Une escorte de Skypiéiens veilla à ce que le Ptérodactyle et le yacht de Maselfush quittassent la Mer Blanche via la Highest Way sans problème. Et elle resta là, bien décidée à surveiller qu'ils ne fissent pas demi-tour. Car sur Vearth, à Shanda, se préparait une assemblée générale. Tous les Anges, Shandias et Sélénites étaient conviés par Chris, afin de faire le point sur la situation et préparer l'avenir.
J'avais eu le temps de plus ou moins assimiler la réalité des choses. J'allais devoir rester sur Skypiéa. Une fois le premier moment de panique passé, et les questions purement logistiques mises de côté (comment faire remonter mes affaires, etc.), j'avais analysé ma situation. Et la conclusion avait été que je n'avais pas ma place ici. Je n'avais rien à apporter aux Skypiéiens. Ni mon éducation de jeune fille de la bonne société, ni mes études de CP ou mes compétences d'espions qui pouvaient aider à monter un gouvernement et un parc d'attraction. Je n'avais pas la gueule d'une comptable et encore moins celle d'une guide touristique.
Inutile. C'était bien la sentence la plus affreuse pour moi. Coincée ici. Je savais que si je prenais le large, et que j'étais prise ailleurs que sur Skypiéa, ça se retournerait contre les habitants. J'étais faite comme un rat, et je détestais ça. Pendant que les Anges d'Héailleutou débarquaient sur la place centrale, je me pris à tous les détester. J'avais envie de massacrer leurs bonnes bouilles rondes de naïveté, d'effacer leurs sourires soulagés, à coup de poings. Ils n'avaient pas le droit d'être heureux quand moi, j'étais au trente-sixième dessous. Et c'était un sentiment qui me répugnait. Quelle égoïste je faisais. Aussi, je décidai de m'éloigner, le temps de me calmer. Ce fut ainsi que je me promenai au milieu des ruines, tentant de me projeter un futur dans l'une d'elle. Pour moi, il était hors de question que je travaillasse sur l'Île Maselfush. Au détour d'un bâtiment, je découvris Lullaby, qui avait le nez en l'air, comme moi.
Je n'avais eu que des échanges rapides avec elle, et toujours dans le feu de l'action. Mais elle m'avait fait une bonne impression. Après tout, elle avait travaillé aux côtés d'Alincourt sans péter les plombs. L'Angette avait la tête sur les épaules, et conforta mon opinion très rapidement.
- « Tu fais une drôle tête. Tu as le mal du pays ? Ou une allergie aux locaux ? »
- « …. tu as le haki de l'empathie, ou quoi ? »
Elle eut un rire court.
- « Non. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais rien, pas le moindre mantra en moi. Mais je suis plutôt douée pour lire entre les lignes, et en ce moment, tu es un livre ouvert. »
- « .... » Je grommelai entre mes dents. « Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ? »
- « Comme toi, je visite. Je n'ai jamais mis les pieds à Shanda avant. J'ai vécu sur Héailleutou, puis au camp du GUANO, je te le rappelle. Tu sais, tout ça est aussi nouveau pour toi, que pour moi. C'est presque plus difficile pour moi. »
- « Comment ça ? »
- « Pour toi, tout ça est nouveau, mais pour moi, c'est étrangement familier... En fait... imagine que vous gagnez, les Révolutionnaires. Vous virez les salopards au sein du Gouvernement Mondial et vous prenez la suite. Imagine alors comme tout sera similaire, mais complètement différent, avec quelque chose comme un saut de la foi dans l'inconnu. C'est exactement ça. »
- « …. c'est vrai... à force de me focaliser sur la victoire, j'ai complètement oublié de prévoir l'après. » Je m'arrêtai. « En fait, je n'ai jamais prévu l'après. Si ce n'était en rêve ou autre. » avouai-je avec un drôle de pincement au cœur. Tudieu... est-ce que quelqu'un au DRAGON y avait pensé ? Il fallait espérer que oui.
A mi-mots, je confiai à Lullaby mes soucis, sur ce que j'allais bien pouvoir faire.
- « Je ne connais rien d'ici. Même pas les fleurs et les animaux. »
- « Tu sais, tu m'étonneras toujours. »
- « Hein ? »
- « Tu vois toujours les choses en noir. Je veux dire, tu penses ne servir à rien, alors que tu as une compétence plus qu'experte, en tant qu'unique détentrice. »
- « Hein ? »
- « Tu connais le monde d'en-bas. Pas seulement Malsefush, mais tout le reste. Les fleurs et les animaux compris. Ce monde, que Maselfush veut faire monter ici. Nous, on ne le connaît pas. Il va falloir nous apprendre. J'espère que tu es bonne pédagogue. »
- « Non, pas vraiment. Je suis une chef d'équipe, dure, exigeante et extrêmement tatillonne. Et j'ai toujours raison. » Lullaby roula des yeux et poussa un de ses soupirs légendaires.
- « Hé ben, ça fallait longtemps... »
- « Hein ? »
- « Non rien... Shaïness ? »
Je m'étais arrêtée. Plus haut sur un des murs,il y avait une fresque gravée et les motifs me disaient quelque chose. Pourtant, ce n'était qu'une impression, et je ne pouvais pas mettre la main sur le pourquoi du comment ça me semblait familier.
- « C'est quoi,ça ? »
- « Hum.... c'est la première fois que je vois ça. Mais bon, Vearth, ça vient de Jaya, et Jaya, de Grand Line. C'est peut-être pour ça que ça t'est familier ? »
- « J'sais pas. Je ne suis jamais allée sur Jaya. »
Je fis un gepo pour me hisser à la hauteur de la sculpture. Puis je pris pied sur une des nombreuses pierres affleurantes. C'était ce qu'il y avait bien, avec les ruines.
- « Une idée de ce que pourrait être ce bâtiment ? »
- « Hum... Comme ça, je ne vois pas. Il faudrait demander à un Shandien. »
- « Skypié--- » J'étais en train de la reprendre quand elle fit quelque chose qui me sidéra. D'un coup, ses cheveux devinrent aussi longs que durs, et elle les utilisa comme des échasses pour venir me rejoindre sur une pierre adjacente à la mienne. « … c'est le retour à la vie, ça ? » J'en avais entendu parler. C'était la première fois que j'en voyais la démonstration.
- « Oh, ça a un nom ? Je ne savais pas. J'ai développé cette technique quand j'essayais de débloquer un mantra. J'ai beaucoup médité, tentant de sentir le monde autour de moi, et tout. »
- « Et au bout du compte, tu as appris à te sentir, toi. »
- « Quelque chose dans le genre. »
- « Mais comment tu fais ? »
L'examen de la frise n'avait rien donné. Les gravures courraient sur quelques mètres du bâtiment. Le temps en avait effacé une partie, les fissures et les pierres tombées le reste. Du coup, je laissai tomber. Après tout, j'allais avoir tout le reste de ma vie à chercher où j'avais vu ces signes. Nous continuâmes à discuter du retour à la vie, et de petites choses, pendant que nous nous promenions dans la cité antique. Puis ce fut le moment d'aller assister à la réunion collective.
La foule de Skypiéiens m'impressionna, avant de me rendre compte que tout compte fait, on avait là une population assez réduite, face à des Alabasta ou même Logue Town. On ne devait pas dépasser les 10 000 âmes, et parmi ce nombre, des enfants et des vieillards. Parmi les anges d'AI2, beaucoup ignoraient encore que Chris, le fondateur de leur communauté, était encore en vie. L'ancien Prophète fut acclamé alors qu'il montait sur l'estrade. D'un geste, il imposa le silence et commença à raconter ce qu'il lui était arrivé, et plus important encore, ce qui venait de se passer, ces derniers jours. Il y avait quelque chose de touchant, dans tous ces visages tournés vers Chris. Un petit vieux pour les porter vers l'avenir. Pas étonnant qu'il eût dit à Maselfush qu'il allait passer la torche. Il incarnait la sécurité du familier, pas le saut vers l'inconnu. Ceci dit, qui parmi eux tous avaient les épaules assez larges pour reprendre la torche ?
- « Ainsi donc, nous sommes désormais un seul et même peuple. Les Skypiéiens. Je sais que ça va être difficile de mettre fin au climat de défiance entre nous, mais rappelez-vous que cette hostilité n'existe que parce qu'elle nous a été transmise. C'est un héritage dont nous pouvons nous passer.
Maintenant, l'urgence est de nous choisir un gouvernement, et son chef de file. Je ne suis là que pour un intérim que je souhaite le plus court possible. Je propose donc que nous prenions tous le temps de la réflexion et dans deux heures, nous nous retrouvons. Ceux et celles qui veulent postuler pour le poste pourront s'exprimer. Et après ça, on verra. »
Magna Carta
Pendant la pause, beaucoup de personnes vinrent me voir. Chris avait clairement établi le rôle que j'avais joué et expliqué les raisons de mon séjour à perpétuité parmi eux. En fait, il n'avait absolument rien caché, sur Gisèle, sur Phil ou sur les Marines. Aussi nombreux étaient-ils à avoir des questions sur ce qui allait se passer, ou ce qu'était le Monde de Grand Line. A tel point que je me retrouvai sur l'estrade, à m'adresser à un très large public.
Et là, je bloquai. J'avais mis mon cœur à nu devant les Shandia, GUANO et Lune Noire. Ils savaient tout de moi... enfin, ils savaient les deux grands secrets que j'avais toujours dissimulés : mon allégeance révolutionnaire et mon fruit du démon. Mais ils n'avaient été qu'une poignée. Là, je faisais face à un nombre bien plus important de personnes, et plus jamais je ne pourrais contrôler le partage de ces informations. En plus, il y avait un prix à payer pour qui me trahirait. Aussi je décidai d'être claire.
Puisque j'allais vivre ici le reste de ma vie, autant commencer à neuf. Fini, les embrouilles, les demi-vérités, les masques et les rôles. Je n'avais de compte à rendre qu'à moi-même, et au futur chef de … ma tribu... Et là, un sentiment fort s'empara de moi. Jamais auparavant je n'avais senti cette acceptation totale, complète. Ces gens ne me connaissaient pas, pourtant, ils m'accueillaient. Je ne pouvais pas plus leur mentir que les protéger à outrance. C'était pour moi, un réel nouveau départ. Quelque chose dont j'avais toujours rêvé sans me l'autoriser. Lullaby avait raison, j'aimais voir les choses en noir...
- « Il faut que vous sachiez une chose essentielle me concernant. » fis-je soudain, interrompant ma description des Blues. « Tout ce que je peux vous dire à propos du monde d'en-bas, des Blues comme de Grand Line, sera forcément teinté. J'ai une vision des choses bien différentes de ce que la plupart des gens ont. Je ne vois pas le Gouvernement Mondial comme un symbole de paix. »
- « Tu m'étonnes, vu ce qu'il voulait nous faire, moi non plus ! » railla un anonyme dans la foule.
