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Dreaming moon


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Rester loin, rester loin. C’était facile à dire. Bien plus qu’à faire. Plus l’idée qu’un Dragon Céleste se trouvait à quelques lieues de là se faisait une place, plus les mains de Rafaelo le démangeaient. Son altercation avec Andy lui avait laissé quelques bleus, gommés par son fruit. Mais la douleur et la fatigue étaient encore là. Il avait regardé pendant des minutes interminables ses mains, changeant ses doigts en fumée et usant de celle-ci à sa guise. Il n’en finissait pas d’être surpris par son pouvoir. C’était grâce à son fruit qu’il était devenu ce qu’il était à présent. Mais il avait appris à ne pas compter que sur celui-ci. Et Andy en avait fait les frais. Les rayons du Soleil vinrent rapidement perturber son sommeil déjà agité. Aujourd’hui, Shaïness serait confrontée à une entreprise de taille et lui … ne devait absolument pas s’en mêler. L’immobilisme lui donnait des nausées. Et il lui fallait absolument trouver de quoi s’occuper. Il y avait bien sûr toute une nation de Sélénites – si on pouvait appeler ça une nation – qui attendait au fond de la forêt. Mais les pensées de Rafaelo étaient attirées par un tout autre artifice. Une idée tenace qu’il avait creusé depuis l’aube. À vrai dire, Mangrove n’avait-elle pas proposé de lui accorder un peu de temps pour son … projet ? La curiosité de l’assassin était insatiable, comme toujours. Et après avoir tourné en rond pendant une dizaine de minutes, il se décida à rejoindre la cachette dans laquelle résidait le ponéglyphe. Il fut alors confronté à une autre clause de sa promesse envers Shaïness. Ne pas user de ses pouvoirs, au cas où certains projecteurs soient braqués sur la jungle, et à tout moment. Ce fut ainsi, qu’en soupirant, Rafaelo se mit sur la route de la demeure de Mangrove. À pieds.

Le Soleil brillait déjà haut lorsqu’il y parvint. L’arche sous laquelle on pouvait accéder à la cachette était située sur une échancrure de roche. Forcé d’escalader, l’assassin s’étonna de pouvoir encore y parvenir. Il se hissa sans mal, usant malgré tout de la densité de son fruit pour moduler sa propre masse, ce qui n’en rendit l’effort que plus dérisoire encore. Il ne fut pas surpris de trouver Mangrove en train de l’attendre un peu plus loin, ayant déjà dressé la table pour un petit déjeuner à base de fruits et autres spécialités propres à l’île céleste. Avec un geste de la main, elle l’invita à venir s’asseoir avec lui, avant de lui mettre, encore une fois, une tasse de thé entre les mains. En un sens, il comprenait mieux comment Shaïness en était venue à mieux maîtriser le mantra durant son léger exil. Il sirota le thé par pure politesse, son estomac portant encore les affres des abus de la veille.

« Ainsi, vous êtes vous-même une maîtresse du mantra. » commença l’assassin, entre deux gorgées brûlantes.

« Un nuage de lait ? » répliqua la vieille femme, avec un sourire malicieux.

Rafaelo fit non de la tête et posa sa tasse à côté de lui. Il sonda son interlocutrice d’un regard inquisiteur. Comme tous les personnages de cette trempe, elle en savait beaucoup plus que son apparence le laissait entendre. Il avait entendu parler du fait qu’elle était l’exilée de ces terres, ayant dédié sa vie à la garde du ponéglyphe. Mais d’autres sons de cloches lui laissaient croire qu’elle avait trempé dans tous ces conflits. Et à un point où d’autres s’y seraient noyés.

« Vous m’intriguez Mangrove. C’est une idée que je n’ai pas pu m’ôter de la tête. Cette idée fixe que vous savez bien mieux que n’importe quelle personne ici ce qui va se passer. Je me trompe ? » poursuivit l’assassin, fronçant les sourcils.

« Peut-être que oui, peut-être que non. Mais quelle importance l’avis d’une vieille femme aurait pour toi, Rafaelo ? Je ne suis qu’une vieille ermite, perdue à côté … » répondit-elle avant de se faire couper.

