Précédemment : Pot de terre et pot de fer
Les deux pirates voulaient aller sur l'île qui se trouvait un peu plus loin, mais ils avaient eux-mêmes enlevé toute la toile pour prélever les vergues et s'en servir comme gaffes dans le ventre du monstre des mers. Une sacrée gaffe, rétrospectivement, songea Kurn. Mais il est toujours plus simple de s'en rendre compte après coup, justement.
« Euh, on fait comment pour y aller, Fantine ?
- On rame avec les mains ?
- Marchera pas.
- Tu pousses le bateau ?
- Marchera pas.
- T'y mets vachement de mauvaise volonté, quand même.
- Je crois qu'on prend l'eau à cause d'une avarie gastrique.
- Ce qui veut dire ?
- On coule petit à petit.
- On nagera jusqu'au riva... Marchera pas ?
- Marchera pas.
- Sauf si tu me portes.
- Et on perd le bateau ?
- C'est notre bateau, ouais, on le garde !
- Donc marchera pas, effectivement. »
Le silence devint studieux, puis ils portèrent leurs regards vers la voile posée en tas sur le pont. D'un commun accord, sans échanger le moindre mot, Fantine grimpa en haut du mât, puis prit la lourde toile tendue par la rascasse. Là, elle l'accrocha du mieux qu'elle put à ce qui servait de nid-de-pie au bateau en mauvais état.
Puis elle bondit souplement au sol, amortissant le choc d'une flexion de ses genoux malingres. Ils attrapèrent chacun un côté de la grande-voile et, se positionnant un à babord et l'autre à tribord, ils tirèrent sur le tissu pour essayer de le gonfler au vent, et s'appliquèrent même à orienter la voilure pour prendre le vent du mieux possible.
Le vaisseau s'ébranla, puis avança de quelques mètres, et commença même à prendre de la vitesse.
Puis Fantine, malgré le fait qu'elle s'accroche au bastingage avec les jambes, fut contrainte de lâcher la grande-voile, forcément. La force du vent dans la toile était trop forte pour la petite fille, minuscule, qui ne pouvait pas compter sur son poids pour tenir, à l'inverse de l'homme-poisson.
Kurn abandonna son morceau aussi et le tissu redevint immobile en tapant contre le mât tordu.
« Bon, on fait comme on a dit, Groot.
- Hein ?
- Tu pousses le bateau. ♥
- Comme... on a dit ?
- C'est moi le capitaine !
- Je peux toujours essayer...
- Allez Groot ! ♥
- Je m'appelle Kurn. »
Avec un soupir, la rascasse se laissa tomber à l'eau, par-dessus le bastingage, et ouvrit branchies et nagoires, savourant le goût de l'eau. Le goût de l'eau ? Différent. Un petit quelque chose d'indéfinissable, qu'il n'avait jamais senti auparavant. Une cargaison exotique a dû faire naufrage et le courant transporte des morceaux. Ou alors cela vient de l'île un peu plus loin...
Kurn se positionna à la poupe du navire, et s'appuya contre la coque. Puis, les mains posées contre le bois couvert de mollusques et d'algues, les épaules plaquées à côté, il se mit à battre des pieds de toutes ses forces, poussant de l'ensemble de son corps pour essayer de faire avancer le bateau.
A nouveau, celui-ci progressa de quelques centimètres. Mais c'est peut-être dû à la houle ? Sur l'embarcation, il entendit la voix de Fantine qui chantonnait :
« Avance, avance, petit bateau. Maman les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des jaaaaambeuhs ? ♪ »
Reprenant une longue inspiration, Kurn accentua son effort.
« Mais oui mon gros bêta sinon ils march'raient pas. ♫ »
Bloquant l'air dans ses poumons, l'homme-poisson sentit son visage rougir sous la pression, tandis que le navire avançait légèrement.
Puis, tout d'un coup, il y eut un sursaut, qui surpris agréablement la rascasse. Un battement de pied lui permit de se rapprocher à nouveau de la coque pour continuer à pousser, mais celle-ci continuait désormais sa route sans lui. Après quelques secondes à ce rythme, il plongea sous l'eau pour voir le bois s'agiter, délogeant tout ce qui s'était collé à la partie immergée du navire. Et les soubresauts du bois lui permettait d'avancer en direction de l'île. Après quelques instants à surveiller, il grimpa sur le pont.
« T'arrêtes de pousser, Groot ? Ca marchait drôlement bien, pourtant.
- Justement. Je ne pousse pas et on avance.
- Y'a un courant ?
- Non. »
Et sous leurs yeux ébahis, la grande-voile s'attacha d'elle-même aux bouts de bois qui trainaient, en se mettant en biais, pour attraper le vent, pendant que le gouvernail se mettait poliment en position pour leur faire garder le cap.
« On a croisé un sorcier drôlement balaise, Groot.
- Oui. Tu crois que c'était dans le ventre du poisson ?
- Tu crois que c'était le poisson ?
- Ou alors un des Marines...
- ... On s'en fiche, on arrive au port ! ♥ »
Effectivement, après quelques temps, leur bateau bringuebalant se faufila tout seul, comme un grand, le long de la jetée en bois pourri, et s'immobilisa à nouveau. Fantine et Kurn se regardèrent, puis descendirent au sol après avoir remercié le navire de les avoir amenés là. La rascasse crut même voir le mât les saluer une dernière fois en s'inclinant avant de reprendre sa forme normale.
« Bon, on est où ?
- Pas la moindre idée, je ne connais pas du tout cet endroit.
- Suffit de demander, Groot. Regarde faire ton capitaine ! Hep, toi ! On est où, dis ? ♥
- Vous accostez sans savoir où vous êtes ? Enfin... Whiskey Peak, première voie de Grandline.
- Grandline ?! »