle nous aguiche et nous désire, alors que dès demain elle tentera de nous tuer. Je l'aime et je la déteste, cette misérable mais noble traîtresse.

- Peu importe le sort que nous leur réservons, Brixius. L'important est qu'ils ne nous ralentissent pas.
- Ils sont là ! Sus aux fugitifs !
- Rah… Vite ! Landstorm ! Guide-nous vers notre maîtresse azurée !

Ils s'engouffrent dans la ruelle à leur tour, s'approchent dangereusement de l'arrière de notre trio. Cinq matelots armés de sabres qui foncent jusqu'à moi. Les joies de fermer la marche… Je dévie l'arme du premier, avant de lui asséner un solide coup de poing en pleine gorge. La respiration coupée, il reste paralyser lorsque je lui enfonce la cage thoracique d'une épaule ! Le choc le fait basculer sur ses deux compères le précédant. Ils tentent de le retenir, mais en vain, puisque je m'élance vers eux et utilisent le matelot en pleine chute comme une marche d'escalier. Sous mon poids, les trois hommes tombent a la renverse, m'ouvrant le chemin vers leurs deux derniers compères. Je saute, envoyant mon pied directement s'abattre sur le visage d'un des marins, avant que mon sabre ne charcute le torse de son voisin.

Satisfait, je fais volte-face, voyant que mes compagnons ont poursuivit leur route vers le port sans m'attendre.

Je les rejoindrai coûte que coûte. Sans problème.

- Ne m'attendez pas ! Je vous suis..!

Avant, il y a cette échelle contre cette paroi de pierre que je me dois de gravir. De là-haut, il est certain que j'arriverai à te retrouver, Napoléon !

Les barreaux s'enchaînent et s'enchaînent alors que je les grimpe rapidement, n'osant perdre trop de temps. Lorsque j'atteins enfin le sommet, c'est une imprenable vue sur les toits de Poiscaille qui m'attend là. Incroyable ! Tant de commerces, de maisons et de bâtisses bordant cet horizon bleu ! La voilà, la mer, immanquable, beauté azurée aux reflets d'argent. Je la remarque tachetée de centaines de voiles blanches. Des navires ! Des tonnes de navires ! La fascination tord mon visage tuméfié, c'est l'aventure qui au loin me hurle de la rejoindre ! Je ne peux l'attendre, jamais, ce sont mes rêves et mes objectifs qui baignent à l'horizon de West Blue.

- NAPOLÉOOOOOON ! OÙ ES-TU MON BRAVE COMPAGNON ?

Mes cris se perdent dans l'immensité de Poiscaille. Seul le brouhaha des quartiers en contrebas me répond, alors que les échos de ma voix se perdent entre les cheminées.

- Il est tout en haut, ce salaud !

Eh bien… si ces marins ont bien une qualité, c'est celle de posséder une ouïe assez développée. Je les entends déjà faire tinter l'échelle de métal en l'escaladant. Je fais mouliner mon sabre dans l'air alors que les premiers posent les pieds sur le toit. Pas question d'être pris, même si je dois combattre seul !

Un coup de pied en plein torse en envoie déjà un rejoindre le vide ! Piteux destin que celui de terminer fracassé contre le pavé d'une ruelle… Ne nous étendons pas ! Les sabres volent vite dans mon camp comme dans le leur. De justesse, je pare un premier coup avant de riposter du dos de la main. Une gifle sonore déséquilibre un second adversaire avant que je ne le fasse basculer vers les abîmes. Qu'ils rejoignent tous leurs compagnons, tant qu'à y être ! Je penche la tête vers ceux qui gravissent toujours l'échelle, un air dépité sur le visage.

- Oy ! Faux-justiciers ! Sachez qu'il n'y a de place au sommet que pour ceux qui travaillent à y mériter une place, et non à ceux qui cherchent de sombres chemins pour y parvenir !

Je bande mes muscles puis abat mon sabre sur l'échelle assez fort pour en ébrécher la lame. Un sourd tintement ponctué d'une touffe d'étincelles répondent au choc de la lame… avant que l'échelle se mette à tanguer dangereusement vers le vide ! La dizaine de marins accrochés gueulent tous avec inquiétude, puis la structure de métal ne tient plus et ils plongent tous vers le sol à leur tour. Difficile pour eux de monter, désormais, s'ils ne se sont pas déjà brisés quelque chose. Toutefois, s'il est bien ardu de monter, il en est de même pour ceux qui veulent descendre.

