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L'effet boule de neige



La nuit était sombre, froide et probablement pleine de terreurs. Lentement mais sûrement, l'embarcation s'approchait de l'île si reconnaissable à ses sommets quasiment cylindriques, ses rives gelées et son froid hivernal. Adepte de la translinéenne, je ne comptais plus les heures que je passais sur chaque bateau, ponctuées de débarquements quelconques mais nombreux pour d'énièmes transferts me rapprochant de la coque qui m'emporterait vers ma destination finale. Le temps se faisait long en haute mer, surtout lorsque l'on était seule, mais j'avais appris à apprécier cette solitude comme j'avais appris à haïr la compagnie. Déambulant tel un spectre de fourrure, je me retrouvais systématiquement à pointer l'horizon, les prunelles confondant le ciel bleu, gris ou noir et les embruns marins dont la froideur trempée me faisait systématiquement frémir dans mon manteau en daim. J'ignorais éperdument le personnel de bord que je payais une fortune, le capitaine et ses terreurs nocturnes, le quartier maître et ses mains baladeuses. Je me complaisais, là, au bord du bastingage, les bottes au bord du vide, mes gants en soie bruns tenant fermement le cordage, dans la misanthropie qui me caractérisait. C'était pur, immaculé.

Le drakkar, ce navire de guerre scandinave au fret minimaliste mais à la vitesse de croisière suffisante, faisait chanter la mer en transperçant les vagues. Le bâtiment prouvait, malgré son aspect désarmé, qu'il n'avait en rien perdu de son splendide, car foudre de guerre il demeurait. J'avais fixé l'écume sous le soleil et la lune, formant des bancs blancs sous la poupe du navire à mesure que celui-ci fendait la mer et m'étais perdue dans mes pensées, la vision quasi-opaque, floutée comme par myopie ou défaut de mise au point. Je n'avais pas dormi, j'avais pensé à cette chose, à cet homme que j'avais connu, si l'on pouvait appeler ça comme ça. Ça n'étaient que deux ans mais ça en paraissait cinquante pour moi, comme de quand l'on dit que les années passent trop vite, celles-ci s'étaient écoulées comme si l'on avait dénombré chaque grain passant l'horizon du sablier.

C'était pour cet individu que l'on m'avait dépêchée, qu'Ao Novas m'avait transmis en hâte une missive de toute urgence, un contrat à remplir, une mission, une enquête. Craig Kamina. Cet homme-poisson avait eu l'opportunité de s'élever dans la hiérarchie, de devenir un puissant soldat, de prouver cette vaillance qu'il dissimulait en son sein et qu'il ne sortait que pour les grandes occasions. J'avais côtoyé cet homme et désormais je devais prendre le risque de devoir l'éliminer, comme pour n'importe qui. Un agent du Cipher Pol n'a point d'attaches, une règle intangible qui ne figure nul part, mais que l'on apprend tôt ou tard à respecter. Point d'attache, c'est à dire personne à apprécier, personne à aimer, prendre son cœur et l'enfermer dans une boite en fer hermétique, prendre ses sentiments et les découper au cutter. Tant de fois je m'étais laissée aller, à me déchirer dans la torpeur de ces nuits moites où les souvenirs surgissent, où la schizophrénie point et où le mal-être devient cette unique émotion, caractéristique de mon organe malade. Dans des instants de faiblesse, mon esprit ravagé par l'alcool, accueillait la folie à bras ouverts, laissait cette petite voix au fond de moi déployer son amour pour mieux me rappeler que je l'avais perdu. Anna.

Craig Kamina, reconverti en docteur, membre des Toubibs Twenty semblait s'amusait dans le confort de sa désertion. L'olibrius avait mis pied à terre depuis longtemps et n'était jamais revenu, jamais. Peut-être que, lui aussi avait un cœur malade, un esprit fébrile qui l'empêchait d'accomplir son devoir, d'être fidèle à son travail, de bosser pour cette institution qui l'avait recueilli et fait sienne. Non, la fuite avait toujours été son remède ou du moins je pense le savoir, je pense me rappeler, je l'invente. Les souvenirs se mêlent à une vision impure des choses, des pensées parasites qui s'entremêlent à la vérité, ma façon de penser binaire qui se rassure, se ressaisit en mettant tout dans des cases pour que ça ne puisse plus jamais en sortir. Mon cerveau est un alliages de cages et de victimes emprisonnées, qui crient leur innocence, pirates présumés, criminels probables et innocents torturés.

On ne faisait pas l'erreur d'aider un Révolutionnaire deux fois, le Gouvernement avait ses sources et l'île de Drum n'était pas préservée des petites araignées qui moucheronnaient au plus offrant leur quota d'informations, comme s'il s'agissait de bon argent. Cette tornade de pensées qui s'emmêlait dans mon crâne me faisait déjà saliver à l'idée d'éliminer une nouvelle partie de ce qui m'avait faite, moi, Anna, mon passé, pour laisser place à cet androïde insensible qui ne se contorsionnait pas la nuit dans des spasmes de chagrin. J'allais enquêter sur Craig et mettre fin à sa carrière, j'allais le bousiller et le rendre au véritable monde, le traiter en justice pour ses actes infâmes, lui faire goûter son sang amer qui découle de s'être frotté à l'ennemi et de nous avoir abandonnés, de m'avoir abandonnée. J'espérais tout au plus qu'il en ressortirait la chance inouïe de décrocher des informations, d'être la privilégiée qui saurait où dénicher le seigneur de guerre de la Révolution, tenant entre mes griffes son médecin de campagne. Cette pensée me suffit à broyer le fil tissé que je tiens dans mes mains, à serrer les points et attendre patiemment de voir la terre se rapprocher. Et elle se rapproche.

Nous accostons en douceur, la côte nous avale, nous réceptionne, enfant que nous sommes dans les bras de notre mère, la poupe brise la glace qui se compartimente sur l'eau salée comme tant de petits glaçons flottant dans un verre de rhum. Sous la glace, un quai froid et glissant semble se prolonger à la gauche du vaisseau, comme le bras d'un mendiant et nous son humble aumône, incrusté dans la banquise tendre et fraiche. Nul besoin d'attendre que le pont de cordes rudimentaire soit installé, relié à la bitte précaire gisant ensevelie, pour quitter le navire ; l'excitation d'accoster, d'aller à la rencontre de Craig me donne une énergie suffisante pour me propulser par dessus le bastingage. J'atterris légèrement sur le pont, diligentée dans une figure gymnastique proche de la roue depuis le bastingage. J'apprécie sobrement le crépitement des cristaux de glaces sous le caoutchouc de mes semelles, ignorant la faiblesse traîtresse du verglas en me déplaçant avec la souplesse que saurait avoir un félin. Dans l'horizon ténébreux du paysage enneigé, mes yeux semblent chercher mon lien avec le passé, je l'imagine là-bas planqué dans cette vallée ou encore dans cette forêt de pins toute décorée de blanc ou bien encore dans ce village pittoresque à flanc de montagne. Mon visage se déforme d'un magnifique sourire, qu'un non-initié ne saurait reconnaître, des pattes d'oie se plissent au coin de mes yeux dans une ultime regard borgne définissant la malice, mon nez légèrement retroussé hume abondamment l'air froid pour mieux apprécier ce moment divin. Mon cœur pulse de l'adrénaline dans mes vaisseaux sanguins et telle une bête féroce sur les traces de sa proie, j'avance mécaniquement dans l'inconnue froide et ténébreuse, grise qui me laisse grisée.

Je n'avais jamais aimé les médecins.
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Des planches d'anatomie tapissent mon plancher. Vieilles et poussiéreuses, elles ont roulées sur les décennies, mais n'sont en rien périmées : le corps d'un homme-requin n'évolue pas assez vite pour semer la science. Je fais les cents pas dessus, oh, elles sont devenues paillassons. Barbouillées d'esquisses et de notes par les nombreux crayons qui ont frottés leur graphite sur elles, s'entasses en de disgracieuses boursouflures, s'immiscent vénalement dans les fractures de ma cabane. Oui. Un gruyère, ma cabane. Déchiquetée en partie par le blizzard d'il y a une semaine. Les clous et moi, ça fait trois. J'serais trop tenté de m'empaler la palme si j'en manipulais. Alors je la laisse ainsi, ma cabane. En gruyère. Ça sied à ma condition d'asticot parasite.

Les toubibs me détestent. Moi aussi.

M'opérer moi-même. J'peux compter que sur moi sur ce coup. Trop... De honte. Je serai mon propre cobaye, j'en suis certain. Ils me riraient au pif, me prendraient pour un dingue. Me conseilleraient plutôt de passer voir un psy, qu'il ouvre ma caboche pour en extirper toute cette gadoue nauséabonde qui m'a pollué. Restes à planifier ma méthode pour que je puisse rouler sur le sentier périlleux de ma folie sans me renverser.
Mourir éventré par mon incompétence serait une mort bête. Avant de tenter quoique ce soit d'ambitieux et de grossier, je dois partir en reconnaissance à travers ma tripaille. Cartographier précisément mon organisme. Les planches d'anatomie n'sont que des boussoles. Pour un travail si dangereux et contre-nature, je dois connaître sur le bout des doigts le territoire que je m'apprête à conquérir.

Et la question du matos se pose : où que j'trouverai les organes qui composeront le futur puzzle de mes entrailles ? Qui serait assez dingue pour accepter de m'en fournir quelque soit mon utilisation, mis à part un timbré suicidaire au coeur noir ? Personne de volontaire oui, on est d'accord. Est-ce que j'pourrais me rabaisser à voler de la viande à des pauvres bougres non consentants ? Non, j'crois pas. Aucune raison d'franchir cette frontière là, pour le moment. L'éthique est la dernière bouée qui m'empêche de sombrer pour de bon dans les abysses de la démence. Dans la boue je suis né, dans la boue je respire, de la boue j'suis devenu, dans la boue j'périrai. A partir de là, pétri dans mon existence bourbeuse, j'ai la sensation d'être libre d'mes choix, d'avoir de comptes à rendre à personne, de pouvoir descendre aussi bas que j'le souhaite dans les caves sordides de mon âme et d'y foutre le feu si ça me chante.

Alors tout n'est pas si noir, au final. Je m'affranchis petit à petit du regard des autres. La solitude aide probablement à dynamiter les derniers ponts qui me restait. Première fois que je me sens indépendant. La palme du frangin ne m'atteint même plus.

Je sortirais bien prendre l'air un peu. A rester cloîtré comme ça, j'commence à avoir l'impression d'être enfermé dans un aquarium d'eau croupie, à respirer mes propres crottes. Ma porte s'ouvre en craquant, ses gongs gémissent et son bois effrité m'empale les doigts. Ma porte est la seule partie d'ma cabane à avoir bénéficiée d'un peu d'mon attention, mais je suis mauvais charpentier. Elle ressemble plus à une barricade hérissée de clous qu'à l'entrée d'un cabinet médical. Tant pis. Mes clients sont rarement très à cheval sur les conventions.

L'air de Drum m'accueille dehors, pur et glacial. De la brume toute la journée, des silhouettes tentaculaires qui dessinent le contour de la-de MA forêt. J'ai fini par apprendre à considérer ce lieu comme mon domaine, un sanctuaire. J'comptais y séjourner, seulement, mais plus le temps coule et plus j'suis tenté de le transformer en ma résidence secondaire, mon point d'repli lorsque j'aurai repris les voyages et que j'ressentirai la nostalgie des blizzards, des avalanches, du froid mordant et des loups hurlants à trois heures du mat'.

C'est un cocon de glace dans lequel j'me sens au chaud. Dans lequel mûri le nouveau Moi.
Pourtant, j'ai cette impression bizarre qu'aujourd'hui quelque chose viendra abattre cette paix que j'ai érigé.
Elle vient probablement du vent. D'habitude, il s'engouffre entre les branches pour produire un concert de sifflements et de craquements glacés. Aujourd'hui il reste muet. Comme pour me permettre d'apprécier ces pas lointains derrière le voile de brume, qui pataugent dans mon marais.

... Qui êtes-vous ?
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Viens, saisis ma main. Je te tiens désormais, silhouette seule, perdue dans cette forêt, médiocre. Qui es-tu à présent ? Le vent secoue tes vêtements rapiécés, ta tignasse s'anime, elle cherche à t'échapper, mais qu'es-tu maintenant ? Ton propre corps ne veut plus de toi, Craig. Monstre. Sale monstre. Pirate. Saisis ma main et sauve-toi de moi.

J'avais atteint le village le plus proche au milieu de la nuit. Un Toubib Twenty, Craig Kamina, ça vous dit quelque chose ? Des gaillards dans une taverne, d'autres médecins, ils savaient où il était oui, leurs voix imbibée d'alcool me l'avaient dit, mais peut-être que ça n'était pas dans leur intention première. L'alcool et les secrets, hein, mais la curiosité tout de même ; leur langue se déliait trop vite pour suivre les pensées brumeuses de leur cerveau aliéné. Pourquoi ? Une patiente, j'étais sa patiente, j'avais besoin de ses soins, j'avais besoin de lui plus explicitement, alors, d'un regard qui voulait tout dire, ils m'avaient redirigée ici, dans ce bosquet perdu, à l'écart de tout, à l'écart de rien. L'endroit où irait un fuyard, je contemplais sa demeure, une petite chaume barricadée, des planches clouées aux fenêtres et à l'entrée. L'homme-poisson était sorti faire une petite balade nocturne et je le contemplais avec des yeux ravis. Je le savais, je le lisais, son visage décriait la folie qui s'était emparée de lui, un fuyard ou bien un fou. Quelle différence ça faisait ? Aucune.

- ...qui êtes-vous ?

L'odorat des homme-poissons, oui, je m'en souviens. Il m'a sentie, il me sait là, quelqu'un l'épie et il doute, dans le froid, les palmes vissées dans la poudreuse, le museau pointant la cime des montagnes. Il attend, il cherche. Lentement je recule, je me camoufle un peu plus, je m'éloigne. Par la pensée je cherche à lui communiquer ma négation : "ce n'est rien, rien que le vent". Oui, Craig, retourne chez toi, la Justice va revenir pour toi plus tard. Il s'exécute, rentre chez lui et je fais de même. Je t'ai vu Craig, je t'ai vu. Je sais que tu es là, tu sais que je suis là. Oh s'il-te-plait fuis. Rends la chose plus intéressante, fais le pour moi, prouve que tu es coupable. Comme tous ces pirates qui fuient quand ils me voient. Tous pirates, tous coupables.

***

- J'aimerais louer une chambre pour la nuit. Peut-être plus, on verra. Tenez, gardez la monnaie. Merci, bonne soirée.

J'étais retournée dans la petite bourgade du doux nom fondant sympathiquement sous la langue de Blyktrovitch. Je ne m'étais pas faite chier, j'avais vite fait de l'appeler "le Village" ou bien "ça" comme nombre de choses inintelligibles qu'on pouvait trouver dans le coin. Je n'avais particulièrement rien à dire sur l'accueil, sur la populace, sur les jeunes filles chaleureuses qui venaient servir l'hydromel en souriant, sur les comptoirs en ébène sur lesquels de braves hommes venaient appuyer leurs coudes pour siroter leur whisky, le regard dans le lointain. Les gens riaient, racontaient des histoires, se voyaient déjà à la prochaine fête du cerisier, dans leur kimono traditionnel, embrasser les flocons roses portés par le vent. Oui, si je devais fuir quelque chose, moi aussi je serais venue ici. Je le sentais, comme si c'était dans mes gènes, qu'on pouvait noyer ses remords dans ce pays, qu'on pouvait y vivre reclus et en paix avec soi-même... tant que l'on n'était pas un homme-poisson.

Je m'étais attablée avec un inconnu, tout du moins à mes yeux, mais on prétendait que c'était un homme digne de confiance. Je misais gros en venant lui parler, pour peu qu'il n'indiquait pas dans les deux directions. Son nom ? Aucune idée, il était jeune et blond, je l'appelais Billy.

- Mandrake ?? Oups pardon, moins fort, désolé m'am. Mandrake... bien sûr que j'ai vu que c'était lui, je l'ai reconnu tout de suite. Il avait un grand manteau, il ressemblait à deux gouttes d'eau, comme à ce m'sieur Mandrake sur les affiches. J'étais dans la forêt, j'cherchais du bois pour le feu pas loin de la baraque de ce sale monstre de Kamina, quand j'le vis sortir de chez lui en boitant. Ouep m'am, c'était bien ce m'sieur Mandrake, j'vous dis.

La conversation démarrait mal, mais j'acceptais de croire à cette histoire, aussi saugrenue puisse-t-elle être, elle tenait debout. Enfin, j'aurais pu continuer à croire si le bonhomme ne s'était pas totalement fourvoyé par la suite. Tout bascula soudainement lorsque l'indic se pencha par dessus la table au milieu de ses agrégations, comme pour me raconter à l'oreille un secret inavouable. Je sus dés lors que tout ça n'était que du baratin et mon regard vira au rouge.

- Vous savez, dans le coin, on l'aime pas trop le Craig... Les comme lui, tout ça... Hein m'am, vous me comprenez n'est-ce pas ? Ces saloperies d'homme-poissons, ça devrait pas exister ici, hein ?

Cela suffisait. J'en avais assez entendu. A ces mots je basculais subitement contre le dos de ma chaise, exaspérée. Il n'y avait jamais eu de révolutionnaire, de Mandrake, seulement des habitants trop peureux qui voulaient voir la bestiole chassée comme un vulgaire chien errant. Craig était un déserteur, mais il était innocent. Tout un monde venait de s'abattre alors que j'écrasais ma cigarette dans le cendrier prévu à cet effet, entre l'indicateur et moi. Je me mordais la lèvre jusqu'au sang, un bonimenteur, qu'est-ce qui m'empêchait de le tuer ? Il faisait perdre son temps et son argent au Gouvernement, à la Justice. Non, non, il n'allait pas s'en tirer comme ça. J'étais venue pour Craig, pour cette mission, pour le rendre aux geôles dans lesquelles il devait finir sa vie, croupir comme les insectes de son genre. Alors, sans prévenir, je choppe le jeune homme par le col et le tire vers moi.

- Écoute moi maintenant Billy, j'en ai assez de tes conneries. Mandrake n'est jamais venu ici, n'est-ce pas ? Réponds par oui ou par non.

Comme prévu, le gosse hoche la tête maladroitement. Autour de nous, les conversations s'arrêtent, des chuchotis raisonnent dans le silence ; les autochtones nous observent, m'observent, épient chacun de mes gestes mais restent éloignés par la peur de l'inconnu. Tous, ils sont tous dans le coup. Ils n'interviendront pas, j'en suis sûre, je les connais.

