Un grésillement régulier l'arracha à ses rêves. Si elle rêvait. Elle n'en était pas sûre.
Elle ouvrit un œil troublé sur la désolation des lieux. Troublé par ce qu'elle avait elle même accomplit, par ce qu'elle avait été capable de faire. Le sang encore chaud mélangé à l'huile sur le bout de ses doigts fins était désormais comme une seconde peau, un gant qui lui recouvrait la paume. Elle sentait ce mélange, sans le percevoir complètement.
Un long souffle lui échappa alors qu'elle se redressa péniblement. Une douleur vive lui vrilla la tempe, le cou, puis finalement le bras gauche. Une douleur qui ressemblait à une brûlure intense, évasive, large. Une souffrance rendue régulière et aiguë par la contraction réflexe de ses muscles entamés. Elle sentait l'odeur de sa chair qui humait jusqu'à ses narines, lui arrachant des larmes de frustration. Un sanglot lui déroba une nouvelle grimace alors que sa nuque s'affaissait doucement, ne supportant plus de porter sa tête.
Elle s'était mise dans une galère monstrueuse. Rien qui ne déviait de l'ordinaire, effectivement, mais pour une fois dans sa vie, Lilou avait trouvé le pire là où elle ne l'attendait pas. Un petit rire s'échappa de sa gorge, un rire triste de celle qui n'y croyait plus. Elle avait envie de pleurer. Ça n'était pas seulement la douleur qui embuait ses yeux, mais le fait qu'elle avait perdu espoir sur le moment. Qu'il n'y en avait plus rien pour elle, plus comme avant. Lorsqu'elle s'était engagée, elle avait tant espéré. Tant de choses, mais surtout, un avenir pour elle. Elle avait été fière de son parcours, de sa manière d'agir. Elle s'était sortie de la crasse, de la merde de Rokade. Tout du moins, c'était ainsi qu'elle l'avait ressenti.
Mais non. Cette crasse tâchait durablement, et elle n'avait fait qu'en fuir l'odeur sans remarquer que c'était elle qui nécrosait depuis longtemps. Elle était ce monstre qu'elle escomptait échapper depuis toutes ces années.
C'était terriblement ironique de devoir se mettre aux portes de la mort pour le remarquer.
L-Lilou !
La voix inquiète de son confrère scientifique lui arracha un hoquet de surprise. Elle sentit d'abord sa main sur son épaule, et l'écarta d'un geste de son autre main valide. Elle retint avec peine un cri dans sa gorge, avec lequel elle manqua de s'étouffer. Ça faisait mal... ça faisait tellement mal qu'elle avait l'impression saisissante que ses propres muscles étaient en train de se faire dévorer par des flammes...
Vous... V-vous... êtes blessée...
Elle était meurtrie. Dans le plus profond de ses convictions sur le monde, dans ses croyances et les idéaux qu'elle avait dressé comme une bannière, comme un habit la recouvrant, comme une armure la protégeant. La guerrière qu'elle était devenue à force de coup s'était brisée comme du simple verre contre une lourde masse.
Rien de grave, Linus. Tu ferais bien de partir...
Partir. C'était quelque chose qu'elle n'espérait plus faire. La rouquine s'était enchaînée à la fin sans vraiment le vouloir. Lutter ? Pour quoi faire ? Dans quel but ? Et surtout avec quelle volonté ? Elle n'en avait même plus l'envie.
Et v-vous laisser là ? Objecta l'homme comme si c'était évidemment impensable.
Ses pupilles d'ambres se relevèrent vers lui. Vers ce visage troublé par l'inquiétude, alors que son compagnon d'infortune baissait le col de son haut pour contempler la brûlure qui lui dévorait le cou et l'épaule. Il esquissa une grimace, avant de se reprendre. Linus était ce genre d'homme à ne pas savoir cacher ses émotions. C'était comme si elles étaient trop fortes pour qu'il puisse les contenir. Étrange, pour un scientifique, se dit Lilou en esquissant une risette. Étrange qu'elle n'ait pas remarqué avant cette candeur infantile qui pourtant la soulageait sur l'instant. Elle était admirative de cet homme qui avait su rester lui, malgré toutes les années à baigner dans le cru, le vrai, le trop réel.