Je n'ai plus qu'à sauter de toit en toit, et de là peut-être que j'apercevrai mes compagnons ou bien ton charismatique museau de rongeur, mon fameux Napoléon !
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Allons bon ! Quel consciencieux capitaine ! Il s'en va joyeusement à la recherche de l'ignoble coyote à poils longs qui lui sert de seconde âme, délaissant les deux crasseux qu'il a élu comme compagnon pour partir périr lamentablement en mer ! J'espère que tu ne comptes pas vraiment lui confier ton avenir, hum, rassure-moi ? Ce n'est que temporaire ? Tu t'empresseras de rallier les rangs d'une valeur sûre, si tu veux jouer au boucanier habité par les puces, le scorbut et la tuberculose, Balty, les rangs de l'empereur Teach par exemple. De braves compagnons sponsorisés par les Enfers, voilà ce qu'il te faudrait. Ce ramassis de baraquins ne t'amènera guère autre part que vers une pathétique conclusion à des milliers de pieds sous l'écume sanguinolente, voire pire, dans l'ombre d'un cachot gouvernemental, je le crains !

Maxwell, envolé de son pilori, attire naturellement davantage ces mouettes gavées comme des oies d'idéaux que sont les marines. Votre excursion vers le port se dénoue sans accrocs ! Oh, il y en a bien eu quatre ou cinq qui devaient avoir reçu votre signalement entretemps et qui ont courageusement décidé de vous bondir dessus. Mais ils n'ont fait que sauter dans l'ultime précipice, tandis que tu t'échinais à déchirer -seul- leur boîte à trésor, leur cage thoracique, de tes somptueux coutelas à la finition toute pensée pour sortir les organes qui ont le malheur de se retrouver mordus par les crochets !  
Bref. Tu as servi le repas à Hans, et tu as pris soin d'éplucher ses fruits. Resté en arrière, ses croassements de plaisir se faufilent entre les ruelles labyrinthiques pour parvenir jusqu'à vous.

On ne peut décidément pas dire que notre froid Maître des pleutres ait contribué à creuser un chemin sûr à travers les entrailles de ces soldats. Sa présence systématique derrière toi t'obsède autant que te révulse, et tu t'assures que les coups d'oeil meurtriers que tu lui administres à répétition soient suffisament éloquents ! Incroyable ! Qui aurait cru qu'il existe sur cette planète une créature plus lâche encore que toi ? Plus timoré qu'une roturière effarouchée tombée de nuit dans les insidieuses griffes d'une ruelle sombre ! J'applaudis le record d'absurdité dont ce couard MAIS FIER pestiféré nous fait profiter !

Un tumultueux incendie en ta délabrée forteresse intérieure ! De narquoises émotions se joignent aux plus brutales ! Et, pour une fois, je te comprends, petit démon des mers ! Quoi donc de plus insupportable qu'un gueux dégonflé qui te confond avec son garde attitré ? Qui se terre en ton dos comme un enfant barricadé sous les jupes de sa mère -oui oui, cette métaphore t'est dédicacé, jeune chacal !- ? Tu te dois de le remettre à sa place de suite, Balty, voire de le réduire en marmelade de viande s'il se révèle bien trop insistant et arrogant ! Il faut éradiquer la mauvaise herbe avant qu'elle ne s'étende à l'ensemble du désert qui te sert de jardin social !

Ainsi débarqués sur le port, tu freines net et te retournes, croisant ton regard au sien, ton venin bouillant mijotant sur ta langue. Puis tu craches ! Tu lui craches au visage les plus plates des évidences !


Ghinhinhin ! Eh bien, vieille carne, me crois-tu miséricordieux envers ton GROTESQUE comportement de lièvre pour me laisser ainsi hacher de la viande chaude à ta place ? Penses-tu donc que je supporterai longuement tes simagrées avant de te déchirer le VENTRE pour vérifier qu'il contient bien QUELQUES TRIPES ?

Un coquin farouche, par les saintes véroles de Goa ! L'esprit de Maxwell est pourtant si englué à ses préceptes obsolètes de chevalier blanc ! Maîtrises-tu une forme de sournoise hypnose pour l'avoir convaincu de t'enchaîner à ses pieds, fangeux boulet ?

