Comme l’avait promis Mangrove, la suite du programme n’avait pas été une partie de plaisir. Les conséquences du voyage initiatique furent plus fortes que prévues, compte tenu du retour mémoriel de l’assassin. S’en étaient suivis de colossaux maux de tête, ainsi que plusieurs saignements de nez. La shandia en avait eu recours à l’écorce de bois-sang, qui se rapprochait le plus de ce qu’on connaissait sous le nom de morphine. Ou peut-être même des opiacés. Quoi qu’il en fût, le retour à la normale pour Rafaelo ne s’était pas fait sans douleur. Ils avaient ensuite passé le reste du temps à deviser autour de la symbolique des ponéglyphes, assis en bas de celui-ci. Avant tout, Mangrove avait insisté pour que l’assassin comprenne l’importance de ces pierres et pourquoi il fallait les sauvegarder à tout prix. Elles étaient le témoin d’une époque encore pire que la leur et elles recelaient des informations qui n’étaient pas bonnes pour tout le monde. Ainsi, elle désirait que le savoir se transmette mais pas à des fins de dévastation. Car rien ne pouvait sortir de bon de l’utilisation des armes antiques. Ce à quoi l’assassin rétorqua que faire jeu égal avec le Gouvernement était nécessaire. Mais qu’il visait la préservation du peuple avant tout. Cette réponse parut convenir à la vieille femme qui ne rajouta rien.
Elle prit le temps de lui inculquer le sens de chaque symbole, fronçant les sourcils à chaque fois que l’assassin faisait montre de sa mémoire absolue. Il associait les idéogrammes et leur signification en une seule fois, traduisant leur sens parfaitement lorsqu’elle revenait en arrière. Ils n’avaient pas devisé du changement opéré par le voyage shandia, mais Mangrove sentait au fur et à mesure qu’il y avait quelque chose qui avait changé depuis lors. Les mots de Rafaelo étaient plus posés, chaque action semblaient calculée et, alors qu’il s’était montré si emporté durant ces derniers jours, il était d’un calme olympien. Elle s’était attendue à une réaction violente suite au coup qu’elle lui avait joué, mais le jeune homme s’était contenté de lui dire que c’était de bonne guerre puis était passé à autre chose, comme s’il n’avait pas à s’encombrer de pareils détails.
« Ce sera tout pour aujourd’hui. » finit-elle par trancher, sans même faire broncher l’assassin.
« Quelque chose vous gêne, Mangrove ? » questionna Rafaelo, sans départir ses yeux du carnet vierge qu’elle lui avait confié pour noter sa progression.
« Je suis juste … fatiguée. Contrairement à toi. Je dois avouer que je suis surprise. Certes les herbes étaient censées t’aider à te prouver digne d’être parmi nous mais … je n’ai jamais vu un changement aussi radical. Avec les saignements et les maux de tête, je suis inquiète. C’est une réaction anormale. Je maintiens que tu aurais dû te reposer plutôt que de reprendre l’enseignement aussi vite. C’est trop pour un seul homme. » expliqua la vieille shandienne, en croisant les bras.
L’assassin soupira, referma le cahier. L’ombre projetée par le ponéglyphe cachait ses traits, mais il n’était pas difficile de deviner qu’il était contrarié. Mangrove, quant à elle, était inquiète. Et cela se voyait. Peut-être avait-elle manqué d’amour maternel à donner ? Ou alors cela se révélait dans ses vieilles années. Une parfaite grand-mère. Une grand-mère qui vous empoisonnait pour une ridicule tradition, afin de se penser autorisée à vous enseigner un langage qui ne lui appartenait même pas. Mais grand-mère avant tout.
« C’est tout à fait normal. Ce sont les effets secondaires d’un autre phénomène. Votre substance hallucinogène m’a fait me confronter à quelque chose que je n’avais pu anticiper : ma propre amnésie. Ma mémoire, jusque lors, remontait à, plus ou moins, un an. Votre voyage m’a permis de redevenir entier à ce niveau. Cela vient s’ajouter à un autre facteur. Je suis atteint de ce qu’on appelle une hypermnésie. Je possède une mémoire absolue. Ce qui a certainement engendré ces effets indésirables : céphalées et saignements. Et je me rends compte que si je parle ainsi, c’est certainement à cause de l’overdose d’écorce que vous m’avez infligé. Je suis en train de vous transmettre des informations confidentielles qui pourraient vous mettre en danger. Mais je n’arrive pas à m’arrêter de … parler. » continua l’assassin, sondant le fond de son bol avec un sourcil levé.