- « Non, ce n'est pas ça. » Je secouai la tête, très soucieuse à l'idée de faire passer la juste information. « Un Dragon Céleste, c'est ce que le système peut faire de pire. Mais la Marine, et la globalité du système n'est pas, en théorie, mauvaise. Ce que je veux dire, c'est qu'en bas, tout est nuance. Il n'y a pas de méchants, il n'y a pas de gentils exonérés de toute faute. »
- « Après ce que Chris et toi nous avez dit, ne me dis pas que tu dis que ce Maselfush est innocent. »
- « Il est méchant parce que le système l'a laissé l'être. Si quelqu'un s'était dressé contre les Dragons Célestes, les choses seraient réglées depuis longtemps. Or, c'est exactement ce que je voulais dire. Je me suis dressée contre le système. Certains d'entre vous le savent déjà, je fais partie d'une organisation secrète, l'Armée Révolutionnaire. Le Gouvernement nous fait passer pour des criminels, utopistes et/ou terroristes. Parce que nous nous opposons à la déchéance du système. Nous sommes contre les avantages indécents des Dragons, contre l'esclavage, contre la main mise sur la Marine, contre la corruption en général. » S'en suivit de nouveau le petit topo sur la Révolution, histoire de mettre les choses au propre. « Tout cela pour vous dire que ma vision des choses n'est pas celle de la majorité, et que je vous invite à faire votre propre opinion. »
- « Pourquoi nous dire ça ? Tu penses vraiment qu'on n'est pas capable de faire la différence ? »
- « Roo, pas la peine de monter sur vos grands chevaux ! Excusez-moi de douter un petit peu de votre capacité à juger correctement les choses ! Dois-je vous rappeler que vous sortez d'un siècle de guerre civile et d'isolement ? Vous êtes à peine capables de vous penser comme une nation unie ! Alors, être capable de juger de l'état d'un monde dont vous ignorez tout, d'une situation qui dure depuis des générations, sur la quasi-totalité du monde ? Non, vous avez encore trop l'habitude qu'on pense pour vous, que ce soit vos Prophètes, votre Dieu ou votre chef. Je ne veux pas que vous croyiez mes paroles comme une vérité unique. »
- « Si on en croit tes dires, réaliser que le GM est vérolé, c'est pourtant ce à quoi toute personne censée va finir par aboutir.
- « En effet, mais c'est un processus de pensée que vous seuls, en votre fort intérieur, individu par individu, doit réaliser. Si je devais vous décrire le monde tel que moi, je le conçois, sans vous mettre en perspective toutes les données, alors je vous imposerais ma vision des choses. Et je ne serais alors pas meilleure que ces Dragons Célestes que je combats. Je serais un tyran, et je vous maintiendrais dans un état proche de l'enfance, quand les parents mentent ou trichent avec la réalité « Mange ta soupe sinon les ogres viendront de manger »... C'est du pareil au même. »
- « Et si on décide d'exercer notre liberté de pensée et de dire que le Gouvernement, c'est chouette et de te dénoncer comme Révolutionnaire ? » Tiens, il y en avait un qui avait oublié d'être bête.
- « Alors, plusieurs choses. Dénoncez-moi publiquement, et c'est votre protecteur qui va mal le prendre. Perdre la face en public ? Se faire dire qu'il a hébergé une révo sous son nez, dans son paradis ? Vous prendrez un sérieux coup de bâton en retour. Vu le caractère du type, vous finirez tous esclaves. Dénoncez-moi à la Marine plus discrètement, et le Gouvernement viendra ici, à Skypiéa, se mêler de vos affaires. Le Conseil des Étoiles trouvera bien un moyen pour négocier avec Maselfush l'établissement d'une base, et ne serez plus jamais chez vous. Et je vous rappelle que--- » Je m'arrêtai brusquement. J'allais leur parler du poneglyphe et du fait que si jamais le GM devait en entendre parler, c'en était fini d'eux. « --- la présences des Sélénites ici doit rester un secret. Eux risquent plus que la mort, mais la torture. Sans compter que le GM ne s’embarrasse jamais de superflu. S'il pense que vous sacrifier tous sera plus facile, moins onéreux, ou moins dangereux que de laisser potentiellement un foyer révolutionnaire vivant, il rasera tout. »
- « Donc, en gros, tu nous as piégés ? »[/ Je haussai les épaules.
- « Pas vraiment. Je vous dis simplement que dévoiler mon secret sera plus dangereux qu'autre chose. » Sans parler de la vengeance que l'UR pourrait déclencher sur Skypiéa si je devais être vendue à cause d'eux.
- « Alors on fait quoi ? On ne peut pas te faire confiance, tu nous as dit de penser par nous-même. »
- « En effet, j'ai dit ça. Donc c'est à vous de décider ce que vous allez faire de moi. Je vous laisse juge : je vous ai dit toute la vérité, allant jusqu'à vous confier ma vie. J'ai tout fait pour vous sauver des griffes de Maselfush. Je suis coincée ici, je ne peux même pas vous dire que je vais vous laisser tranquille. J'essaie de faire de mon mieux, pour vous, pour moi, pour tout le monde. Mais nous sommes que des humains, hein. »
- « Ben parle pour toi. Nous, on est Skypiéiens. »
- « Justement, mes amis. » intervint à ce moment Chris. « La présence de Shaïness parmi nous pousse à réfléchir. Elle est dorénavant aussi Skypiéienne que vous et moi. Il ne faut pas confondre race, et nationalité. Je vois des Anges, des Shandias et des Sélénites. Tout comme il y a des Humains, des Hommes-poissons et des Longs-bras sur le monde d'en-bas. »
- « J'vois pas où est le problème ? Ce n'était pas comme si on allait accueillir des étrangers. On est une race, les Skypiéiens, et on est une nation, les Skypiéiens. La petite humaine est l'exception qui confirme la règle. Et comme elle est coincée ici, comme elle dit, elle va forcément épouser l'un d'entre nous et ses gosses seront Skypéiens et voilà. »
- « Euh... pour aussi charmante que soit cette déclaration d'amour, je vous signale que j'épouserai qui je veux, déjà, et--- »
- « Que dalle. Tu vas être Skypiéienne. Et c'est tout. On n'aura qu'à te baptiser ou autre. »
- « Bon, bon, tout cela est bien, mais on verra le cas particulier de Miss Raven-Cooper plus tard. »
Chris mit fin à l'échange qui allait rapidement tourner en eau-de-boudin. Mais je trouvais qu'il avait un point. Le racisme des Skypiéiens allait être un obstacle de poids. Cependant, on ne pouvait pas changer leur monde d'un claquement de doigt. C'était déjà bien qu'ils commençassent tous à se sentir unis, même si je regrettais que c'était en rejet du monde extérieur. Quelque part, je commençais à m'affoler. Ce n'était pas du tout ce que j'avais voulu !!
- « Je proposer qu'on commence à parler de mon remplaçant... Est-ce qu'il y a des questions urgentes à traiter avant qu'on attaque ce dossier ? »
- « OUI ! » tonna une voix forte. Un Skypiéien s'avança. Dans la force de l'âge, il avait un visage fermé surmonté de sourcils épais en touffe, un corps qui avait dû être solide avant que le temps n'agît. « Moi, je veux bien faire la paix avec les Shandias, et le GUANO, et les Lunes Noires. Et même avec ses connards de Sélénites, même si j'en veux pas un chez moi ou dans ma famille. Mais là où je ne suis pas d'accord, c'est être Skypiéiens avec ces abrutis de la Secte à Skippy !!! Je veux qu'on les exécute tous! »
La secte à Skippy, je dus m'en souvenir, englobait les Anges et les Shandias qui avaient suivi ledit Skippy dans un mouvement d'adoration mystique des Sélénites. Les Fils Illuminés de l'Astre je crois bien. Rafaelo avait rapidement réglé ce petit problème en tuant leur homme fort puis en faisant s'écraser un vaisseau interstellaire sur le museau du prénommé Skippy, devenu depuis feu-Skippy. Dans la foulée, l'accident avait fauché les autres dirigeants de la secte, laissant ainsi une bonne dizaine d'individus complètement perdus. La déchéance des Sélénites de leur piédestal d'êtres d'exception venus d'ailleurs avait fini par les achever. Quand Rafaelo prenait un sujet à bras-le-corps, il n'y allait pas de main morte. Vu qu'il était manchot, il y avait là un côté très ironique qu'on ne pouvait ignorer. Life is a bitch, comme ils disaient.
Bref, je ne voyais pas où était le problème.
Apparemment, ça venait du fait que les Fils et Filles de l'Astre étaient considérés comme traîtres à leur sang. S'allier avec des Shandias, c'était déjà hyper mal vu, mais au moins, ils venaient du coin. C'était des autochtones. Alors que les Sélénites étaient les sales envahisseurs. Ceux qui avaient brûlés Giant Jack jusqu'à la racine. Les Illuminés s'étaient détournés des leurs, pour se mettre en mode carpette devant des Sélénites.
Ça n'avait, pour moi, aucune logique.
Et pourtant, ils piapiattaient tous, se lançant dans des argumentations et contre-démonstrations les plus alambiquées les unes que les autres. Une part non négligeable des Héailleutoutiens voulaient leur mort. Pour des Anges retirés du monde, j'les trouvais assez sanguinaires, pour le coup. Chris tentait de tempérer, sans grand succès. J'avais commencé à descendre de l'estrade, vu que le moment de pédagogie était passé. Cependant, une poussée d'enseignement supérieure me poussa à faire des heures supplémentaires, ce qui n'était pas très orthodoxe. Pourtant, je ne pus m'en empêcher :
- « Ah ben bravo ! Elle est belle, la haute société Skypiéienne ! C'est ça, l'élite sociale, chez vous ? C'est comme ça que vous voulez régler vos problèmes ? Par la violence ? La mise à mort unilatérale ? C'est ça, penser par vous-mêmes ? Hé bien, pas étonnant qu'on vous prenne pour des sauvages! Parce que vous en êtes !!! » crachai-je.
- « Heu.... ben.... on pourrait peut-être les juger ? »
- « Et avec quoi, bougre de crétin ? Vous avez une charte législative unique? Une loi du peuple par le peuple pour le peuple ? Ne serait-ce que des principes d'éducation communs ? Et bon, si on les juge eux, quand est-ce qu'on juge les Héailleutoutiens, pour avoir été traîtres à leur sang ? Après tout, ils ont fait sécession contre les ordres d'Alincourt qui était Dieu à cette époque. Mais qu'est-ce qu'ils ont fait de si terrible que ça, vos sectaires ? Eux au moins ont agi selon leurs convictions ! Certes, ils se sont laissés bernés par de jolies paroles et la peur. Et alors ? Lequel d'entre vous n'a jamais eu peur ? Lequel d'entre vous n'aurait pas été prêt à tout pour sauver ses miches ? Vous avez tous, à un moment ou l'autre, merdé, et pédalé dans la choucroute ! Va falloir arrêter de penser que l'autre est plus méchant que vous ! Grandissez un peu ! Vous n'avez pas le temps de vous perdre en de tels enfantillages ! Franchement, si j'étais vous, j'aurais honte, et je souhaite bien du plaisir à celui ou celle qui sera votre chef, tiens ! »
A ce moment, Amaspa s'avança sur l'estrade. Je l'avais déjà dit, nous ne nous étions pas aimées, toutes les deux. Bien trop semblables. Et ce que nous avions en commun, c'était cette fierté qui nous empêchait de reconnaître la défaite. Nous pouvions être beaucoup de choses, mais humble ne faisait pas partie de la panoplie. Elle marchait comme la Reine de Sabbat, le menton haut. Elle n'éprouvait aucune honte quant aux agissements passés de son peuple. A la guerre comme à la guerre.