« … d’un ponéglyphe. Soit la chose qui pourrait à elle seule justifier l’invasion gouvernementale. Et, bien sûr vous en avez parfaitement conscience. » lâcha le révolutionnaire, avant de croiser les bras.

La vieille shandienne pris le temps de siroter une gorgée de son thé avant de poser la tasse sur la sous-coupe. Elle attrapa un petit tissu et s’épongea les lèvres. Lentement, sans frémir sous le regard inquisiteur de Rafaelo. Il soupira, abdiqua et s’empara de sa propre tasse. Il y trempa les lèvres, laissant courir ses yeux sur la décoration sommaire de la hutte cachée de son hôte. Tout était trop lisse, trop propre. Quelque chose le dérangeait, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Il avala sa gorgée brûlante avant de reprendre la parole.

« Je ne cherche aucunement une arme ou à soutirer quoi que ce soit à votre peuple. Si c’est ce que vous pensez. Il se trouve que je suis … curieux de savoir ce qui peut à ce point inquiéter le Gouvernement. » reprit Rafaelo, à voix basse.

« Et si tu le trouves, que feras-tu ? Tu le prendras par la force ? Tu nous le demanderas gentiment en offrande pour tes services rendus ? Ou tu accepteras que l’on te dise non, mettant en péril ton combat sur la simple décision d’une vieille femme ? Voyons, Rafaelo … voyons. Ce n’est pas au vieux serpent à plumes qu’on apprend à faire la danse de la pluie. » fit Mangrove, éludant cette simple possibilité d’un geste de la main.

L’assassin carra la mâchoire et s’enfonça dans la contemplation de son thé parfumé. Elle avait raison, en effet. Mais ne pouvant juger de l’importance de cette simple stèle de pierre, il ne pourrait jamais se satisfaire de cette réponse. Et s’il était passé à côté de quelque chose ? Pourquoi donc les lecteurs de ponéglyphes étaient-ils si peu nombres, et pourtant si craints ? Au sein de la révolution c'était un savoir très prisé. Il ne savait pas si ce problème avait quelque chose à voir avec son passé mais percevoir ce grand bloc de pierre trônant là, dehors … C’était comme si il était appelé par son mystère, ses gravures intrigantes et ancestrales. Comme si … Regard vers la coupe.

« Je vois. » murmura-t-il, avant de porter la main à son estomac, transperçant la fumée pour y enfoncer le gantelet de fer.

Il en ressortit le bras, séparant sa propre substance pour en extraire le liquide ingéré. Dans sa main, le peu de thé ingéré reposait, goutant entre ses doigts. Un léger sourire s’épancha sur les traits de Mangrove, tandis qu’une fumée noire s’exhalait de l’œil fumeux de l’assassin. Il ferma le poing et voulut se lever avant de se rendre compte qu’il ne le pouvait plus.

« Oh, mon chéri, ce n’était pas dans l’infusion. C’était juste un peu de camomille pour t’aider à dormir. Non. Nous sommes au pays des dials, et ceci est un Aroma Dial. » fit Mangrove en indiquant l'objet intriguant sur son étagère, tout en sirotant son thé.

Rafaelo sentit sa vue se troubler. Il serra les dents, tint bon.

« P … pourquoi ? » articula-t-il péniblement.

« Je savais que tu reviendrais pour le ponéglyphe tôt ou tard. Et je suis une Shandia, après tout. Je t’ai connu à travers les paroles de Shaïness et ses songes éveillés … et nous t’avons jugé digne. Digne de passer notre test, Rafaelo Di Auditore. Digne de devenir un Shandia. Tu en remercieras Chris … » souffla la vieille shandienne en reposant sa tasse.

Elle semblait être immunisée aux effets du gaz, ou très bien le dissimuler. Mais comme elle l’avait suggéré, elle était shandienne. S’était-elle mithridatisée ou … ou … ou.
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C’est une porte. Une simple porte en bois. Un chaleureux feu vous attend de l’autre côté, dont les flammes font danser la lumière sous le bois de l’encadrement. Légèrement entrouverte, le battant pend et cliquète contre la serrure. Il n’y a rien derrière, il n’y a rien devant. Ce n’est qu’une porte. Une porte où il fait chaud, et où la curiosité est trop grande. Car tout autour n’est que néant. N’est que désolation. Pourquoi la porte des enfers se devrait d’être effrayante ? Pourquoi ne prendrait-elle pas l’apparence d’un foyer chaleureux, d’un foyer que l’on a toujours désiré ? Car pour les meurtriers il n’y a nul repos, nul foyer. Nulle reddition face à l’infamie de leurs actes. Car un assassin ne connaîtra jamais le repos.