- Mets ta main droite sur la table, Billy. Fais-le, maintenant.

Le garçon s'exécute, sous la pression de ma main sur le petit col blanc de sa petite chemise autour de son petit cou. Aussitôt, je délie le couteau de chasse de son fourreau attaché à mon ceinturon et l'enfonce dans le dos de la main du menteur. Celui-ci pousse un long gémissement en réponse à la douleur qui secoue son bras de spasmes inarticulés.

- Maintenant tu as intérêt à me donner un véritable motif de capturer Craig Kamina ou je te jure que tout ce village va en payer le prix. Je te le jure, Billy, je te le jure.

J'attends une réponse et je le fais savoir, vite, j'enflamme la plaie de ma victime en tournant lentement l'arme dans le creux de ma main, comme je l'avais fait précédemment avec ma clope dans le cendrier. Le môme lâche des glapissements, l'un des témoins intervient tout en restant à distance.

- Ça suffit, monstre, vous ne voyez pas qu'il ne sait rien ?!

Je m'arrête, subitement, figée comme une statue. Lentement, je me lève alors, furieuse, et retire soudainement le couteau de la main du gamin. Puis je me dirige vers celui qui a osé parler, celui qui a osé lever le ton, le seul qui a eu les couilles de m'invectiver dans mon action. C'est lui le chef ? Oui, probablement. Un homme d'âge mûr, bien bâti, un chasseur, trappeur ou je ne sais quoi d'autre. Il n'a pas peur de moi mais je vois dans ses yeux le dégout et l'horreur. Des fuyards, peut-être, mais il ne fallait pas trop être différent hein ?

- Tu sembles en savoir plus alors toi dis moi ? Tu n'as pas l'air d'avoir peur pour toi, mais tu n'as pas une famille, une femme, des enfants ? Tu sais ce que je suis n'est-ce pas ? Prête à tout, à vraiment tout. Alors dis moi, maintenant, ou je rase ce village et vous vide tous de votre sang avant le lever du jour. Oh oui, je le ferai. fais-je dans un sourire crispé et glacial, ma prunelle fixant ses yeux tour à tour pour finir par y déceler le doute, puis la peur finalement. Des paroles, des paroles pour tous les faire céder, rien de plus.

- Je... Craig Kamina, c'est un monstre. Son apparence, ses expériences...

L'homme s'interrompt dans un silence gêné. Je lève un sourcil, pourquoi il continue pas ? Juste au moment où ça commence à devenir intéressant, juste au moment où j'entrevois la possibilité d'avoir un mandat de capture, juste au moment où j'espère pouvoir éliminer Craig Kamina s'il me résiste. Après tout, rien ne m'empêchait de le réduire au silence pour l'éternité, il n'avait jamais soigné Mandrake, ce n'était qu'une rumeur, c'était juste un renégat comme les autres. Après tout, je pouvais simplement le supprimer, rendre la Justice moi-même et nettoyer cette pourriture de traitre, de fuyard, de lâche s'il décidait de me tenir tête. Lâche, comme moi d'ailleurs. Mon passé, sa mort, il doit disparaître. Alors je me fends à nouveau d'un sourire encore plus grand, encore plus effrayant, dévoilant l'intégralité de ma dentition dans une expression carnassière. Oh oui réponds moi, pauvre fou, réponds moi maintenant ! Juste à cette question, donne moi la réponse que je veux, donne moi ma raison d'aller maintenant chez lui et de lui arracher le cœur.

- Quelles expériences ?
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Les sévices que j'ai porté hier et avant-hier à ma tête resurgissent en maux douloureux.
Des allers et venues de marginaux qui veulent se débarrasser d'une identité envahissante. Profils très différents mais au fond, tous les mêmes. Obnubilés par le passé, la seule issue qu'ils entrevoient est de l'effacer. Voir des types louches régulièrement pénétrer dans la forêt pour en ressortir... différents, ça a nourri l'imaginaire collectif de ces contrées. Des toubibs 20, je suis l'un des bizarres, des OVNIs, des anomalies, de ceux qui s'entourent de coriaces légendes aux relents parfois nauséabondes.

De temps en temps, quelques touristes locaux viennent confronter la réalité de ces mythes. Aucun n'a le cran de prolonger l'investigation jusqu'à ma cabane, surtout alors qu'elle est encerclée d'une ceinture de marais qui fait office de douve. C'est peut-être l'un de ces curieux que j'ai entendu. Des innocents qui veulent se faire peur. Et qui détalent lorsqu'ils sentent un vrai embryon de terreur se former en leurs coeurs. Mais ça pourrait être aussi n'importe quelle bestiole sauvage de la région. Drum dans ses hivers est très vivante sous son apparence de nature figée dans une stase blanche. J'me triture trop la tête, comme d'habitude.

J'grimace puis souris, sarcastique envers moi-même. Le "Qui êtes-vous" sonnait comme une amorce de vieux conte d'horreur dont je serais une victime avec la tête du monstre. J'me laisse tomber du haut de mon pallier et atterri à pieds joints dans la boue gelée qui forme un anneau croûteux autour de ma planète de glace. Les lèvres laissant s'échapper des bouffées d'une épaisse grêle blanche -forcer mon corps à subsister par ce froid a bien du me refiler des engelures aux poumons-. Les jambes patinent. Du verglas striant la boue.

Si quelque chose se terre là-bas, il me suffira d'avancer vers lui pour le forcer à se manifester. Je m'enfonce dans le brouillard.

Les silhouettes sont bruyantes et le vent empli de murmures dérangeants. Les broussailles trahissent des présences importunes. Si je veux pouvoir dormir tranquille cette nuit, je dois éloigner les choses qui rôdent dans le coin. J'vais aller vérifier que rien n'est allé s'empêtrer dans mes douves de boue. Ou que rien n'est tombé dans mes pièges de fortunes entre les troncs... à base de boue eux-aussi.

Parce qu'il reste, mine de rien, toujours l'infime risque que le GM ait lâché ses chiens après moi. Je crois pas en valoir la peine, mais la rancune des grandes instances prend souvent le pas sur leur raison. Il suffirait qu'il veuille faire de moi un exemple pour que toute ma sérénité s'effondre.

Ils toucheront pas au calme de ma montagne,
Ni aux visions d'avenir que peignent mes talents croissants en chirurgie.
Dans un mois, un an ou dans une décennie peut-être, je serai humain.
Il suffit de regarder ma palme droite, regardons-là. Elle n'est plus une palme.
Mais un moignon noir serti de doigts typiquement humains. Mon premier donneur "consentant" fut Daniel, ce gouvernemental véreux qui a voulu changer de sexe chez moi avant de retourner sa veste et d'approcher son poignard. J'ai pris le dessus, me suis retrouvé avec un cadavre et beaucoup de peines sur le dos. De la déception, une nouvelle dose de méfiance envers l'humanité, mais aussi une occasion, une occasion géniale.

C'aurait été con de perdre toute cette peau. Je lui ai pris la peau de ses doigts puis ait extrait la mienne. Facile avec le matériel et la technique pour. Enrouler de la peau autour de mes doigts dénudés. C'était tout juste un peu plus complexe que rouler une cigarette. Aujourd'hui un peu de Daniel a survécu en moi. Le reste de son corps pourrit au fond de l'un de mes marais.

J'ai l'impression que cette brume glaciale m'a envahie l'esprit.
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Choux blanc. J'avais lâché l'affaire, des informations erronées, des mensonges, un flou artistique, très peu d'éléments qui me permettaient d'incriminer l'homme-poisson et le passer à tabac. Je m'étais barrée, dans la neige, seule et loin de ce village. Tant pis pour la chambre que j'avais réservée, je trouverais un autre endroit où dormir. Lorsque j'avais quitté la taverne, décontenancée, partiellement furieuse, j'avais senti les regards chargés de haine et d'appréhension des villageois. Rien de plus naturel, mais je devais me contenir à l'idée de leur renvoyer la balle, de moi aussi les foudroyer un par un et leur faire payer le temps précieux qu'ils m'avaient faite perdre. Au lieu de cela je m'étais enroulée dans les pans de mon trois-quart noir trop-grand-mais-juste-assez et avais rebroussé chemin vers le désert humain, un monde meilleur, vide de tous ces sentimentalistes suintant leur peur par tous les pores de leur peau rosâtre du premier étranger venu, ces humains dégoutants.

- Anna-chan s'est perdue ?

- La ferme !

Je déambulais dans la poudreuse, dans un horizon imperméable qui m'avait inconsciemment menée à tourner en rond. Entre temps le vent s'était levé, la neige se faisait plus drue et tombait en gros flocons. Un blizzard, peut-être, je ne pouvais pas prendre le risque de mourir de froid. Le prochain village était encore à quelques kilomètres et il n'y avait personne sur les routes.

- Pourquoi ne pas aller voir Crague ! Je l'aime bien Crague, moi ! Il est drôle. solutionna la voix de la gamine.

Plus le temps passait et plus je m'étais habituée à cette mioche, non sans pour autant l'apprécier ou me l'être appropriée. J'avais fini par comprendre qu'elle faisait partie de moi, c'était cette enfance que j'avais perdu, cette innocence que j'avais dissimulé tout ce temps, cette naïveté dégoutante et cette gentillesse bienveillante qui avaient, un jour, caractérisé la Anna que je n'étais plus. C'était moi, avant d'être moi.

- Vu que tu es si maligne, dis moi pourquoi tu irais t'engouffrer dans la gueule du loup ? Je dois l'éliminer, à tout prix.

- Han ! Mais c'est pas bien de tuer les gens, Anna-chan !! Pourquoi tuer les gens lorsque tu peux être leur ami ?

J'oblique le regard vers le sol, l’œil dur ; ma botte fauche une boule de neige qui se disperse en millier de petits flocons.

- Je n'ai pas d'amis, que des ennemis. répondis-je, marquant un long moment de pause avant de relever l’œil pour dénoter la proximité d'un sous-bois ; il était sur mon chemin. Les amis, la famille, ça disparaît un jour.

- Mais Anna-chan n'est pas heureuse ! Anna-chan a besoin de gens à aimer et qui l'aiment... Moi j'ai besoin de ça, Anna-chan...

- La ferme ! Toi tu n'es rien de plus qu'une invention de mon esprit... non, de ma mère... Tu es le produit d'une expérience, d'un médicament, alors la ferme, la ferme, LA FERME !

C'était elle la cause de tout ça. Des fois il m'arrivait de penser à eux, de jour je crispais simplement les poings en essayant de les oublier, mais la nuit je me réveillais systématiquement comme noyée à l'appel de cette idée. Tant de sentiments contradictoires, tant de sentiments, trop de sentiment.

- Si je les revois un jour, je leur ferai payer, je leur arracherai ce qu'ils ont de plus cher et le réduirai en morceaux.

Sur ma droite, le bosquet devenait de plus en plus visible, j'allais bientôt le dépasser. Et si ça n'était pas une si mauvaise idée, après tout, d'aller le voir, de m’immiscer chez lui, de trouver des indices pour l'inculper, pour le capturer, pour l'éliminer. La mort, c'était mon objectif, la mort de cet homme-poisson, la mort de ces éléments qui m'ont faite, les uns après les autres. J'espérais me défaire, j'espérais marcher à reculons. Était-ce une solution ? Je ne savais pas, mais la machine était lancée et j'allais délier ce qui était, j'allais me rendre sans attaches et peut-être un jour, je redeviendrais unie. Oui, si je voulais trouver des indices, autant allez directement chez lui, remplie de mensonges, étaler mon venin et le mordre au cou lorsque l'occasion se présenterait. Oui, merci Anna, merci pour ce conseil faramineux.

- Et après nous irons faire les boutiques ?

J'entreprends donc de changer ma route pour traverser le sous-bois environnant et déboucher dans le marais fétide que j'avais déjà traversé précédemment. Je prenais bien garde à où je mettais les pieds, çà et là des cadavres en décompositions ou blanchis par le temps témoignaient de la dangerosité du bourbier. J'en ressors néanmoins intacte, un piège de ce type était devenu un jeu d'enfant pour moi. J'avais déjà eu à faire à pire.

Elle était là, encore, toujours, immuable. Un peu plus grande qu'un chalet, un peu plus petite qu'une maison. Ridicule, noyée sous la blancheur de la neige, les murs en granit décolorés semblaient renvoyer en eux-même un sentiment de méfiance chez les observateurs. Le décors avait tout d'un lieu abandonné, froid, glauque et s'il n'y avait pas eu le renégat pour l'habiter, on aurait facilement pu supposer que l'endroit était hanté. Je décide de m'avancer, de faire face à ce destin improviste, de jouer le jeu. Je me découvre à l'oeil vigilant planqué derrière une fenêtre, un pas, deux pas, trois pas et me voilà devant la porte. Je toque, j'attends que l'on vienne m'ouvrir ; oui, que l'on me laisse entrer, où te caches-tu Craig ?

Lentement alors, la porte s’entrebâille, laisse voir trois doigts, un œil craintif et une mèche de cheveux gras lui coulant sur le front. Mon regard dérive, il a cru apercevoir quelque chose qui n'allait pas, mais je n'arrive pas à identifier ce que c'est. Je me concentre sur mon arrivée, sur ma bienvenue, le bobard que j'allais inventer pour que le traitre le boive comme du petit lait. Je fronce les sourcils, tâche d'adopter l'expression teigneuse que j'avais l'habitude d'avoir avec l'hurluberlu, le sourire en coin comme pour simuler un quelconque sentiment de joie dissimulée, du style "ça fait plaisir de te revoir mais je n'ose pas l'avouer". Je me suis entrainée à l'artifice de me faire passer pour ce que je ne suis pas, ça fait longtemps, allez crois-moi.

- Salut Craig, quoi de neuf ?


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 4 Nov 2015 - 11:11, édité 1 fois
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J'aimerais savoir qui tu es, avant toute chose.

Qui êtes-vous ?

Je me répète, je hais ça. Merde. Mes paluches crispées sont enfournées dans leurs gants, ainsi je n'ai aucun complexe à lui présenter ma droite semi-humaine. Si je ne sue pas trop, elle ne se doutera de rien. Guère besoin d'énormément d'analyse pour saisir que quelque chose ne va pas. Que la présence d'une femme usée aux mirettes vitrifiées par d'étranges doutes à onze heures du soir n'augure pas une jolie nuit.

Elizabeth, Craig ! Tu me reconnais pas ?
Elizabeth ? Ah ? Ah oui...

Je devrais être content de la retrouver, je suppose. Un gentillet souvenir de Las Camp et de 1624 mon année légère. L'année où j'ai enfourché mon destin pour enfin apprendre à le dompter. C'est lointain. Si lointain. Mon Moi de l'époque me paraîtrait être un étranger si j'avais l'occasion de me confier à lui : bâtard mélange d'insouciance et de maturité neuve, le Craig d'antan serait probablement dégoûté de découvrir ce qu'il allait devenir d'ici deux ans ; et je l'emmerde, ce guignol.

Je me sens loin de moi-même. Alors d'Elizabeth...
Une donzelle gentille et plutôt vive, de mémoire. Et enrobée d'un mystère que je n'ai jamais vraiment cherché à percer. J'ai pas vraiment la tronche à m'épancher sur le passé, puis hors de question que j'la laisse profiter du décor de ma piaule nauséabonde. D'un autre côté, j'peux pas la renvoyer chez elle non plus. Elle a du faire un putain de chemin pour venir ici me causer. Un chemin qu'elle n'a pas pu trouver par hasard.

Euh... Qu'est-ce que tu veux ?
Je passais par là, et j'me suis dis que je pourrais en profiter pour passer te faire un petit couc...
Non. Tu dois avoir une raison.

Ma méfiance semble s'abattre sur elle avec le tranchant d'une hache, aïe. Elle fait la moue.

Bon, j'ai entendu des histoires bizarres dans l'village d'à côté...
Ah ?
Qui parlaient d'un drôle de requin médecin qui camperait dans la forêt. J'me suis dis que ce genre de bestiole ça courrait pas les bois, alors...
Ouais.
Alors j'ai tenté le coup. J'ai nulle part où me pieuter. Je suis... exténuée.
Ah bon ?

L'est vrai qu'elle a une petite poche sous son oeil survivant.

Leur auberge ?
Complète.
Merde...
Tu veux pas de moi ?
Hmm, c'est pas ça, je... Attends deux minutes, je remets de l'ordre dans ma baraque. Je te fais rentrer après.

Elle accepte en se rétractant entre ses épaules. Je souris de tout mes crocs miteux avant de faire claquer ma porte, et d'commencer l'inventaire de ce qui doit disparaître à tout prix. Toutes ces preuves qu'ici, je m'contente pas de lire des bouquins d'aventure devant la cheminée. Tout doit disparaître.

Planches anatomiques. J'en garde quelques unes mais. Pas toutes. Une vingtaine de squelettes et d'organes d'homme-requins imprimés, elle va se douter qu'il y a obsession. Déchire. Tu déchires. On déchire.

Petites empreintes rouges. Décolorées par le moisi. Ça devrait pas trop l'aiguiller sur leur origine...

Les petits sacs d'ongles. Faut virer. Juste... Faut virer, c'est tout. Pourquoi j'ai pas balancé ça avant ?

Mes carnets de note... J'écris comme un porc qui aurait contracté parkinson. Elle décryptera pas la vérité là-dessus.

Je rassemble ce barda, dans un premier temps. Peut-être que si j'en fais un tas monstrueux, ça la découragera de fouiner dedans ? Bah, elle est pas enquêtrice putain. Enfin, je suppose qu'elle ne l'est pas. Mais rien ne me murmure le contraire non plus. Pas le moment d'y penser.

Vieilles seringues usagées. Parfois réutilisées plusieurs fois sur des clients différents. Les moyens du bord. On broie jusqu'à ce que ça ne devienne plus qu'une purée de verre méconnaissable, puis on jette. J'aurais du jeter ces saloperies putrides tôt ou tard, de toute façon.

Ma trousse de matos chirurgical. Elle sait que j'suis toubib. Elle sait sûrement même que j'suis devenu toubib 20. Pas louche que j'en aie une. Je laisse.

La chaise d'opération... J'ai le droit d'en avoir une. Rien ne l'interdit. Et toc.

Des lambeaux de peau nécrosés dans un coin, résidence d'hiver des vers. Qu'est-ce que ça fout là ça, putain ?!

Craig ? Je peux rentrer ? Commence à faire froid.
Il fait pas moins froid à l'intérieur de toute façon ! Je dois...
Tu as quelque chose à cacher ou quoi ?
Je... Ouais, plein de pornos et des objets bizarres ! C'est la honte hihihi !
Hein ? T'es sérieux ?
Je veux pas que tu vois ça !