Il ne s’était pas rendu compte à quel point il était enivré du bois-sang. Il fit une moue désapprobatrice, comprenant que ce qui étonnait Mangrove c’était qu’il aurait dû succomber aux effets de la tisane depuis bien longtemps. Il aurait dû dormir, se reposer. Et en bonne grand-mère feuillage, cette dernière avait tenté de l’empoisonner à son insu une fois de plus au lieu d’insister pour qu’il dorme.
« Je n’ai pas le … temps de dormir. Mangrove. Je dois attendre que Shaïness ait terminé ses affaires et la voir. Si je dors, je vais louper quelque ch.. ch.. chose. C’est très important. Il va falloir que je contacte l’Umbra. C’est très … très important. Ils sont en … danger. Mais je ne peux pas le faire sans avoir vu Shaïness av.. avant. S’il vous … plaît. » fit l’assassin, avant de s’enfoncer la tête dans son bol.
Gavé de jus d’écorce, l’assassin se roula en boule à terre, soufflant comme un bœuf. Il n’avait rien détecté d’hostile dans la manière d’agir de Mangrove, et pour cause : elle avait voulu le forcer à se reposer. Mais c’était retors. Très retors. Quoi qu’il en fût, il ne la vit pas tirer une couverture. Il ne la vit pas avoir l’air préoccupée en prenant sa tension. Et il ne la vit pas partir au loin avec un baluchon. Pas plus qu’il n’entendit le rugissement colossal qui secoua la jungle quelques dizaines minutes plus tard …
The moon song
La terre se mit à trembler. Ce fût l’herbe qui en fut secouée, oscillant face à l’avènement d’une chose colossale. Les pierres roulèrent à terre, puis les rochers s’entrechoquèrent. Jusqu’à ce que le ponéglyphe lui-même se mette à vibrer. L’homme assoupi se réveilla alors en sursaut, affublé d’un terrible mal de tête. Se tenant le crâne, il posa la main à terre et tenta de se relever. Quelque chose dans son corps lui criait de fuir, dans l’instant. Il s’accrocha à la ruine mythique pour se mettre debout. Ils furent tout à coup plongés dans l’ombre, il faisait nuit sur Skypeia. L’assassin leva les yeux. Une créature immense venait de masquer le soleil sur cette partie de l’île, et son passage venait de secouer la jungle entière. Tournant sur lui-même, le serpent à plume rugit de nouveau, secouant les arbres. Rafaelo regarda autour de lui, cherchant Mangrove pour lui dire de se mettre à l’abri. Mais de la vieille femme, nulle trace. Il ferma alors les yeux et laissa son mantra s’étendre autour de lui. La voix de la créature était d’une force inouïe, suffisamment pour le faire déglutir et déclencher une légère frayeur chez Shaïness à quelques dizaines de lieues de là. Mais malgré la force de cette chose, il distingua un point perché sur sa tête. Un point qui cherchait à s’accrocher, envers et contre tout. Mais que faisait cette vieille chouette là-haut ?
Sans réelle raison logique, l’assassin posa sa main à terre et augmenta sa densité à un point tel que la poussière s’organisa en spirale autour de lui. Les gravats roulèrent vers lui jusqu’à l’instant où il relâcha la pression, fendant le sol. Il s’envola dans une traînée de fumée qui obscurcit le ponéglyphe et fusa en ligne droite vers la créature qui se tortillait dans les airs. Tournant autour de sa gueule pendant que sa mâchoire se refermait sur la fumée intangible, il apparut aux côtés de la shandienne qui tenait des écailles et des plumes entre ses mains. Une nouvelle secousse faillit les faire tomber tous les deux. Attrapant Mangrove par la taille, Rafaelo s’accrocha à une plume du serpent, ce qui le fit rugir de douleur. Il ne chercha pas à savoir ce que la vieille femme faisait là. Il se laissa simplement tomber puis ralentit sa chute d’une décharge de fumée à quelques mètres du sol. Atterrissant sans pertes, il posa Mangrove contre le sol, à des lieues de sa demeure. La bestiole voyageait vite. Très vite. Elle fit demi-tour, ne perdant pas une miette des mouvements de l’assassin. Il gageait que cette chose utilisait un atout bien différent de la vision pour le localiser. Et si ce serpent baignait dans les forces mantresque de l’île, il y avait fort à parier que son mantra était bien plus puissant que celui de Rafaelo …
« C’est ma faute … je … je voulais récupérer … » commença à s’expliquer Mangrove.