Mais c’est une porte. Une simple porte en bois. Alors pourquoi reculer ? Pourquoi hésiter ? Est-ce la lumière au bout du tunnel ou …

« Enfin tu reviens … »

Cette voix … cette voix …

Fuir. Loin. Ne plus revenir. La peur au ventre, la peur de découvrir ce qu’il   y a   sous le masque de marbre, que l’arrogance laisse place à la consternation. Des frissons, des cris. Des milliers d’âmes qui hurlent d’une seule voix dans le néant. Mais la peur est plus forte que tout. La fumée obscurcit la vision, laisse place à des visages. Placides, terrifiés. Hurlants, implorants. Mais aucun ne sourit, aucun n’est heureux. Des âmes en perdition. Des reproches, de la douleur. Le tribunal des âmes. Mais ce n’est plus qu’une ombre parmi les ombres, avant de se faire happer, dévorer. De se réveiller, au fond d’une cale. Emmitouflé dans ses bandages, perclus de douleurs…

Le sol était dur, sentait fort le goudron. Une chaleur étouffante régnait là. Le premier mouvement fut d’une douleur lancinante, tirant sur les fers qui marquaient la chair calcinée. Aux poignets et aux chevilles. Non. Non … pas encore. Pas ça. Ce n’était qu’un rêve. La preuve, cette fois il se souvenait de son nom. Il se souvenait de qui il était, il était … Il était …


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« Comment oses-tu revenir ici, Auditore ? »

C’était un roi fantoche sur un trône déliquescent. Une terrible souffrance suintait de cette vision, tant des êtres décharnés qui lui griffaient les membres que le regard qu’exhalait cette apparition. Le révolutionnaire aux cheveux mi- longs, et à l’armure de métal et au bras ganté ne comprenait pas. Il se retourna, persuadé d’avoir échappé à quelque chose qu’il ne pouvait affronter. Que faisait-il là ? Que faisait-il à … Goa. Un frisson parcourut son échine. Il reconnaissait cela. Il savait de quoi il s’agissait. Les tentures, les corps qui gisaient. Il ferma le poing, avala difficilement. Son cœur battait encore la chamade.

« Pourquoi as-tu fait souffrir mon peuple ? Etait-ce un sacrifice justifiable à tes yeux ? »

Le roi pleurait des larmes de sang, mais il souriait. Les larmes vinrent se glisser entre ses dents blanchâtres, maculant ses gencives anémiées. Il ignorait ces monstres qui souffraient à ses pieds, se repaissant de cette dernière comme d’un met raffiné. Le fantôme odieux d’Edmure Von Avazel. Mais … comment se souvenir de …

« C’est toi qui a tué mon peuple. »

Il leva un doigt squelettique et inquisiteur. Mais il souriait toujours, se délectant du trouble de son interlocuteur. Perdu entre le doute et les bribes de souvenirs. Sa mort, sa résurrection. L’odeur des braises et du sang. L’odeur de la mort, partout autour. Ce corbeau de malheur, le vieil assassin vaudou. Mais … comment pouvait-il se souvenir d’un Roi ? De ce Roi. Personne ne connaissait les détails de cette boucherie de Goa. La révolte, la Marine venue en salvatrice pour aider le peuple à l’emporter face à la tyrannie des Von Avazel. Et ? ET ?!!

Puis ce fut comme goûter à sa propre médecine. Le fantôme glissa et devint fumée avant que ses ongles jaunes ne s’enfoncent dans le crâne de l’assassin. Ses yeux injectés de sang, couverts d’une cataracte opaque se plantèrent dans les siens. Sa bouche exhala une haleine digne des tréfonds.