Les écailles de mes doigts. Bordel. Ces tartines rugueuses. Dire que je suis né avec. Mais j'ressens aucune nostalgie envers elles. Je voulais en faire des trophées pour ma première conquête... Les circonstances veulent que mon succès se privera d'icônes matérielles, tant pis.

Bon je mets tout ça où.
Bon.
Bon bon...

J'tombe à genoux, j'glisse mes gants dans l'une des nombreuses fentes acérées du plancher. Plaies que le blizzard avait ouvert. Arrache des planches. Délicatement. Pas de bruit. Une seule planche, ça suffira. Tout tombera dans la neige en contrebas. J'aurais du penser à ce plan B avant, j'aurais du me douter qu'un jour ou l'autre, j'aurai besoin d'un refuge physique où entasser mes secrets.

Planche se décolle. En grinçant un brin, rien d'audible. Le vent et les bruissements dehors doivent amortir ce son, c'est sûr.
Vite. VITE. Les ongles, les feuilles réduites en confettis, les cadavres de seringues, les peaux, les écailles, les conneries dégueulasses, les horreurs diaboliques tout comme les horreurs plus proches du coeur.
Ci-gît ma honte.
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Pour le jeu d'acteur, je fais semblant d'être frigorifiée, d'appeler à l'aide comme si d'une seconde à l'autre je vais me transformer en glaçon. Il me croit, il s'active à l'intérieur, camouflant ses... revues dit-il mais je n'en crois rien. Il a quelque chose à cacher et ça m'excite, à l'idée d'entrer chez lui, à l'idée de passer au peigne fin le moindre centimètre de sa baraque et de tomber sur ce qui le révèlera comme ce qu'il est réellement.

- C'est bon, tu as fini ? demandé-je d'une voix anormalement aigüe comparé au ton froid sur lequel j'ai l'habitude de m'exprimer.

Je joue le jeu, oh ça oui. Je suis impatiente, il est gentil, il m'héberge et moi j'en profite. On va dire que je suis comme ça, une fouine, une profiteuse, la fille qui débarque à l'improviste pour crécher chez un ami qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Personne n'aime ça, mais personne ne peut rien faire contre, à moins d'être comme moi, à moins d'en avoir rien à faire et de claquer la porte au nez d'une telle personne. Mais Craig n'est pas comme ça, il n'a pas changé, il m'aime bien. Enfin, la porte s'ouvre à nouveau, libérant les effluves nauséabondes de la baraque et de l'homme-poisson qui vit dedans. Oui, déjà à l'époque c'était un problème, je me rappelle bien, l'horreur dans ce conduit de ventilation. Je ne peux m'empêcher de sourire, mais me reprends aussitôt, comme contrariée, coupable de rire. L'homme-requin laisse dépasser le bout de son museau, planqué derrière sa planche en bois, il m'invite à entrer. Je m'exécute, candide, je regarde l'état du chalet. Aussi moche, aussi puant, aussi délabré à l'intérieur qu'à l'extérieur. Un vrai trou à rat, mais ça ne m'étonne pas de l'individu dont je me souviens de tout sinon de sa propreté.

- Ben dis donc, c'est sacrément le foutoir chez toi.

Il fait pas spécialement chaud non plus, du coup pour plus de cohérence je garde mon manteau, même à l'intérieur. Une pièce, un plancher qui grince, des murs aux teintes fades, à la tapisserie déchirée, une partie du toit écroulée et le vent qui souffle des copeaux de neige à l'intérieur par ce même trou dans le plafond. Question mobilier, on est pas mieux lotis non-plus : une table à manger étrangement vide mais grasse, deux chaises dont une qui semble à la fois inconfortable et fragile, une chaise d'opération et tout le matos qui va avec, un coin cuisine et un coin popo. En dépit des deux chaises libres, je choisis donc de me poser sur celle qui semble la plus solide, suivie de mon hôte qui, le regard hésitant, finit par se poser doucement sur le siège douteux. Après un silence pesant et particulièrement glauque, je profite de lancer un sujet de conversation lambda pour fouiller discrètement du regard l'endroit.

- Et donc tu pratiques quoi comme type d'opérations ?

Le voilà qui déblatte donc sur ses activités en tant que médecin, la chirurgie esthétique, guérir ou empirer les maladies, greffer des mains dans le dos, des trucs comme ça. Je hoche la tête au profit du monologue, la paume de ma main droite soutenant mon visage, l'oeil biffurquant sur des dixièmes de secondes de ci de là pour essayer de trouver des choses louches. D'ailleurs, les choses louches, c'était pas ce qui manquait. En soit, tout était louche, mais pas dans le sens du terme que je l'entendais. Je parlais évidemment d'aspects criminels, de preuves à conviction, un truc qui me ferait soudainement plaquer ma couverture pour lui enfoncer le crâne dans la table et l'assommer temporairement avant de décider de la sanction adéquate.

- Mais, tu n'étais pas dans la Marine avant ?

Mince, ma question est un poil trop saugrenue, le voilà qui rabat son caquet à la recherche d'une réponse adaptée, d'un mensonge à me balancer au visage, comme son haleine puante. Comment avais-je pu m'acoquiner d'un tel énergumène, étais-je folle, étais-je faible d'esprit ou bien tout simplement innocente. Non, ma question est rhétorique, inutile d'y répondre. Oui, la Marine, il l'avait quittée, opérer des gens c'est ce qui le bottait le plus.

Au bout d'une dizaine de minutes de conversation, j'affiche une mine déconfite. Tous les éléments semblaient contre moi, impossible de déduire quoi que ce soit de l'environnement qui nous entourait. Il avait forcément planqué un cadavre quelque part, mais de là à savoir où, impossible de le savoir.

- Ah, moi qu'est-ce que je fais actuellement ? Et bien figures-toi que moi aussi j'ai rendu mon tablier depuis Las Camp, depuis j'ai entrepris de découvrir le monde île par île. C'est trèèès dangereux, mais lorsque l'on a des amis comme toi sur qui compter, y'a pas à s'en faire. blablatais-je de façon mielleuse.

Il surenchère, il pense visiblement que je suis heureuse d'écouter ses bobards de tourne-casaque, il n'en est rien, je suis juste contente qu'il ait la langue aussi bien pendue. Mais je me dis aussi que finalement le décors m'a trompée, que je n'arriverai pas à trouver quelque chose de louche au premier regard, non. Sauf Craig, qui en lui-même est louche. Je le regarde d'ailleurs, oui, c'est ça, crois que tu as toute mon attention. Son faciès arbore toujours la même expression de confusion, comme s'il devait se défendre de quelque chose, comme s'il avait quelque chose à planquer ; instinctivement ses mains suivent le mouvement, tapotant frénétiquement des doigts... Des doigts entourés de laine, étrangement emmitouflés dans des gants noirs bien épais. Oui, ce détail m'avait déjà choqué, un homme-poisson avec des gants, c'est rare. Je me permets un coup d’œil un peu plus insistant, notamment sur l'un des gants qui semble déchiré, quelques fils se baladant çà et là sans que le propriétaire ne s'en soit rendu compte. Et comme la laine est noire ne je le remarque pas immédiatement, mais son poignet semble étonnement différent. Sa peau ? Oui, elle n'est pas normale, elle n'est pas pareille. Non, j'en suis persuadée maintenant, elle est humaine, elle n'est pas à lui.

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Meurtrier ou simple voleur de cadavre ? Peu importe, je suis sûre que ça ne respecte pas la déontologie des médecins de pratiquer de telles choses. Bon sang, c'est pire que ce que je pensais. L'homme-poisson effectuait bien des expériences et si mes doutes se vérifiaient, c'étaient des expériences sur lui. Il fallait que je le fasse, il fallait que j'arrive à lui enlever ses gants.

- Oh, je suis si fatiguée... Tu penses qu'il serait possible de m'offrir un thé ?

Oui, c'est faisable. Comme le bonhomme s'est assis, il se relève de sa chaise bancale et se déplace jusqu'à son réchaud pour mettre de l'eau à bouillir dans une casserole à l'hygiène plus que douteuse. Je profite que l'individu me tourne le dos pour me laisser aller à afficher un sourire machiavélique, le visage tordu dans un rictus fondamentalement mauvais.

- Moi je l'aime bien ce monsieur Crague...

- Je t'ai déjà dit de te taire !

Le requin se retourne, le sourcil levé, interrogatif. Je récupère illico mon visage bon enfant, celui qu'un ami pourrait avoir, le faciès d'un proche.

- T'as dit quelque chose ? me demande-t-il.

- Oh non je disais : avec deux sucres ça serait super !

L'olibrius hoche la tête avant de s'en retourner fixer l'eau qui boue à nouveau, contemplatif. Deux minutes plus tard, le thé est servi, avec deux sucres. Super. Je vais pour me lever et alors qu'il me tend la tasse pour que je la saisisse, oups, je la lui renverse sur ses gants mystérieux. Craig hurle subitement pendant que je m'en fends d'un faux air de culpabilité et d'un désir profond de vouloir me racheter.

- Je suis profondément désolée. Attends, laisse-moi voir, avec un peu de chance ça n'est pas grand chose. dis-je tout en tirant sur ses gants de laine, immédiatement.

Il veut réagir, il veut m'en empêcher, mais il est déjà trop tard. Je laisse tomber les accessoires, secouée. Vraiment retournée. Ce que je supposais était vrai et je m'y attendais, mais admirer le spectacle en entier était davantage renversant. L'une de ses mains, elle est noire, noire de peau humaine, enfilée sur sa chair et cousue à son avant-bras. C'est... c'est horrible. Une vague de dégout me submerge, pas spécialement à cause de la saleté du travail, mais à cause de la cause. Craig n'assumait pas sa nature et avait décidé de changer ça, de s'écorcher vif, de se transformer en un véritable monstre, un monstre que les habitants auraient raison de fuir, un monstre lâche et effrayant. Un monstre un peu comme moi. Il recule, mais c'est trop tard, il est coupable. Je trouverai forcément la ou les victimes une fois qu'il sera éliminé, ça peut attendre. Non, tu ne t'en tireras pas, j'ai pas fait tout ce chemin pour te laisser fuir, pour te laisser reprendre ta petite vie tranquille. Face à un déserteur pareil, on sait jamais à quoi s'attendre et ma soif de sang se fait ressentir. Je transforme ma moue de dégout en un sourire infâme, lève légèrement la jambe pour l'anéantir en un seul coup. Je donne mon maximum dans un coup fin et rapide.

- Tekkai Kenpou... Rankyaku Gaichou !

Ma jambe rendue dure comme fer, je l'abats dans une pirouette circulaire pour créer une puissante lame qui balaye le paysage, découpe les murs, les meubles, le réchaud et une partie de la chaise d'opération. Au dernier moment, je le vois sauter sur le côté, esquivant de peu mon attaque mortelle tandis que la maison s'écroule pan par pan, mur par mur, tuile par tuile dans un nuage de poussière.

- Tekkai Utsugi.

En me heurtant, les éboulis explosent en petits morceaux sous la force de leur propre impact. Je reste immobile pour que la technique fonctionne, au centre du chalet qui se désagrège. Une bonne minute passe avant que tout ne soit que poussières, que l'air frais rase l'horizon du mur tranché net, que la neige ne s'engouffre dans ce qu'il reste des fondations. A un endroit où un pan du mur s'est écrasé, une planche s'est soulevée, dévoilant le trésor du Capitaine Craig : un véritable musée des horreurs mêlant épidermes humains, planches anatomiques, écailles, ongles par paquets... Mais de Craig en lui-même, plus aucune trace, il a encore fui. Où est-il parti ? Je hurle donc à son attention, où qu'il soit, qu'il sache que je le cherche et que je le trouverai.

- Craig ? CRAIG ?! OH CRAIG, S'IL-TE-PLAIT, ON A PAS FINI DE PARLER, REVIENS !

Oh oui, fuis, rends la chose plus intéressante, continue à fuir. Je te retrouverai.
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Fuir, qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ? Sinon la tuer pour l'empêcher d'exposer au monde quelle bête folle je suis devenu ? Pas envie de tuer. Pas envie de devenir comme ça. Pas envie d'aggraver mon cas. Peu m'importe qu'elle n'ait ou pas les moyens de me toucher. Je veux simplement m'échapper de la bataille. Quitter Drum. Ramasser le peu qui me reste et me trouver une terre qui voudra bien de moi. Vie de fugitif. A perpétuellement s'inquiéter de ce qui peut se tramer derrière soi. A sans arrêt se demander si l'avenir ne nous tendrais pas une embuscade. J'en avais eu un avant-goût sur Drum. Aujourd'hui, c'est fini. Je crois que je plonge tête la première dans l'existence visqueuse d'un paria pointé du doigt par la loi.

Embryon de rancune envers elle. Je me suis attendu à ce qu'elle me poignarde dans le dos. Mais je pensais pas qu'elle irait jusqu'à me viser le coeur. Elle fut une ami d'été, aujourd'hui nous sommes en plein hiver. Survivre et assurer mon futur, ça doit primer sur mes sentiments. J'ferai le bilan des pots cassés plus tard !

Galopant à travers ces bois que j'ai appris par coeur, j'éteins les questions qui s'allument en moi pour me centrer sur l'essentiel, courir. Courir je commence à savoir le faire, ces temps-ci c'est mon plus basique réflexe de survie. Ça et suer du marais. Mais je me garde cette chose marécageuse qui m'a prêté son pouvoir comme un ultime rempart. Tu pourras pas me tuer, Elizabeth, mais tu pourrais dépêcher des gens à mes trousses capables de le faire. Alors tu dois pas savoir. Tu devais rien savoir. Qui que tu sois en réalité.

Rancune à maturité. J'aimerais te faire payer ta traîtrise. Car on se joue pas d'un ex-ami comme on peut se jouer d'une vieille gourgandine aveugle tel la marine. C'est un coup de Grâce porté à ma confiance en ce monde ombragé. Des larmes inexplicables hésitent à gicler hors de mes globuleuses, débouler à l'improviste pour me prouver que non, j'en avais pas tant rien à foutre que ça, de cette amitié, même si je l'avais relégué dans les archives poussiéreuses de mon passé oublié.

Quelques coups d'oeils par-dessus mon épaule, tenter de percevoir la menace qui évolue dans la brume.
Elle n'est pas derrière moi. Possible qu'elle soit tombée sur mon jardin secret et qu'elle prenne le temps de l'investir. Peut-être même qu'elle a dégainée un den den pour rameuter du renfort. Peut-être que je sortirai pas d'ici vivant, peut-être qu'Elizabeth n'était qu'un pion sur un immense plateau et que tout est déjà joué, je suis échec et mat.

Regardes cette brume. Ce labyrinthe végétal. Ainsi que les pièges qui pullulent parmi les sapins, à base de boue, d'eau souillée, de verglas vicieux ou encore de classiques collets, le dernier rempart que je réserve aux animaux et aux nuisibles. Tu fais partie de quelle catégorie, Elizabeth ? Elle ne me retrouvera pas à temps. Trop d'obstacles dispersés sur sa route, aucune logique entre eux. Un parfait chaos encore plus embrumé par la nature qui, aujourd'hui, soutient ma cause.

Sans confirmation qu'mon avenir est sous les verrous, j'abandonnerai pas. Me reste beaucoup d'cartes à jouer. Penser positif. Logia, collègues, armes, ruse, cette conne en sait trop peu sur moi pour avoir une idée précise de ce dont je suis réellement capable. J'ai plus rien à voir avec le simplet qu'elle a appris à connaître sur Las Camp. Et elle-même semble avoir mutée en deux ans. J'dois raisonner en occultant c'passé. Sinon les émotions fortes de l'époque me feront trébucher...

Ce vertige du temps qui file et qui nous use m'rend nauséeux. Tandis que je m'extirpe de la forêt pour rejoindre les sentiers blanchis. Direction l'Académie. Des affaires à récupérer là-bas. Des adieux à faire qui s'attacheront en boulets à ma conscience si je ne les délivre pas.

Une longue randonnée à faire et les poumons déjà encrassés d'engelures. Chaque seconde compte. Il est peut-être déjà trop tard.

Les fondations de mon monde ébranlées. J'le sens flancher...

Prends la route vers l'un des piliers de Drum. Les lumières de l'agonisante académie percent la brume. J'écrirai le dernier chapitre de mon aventure ici dans les cieux. Si possible, pas avec du sang.
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Trempée, humidifiée et frigorifiée par la boue et la neige qui me recouvre, j'erre le long des montagnes à la recherche de ma cible qui m'a définitivement distancée, tâchant de me débarrasser au passage de la terre aqueuse imprégnée dans mes vêtements.

Cette boue environnante, c'était pas normal, surtout par un froid pareil. J'avais bien regardé où je mettais les pieds pourtant, mais un instant d'inattention avait eu raison de moi et je m'étais enlisée dans un trou noir sans fin au milieu du paysage blanc aux horizons eux-aussi infinis. Partout, il y en avait, partout. Et pourtant il était si près, je le voyais devant moi, je le poursuivais tel un chien affamé suivant des yeux l'os qu'il ira ronger sans scrupules jusqu'à l'avoir brisé et sucé sa succulente moelle. Mais au lieu d'être attentive, je m'étais enlisée, je n'avais pas fait preuve de sang froid et, davantage encore, je m'étais enlisée. Un peu comme des sables mouvants, la terre opaque et vaseuse semblait m'avaler dans sa froideur terrible et moite. Et même si un enchaînement de Soru m'avaient sortie de là in-extremis, me pompant à la fois mon temps et mes forces, je n'étais désormais plus vraiment en posture de pouvoir pister mon opposant. C'était comme s'il l'avait fait exprès, même si je me doutais qu'habitant dans le coin il était au courant des spécificités du terrain. Mais tout de même, de la boue, en plein hiver ?

Un autre chemin, un moins dangereux, s'était finalement présenté à moi. Sous les apparences d'une route, l'hurluberlu n'était vraisemblablement pas passé par ici : il devait sûrement avoir choisi des sentiers étroits à travers la vallée, bourrés de pièges comme celui dans lequel j'étais tombée, si ce n'étaient pas les pièges-à-ours que j'avais pu contourner en chemin. Le prochain village, la prochaine ville, le prochain port ? Je ne saurais dire, je marche depuis une heure et je ne vois que du blanc, du blanc et du blanc ; et je ne sens que le froid, le froid et le froid. Mes lèvres gercées expirent à intervalle régulier leur petit nuage tiède de condensation tandis que mes bras frigorifiés s'enserrent autour de ma poitrine comme pour la réchauffer alors qu'ils n'arrivent pas à se réchauffer eux-même.

- J'ai fff-ffrrroid An-n-nnna-cc-ccc-han.

