Zaun, 1625.
A mesure de l’avancé du matin, la brume se retirait au large avec dans ses filets les derniers songes des vivants. Posant une main cadavérique sur le montant pourrissant de son refuge, le Cavalier s’extirpa dans un bâillement d’outre-tombe de l’amoncellement de planches. L’ancienne demeure de quelques miséreux chassés par quelques misérables. Les braves hommes étaient venus à sa rencontre minuit passée, apprendre au nouvel arrivant les rites du quartier pour ceux qui n’y avait pas leur place. A la lumière du jour, il restait uniquement d’abondantes traces de sang de leur passage. Les carcasses malmenées avaient du se trainer hors de la ruelle avant le réveil de leur bourreau. Bien que de grands cris furent poussés, personne n’avait daigné s’y intéresser. Les prochaines pluies gommeraient les derniers souvenirs de la cuisante branlée, dont seul les victimes garderaient mémoire.
Depuis son arrivé au port, les altercations se répétaient régulièrement. Une sorte de fête d’accueil locale organisée par d’hardis habitants souhaitant faire honneur à la réputation de l’île. La ville de Zaun n’aimait pas les étrangers et ne s’embêtait pas de métaphores pour leur exprimer. Ils toléraient les marins de passage à la rigueur, tant qu’ils ne causaient pas de problèmes et dépensaient jusqu’à leurs derniers berrys. Mais ceux qui posaient leurs valises ne bénéficiaient pas de la même clémence. Dans l’esprit général deux types d’étrangers existaient en ce monde, aussi détestables l’un que l’autre : les débrouillards venant piquer le boulot des natifs et ceux qui ne valaient pas un clou rejoignant le flot de déchets mendiants. Ils n’apportaient rien de bon et les citoyens se faisaient un devoir de leur rappeler, à coup de triques dans le meilleur des cas. Malgré son statut de pirate, le cavalier avait la malchance de ne posséder aucun des attribues de la profession. Tous les membres amarrés à bon port, aucun œil manquant à l’appel, pas de mousquet, de sabre ou de perroquet. Rien que des guenilles délavées par le temps et l’ombre de la mort sur les traits. Son corps osseux et l’odeur forte, mélange d’alcool et de croupie, ne corrigeaient pas la méprise s’il y en avait une. Par contre si on approchait, on se rendait compte d’un élément clochant derrière la couche de misère. Un éclat de folie dans le regard, le plissement d’un rire moqueur.. un truc. Un quelque chose que l’esprit ressentait sans comprendre. Si l’instinct de la plupart encourageait à garder ses distances, certains tentaient toujours leurs chances. L’alcool, le nombre ou l’absence de bon sens formaient un puissant rempart à l’esprit de préservation.
Sous le regard méprisant des passants, il cheminait dans l’air toxique de la cité, aux abords du quartier industriel. Une fine cendre jaunâtre, vestige de dégagements corrosifs, pigmentait les bâtiments avoisinants. Le rejet des industries, l’unique couleur d’un monde ténébreux. A cette heure la plupart s’affairait déjà à leurs tâches, motivé par une quête de l’élévation. Beaucoup se brisaient durant l’ascension sans fin, mais en ces terres seul le succès définissait l’homme que vous étiez. Arcbouté sur son bâton, notre clochard d’aujourd’hui et pirate des jours meilleurs cherchait quand à lui une demeure de l’ivresse où noyer sa conscience. Les adresses connues du forban avaient pour bon nombre disparues, écrasées sous la rude concurrence. Les rares à avoir tiré leur épingle du jeu ne lui auraient plus permis de s’abriter sous le perron un jour de déluge. Heureusement il restait le « Cochon Pendu ». Le standing de l’endroit restait toujours aussi lamentable mais sa superficie s’était agrandie sur les commerces avoisinants. Lieu de rencontre des ouvriers, dockers et marins de tous bords. Un coin idéal pour une journée de débauche. A cette heure, seul les travailleurs nocturnes et les restes de la veille gardaient le fort sous l’œil sévère du proprio au bar. L’atmosphère tranquille vacilla lorsque le Cavalier poussa la porte. Un courant d’air glacé et soufré sur les talons parcouru la salle, léchant l’échine des habitués de son souffle. Tout en se rabougrissant sur eux même, les hommes tirèrent le haut de leur col pour chasser la gène qui leur redressait le poil. Vaine tentative. Dans un silence profond, le vieillard se dirigea vers le bar, souriant à qui voulait bien croiser son regard. Le plancher raisonnait au fil de ses pas du claquement de son bâton dont l’écho se perdait. Le son brut affaissait et obnubilait les témoins de son arrivé. Le bar atteint, il glissa un bras osseux sur le comptoir et claqua deux fois du gourdin sur le sol pour marquer sa présence. Plus par mimétisme que par nécessité, les regards l’évitant mais ne pouvant l’ignorer.