« Souviens-toi de la corneille blanche … »

Puis une douleur fulgurante s’empara du cerveau de Rafaelo, le précipitant à terre, et vers …
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Un charnier incandescent. Des piles d’ossements et de corps en décomposition. Certains plus abîmés que d’autres, mais tous surplombés par un trône en bois d’où dégringolait une étole souple comme de la soie, en une gerbe rouge et sanguine. Une silhouette lointaine se distinguait sur ce trône, mais du bas du tas de corps et de braises, rien n’était visible. Rien à part la fumée. Elle imageait des formes indécentes, de femmes et de meurtres. Les démons qui hantaient l’esprit déchu de Rafaelo s’en donnaient à cœur joie, matérialisant leur douce folie dans l’essence même de leur apparence. Se souvenir de la corneille blanche. Il se sentait happé par de trop nombreuses images, idées. Chaque corps qu’il regardait racontait une histoire, une vie. Un frisson s’empara de son échine, alors qu’il contemplait le tatouage grossier qu’il arborait sur sa main valide. Une corneille. Blanche. Il avait déjà ressenti des effets similaires. Voilà ce qu’on essayait de lui dire. Il sentait ses pires souvenirs affleurer au bord de son esprit, susurrant ce qu’il ne voulait entendre.

Des corps sous la neige. Un cadavre dans l’eau. Des cartes à jouer. Des fers d’esclave. Un implant cybernétique. Puis il comprit. Là étaient ses souvenirs. Là étaient ses morts. Là trônaient les vies qu’il avait dérobées. Il leva les yeux. C’était impossible. Comment pouvait-on être responsable d’autant de meurtres ? Le sol se floua sous ses genoux et il tomba les mains sur le sol, dans une eau qui n’était pas là auparavant. Un soleil rouge trônait sur l’image de ses crimes. L’air lui manquait. Il respira rapidement puis reprit le contrôle de ses émotions. Il se redressa, demeurant à genoux et bascula sa tête en arrière. La corneille blanche …

« Né un lundi … » croassa une voix, perchée sur la tête d’un homme-crabe colossal.

La créature perfora le cache-œil de la créature et s’empara de son globe oculaire pour le frapper contre la carapace que formait son crâne. C’était une corneille deux fois plus large que la moyenne. Elle était albinos et ses yeux rouge sang avaient ça d’anormal qu’ils reflétaient les oscillations de l’astre qui illuminait le charnier.

« Baptisé un mardi … » reprit Rafaelo, se remémorant tout à coup la comptine qui s’était inscrite dans sa tête à bord de la galère.

Il était alors devenu Solomon Grundy, avant de rencontrer Shaïness. Une créature qui faisait partie d’un plan que celui qu’il était auparavant avait échafaudé. Solomon avait été l’incarnation de la violence qui habitait Rafaelo, avant de le refaire plonger vers ses affres révolutionnaires. Suivant des codes qui avaient été profondément inscrits dans son essence, avec un fer tant échauffé que même la perte de ses souvenirs n’avaient pu lui ôter cette soif de justice. Il posa un pied contre terre, cherchant à se relever face aux cadavres empilés sur sa route. S’il ne pouvait se souvenir de ce qu’il avait été, il était étrange de noter qu’il connaissait le nom de chacun de ces visages, de chacun de ces corps. C’était comme se trouver au seuil de la porte des enfers. Et hésiter à en franchir le pas. Mais il y avait quelqu’un en haut. Etait-ce le maître des lieux ? Il fronça les narines. Les paroles de Mangrove. Devenir un Shandia. Ridicule. Puis la silhouette fit un signe de la main, et la corneille s’envola.

« Ressuscité un lundi, sans âme ni remords. Du diable il a revêtu le corps. Prenez-garde, voici Solomon Grundy. » croassa l’animal, décrivant plusieurs cercles autour de Rafaelo avant d’aller se poser sur le trône, à côté de la mystérieuse silhouette.

S’il avait encore une âme, il n’aurait pu dire. Mais des remords, il en avait pour plusieurs vies. Même ses actes sur Skypeia étaient empreints de remords : il aurait pu mieux faire. Mais il aurait pu faire pire. Bien pire. Il inspira de nouveau. Il était venu le temps de faire face à ses démons. C’était bien le principe d’un voyage intérieur après tout. Il posa le premier pied sur un bras décharné, si vieux qu’il aurait pu être tué des années avant la venue au monde de Rafaelo. La main se referma sur la cheville de l’assassin, qui voulut retirer son pied de panique. La poigne de la manifestation était trop forte. Et le poids de sa culpabilité trop grande.