Sale gamine, fragile, toujours à se plaindre. Je l'ignore, c'est qu'une voix, je n'ai pas froid, je n'ai pas froid... Oh si je me les caille, bon sang que je me les caille. Lentement mais sûrement, je les sens geler les plaques de boue sur ma veste, les tâches sombres sur mes collants, et la bouillasse qui s'est infiltrée dans mes bottes. Cela renforce ma haine, comme une vengeance supplémentaire à assouvir, un désir puissant de me nettoyer physiquement et psychologiquement, à grand coup de scalpel dans le visage de l'apprenti médecin pour me laver dans son sang. Au fur et à mesure que j'avance, le paysage semble se figer, la même montagne selon le même angle de vue. Je ralentis, je m'épuise, tandis qu'un filet de morve se solidifie sous mon nez, devant mes yeux. Puis le sommeil arrive, le doux baiser de la mort, il m'enlace, me câline, me dit de m'arrêter, de m'agenouiller, de m'allonger et enfin de m'endormir.

...

Non, je dois résister, je dois penser à autre chose. Autre chose, mon objectif, ma cible, Craig, ce fuyard. Où est-il passé ? Où peut-il aller ? J'essaye vainement de me décongeler les idées, de faire travailler mon cerveau, plongée dans la bourrasque neigeuse qui me fouette le visage et me taille les flancs, semblant transpercer les couches de tissus pour atteindre ma peau nue et l'enrober de sa fraicheur. Où un fuyard irait-il ? Dans un village ? Non, c'est Craig. Pas un endroit où il y a du monde, pas un endroit où il aurait des ennemis, des suspicions, des complots. Non, rappelle-toi Anna, réfléchis, c'est un médecin aussi, c'est un Toubib Twenty, il doit avoir un bureau, un office, une loge dans l'administration, dans un bâtiment public, dans un hôpital. Oui voilà, un hôpital, il y en a un sur cette île non ? Non ? Je dois savoir, je dois y aller. Oh, mais je suis si fatiguée. Me reposer, je dois me reposer...

- Cc-cole-le t-toi u-une c-cclaq-que !! intervient la môme, me sentant au bord du gouffre, comme un système d'alarme naturel.

Je m'exécute. La douleur me réveille, un petit peu, elle me remet les pendules à l'heure pour le moment. Je dois survivre, je ne suis pas venue ici pour des cacahuètes, pour entendre des villageois déblatérer des bobards, pour taper la discussion avec un ami de longue date et lui détruire son cabinet de chirurgie en essayant de le tuer. Non, je suis venue car j'ai une mission à accomplir, car à défaut de le capturer, je dois le faire disparaître. Rien ne m'oblige, mais je le dois, je le dois vraiment. Alors, comme si c'était une raison suffisante, me voilà à recouvrir lentement le contrôle de mon corps, à refaire de véritables pas et non plus du sur-place, à décoller mes membres quitte à servir de paravent, quitte à goûter la tendresse du gel mais à bouger, à ne pas mourir ici. Progressivement, je remarque que le mur de bourrasque a disparu, que les flocons ne m’assomment plus en me heurtant le front, que le froid se fait moins dense. La tempête s'est arrêtée.

***
A l'horizon, un rayon de soleil point, éclaircit les collines enneigées et les montagnes rocheuses, comme un phare m'indiquant le chemin à prendre. J'y suis presque, je le vois, le petit village pas loin, avec ses toits pointus et ses maisons pittoresques. J'étais gelée, au sens propre du terme, mais je continuais à aller droit devant, à me diriger vers mon salut. Toute la nuit, j'avais marché toute la nuit mais finalement le réconfort m'attendait. Là-bas, je me réchaufferai ; là-bas, je reprendrai ma route. Maintenant je savais où aller. Alors je fends la poudreuse, réchauffée par l'astre brûlant qui dépose son aura bienfaisante sur dame nature endormie. Une vision de bonheur, de doux plaisir m'arrache un sourire qui pour une fois n'est ni malsain, ni machiavélique. Un sourire juste. Je le vois, je l'admire, je l'observe : un homme attelant ses chiens, préparant son traineau. Son prix sera le mien, mais il doit m'aider, pour la justice, pour le gouvernement, pour ses bagages de fourrures et de couvertures, pour ce qui me semble bien. Je l'accoste, je lui bondis dessus et il se fige de stupeur, droit comme un i.

- Un hôpital... l'hôpital, il y en a forcément un ? Je dois y aller, amenez-moi ; votre prix, le mien. Vite !

Et à son tour, peut-être car mon apparence est grotesque, peut-être car j'ai passé ma nuit dans le blizzard, peut-être car ma demande lui convient ou que ma bouille lui plait, tout simplement : le musher sourit.
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Haletant comme un vieux molosse brisé. A demi congelé, grelottant, et vidé comme ces clodos qui attend le sommeil dans les rues glaciales des grandes villes. Je n'ai plus qu'une poignée de mètres à franchir pour poser ma trop lourde jambe sur le palier de l'académie, mais ces quelques mètres là ressemblent à des parsecs interminables de lassitude et de douleur.

Doit ramasser du matos. Chirurgical. Refaire ma vie ailleurs. Être oublié. Et avant ça, présenter ultimes excuses. A tout ceux que je vais plonger dans la merde.

Soleil pointant timidement sa trogne ronde en-dessous des piliers, ses rayons roses rasent la neige et l'imbibent d'un éclat particulièrement agressif pour mes mirettes fatiguées. L'académie doit être en train de se réveiller. Je me donne vingt minutes pour plier définitivement bagages. Et une minuscule heure pour me dénicher un moyen de reprendre la mer. Un poiscaille fruité qui ne sait plus crawler s'trouve trop difficilement un transport viable hors des circuits officiels. J'pourrais me rabattre sur la translinéenne mais... On m'y pêcherait trop facilement.

C'est l'pas mollasson que je parviens à me traîner jusqu'au carrelage blanc du hall de l'académie. Blanc dehors, blanc dedans, conjugué à l'altitude et à ma douleur que le froid a rendu muette, j'ai l'impression d'être mort sur le trajet et d'avoir atteint des cieux non mérités en mobilisant mes dernières forces mortelles.

Académie silencieuse de l'aube.

La pendule du comptoir me dit qu'il est sept heures.

J'ai du crapahuter une heure et demie. Un peu plus.

Le contrecoup de mon marathon se fait vraiment sentir alors qu'il assaisonné d'un choc thermique, les radiateurs ici tournent plein pot pour que les résidents puissent se lever dans un matelas chaleureux. Durant un instant, ma tête tourne et j'ai l'impression qu'elle va me rouler hors de la nuque et tomber par terre comme une vieille boule de bowling difforme. Mais le vertige s'efface, même si la fatigue reste. Je marche.

Chercher matos dans bureau puis chemin du retour. Alors, peut-être qu'à ce moment-là, je pourrai me permettre quelques minutes de dodo...

Eh bien, Craig ? Si agité de bon matin ?

L'effet boule de neige N-6_imagesia-com_aspg

Le doc Modo, toujours théâtral, surgit derrière moi et m'assomme de sa voix rauque. Dans un salvateur réflexe, je planque ma palme trafiquée dénudée dans ma poche. Avant qu'il ne la remarque. Avant qu'il ne sache comment son apprenti dilapide le précieux savoir qu'il lui transmet. Je marmonne quelques secondes avant de parvenir à une réponse stable.

Je... je pars en voyage.
Comment ?
Je passais prendre quelques affaires dans mon bureau puis je décampe.
... Ton passé te rattrape.
Euh...
Je m'en suis toujours douté. Peu importe qui tu es en réalité. Fais ce que tu as à faire, mais ne mets aucun d'entre nous en danger. Es-tu poursuivi ?
Oui.
Alors tu devrais être déjà parti. Dépêches toi.

Je hoche la tête en esquissant un sourire désolé, puis me retourne, poursuivre ma course dans les couloirs paisibles. Mais après quelques mètres il m'interpelle une seconde fois, et ce qu'il m'annonce garrotte mon coeur.

Une dernière chose. Si tu as besoin d'aide pour disparaître, certains d'entre nous pourront te porter secours. Pas tout de suite. Mais à l'avenir.
Merci.

Modo qui se trempe autant en distillant des conseils pour amortir ma chute libre. J'ignorais qu'il m'appréciait à ce point. Il a été un professeur, un ami et parfois un paternel compréhensif avec moi, il m'a doté des outils qui embelliront mon existence en tout désintéressement. J'en sais peu sur jusqu'où est capable d'aller un parent qui veut protéger son enfant. Et je me demande si sous ce visage délabré qui étouffe les émotions, il ne serait pas en train de prier avec moi pour que je puisse m'extirper de cette histoire en ce héros vainqueur que j'aurais aimé devenir pour de vrai dans une autre vie.

J'ai été si ingrat envers eux tous... Les toubibs 20 m'ont accueilli, dès le premier jour, comme l'un des leurs, malgré mes différences, malgré ma maladresse, malgré cette ombre qu'ils percevaient au coin sans en distinguer les sinistres contours. Je cherchais à me bâtir un monde meilleur sans réaliser que j'étais déjà au paradis. J'aimerais à tous leur prononcer mes adieux et mes mercis, mais le temps ne me permet pas d'acheter ma paix en même temps que ma liberté. Comme d'habitude, je fuirai sans un mot.

Sophia, reviens !
Craig !

Une voix cristalline rampante jusqu'à mes tympans engourdis. Sophia...

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C'est vraiment pas le moment.

J'ai tout entendu ! Tu vas voyager ? Où ça ? Combien de temps ? C'est joli où tu vas ?
Hum... Ouais. Loin.
Pourquoi tu m'as pas prévenue ? Tu t'en vas tout de suite ? J'ai pas école aujourd'hui. On peut aller jouer avant ?

Gamine collante qui m'a adopté le premier jour où elle m'a aperçu. Elle me rappelle Uriko, en plus féminin, forcément, peut-être plus maligne aussi. Curieuse aussi. Trop curieuse. Sa curiosité bouffante la pousse au devant des monstres, elle ne sait pas reconnaître un danger. Elle est présente à l'académie le pire jour possible. Un tour de poisse très inquiétant... J'lui désigne les portes des chambres. Fille de toubib 20, elle a une mère bien qui saura la protéger si quelque chose venait à déraper. J'ai fais du baby-sitting plusieurs fois à son compte. C'est une femme forte et sage. Comme tous les toubibs 20... J'm'en fais sûrement de trop. Une fois que j'aurais détalé, l'ombre qui plane sur l'académie se dissipera pour de bon.

Tu devrais aller retrouver ta mère, je...
C'est quoi ta palme ? Tu t'es fait mal ?

Ma. Ma palme. Mes doigts. Merde. Gaffe. La gaffe. Je la renfourne illico dans ma poche.

Un gant. C'est un gant. Rigolo hein ?
Bizaaaarre surtout ! C'est du cuir ? Je peux toucher ?
Écoutes, j'ai beaucoup à faire aujourd'hui. Je jouerai pas.
Ooooh...
Je repasserai très bientôt, d'accord ? Allez, files trouver ta mère...
D'accooord !

La revoilà qui s'engouffre tout sourire dans les méandres du bâtiment, sur un grand coucou que je lui rend timidement. Pas passé loin. Modo n'a rien vu non plus. Et rien entendu, j'espère. Il reste planté au milieu du hall en m'adressant des giclées de regards circonspects. Dépourvu de courage et d'énergie pour le mirer une dernière fois, je reprends ma course haletante sans lui donner d'ultime regard. Je cours...

Courir, courir, tout ce que je suis capable de faire désormais. Courir sans regarder tout ce que je laisse pourrir derrière moi, sous peine d'assortir ma folie naissante à une implacable culpabilité. J'aimerais hurler que mon one piece à moi est la paix tout en claquant des crocs, mais extirper le moindre son de ma gorge gelée me pompe des efforts délirants.
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Maman, maman, regarde mon dessin ! Maman, pourquoi on irait pas à la plage ? Maman, j'ai mal au ventre, j'ai froid, je peux dormir avec toi ? Maman, tu as oublié de venir me chercher à l'école, encore une fois... Maman, pourquoi je dois prendre des médicaments, déjà ? Maman, pourquoi tu ne me réponds pas ? Dis... est-ce que tu m'aimes, maman ?

Je me réveille en sursaut. Emmitouflée dans les fourrures à l'arrière du traineau, je m'étais assoupie l'espace d'un instant. Encore eux, encore ces vieux démons, ces remords, cette tristesse qui s'était attachée à moi depuis si longtemps et qui me rappelait, dès que j'avais le dos tourné, ma souffrance, mon enfance, ma peine. Désarroi. Mon nez coule, j'arrache à la surface de mon visage le liquide transparent et froid qui plonge sous ma narine. La traversée du désert, on ne peut éviter les conséquences. Je me redresse sur mon séant, le corps endolori, les jambes tressaillant de fourmillements étranges, les bras ankylosés. Le sommeil, il me lie les paupières comme l'étreinte de deux amoureux, je suis si lourde que ma tête dodeline d'avant en arrière à la façon d'un hochet. Du blanc, toujours du blanc, du vert parfois et encore du blanc. Il n'y a pas d'hiver sur cette île, l'hiver est cette île, il est présent dans les moindres recoins, il est là : au creux des vallées, sur les rives des lacs, près des côtes enneigées et sous les glaciers. Non, nous ne sommes pas arrivés, non, il le dit, ses rênes dans les mains, son visage baignant dans la fraicheur de l'air froid du matin, un sourire blanc au bord des lèvres.

- Nous ne sommes pas arrivés, vous pouvez vous rendormir !

Ah... oui, dormir. J'avais oublié ce que c'était. Les cernes, elles s'agrippaient à mon visage et se creusaient sous mes yeux depuis si longtemps, elles étaient devenues une part de moi, elles étaient sombres comme mes songes, elles reflétaient les spectres qui me dévoraient. Et même si je voulais, ne serait-ce qu'un court instant à nouveau, me reposer, ils reviendraient, ils me mangeraient, petit bout par petit bout, miette par miette. Mais mes yeux se ferment déjà tout seul, la peur disparaît dans le tourbillon de mes pensées, mes iris aveugles cherchent la lumière dans l'ombre de ces souterrains ténébreux, ces veines qui transcendent le temps et fondent et font fondre les sentiments : des souvenirs.

Endormie sur ce lit singulier, ce matelas confortable ; l'oreiller duveteux recueille ton visage en larmes. L'environnement est sombre, un projecteur braqué sur toi semble créer une bulle en dehors de laquelle il n'y a rien, tu le sais, tu le sens. Tu ouvres les yeux et tout-ce-qui-est est enveloppé d'une lumière spectrale ; tout est froid, même la moquette de ta chambre, même les couvertures sur tes épaules, elles sont tristes et froides. Rien, un mur et une fenêtre. Une fenêtre menant sur rien, menant sur un paysage nocturne, sur une nuit sans lune impénétrable et un ciel bleu marin très foncé. La tapisserie est froide, elle aussi, tout est gelé, comme tes souvenirs. Des lames de couteaux qui te transpercent et que tu ne peux retirer sans dégonfler, sans une hémorragie. Alors tu les gèles. Tu as rencontré un destin terrible, n'est-ce pas ?

- Pourquoi ?

Tu es dans une cuisine, vide, les meubles sont isolés, les surfaces glabres, les murs gris, sans vie. Il y a bien une porte, une fenêtre, mais dehors il fait toujours nuit. Une lumière bleuâtre éclaire la scène, projetée par le diaphragme d'un projecteur inexistant. Devant toi, une table, sur laquelle sont alignées quatre pilules : une jaune, une verte, une bleue, une rouge. La première fois, la dernière fois, tu ne sais pas. Elles ont toujours été là, mais tu n'en sais rien. Elle aussi est là, elle te regarde, son regard est vide, ses lèvres fines étroitement serrées. Oh, elle serait si belle, si elle était pleine, si elle souriait, si elle t'aimait. Mais jamais elle ne te le dit, jamais elle te dit rien, elle te donne ces pilules. Alors tu les regardes et tu souris, car elle te regarde, car pour elle tu existes tant que tu ne les as pas prises, alors tu ne les prends pas. Tu restes là, sur ta chaise, tu balances tes jambes, au-dessus du vide.

- Pourquoi ?

Un banc de sable, juste un seul, blanc, éclatant. Des vaguelettes sombres qui s'accrochent au rivage, qui s'étirent et se relâchent, s'amassent pour se diviser. Dans l'eau, une poupée de chiffons, à demi-enterrée dans la rocaille et l'écume, la mer semble l'emporter. Elle semble t'emporter elle-aussi, loin de là, loin de tes parents, tu disparais. Le ciel est noir, la lune et les étoiles absentes mais la lumière bleuâtre baigne le paysage plus que jamais ; derrière-toi, l'horizon se délimite à une dune, au sommet de laquelle tu vois sa silhouette, debout. Et elle est là, encore, elle te regarde. Tu la vois, de loin, tu les vois elles aussi, jaune, verte, bleue et rouge, dans le creux de ses mains, dans le miroir de ses yeux grands et vides. Alors tu t'échappes, tu t'enfonces dans l'eau, dans ton pyjama blanc, dans le froid de l'océan. Et tu hurles, le visage ruisselant, les vagues sur tes joues, les yeux toujours pleins comme ton sourire toujours rigide, de tristesse.

- Maman.


J'ouvre les yeux, collés par la fatigue, mouillés par les larmes, le coeur gros dans ma poitrine, la douleur plus vive que jamais. Pourquoi ? Je suis barbouillée, groggy, anesthésiée par des sensations anormales qui secouent mon menton de spasmes incontrôlés, tendent les muscles de mon cou et libèrent les valves de mes canaux lacrymaux, vides ou pleins.

- Vous allez bien ?

Je le remarque, je remarque l'embarcation. Je suis toujours là, le traineau aussi, l'homme est agenouillé devant moi, sa main sur mon épaule gauche. Nous avons arrêté de bouger ? Je secoue brusquement la tête pour me réveiller, récupère mes esprits et balaye le bras du conducteur de la main droite. Je vrille mon œil sombre sur son visage bienfaisant, sur sa carrure d'homme fort, sur son aspect d'aventurier qui doit en charmer plus d'une. Je l'ignore, je le prie de m'ignorer lui-aussi, mon regard se porte sur les alentours. Nous avions débarqué dans un village, une petite agglomération de chaumières basiques n'ayant aucun intérêt spécifique, aucun grand bâtiment visible et absolument rien pouvant faire office de clinique comme je l'espérais. M'avait-il menti ?

- Où est l'hôpital ? apostrophé-je le musher affairé à déballer ses affaires.