- T’as à boire ?
- T’as de quoi payer ? rétorqua le commerçant au tact au tac.
Sortant une bourse bien rebondie de sa manche, le brigand la laissa choir dans un entrechoquement métallique. Une pièce d’argent apparue entre ses doigts se plaqua sous le nez du tenancier.
- Sors moi ce que t’as de mieux hé hé…
Le barman glissa la pièce dans sa bouche pour en vérifier l'authenticité et sortit une bouteille de sous le bar. Le bonhomme ne lui revenait pas mais du moment qu’on payait, il servait. Berni n’était pas le genre d’homme à se faire dessus dès qu’une sale tronche se pointait dans l’établissement. Il ne se démarquait pas dans la profession par la vente des meilleures alcools, mais tous les mauvais payeurs finissaient toujours par régler leurs dettes qu'importe leurs renommées. Même s'il devait aller les chercher par la peau du cul pour cela. Sa marque de fabrique dans le milieu, on ne plaisantait pas avec Berni. Le cavalier n’en attendait pas moins. Son sachet de caillasses et de déchets métalliques ferait l’affaire le temps de finir, après il lui suffirait de trouver comment sortir.
A mesure de l’avancé du matin, la brume se retirait au large avec dans ses filets les derniers songes des vivants. Posant une main cadavérique sur le montant pourrissant de son refuge, le Cavalier s’extirpa dans un bâillement d’outre-tombe de l’amoncellement de planches. L’ancienne demeure de quelques miséreux chassés par quelques misérables. Les braves hommes étaient venus à sa rencontre minuit passée, apprendre au nouvel arrivant les rites du quartier pour ceux qui n’y avait pas leur place. A la lumière du jour, il restait uniquement d’abondantes traces de sang de leur passage. Les carcasses malmenées avaient du se trainer hors de la ruelle avant le réveil de leur bourreau. Bien que de grands cris furent poussés, personne n’avait daigné s’y intéresser. Les prochaines pluies gommeraient les derniers souvenirs de la cuisante branlée, dont seul les victimes garderaient mémoire.
Depuis son arrivé au port, les altercations se répétaient régulièrement. Une sorte de fête d’accueil locale organisée par d’hardis habitants souhaitant faire honneur à la réputation de l’île. La ville de Zaun n’aimait pas les étrangers et ne s’embêtait pas de métaphores pour leur exprimer. Ils toléraient les marins de passage à la rigueur, tant qu’ils ne causaient pas de problèmes et dépensaient jusqu’à leurs derniers berrys. Mais ceux qui posaient leurs valises ne bénéficiaient pas de la même clémence. Dans l’esprit général deux types d’étrangers existaient en ce monde, aussi détestables l’un que l’autre : les débrouillards venant piquer le boulot des natifs et ceux qui ne valaient pas un clou rejoignant le flot de déchets mendiants. Ils n’apportaient rien de bon et les citoyens se faisaient un devoir de leur rappeler, à coup de triques dans le meilleur des cas. Malgré son statut de pirate, le cavalier avait la malchance de ne posséder aucun des attribues de la profession. Tous les membres amarrés à bon port, aucun œil manquant à l’appel, pas de mousquet, de sabre ou de perroquet. Rien que des guenilles délavées par le temps et l’ombre de la mort sur les traits. Son corps osseux et l’odeur forte, mélange d’alcool et de croupie, ne corrigeaient pas la méprise s’il y en avait une. Par contre si on approchait, on se rendait compte d’un élément clochant derrière la couche de misère. Un éclat de folie dans le regard, le plissement d’un rire moqueur.. un truc. Un quelque chose que l’esprit ressentait sans comprendre. Si l’instinct de la plupart encourageait à garder ses distances, certains tentaient toujours leurs chances. L’alcool, le nombre ou l’absence de bon sens formaient un puissant rempart à l’esprit de préservation.