Tu bégaies moins, nota-t-elle avec un petit sourire en coin, une certaine tendresse dans le regard, à l'observer désormais d'un œil nouveau.
Qu-qu-quoi ? Lilou, qu'est-ce que ?
Etait-elle en train de délirer ? Il lui semblait, en observant la mine perdue de son vis-à-vis, que ses propres paroles ne correspondaient pas à ses attentes. Pourtant, elle s'était toujours montrée douée pour comprendre les attentes des gens, et pour ne jamais y répondre comme il fallait. Elle ne savait pas, au fond, tout au fond d'elle-même, ce qu'il lui avait pris. Ce qu'il s'était passé. La douleur lui vrillait la tête, un autre pique lui transperça les côtes, faisant tordre sa voix dans le fond de sa gorge. Sa respiration se fit traînante, profonde, rauque, elle avait l'impression lancinante que son poumon refusait de gonfler...
Tu devrais partir, répéta-t-elle comme s'il ne lui restait que ces paroles en bouche.
Articuler des mots étaient insupportable, insoutenable, mais ça lui sembla tellement important en croisant les yeux de Linus. Ses joues recouvertes de crasse, ses vêtements tâchés... L'odeur du formol. Là, soudainement, elle se mit à la sentir, couvrant celle de la chair brûlée. Il y avait ce parfum vif de formol, partout dans l'air, et enfin elle le remarquait.
Est-ce que v-vous...
L'odeur disparut en même temps que cette demande timide. Linus la fixait avec un petit regard perdu, une pointe de curiosité dans le fond des yeux. Lilou avait l'impression qu'au bout de ses lèvres, de sa réponse et d'elle, dépendait sa survie.
Est-ce que vous saviez, pour le Commodore ?
Elle le contempla un temps supplémentaire, avant qu'un petit rire lui échappe.
Elle ouvrit un œil troublé sur la désolation des lieux. Troublé par ce qu'elle avait elle même accomplit, par ce qu'elle avait été capable de faire. Le sang encore chaud mélangé à l'huile sur le bout de ses doigts fins était désormais comme une seconde peau, un gant qui lui recouvrait la paume. Elle sentait ce mélange, sans le percevoir complètement.
Un long souffle lui échappa alors qu'elle se redressa péniblement. Une douleur vive lui vrilla la tempe, le cou, puis finalement le bras gauche. Une douleur qui ressemblait à une brûlure intense, évasive, large. Une souffrance rendue régulière et aiguë par la contraction réflexe de ses muscles entamés. Elle sentait l'odeur de sa chair qui humait jusqu'à ses narines, lui arrachant des larmes de frustration. Un sanglot lui déroba une nouvelle grimace alors que sa nuque s'affaissait doucement, ne supportant plus de porter sa tête.
Elle s'était mise dans une galère monstrueuse. Rien qui ne déviait de l'ordinaire, effectivement, mais pour une fois dans sa vie, Lilou avait trouvé le pire là où elle ne l'attendait pas. Un petit rire s'échappa de sa gorge, un rire triste de celle qui n'y croyait plus. Elle avait envie de pleurer. Ça n'était pas seulement la douleur qui embuait ses yeux, mais le fait qu'elle avait perdu espoir sur le moment. Qu'il n'y en avait plus rien pour elle, plus comme avant. Lorsqu'elle s'était engagée, elle avait tant espéré. Tant de choses, mais surtout, un avenir pour elle. Elle avait été fière de son parcours, de sa manière d'agir. Elle s'était sortie de la crasse, de la merde de Rokade. Tout du moins, c'était ainsi qu'elle l'avait ressenti.
Mais non. Cette crasse tâchait durablement, et elle n'avait fait qu'en fuir l'odeur sans remarquer que c'était elle qui nécrosait depuis longtemps. Elle était ce monstre qu'elle escomptait échapper depuis toutes ces années.