- « Beaucoup d'entre vous ne me connaissent pas. Je suis Amaspa Tessu, la représentante des Sélénites sur Skypiéa. La plupart d'entre vous ont plutôt vu, s'ils nous ont vu, mon camarade, Hono. Si je viens ici, c'est en ma qualité de... chef Sélénite ? »
Il semblerait qu'il y avait de l'eau dans le gaz dans les adoptés. En fait, et je l'appris plus tard, il s'agissait là d'une pudeur nouvelle pour les Sélénites et Amaspa en particulier. Comment oser parler de « chef Sélénite » alors que depuis le début de cette journée, on parlait d'un seul et même peuple, les Skypiéiens ? Le terme de chef était mal choisi, mais c'était pourtant la réalité des faits : tous les natifs de la Lune se tournait vers elle pour les guider vers la voie de la paix et de la cohabitation.
« Je ne vais pas présenter des excuses pour ce qui s'est passé, et ce que nous avons fait. Les actions de guerre se justifient toujours pas elles-mêmes. Mais je voulais que tous et chacun sachent que nous, les Sélénites, n'ignorons rien du mal que nous avons pu faire. A vos amis, à vos familles. Et puisque nous sommes ici pour rester, il est temps d'assumer les conséquences de nos actes, pour construire ce futur de paix auquel nous aspirons tous.
Ainsi, si les membres de l'ancienne secte des Fils de l'Astre ne peuvent pas revenir parmi vous comme ça, permettez-leur de gagner leur pardon en travaillant avec nous. Nous sommes Sélénites, encore en ce moment. Mais nous devons devenir Skypiéiens. Nous ne sommes pas prêts à renoncer à tout ce qui fait de nous ce que nous sommes. Certains éléments de notre culture sont d'ailleurs une avancée par rapport à ce que vous connaissez. En retour, nous allons devoir assimiler des choses venues de la civilisation Shandia ou Angesque. Laissez donc les ex-Skippy-ois faire le trait d'union entre vous et nous. Ils retrouveront ainsi leur fierté d'Anges ou de Shandias, en devenant des Skypiéiens. »
Elle n'avait pas le choix. Son discours était sûrement fondé sur un sentiment réel de sollicitude, mais je subodorais que sa motivation était beaucoup plus terre-à-terre. Ça n'enlevait rien à la véridicité de ses propos. Mais voilà, c'était déjà moins « noble » de sa part d'agir ainsi si elle le faisait en ne pensant qu'au nombre limité des siens et la meilleure façon de survivre. Et le fait que ça lui coûtait tant de se tenir là, sur cette estrade, ne renforçait que d'autant sa position de leader des siens. Même si ça lui en coûtait. Hono la rejoignit d'un bond, saluant la foule d'un grand sourire et d'un geste de la main. Il fit très bonne impression sur une partie très peu masculine du public.
- « Ce que ma consœur oublie de dire, et qui est à la base de tout ici, c'est que nous sommes très heureux de pouvoir mettre fin au conflit qui nous opposait. Nous sommes comme Shaïness ici présente : exilés de notre monde. Et cette fois, sans aucun espoir de retour, contrairement à elle. Aussi, l'idée de pouvoir construire ici une vie, et non plus juste attendre la mort dans la violence, est pour nous quelque chose de réellement crucial. Nous ne sommes pas un peuple cruel, à la base. Ener nous a infligé de terribles dégâts, sur notre monde. Les survivants en sont sortis traumatisés. L'expédition qui est partie de la Lune avait pour but de faire en sorte que plus jamais notre civilisation soit menacée de cette sorte. Pour la plupart de mes camarades, renouer avec un mode de vie paisible est un réel retour aux sources, car c'est ainsi qu'ils vivaient là-bas.
En ce qui me concerne, je n'ai jamais connu la Lune, et je n'ai jamais connu que la guerre. Croyez-moi, je suis sûrement le premier Skypiéien ici présent, et je veux pouvoir vivre en paix. Et je suis près à tout faire pour connaître cette vie. C'est pour cela que je me propose, humblement, au poste de... chef ? Des Skypiéiens ? Tout ce que j'ai, tout ce que je suis, je le mets entre vos mains. »
La déclaration des deux Sélénites provoqua un beau brouhaha. La solution proposée par Amaspa concernant les Illuminés plaisait mais.... Certains, y compris l'Ange qui avait le premier demandé la mort de ces derniers, voyait d'un mauvais œil un rapprochement continu entre les ex-Lunaires et les ex-Astreux. Ça leur semblait louche, que de vouloir rester comme ça en petit comité privé. Et si le discours d'Hono ne pouvait être réfuté – il suintait de bonne volonté ! - il mettait quelque peu mal à l'aise. Un Sélénite, pour chef ? C'était trop tôt pour beaucoup des Anges-Shandias qui, s'ils n'étaient plus en conflit avec les Sélénites, n'étaient pas prêts à leur confier leur destin.
Hono sentit cette hésitation mêlée de méfiance et perdit son beau sourire. Gêné, triste, et un peu en colère – se prendre un tel râteau en public... - il se dandina sur l'estrade, ne sachant quoi faire. Sanji Gote vint à son aide. L'Ange, co-leader de la Lune Noire, monta sur l'estrade et de nombreuses voix l'acclamèrent.
- « Ah, désolé, je vais vous décevoir. Je ne vais pas postuler pour être chef des Skypiéiens. » lâcha-t-il avec une désinvolture presque méchante. « Si j'ai fondé la Lune Noire, c'est pour avoir la paix. Maintenant qu'on l'a, je ne vais pas m'en priver. En plus, je suis un assez mauvais chef. Tenna pourra vous le confirmer. » Ledit Shandia grogna et sa tête en dit plus long que bien des discours. « Beaucoup m'ont approché en ce sens, me demandant de postuler, parce que j'ai l'habitude de travailler avec les Shandias et les Anges, et que j'ai toujours prêché la réconciliation. Mais voilà, tout honoré que je suis, j'ai un autre job. Dans la même veine, en plus : la réconciliation. » Il posa alors la main sur l'épaule d'Hono, en un geste très assuré mais amical. « J'ai un jeune homme à former. Lui et ses petits camarades. Et puis, tant qu'à faire, je vais prendre les ex-Skippy. Je pense sincèrement que c'est là où je vais faire le plus de bien. Pourront se joindre à moi qui voudra... »
- « Tu dis ça, mais je suis sûre que tu n'as qu'une idée en tête : mettre tes mains sur les manettes du Maquis Corse... » susurra Amaspa avec un drôle de sourire.
Il y eut un flottement : plaisantait-elle ou pas ? Sanji régla le problème avec un petit rire et un léger rougissement.
- « Ah, mes plans secrets ont été dévoilés. Bah, ce n'est pas étonnant, non ? Je brûle de curiosité, moi ! »
- « Non, pas si étonnant que ça. Et nous serons heureux d'organiser des tours de visites, et même des formations aux plus... instinctifs avec notre technologie. Le Maquis Corse est désormais le premier navire de la flotte de Skypiéa. »
A ce moment, Tenna Troji, le Shandia de l'ex Lune Noire eut un soubresaut, comme s'il se réveillait. Quelque chose me disait – peut-être mon Haki – qu'il n'était pas au courant de la décision de Sanji d'aller vivre avec les Sélénites. Mis devant le fait accompli qu'était la fin de leur duo, le guerrier avait compris que lui aussi avait à trouver sa place. Un nouveau rôle l'attendait.
- « Votre Maquis Corse... Est-il toujours capable de faire ce qu'il faisait avant ?»
- « C'est à dire ? Voler dans l'espace, non. Voler tout court... à voir suite à notre atterrissage. Le mode sous-marin doit être toujours opérationnel. A voir selon ce qui fonctionne encore et comment on pourra réparer tout ça. »
- « Je pensais plus en puissance de feu. » La voix de basse profonde du Shandia ne se voulait pas alarmante, pourtant, plusieurs petits glapissements de frayeur s'entendirent, ici et là. Chris fronça les sourcils.
- « Que veux-tu dire par là ? Nous sommes en paix, désormais. »
- « Oui, nous sommes en paix. Avec nous-même. » accorda le grand brun. « Mais il y a dehors tout un monde qui ne l'est pas. J'ai bien compris que la protection de Maselfush nous met à l'abri des excursions Marines, mais que dire des pirates ? J'ai bien peur que cette protection, et le plan de faire de Héailleutou une « attraction touristique » comme il l'a dit, attise la convoitise de gens moins intègres. Et puis, nous serions idiots de faire confiance à Maselfush. Ce gars peut se retourner contre nous, ou même juste nous abandonner à notre sort, du jour au lendemain. Tout comme ne nous garantie que la Marine tente un coup fourré. Il nous faut une armée, une vraie. Entre les Bérets Blancs, les Shandias, la technologie Sélénite et les ex-GUANO, on devrait pouvoir faire face, dans un premier temps. »
Sa dernière phrase se voulait rassurante. Pourtant, il avait jeté le caillou dans la mare, et les vagues créées autour du point d'impact n'arrêtaient pas de se diffuser. La population avait oublié, dans l'euphorie du moment, la situation précaire dans laquelle elle se trouvait. Les ennemis à la porte du ciel, rien de moins. Du coup, ce n'était pas tant les origines d'Hono qui jetaient un voile sur sa candidature, mais sa jeunesse et inexpérience. Cependant, qui avait réellement une expérience suffisante pour faire face à cette menace ?
- « Ah non non ! » protestait justement Tenna. « Chef, moi ? Vous rigolez ? Je n'y connais rien, moi en politique. J'ai combattu toute ma vie, et c'est tout. Je veux bien être responsable de la sécurité, si ça peut aider. Ça, pas de problème. Mais sûrement pas chef. »
Un après un, les anciens « leaders » de groupes déclinaient le poste. Bientôt, il n'y aurait plus personne. Et les Anges d'Héailleutou ne savaient trop bien le prix à payer pour désigner « quelqu'un qui semblerait pouvoir s'en sortir ». Les trois derniers prophètes en date, Valerianne, Gisèle et le très mortadelle Phil n'avaient pas brillé lors de leur mandat.
- « J'ai une idée. » proposa alors Lullaby. « Je souhaiterais nominer Shaïness pour le poste de chef. »
- « Hein ? Mais tu--- »
Mes protestations furent coupées nettes par la voix douce de l'Angette. Sous la houlette d'Alincourt, elle avait appris à développer une façon bien à elle de s'exprimer, loin des grandiloquences de son mentor. Mentor, oui, car elle avait tout de même appris de lui. Notamment la façon de vous planter perfidement un couteau dans le dos. Et celle de capter l'attention de tous.
- « Elle vient du monde extérieur, donc connaît tout ce qu'il y a savoir, en bien comme en mal. Elle a travaillé au sein du Gouvernement Mondial, elle est donc assez experte sur toutes les questions diplomatiques, elle connaît les rouages du système. Elle sait comment les autres pensent et pourra prévoir la plupart des embrouilles qu'on pourrait nous préparer. Elle a fait partie des Cipher Pol, les bureaux d'investigation de ce même gouvernement. Elle a grandi dans une famille de Marines, donc le monde des armes et de la guerre ne lui est pas totalement inconnu. Avec l'aide de Tenna, elle peut faire face aux menaces qui nous guettent.