« Peu importe, cette chose est réveillée. Que faut-il faire ? Y-a-t-il un moyen de la renvoyer d’où elle vient ? » coupa Rafaelo, avisant le serpent qui louvoyait vers eux.
« Non .. Kulkutanne a faim. Kulkutanne doit manger. Elle ne se reposera que le ventre plein … mais elle n’aurait pas dû se réveiller avant le siècle prochain ! Il aura fallu quelque chose d’autre pour la réveiller comme un … comme un … » commença à paniquer la shandienne, chose qui rendait la situation encore plus effrayante.
« Un choc suffisamment violent pour secouer l’île … comme un vaisseau sélénite effectuant un atterrissage forcé ? » pesta l’assassin.
Etait-ce aussi un des plans d’Alincourt ? Lâcher cette chose sur l’île si jamais ils n’arrivaient à rien face aux sélénites ? Bon dieu, ce type était … un enfoiré très futé. Digne de respect, pour ses plans alambiqués. Mais … une pourriture. Fallait pas se mettre à le respecter non plus. Pour l’heure, cette Kulkutanne représentait une menace. Heureusement, Shaïness et son Dragon Céleste étaient à l’autre bout de l’île, ils ne devraient pas avoir vent de cette malheureuse histoire avant un petit moment … à moins que cela ne dure trop.
« Je suis désolé, ma vieille, mais tu risques de tout faire foirer … » fit l’assassin, faisant craquer ses doigts.
Un regard vers Mangrove. Non mais … il montra d’un geste le serpent qui arrivait puis leva les yeux au ciel. Evidemment que non, ce n’était pas elle la vieille ! Enfin si, mais … Bon. Tant pis. Il se tourna vers la menace qui ouvrait grand la gueule vers eux. Il était temps d’utiliser les vieilles combines et d’attirer la bestiole loin d’ici, vers la mer blanche de préférence. Il s’envola donc droit dans les airs, laissant une trainée caractéristique derrière lui. L’instinct animal de la créature la fit aussi tôt bifurquer vers la proie la plus intéressante à se mettre sous la dent. L’assassin tourna autour d’elle puis se dirigea vers l’extrémité de l’île. Il atterrit en bord de terre, à quelques mètres du vide. Le serpent à plumes géant fit de même, se redressant pour fondre sur le menu fretin qui se dressait face à lui. Pas très intelligente, la bestiole enfonça ses crocs dans la terre. Roulant sur le côté, l’assassin parvint à éviter la gueule béante et frappa de sa vieille épée contre les écailles imperméables du monstre. La lame ricocha sans lui faire plus de mal qu’une mouche. Ce ne serait pas … facile.
Sentant le coup malgré tout, la créature envoya sa queue frapper Rafaelo. L’appendice passa à travers lui sans mal. Deux types d’armure, mais tout aussi efficaces l’un que l’autre. Il lui fallait viser les points sensibles. Bondissant de nouveau sur la créature, il arma son gantelet métallique pour frapper son œil. La troisième paupière de Kulkutanne rendit cette perspective superflue. Le gantelet rebondit, forçant Rafaelo à se rattraper tant bien que mal à un morceau de terre, jambes pendues dans le vide. Passer d’une densité suffisante pour blesser au combat à une autre beaucoup plus faible pour voler n’était pas encore automatique. Mais au moins, pour se désincarner, il n’avait pas ce problème. Il se hissa sans mal, atterrissant sur ses deux pieds au bord du précipice. S’enroulant sur lui-même, le serpent rugit au visage de cette proie capricieuse qui ne voulait pas se faire gober. Ce fut là que la solution s’imposa à l’esprit de Rafaelo. Mais non. Hors de question. Il ne passerait pas par là. Non. Pas la peine d’insister.