Oh non, non, ça m'est égal, ne réponds pas ! Saches juste que ma noble estime a un prix exorbitant, et que des plus ridicules roturiers que j'ai pu observer défiler sous mes esthètes coutelas dans ma vie, tu t'imposes parmi ceux dont la valeur défie toutes les abysses !


Eh bien ! Ta tirade ne semble pas avoir perçu l'effet escompté ! Il semble armer sa riposte, le vieux bouc aux testicules gigantesques mais démesurément vides ! Pourvu qu'il s'enfonce et patauge dans le marais de sa propre sottise ! Il est si palpitant de défaire un prétentieux rêveur, de démonter ses aspirations, de les broyer et de lui faire ravaler les débris !

Une objection ? Serais-tu capable de formuler autre chose qu'un nuage de rêveries volatiles et qu'une bouillie de cris apeurés ? Gnhinhinhin ! Fais-moi rire, cabotin !
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Benjamin était remonté jusqu’au port, solidement dissimulé derrière les omoplates de Balthazar. Il avait eu le temps de s’inquiéter de l’étroitesse de ses épaules ; de l’apparente faiblesse de son corps ; de cet aspect si chétif. Mais voilà qu’ils atteignaient le port, que l’on pouvait distinguer la mer, sentir l’air du grand large, percevoir quelques légers embruns. Landstorm se pourlécha les babines de plaisir. Brixius se retourna alors vers lui pour lui emplir les esgourdes de persiflages.

Rapidement, la moutarde monta au nez de notre marin.

- PALSAMBLEU ! Freluquet ! Je comprends la moitié de tes babillages à la noix. Mes avis que tu devrais rester à quai comme les souffreteux de ton espèce ! Les grossiers dans ton genre ne font pas de vieux os chez les frères de la côte ! Tu commences sérieusement à échauffer les oreilles de Landstorm ! Nobliau à la con ! COQUIN ! FOI JAUNE !

Benjamin, ragaillardi par la proximité de la mer, semblait à deux doigts de sauter sur Balthazar pour lui enserrer son cou sec comme une verge. Finalement, n’y pouvant plus, il l’attrapa par le col le soulevant du sol avec une aisance déconcertante. Sa large main compressant sa rachitique gorge.

- M’en vais corriger cette langue bien pendue. Foi de Landstorm je…

Il n’eut pas le temps de poursuivre. Un éclair blanc valsa devant ses yeux et il eut tout juste le temps de lâcher prise. Balthazar avait tenté de lui délivrer un coup de dague qui, s’il avait touché, lui aurait probablement fendu en deux son épais crâne. Benjamin joua adroitement de son coutelas pour échauffer ses phalanges engourdies. Il jeta un coup d’œil bref mais perceptible à la mer toute proche.

- Alors comme ça on veut jouer du couteau freluquet ? Ferait beau voir qu’un nobliau joue mieux de cet instrument qu’un frère de la côte. Il est encore temps de retourner à ton clavecin, pisse-froid !

Il se rua alors sur Balthazar. Les lames s’entrechoquèrent avec violence et leurs regards haineux se croisèrent. Les deux hommes semblaient bien déterminés à en découdre. Les lames fendaient l’air avec virtuosité, Benjamin devait avouer que sur le terrain, le nobliau se révélait être un adversaire redoutable. Non loin d’eux, sur les toits proches du quai, Maxwell fit son apparition. Il était suivi par un contingent énorme de soldats. C’est alors que dans la ruelle où avaient débouché Balthazar et Benjamin un autre peloton approcha en rangs serrés. Deux lignes de tir furent aussitôt constituées, les canons des fusils brillèrent au soleil. Un officier de ligne ordonna le feu avec une célérité impressionnante.

Une dizaine de balles fusèrent vers Brixius et Landstorm qui s’escrimaient toujours. Ils se séparèrent et entre eux filèrent les projectiles. Un instant les deux hommes se regardèrent à travers ce mur de balles ; l’œillade signifiait « ce n’est que partie remise… ». Benjamin reporta son attention sur les soldats dont le nombre ne faisait qu’augmenter. Il pesta devant cette marée humaine et tourna les talons vers le quai. Il courait avec une vitesse surprenante pour son gabarit.