Le contact avec la créature le ramena dix-sept ans en arrière. Sa première victime. Son premier sacrement. Projeté à terre, il s’enfonça dans l’eau et recula en pataugeant. Il froissa le tissu de sa tunique en cherchant à enserrer son cœur qui battait la chamade. Ce sentiment de honte, de culpabilité harassant était d’une telle violence. Etait-ce un souvenir ? Etait-ce qu’il avait ressenti à ce moment-là ? Le moment où on avait forcé un enfant à lever son arme pour faire parler une justice dont il ignorait tout ? Regrettait-il d’avoir été ainsi entraîné et formé ? Non. Alors pourquoi autant de remords ? Au fond, il connaissait la réponse. Il l’avait toujours connue. Murée, certes, mais connue. Ces cadavres ne représentaient pas la masse de ceux qu’il avait tués. Ils représentaient ses remords. Les corps laissés en arrière pour une juste cause. Cause qui n’était plus aussi juste, tout à coup. L’enfer était pavé de bonnes intentions. Et ici trônaient-elles.

Se relevant, le révolutionnaire frissonna. Il était trempé jusqu’aux os et le mal insidieux de ce temple de l’esprit lui glaçait la moelle. Il fit craquer sa nuque, ses articulations. Ce n’était qu’une embûche supplémentaire, un combat. Il devrait parvenir au sommet, alors il le ferait. Il n’avait pas le choix, c’était ça où rester ici. Et si quelque chose était éternel chez lui, c’était sa capacité à survivre à tout et n’importe quoi. Il enjamba le premier cadavre, tendant la main vers le second. Ce dernier leva un membre décharné que Rafaelo s’empressa de saisir. Il serra les dents, endurant la puissance de l’émotion contenue dans l’incarnation. Il ferma les yeux, gardant pour lui cette sensation. Les assassins ne ressentaient rien. Les assassins se muraient de leurs émotions. Mais celle-là … celle-là … C’était la seconde fois. La première aurait pu être un accident, une erreur. Celle-là non. C’était le choix d’une route, d’un chemin jonché de cadavres. Il avait ciblé, sélectionné et choisi de tuer. Jusqu’à la fin de ses jours. Il rompit le contact, considéra à nouveau la montagne qui se dressait face à lui. Si ces errances-là étaient les premières, que représentaient celles du sommet ? Et qui était cet homme qui siégeait sur tout cela. Il ne pouvait le distinguer d’ici, mais il était persuadé de le voir sourire. Mais il l’avait dit à Andy. Rien ne l’arrêterait, rien de l’empêcherait de se relever. Déjà la troisième main se tendait. Il ne se défilerait pas et affronterait son passé. Sa honte.
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Les errances de l’assassin étaient légion. Et une légion se tenait entre lui et le trône. Mais il n’avait pas failli à sa tâche. Qui eut cru que le maître à penser de la Confrérie était un homme d’émotions et d’instincts refoulés ? La mort était une composante essentielle de sa vie, et son besoin de la donner était devenu une drogue. Il avait canalisé ce besoin compulsif derrière le masque d’une confrérie et d’une Cause mais ne s’était jamais leurré sur sa condition réelle. La folie était au bout du chemin et il avait mis en scène la redécouverte de son parcours. Mais à quelle fin ? Cela n’aurait pas dû se passer ainsi, mais aurait-ce pu mieux se passer ? Il y avait quelque chose à apprendre de ce voyage initiatique : il était certes Rafaelo, mais il demeurait aussi Solomon. Il était un composite des deux, et chaque doute le rapprochait un peu plus de sa mémoire véritable. Deux âmes dans un même corps, prêtes à se réunir. De nombreuses fois, il posa genou à terre. De nombreuses fois il failli renoncer. Mais il y avait toujours cette même ferveur en lui. Il fallait que ses sacrifices ne soient pas en vain. Il devait à toutes ses victimes de devoir changer le monde. De devoir mener son combat en portant le poids de leurs âmes. Sa croix, en somme.

« Enfin te voilà. » trancha l’homme sur le trône.

