« Ha non, je n’irais plus chez ce cinglé ! - Depuis quand t’es devenue si grossière ? Et où est donc passé la gentille Yamiko prête à tout pour aider ses prochains ? »
La jeune borgne croisa énergiquement ses bras sous son opulente poitrine, d’une jeune fille de dix-huit printemps, pour bien marquer sa dénégation.
Chocot Pinguit était la dernière personne qu’elle aimerait revoir. La dernière fois qu’elle lui avait apporté son repas, il l’avait accueilli d’une façon bien violente et ce pour une raison qui, aujourd’hui, elle ignorait toujours. Le vieil homme était connu pour ses actes insensés et imprévisibles. L’agression gratuite de Chocot envers la jeune chasseuse de primes, serveuse à temps partiels à l’auberge de Dame Marguerite, avait ôté toute l’envie à la jeune fille de le fréquenter, pourtant celle-ci était bien connue pour son côté plus que sociable.
Pinguit se faisait livrer ses repas quotidiennement par l'auberge de Dame Marguerite dont on disait qu'il était secrètement amoureux. Des bruits couraient que c'était pour elle, qu'il avait choisi Logue Town comme futur tombe.
« Cet homme ne mérite pas ma gentillesse ! … Dois-je vous rappeler qu’il a failli me perforer avec son sabre tout rouillé la dernière fois ? … Quand je pense que j’aurais pu attraper le tétanos à la moindre égratignure ! - Encore une fois, je te dis que jamais il n’aurait fait ça. Il est peut-être beaucoup trop rustre et impulsif mais ce n’est pas … enfin plus un tueur ! - Un mauvais pirate le restera toute sa vie. Il a cessé de tuer seulement parce qu’il n'en est plus capable ! - Pourtant, tu viens de dire qu’il avait fallu te tuer ? - Justement, il « avait fallu » ! Il l’aurait bien fait s’il en était capable ! - Je pense que, malgré son état, il pourrait encore tuer des simples civiles s’il le désirait mais il ne le fait pas parce qu'il a changé. - Je dirais plutôt parce qu'il ne tient pas à terminer les jours qui lui restent en prison. Vu son état, la Marine le rattrapera sans mal s’il commettait un nouveau crime … Et d’abord, pourquoi vous le défendez comme ça ? Demanda la jeune borgne avec suspicion. - Parce que c’est un très fidèle client comme un autre. Je ne veux pas le laisser mourir de faim juste parce que c’est un ancien pirate et que tout le monde le croit fou. - Un ancien criminel vous voulez dire et je pense qu'il lui manque vraiment une case ! Enfin bon, je suis d'accord avec vous : ce ne sont pas des raisons valables pour le laisser crever de faim mais pour son bien, je vous conseille de le faire livrer par quelqu'un d'autre ! - Mais tu sais très bien que je n'ai que toi sous la main ! Enfin, je ne veux pas te forcer … En tout cas, s’il a réussi à se faire détester par toi, c’est qu’il a dû vraiment pousser le bouchon bien loin ! Toi qui viens pourtant au secours même de ceux que tu es supposé arrêter, refuse d'amener à manger à un infirme ! Qui l'aurait cru ? »
La jeune fille resta silencieuse un court instant, la tête en ébullition. Son cœur lui dictait d’aller nourrir ce malheureux homme alors que sa raison lui disait de ne plus s’approcher de lui.
« Raaaaaaaa c’est bon ! Finit-elle par céder aux proies à la culpabilité. File-moi ce panier mais je vous préviens, je le lui dépose puis je me casse ! Je ne resterai pas une seconde de plus ! - Comme tu voudras. Natsuki récupèrera le panier et les couverts quand il reviendra. »
Un panier-repas dans les mains, la jeune borgne emprunta une ruelle assez bondée pour se diriger vers le domicile du turpide personnage.
Perdue dans ses pensées à se remémorer sa malheureuse dernière rencontre avec Pinguit, la jeune borgne fut ramenée dans la réalité par un garçon qui l’interpelait alors qu’elle avait atterri sur une grande place.
« Hum ? … Quelle île ? … Logue Town. »
La jeune borgne fixa un moment l’adolescent qui avait l’air complètement perdu. Un sourire, que ceux qui la connaissaient sauraient déchiffrer sans mal, la jeune fille mit le panier-repas entre les mains du jeune garçon sans même lui demander son avis.