Une nouvelle fois Benjamin fuyait pour sauver sa peau. De son œil expert, il examinait tour à tour les navires à quai. Malheureusement, pas un navire ne permettrait aux compagnons de s’enfuir de ce merdier. Il remarqua toutefois un brick en réfection tout proche ; bien que dépourvu de voiles, il était lourdement armé. Il monta à bord, coutelas en main, sourire indescriptible sur le visage.

Ce sourire, c’était celui d’un homme qui retrouve son vrai foyer, le plancher d’un navire. Sur le brick, quelques hommes seulement. Ils se précipitèrent tous sur lui. Le premier donna un coup de sabre vertical qui fut promptement esquivé. Le coutelas de Lanstorm pénétra dans l’arrière de son crâne pour resurgir par l’œil droit. Aussitôt, Benjamin s’empara du sabre du défunt. Il découpa les autres hommes avec une violence inouïe. Sur le navire, il se révéla être un tout autre combattant. Violent, rapide, assuré ; nul ne semblait en mesure de venir à bout de lui. Il fut maitre de la place en un temps record. Sans attendre, il se rua sur la première bouche de feu. C’était un canon de 24 livres. Il introduisit une gargousse de poudre trouvée non loin, un valet, un boulet puis un autre valet. Ce qui prend normalement plusieurs minutes à une dizaine d’hommes, Benjamin le fit seul en quelques secondes. A l’aide des palans de côté, il tira le canon jusqu’au sabord du navire.

De nombreux soldats étaient dorénavant sur le quai. Benjamin mit un pied sur le bastingage, le regard flamboyant.

Il mit le feu aux poudres et le boulet explosa sur une troupe proche.

Quitte à mourir, autant le faire sur un navire…
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Ils grimpent vite, les soldats de la Marine, et si je ne suis pas celui dont la cadence ralentit, alors c'est leur course qui s'emballe. Oui, rapidement, ils dévorent la distance qui nous sépare. Distance maigre, puisque je me retrouve, à mon plus grand dam, à la limite possible des toits de Poiscaille. Une dizaine de mètres en contrebas, c'est la pierre des docks qui m'attend, promesse silencieuse d'une chute mortelle. Hm ? Que vois-je ? Balthazar poignardant vicieusement quelques pauvres condamnés, noyant le macadam sous des torrents de carmin, aux abords de l'eau ? Et qui tire de cette lourde pièce d'artillerie, à bord de ce navire en cale sèche ? Landstorm ! Qu'il est triste de savoir tant de vies gaspillées, mais qu'il est galvanisant de savoir ses alliés près de soit, aussi sanguinaires soient leur méthodes.
Je me mets dos au vide, présentant mon sabre comme seul rempart face à la vingtaine de marines qui braquent leurs pistolets sur moi.

- Maître Landstorm !

Il m'a vu. Il ne peut m'avoir manqué. Sans lui, je n'ai que deux choix s'offrant à moi ; sombrer vers le vide ou être déchiqueté par la grenaille de leurs mousquets.

- Rends-toi Percebrume ! T'es cerné !
- Me rendre ? N'allez-vous pas me trouer de toute part, mécréants ?

Gagner du temps. Gagner du temps.

- …Ça, c'est si tu ne lâches pas ton arme immédiatement !
- À quoi bon lâcher ce sabre si je ne suis déjà pas mieux que mort.
- Pas mieux que mort ?
- Comprenez mon dilemme, messieurs. J'ai le choix de mourir entre les parois humides et sombres d'une froide geôle, ou de mourir libre en m'écrasant contre le pavé de cette ville corrompue…
- À quoi tu joues, pirate ? Saisissez-vous de lui et empêchez-le de se jeter dans l'vide !
- Et que faites-vous de ce sabre que je tiens toujours ? Ne suis-je pas menaçant ?

Ils s'arrêtent, hésitent. Ils se tournent vers leur sergent, petit bonhomme aux favoris fourni, à l'air bourru avec une casquette lui couvrant presque les yeux.

- …Eh bien fusillez-le !