Il était de nouveau entier. Toujours diminué par son mal de tête mais l’adrénaline du moment semblait suffire à l’envoyer en arrière-plan. Il inspira un grand coup. Ce fluide si facile à venir lorsqu’il était encore cette coquille vide. Il ne l’avait pas découvert plus tôt, sans savoir pourquoi. Mais il savait à présent que le fluide combatif était en lui. Cela faisait de lui un guerrier, un homme issu de la guerre. Etaient-ce tous ces conflits qui avaient fait émerger en lui cette facette de sa personnalité ? Etait-il devenu un soldat, à force de s’éloigner de la route de l’assassin qu’il avait été ? À agir au grand jour, à pouvoir soutenir la charge d’un géant. Il comprenait à présent l’euphorie qui saisissait son frère à chaque fois qu’il usait de son fruit. Ce sentiment de puissance, de se tenir au-dessus du commun. Affublés, certes, d’une terrible malédiction. Mais ce pouvoir, en retour, était ahurissant. Il serra le poing, contemplant la créature qui se tenait face à lui. L’heure de prouver que son voyage avait été instructif était venue. Il inspira profondément, fermant les yeux. Le temps parut ralentir, et il se mit en position de combat.
Kulkutanne n’attendit pas que l’introspection de sa proie fusse achevée pour lui foncer dessus. Gueule ouverte, elle étendit son corps gargantuesque et tenta de le happer de sa grande gueule. À l’instant même où elle s’approchait de lui, il ouvrit les yeux, ses demains maculées d’une étrange matière noire. L’instant d’après, ce fut une tête reptilienne qui émergea de l’essence de l’assassin. Puis un corps et des ailes. Enfin vinrent les griffes. D’abord en nuance de gris, la forme se prit d’un masque noir sur l’avant du corps, à l’instant où le dragon de fumée frappa le serpent géant. Le choc secoua la fumée, et les griffes du dragon s’enfoncèrent dans la chair du prédateur. Bien plus petite, la créature mythique grise et noire enfonça sa gueule bardée de crocs ténébreux dans la chair écaillée du serpent. Les deux légendes roulèrent dans la forêt, écrasant flore et faune. Puis le fracas de vertèbres arrachées se fit entendre et l’émanation draconique se volatilisa dans une explosion de fumée. Le vent du bord de l’île eut tôt fait de dissiper le miasme grisâtre pour révéler un immense forme allongée dans la forêt, baignant dans une mare de sang fumante. Sa gorge avait été lacérée et ouverte, répandant fluides et organes aux alentours. Au milieu du spectacle écoeurant se trouvait un homme, agenouillé dans le liquide carmin. Maculé de sang, il soufflait comme un bœuf. Mais malgré l’épuisement physique qui se lisait sur son visage, un sourire béat s’y épanchait. Un bien-être absolu, celui d’être enfin devenu entier. D’avoir pu allier passé, présent et avenir. Tremblant, il se releva, ignorant les quelques soubresauts de la créature qu’il avait mis à bas. Il tituba jusqu’à tomber à genoux, puis face contre terre. Son visage trempait à moitié dans le sang de Kulkutanne. Il leva une main pour tenter de se relever mais Morphée l’accueillit bien avant que sa main ne puisse toucher le sol.
- Dragon Slash:
Ce fut un petit tressaillement. Un mouvement dans le sang qui commençait à sécher, sous l’astre déclinant. Les cheveux maculés, l’homme restait assoupi, trempant dans le fluide carmin. Il respirait à grand peine, secoué par d’innombrables cauchemars. Un piaillement retentit, faisant bouger ses yeux sous ses paupières. Il bascula sur le côté, entre l’éveil et le sommeil. Il s’arracha à la gangue de sang séché et grommela quelques mots inaudibles. Il se mit sur le dos, la main sur la poitrine. Ses paupières entrouvertes distinguèrent quelques formes mouvantes sans qu’il ne puisse esquisser un seul mouvement. Il sentit cependant son bras se soulever au contact de quelque chose de rugueux. Puis un autre poids s’abattit sur sa poitrine. Sur sa jambe. Sur son épaule. Il gémit de douleur, papillonnant des paupières.