Elle aussi l'expérience du rôle. Elle-même le reconnaît : « une chef d'équipe dure, exigeante et extrêmement tatillonne, qui a toujours raison ». Je ne fais que la citer. Il me semble que quelqu'un rigoureux comme ça est exactement ce dont nous avons besoin. Une tête solide. Il n'y a qu'à voir comment elle a étudié la situation avec les Fils de l'Astre. Non seulement est-elle capable de dominer tout ça, en plus est-elle totalement neutre. Elle n'ira pas privilégier un Shandia, un Ange ou un Sélénite, car pour elle, nous sommes tous pareils. »
- « Ouais, mais dans ce cas, pourquoi ne pas élire cet autre humain, ce Rafaelo ? Il a l'air plus badass, et il portera mieux, par rapport aux autres dirigeants du monde d'en-bas. Un mec, ça fait tout de suite plus couillu. »
- « Parce que Rafaelo ne se soucie pas de nous. » trancha calmement Lullaby.
Comment était-elle arrivée à cette conclusion, alors qu'elle ne semblait pas le connaître, je ne savais pas. J'ignorais tout du combat de mon co-révolutionnaire contre Andy, le frère d'armes de l'Angette. Les propos échangés lors de cette discussion-dispute, qui lui avaient été rapportés de première main, avaient étayé une première impression fondée sur les rapports de Sanji et Tenna. Lullaby était efficace. Petite souris dans l'ombre de la parole de Dieu et des muscles d'Andy, elle savait parfaitement ce qu'elle avait à faire, et comment le faire. Établir un rapport sur Rafaelo Auditore avait été une priorité, et cela n'avait pas été difficile de trouver des Lunes Noires prêts à témoigner sur la violence et l'individualisme de l'humain. Même si cela n'avait pas forcément été les mots employés. Lullaby savait lire entre les lignes.
- « Sans offense pour Rafaelo, bien entendu. Shaïness est beaucoup plus bienveillante que celui qu'on a connu sous le nom de « El Assassino ». Shaïness... Rafaelo nous a aidé, sans nul doute. Mais il n'est pas fait pour le poste de chef, alors que Shaïness, oui. Quant à ses manques de qualité ou pas... On ne peut pas lui reprocher de manquer de courage, de détermination, ou même d'égard. Elle s'est battue pour nous, sans se soucier des conséquences. Et nous savons tous ce qu'elles ont été. Et elle s'est battue d'abord par sens de la justice, plus que pour nous. Il n'y avait un attachement émotif réel à nous, pas au début. Elle se battait pour notre cause, pas pour telle ou telle personne. Maintenant qu'elle est des nôtres, qu'elle va apprendre à nous connaître, elle n'en sera plus que féroce. Si sans amour, elle est prête à faire face à ce qui fait office de Dieu chez elle, imaginez ce qu'elle fera par amitié et amour. »
Et là, le comble : des hourras emportèrent sa conclusion. Je m'attendais à des sifflets et quolibets sur moi, l'étrangère aux pouvoirs du démon – mon ingestion d'un Fruit avait forcément depuis le temps fait le tour de la plazza. J'étais portée aux nues, j'étais l'héroïne venue sauver le petit peuple. Moi.
- « Non, non arrêtez ! Vous faites la plus grosse bêtise de votre vie !! » Mes vives protestations tuèrent dans l’œuf un début de fête. Pour un peu, j'en aurais été désolée. Mais justement, je n'étais pas désolée. Mais pas même une seconde. « Je ne suis pas plus faite pour être chef que Tenna ou Sanji. Je suis colérique, profondément égoïste et égocentrique. Je juge les gens sur leurs apparences. J'ai des tas d'idées préconçues et en général, je me vois bien plus belle, grande, intelligente et civilisée que les autres. Les autres qui sont généralement que des primitifs, car ils ne connaissent même pas la crème hydratante Tenez, voyez, écoutez, je suis très superficielle. Je pourrais passer des heures dans un bain et encore plus devant un miroir. Et je suis complètement paranoïaque, j'ai peur qu'on me trahisse tout le temps, je vois des complots partout, et je ne pense jamais du bien, de personne, de rien. »
- « Tu as oublié pessimiste, et incapable de voir les choses autrement qu'en noir. » répliqua Lullaby avec un petit sourire satisfait, comme si j'avais exactement fait ce qu'elle voulait que je fisse.
- « Mais non, c'est exactem--- »
- « Pour quelqu'un qui se connaît si bien, c'est presque désolant. »
Je ne sais pas comment elle a fait. Pour un peu, j'aurais juré qu'elle avait elle-aussi un pouvoir de fruit du démon. Car, par un retournement des faits, ma confession sur mes pires défauts devint mon cri de guerre. J'étais imparfaite, je le savais, je ne m'en cachais pas, et ça faisait de moi quelqu'un de bien. Quelqu'un capable de mener tout un peuple. Plus je prédisais que j'allais faire des bêtises, plus les gens avaient confiance en moi.
- « Allons, allons, ce n'est pas si terrible. »
- « Tu n'as qu'à le faire, toi, si tu trouves ça si facile et bien. »
- « Hum, ça serait un mauvais choix. Je suis faite pour être dans l'ombre de quelqu'un. Plus forte est l'ombre, plus forte est ma lumière. »
- « Oh, je vois. C'est moi l'ombre, c'est ça ? C'est pour ça que tu étais contente que je dévoile mes sombres secrets ? »
- « Hum, hum. »
- « Et bien non, ça ne va pas se passer comme ça. Prendre une ombre pour la mettre en première ligne, sous les projecteurs, c'est antinomique. Et je te rappelle que j'ai déjà vécu une manipulation. J'ai eu Alincourt qui m'a manipulé. Je refuse. Et puis, tu n'as qu'à prendre Tenna. Il est grand et fort, très taciturne. Il fait une superbe belle ombre ! Lui au moins servira réellement à quelque chose. Mariez-vous, faites-vous roi et reine de Skypiéa, le général et l'éminence grise, l'Angette et le Shandia, et tout le monde sera content. »
- « Shaïness, tu sais que ça ne fonctionnera pas. Deux personnes sur un même poste, c'est idiot. »
- « Ça ne t'a pas posé problème, avec Sanji. Vous étiez bien deux, pourtant ! »
- « Nous n'avons jamais été qu'un. Sanji et moi nous complétons parfaitement, mais nous n'avons jamais été nous, moi, lui, entièrement chef autonome. C'était un duo symbiotique, si tu veux. Alors que quelque part, tu es faite pour vivre en solo. Vu que tu te méfies de tout le monde. »
- « …. Je ne veux pas. Je ne connais rien à votre façon de vivre. J'ai bien trop peur de devenir un tyran. Je vous l'ai dit, pourtant. »
- « Nous serons là, Tenna et moi, pour te conseiller. »
- « Compte sur moi pour te botter les fesses si tu prends la grosse tête. »
- « Mais je ne veux pas ! En plus, chef, c'est moche comme titre. Encore plus avec mon nom. Chef Shaïness. Ri-di-cu-le. »
- « Hum... Et ça manque de poids par rapport au reste du monde. Chef, ça fait un peu plouc perdu. » concéda Lullaby.
- « Ben, plouc, c'est ce que nous sommes non ? »
- « Il y a quoi, chez vous, comme titre ? »
- « Quelques présidents, mais c'est rare. Des rois, des empereurs, des vizirs, des grands enturbannés. Surtout des rois et des reines, en fait. »
- « Ben voilà, t'es reine de Skypiéa. »
- « Non mais ça ne va pas la tête. Hors de question que je sois Reine !!! Ils vont penser que je suis pourrie comme eux, tous ces rois et maharadjahs !!! »
- « Tu leur montreras donc, ce que c'est qu'être une reine, une vraie ! »
- « Et je vais faire des cacas des arcs-en-ciel, c'est ça ? »
- « Pardon ? »
- « Je ne comprends pas pourquoi tu t'opposes tellement à ta nomination, quel que soit le titre. Tu es faite pour nous organiser, nous conseiller. » coupa l'Angette.
- « Donc, moi aussi, je suis faite pour être dans l'ombre ! »
- « D'un autre côté, imagine la tronche de ce Maselfush, si tu es notre chef. » Tenna tenta une nouvelle approche. En pure perte.
- « Encore une fois, ça risque de vous desservir ! »
- « Shaïness, à un moment donné, tu dois arrêter de fuir et d'avoir peur. Surtout d'avoir peur de toi. Tu es capable de nous guider sans devenir un tyran, et tu es capable de le faire sous le nez de Maselfush, sans que cela ne desserve qui que ce soit. Ni nous, ni toi. »
- « … …. Et pourquoi est-ce que tu aurais peur de ton ombre, puisque c'est nous qui s'y trouve, hum? Ou quelque chose du genre. »
- « Voilà, exactement. Arrête d'avoir peur. »
Leurs paroles faisaient écho à ce que Mangrove m'avait dit.
- « Oh que si, vous êtes une guerrière. Vous êtes toujours en train de vous rebeller, de vous agiter, à vouloir faire changer les choses par la force de votre action. […] Jeune fille, il faut, une bonne toute, que vous appreniez la différence entre être émotive, celle qui a tendance à se laisser emporter par ses émotions, être émue, celle qui se trouve à un moment sous l'effet d'une forte émotion et être empathe, celle qui à la capacité de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il éprouve. [...] Parfois, il ne faut pas se battre contre les choses. Il faut savoir les accepter. [..] Quoi que vous ferez ne changera pas ce qu'il vous a fait. Vous pouvez le laisser encore plus gagner sur vous, en laissant votre colère, votre peine, votre indignation, donner à ce geste encore plus d'importance. Ce qui vous est arrivé est horrible, j'en conviens. Mais pourquoi en faire la pierre angulaire de votre futur ? Pourquoi ne pas « juste » lui donner la place qui lui revient, accepter ce viol de votre intimité pour pouvoir décider, en votre âme et conscience, ce qui est le mieux pour tout le monde. Pour vous, pour lui, pour les Anges et les Shandias que vous avez dit vouloir sauver. »
A se demander si elle ne m'avait pas déjà vu reine. En arrêtant de me débattre, pour me battre. En me mettant à la place des Skypiéiens, en acceptant mon passé et en ne le laissant pas complètement contrôler mon futur, mais plutôt l'utiliser pour l'influencer... J'étais le meilleur choix pour l'île.
Mais j'avais encore cette amertume au fond du cœur, car une fois de plus, je n'avais pas le choix. Soit j'acceptais un « destin tout tracé », soit je me rebellais, et je fuyais, encore et toujours, mes responsabilités. On ne pouvait pas dire que j'avais consciemment forgé l'avenir où je serais reine. Seuls les faits et leurs conséquences étaient arrivés à ce résultat. Parfois, j'aimerais être dieu pour contrôler ma propre vie. Juste la même. Pas celle des autres. Je n'aimais pas les autres, qu'ils aillent tous au diable.
Il ne me restait plus qu'une carte à jouer, au final.