Il y a limite à se foutre des autorités, à leur faire partager un dilemme stupide. Et cette limite vient d'être atteinte ..! Je recule le plus possible vers le rebord du toit, un demi-sourire sur le visage. Derrière moi, j'entends la bruyante déflagration d'un canon. L'air siffle, puis un boulet rase le toit à un cheveux de mon bras, allant exploser dans le contingent de matelots comme s'ils n'étaient que de vulgaires quilles. Joli tir, Landstorm ! Le souffle brûlant de l'explosion me projette dans le vide ! Sous mes pieds je vois défiler les docks, Balthazar, des marins, des badauds terrifiés… puis la mer !

L'étreinte tiède et salée de l'eau m'accueille d'un coup. Immergé, je remonte à la surface en haletant, mes vêtements complètement trempés me couvrant de poids supplémentaire. Aucun problème, je suis bon nageur, je saurai regagner la rive. En contrepartie, j'ai perdu mon sabre dans mon vol plané… peu importe, les combats ne sont plus de mon ressort, ici.

Je nage tant bien que mal jusqu'aux docks, m'accrochant à un amarre d'acier après avoir escaladé la paroi de pierre. Je dois trouver de quoi filer d'ici au plus vite, un fier et rapide esquif, tout de bois et de voiles, qui saura guider nos premiers pas sur les mers. Pourquoi pas une galante goélette, belle et gracieuse, avec une armature de frêne et une cale qui sent le rhum et les épices… diantre, même le vol me semble une affaire poétique ! Oui… il me faut une goélette qui nous mènera je ne sais où, mais loin d'ici et là où les hommes sont libres !

Et la voilà. La voilà qui surgit et vogue le long du port, voiles toutes déployées, fendant les flots à plusieurs nœuds de vitesse. Elle est comme un rêve. Née de mon imagination, ce petit mais magnifique vaisseau. Bois ciré, rambarde sculptée, la poupe toute en volupté et en gravure. Le St-Margot, disent les cursives et épaisses lettres dorées sur son flanc. Comme si on l'avait choisie pour moi. Et il n'y a personne à son bord, mais elle vogue, personne… personne sauf TOI ! OUI TOI ! TA FOURRURE LUSTRÉE RELUISANT SOUS LES ARDENTS ASSAUTS DU SOLEIL ! TES YEUX SOMBRES ME TOISANT AVEC CETTE FIERTÉ ET CETTE MAJESTÉ QUE SEUL TOI PEUT POSSÉDER ! TU ES LÀ, NAPOLÉON ! Oui ! Te voilà ! Fièrement agrippé à ce gouvernail que tu balances d'une main de maître ! Oh comme je t'aime Napoléon, ô Roi et Pirate de légende ! Il n'y a bien qu'un aussi brave capibara que toi pour voler ainsi un navire, et quel timing !

Complètement trempé, le visage recouvert d'hématomes, je ne peux retenir un franc sourire en me retournant vers le chaos qui fait toujours rage sur le port.

- Messieurs ! Tous à bord du St-Margot, direction notre destinée !

L'esquif passe tout près, si bien que je prends un élan pour y sauter directement, atterrissant sur le pont inférieur. L'ombre d'un brick recouvre notre navire un instant, et du haut du bâtiment s'élève la voix éraillée du Landstorm.

- Cap de diou ! Ce sloop est plus frais qu'une jeune vierge !

Héhé. Je ne lui ferais pas dire.  


Dernière édition par Maxwell Percebrume le Dim 06 Sep 2015, 03:53, édité 1 fois
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Si lunatique et imprévisible gueux, qui a osé porter la lame contre toi, alors même que ta simple présence est une invitation adressée à la faucheuse de venir profiter de ta récolte d'âmes ! Est-il réellement craintif, ou seulement inconscient ? Son orgueil serait-il assez boursouflé pour étouffer sa couardise, lorsqu'on le provoque ? Comment donc en suis-je à définir une logique dans le comportement erratique d'un ivrogne boucanier aux valeurs changeantes en fonction de la situation, du degré d'éthanol dans son sang et de la vitesse du vent ? Bah ! Il a encore pris la poudre d'escampette. Dans un pur esprit de contradiction, tu n'as guère suivi ses pas, et trace ta propre route à travers les quais grouillants d'adversités. Y compris d'une poignée d'héroïques citoyens qui tentèrent de te caler quelques bâtons dans les roues, mais qui se retrouvèrent à la place avec une plaie béante dessinée à la va-vite sur leur protubérant abdomen. Ces bouseux se croient tout permis, quelle inconscience !