Respirant avec difficulté, il fit tout d’abord une forme floue. Ondulant et oscillant au-dessus de lui. Il entendit un sifflement qui lui vrilla les tympans. Puis il eut faim, très faim. Il grogna, tenta de se relever. Un poids trop grand reposait sur lui. Il ouvrit les yeux pour admirer quatre têtes reptiliennes lui faisant face. Des serpents bardés de quelques plumes collantes, qui le regardaient de leurs pupilles brillantes. Rafaelo inspira avec difficulté, tentant de se dégager de la prise. Les créatures passèrent à travers lui, ne pouvant se maintenir sur la fumée. Il se recomposa quelques mètres plus loin, assis. Sa main sur sa poitrine, il entrouvrit sa tunique pour révéler une blessure béante, fumeuse. Le poison de Kulkutanne était corrosif et il l’avait atteint à travers ses vêtements. Il gémit encore une fois de douleur, tandis que les petits s’approchaient de lui, louvoyant dans le sang de leur génitrice. Ils ne faisaient pas plus d’un mètre, mais arboraient déjà les caractéristiques physiques de leur espèce. Du moins, ce qui y ressemblait. Ils ne pouvaient voler, et l’assassin se demandait d’où ils venaient. Il inspira profondément, puis fut de nouveau harassé par cette faim harassante. Les petits le contemplaient de leurs grands yeux luminescents. Ils sifflèrent.
« Du vent … je suis pas à bouffer … » lâcha Rafaelo, agitant vainement un bras.
Cela ne sembla pas décourager les petits qui vinrent se lover contre lui, enserrant son bras puis sa jambe. Ils agitèrent leur bouche, révélant leurs crocs mous, et claquèrent des mâchoires. Faim, faim. Ils communiquaient avec lui par un biais qu’il ne pouvait comprendre, ressentant leurs besoins comme s’il les ressentait lui-même. C’est une forme d’empathie, élaborée. Il en poussa un qui sembla geindre lorsqu’il roula à terre. Il revint rapidement à la charge.
« Mais c’est quoi ça encore … » se plaignit l’assassin, dont la blessure commençait sérieusement à l’handicaper.
Puis ce fut un autre sentiment qui le saisit à bras le corps. Quelque chose de puissant, contre lequel il ne pouvait lutter. De l’amour. De l’amour pour ces petites bouilles reptiliennes et leurs grands yeux bleus. Il se redressa en jurant, puis posa sa main sur sa blessure. Lentement, la fumée commença à s’échapper entre ses doigts, se concentrant pour essayer de dissiper cette blessure. Des perles de sueur commencèrent à glisser sur son front, puis il relâcha le tout en soupira de soulagement. Sa peau était comme neuve, le venin ayant coulé à terre. Il ressentait toujours la douleur, mais était hors de danger à ce niveau-là. Les petits serpents vinrent de nouveau se coller à lui pour réclamer leur pitance. Les ignorant, malgré ce qu’il ressentait, Rafaelo se leva et commença à inspecter le cadavre du serpent à plumes géant. Il lui restait un goût âcre dans la bouche, et l’inspection des blessures prouvait la sauvagerie avec laquelle il avait mis fin aux jours de cette créature mythologique. Griffures et morsures. Il avait pu maintenir sa forme draconique plus longtemps qu’auparavant, prouvant par là qu’il avait encore progressé. Il avait même réussi à en recouvrir une partie avec ce fluide combatif. C’était une première notable. Il avança le long de la carcasse, sillonnant les écailles de la créature, multicolores. Les petits le suivaient toujours, sifflant de faim.