Son visage était un rictus de colère, auréolé d’arrogance. Il était affalé, décadent. Evidemment, son visage était celui de l’assassin, un double parfait qui avait surmonté toutes ses erreurs et les foulait du pied sans vergogne. Il était l’incarnation de la raison pour laquelle il ne pouvait se débarrasser de sa honte. Il était doué d’une mémoire photographique parfaite, et n’avait jamais rien oublié ni omis. Seuls ses sentiments restaient humains, à un tel niveau. Et voilà qu’en face de Rafaelo se tenait ce qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas voué son âme à la Cause. Un monstre impossible à arrêter. Voilà ce qu’avait vu Uther, voilà quelle avait été sa faiblesse. Pourquoi se limiter à la révolution quand on pouvait tout avoir ? C’était peut-être la raison pour laquelle Uther haïssait autant Rafaelo et sa morale indéfectible. Les tentations auxquelles il avait été soumis, et qu’il avait laissées de côté. Ce qu’il avait laissé de côté malgré ses travers. Il avait résisté, n’avait jamais failli. Car il avait peur de ce qu’il serait devenu sinon.

« Je suppose que c’est un combat qui nous attend. » répliqua Rafaelo.

L’encapuchonné hocha de la tête, avant de se dissiper dans le vent. Mêmes pouvoirs, mêmes gestes. Ce ne serait pas évident …


Au-dessus du charnier, deux traînées de fumée s’envolèrent de concert. Se poursuivant dans les airs, l’une était plus claire que l’autre, identifiant Rafaelo face à l’incarnation issue de son esprit. Les deux émanations s’enlacèrent en prenant de l’altitude, laissant le son des coups échangés secouer le vent. S’éloignant et se frappant à plusieurs reprises, les deux hommes n’en finissaient plus. Poing levé, armes dressées. Anticipant leurs propres attaques, s’enfonçant dans le sol à chaque impact. Un duel de destins, qui déciderait qui de ce qu’il était devenu ou aurait pu devenir l’emporterait. Qui serait celui qui imposerait sa volonté, et qui se fondrait dans l’autre. Après de nombreux impacts, ils se retrouvèrent tous deux à terre, l’eau à hauteur du mollet. Essoufflés, blessés malgré tout, ils se toisèrent. Les forces de Rafaelo n’avaient pas été impactées par l’épreuve de ses souvenirs. Sa détermination n’en avait été que renforcée. Il était rempli de souvenirs, de raisons de se battre. L’autre, quant à lui, était rempli de sa propre arrogance, de ses propres bas instincts. Mais tous deux possédaient une fierté à toute épreuve.

Articulant une forme d’épée à partir de la fumée, ils se ruèrent l’un sur l’autre. Parant et esquivant, ils se mirent au défi de se blesser par le tranchant de leurs créations mais ils étaient les mêmes. Chacun se battait de la même manière, chacun anticipait les gestes de l’autre par le biais du mantra. Et chacun s’épuisait. Vint alors le moment où les deux épées se croisèrent pour la dernière fois, résistant l’une contre l’autre.

« Tu n’es pas l’assassin que tu devrais être : tu as toujours voulu plus ! Ma vision t’apportera beaucoup plus, vers des sommets inespérés … que tu ne pourras pas arpenter autrement. » hurla l’émanation noirâtre.

« Je ne te fais pas confiance sur ce sujet … » répliqua Rafaelo, renfonçant sa prise.

« Tu as besoin de mon aide : tu obtiendras un pouvoir plus grand qu’aucun homme. » continua l’homme, soutenant l’attaque de l’assassin.

« Tu n’es pas tout puissant, tu ne le seras jamais … » grogna le révolutionnaire, ployant lentement sous la force de son adversaire.

« Un jour tu le seras. » fit-il, transperçant l’épée de Rafaelo, perçant son épaule gauche.

L’assassin hurla de douleur à mesure que l’arme s’enfonçait dans sa chair. Elle traversa la clavicule, descendant sur ses côtes, commençant à les cisailler. Il attrapa la lame de sa main nue et entreprit de la repousser en serrant les dents. Puis d’un hurlement du plus profond de son être, il arracha l’épée à sa prise, faisant reculer son ennemi d’un pas. Ce dernier lâcha alors son arme, qui s’évapora. D’un pas, le révolutionnaire se rapprocha de lui. Sa main gauche perça alors sa poitrine, dans une gerbe de fumée noire. Son gant maculé d’un fluide noir avait percé la poitrine de l’émanation ténébreuse. Cette dernière s’accrocha au bras enfoncé dans sa poitrine, balbutiant de surprise. Le fluide du guerrier était ce qui le distinguait de celui qu’il avait été. C’était l’incarnation de sa volonté de combattre, de sa rage de vaincre. C’était ce qui le définissait à présent. C’était ce qu’il était devenu sur Skypeia.