L'homme pointe alors du doigt la montagne, le gigantesque pilier qui élevait son ombre par dessus le village et dissimulait le soleil sur des kilomètres à la ronde. Là-haut ? J'arque un sourcil, envisage de lui demander s'il se fiche de moi lorsque je note subitement la présence d'une ligne, pas plus épaisse qu'un fil, qui fend le paysage et semble relier le sommet à la vallée. Un téléphérique. Quel autre choix pouvais-je avoir sinon de croire le meneur de chiens et de me rendre dans les hauteurs ? Je le paye donc - cinquante-mille berries - pour la traversée et presse le pas dans ce qui a l'air d'être l'avenue principale en direction de la station.

***

Assise dans le fauteuil en cuir dur qui me maltraite les reins, je ne prête pas attention à la nacelle qui se fait balloter dans tous les sens par le vent qui fluctue entre les sommets. Les mains dans les poches, le cou enfoncé dans le col de mon manteau, je me prends au jeu d'essayer de trouver une signification à tout cela. Étais-je destinée à venir ici, à faire tout ce voyage, à poursuivre cette crapule ? Oui, non, j'en sais rien, le destin c'est quelque chose qui m'échappe, cette question est saugrenue. Mais elle m'occupe, tout du moins, pour les cinq minutes restantes, jusqu'à ce que je mette pied à terre. Alors pourquoi ? Pourquoi cette sensation, pourquoi la douleur, pourquoi ma mère ? Je me surprends à balancer les jambes comme dans mon rêve, suspendue au-dessus du vide, dans le froid. Ce n'est qu'une coïncidence. Comme je suis montée sur le téléphérique, j'en descends et admire le paysage devant moi. La demeure de l'infâme roi Wapol, j'en avais entendu parler, un château gigantesque d'une dynastie disparue désormais et donc réhabilité en gigantesque hôpital. Je m'avance dans la poudreuse jusqu'aux portes de l'établissement et monte les marches de l'escalier. Craig, je sais que tu es là.

J'entre et admire la blancheur des murs et du sol qui renvoient instantanément à la crasse sur mes vêtements. Personne dans la pièce, si ce n'est une gamine vautrée sur un banc en train de lire une revue. Il doit être encore tôt, le bâtiment est donc quasiment vide. Craig, s'il est passé par là, quelqu'un doit l'avoir forcément vu. Un médecin dans un hôpital certes, mais un homme poisson. Je retire ma veste pour faire apparaître mon chemisier propre en-dessous, histoire d'avoir l'air un peu moins crasseuse et interromps l'enfant dans sa lecture.

- Ahem. Bonjour !

Elle lève vers moi ses grands yeux roses et rouges interrogatifs et son petit nez pointu, me permettant de l'observer davantage : elle ne doit pas avoir plus de huit ans, a de longs cheveux bruns soigneusement coiffés et est revêtue d'un pull vert, d'une jupe noire et porte un sac-à-dos d'écolière sur le dos. Ses traits me semblent aussi étrangement familiers, mais je ne saurais dire pourquoi.

- Désolée de te déranger. Dis-moi, saurais-tu où je pourrais trouver un médecin dénommé Craig Kamina ?

Elle fronce les sourcils, la bouche entrouverte et les yeux suspicieux. Mince, était-elle au courant ?

- Oui, c'est mon ami. dit-elle d'une voix douce avant de lâcher soudainement : Vous êtes sa copine, c'est ça ?

Légèrement perturbée par sa question, j'esquisse un léger sourire. Alors donc tu le connais, parfait.

- Oui... oui c'est ça, sa copine. Tu sais où il est ?

Elle hoche la tête et d'un bond se remet debout puis, sans prévenir, agrippe fermement ma main gauche avec ses petits doigts moites pour me guider. Je lâche un hoquet de stupéfaction, surprise par le contact soudain avec la gamine. En général, je ne me sens vraiment pas à l'aise avec les enfants mais pour l'occasion je me laisse faire. Dans tous les cas, elle a l'air de bien m'aimer. A ses yeux je suis probablement une curiosité, une jeune femme étrange, la copine de son ami tout aussi singulier. Débordant d'enthousiasme, elle me pose des tas de questions que j'aurais avec n'importe qui d'autre cherché à éluder. Elle veut savoir mon nom, mon âge, ce que je fais dans la vie ; je lui réponds que je m'appelle Elizabeth, que j'ai vingt-huit ans et que je suis photographe et ça semble lui plaire.

- Moi c'est Sophia ! Ça veut dire sagesse, je crois, mais maman elle me dit tout le temps que je suis pas sage ! J'aime la lecture, le dessin, les batailles de neige... mais j'aime pas l'école ! Ah et ça c'est Toudoux, mon nounours, c'est mon meilleur ami, dis bonjour Toudoux. Tu as un nounours toi ?

Autour de nous, les murs blancs et les couloirs se ressemblent et s'alternent sans que je puisse saisir la moindre logique dans ce labyrinthe. Le paysage est terne mais la vitalité débordante de la fillette semble donner vie à cet endroit, apporter des couleurs à l'établissement morne et froid.

- Aujourd'hui y'a pas école, alors je suis venue ici avec ma maman. Oh c'est pas une patiente, hein. Elle est médecin elle aussi, comme Craig !

Véritable boule de nerfs, la petite ne tient pas en place et fait des bonds partout au fur et à mesure qu'elle me raconte ses anecdotes sur Craig, sur sa maman, sur son doudou Toudoux. Elle me pose des tas de questions aussi, mais heureusement ne me laisse pas le temps d'y répondre.

- Moi, quand je serai grande, je veux pas travailler ici, c'est trop triste. Et je veux pas non plus rester à l'école. Du coup, je pense partir loin. C'est peut-être pour ça que Craig part lui aussi, peut-être qu'il veut plus travailler ici ? Vous allez vivre ensemble ?

Hum, pas exactement, mais je lui réponds que oui, que nous allons faire un long voyage tous les deux. Ça tombe bien, elle aime les voyages.

- Tu sais, tu as l'air gentille, j'espère que tu feras attention à ce que Craig il fasse pas de bêtises ! Il a tendance à être un peu dans la lune, comme dit maman.

Oh ne t'en fais pas pour ça, pensé-je alors. En disant cela, Sophia tourne sur sa gauche et commence à escalader les grandes marches de l'escalier qui mène à l'étage supérieur.

- Allez Elizabeth, dépêche-toi. Craig il est très pressé de partir !

Toujours pas entièrement remise de ma nuit passée dans le blizzard, je la laisse prendre un peu d'avance pour laisser échapper une quinte de toux. Ma voix intérieur intervient alors, comme pour me rappeler son éternelle présence ; d'une voix d'enfant étrangement similaire à celle de Sophia, sa remarque incongrue me glace soudainement le sang.

- Dis, Anna-chan, tu ne trouves pas qu'elle te ressemble un peu ?
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Baluchon léger. Des provisions pour deux ou trois jours, une panoplie de toubib de base tassée dans une vieille et étroite trousse de soin. Je n'ai besoin de rien d'autre pour la suite de ma vie. J'me mettrai à la recherche du frangin, probablement, j'retournerai auprès de lui. Clairement, seul, j'me paume trop vite, l'errance tourne mal. Il me pistonnera pour me faire rentrer dans les rangs révolutionnaires et... et... et la vie reprendra de plus belle, je suppose. La vie se laisse difficilement abattre et parvient à germer sur des terrains hostiles.

Une forme de renaissance. Ça pourrait m'aider. A chasser mes projets noirs. Qui parfois m'excitent, parfois me dégoûtent. J'ai besoin d'faire le ménage. De m'arrêter un instant et de brûler les araignées qui pendouillent à mon plafond. Peut plus regarder un miroir. Paralysé devant la moindre glace. Mon portrait me répugne. Je conchie ma race, ma naissance, ce que j'ai été et ce que je suis devenu. J'ai besoin d'une renaissance.

Pourquoi j'suis tombé si bas ? L'amour m'a tué. J'avais l'horizon à perte de vue mais il s'est aujourd'hui démesurément assombri. J'me mens. J'suis le même qu'il y a deux ans. Qu'il y en a six. Qu'il y en a vingt. Je déteste chacun des avatars de mon passé parce qu'ils me martèlent que je n'arrive pas à trouver ma place. Je les déteste mais ça ne les fera pas disparaître.

Que...
Faut que j'y aille. L'académie grouille d'issues dérobées. Seule, Elizabeth ne pourra pas les contrôler toutes. La situation me semble moins pressante que tout à l'heure. Je m'en sortirai si j'tiens le rythme. J'déserte mon bureau poussiéreux et n'prend plus la peine d'en fermer l'entrée à clé. Ce genre de formalités, c'est définitivement enterré. J'pars cambrioler mon avenir. Je m'en vais crocheter les portes du paradis.

Tout est consigné dans ma valise. Elle était là, elle attendait son heure. Je savais que viendrait cet instant où je devrai fuir. Je ne pouvais pas deviner d'où il débarquerait, par quelle manigance il me piégerait, ni dans quel état je m'en sortirai, mais j'étais certain que le destin me l'avait déjà envoyé et que je n'étais plus qu'un patient apeuré dans une salle d'attente. L'atmosphère brumeuse. La nuit autrement plus glaciale qu'à l'habituelle. Les animaux recroquevillés dans leurs fragiles terriers comme si la Mort errait dans les bois. Tout ces petits signes qui me murmuraient que le ciel autrefois amical s'apprête à s'effondrer sur moi aujourd'hui.

Aujourd'hui est un jour si spécial. J'y jette les dés qui décideront de mon devenir.

Galopades dans le couloir immaculé.

Craig, c'est vous qui courrez dans les couloirs à cette heure ?

Oui c'est moi, pas de salive pour te répondre, encore moins le temps de ralentir. Quelques mauvaises remarques de collègues ou d'étudiants mal réveillés qui manquent de m'faire trébucher, des amorçages de bousculade qui m'font perdre en inertie. La sortie d'secours la plus proche se tient à cinq couloirs d'ici, grand max. Rien ne devrait pouvoir mal se passer.

Pourquoi j'ai besoin de me le répéter ? Tout ira bien. Elizabeth n'aura pas aussitôt deviné que je suis revenu ici avant de fuir. Et même si elle avait pu le déduire, elle connaît pas l'chemin.

...

Carrefour de couloirs enchevêtrés en vue.
Tandis que je m'en approche, je comprends quelque chose.
Une espèce de fulgurance macabre.
Tout les chemins mènent à moi.
Ce n'est pas une question de comment m'atteindre...
Physiquement je suis si lent, mon corps putride animé par la laborieuse magie noire de mon âme perd du temps en manoeuvres incohérentes. Je suis resté dix putains de minutes à rêvasser dans mon bureau.
Et mentalement si sensible, Elizabeth pourrait prendre en otage n'importe qui ici que mon instinct de survie égoïste dysfonctionnerait aussitôt. Idée stupide de m'être pointé ici, au milieu des gens que j'aime.
Subitement, ma prévisibilité me dégoûte.
Bien sûr que j'allais rallier l'académie une dernière fois avant de fuir. Elle me connaît suffisamment pour en être sûre.
Parce que je m'attache à des symboles, des projets et des idées fous mais fixes. Ces délires sont un trousseau de clé, il suffit d'en chopper un pour ouvrir un accès à mes pensées. Et moi, sans ces clés, je me retrouve verrouillé, incapable d'agir.
Je me confie aux personnes qui m'y aident sans savoir conquérir leur coeur correctement. Résultats. Elles me trahissent et retournent mes faiblesses contre moi, parfois involontairement. Elizabeth n'est que la première d'une longue série, je le sens.
J'suis le même qu'il y a deux ans, ou six, ou vingt. On se refait pas...

Envie de faire demi-tour pour emprunter une autre route, à laquelle je n'aurais pas pensée de suite.

Mais je veux aussi aller vérifier ma théorie dans ces couloirs.

Au moment d'arriver à l'angle du carrefour, je sais qui je vais y trouver.

Elizabeth arrive à gauche. Avec Sophia ! Ça a pas manqué, putain. J'irai pas jusqu'à dire que Sophia est une traîtresse, mais si j'avais été plus sincère avec elle, ça ne serait pas arrivé. Elle va tomber de haut en découvrant ce que je suis en réalité. Plus jamais elle ne me considérera comme un doudou d'écailles.
Malgré tout, ma course continue.

Maman !

Madame Sweetsong à droite. Yeux écarquillés.
Quelque chose se déclenche. Une espèce de tragédie muette dont je suis spectateur.
D'étranges regards fusent de part et d'autres et aucun ne m'est destiné.
Par réflexes, je pille et m'immobilise. Le Temps s'est découpé en très fines lamelles, tout va désormais très vite. Mon instinct de survie me l'a déclaré cash : il ne fera pas bon d'être au centre de ces couloirs dans une ou deux secondes.

Les dés sont jetés, Craig. Et tu as fais un désastreux tirage.
L'horreur à laquelle tu vas assister tâchera ta vie à tout jamais.
Un souffle glacial parcourt ces couloirs et vient te caresser la nuque.
Tu le reconnais ? C'est celui de la Mort.

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- Tyrell, je n'en peux plus, laissons-la. Abandonnons-la. Je ne peux pas, je ne l'aimerai jamais...

- Je sais bien.

Tu étais là ce soir là. Tu avais tout entendu. Pourquoi, pourquoi t'étais-tu donc cachée dans cette armoire. Pourquoi étais-tu là ? Tu ne devais pas être là. Tu étais si jeune, si innocente et tout est parti de là. Tu aurais juste dû être ailleurs, tu ne pouvais plus oublier désormais, pas ça. Tu ne voyais rien, mais tu entendais tout. Tu devinais, recroquevillée dans le petit coin sombre, oubliée de tous. Tu t'imaginais le contexte de la conversation : le feu crépitant dans la cheminée, les flammes inondant la pièce d'une chaleur étouffante, tes parents dans les bras l'un de l'autre dans ce gigantesque fauteuil, les yeux rivés sur l'âtre incandescent. Tu n'avais pas besoin de voir, juste d'écouter pour savoir.

- Je suis sûr qu'un jour nous arriverons à faire quelque chose d'elle. Un jour nous l'aimerons. C'est notre enfant, notre véritable enfant. C'est triste mais il faut s'y faire...

- Je ne peux plus attendre Tyrell, il faut que l'on s'en débarrasse.

Tu serrais tes jambes contre ton petit corps tout menu, tout chétif. Tu essayais de ne pas faire de bruit, mais les larmes ne cessaient de couler et les sanglots de te malmener. Tu avais si mal. Chaque mot, chaque phrase, elle te heurtait si profondément dans ta poitrine et c'était si douloureux, jamais ton petit cœur n'aurait du pouvoir encaisser tout ça. Mais il l'avait fait, tu l'avais fait. Tu étais si triste, pour ta mère, pour ton père, ils semblaient perdus, ils semblaient au bord du gouffre. Ils pleuraient. C'était ta faute.

- Il n'y a vraiment rien à faire ? Nous ne pouvons pas la laisser, que penseraient les voisins, le village : un juge et un médecin sans cœur ? Ils n'auront plus confiance en nous, nous serons méprisés. On doit pouvoir l'aimer d'une façon ou d'un autre. Il doit y avoir quelque chose...

- Peut-être bien...

C'était à cet instant, tu t'en souviens. Tu n'as jamais oublié, tu n'as jamais pu.

- J'ai ce médicament, elle peut le prendre. Si c'est mon expérience, je serai forcée de m'intéresser à elle, je la verrai grandir, évoluer, ça sera ma découverte, elle sera merveilleuse. Dis moi Tyrell, ce n'est pas ça, un enfant ?

- Je ne sais pas, mais je crois en toi. A quoi servirait ce médicament ? Ça lui ferait du mal ?

- Ca lui ferait terriblement du mal, mais il n'y a pas d'alternative. J'ai besoin qu'elle ait mal, j'ai besoin qu'elle prenne ce médicament sinon je crois que... je crois qu'un jour je vais la tuer.

Oui, c'était la solution. C'était ce qu'ils avaient trouvé. Tu aurais dû avoir peur, tu aurais dû être énervée, mais tu étais si gentille déjà. Tu les aimais, tu voulais qu'ils t'aiment, alors tu acceptais. Tu acceptais de souffrir, tu acceptais de prendre ces médicaments, pour que ta mère s'intéresse à toi. Ce soir-là, tu étais si triste et si heureuse à la fois. Pourquoi ?

- Je ne veux pas que ce genre de chose arrive. Faisons-le, mon ange.

Ils s’enlaçaient tendrement, ils s'aimaient et bientôt toi aussi ils t'aimeraient. Ce médicament, il allait changer ta vie, il allait te donner des parents. Tu pleures encore, tu ne t'arrêtes plus, mais tu ne sais pas si c'est de joie, de tristesse ou bien de peur. Bientôt, il fait moins chaud, bientôt il n'y a plus un bruit, plus un souffle et tu es seule. Tu ouvres la porte pour sortir, pour regagner ton lit douillet, pour rêver à ce remède qui bientôt te soignerait, te rendrait l'amour de tes parents, de ta mère. Et tu t'endors.

- Maman.

Dehors, la nuit est noire, sans lune, sans étoiles et pourtant une lumière bleuâtre, diaphane, éclaire la scène, éclaire ton visage triste et tes joues humides. Dans ta main tu le tiens, ton petit cœur.


C'était ce moment là qui m'était revenu en mémoire. C'était ce moment-là que j'avais choisi, que mon cœur avait dérobé, pour représenter cette scène, cet acte théâtral. J'avais mal, si mal, je faisais des efforts pour rester debout. Trop d'informations, trop de sentiments. J'étais stoïque, elle aussi. La gamine et Craig, ils faisaient partie du tableau, c'étaient des figurants, ils ne savaient rien, mais toutes les deux nous savions. Elle, elle me regardait, elle me voyait, près de son enfant ; je n'étais pas son enfant, mais la petite l'était, elle. Sophia. C'était pour ça. J'aimais cette gosse, je la trouvais mignonne, elle me ressemblait mais elle ne serait jamais comme moi, elle était parfaite. Ses grands yeux curieux et pleins de vie irradiaient du mystère du bonheur que je n'avais jamais découvert, son petit cœur plein d'amour comblait le mien, noirci et vide. Je me sentais humaine en restant près d'elle, en la tenant par la main, en la tenant contre moi.