Sous le regard méprisant des passants, il cheminait dans l’air toxique de la cité, aux abords du quartier industriel. Une fine cendre jaunâtre, vestige de dégagements corrosifs, pigmentait les bâtiments avoisinants. Le rejet des industries, l’unique couleur d’un monde ténébreux. A cette heure la plupart s’affairait déjà à leurs tâches, motivé par une quête de l’élévation. Beaucoup se brisaient durant l’ascension sans fin, mais en ces terres seul le succès définissait l’homme que vous étiez. Arcbouté sur son bâton, notre clochard d’aujourd’hui et pirate des jours meilleurs cherchait quand à lui une demeure de l’ivresse où noyer sa conscience. Les adresses connues du forban avaient pour bon nombre disparues, écrasées sous la rude concurrence. Les rares à avoir tiré leur épingle du jeu ne lui auraient plus permis de s’abriter sous le perron un jour de déluge. Heureusement il restait le « Cochon Pendu ». Le standing de l’endroit restait toujours aussi lamentable mais sa superficie s’était agrandie sur les commerces avoisinants. Lieu de rencontre des ouvriers, dockers et marins de tous bords. Un coin idéal pour une journée de débauche. A cette heure, seul les travailleurs nocturnes et les restes de la veille gardaient le fort sous l’œil sévère du proprio au bar. L’atmosphère tranquille vacilla lorsque le Cavalier poussa la porte. Un courant d’air glacé et soufré sur les talons parcouru la salle, léchant l’échine des habitués de son souffle. Tout en se rabougrissant sur eux même, les hommes tirèrent le haut de leur col pour chasser la gène qui leur redressait le poil. Vaine tentative. Dans un silence profond, le vieillard se dirigea vers le bar, souriant à qui voulait bien croiser son regard. Le plancher raisonnait au fil de ses pas du claquement de son bâton dont l’écho se perdait. Le son brut affaissait et obnubilait les témoins de son arrivé. Le bar atteint, il glissa un bras osseux sur le comptoir et claqua deux fois du gourdin sur le sol pour marquer sa présence. Plus par mimétisme que par nécessité, les regards l’évitant mais ne pouvant l’ignorer.
- T’as à boire ?
- T’as de quoi payer ? rétorqua le commerçant au tact au tac.
Sortant une bourse bien rebondie de sa manche, le brigand la laissa choir dans un entrechoquement métallique. Une pièce d’argent apparue entre ses doigts se plaqua sous le nez du tenancier.
- Sors moi ce que t’as de mieux hé hé…
Le barman glissa la pièce dans sa bouche pour en vérifier l'authenticité et sortit une bouteille de sous le bar. Le bonhomme ne lui revenait pas mais du moment qu’on payait, il servait. Berni n’était pas le genre d’homme à se faire dessus dès qu’une sale tronche se pointait dans l’établissement. Il ne se démarquait pas dans la profession par la vente des meilleures alcools, mais tous les mauvais payeurs finissaient toujours par régler leurs dettes qu'importe leurs renommées. Même s'il devait aller les chercher par la peau du cul pour cela. Sa marque de fabrique dans le milieu, on ne plaisantait pas avec Berni. Le cavalier n’en attendait pas moins. Son sachet de caillasses et de déchets métalliques ferait l’affaire le temps de finir, après il lui suffirait de trouver comment sortir.
Dernière édition par Le Cavalier le Sam 5 Déc 2015 - 19:15, édité 7 fois