- « …. …. …. Ok, faisons un compromis. Je deviens reine de Skypiéa, je suis chargée des relations extérieures, je vais à Marie-Joie confronter Maselfush et toute l'organisation politique du Gouvernement, mais en échange, vous devenez roi et reine avec moi. »
- « …. on ne peut pas être trois sur un trône. »
- « Hé ben, on change le nom. Ou on agrandit le trône, on en fait une banquette. Et qui dit qu'on ne peut pas être rois à trois ? On fait bien ce qu'on veut, on est les Skypiéiens et c'est Maselfush qui nous guide et qui nous pousse à être original. Si ce qui avait été fait avant, c'était bien, ça se saurait. Et puis, trois, ça rappelle le système des Prophètes d'Héailleutou, et c'était peut-être le meilleur truc qu'ils ont fait. »
- « Je crois qu'on a un deal, donc. » Chris surgit de nulle part. J'avais totalement oublié que nous étions sur une estrade, devant l'entièreté des habitants. Le Sénéchal nous poussa tous les trois vers l'avant et clama haut et fort : « Skypiéiennes, Skypiéiens, je vous présente vos Tri-Reines et votre Tri-Reine. Vive la Tri-Reine Lullaby, vive la Tri-Reine Shaïness, Vive le Tri-Roi Tenna ! »
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Oct 2015 - 20:55, édité 1 fois
L'avantage d'être reine – tri-reine – était qu'on avait droit à sa petite intimité. Dès que j'avais exprimé le souhait d'être laissée seule pendant un moment, j'avais été conduite dans une grande pièce d'un des rares bâtiments de Shanda qui semblait tenir debout. Mes quartiers, apparemment. Quelques instants plus tard, j'étais équipée en couvertures, coussins en nuages, mobiliers et premiers éléments de cadre domestique. Notamment un service à thé. Le luxe n'était pas loin. Puis un Ange – non, un Skypiéien – était venu déposer mes affaires récupérées à bord du Ptérodactyle.
Alors que je me calmais tout en sirotant mon thé, je défaisais mes bagages. Vu que j'étais partie en coup de vent d'Alabasta, où je n'étais venue que pour une mission de courte durée, je n'avais pas grand chose. Pourtant, ce geste avait une haute signification pour moi. C'était l'acceptation que j'allais rester ici, pour de bon. C'était aussi la projection d'une nouvelle maison, et pas simplement un séjour longue durée. Ce n'était pas une location. Il y avait une grosse part de fierté du « propriétaire » dans le soin que je mis à arranger les quelques habits et babioles tiré de mon sac. La petite statut de chamal achetée à Nanohana, en l'honneur de mon cher Nova, trônait en place d'honneur sur la table basse.
Ce faisant, je laissai mes pensées papillonner. Mieux valait maintenant que plus tard. Je repensais à cette histoire de nom de race. La majeur partie de la population mondiale vivait, sauf erreur, au niveau des Blues et de Grand Line. Les îles sous-marines comme l’île des Poissons du côté de Red Line, ou les îles célestes, ne constituaient qu'une infime part des citoyens. Bien entendu, on pouvait toujours découvrir à tout moment un pays peuplé par des milliards d'individus. C'était tout de même peu probable, même au-dessus ou en-dessous du Nouveau Monde. Or pour la plupart des gens, ces gens au niveau des mers donc, un habitant du ciel était de race angesque. N'en déplaise aux Shandias ou aux Sélénites, Skypiéa était et resterait une nation, et donc une nationalité. Nullement une race. Peut-être que dans quelques dizaines d'années, de siècles même, les sangs Lunaires et autres se seraient suffisamment mélangés pour créer une nouvelle race. Cependant, on voyait bien comment l'ADN humain des ex-Jaya avait cédé devant celui des Anges. Ça et la capacité d'adaptation. Si Skypiéa n'ouvrait pas ses portes à l'immigration massive, il n'y aurait bientôt plus que des Anges et des Angettes. Une seule et unique race.
Ceci n'allait donc pas plaire à mes sujets, qui se revendiquaient clairement Skypiéiens. Butés comme ils étaient, ils n'allaient pas accepter de changer d'avis comme ça, surtout si c'était pour prendre le nom d'Anges. J'avais ce sentiment obscur que si ce dossier ne présentait pas, de prime abord, une priorité, il devait pourtant être traité dès maintenant. Il semblait plus urgent de commencer à construire des logements ici, et à mettre en place l'attraction grande nature qu'était Maselfush Island. Pourtant, je ne pouvais pas concevoir construire un monde si on ne savait pas ce qu'on était soi-même. J'avais eu du mal à digérer cette leçon, mais maintenant qu'elle était stockée et assimilée, j'allais devoir répandre la bonne parole à mon tour.
Consciencieusement, je rangeais mes affaires, jusqu'à ce que mon dernier sac de voyage fut vide. C'était un de ses boudins fourre-tout militaires, cadeau du BAN à mon arrivée. Il contenait alors le kit d'entrée de toute recrue : une couverture, une serviette, deux tee-shirts et trois paires de chaussettes, sans oublier la brosse à dent. Le BAN était très à cheval sur l'hygiène dentaire. J'envisageai de le jeter, ce sac, car il était bien usé par mes pérégrinations passées. Au point d'en devenir une relique. Mais à Skypiéa, tout se conservait, surtout les importations. Alors, je le pliai, repassant les plis au maximum. Ce fut là que je sentis, coincé dans une doublure, un objet qui m'était presque étranger. La chose avait du se glisser entre deux coutures depuis un certain moment, au tel point que je ne souvenais même plus ce que ça pouvait être.
La pierre était oblongue, lisse et plate d'un côté, bombée et gravée de l'autre. D'une couleur blanche assez banale, elle était presque trop légère pour sa taille. Sur le coup, je ne m'en rappelai même pas, jusqu'à ce que s'imposa à moi l'étape de ma vie entre le BAN et mon retour à Marie-Joie. Le très court passage sur l'îlot perdu de North Blue. L'Hibiscus, les cannibales, Ajax Mérincourt et son trésor (1). C'était ce que j'avais retiré du coffre du Temple, en lieu et place du splendide rubis qui m'avait servi à l'ouvrir. Tu parles d'une arnaque. Le sacrifice inutile d'Ajax, et ses compagnons tués pour être bouffés (vivants dans le cas de deux d'entre eux).... tout ça, pour ça. Dégoûtée, j'avais fini par fourrer la pierre au fond de sac pour ne plus m'en soucier, après que l'examen minutieux à lequel je soumis la pierre ne donnât aucun résultat.
Le hasard faisait bien les choses. Ou peut-être était-ce encore le destin. Alors que je regardais, l’œil mauvais, ce machin, je réalisai soudain que les gravures sur le bâtiment de Shanda, quelques « rues » plus loin d'ici, celles qui m'avaient paru familières, étaient exactement celles de cette pierre. J'avais, au moment de sa découverte, longtemps étudié ce « trésor », à la recherche d'un indice ou d'un signe de valeur, au point que le dessin s'était gravé dans ma mémoire, de façon subconsciente. La vue de la frise sur le mur n'avait été qu'une écho d'un souvenir fort, enfoui par le temps et un certain traumatisme. Entre le haki de l'empathie et cette approbation de mon moi intérieur, peut-être pouvais-je commencer à me libérer, dans tous les sens possibles ?
Pierre à la main, je me rendis à la place qui avait été le lieu de campement des guerriers Shandias jusqu'ici. Avec l’afflux de gens ; l'endroit était redevenu une agora.
- « Hum, dites, je cherche quelqu'un qui pourrait me renseigner sur--- » commençais-je en montrant mollement ma gravure.
- « Mais bien entendu. Par ici. »
Je ne réalisai que trop tard que c'était un piège. Bêtement, je suivis mon guide, sans comprendre qu'il ne pouvait pas savoir de quoi je parlais, puisque je ne lui avais rien dit. Confiante, je lui emboîtai le pas. Nous finîmes par déboucher sur une rue où un petit comité nous attendait. Ou pour être plus précise, m'attendait, moi.
- « Shaïness, c'est l'heure de l'épreuve d'initiation. » déclara gravement Chris. S'il n'avait pas eu un visage aussi sérieux, j'aurais éclaté de rire.
- « Euh ? »
- « Tes qualités ont fait de toi la reine--. »
- « tri-reine. »
- « tri-reine de Skypiéa. » se corrigea-t-il s'en sourciller d'un iota. « Mais, et tu l'as toi-même dit, tu ne connais pas Skypiéa. Tu n'es pas une enfant des nuages, voir même du ciel... ou de la lune. Tu dois te soumettre à une épreuve initiatique. »
- « Euuuh, j'peux pas plutôt être couronnée avec des fleurs et me promener avec un sceptre en nuage ? »
- « C'est important, pour nous. » me gronda-t-il d'une voix douce mais ferme.
- « J'veux bien vous l'accorder, mais mon intégrité physique est tout aussi importante à mes yeux, et votre truc d'initiation, je le sens mal. »
- « Tu ne risques rien. Enfin, rien de grave. »
- « Mais c'est super rassurant, ton truc, tiens. Et Lullaby et Tenna, ils ne sont pas initiés, eux ? »
- « Ils sont nés ici. Ils connaissent Skypiéa, ils ont déjà senti le Pouls de la Terre. »
- « Ah ! Ben voyons, c'est pratique, vu que la Terre, y'a que Vearth dans le coin. Et je ne veux rien sentir du tout. En plus, j'ai le Haki, je vois tout très bien comme c'est. »
- « Shaïness, ne fais pas ta tête de mule. Tu es reine, tu te fais initiée, et c'est comme ça. »
- « Chris, tu ne peux pas savoir comme je suis contente que tu prennes ta retraite... »
L'initiation consistait à descendre dans une salle sacrée « le ventre de la mère ». J'y serai confrontée à une épreuve X et je ressortirai comme née à nouveau, avec la bénédiction de la mère. Ça me semblait louche, pour dire le moins.
- « Oui, d'accord, mais ma pierre ? »
Comment ça, je cherchais à gagner du temps ? On m'expliqua que ma pierre n'était pas le sujet du jour, mais bon, à quoi ça sert d'être reine, si on ne pouvait pas mettre sa pierre en priorité ?
- « Écoute, si ta pierre te tient vraiment à cœur, tu trouveras quelqu'un pour t'en parler. »
- « Dans la grotte ? »
- « Oui, dans la grotte. »
- « Là où je vais renaître ? »
- « Là où tu vas renaître. »
- « Mais elle craint, ta grotte ! Déjà, je ne reconnais pas en présence de n'importe qui, d'accord. »
- « Shaïness... tais-toi et entre dans cette satanée grotte ! »
Quelques pas de plus.
- « Chris, j'ai une mission pour toi. » Étonné, il cligna des yeux, mais s'inclina, prêt à m'écouter. « J'ai réfléchi à ce que vous tous avez dit, et je ne suis pas d'accord. Tu vas devoir convaincre tout le monde d'être de nationalité Skypéienne, mais de race Angesque. »
- « Pourquoi ? En plus, j'ai peur que ça ne soit pas si facile. »
- « C'est pour ça que je te le demande, à toi, et pas à Lullaby ou Tenna. »
- « Mais en quoi c'est si important ? »
- « Déjà, pour ne pas attirer l'attention. Tout le monde qui vit en bas nous voit comme des Anges. Dire ou faire autrement, ne va faire qu'attirer l'attention sur nos différences, avec les Sélénites surtout. Et puis... c'est un sentiment diffus, je ne saurai l'expliquer. Je sais juste que c'est important, Très important. … comment dire... nous sommes censés représenter l'unité, et l'un de nos premiers gestes est de nous couper du reste du monde. Et si d'autres personnes veulent venir ici, pour réellement vivre ici, loin du Gouvernement. S'implanter, faire pousser des carottes ou son équivalent céleste. Vivre en paix, comme toi et moi. Mais voilà, ils seront humains, ou sirènes ou je ne sais quoi encore. Pas de race Skypiéienne. »
- « Je vois.... et au risque de te surprendre. Ton sentiment diffus... Ici tu es au pays du mantra. Les sentiments, c'est important. N'hésite jamais à nous confier ces impressions. C'est peut-être important. »
- « Ou pas. »
- « Ou pas. Mais arrête de voir tout en noir. Et rentre dans cette satanée grotte. »
(1) voir ce RP pour plus d'information. Essentiellement, c'est le RP où Shaïness tombe sur une carte au trésor Kigin et en trouve la première étape (sur sept). Ajax Mérincourt est un ex-pirate qui avait la carte de la première étape tatouée sur son bras, et il a transmis son rêve de trouver le trésor à Shaïness
A première vue, c'était une grotte tout ce qu'il y avait de plus classique. Creusée dans la pierre et la terre, renforcée par les hommes, envahie par les racines, les feuilles mortes et la poussière. Haussant les épaules, je m'engageai dans le petit couloir, vers la salle du fonds, là où tout allait se passer. Je ne voyais pas ce qu'il y avait d'initiatique là-dedans. Mais bon, je n'allais pas me moquer des superstitions, fussent-elles débiles, de mon peuple. Mais qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire, en tant que reine hein ?