Ma sœur, ma vraie sœur, elle est mon sang, elle est ma chair. Elle est entière, complète, pas comme moi. Oui, c'est bien elle, oui, elle a bien dit "maman". Et elle a raison, maman, tu es là, tu es devant moi. Oh, si tu savais comme tu m'as manquée, maman. J'espérais te revoir un jour, j'espérais tellement. Et maintenant te voilà. Ca a toujours été comme ça avec toi, des espoirs, des souhaits. Pour une fois que l'un d'eux se réalise. Et pourtant je t'ai crue maman, quand tu as dit que ce remède marcherait ce soir là. J'ai cru que tu m'aimerais, j'ai souffert, je souffre toujours et je n'ai pourtant jamais été ta fille, juste un cobaye, juste une expérience. Je suis un monstre désormais, grâce à toi, regarde ce que le monstre va faire. Tu me dévisages, tu dévisages ta fille, tu tends ta main pour la récupérer. Non, c'est trop tard, elle est à moi désormais, je ne te laisserai pas l'avoir. Tu n'en feras pas un monstre, tu ne la changeras pas en moi.

- Maman ?

Elle ne comprend toujours pas, alors elle me regarde désormais. Tu ne sais pas qui je suis, ils ne te l'ont jamais dit, peut-être n'ai-je jamais existé, peut-être suis-je morte à leurs yeux. Je ne fais pas partie de ta famille, je ne fais pas partie de leurs plans. Mais ne t'en fais pas, ta grande sœur est là désormais, elle va te sauver, elle va s'occuper de tout.

- Je fais ça parce que je t'aime.

Ta maman, elle vient pour te sauver, elle court vers toi, mais c'est déjà trop tard. J'ai déjà lâché ta main, j'ai déjà recroquevillé mes doigts, amorcé ta libération hors de ce monde, ta délivrance. Tu ne souffriras pas, ça sera rapide, tout se passera bien.

- Jugon.

Soudain, ses yeux se vident, son sourire s'efface. Une lueur continue à briller dans son regard toutefois, car la mort a apporté avec elle le secret de sa question. Elle ne respire plus, elle n'est plus en vie et pourtant elle continue de me regarder et ses lèvres murmurent la réponse au mystère qui la maintient debout.

- Grande... sœur...

Puis lentement, son petit corps perd sa vitalité, sa joie, ce qu'elle est, ce qu'elle fut et entame sa chute, comme cette poupée de chiffon enterrée dans le sable et l'écume, emportée par la mer. Un liquide épais et tiède perle sur mon avant-bras, recouvre ma main droite, d'un rouge éclatant, comme ses iris, comme sa vigueur. Tout a disparu. Sa mère l'attrape avant qu'elle ne touche le sol, son sang macule le carrelage blanc de l'hôpital, s'étale autour d'elle comme un être vivant à part entière, comme si lui aussi cherchait à fuir. Tu ne peux rien faire désormais maman, j'ai volé ton bien le plus cher.

Dans ma main je le tiens, son petit cœur d'enfant.
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La douleur amène à la peur. La peur amène au Mal.

C'est ce que j'ai toujours observé. Le cheminement de la haine. Il existe peu de monstres pur sang. Le Diable se love en chacun de nous, en petits bouts. J'en ai vu, des monstres, au cours de ma carrière de soldat : et même avant, bien avant, tandis encore que je balbutiais. Déjà petit, j'affrontais des dragons.
Parce que les contes de fée n'apprennent pas aux enfants que les monstres existent : les enfants le savent déjà. Ils leur enseignent que ces monstres peuvent être vaincus.

Je croyais fut un temps que le Mal s'incarnait dans les caïds de l'école. Ceux riquiquis mais déjà si violents. Si dominateurs. Écrasants les petits et méprisants les grands. Des créatures qui démarrent la vie sur les chapeaux de roue : ils ont compris dès le début quelles lois régissent notre petit monde étroit. La peur. Règne sur tout. Lorsqu'on s'initie si tôt aux règles ignobles de la Nature, on s'aventure dans un sentiment de puissance si jouissif qu'il devient vite impossible de s'en passer. Le petit jardin du Diable est dans chaque cour de récré.

J'ai ensuite grandi, suis rentré dans ma période punk. Les caïds des écoles devenaient pauvres types et le véritable Mal alors était évident : les cerveaux au pouvoir, les cerveaux vicieux, encrassés de désirs primaux, des hommes-poissons des cavernes en costard. Soif insatiable de puissance qui les rendaient sourds aux cris des misérables qu'ils piétinaient durant leur interminable ascension. J'étais à ce moment-là persuadé qu'ils étaient la source de tout le malheur dans lequel croupissait le petit peuple. Ils montaient des frères les uns contre les autres, ils attisaient les bas instincts des nécessiteux, s'en servaient comme de leviers pour lever des hordes de zombies hypnotisés par d'innombrables promesses creuses. Leur faisant miroiter des montagnes de merveilles, mais les bousculaient en fait dans des précipices infinis de terreur et de peine.


Un cri strident balaye les lieux et les yeux de madame Sweetsong rougissent, avant de sembler pourrir dans leurs orbites. Elizabeth tient en ses mains le palpitant encore tiède de Sophia. De l'incarnation locale de l'innocence. Telle une déclaration de guerre au bon sens. J'ai mis du temps à réaliser ce qui s'est passé ensuite. Après le cri, il y a eu un flash. Des éclats de verre et des fractures cristallines. Des seringues que l'on projette à grande vitesse. C'est comme ça que Sweetsong se bat.

Puis des hurlements. Encore des hurlements. Stridents, déments.

HORRIBLE GARCE !

Au commencement de ma carrière, il y eut les barbares qui apparurent. La majorité des pirates ne sont pas des tueurs, des bouchers. Ils se charcutent entre eux mais n'attaquent pas les agneaux surveillés par leurs bergers. Puis il y a les autres. Qui se nourrissent de la faiblesse et de la terreur. Qui noient leurs chagrins passés dans le sang. Un cercle vicieux qui ne s'interrompra jamais, tu te souviens ? De la douleur naît la peur...

Des pirates, et d'autres monstres indépendants, sans alignement. Des âmes chaotiques dont la logique macabre échappe à toute classification. Parmi eux, il y a ceux qui naissent monstres. La vie les a étiquetés à la sortie du bide qui les a enfanté. Ils ne pouvaient pas tourner autrement. C'sont des choses qui arrivent, on peut apparaître dans ce monde en tant qu'être foncièrement mauvais. Durant ma carrière, j'ai croisé des créatures qui n'avaient d'humain que le langage. Et encore...


Elizabeth se sert des manoeuvres typiques des chiens enragés du gouvernement, le rokushiki du cipher pol, pour humilier la mère éplorée. Elle semble glisser entre les projectiles. J'ai la confirmation qu'elle n'est pas du tout ce qu'elle a prétendu être auprès de moi. Peut-être qu'elle ne s'appelle même pas Elizabeth. Elles se bafouillent des horreurs en luttant. Une mère. Une fille. Une soeur. Je l'ai dans le désordre.

Dans le dernier chapitre que j'ai écris, c'était moi, le monstre. De doux sentiments qui n'avaient jamais osé pénétrer cette âme bien peu chaleureuse qu'est la mienne ont, subitement, décidé de rentrer en moi par effraction et de cambrioler le peu de santé mentale qui me restait. Tomber amoureux d'une humaine puis décider de changer pour elle. Ça sonne comme un mauvais roman à l'eau de rose, non ? Alors on dirait que le véritable monde n'est pas suffisamment dur à cuire pour se passer de ce genre d'histoires mièvres. Mon coeur a cessé de battre pour Elle, mais pourtant, la volonté de me rattacher à un nouveau corps ne m'a pas quitté.

Est-ce que ça fait de moi un fou ou un monstre ? Où est la nuance ?
Quand deviens-t-on monstre ?


Un grand silence intérieur m'étreint subitement. Tandis que les deux furies entrechoquent leurs haines.
Le carrelage abreuvé de sang d'enfant reflète dans les moindres détails leur confrontation désespéré.
Je n'ai pas bougé, tandis qu'elles sont désormais dans des angles qui me sont inaccessibles.
Pourtant, je ne rate pas une goutte de cet écarlate poison qu'elles versent.
Il s'infiltre dans mes naseaux, il se frotte sur mes sinus. L'odeur du sang. Je reconnais les nuances olfactives de celui de Sophia. Elle s'était coupée avec un cutter, un jour, je l'avais pansée. J'avais humé son sang malgré moi, tandis qu'elle riait de sa blessure, pour penser déjà à la suite de sa vie. C'était dérangeant.

Sophia... Elle aurait du vivre. Elle aurait du grandir, rire, pleurer, explorer le monde d'émotions réservées aux grandes personnes. Maligne et curieuse, elle aurait été capable du meilleur comme du pire. Mais rien ici ne semblait propice à la diriger vers le pire. Elle détestait l'hôpital car il lui montrait de la douleur, celle des patients. Et parfois, elle voyait des morts. Elle fuyait les morts. Non pas par lâcheté, mais tout simplement parce qu'elle préférait rester auprès des vivants. Parce que la vie, c'était son pays, elle avait encore tant à explorer.
Sophia avait le coeur sur la main, mais aujourd'hui, il est dans la main d'une autre...

L'un des buts originaux de ma vie était d'apporter une paix à cette époque tourmentée.
Traquer les démons où qu'ils soient, peu importe la forme qu'ils prennent. C'est un peu ainsi que je me suis retrouvé en blouse blanche. Les maux du corps font partie de ces démons qui assiègent les âmes.

Le gouvernement a ses démons, de nombreux démons...
Il les héberge, les nourrit puis s'en sert comme d'une meute de molosses dressés à s'empiffrer de chair d'hérétique...
Le gouvernement m'a trahit bien avant que je ne décide de déserter. Nos mépris sont réciproques.
Je ne pourrai pas rester figé plus longtemps. Pas contempler le repas d'un monstre sans lui caler des litres de boue dans le gosier pour le lui boucher à jamais. Mes pores giclent à grosses gouttes ; je transpire une gadoue nauséabonde.

Si je veux quitter ces lieux en ayant l'impression d'avoir proprement finalisé ce chapitre de ma vie...
Je vais devoir la tuer. Tuer la tueuse d'enfant.
Sois prêt à aller jusqu'au bout, Craig. Cette agente est du calibre des monstres qui ne se calment que dans la tombe.

Tu dois débarrasser ce pauvre monde de ses démons, comme tu dois débarrasser des corps de leurs tumeurs et de leurs afflictions.

Tu es né pour cela.
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La scène reste figée, cristallisée dans un moment d'angoisse et de terreur, point obscur dans la ligne du temps où le passé et le futur semblent avoir cessé leur cheminement certain pour former un trou noir, une dimension libérée du poids des âges, immobile. Devant moi, la femme d'âge mûr pleure sur le cadavre de sa trop petite fille ; et elle tente de la faire revenir, de la faire bouger, de la faire parler, mais rien. Non, elle ne se lèvera plus, elle n'ira plus courir et dessiner des anges dans la poudreuse, elle ne grimpera plus aux arbres pour y bâtir des cabanes, elle ne se penchera plus sur son petit bureau pour écrire encore et toujours les mêmes phrases dictées par sa maîtresse. Elle est morte et je l'ai tuée. Son organe si chaud et délicat décharge ses dernières pulsions sanguinolentes dans la paume poisseuse de ma main ; ses yeux complètement vides, dénués de vie, ne battent plus la mesure du temps présent par la vitalité enjouée qui se reflétait auparavant si parfaitement dans le rouge vermillon de ses magnifiques iris. Son regard est froid et aussi dénué de sentiments que celui que je crois être le mien, sa sclère s'attache à un lieu fixe, se perd dans les joints des dalles du plafond et peut-être même par-delà, dans l'infinité du ciel et des domaines de l'empyrée.

Le néant, des yeux vides, partout autour de moi, partout avec moi. Cinq, tous morts. Une première paire me regarde, lovés dans des orbites interdits, abscons, ceux de l'homme-poisson au mental absent, perdu dans ses pensées ; je reconnais la pointe de folie qui émancipe son esprit de la prison corporelle et du paysage qui l'entoure. Deux autres globes injectés de sang maculent la scène, aussi inanimés que le corps qu'ils fixent inlassablement ; ils sont rouges, larmoyants, aux paupières plissées dans une expression de douleur infâme, dans la torsion horrifique des traits d'une mère qui n'en est plus une désormais, tourmentée par cette impression de s'être séparée d'une partie de son âme, de voir son propre futur se décomposer et voler comme les cendres d'un défunt que l'on répand aux quatre vents. Enfin, un dernier œil, observateur, qui n'a jamais réellement connu l'amour ou le bonheur et qui, par définition, n'a jamais été rempli : il s'interroge, il analyse, il devine et anticipe, c'est le mien. Que va-t-elle faire maintenant ? Je l'ai réduite à néant, je l'ai transformée en ce que je suis, je l'ai rendue creuse, morte et vivante à la fois. Va-t-elle s'en prendre à moi, va-t-elle rester là, transie ou attendre que la folie termine son repas dans le cerveau du criminel pour qu'il libère sa haine et que le combat de la Véritable Justice commence.

Non, je m'égare, elle n'est pas lâche, pas comme moi. Après tout, elle ne m'a jamais menti, elle m'a toujours montré la vérité, elle a toujours su que je le savais, que j'étais dans cette armoire et que j'entendais ses paroles chargées de détresse, de tristesse et de dégout. Je suis son monstre, son fantôme mais elle n'a jamais détourné les yeux, comme sur cette plage, comme dans cette cuisine, comme dans cette chambre où je dormais, toujours tournée vers moi. J'y repense à ce soir là, elle aurait pu tout arrêter, elle aurait pu ouvrir la porte et tout empêcher, mais elle a continué pour que je l'écoute jusqu'à la fin, pour faire finalement face à ses démons. C'est une forme de courage. Désormais elle n'attend qu'une chose pour se braquer, pour me sauter à la gorge, pour se charger de moi personnellement, car elle est responsable de ce que je suis maintenant. Elle se rend compte de son erreur, elle regrette davantage de m'avoir mis au monde, d'avoir voulu m'aimer, de ne pas m'avoir tuée. J'ai le détonateur dans ma main, je veux qu'elle vienne à moi, je veux qu'on en finisse.

Splack.

L'objet rouge et flasque s'échappe de mes doigts et vient rencontrer le carrelage froid et dur du corridor dans un bruit mou, éclaboussant mes bottes de gouttelettes du sang encore tiède de l'enfant assassiné. Soudain, à quelques millimètres de mon œil encore valide, je sens un brusque courant d'air me frôler le visage et fendre une des nombreuses mèches de mes cheveux sauvagement décoiffés. Sans que je puisse le remarquer à temps, elle m'avait répondu : elle s'était relevée subitement, avait sorti un projectile pointu de l'une des grandes poches de sa blouse maculée et me l'avait instantanément balancé au visage, comme elle l'aurait fait d'un couteau de lancer. La seringue m'avait évitée de peu et était venue s'enfoncer - sans se briser - sur plusieurs centimètres d'épaisseur dans la surface du mur en béton qui couvrait mes arrières.

De longues secondes de silence s'écoulent, ses yeux me fusillent du regard pendant que ses lèvres psalmodient une prière inaudible, la voix bloquée en travers de sa gorge sèche et abimée par les sanglots. Je reste immobile, étrangement stoïque à l'idée d'affronter ma propre mère, ce démon qui a envahi mes nuits, à l'idée de devoir en finir avec elle alors que j'ai déjà eu ce que je voulais : sa destruction. Un sentiment improbable se mue pourtant en moi et cette appréhension se solidifie au fur et à mesure que le silence disparait dans la promesse que la femme se fait à elle-même.

- Je vais te détruire...

La surprise de l'effroi soudain et incompréhensible embrouillant mon cerveau me taillade inopinément les jambes et m'empêche de bouger d'un cil. Estomaquée, je me perds dans la description de mon opposante alors que celle-ci se met en mouvement, la description de l'avalanche, de la montagne qui s'écroule et qui cherche à m'emporter avec elle. Alors j'admire ses yeux, grandioses, enfiévrés par la démence, puis j'admire sa bouche, étirée dans un sourire machiavélique et enfin j'admire ses pommettes, retranchées comme pour forcer l'apparence démoniaque qui la revête. Subitement j'abdique sans connaître véritablement la raison : j'ai peur, je suis effrayée, je perds mes moyen ; je reste pétrifiée, le regard plongé dans le miroir qui me renvoie cet écho. Figée face à la figure extrême de l'Ouroboros, je me questionne sur le pourquoi, sur la causalité finale, la téléologie qui crée ce paradoxe. Est-ce ma mère qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui ou bien est-ce moi qui ai fait de ma mère ce que je suis désormais ? Je devine qu'il n'y a pas de réponse et comme pour couper court à cet enchainement de pensées inutiles qui me bouleverse, Carryline Sweetsong pioche à nouveau dans ses réserves de seringues et en déploie une demi-douzaine chargées de contenus suspicieux, placées en éventail dans les intervalles de ses doigts.

- S-Soru...

J'échoue, pourquoi j'échoue ? Je n'ai toujours pas bougé pas d'un pouce, pourtant je vois l'aiguille s'armer dans l'élan et s'élancer vers moi à une vitesse improbable. L'estoque à distance me laisse juste assez de temps pour me retourner hâtivement et parer - en quelques sortes - un tir dans la tête possiblement fatal pour, à la place, le réceptionner dans l'omoplate. Je laisse échapper une grimace et un râle de douleur. L'objet s'enfonce dans un craquement et libère automatiquement son contenu dans mon organisme. Bientôt, mon bras droit tombe de lui-même, endormi, inactif depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts. Un puissant anesthésiant, c'était donc ça ? Elle compte m'endormir ? Non, non ça va bien plus loin que ça, elle veut se venger, elle veut me faire payer. Paradoxalement, l'attaque me revigore, me rappelle que je suis face à un ennemi, voire même deux ennemis mais l'homme-poisson ne semble pas vouloir se manifester, il reste témoin de la situation, visiblement groggy.

- Rankyaku Gaichou !

Malgré mon bras inutile, je conserve toujours mes trois autres membres valides et totalement opérationnels ainsi que les cinq doigts de ma main gauche me permettant d'effectuer des attaques rapides et dévastatrices. J'enchaine les lames d'air ornithomorphes du Rankyaku Gaichou et les Shigan à l'index pour à la fois repousser la doctoresse et contrer ses projectiles en plein air avant qu'ils ne m'atteignent. Me déplaçant spontanément à l'aide du Soru et esquivant nonchalamment sous l'effet du Kami-E, je la fais perdre progressivement sa santé mentale en la mettant dans l'incapacité de me toucher. Handicapée malgré tout, je garde un désavantage certain par rapport à l'ennemi qui déploie un arsenal d'objets tranchants réservés à la dissection et à la chirurgie. Je pare avec peine un scalpel visant directement mon cœur en balançant mon avant-bras comme bouclier pour réceptionner dans la chair sédatée le tranchant du couteau médical. Déployant des attaques à courtes comme à longue distances grâce à sa scie à os et ses seringues anesthésiante, la vieille femme entreprend de me fatiguer sur le long terme en m'obligeant à redoubler d'esquives. C'est alors que je porte mon premier coup grâce à une arcane dévastatrice mêlant un déplacement rapide dans l'air et une mitraille de petites lames d'air fondant sur l'adversaire.