C'est que tu fais peine à voir : ton escarmouche, brève et intense, avec Le turbulent Landstorm t'a vidé les poumons, les muscles, et la cervelle : un véritable siphon d'énergie ! Tu gambades maladroitement, réunissant ton dernier souffle pour t'offrir un sprint salvateur, tandis que derrière toi des régiments accourent en t'envoyant d'absurdes injonctions. Se rendre, hinhinin. Ils te croient capables de te rendre ! Même vidé de ta substance et soumis aux plus subtiles des tortures, tu ne saurais pas capituler. Cette salade de vice, à l'orgueil acide, saucée d'un vicieux honneur, t'interdit d'en finir ainsi.

Allons, Balty ! Ne te roule pas ainsi dans la gadoue comme si tu la confondais avec un moelleux berceau ! Comment as-tu glissé là-dedans ? Étalé dans ta mare de boue, à hurler aux corneilles quelques insanités embourbées qu'aucun cryptologue ne saurait traduire, tu sembles attirer l'attention de Hans, qui descend sereinement à tes côtés pour te présenter ses voeux d'un puissant croassement.


Que me veux-tu, collante volaille ? Te décideras-tu à me lâcher les basques si je t'ampute de tes... AH !

Brave vautour, ce Hans, qui malgré tes gesticulations hystériques et ces vulgaires lances que tu enfonces dans sa fierté, te picore quelques lambeaux de peau -laissant place à d'étranges plaques brunes... est-ce du sang ou du pus qui gicle en tes veines ? ta folie d'absurde aliéné déteignerait-elle sur le monde de la matière et de la chair ?-. Son petit creux comblé, il enserre calmement ton collet puis, d'une volée de puissants battements d'aile, t'élève avec lui dans les airs.

MAIS DE QUEL CERCLE DES ENFERS SURGIT-ELLE, CETTE ABOMINATION A PLUMES ? REPOSES MOI ! REPOSES MOI ! TROP HAUT ! TROP... Les roturiers se démènent comme de misérables fourmis en contrebas ! Je m'en sentirais presque immensément grandi en taille, et d'une semelle je pourrais ravager leurs maisons comme une chaîne de dominos... TROP HAUT !

Tétanisé par un glaçant vertige, tu facilites la tâche à notre bon Damoclès qui se démène, malgré le sanglant siège que tu mènes face à ses malheureux tympans, à t'amener vers des terres moins hostiles ! Tétanisé... Heureusement ! Si tu avais emporté ton imposant hargne avec toi dans ton survol, vous auriez été bien trop lourds pour que notre zélé explorateur aux plumes de nuit ne vous supportent bien plus longtemps. En attendant, il ne doit supporter que tes jérémiades -en plus de ton poids-.

Bien sûr, tu deviens une alarme volante. Sur le sordide plancher des vaches -la fange des vaches-, la plèbe lève les yeux et te montre ses nombreux et variés index, d'enfants, de bonbonne, de mégères, d'ouvriers rigolards, de pécheurs... Un véritable bouillon de curiosité populaire, qui voient une fausse note briser la partition tellement monotone de leur existence inintéressante. Qui ne se prolongera pas beaucoup plus longuement, malheureusement pour les gueux : la fête est finie ! Maxwell est en vue, accompagné du Maître des voleurs, et il semble qu'il ait retrouvé son castor édenté entretemps : je l'aperçois mener la barre, tellement plus brillant que le bonimenteur qui se prétend être son dresseur !


LÂCHE MOI LA ! POSES MOI ICI, CHAROGNE EMPLUMÉ ! Eh... EH ! AÏE ! AÏE ! OUILLE ! TU FINIRAS DANS LES BOYAUX D'UN GORILLE AFFAMÉ, TYRAN DE POULAILLER ! AÏE !