C'était terriblement ironique de devoir se mettre aux portes de la mort pour le remarquer.
L-Lilou !
La voix inquiète de son confrère scientifique lui arracha un hoquet de surprise. Elle sentit d'abord sa main sur son épaule, et l'écarta d'un geste de son autre main valide. Elle retint avec peine un cri dans sa gorge, avec lequel elle manqua de s'étouffer. Ça faisait mal... ça faisait tellement mal qu'elle avait l'impression saisissante que ses propres muscles étaient en train de se faire dévorer par des flammes...
Vous... V-vous... êtes blessée...
Elle était meurtrie. Dans le plus profond de ses convictions sur le monde, dans ses croyances et les idéaux qu'elle avait dressé comme une bannière, comme un habit la recouvrant, comme une armure la protégeant. La guerrière qu'elle était devenue à force de coup s'était brisée comme du simple verre contre une lourde masse.
Rien de grave, Linus. Tu ferais bien de partir...
Partir. C'était quelque chose qu'elle n'espérait plus faire. La rouquine s'était enchaînée à la fin sans vraiment le vouloir. Lutter ? Pour quoi faire ? Dans quel but ? Et surtout avec quelle volonté ? Elle n'en avait même plus l'envie.
Et v-vous laisser là ? Objecta l'homme comme si c'était évidemment impensable.
Ses pupilles d'ambres se relevèrent vers lui. Vers ce visage troublé par l'inquiétude, alors que son compagnon d'infortune baissait le col de son haut pour contempler la brûlure qui lui dévorait le cou et l'épaule. Il esquissa une grimace, avant de se reprendre. Linus était ce genre d'homme à ne pas savoir cacher ses émotions. C'était comme si elles étaient trop fortes pour qu'il puisse les contenir. Étrange, pour un scientifique, se dit Lilou en esquissant une risette. Étrange qu'elle n'ait pas remarqué avant cette candeur infantile qui pourtant la soulageait sur l'instant. Elle était admirative de cet homme qui avait su rester lui, malgré toutes les années à baigner dans le cru, le vrai, le trop réel.
Tu bégaies moins, nota-t-elle avec un petit sourire en coin, une certaine tendresse dans le regard, à l'observer désormais d'un œil nouveau.
Qu-qu-quoi ? Lilou, qu'est-ce que ?
Etait-elle en train de délirer ? Il lui semblait, en observant la mine perdue de son vis-à-vis, que ses propres paroles ne correspondaient pas à ses attentes. Pourtant, elle s'était toujours montrée douée pour comprendre les attentes des gens, et pour ne jamais y répondre comme il fallait. Elle ne savait pas, au fond, tout au fond d'elle-même, ce qu'il lui avait pris. Ce qu'il s'était passé. La douleur lui vrillait la tête, un autre pique lui transperça les côtes, faisant tordre sa voix dans le fond de sa gorge. Sa respiration se fit traînante, profonde, rauque, elle avait l'impression lancinante que son poumon refusait de gonfler...
Tu devrais partir, répéta-t-elle comme s'il ne lui restait que ces paroles en bouche.
Articuler des mots étaient insupportable, insoutenable, mais ça lui sembla tellement important en croisant les yeux de Linus. Ses joues recouvertes de crasse, ses vêtements tâchés... L'odeur du formol. Là, soudainement, elle se mit à la sentir, couvrant celle de la chair brûlée. Il y avait ce parfum vif de formol, partout dans l'air, et enfin elle le remarquait.
Est-ce que v-vous...
L'odeur disparut en même temps que cette demande timide. Linus la fixait avec un petit regard perdu, une pointe de curiosité dans le fond des yeux. Lilou avait l'impression qu'au bout de ses lèvres, de sa réponse et d'elle, dépendait sa survie.
Est-ce que vous saviez, pour le Commodore ?
Elle le contempla un temps supplémentaire, avant qu'un petit rire lui échappe.
Dernière édition par Lilou B. Jacob le Sam 19 Sep 2015 - 9:33, édité 1 fois