Suivant les instructions, je m'allongeai sur la dalle centrale. La salle était une sorte de dôme, dans un état aussi lamentable que le reste. Pourtant, je trouvais ça de circonstances. Se faire initiée dans le grand luxe, ça me semblait... anti-Skypéien. J'allais renoncer à pas mal d'objets de luxe moi, pour me concentrer sur l'essentiel. C'était ça qui m'avait pourri la vie, je le réalisai. Gâtée-pourrie, c'était exactement ça. Si Skypiéa était réellement le paradis perdu, et si j'en étais la gardienne, il me revenait de veiller à ce qu'il ne fût pas corrompu par ce que la civilisation faisait de pire. Maselfush Island, tiens, serait une sorte de maison-témoin. Témoin du mal, oui.
- « C'est sûr, le mal, tu connais. »
- « Je ne vois pas de ce que tu parles. »
- « Je parle de toi, bien entendu. »
- « De toi, tu veux dire. C'est toi, mon double intérieur maléfique. »
- « Intérieur, intérieur, c'est vite dit. »
- « Ah tiens, je te vois. C'est nouveau ça. »
- « Parano, et maintenant tu as des visions. T'es mal partie, ma vieille. »
- « Des visions ? Des hallucinations, oui. Ça doit être un truc dans leur thé. »
Ma jumelle maléfique s'assit à côté de moi, en un très joli croisement de chevilles. J'étais toujours d'une élégance rare.
- Spoiler:
- « Enfin, avais été. »
- « De quoi tu parles ? »
- « Tu avais été. Tu m'excuseras, mais des créateurs de mode dans le coin... Et les bals ? Ta vie sociale va aller en se réduisant, comme ta garde-robe. Hihihi. Pour construire des maisons et planter des citrouilles, pas besoin de talons-aiguilles. »
- « Je devrais pouvoir m'en passer. »
- « Facile à dire, moins facile à faire, ma vieille. »
- « Tu arrêtes avec tes « ta vieille », s'il te plaît. Je ne me sens pas concernée. »
- « Tu sais que tu ne peux pas me mentir. Je suis toi et--- »
- « Tu es qui je peux faire de pire. »
- « Dans ce cas, facile : je suis une vieille fille de bientôt 27 ans. Tu n'as de mari, même pas l'ombre d'un fiancé. Tu n'as pas d'enfant. »
- « Ah, la Shaïness fifille-à-papa. Fille de Marine, femme de Marine, mère de Marine. Je vois d'où tu viens. Ça ne marchera pas. »
- « Vraiment ? Pas le moindre regret ? Après tout, ta vie est d'un vide. Enfin, ton cœur. Tu n'as personne. Personne ne t'aime. Tu as tenu tout le monde à longueur de bras pendant des années. Pff, à quand remonte ta dernière conversation avec Père et Mère ? Je ne te parle même pas d'une visite. Ah, si ça se trouve, ils sont morts et tu le sais pas. »
- « S'ils étaient mors, le CP m'aurait prévenue. Et bon, je te signale que la famille, ça marche dans les deux sens. Ils ne soucient pas vraiment de ce que je deviens. Ils ne me harcèlent pas de coups de den-den. »
- « Vu comment tu as craché sur tout ce qu'ils étaient. »
- « Je n'ai pas craché... D'accord, pas tout de suite. J'ai tenté de leur faire comprendre. J'ai tenté de les laisser me donner une liberté. »
- « Ils pensaient faire bien. Tu m'excuseras, c'est difficile de comprendre pourquoi tu te plaignais. Une vie d'amour et de richesse te tendait les bras. »
- « L'argent ne fait pas le bonheur. On le sait. »
- « Dixit celle qui n'a jamais été pauvre. »
- « Je me suis débrouillée toute seule depuis pas mal de temps. Et ce n'était pas l'amour qui m'attendait, mais un mariage arrangé. Et puis, j'ai plein d'amis. »
- « Rafaelo ? L'amnésique qui ne se rappelle pas de toi ? Ou s'il le faisait, redeviendrait un assassin aux mains couvertes de sang ? Les Skypiéiens ? La plupart voulaient te mettre à mort il n'y a pas dix jours. Et bon, sois réaliste, tu as été élue reine parce que tu peux être facilement débarquée. La bonne pigeonne. »
- « Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire, si je veux être une pigeonne ? »
- « Non, mais est-ce que j'ai l'air d'une pigeonne, moi ? »
- « J'chais pas. Mets-toi une plume dans l'cul et roucoule, pour voir ? »
- « Ah, ma vieille, tu es encore en plein délire. »
- « Oui, c'est que je disais depuis le début. »
- « Tu fais tout ça uniquement pour remplir le vide dans ton cœur. Ces gens ne sont rien pour toi, juste un moyen de justifier ton existence. Tu es amère, pleine de regrets. Et quand tu n'es pas boulottée par le remords, tu as peur. Peur de tout ce que tu pourrais devenir. Devenir CP pour réaliser ton potentiel ? C'est ce que tu te dis mais à la base tu as postulé uniquement pour faire la nique à tes vieux. »
- « Ben alors ? Les gens, ça change. »
- « Toi, tu changes ? Toi ? Mademoiselle-sait-mieux-que tout-le-monde ? »
- « J'ai changé !! Je viens juste de renoncer au luxe vaniteux ! J'ai renoncé à ma carrière, je suis prête à aider ces gens ! Et je te rappelle que je ne voulais pas devenir chef ! J'ai refusé ! »
- « Tu as accepté ! Tu as mis quelques conditions, pour apaiser ta conscience, mais tu as accepté. Parce que ta vie était vide, que tu n'avais rien de mieux à faire. Tu t'en fiches, de ces gens. Avoue-le enfin, Shaïness. Tu n'as pas une once de gentillesse en toi. Et c'est ça que tu fuies ! Parce que tu penses que c'est mal. Mais tu sais, au fond de toi, que ce n'est pas si mal que ça. Tu as toujours été une rebelle, tu n'as pas hésité à sacrifier ta famille, tu repousses les limites de toutes les conventions sociales. »
- « Et je devrais en être fière ? »
- « Tu n'en as pas honte. »
- « Mais tu veux dire quoi ? »
- « Que j'en ai marre d'être la jumelle maléfique, alors que je ne suis pas maléfique. Je suis tout ce que nous pourrions être, si une fois pour toute, tu arrêtais t'avoir peur. »
- « Tu es folle. Je suis folle. » Le ton était monté petit à petit, et maintenant, nous nous hurlions dessus à pleins poumons.
- « Non, nous sommes ambitieuse. Je sais que je pourrais aller loin. Reine de Skypiéa, rien que moi. Reine du monde, au bout du compte. »
- « Je sais ce que je deviendrais si j'étais ambitieuse. Je l'ai dit, déjà. Une reine oui, implacable, sombre et noire. Je serai exactement comme les gens que je combats, un tyran, avide de tout, avide de rien. Je ne deviendrai pas cette femme ! »
- « Comment le sais-tu ? Le haki de l'empathie, c'n'est pas la prophétie de la Pithie, non plus ! »
- « Nan, mais il y a des choses qu'on ne doit pas faire, même pour tenter !! Encore une fois, c'est de la logique. Pas la peine de mettre la main dans le volcan pour savoir qu'on va finir cramée. »
- « Pff, tu as tellement peu d'estime de toi ! »
- « Ce n'est pas manquer d'estime que de se dire qu'on va cramer dans la lave. »
- « Mais tu pourrais avoir un don, un pouvoir. »
- « Un pouvoir anti-flammes ? Je te rappelle que j'ai mangé le fruit du papillon, pas celui du feu ! Et pourquoi on parle de feu, c'était une métaphore ! »
- « Peuh, un zoan. Encore une fois, tu te reposes sur une aide extérieure. Ton potentiel à toi, tu ne le testes jamais. Jamais tu ne puises en toi. Parfois, tu te mets des défis. Des petits, des minuscules petites choses. Mais tu ne veux pas changer. »
- « J'ai changé ! »
- « Tu es toujours la petite Shaïness, fille de riche, maintenant Reine, avec ses belles chaussures, ses beaux cheveux et ses ongles parfaitement manucurés. »
- « Tu veux que je change ? Je vais changer. »
Sans plus réfléchir, je ramenai mes cheveux par-dessus mon épaule et je les tranchai net, d'un seul et unique geste. Les mèches s'envolèrent partout, et je laissai le tout retomber sur le sol, éparpillé comme autant de cendres d'un feu moribond.