- Kamisori... Rankyku Ran !

La vitesse de l'attaque est trop rapide pour permettre au médecin de faire quoi que ce soit à part bondir en arrière. Simultanément touchée au niveau de la poitrine, des cuisses et des avant-bras, des tâches rouges imprègnent finalement la blouse de la victime là où les coupures relâchent leur lot d'hémoglobine, délivrant en moi un profond sentiment de satisfaction. Je me sens au sommet de mon art, réduisant le monstre de mon enfance à la souffrance psychologique comme physique, faisant de ma génitrice une plaie béante ouverte à toutes les infections mentales, à la perte de conscience, à la mort. Elle n'est plus humaine elle non plus, elle n'a plus rien à faire dans ce monde et pourtant elle se débat pour survivre dans l'unique but d'en finir avec ma vie avant d'en finir avec la sienne. J'oublie qu'elle possède encore le talent de hurler à plein poumons sa rage, de cracher son fiel qui caractérise tout ce qu'elle était avant que je la fasse disparaître d'un simple coup de poing dans la cage thoracique de ce clone, de cette gamine de substitution qui n'avait d'autre but que de me remplacer. Elle croyait que je n'avais rien vu ? Elle croyait que je ne voyais pas en Sophia la rédemption faite chair dans l'unique but de se racheter, d'élever un enfant avec un véritable avenir, avec un réel capital émotionnel. Elle se trompait lourdement, je l'avais tout de suite compris et je l'avais libérée de ce tourment, de cette mission d'ersatz qu'elle aurait dû porter comme un fardeau. J'avais rasé l'intégralité de l’œuvre de ma mère, je l'avais agrippée, ma main s'était refermé sur elle et l'avait arrachée à sa machine infernale pour la relâcher sur le néant blanc et froid du sol aseptisé sur lequel nous combattions. Je lui communique cette pensée, celle de n'être désormais qu'un tas de viande dans ce bas monde, ce sentiment que je connais si bien et qui fait désormais de moi un agent du Cipher Pol accompli.

- HORRIBLE GARCE !

J'écarquille les yeux, elle m'a entendu ? Il arrive qu'un lien psychique s'établisse entre une mère et son enfant et je devinais qu'en quelques sortes cela venait d'arriver pour la première ainsi que la dernière fois. Pendant un court instant elle avait lu en moi comme en un livre ouvert et se fend depuis d'attaques vigoureuses multipliant le nombres de seringues avec lesquelles elle me mitraille et ses coups d'estoc et de tranche, avec ses nombreux minuscules poignards par lesquels elle me découpe avant même que j'aie pu esquisser le moindre Tekkai. Malgré la douleur je me prends à sourire, à encaisser les coups et à aimer ça. Je vois le sang se déverser sur elle comme sur moi, les multiples entailles et hématomes qui résultent de nos échanges et je sens ce lien émotionnel qui me lie pour la première fois de ma vie à ma véritable mère. Je sens se déverser en moi le flot de sentiments : la haine, la colère, le dégout, la peur, la tristesse mais aussi l'amour et le regret. Un amour qui n'est venu que trop tard et qui a engendré le regret, un amour enterré au plus profond d'elle et qui aurait pu me faire chavirer si j'avais encore un cœur, qui aurait pu me donner envie d'arrêter tout cela et de me jeter dans ses bras. Maman. Toutes ces années après mon départ, le regret avait tout de même fini par s'installer, il avait fait naître le manque et à mesure qu'elle était devenu humaine, qu'elle avait attendu un autre enfant elle aussi, moi, j'étais devenu un monstre jusqu'à être ce que je suis aujourd'hui, une meurtrière, une infanticide, une parricide. Et malgré tout cela, malgré les larmes qui font couler le mascara sur ses yeux lorsqu'elle continue à se battre avec une ferveur inimaginable pour l'image de ma sœur profondément ancrée dans son esprit, elle n'en reste pas moins humaine. Et c'est pour cette raison qu'elle échoue à me tuer.

- Tekkai Utsugi... SHIGAN OUREN !

La lame du scalpel vient se tordre et se briser contre mon torse, à deux doigts de s'enfoncer dans mon palpitant, avant de retourner la force du coup contre la pauvre femme qui perd l'équilibre et chancelle. J'agis d'abord et je réfléchis ensuite, profitant de l'ouverture pour tendre mon index et pénétrer à multiples reprises la chair de ma propre mère dans une gerbe de sang au niveau de ses poumons. Alors que je répète la technique indéfiniment, l'instant semble se décupler et chaque coup supplémentaire que je porte m'arrache respectivement un bout de moi-même.

- Maman ?

Sous la puissance des attaques meurtrières, le corps meurtri finit sa course encastré dans le mur, un fin filet de sang s'échappant de sa bouche, le regard absent. Respirant difficilement, Carryline Sweetsong, mère d'une enfant de huit ans assassinée par sa propre sœur ne cesse néanmoins de continuer à s'accrocher à la vie. Interpelée par une telle volonté, je m'interroge :

- Pourquoi ? Pourquoi tu ne veux pas mourir ? POURQUOI ?!

De mon unique poing viable renforcé par un Tekkai Kenpou maladif, je continue de la martyriser, d'abattre ma masse sur son visage, dans ses côtes, dans ses reins. De la frapper pour qu'elle meure. Même malgré cela, malgré la douleur, malgré ses organes vitaux touchés, elle résiste, elle encaisse, alors je la regarde attentivement, je la contemple, je la vois relever difficilement la tête, les yeux gonflés par la tristesse, le visage tuméfié, les lèvres coupées. Et elle me donne sa seule et unique réponse, la réponse que j'ai attendu toute une vie.

- Je... ne veux pas... te laisser... derrière moi... une fois de plus...

Un profond sentiment de solitude m'envahit, une incroyable impression d'être désormais seule au monde, comme si ces vingt-huit années n'avaient été qu'une illusion, qu'une farce. Désormais je le sais, je le sens. Suis-je allée trop loin ? Je recule, titubante, pour me plaquer au mur opposé, l’œil interdit, rivé sur cette femme si cruelle mais si humaine. Je tâte ma poche légèrement enflée et plonge ma main à l'intérieur. J'avais oublié. Alors, les larmes coulent, ma poitrine se serre et mon cou se crispe. Tenu dans ma main couverte de sang, l'ours en peluche semble maintenant lui aussi pleurer. J'ai eu ma vengeance, j'ai tué l'embryon de famille que je possédais, ne devrais-je pas être heureuse ?

- Alors pourquoi sommes-nous tristes ?


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 11 Nov 2015 - 3:23, édité 1 fois
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J'avance alors que Sweetsong agonise, je contrôle plus vraiment mes pas. Ils savent quoi faire. Mon corps n'est devenu plus rien d'autre qu'une arme, ce matin, je sens que je ne veux plus le voir servir qu'à ça. J'aimerais que ça soit son ultime dessein : abattre un monstre en déployant au préalable toute la puissance dont je suis capable sans jamais avoir cherché à la déchaîner auparavant. Enfin rentabiliser les pouvoirs infects dont je dispose, les investir dans une cause absolument juste. Les investir dans ce qui DOIT être fait.

Mon dos bouillonne quelques secondes, des furoncles boueux germant tout autour de mon aileron. Puis ils pètent, chacun leur tour, laissant gicler une petite dizaine de tentacules marécageux animés par ma détermination d'une profondeur vertigineuse : c'est un puits ; c'est un puits d'indignation duquel elle ne ressortira jamais. Mes mandibules surnaturelles s'excitent autour de moi et leurs gestes erratiques me paraissent presque instinctifs. Je ne les contrôle pas directement, mais je reste leur maître, et ils sont entièrement dévoués à leur mission.  

Bien sûr, tu es surprise, Elizabeth, peut-être terrifiée également. Quoiqu'il en soit, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je ne connais pas ton potentiel et il est possible que tu me surestimes. Ou bien mon marais va te dévorer avant que tu ne puisses t'évader par le rokushiki. Qui sait ? On s'est jamais vraiment connus. L'entièreté de notre relation n'avait comme fondations qu'un plancher difforme de mensonges. Ça ne me fera pas de mal de dynamiter tout ça et ne repartir sur de plus saines bases. Il n'y a que face à la Mort que notre vraie personnalité éclate dans la plus complète franchise.

Tu semblais pétrifiée tout à l'heure, face à Elle, tu as raté pathétiquement ce qui semblait devoir être un Soru. Était-ce de la peur ou une autre intrigue infâme née d'un esprit monstrueux ?

Tu parviens à lever ta jambe si vite que tu en sèmes mon oeil.

Ta lame d'air siffle dans le vent et je me gonfle d'une audace dangereuse. Ce n'est qu'une bourrasque tranchante, rien qui puisse m'inquiéter. Hein ? Elle me cisaille le bras, le bras qui porte ma main humaine impie, le bras maudit, par ironie. Il se décolle instantanément, voltige une pincée de secondes derrière moi, avant de partir s'écrabouiller sur le carrelage. Dans une flaque gargouillante, affamée. Non, Elizabeth, ou qui que tu sois, tu ne pourras pas me blesser comme ça. Des filaments boueux surgissent aussitôt de mon moignon pour danser ensemble. Et resculpter petit à petit ce bras écailleux que je méprise tant.

Le regard teinté d'hémoglobine de madame Sweetsong se questionne. Oui, c'est un peu à cause de moi, et de mes secrets, ce qui est arrivé à Sophia. Je ne peux rien réparer mais je peux éviter au drame de prendre encore davantage d'ampleur. Tu ne bouges pas, tu fixes mes nouveaux appendices. Et eux viennent à ta rencontre. La moitié cherchent à s'engluer contre tes membres, le dernier aimerait t'asphyxier en te bouchant cruellement la trachée. Une mort rapide mais désespérement dégueulasse, c'est tout ce que je te réserve.

N-N'la tuez... pas... Kamina...

C'était comme un murmure spectral dispensé par une carcasse plus morte que vive. Une dernière volonté de la mère éplorée baignante dans un bassin écarlate ? Qui voudrait protéger l'assassin de son enfant ?

Que je l'épargne ou non, elle finira dans un tombeau de vase ; je l'ai décidé. Une façon de la censurer. De priver ce pauvre monde d'une horrible réalité. Bâillonner sa folie et ces pulsions meurtrières qu'elle ne semble pas capable de refreiner, tout simplement. Je n'ai que peu d'égards vis à vis des molosses du gouvernement en temps normal... alors quand ceux-ci se torchent avec mes sentiments et éventrent des fillettes,
je ne suis guère disposé à tenter de m'accrocher aux vieilles valeurs pacifistes et naïves qui m'animaient autrefois...

Autrefois, je pensais que le Mal s'incarnait dans les caïds de l'école et parmi les vieux adultes pervers. Puis j'ai découvert, bien plus tard, ce dont j'étais moi-même capable. Ce n'est pas la première fois que je tue. Et j'ai beau l'impression d'avoir toujours une bonne raison de le faire, je ne perds pas de vue l'horizon de folie vers lequel j'avance à chaque acte sanglant.

Je serai ton copilote pour une virée en Enfer.


Lorsqu'elle détruit l'un de mes tentacules, un nouveau surgit pour le remplacer sur le champ. Je ne bouge même plus. Je joue. Je veux qu'elle contemple la sanction que je lui réserve. Qu'elle prenne le temps de se rendre compte. Qu'elle attende impatiemment sa Mort, mais qu'elle soit si DOULOUREUSE qu'elle ne pourra pas être qualifiée de délivrance. Mon corps froid laisse ses excroissances boueuses faire le sale travail à sa place. Et Elle, elle mène une lutte perdue d'avance. Meurtrie, paniquée et dévastée -je l'espère- par le crime qu'elle vient de commettre. Les rôles de chasseur et de proie se sont inversés extrêmement vite, parce que je m'improvise vengeur plutôt que fuyard. Il y a un fade arrière-goût de toute-puissance à ma situation, parce que mon pouvoir démoniaque est terrifiant, tout comme mon regard, ma détermination et l'implacable sentence que je lui dicte. Mais je sais qu'une éclatante victoire serait ici toute aussi amère qu'une retraite lâche.

Si j'avais vraiment eu un quelconque pouvoir, aujourd'hui, Sophia n'aurait pas été tuée.

Elizabeth sait que je la tiens. J'enchaîne les questions tandis qu'elle se débat avec les tentacules teigneuses.
D'épaisses gouttes de boue s'arrachent de mes mirettes. J'saurais pas dire si ce sont des larmes de tristesse, de colère, de stress, ou de toute autre émotion vicieuse qui se met aux commandes de mon esprit.

Pourquoi tu l'as tuée ?
Qu'est-ce qui a tant changé en deux ans ?
Où est partie ton âme ?
Pourquoi tu l'as TUÉE ?

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Je demeure à demi aphasique, bousculée par le torrent de boue qui se déverse dans tous les sens, qui prend des formes diverses pour venir m'exploser au visage. Craig s'était réveillé de son sommeil psychotique, de ses pensées chaotiques qui avaient dû torturer son esprit pendant toute la durée de la scène, le projetant dans un monde d'inconscience paradoxale où il se confrontait aux événements présents sans pour autant y prendre part corporellement. En furie contre moi au point que jamais je n'aurais pu assez rêver, désirer de le voir aussi perturbé mentalement, il avait soudainement recouvert le contrôle de ses membres et son regard était habité de ce sentiment pur et malsain qui force à commettre aussi bien les actes les plus bons que les plus odieux, dans la violence magistrale réglant trop souvent les conflits dans le sang et l'expiation par la mort. Lorsque le corps de Carryline Sweetsong avait chuté tête en avant sur le sol  carrelé, l'être humain dans l'être poisson avait disparu, complété par un désir irrépressible de vengeance, d'hémoglobine, d'une anthropophagie caractéristique des grands prédateurs marins comme terrestres.

J'essaye, je combats, je lutte du mieux que je peux pour me défaire des nœuds boueux qui m'entourent, m'encerclent et me piègent systématiquement où que mon regard aussi bien que mes jambes ou mes bras me portent. J'évolue en m'accomplissant de gymnastiques et autres pirouettes mêlant techniques du sixième style et acrobaties physiques pures et dures. J'enchaîne ma roue sur un Rankyaku Gaichou dans l'objectif de me débarrasser des lianes qui me barrent la route avant de m'effacer dans une pirouette arrière et de m'élancer vers le corps flasque et gluant du monstre d'une pression du talon. Maculant le sol, le sang, les cadavres de sa terre brune et collante, le pirate avait fini par modifier l'environnement alentour, créant un bourbier infâme dans lequel je m'étais d'ores et déjà faite avoir une première fois et devinais avec une parfaite exactitude le sort qu'il me réservait si je commettais une deuxième fois la même erreur. Forcée à évoluer dans un Geppou et un Kamisori constant, mon corps ne tiendrait pas plus longtemps si je n'arrivais pas à trouver un moyen de vaincre le Logia. Soudain, mon regard se porte sur une énième flaque de limon recouvrant le sol ; tel un grappin revanchard, l'effet secondaire de mes sombres action, l’œuvre d'un karma invisible redirige le flot de mes pensées vers la main d'enfant qui en dépasse, immobile, morte, blanche.

BLOM !

Le pilier de vase vient me heurter de plein fouet, distribuant son coup dans l'angle mort de mon unique œil, c'est à dire mon nez qui, même s'il reste court, demeure toujours un obstacle à ma vision périphérique. Vulgairement saisie à la cheville, l'organe long et boueux me soulève vulgairement comme une poupée de chiffon avant de m'assommer contre le sol et les murs alentours. Ma vision se trouble au rythme des chocs et me renvoie sonnée tandis que dans des pulsions de violences non-réfléchies, mon autre jambe ainsi que mon bras valide balayent l'espace en multipliant les attaques inutiles. Bientôt, une deuxième excroissance se mêle à la première et les deux commencent à m'envelopper dans un cercueil spongieux, froid et humide. La pupille dilatée, sombre, je devine la mort terrible qu'il me réserve.

- Tek... Tekka-KRAGHHH !! tenté-je vainement, terminant mon incantation dans une gerbe de sang s'échappant de mes lèvres.

Lentement mais sûrement, la boue devient plus compacte, plus dense, se resserre autour de mes articulations et de ma cage thoracique pour mieux me broyer, me composter alors que je suis toujours en vie. J'échoue à me rendre immobile, à me refondre dans une carapace de fer, je ne peux rien y faire. Je vais mourir.

- N-Ne la tuez... pas... Kamina... supplie une voix sortie d'outre-tombe, celle de ma génitrice, à demi-ensevelie dans le limon.

Pourquoi ? C'est ce qu'elle veut, elle veut me laisser derrière elle, elle n'attend plus que ça pour s'en aller, pour rejoindre sa fille. Elle veut voir disparaître son monstre, alors pourquoi ? Je sens l'étau de sédiment terreux se desserrer soudainement, me laissant l'opportunité de porter un coup au tentacule qui me retient prisonnière. Les poumons compressée, une ou deux côtes fêlées, comme un chat apeuré je reste immobile, les cheveux hérissés, prête à bondir pour sauver ma vie. Chaque mouvement est douloureux. Je fais état de ma situation et me rends alors brutalement compte que le combat est perdu d'avance ; avais-je visé trop haut, m'étais-je fourvoyée dans la chasse d'une proie plus forte que moi ? Pour la première fois depuis longtemps, j'étais faible et sans défense, toute petite dans la bulle de terre qui, à l'instar d'une cage m'emprisonnant, ne cesse de se reformer autour de moi pour m'empêcher d'en sortir. Je jette un coup d’œil soupçonneux à mon adversaire dans ce combat, il est fiévreux mais bien décidé à m'éliminer. L'intervention comateuse de Carryline Sweetsong l'a remué, l'a réveillé en quelques sortes, elle me laisse un délai pour fuir, pour exploiter la faiblesse de Craig : la curiosité, l'humanisme. Il veut savoir, il veut comprendre.

- Pourquoi tu l'as tuée ?