Comprends bien que ce n'est qu'une leçon de bonnes manières des plus basiques qu'il t'inflige en te tambourinant dans la peluche poisseuse qui te sert de cuir chevelu. Une leçon du même calibre que celle que je t'administrais autrefois : pures, efficaces, à la pédagogie active et directe ! Cela fait, il se plie aimablement à tes désirs, et te largue. Durant quelques secondes, tu vas apprécier l'étroit couloir de vent et d'odeur de bois pourri qui s'ouvre sous toi, tandis que tu chutes à pic... Ah, quel heureux hasard ! Bien que je soupçonne ce gentilvautour d'avoir développé un mordant second degré ! C'est sur Maxwell que tu t'écraseras, ce moelleux capitaine, s'il ne prend pas garde à la peste qui s'apprête à lui chuter sur la tête !
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Le canon de vingt-quatre crachait ses boulets à un rythme régulier. Sous la houlette de Landstorm l’arme devenait particulièrement efficace. Il put ainsi couvrir son nouveau capitaine aux prises sur les toits avec une petite armée. Il gratifia également les quais de sa présence explosive, fendant le sol, dispersant les soldats. Mais bientôt les munitions vinrent à manquer. Il était temps de quitter l’endroit. Et justement, il vit Maxwell se diriger vers un sloop. Le navire s’approchait des quais avec une belle prise au vent. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit un rongeur à la barre.

- Qu’est ce donc que cette mascarade !? MORDIOU !

Maxwell se retrouva bientôt à bord par un élégant déplacement entre les navires à quai. Benjamin s’approcha d’un canot prêt à être livré à la mer. Il grimpa dans celui-ci et trancha vivement les cordes qui le maintenaient dans les airs. Le frêle esquif tomba sur l’eau avec force, Benjamin agrippa les rames et entreprit de se rendre vers le sloop au plus vite. Il développa une puissance de traction étonnante grâce à ses bras musculeux. Le canot de sauvetage s’élevait au dessus de l’eau à chaque coup de rames.

Il ne fallut pas une minute au marin pour rejoindre le sloop. Il s’était placé de côté de telle sorte qu’il fut capable de sauter directement sur le pont du navire. Aussitôt il jeta un coup d’œil expert à ce moyen de transport. Les voiles étaient de bonnes qualités, la coque semblait solide et dépourvue de toute faiblesse, la ligne de flottaison apparaissait normale, il y avait même quelques canons dont la qualité serait à vérifier ultérieurement. Constatant que Maxwell était déjà à la barre, Benjamin entreprit d’améliorer la prise au vent en ajustant la voilure aux circonstances.

Il grimpa dans les gréements du navire pour réajuster les nœuds réalisés à la va-vite. Son couteau de voile entre les dents, il oeuvrait les jambes serrées autour du mât. Tout en s’affairant, il vit une ombre grotesque se diriger vers eux. Sa mâchoire tomba lorsqu’il découvrit le spectacle. Balthazar, transporté dans les airs par un vautour, s’approchait du sloop. Le duo avait une trajectoire aléatoire mais ils parvinrent tout de même à se retrouver au dessus du pont. Le colis fut largué instantanément ce qui eut pour effet de déclencher de nouveaux jurons de la part du marin.

- AH LE COQUIN ! MAROUFLE ! PAS SUR LES VOILES BON DIEU !

En effet, dans sa chute le Brixius avait manqué de trancher la voile sur toute la longueur. Le marin sauta sur le pont et sans s’occuper des autres protagonistes, s’élança dans la cale pour vérifier l’étanchéité de la coque. Une fois l’inspection réalisée, il fit de nouveau son apparition sur le pont. Il alla alors s’installer à la poupe du navire, près du bastingage. Ils s’échappaient maintenant à bonne allure du port, ils étaient hors de danger. Sa pipe en bois vint retrouver sa place dans un coin de sa bouche. Il expira quelques bouffées de fumée, un sourire en coin. Puis il se susurra à lui même :

- Toreshky hein… Espérons que ça en vaille le coup.

...

- Espérons...
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West Blue ouvre grand son cœur au St-Margot, alors que Poiscaille n'est plus qu'une mince ligne sombre derrière nous. Le doux bois contre mes mains est rassurant, le vent contre nos visages est galvanisant, l'avenir pour nous est grand. Tu vois bien, mon bon Napoléon, que malgré nos péripéties et nos déboires, le destin s'est fait clément envers nous. Il y a en ces deux hommes que je regarde tout sourire - Brixius affrontant et invectivant désespérément son carnassier rapace, Landstorm le regard rivé vers sa mer - une promesse sincère d'aventure. Je ne sais en quoi cette histoire nous engage tous, mais je me doute bien qu'elle ne fait que commencer. Avec ce Baron pestiféré et hargneux, avec ce navigateur aimant et bourru, je traverserai les mers jusqu'au trône si longuement possédé par mon père. Avec toi aussi, évidemment, mon brave Napoléon.