- « Si je pouvais m'arracher les ongles pour te faire comprendre que j'ai changé, sans douiller de trop, je le ferai. »
- « Oh oui, bravo. » Elle applaudit mollement. « Et tes beaux petits principes, tu te les arraches du cœur à quel moment ? »
- « De quels principes parles-tu ? Je n'ai aucun principe que je renie. »
- « Le sentiment de supériorité, par exemple. »
- « … je sais que j'ai ce défaut, je ne m'en cache pas. »
- « Oh, faute avouée à demi-pardonnée, hein. Mais tu crois que ça suffit ? Tu crois que je ne sais pas que tu n'as qu'une envie, c'est de te servir des Skypiéiens pour redorer ton blason et retourner chez toi, sur Grand Line et Marie-Joie et tout ça. »
- « L'idée m'a traversé l'esprit, oui. Mais non. Je suis réellement attachée à ces gens. »
- « Toi, de l'amour ? Tu es aussi froide d'un pain de glace. »
- « Oui, de l'amour. Ou une forme d'amour. J'ai pour eux de la tendresse... de la compassion. »
- « Quoi ? Tu veux dire que prendre en pitié ces gens, ça fait de toi une meilleure personne ? »
- « Non, la compassion, j'ai dit. Pouah, la pitié, c'est répugnant. C'est un sentiment qui entraîne la condescendance, le mépris, l'orgueil. La compassion, c'est au-delà de ça. »
- « Au-delà de quoi ? »
- « Au-delà de soi. C'est de l'amour par réciprocité. C'est reconnaître en l'autre ce qu'on voudrait voir en soi, même si on ne l'a pas encore, ce quelque chose. »
- « C'est beau, ce que tu dis. Beau, mais complètement con. »
- « C'est toi qui le dis. »
- « Non, c'est toi. Je suis ta jumelle, je te le rappelle. Tout ce que je dis, c'est ce que tu penses, tout bas. »
- « Alors tu sais très bien que je n'ai pas la prétention d'être sans défaut. Ça n'existe pas, une personne parfaite. Ce n'est pas pour autant que je dois voir ça comme un signe pour devenir un monstre. »
- « Pourtant, toute civilisation à besoin de ses montres. Des gens qu'on déteste, qu'on craint. Les pirates, par exemple, les révolutionnaires aussi. »
- « Et ? »
- « Tu n'ignorais pas qu'en devenant révolutionnaire, tu allais devenir le cauchemar de beaucoup de ces honnêtes gens que tu veux protéger. Tu l'as dit et pensé assez souvent. Tu es prête à sauver le monde, y compris de lui-même, au prix de ta vie. »
- « Je ne vois pas ce qu'il y a de mal dans ça. »
- « Bah, tu n'as jamais été du genre à jouer la victime consentante, à abattre la carte du martyre sacrifiée pour la grande cause. Bien trop égoïste pour ça. Donc, tu es devenu révo, parce que tu savais que tu allais devenir un monstre. Ça te plaisait. »
- « Je suis devenue révolutionnaire parce que c'était la chose à faire. »
- « Quoi, devenir un monstre, c'était la chose à faire ? »
- « Parfaitement. Je suis assez forte pour endurer l'opprobre nationale, si c'est ce que tu veux que je te dise. Oui, j'ai une haute estime de moi, et c'est cette estime qui me pousse à dire que je ne laisserai pas le système me détruire. J'ai endossé le costume de monstre, mais je ne deviendrai pas un monstre. »
- « Pourtant, c'est ce qu'il faut. Si tu veux sauver tout le monde. Devenir un monstre permet de nourrir la part sombre de chacun d'entre nous. C'est sur les monstres que nous déversons toutes nos peurs et colères. Avoir un monstre empêche une personne de le devenir elle-même. »
- « ET ? »
- « Depuis le temps, le Gouvernement Mondial aurait dû pouvoir arrêter les membres de la Révolution et la plupart des pirates, non ? Quant on pense à tous les moyens que la Marine et les Cps ont. Nous sommes bien placées pour en parler, non ? Nous savons. Nous avons vu. »
- « Tu penses que le GM laisse la piraterie et la révolution se développer volontairement ? Exprès ? »
- « Non je ne pense pas que ce soit le désir du GM, mais je sais que le GM a conscience du coût engendré par toute tentative d'éradiquer l'une comme l'autre. Et je pense que les hurlements de haine voyagent. Haut et loin. Tu es une personne du monde, éduquée et cultivée, mais je crois qu'il est nécessaire de te rappeler que dans la plupart des cas, celui qui tente de changer le monde échoue pour une raison aussi simple qu'inévitable: tous les autres. »
- « ... »
- « Tu sais que tu n'arriveras jamais à rien en étant révolutionnaire. Tu as endossé un rôle, en sachant que tu n'étais qu'un pantin. Le GM vous laisse en vie, parce qu'il sait que jamais vous ne gagnerez. Tu es devenue révolutionnaire par pure lâcheté. Ça permettait d'apaiser tes petits problèmes de conscience, mais tu savais que tu brassais du vent. Comme tu brasse du vent maintenant. Tu vas faire illusion pendant quelques temps, peut-être quelques années. Mais Skypéia est condamnée, cette île va sombre dans la décadence, et tu ne pourras rien y faire. Tu le sens déjà, dans tes os, cette part de noirceur en eux. Ils sont racistes, fermés à toute idée nouvelle. Ils ne veulent que leur petit confort, sauvegarder leur vie. »
- « Et quel est le mal en ça ? »
- « La Grande Shaïness, reine d'un peuple de lâche, qui ne pense qu'à soi ? Ah, voilà donc ton plan, c'est ça ? Tu as fini par trouver un moyen de justifier pourquoi, dans quelques années, tu seras devenue comme eux : égoïste, égocentrique. Un petit tyran. Cette peur en toi, tu sais qu'elle existe, parce que tu sais qu'elle va devenir réalité. Ce n'est pas le monstre sous le lit, oh non. C'est ton futur. ET TU LE SAIS !! Tu sais que tu es vouée à devenir un monstre, tu le sais depuis que tu t'es engagée révolutionnaire, que pour sauver ses gens, tu dois DEVENIR un monstre. Pourtant, tu es toujours là à tergiverser. Mais il est temps de franchir le cap. Tu es un monstre. TU LE SAIS !! »
- « Tu mens, tu mens, TU MENS !!! »
Et je me jetai sur elle.
C'était un combat perdu d'avance. Pas besoin du haki pour savoir comment elle allait bouger, puisqu'elle était moi, et que je connaissais par cœur mon style de combat. Pendant ce qui sembla être des heures, nous virevoltâmes, frappant du poing, bloquant d'une paume, esquivant d'un Kami-E, tirant un fil pour ralentir. Nous faisions jeu égal, comme cela devait être le cas jusqu'à la fin de l'éternité, puisqu'elle était moi.
- « Et si nous passions aux choses sérieuses, hum ? » me fit-elle avec un sourire sardonique au-dessus de nos mains regroupées en un double-arrêt mutuel.
Elle était moi, et tout ce que je n'étais pas. Tout ce que je pourrais être, si je n'avais pas un peu de retenue. Tout ce que j'avais été aussi. Alincourt m'avait transformée en cette femme là, quand il m'avait retiré mes sentiments. Je n'avais plus de pitié, d'honneur ou de sens de l'intégrité. Je me battais de toutes mes forces, sans me retenir, n'hésitant pas à avoir recouru aux coups les plus bas et pitoyables, sans me soucier de m'éclater la peau ou les os. Enfin, elle.
Ou peut-être était-ce moi ? L'espace d'un moment, nos positions s'inversèrent. J'étais elle, et elle moi, et je me vis lui (me?) assener des violences comme jamais auparavant je l'avais fait. Contrairement à mon combat contre Manguélita, durant lequel j'avais été un réel robot, j'avais en ce moment un sentiment poignant. Celui dévastateur de vouloir la détruire, elle. Annihiler jusqu'à son existence. Réduire par moi-même son squelette en poussière et réduire cette poussière en rien, en néant.
Mais je ne me connaissais pas autant de malveillance. Pourtant, j'étais du genre rancunière. Justement, si j'étais devenue révolutionnaire, c'était parce que j'avais refusé de laisser le CP entériner une malfaisance monstrueuse comme celle-ci, au nom du Gouvernement et du plus grand bien. J'avais tué une enfant de sang-froid. J'avais refusé de faire tomber un homme bien, au prix d'un amour... oui j'avais aimé Adrian Salvatore, cet homme devenu Basalte. J'avais sûrement ma part de responsabilités dans ce qu'il était devenu. Il était devenu ce monstre. Un pirate de la pire espèce. Et je l'avais arrêté une seconde fois.
Elle pouvait dire tout ce qu'elle voulait, je me connaissais. Y compris les potentialités. Elle pouvait me parler d'un futur moi, mais tant que je n'étais pas devenu ce moi, j'étais encore telle que je le clamais. Et il ne tenait qu'à moi de devenir cette personne aux objectifs louables. Oui, je me connaissais mieux qu'elle. Je me connaissais, jusqu'à la pointe de mes cheveux. Mes métamorphes de papillons, mes pensées dérivantes, mon haki de l'empathie... tout cela faisait que je me connaissais tellement bien que j'arrivais à matérialiser mon double maléfique.
- « Oser, c'est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c'est se perdre soi-même. Le succès n’est pas définitif, l’échec n’est pas définitif. C’est le courage de continuer qui compte. »
- « Paroles, paroles. »
- « Non, des faits. »
Tout en parlant, mes cheveux s'étaient allongés, jusqu'à nous entourer. Au départ, ils avaient empêché nos mouvements, nous immobilisant, de tel sorte que notre combat s'était arrêté. Puis nous fûmes au centre d'une boule de cheveux, un cocon chaud, intime, qui nous coupait de tout. Nous étions comme dans le ventre d'une mère, une matrice bien à nous.
- « Va, tu peux retourner d'où tu viens, ma vieille... »
- « Tu sais que je ne serai jamais loin. »
- « J'y compte bien. J'ai besoin de toi. Tu me rends plus forte, je crois. »
- « Tu me détestes. »
- « Oui. L'un n'empêche pas l'autre. »
- « Je suis ta meilleure ennemie. »
- « Bah, c'est une expression bien commune. Je suis ce que je suis. »
- « Tu es QUI tu es. »
Je revins à moi, allongée sur la dalle.
Je ne me souvenais pas de m'être assoupie. Je ne savais même pas si j'avais dormi. Ici, rien n'indiquait le passage du temps. Persuadée d'avoir le corps en miette – les coups que j'avais donné et que j'avais reçu, le tout en double – je me levai, pour me retrouver aussi fraîche que lorsque j'étais rentrée.
Un peu effrayée par cette expérience qu'on pouvait carrément qualifiée de super-naturelle, je décidai que j'avais été initiée. Mais quand je voulais faire demi-tour, je ne retrouvai pas la sortie. Le tunnel que j'empruntai, le seul qui partait de la salle, ne me ramena pas vers l'extérieur. Je m'arrêtai, et après une seconde d'hésitation, fis demi-tour. Hors de question de jouer à ce petit jeu. Que ceci fût réel ou dans ma tête, je n'allais pas me perdre. De retour dans la salle, je m'assis sur la dalle, les bras croisés.
- « Les labyrinthes, très peu pour moi. J'ai donné. »
C'était un thème récurrent dans ma vie. Les grottes et les couloirs sans fin, le tout généralement dans l'obscurité. Ah, j'oubliai les ruines. Si c'était un signe du destin, ben mon futur était bien glauque. J'attendis. Encore. Et encore. Au bout d'un moment, je dus prendre mon mal en patience. Mes doigts retrouvèrent la pierre gravée que j'avais emportée avec moi. J'étais bien décidée à ne pas céder, mais la patience n'avait jamais été mon fort. Au bout d'un moment, quelque chose me revint à l'esprit.
- « J'étais censée trouver des réponses à ma pierre, moi. » Je gémis à haute voix, plus pour le plaisir d'entendre du bruit qu'autre chose. Je n'attendais vraiment pas à ce qu'on me répondît.