« C’est … imp … impossible ! »

« Tu as oublié le plus important. Tu as oublié ceux grâce à qui tu en es arrivé là. C’est grâce à leur sacrifice que tu peux aujourd’hui te battre en leur nom. Tu ne te bats plus pour toi-même, Rafaelo, tu te bats pour tous ceux qui ne le peuvent pas. Ceux qui ne le peuvent plus. Ce n’est ni le destin d’un guerrier ou d’un assassin, c’est le choix d’un révolutionnaire. » fit-il, avant de retirer le bras du torse.

Reculant de deux pas, l’essence de ce qu’aurait pu devenir Rafaelo s’estompa avant même de toucher le sol, fondant alors dans le corps de ce dernier, s’engouffrant par toutes ses blessures. La fumée noire l’entoura dans un tourbillon infernal pour ne plus laisser que lui, entier. Il resta immobile quelques secondes, avant de lever ses deux mains et de les contempler comme s’il les découvrait pour la première fois. Il regarda autour de lui, ne distinguant plus qu’une immensité d’eau autour de lui. Les corps avaient disparu, le ciel était redevenu bleu. Un léger sourire s’épancha sur ses traits, à mesure que le tatouage de la corneille sur son poignet se désagrégeait. C’était fini. Il était enfin redevenu Rafaelo Di Auditore.
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C’était comme se réveiller lentement d’un songe qui n’avait que trop duré. Emergeant lentement, l’assassin se frotta les yeux et se redressa du lit sur lequel il était allongé. Combien de temps cela avait duré, il n’aurait su le dire. Quoi qu’il en fût, l’odeur d’un ragoût lui fit savoir qu’il n’avait pas mangé depuis longtemps. Dans un cliquetis métallique, il se leva et avança vers la cuisine de ce qui semblait être la cabane de Mangrove. Un coup d’œil par la fenêtre lui permit d’apercevoir le ponéglyphe qui trônait là, confirmant son hypothèse. Il découvrit sur la table deux assiettes, et la vieille femme en train de remplir ces dernières. Avec un doux sourire, elle fit signe à Rafaelo de s’asseoir. Il s’exécuta sans un son, ne tenant aucune rigueur à la vieille femme de son tour. Il comprenait qu’elle avait dû agir ainsi pour l’intérêt de son peuple et que son désir n’était aucunement de nuire à Rafaelo. Cette étape initiatique, ce rêve avait été un grand pas en avant pour lui. Il inspira longuement, ayant la sensation d’être enfin complet. D’être né de nouveau. Il attrapa une cuillère en bois, avant de contempler son poignet d’où le tatouage de la corneille avait disparu. Un sourire se dessina sur ses traits. Il n’avait pas prévu de recouvrer ses souvenirs ainsi, mais le voyage accompli avait été de taille. Il avait atteint son objectif, il avait survécu. Mais il y avait encore plus important que ça …

« Si je peux me permettre, qu’as-tu découvert au terme de ton combat, Rafaelo ? Quel était le dernier souvenir dont tu t’es emparé ? » demanda posément Mangrove, avec cette affection que les aînées peuvent transpirer.

Evidemment qu’elle était au courant de son amnésie, cette histoire était suffisamment épineuse pour qu’elle soit au courant. Ce dernier souvenir était la raison même de son combat et de la nécessité de sa survie, ce dernier souvenir c’était celui qui l’avait poussé à changer, à envisager pour la première fois sa survie. Celui qui lui donnait le désir de construire un futur meilleur et définitif. Il sourit.

« Je vais être père. » répondit-il, posant sa cuillère dans l’assiette.

Mangrove hocha la tête.

« Mange et reprends des forces. Tu en auras besoin. Apprendre le langage des ponéglyphes est une chose ardue. » conclut-elle sur un ton sibyllin.
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