Une eau de mer fraîche et salée s’invitait dans le frêle esquif qui fendait West Blue avec majesté. Cette petite embarcation de bois, surmontée d’un petit mât et d’une voile aussi blanche que la fesse d’une damoiselle, traversait l’étendue d’eau avec audace. A son bord, un seul homme, un seul marin : Benjamin Landstorm ! L’homme, souriant comme peut l’être un frère de la côte en mer, avait décidé de se faire une petite virée en solitaire. C’était des instants magiques où l’homme ne fait plus qu’un avec la mer. Notre marin était confortablement installé à l’arrière de l’embarcation, main gauche tenant délicatement la barre, yeux vers l’horizon, pipe fumante en bouche. Régulièrement il changeait la position de sa pipe boisée et effleurait de sa main droite la surface de l’eau.
Notre homme transportait une petite cargaison de tabac vers Poiscaille qu’il comptait revendre à fort bon prix. La traversée se déroulait sans difficulté, Benjamin étant un fin connaisseur des Blues. Le ciel était d’un bleu azur, dépourvu du moindre nuage, le vent était ferme sans être trop vif et ne changeait que très rarement. La configuration était idéale et la voile, gonflée comme une matrone de Kage Berg, emportait le voilier avec une étonnante puissance.
Mais soudain, Benjamin fronça ses sourcils de telle sorte qu’ils ne formèrent plus qu’une seule ligne épaisse. De son regard perçant il constatait la présence d’un large ilot de terre à quelques encablures seulement de sa position. Il renfonça son tricorne sur son crâne, rangea délicatement sa pipe à l’intérieur de son coupe-vent noir et modifia sa trajectoire pour louvoyer jusqu’à cette île sortie de nulle-part. Le marin était songeur alors qu’il réduisait la distance d’avec cet amas de pierre large et sombre. Il arrivait parfois qu’une île surgissait des flots mais rarement sans que l’événement ne fasse parler de lui. En quelques minutes, embarcation et pilote rencontrèrent le sol rugueux de cet atoll rocailleux. Le marin ferla méthodiquement sa voile avant de mettre pied à terre.
Il avança doucement sur ce lopin de pierre. Son équilibre était mis à mal par la surface très irrégulière du sol. Il tapa fermement du pied, c’était de la roche. Landstorm fut étonné de voir que ce rocher n’avait pas été lissé par le ressac. Encore que si l’île venait juste de surgir de la mer songea-t-il… Et en effet, non loin, le ressac malmenait un tronc de chêne, le jetait, le reprenait, le faisait rouler comme un noyer, sans se lasser de lui sucer la moelle.
Benjamin décida donc de s’aventurer un peu plus à l’intérieur de l’îlot pour en découvrir davantage. C’est alors qu’un craquètement furieux se fit entendre. Devant lui, une petite roche sembla se détacher de la masse. Puis deux pinces de pierre encadrant un roc constellé d’yeux verdâtres fit son apparition. C’était une sorte de crabe assez gros semblant entièrement constitué de pierres. Aussitôt le marin fit apparaître la lame de son sabre d’un air mauvais.
- Cap de diou ! Voilà que la nature me réserve encore un tour dont elle a le secret !
Le crabe fonça vers Benjamin et, subitement, se propulsa en avant avec une aisance et une célérité formidable. Ses pinces dansaient et claquetaient dans les airs tandis que ses globes oculaires s’affolaient en se roulant en tous sens.
- Mordiou !
Le fieffé animal vint attaquer le gras de la cuisse droite de notre marin qui se dégagea rapidement d’un coup furieux de la poignée de son sabre. Le crabe toucha le sol et quelques instants seulement après, il fut transpercé par le sabre d’abordage de Landstorm. A priori, ce cancer ne tenait de la rocaille que son aspect et pas sa résistance. Benjamin essuya sa lame sur le revers de sa manche, l’infortuné bestiau avait laissé derrière lui un sang pourpre assez épais. Cette hémoglobine dégageait une forte odeur qui chatouilla les larges naseaux du marin. Il se gratta la barbe tout en réfléchissant, jamais encore il n’avait vu créature si étrange jusqu’alors. Jugeant l’endroit hostile, il décida d’avancer épée au poing. En temps normal il ne se serait pas essayé à l’exploration d’une île mais là c’était différent, l’îlot avait un côté grand large inexplicable.
Cette nouvelle terre avait un relief très inégal et assez escarpé, impossible de voir où elle se terminait. Benjamin s’enfonça donc avec incertitude et une pointe d’appréhension. Tout autour de lui se dressait un paysage entièrement caillouteux ; à perte de vue ça n’était que grisaille. Régulièrement il manquait de se tordre la cheville tant la zone était sinueuse. Il progressait donc avec grand peine, pestait à l’encontre de cette étendue sordide et se demandait finalement s’il ne devait pas faire demi-tour. Alors que l’idée commençait à devenir une résolution dans son esprit, une petite colline à côté de lui remua. De nombreux cailloux glissèrent sur la pente et vinrent s’échouer sur la botte poussièreuse de Landstorm.
Un léger tremblement parcourut l’échine de Benjamin, c’était signe de véritable danger. Un indicateur qui de nombreuses fois lui avait permis d’éviter de prendre un boulet ramé alors qu’il s’affairait dans les voiles ou de manger une balle tirée depuis un angle mort. En conséquence, le marin accueillit ce frissonnement comme les sonneries aigües du branle-bas de combat. Et en effet, quelques secondes plus tard, la colline se révéla être un autre crabe de malheur, mais la version « maman » ou « papa » aussi grand qu’un mât de misaine, avec des pinces de la taille d’un homme. Puis le milieu de la colline s’illumina d’un millier d’yeux verts menaçants.
- Bah vindiou Landstorm ! C’était encore une grande idée de quitter ton putain de rafiot !
Et tout en maudissant sa bêtise, il sauta à plat ventre pour éviter une pince massive. La seconde vint le cueillir directement au niveau du sol, il para de son sabre mais resta écrasé par la masse du bras armé de l’animal. La pince se révéla aussi solide que le sol sur lequel il se battait. Profitant d’un léger relâchement, il glissa sur le côté pour se remettre sur ses jambes. Sans cérémonie il dévoila un pistolet.
PAN !
Dernière édition par Benjamin Landstorm le Lun 6 Mar 2017 - 21:41, édité 4 fois