Dans mon crâne, la question se réverbère : doit-il forcément y avoir une réponse ? Devrais-je lui apprendre, lui enseigner, devrais-je lui dire que la mort n'est pas ce qu'elle est, qu'elle est une porte de sortie, une issue, une libération ? Oui, je punis les pirates en les tuant, je libère les monstres en les torturant, j'agis selon une méthode de réflexion binaire dont la mort ou la vie sont les deux seules issues. Et je suis un monstre car ma mère est un monstre ; Sophia en était forcément un, elle n'était pas réellement ce qu'il pensait qu'elle était. Juste un ersatz, juste une âme pour combler la poitrine vide et creuse de celle qui n'avait jamais su m'aimer. Car c'était la fin de sa ligne, car c'était le joyau, la prunelle, le trésor de ma génitrice, car c'était l'unique opportunité que j'avais d'attaquer son point faible pour la réduire en miettes avant de l'achever, je l'avais tuée. C'était à la fois par désir d'être unique, par désir de la libérer de cette horrible emprise maternelle et par désir de revanche que j'en avais fini avec elle.

- Qu'est-ce qui a tant changé en deux ans ?

Tout a changé, car les gens changent. Ils évoluent, ils risquent leur vie ou se terrent dans leur terrier, ils sont responsables d'exactions qui ont des conséquences. Qui suis-je pour donner la réponse à une question aussi vaste ? Tout a changé, y compris toi, ne le vois-tu pas, Craig ? Tu es horrible, tu es hideux. Oui, j'aurais dû te libérer toi-aussi ce jour-là, tu ne serais pas devenu un renégat, un criminel, un pirate. Si à cette époque-là je t'avais calculé comme le monstre que tu es aujourd'hui, si je n'avais pas été aussi faible, je t'aurais libéré.

- Où est partie ton âme ? Pourquoi tu l'as TUÉE ?

Cela suffit, l'interrogatoire a assez duré, je ne crois pas que tu mérites ces réponses, je ne crois pas que tu sois en mesure de les recevoir. Tu ne sais pas, tu ne comprends pas. Laisse-moi donc te faire percuter comment je fonctionne.

- Car j'en avais envie.

Je me complais dans l'étendue si vaste et pourtant si claire de ma réponse. Cela te convient désormais ? Oui, j'en ris, d'un rire tonitruant, d'un rire machiavélique, c'est si trivial, si cocasse, que j'en explose d'ironie. Et ce rictus terrible qui semble déchirer ta vision de l'humanité, qui ramène tes prunelles à la haine souveraine et me rapproche de toi, ta folie de la mienne, n'est-ce pas merveilleux ? C'est cela, montre-moi ta colère, puise dans tes ressources et deviens ce golem insensible que tu chéris tant, déjà ta peau se couvre du mucus boueux, déjà tes bras se disloquent en un amas de gadoue indescriptible. Oh oui, vas-y, énerve-toi à nouveau, finis ce que tu as commencé. Je t'invite même, au comble de ma bienséance, je n'ai plus le choix de toute façon, je dois faire face à ma mort, alors tant qu'à faire je te le dis :

- Tue...

- ...moi ?

J'écarquille des yeux gigantesques. La voix interrogative, tendre, innocente venait bien de résonner à l'air libre, sortie directement de mon gosier pour arriver jusqu'à mes oreilles de par l'extérieur. Je me cambre grossièrement, couvre ma bouche de ma main gauche. Mais elle ne veut pas se taire, même lorsque je l'en empêche. Mon bras retombe alors mollement le long de mon corps, me laissant emprisonnée, pieds et poings liés, dans mon enveloppe corporelle. Je ne me contrôle plus, c'est elle.

- PUTAIN MAIS QU'EST-CE QU'IL SE PASSE BORDEL ?!!

- Je... je ne veux pas mourir !

Alors que mon corps reste là, immobile, j'admire le torrent alluvial qui s'abat sur moi. Il a commencé. C'est trop tard et même si elle ne le veut pas, même si elle m'en empêche, elle ne peut éviter l'avalanche qui s'abat sure elle. Alors j'abandonne cette survie inutile. Et je me gausse intérieurement, simple spectatrice de ma propre mort. Non, de sa propre mort, elle a choisi d’intervertir les rôles, d'être l'actrice, d'être moi, je lui laisse la place. Ça va faire bien trop longtemps que je la garde à l'intérieur et je suis folle, je suis lâche, alors je lui la laisse volontiers, la peur de mourir et sa douleur vertigineuse. Rapidement pourtant, mon expression narquoise s'efface. Que fait-elle? Hein ? Elle reste immobile ? Non, non ce n'est pas possible !

- N-non !! Je ne mourrai pas ! T-tekkai Utsugi, n-nah !

La puissance du choc répulse violemment un mur de boue gigantesque tout azimuts : pendant une dizaine de secondes, la moitié de l'attaque de terre liquide générée se réoriente de tous les côtés, crevant le plafond, découpant les murs, explosant une partie de l'infrastructure sous la pression apocalyptique du torrent. Je devine la suite du scénario. Je sais que je n'ai pas la force nécessaire pour tout parer et rediriger, je sais que l'autre moitié s'abattra sur moi et viendra me briser les os, me laisser pour morte, elle le sait elle aussi, elle a compris avant moi. Elle est en train de me sauver la vie. Comme prévu alors, la deuxième vague vient me fouetter soudainement et me propulse contre la surface verticale la plus proche pour me clouer au mur et m'embraser la chair de la douleur d'un millier de coups de poings. Je serre les dents aux risques de me mordre la langue, les bras et jambes écrasées et broyées, le cœur sur le point d'exploser. Et puis les coups diminuent, ils deviennent lentement cinq-cent, puis cent, puis cinquante, puis dix et je m'écroule mollement, le regard perdu dans le vague. Mon odorat, mon ouïe, je n'ai plus que ça, mes cervicales dans un sale état m'empêchent de bouger, mais je le sens s'approcher et aussitôt s'arrêter, car mon autre sens m'indique des bruits de pas, des voix dans les escaliers. Ils arrivent, les secours, cela aussi elle l'avait deviné ? Était-elle mon ennemie ou mon alliée ?  Alors le requin n'a plus le choix, il ne vient pas tâter mon pouls, il ne vient pas m'achever, peut-être me croit-il morte ou peut-être sait-il que je suis encore en vie, mais ça l'importe peu, par une brèche dans le mur, le voilà désormais qui s'enfuit.

***

- Celle-là aussi est en vie !

J'ai mal, si mal, j'aimerais que tout s'arrête de tourner autour de moi, j'aimerais m'endormir une bonne fois pour toutes, mais la souffrance me rappelle automatiquement à l'ordre et m'empêche de sombrer dans ce sommeil froid et obscur que je désire tant, pour le meilleur comme pour le pire. Au lieu de cela, mon œil trouble, immobile voit un médecin ou bien infirmier se pencher au-dessus de moi et m’ausculter rapidement. Il a rendu son jugement : je suis en vie... je suis "aussi" en vie ? Je reste mentalement interpelée. Elle n'est donc toujours pas morte ? Ma couverture est gravement menacée, un seul mot, un seul aveu et je le sais, je suis foutue. Cependant, alors que l'on me transporte sur un brancard à ses côtés, sur sa gauche, j'essaye de réceptionner quelques mots des urgentistes, la chance semble me sourire enfin.

- ...plongée dans un profond coma... risque de ne pas se réveiller... blessures importantes aux poumons... assistance respiratoire...

Intérieurement je souffle, je laisse donc cette affaire de côté pour le moment. Enfermée dans mon scaphandre, les pensées continuent d'affluer, insensibles à la paralysie mais décidément sensibles à la fatigue. J'entends tout ce qui se passe autour de moi et reste témoin de la situation, sans pouvoir véritablement intervenir. Je discerne rapidement trois ou quatre voix différentes. L'ordre général a dû être donné, tous se précipitent désormais ici pour prêter main forte ou juste pour pleurer, certains sont dégoutés, désorientés car ils les connaissaient les victimes. Et Sophia.

- Oh non ! Non, non, non pas elle, ce n'est pas possible !

- Sophia... c'est terrible...

- Elle était si jeune...

Un autre, plus près de moi, régurgite son petit-déjeuner. Ironie du sort, le corps inerte de ma sœur est temporairement disposé à ma gauche tandis que celui de ma mère est à ma droite. Puis, au milieu du deuil, l'une des pleureuses dévie finalement un regard vers moi et semble noter la lueur de conscience qui se reflète dans mon œil que j'arrive à bouger légèrement.

- V-vous êtes encore consciente ?!

Je cligne, une fois, ça veut dire oui. Les autres gars, interpellés par le gueulement soudain avec lequel la gusse a posé la question se rapprochent. Je les compte : un, trois, cinq, six peut-être sept. Très bien, il me faut un maximum de témoins.

- Que s'est-il passé ??

"Craig", voilà ce qu'il s'est passé, voilà ce que je vais me torturer à leur dire, pour le bien de tous, pour le bien de moi et pour leur curiosité maladive. Ils veulent placer un nom sur cette mort, ils veulent savoir quel tueur d'enfant a infiltré leur hôpital et je vais leur répondre. Je suis la voix du Gouvernement Mondial, je suis rauque, inintelligible mais je vais le leur dire, leur seriner délicatement mon mensonge, briser définitivement la vie de ce monstre. C'est le point culminant, c'est l'instant charnier, jamais plus il n'aura un moment de répis, car les autres le verront pour ce qu'il est : un monstre, un pirate, un parasite qui doit être purgé. Ils s'approchent donc et tendent l'oreille. Un murmure, c'est tout ce qu'il faut. La bouche légèrement entrouverte, le nom s'échappe dans un léger souffle. Avant que l'ombre n'envahisse définitivement le paysage, que je ne sombre dans le coma qui guettait depuis longtemps déjà ce moment de faiblesse, je me régale de voir que ma réponse dessine sur leur visage cette expression à la fois de terreur et d'incompréhension tant convoitée.

- Craig... Kami... na...


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 12 Nov 2015 - 23:57, édité 1 fois
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Port de Drum, glacial en cette saison. 'Cause de la proximité de l'océan. Glacial relativement au reste de l'île, quoi, c'est à dire que les vents marins propulse la mâchoire du froid vorace, rendant ses morsures plus virulentes et plus vicieuses. Il ne fait pas bon de rester immobile sur le quai : c'est s'offrir en pâture à cet impitoyable océan gelé. D'ailleurs, peu de navires arrivent à s'extirper de la toile de glace tissée par l'hiver. Je regrettais de ne plus savoir nager, de ne plus pouvoir m'enivrer de cette écume qui me dorlotait autrefois, de ne plus avoir accès aux abysses paisibles que les drames de la surface n'atteignent pas. Mais j'aurais fini en surgelé dans tous les cas si je m'étais risqué à plonger là-dedans. Alors aujourd'hui, je supporte sans peine mon grotesque handicap.

Craig ? C'toi, p'tit alevin ? Rare de t'voir ici de beau matin !

Le visage rouge boursouflé, aux traits arrondis par la vinasse et à l'haleine fougueuse, le bonnet pointu blanchi et dressé comme une montagne, les cheveux blonds crasseux dégoulinant depuis les gouttières de laine miteuse, Martin n'est rien de moins que le cliché du pécheur au gros que seuls les embruns parviennent à faire décuver. Un gros balourd fasciné par la mer avec qui j'entretiens des relations pas trop malsaines, j'dirais. Ça m'étonnerait pas qu'il fantasme sur l'idée de me pécher et de préparer mon aileron en soupe pour sa petite famille, mais vu qu'il est bien le seule barge sur cette île qui pourrait satisfaire chacune de mes requêtes insensées... Ouais. Cet espèce de morse pâteux perpétuellement lesté d'une aura mixant subtilement la puanteur du poisson et celle d'alcool d'égouts, est le mieux placé pour transporter mon avenir à bon port. C'est dire dans quelles abysses je me suis perdu...

Tu descends pour m'aider à pécher ghein ? Bwahaha !
En fait, j'avais plutôt un service à te demander.
Oh ?
Tu penses que tu pourrais me faire atteindre... disons... Alabasta ?
Avec ma vieille épave ? Tu rigoles ? Elle chie déjà dans son froc à la moindre vaguelette au large. Alors traverser Grand' Line !
Ouais, je me doute. Tant pis.
Tant pis de quoi ? Bien sûr que j'accepte ! Ça c'est du défi pour Martin l'pécheur ! Te dis pas la gueule de ma femme quand j'lui ramènerai du thon royal d'Alabasta, bwahahaha ! Puis pourquoi craindre de couler quand on a un poiscaille à bord qui peut pas faire naufrage et qui peut nous sauver avec ses p'tites palmes si quelque chose foire ?
C'est que... je ne sais plus exactement "nager".
Hein ?
Je suis un poisson qui coule, quoi.
C'est pas vrai ? Bwahahaha ! T'es décidément une sacrée bestiole, toi ! Quand j'vais raconter ça à Germaine, elle...
On va à Alabasta avant d'aller voir Germaine ?
Tout d'suite là ? Chiche qu'on y va !

Chiche, ouais. En avant joyeusement pour une croisière suicidaire.

Il m'invite à le suivre d'un hochement de tête, avant d'alourdir l'ambiance d'un rôt gras suivi de près par un ricanement bruyant qui part ricocher en échos dans les montagnes. Pas un compagnon bien discret, mais sur sa petite chaloupe, une fois perdus sur l'immensité morne de Grand Line, plus rien ne pourra l'entendre rire, ou même pleurer. Idem pour moi. J'dois disparaître, une nouvelle fois. M'évanouir là où personne ne pensera à venir me pêcher. Redevenir cette ombre effrayée par le soleil et qui ne sait exister qu'embusquée derrière plus grand que lui.

J'ai l'impression de revivre ce genre de scènes en boucle. Des surchauffes de rage qui consument toute ma raison, un retour à la réalité morne, délavée d'émotions, puis la fuite, la course, la peur que l'inquisition ne dévoile au monde entier ce que je suis réellement. Échapper à un passé qui montre les dents pour partir se réfugier dans les bras d'un futur lunatique. La peste derrière moi, le choléra devant. Reculer me buterait, et avancer me laisse découvrir de nouvelles souffrances.

J'constate sur le pont qu'on est pas sur la translinéene, déjà. Avec ces planches qui pleurent sous nos pas. Cette barre verdie qui se présente comme une excroissance malade près de la poupe rongée par le gel. Des cafards ripaillent dans un baril de poiscailles en décomposition, la Mort a lâché un pet. Ça tasse du pathos dans mon pif. J'ai aujourd'hui trop humé les sous-vêtements intimes de la faucheuse pour supporter ça tout l'trajet.

Hop hop hop mat'lot ! Va falloir aider l'Martin, quand même ! Tu décroches l'amarre ?
Ouais.
Tu t'es roulé dans la boue avant d'venir ?
Ouais.
Bwahaha, j'faisais ça aussi quand j'étais jeune !
Il t'en reste au coin du museau ! Et sous les mirettes aussi, fais gaffe à tes oeils !


Ouais, cette vase collante. Elle me suce les écailles. J'ai l'impression d'être extraordinairement crade. D'être un infâme amas de pestilence, un vagabond dont chaque cellule est injectée d'une honteuse mélasse brunâtre. C'est la première fois que je le laisse à ce point ce démon de la fange gicler hors de moi. J'suis épris d'une tenace superstition à son encontre. Si j'abuse trop de la puissance démesurée du logia de la merde, il finira par immiscer ses boueuses tentacules jusque dans mon coeur.

Le destin m'a refilé ce pouvoir et je m'en suis servi pour tuer. Non... plutôt pour nettoyer. C'est ironique. Purger le Mal par le Mal. J'ai bouclé mon cycle avec Elizabeth. Le serpent a mordu sa queue puis a dévoré ses propres tripes. J'espère qu'elle est tombée suffisamment profond en Enfer pour ne plus jamais revenir hanter personne. Mis à part madame Sweetsong...

Et j'espère que Sophia s'est retrouvée catapultée dans les cieux, qu'elle veillera paisiblement sur ceux qui lui étaient chers.

Hinhinhin.

J'plaisante. Après la Mort, il n'y a que le Néant. On retourne tous au grand Vide. Les âmes sont disloquées et probablement recyclées en, hum, un compost spirituel. La Nature aime recycler. C'est tout ce qu'elle sait accomplir d'admirable. Faire croître l'espoir sur des cadavres. Puis les anéantir lorsqu'elle s'en lasse.

Mon projet tient toujours. Faire s'écrouler ce nauséabond Ordre des Choses et bâtir une Justice sur les ruines. Mais d'abord me dépouiller de ma carcasse de squale. J'ai besoin de moyens, beaucoup, beaucoup de moyens. Je dois prendre contact avec la révolution. J'ai besoin de protection. J'ai besoin d'un groupe solide. J'ai besoin de renouer avec la tendresse passée. Je sais aujourd'hui que j'ai l'âme d'un révolutionnaire. D'un extrémiste, peut-être. D'un barge, diront d'autres.

Elizabeth emporte mes secrets, et les siens, dans sa tombe marécageuse.
J'ai largement le temps de rallier une autre île d'ici à ce que les désastreux résultats de sa mission de bouchère n'arrivent aux veules endimanchés du gouvernement. Je referai alors ma vie. Encore. Encore, et encore, et encore. Jusqu'à ce que je la réussisse.

Je me charcuterai autant qu'il le faudra. J'peux plus supporter ce corps. Il est envahissant. Il tiraille ma chair. Il opprime mon âme. J'ai souvent d'horribles idées noires. Des envies de m'écorcher, comme ça, à chaud, tout vif et frétillant, m'arracher la peau, la rouler en boule puis la broyer.

Frangin, j'ai besoin de toi. Je deviens dingue.
J'mentais. J'ai besoin de toi. J'arrive à rien seul.
Je patine. Je trébuche. Je m'enfonce.
Besoin de quelqu'un à qui faire confiance.
Besoin de quelqu'un qui supportera cette croûte séchée sur mes doigts. Le cuir d'un autre homme.
Perdu. J'erre. Je tue. Je fuis. Puis ça recommence.
Encore, et encore, et encore,
Ça n'en finit pas. J'suis un bagnard enfermé dans ma propre vie. Faut que j'me sorte de là.
La révo'. Besoin d'eux. J'suis révo. J'veux leur couleur.
J'veux me sentir membre de quelque chose. Oublier ma piteuse condition en offrant mon existence aux vrais miséreux.
J'veux te retrouver, Tark. Pardonnes moi de t'avoir largué.
J'veux avoir l'impression de servir une vraie cause à tes côtés. Frangin.

L'esprit vaste et bouillant dans un corps étroit et glacial.

Eh, Craig ! Hésites pas à piocher dans l'garde-manger si t'as un creux ! Ça shlingue un peu et y a pas mal de mouches mais leurs crottes relèvent le goût au poiscaille !

L'amitié n'est qu'un mirage dans un désert émotionnel.
Une vie de mensonges...
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