La créature était vieille, très vieille. On pouvait voir des cicatrices, des épées plantées même. Des lances. Un regard arrière sur les petits. Il n’imaginait pas combien de temps il leur faudrait pour grandir ainsi. L’assassin se secoua la tête. Voilà qu’il envisageait déjà de les adopter. Bon sang. Il ferma les yeux, étendant son mantra. Comme il s’y attendait, les petits étaient étrangement puissants dans la For… Ahem. Il perçu la présence d’une personne non lui de lui et devina rapidement qu’il s’agissait de Mangrove. Elle était seule, et beaucoup de créatures avaient fui lors de l’impact entre Kulkutanne et Rafaelo. Il se dirigea vers elle, toujours suivi par les serpents. L’un deux parvint même à sauter sur son épaule à et s’y lover. Il avait légèrement battu des ailes. Bon sang, ces machins apprenaient vite.
« Mangrove ? » lâcha Rafaelo.
« Non. » répondit une voix.
Merde. Ce fut un Shandia qui sortit de là, lance en main. Il aperçut l’assassin, maculé de sang et entouré de serpents à plumes, puis hurla quelque chose d’incompréhensible avant de lui lancer son arme au visage. L’objet passa à travers Rafaelo qui soupira.
« Calme, calme … c’est moi, Rafaelo, vous vous souvenez ? Du monde d’en-dessous, copain avec la Lune Noire : Tenna et Sanji. » tenta-t-il de l’apaiser.
Peine perdue : il disparut dans les arbres.
« Bon, ben je suppose qu’il va falloir vous trouver à manger. Ça mange quoi un serpent à plumes, d’ailleurs ? » lâcha l’assassin, croisant les bras.
« Voilà, comme ça. »
La vieille shandienne semblait douée avec les petits. Elle leur distribuait de grasses proportions de viande et les petits se régalaient. Rien à voir avec les fruits que Rafaelo avait tenté de leur donner. Les bestioles étaient carnivores. Uniquement carnivores. Il observa leurs dents acérées et le venin qui en perlait. Ils grandiraient en vraies saletés. Une chance pour lui de devoir les quitter. Mangrove lui avait appris que ces créatures communiquaient par le mantra et que la légende prétendait qu’ils l’avaient transmis à Dieu il y avait des siècles de cela. Puis que Dieu l’avait transmis aux hommes. Une touchante légende si on ne considérait pas le cadavre gigantesque d’un serpent à plumes à l’autre bout de l’île.
« Ils ont l’air de bien vous aimer. » remarqua l’assassin, avec un sourire.
L’un des petits, rassasié, s’était lové entre les bras de la shandienne. Il n’était pas difficile d’anthropomorphiser ces animaux. Leur tempérament était très proche de ceux des humains et le mantra n’y était pas pour rien. Ils se gorgeaient de ce qu’on leur envoyait, et c’étaient les humains qui les avaient trouvés en premier, en la personne de Rafaelo. Cela faisait de lui leur mère de substitution. Que demandait le peuple …
« Je vous les laisse, ils seront bien mieux avec vous qu’avec moi. Il faut que j’aille retrouver Shaïness. » fit l’assassin, esquissant un geste de sa main.
Posant doucement le petit, Mangrove s’approcha de lui. Elle glissa dans sa main un paquet, enrobé de feuilles épaisses.
« Voilà ce que j’étais allé chercher pour toi. C’est un remède puissant, qui te permettra d’évacuer les toxines de ton corps. Le poison que tu as utilisé avait d’autres effets secondaires que tu ne mettras pas beaucoup de temps à découvrir. Le hasard a fait que le remède que je cherchais était non loin de l’antre de Kulkutanne, et que c’était un secret que je possédais. Mais dès les premières apparitions des effets, utilise cela. » fit la vieille femme, fermant les doigts de l’assassin sur le paquet.
L’assassin fronça les sourcils. La shandienne était visiblement au fait de certaines choses qu’il ignorait. Il accepta l’offrande d’un signe de la tête, et glissa le paquet dans sa sacoche. Mangrove sourit. Visiblement, il s’était passé quelque chose durant le voyage initiatique que Rafaelo ignorait. Une chose suffisamment importante pour que la femme se sente concernée par la sauvegarde l’étranger et amusée par ses frasques continuelles. Elle se retourna vers les serpents et lança un morceau de viande à l’un d’entre eux. Il l’attrapa goulûment, tandis que l’un de ses frères dardait une tête au-dessus des autres, cherchant des yeux où était passé l’autre humain. Il siffla, tourna sur lui-même mais ne vit que la fumée.