« Enchantée Karot Ryuu, moi c’est Yamiko … On dirait que t’es nouveau dans le coin alors accorde-moi le plaisir de te servir de guide ! Un beau sourire accompagna la proposition. Mais avant, on va livrer ceci ! »
Ce fut ainsi qu’après cinq minutes de marche, la jeune borgne, talonné par Karot, atterrit devant une porte d’où sortait une odeur de renfermé.
Après quelques secondes d’hésitation, la jeune fille finit par toquer à la porte.
« C'est pour quoi ? - C'est pour votre repas Monsieur Pinguit. »
Un clic d'une porte qui se déverrouilla se fit entendre mais celle-ci ne s'ouvrit pas. Tout doucement, la jeune borgne prit alors l'initiative de la pousser puis discrètement, elle pénétra à l'intérieur, invitant Karot à la suivre.
Au seuil de la porte, les nouveaux arrivants aperçurent un homme qui boitait s'éloigner tel un mourant sur le point de s'écrouler définitivement.
Ancien capitaine pirate aigri, rescapé de Grand Line, aujourd’hui, Pinguit n’était plus qu’un être qui attendait son heure pour tomber pour de bon. Une difficulté insurmontable sur la route de tous les périls l’avait poussé à rebrousser chemin avec les quelques hommes qui lui restaient. Comme pour se venger de son lamentable échec, il avait fait des carnages sur les Blues jusqu’à ce qu’un « rasoir » de la Bounty National Agency, la plus grande guilde des chasseurs de primes, avait anéanti définitivement le reste de son équipage. Pinguit avait réussi à s’échapper des griffes du chasseur de primes malgré des graves blessures qui l’avaient obligé par la suite à cesser de jouer au dur. Il avait finit par s’échouer à Logue Town, où aujourd’hui, grâce au trésor qu’il avait caché puis déterré après son dernier lamentable insuccès en tant que capitaine, il menait une vie de reclus. Il sortait très peu mais ses rares escapades ne passaient jamais inaperçues car il provoquait toujours un incident mais rarement bien grave. Son état actuel ne lui permettait plus d’accomplir quelque chose de grandiose. Même un enfant pouvait le mettre Ko sans mal. Une des raisons pour lesquelles, la Marine ne cherchait même plus à l'arrêter. Pour elle, il avait déjà payé le prix de ses crimes bien que certains civils n'étaient pas de cet avis.
La jeune borgne récupéra le panier-repas des mains de Karot puis fit signe à ce dernier de rester là où il était alors qu'elle se dirigea vers l'infirme qui s'avançait toujours, les ignorant totalement.
Habituellement c'était Natsuki, un employé à temps plein de l'auberge de Dame Marguerite qui livrait les repas de Pinguit mais durant son absence, comme aujourd'hui, c'était elle qui s'occupait des livraisons à la place son collègue. Actuellement, elle était à sa troisième livraison dans cette demeure lugubre depuis qu'elle travaillait à l'auberge. Si la première s'était assez bien déroulée, la seconde avait failli se solder par la mort du client, qui avait tenté de l'attaquer sans crier gare et sans aucune raison, si elle ne s'était pas abstenue de riposter à la menace, se contentant juste d'esquiver les coups bien maladroits de l'infirme. Ce jour là, après être sortie de cette pièce, elle s'était promis de n'y plus revenir mais la revoilà qui s'apprêtait de nouveau à déposer le même panier sur la petite table comme la dernière fois.
« Je vous dépose votre re … »
Une lame qui menaça de la perforer interrompit la jeune fille pour esquiver le coup alors que le panier-repas tomba, heureusement sans se renverser, sur le meuble.
« Mais qu'est-ce qui vous prend Monsieur Pinguit ? Pourquoi m'attaquer vous de la sorte ? Demanda la jeune borgne, tout en continuant d'éviter chaque frappe toujours aussi maladroite de l'impotent. - C'est à cause d'une personne de ton espèce que j'ai fini dans cet état ! Cet homme m'a tout pris ! C'est à cause de lui si je suis obligé de me terrer dans ce trou ! - Cet homme ? Lâcha la jeune borgne qui avait fini accroché tel un singe sur l'entrait de la charpente. Ha ! Vous voulez parler du chasseur de primes ? - Ne prononce pas ces mots devant moi ! Fit le fou avec virulence tout en essayant de piquer le postérieur de la perchée, dont la jupe avait dévoilé ses contenus sous la loi de l'attraction, avec la pointe de son sabre rouillé. Descends de là ! - Pas avant que vous cesser de tenter de me tuer ! »
L'homme s'obstina et la jeune borgne jeta un regard implorant de lui venir en aide à Karot tout en espérant que le jeune garçon ne ferait pas du mal au déséquilibré … |