- Hm ? Ah, cher ami.

Je prends le tricorne sec que tu me tends, roi des rongeurs, et l'enfonce avec fierté sur ma tête. Muni d'un tel couvre-chef, tu te sens comme empreint d'un pouvoir spécial, d'une responsabilité envers la mer qui te porte. Un si beau chapeau pour une dame si capricieuse.

- Quoi ? Tu as mieux ? Héhé, mais qu'as-tu fait durant ces deux jours entiers pour nous arriver ainsi à bord d'un si beau navire, Napoléon…

Il y a une lueur de malice dans son regard sage, alors qu'il me tend du museau une redingote blanche et bleue, sèche, que je m'empresse de mettre pour réchauffer mes vêtements trempés. Le voilà, l'accoutrement du Capitaine Percebrume.
Le Capitaine Percebrume… c'est moi, ça, désormais. À la tête des Héritiers, les pirates qui chassent le Destin comme on traque une bête. Où que nous irons, nous défendrons les rêves et la liberté, Héritiers de différents passés tous unis sous une même cause.

Tous unis ? Non. Je me doute bien que rien n'est gagné à bord du St-Margot. Si sous mes yeux j'ai déjà le noyau du prochain grand équipage de ces mers, je me doute que la route est encore longue avant d'asseoir un véritable leadership sur ces hommes. Je suis Capitaine, Landstorm le sait. Je capte d'ailleurs son regard, alors que je m'avance sur le pont, ayant laissé la barre entre tes habiles pattes de rongeur, son regard bleu et serein. Serein et bleu comme la mer.

Silence.

Connivence.

Nous détournons le regard pour observer la mer.

La mer.



la



mer



La mer et toute cette eau.

Oui, décidément, le ciel, mais aussi l'avenir, me semblent prometteurs. Une si jolie vue, le tabac de la pipe de Benjamin, les cris geignards de Brixius.

- SATANÉS MARAUDS ! Vers où diable cet énorme quadrupède putride nous mène-t-il !? SACHE QUE CE N'EST QUE PAR NÉCESSITÉ QUE J'AI REJOINS TON NAVIRE, ET EN AUCUN CAS POUR M'Y ASSEOIR INDÉFINIMENT ! N'ose pas croire que je te suis dû, Maxwell Percebrume !

Hm. Brixius. Je me tourne vers lui avec un sourire malin. Trop assuré.

- Héh. Sache que nous voguons vers Red Line, Brixius, directement vers L'Anse aux mégardes, un passage souterrain qui nous mènera vers la Flaque. Là, nous traverserons sous Red Line pour atteindre South Blue, là d'où viennent bon nombre des plus grands pirates de cette génération. Nous ne sommes pas voulus ici, et rester plus longtemps sur cette mer ne nous attirera que de plus amples ennuis. Sur South Blue, j'ai entendu parler d'une île pirate insoumise à la Marine. C'est un endroit inhospitalier et difficile d'accès, on appelle ce roc désertique Rokade, je compte naviguer jusque là-bas pour y trouver les hommes qui garnirons notre futur navire. C'est aussi là-bas que je compte nous procurer un navire digne des Héritiers.

J'avais un plan, il ne s'en doutait simplement pas, héhé, si bien qu'il reste bouche-bée. Je fouille sous ma redingote, puis j'en tire une carte pliée ayant pris l'eau. Je la jette à ses pieds, révélant une carte de West Blue où plusieurs calculs, croix et trajets différents sont indiqués. Une boussole au verre remplie de buée vient se joindre à la carte, accompagnée d'un compas et de quelques crayons. Avant de quitter Maple Island, j'ai bien identifié les différents endroits susceptibles de receler de brillants marins. Poiscaille était l'un d'eux, et j'y ai trouvé mon compte. Toutefois, s'il y a bien un endroit sur les Blues où trouver des marins et des frères de la côte à foison n'est nullement le fruit du hasard, eh bien c'est sur Rokade et nulle part ailleurs. Et peu importe ce que ce Brixius croit, je saurai le mater avant que la coque du St-Margot n'effleure ne serait-ce que les eaux de South Blue.

Il laissera son air hautain et ses manières pénibles de ce côté de Red Line.

Et comme nous, à son tour, il deviendra un Héritier.
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