- « Pour trouver, faut-il encore chercher. »
- « Hein, qui est là ? »
- « Est-ce vraiment ta question ? »
- « Pourquoi ? J'ai un nombre limité de questions, c'est ça ? »
- « Il y a un nombre limité de réponses. »
- « Mais est-ce que vos réponses valent quelque chose, déjà ? »
- « Je ne sais pas. A toi de le découvrir. »
- « Vous comprendrez que parler à une voix éthérée dans une grotte qui ne devrait pas être fermée, ça pose un sérieux doute sur la crédibilité de ladite voix. »
- « Sache bien ce qui te fait avancer et ce qui t'empêche, et choisis la route qui mène vers la sagesse. »
- « O-Kaaaaaay. On se la joue grande mystique devant l'éternel. Bien, ben, ô sage invisible, je veux des réponses sur ma pierre. »
- « Pourquoi donc choisir cette question, cette pierre ? »
- « Hé oh, c'est moi qui pose les questions ! Et si vous voulez tout savoir. Pourquoi cette pierre ? Ben pourquoi pas ? Après tout, c'est tout ce que j'ai actuellement. Je pourrais vous questionner sur le sens de la vie, le futur qui m'attend, si je vais avoir trois enfants et comment je vais mourir, mais je doute qu'une voix invisible pourra me répondre convenablement. Alors que cette pierre, elle est là, dans mon présent, et que c'est une question que je me pose, avec un intérêt bien plus concret que mon futur ou ma descendance. »
- « Alors sachez que cette pierre est une clé. »
- « Une clé, ça ? Ben si j'avais su. Ça ouvre quoi ? »
- « Une serrure. »
- « ….. vous êtes vexante, pour une voix invisible. Quelle sorte de serrure ? Où est la serrure ? Qu'est-ce que je trouve de l'autre côté ? »
- « C'est une serrure qui cache un trésor. Où est le trésor, je ne le sais pas. Il faut de toutes les façons trouver les autres clés. Et la dernière clé mènera aussi au trésor. »
- « Et il est beau, ce trésor ? »
- « Tout dépend de ce que l'on cherche. Un voyageur sans bagage est-il comme un voyageur sans boussole ? »
- « … décidément très vexante. Vous avez dit d'autres clés. Combien en tout ? »
- « Sept. »
- « Et je les trouve où ? »
- « Gravées dans la pierre. Les clés sont dissimulées. »
- « Alors ça, ça m'aide beaucoup, tiens. »
- « Tu as bien fait le lien, non ? »
- « Justement, quel lien ? Pourquoi il y a des gravures de la pierre sur les bâtiments de Shanda ? »
- « D'après toi ? »
- « …. Il y a une clé ici ? »
- « Oui. »
- « Où ça ? »
- « Ici. »
- « Ici... ici sur Skypéia ? Ou ici, ici, dans cette pièce qui n'en est pas une ? »
- « Pour cacher une pierre qui n'en est pas une, une pièce qui n'en est pas une. »
- « Oui, c'est logique. Enfin, je crois. Vous êtes la gardienne de la clé ? »
- « Pas vraiment. »
- « … du coup, je peux l'avoir, cette clé ? »
- « Qu'en feras-tu ? »
- « Là, tout de suite, rien. Mais un jour, qui sait ? »
- « Tu ne cherches pas le trésor ? »
- « Non. Avant, je ne savais pas qu'il y avait un trésor, et maintenant que je sais, ça ne change rien. J'ai vu ce que ça fait, de devenir obsédé par la recherche d'un truc. La passion a des côtés sombres, et j'ai assez donné dans le sombre pour un bon moment. »
- « Soit. »
Je revins à moi, allongée sur la dalle.
Je ne me souvenais pas d'être tombée assoupie. Je ne savais même pas si j'avais dormi. Ici, rien n'indiquait le passage du temps.
Immédiatement, je sus que j'étais de retour dans la réalité. Ne serait-ce qu'à l'odeur. Ce mélange de remugle doux de jungle, de fleurs sauvages au lourd parfum et de terre séchée, c'était l'odeur de Skypiéa. Enfin, de Vearth. La dalle sous moi était tiède, et ce n'était pas désagréable de rester allongée, à regarder les grains d'éternité virevolter dans les rayons de soleil. La lumière était plus crue ici. Sans la couche de nuages qui était la Mer Blanche, le soleil tapait beaucoup directement. Pas étonnant que les ex-Shandias eussent bronzés comme des petits pains, au point d'en devenir génétique. Je baillai, largement, m'étirai comme un chat. Peut-être même m'assoupis-je pendant un moment. Comme clairement, rien ne se passait, je finis par me relever. Cette fois, rien ne m'empêcha de quitter les lieux.
- « C'est bon, c'est fini ? »
- « Tu as pu ressortir, donc oui. »
- « Non, mais c'était vraiment zarbe, ta grotte !! Imagine-toi que--- »
- « Non Shaïness. Il ne faut pas en parler. Ça ne concerne que toi. »
- « Que moi, que moi, t'es gentil. Il y avait bien quelqu'un, dans ta grotte. Quelqu'un qui m'a parlé !! » Chris fit une tête étrange, et sur un geste de sa part, un homme fila dans la grotte. « Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? »
- « Cette grotte est la demeure du Serpent-Vision (1). C'est un être d'une infinie sagesse, qui sonde les cœurs, et qui relie notre monde à celui des Esprits. »
- « Quoi, les morts ? »
- « Non, les Esprits. Tout ce qui a été, est, et sera. Il est l'union de la terre et des cieux. Il est le père des Serpents à Plumes. »
- « Et c'est bien, les Serpents à Plumes ? » La façon dont il avait appelé ces créatures me laissaient penser que c'était un sujet délicat.
- « La légende dit que l'ancêtre de tous les Serpents à Plumes a enseigné le Mantra à notre premier Dieu. Dieu était le héraut Ange entre le Ciel et la Terre, il conversait avec le Serpent-Vision. Sauf que personne ne le voit jamais. C'est un Esprit lui aussi. »
- « Ouais, ben ton Serpent-Vision-à-Plumes, il m'a donné une pierre. » Je lui montrai la seconde clé, puisque c'était là sa vraie nature, que j'avais retrouvé à côté de la mienne.
- « Où as-tu trouvé ça ? »
- « Je te l'ai dit. La voix de la grotte me l'a donnée. »
- « Mais pourquoi à toi ? »
- « Je suppose que c'est parce que je le lui ai demandé gentiment. Tu lui a demandé la pierre avant ? Non ? Ben voilà. Il fallait lui parler de la pierre. »
- « Mais... mais... Shaïness !! Le Grand Serpent-Vision t'adresse à toi, et toi, tu lui parles d'une pierre ? »
- « Déjà, c'est une clé, pas une pierre. Et je ne savais pas que c'était le Serpent-Vision. Je te signale que tu n'as pas jugé bon de m'expliquer ce que j'allais faire ou voir, dans ta grotte. » Je fulminai, martelant le sol d'un pied assez excédé.
L'homme envoyé dans la grotte revient, portant une poignée de mes cheveux, coupés pendant ma dispute avec mon moi maléfique.
- « Shaïness... tes cheveux... ils sont comme avant. »
- « Ah ? Ah, tiens, oui. Là, prends les pierres, veux-tu ? Hé toi, prête-moi ton couteau ? » De nouveau, je me recoupais les cheveux. Je ne voulais pas oublier de sitôt ce qui c'était passé dans cette grotte. Le fait que la chevelure avait poussé « magiquement » ne me posait aucun problème métaphysique. Je venais de me battre, physiquement me battre, avec moi-même, et de parler avec la Voix des Esprits. Donc bon...
- « Shaïness... la question est surtout : avec quoi t'es-tu coupée les cheveux dans la grotte ? Tu n'as aucune arme sur toi, même pas tes fils, et il n'y a rien dans la grotte de tranchant. »
(1) Inspiré donc de la créature de la mythologie maya.
J'avais décidé que ce qui se passait dans la grotte, resterait dans la grotte. A trop vouloir savoir, je risquais de perdre le peu d'équilibre moral et psychologique que je venais de retrouver. Je ne désirais pas savoir qui, quoi, pourquoi, j'avais rêvé de tous mes maux intérieurs. J'avais simplement acquis la certitude que je n'avais pas à devenir ce monstre qui me terrifiait. C'était, je ne le reniais pas, une possibilité. Un futur toujours présent en moi. Mais ce n'était pas un chemin tracé, et j'avais toutes les ressources en moi de le tenir à l'écart.
Je rejoignis Lullaby et Tenna pour un premier conseil de la triroyauté. Nous avions beaucoup à faire. Ainsi, ce ne fut que lorsque les mesures les plus urgentes furent réglées, que nous prîmes le temps de discuter plus librement. Le soleil était moribond, étalant ses lueurs ultimes dans une flaque de vermillon sombre. La pièce où nous étions était plongé dans un clair-obscur orangé.
- « Donc, est-ce que vous avez réfléchi à ce que j'ai demandé à Chris, pour cette question de race ? »
- « Oui, c'est en discussion. Disons que ce n'est pas facile pour les Shandias, je peux les comprendre. Même moi, j'ai du mal, et pourtant, je n'ai rien contre les Anges. »
- « Pour les Sélénites, ça passe mieux. Après tout, les Anges et eux sont liés, donc pour eux, c'est presque pareil. » Venant de la part d'Amaspa, c'était étonnant.
- « Bon, on verra dans quelques jours. …. je dois savoir... niveau initiation, c'est fini, j'en ai terminé ? »
- « Oui. Et le fait que le Serpent-Vision se soit adressé à toi prouve que nous avons bien fait de te choisir comme reine. »
- « Vous savez que sémantiquement, une reine ne se choisit pas. Elle naît reine. Sinon, je suis élue. »
- « Presque tous peuvent faire face à l'adversité. Si vous voulez éprouver le caractère d'un homme, donnez-lui le pouvoir. »
- « Foutaises, Tenna ! Déjà, je suis une femme, pas un homme. Et « Reine », ce n'est qu'un titre. Surtout que je suis trireine. »
- « En fait, je te conseille fortement d'utiliser le titre de « reine », quand tu seras en bas. Ça a plus de pouvoir. Ça attirera moins l'attention. »
- « Lullaby, parfois, je trouve que Alincourt a eu trop d'influence sur toi. »
Ils ne voulaient pas être roi et reine avec moi. Ce que ça pouvait être bornés, les Anges...
- « Bon, la grande question en suspens, c'est ce qu'on fait du Lieutenant-Colonel Zieger. Rafaelo a fait la bêtise de se dévoiler comme étant lui et surtout lui bien vivant. La présence d'un révolutionnaire sur Skyépia nous met tous en danger. Nous ne pouvons pas le relâcher sur Grand Line. Pensez-vous qu'on puisse le retenir prisonnier ici ? Sans lui dire qu'il est prisonnier, bien entendu.»
- « Euh, ça va être chaud. »
- « Pourquoi donc ? »
- « Parce que Héaill—Maselfush Island va être bientôt rempli de touristes, donc autant de chances qu'il puisse faire passer un message à un potentiel espion. Oui, nous avons déjà prévu le coup: le GM va sûrement envoyer des Marines et des CPs déguisés en touristes. »
- « Et ici, sur Vearth, ce n'est pas possible, ça nous mettrait plus en danger encore. »
- « Mais pourquoi donc ? Tant qu'il ne voit pas le pon---. »
- « Shaïness, nous sommes tous révolutionnaires. Le laisser aller-venir sur Vearth, c'est lui dévoiler tout ce qu'on fera. »
- « …. ….. …. Comment ça, vous êtes tous révolutionnaires ? »
- « Nous tous, les Skypiéiens. Chaque individu adulte a été consulté et a donné son accord. »
- « Mais vous ne pouvez pas être révolutionnaires ! »
- « Et pourquoi pas ? »
- « Vous ne connaissez rien de la révolution ! Juste Rafaelo et moi ! Et pour autant que je m'aime, et que j'aime Rafaelo, nous ne sommes pas représenta--- et puis, vous n'y connaissez rien, au combat de la révo ! C'est sérieux, vous savez ! Ce n'est pas juste un club secret, hein ! »
- « Tu penses vraiment qu'on est débile à ce point ? » se renfrogna Tenna l'air mauvais. Lullaby intervint pour couper court :
- « Arrêtez ! Vous avez raison tous les deux. Shaïness, notre décision est fondée sur une réflexion poussée, pas juste une envie ou un « woaa, c'est trop cool » ou « fais chier, Maselfush, ahaha on va être révo pour l'énerver ». Oui, nous ne connaissons pas tout du conflit qui oppose la Révolution au Gouvernement Mondial, même si vous, Rafaelo et toi, nous en avez parlé assez longuement. Mais justement, entre vos explications, et ce que nous avons vu du monde d'en-bas, comment pourrions-nous pas être révolutionnaires ? Oui, c'est un désir très égoïste, ça n'a rien à voir avec la cause. C'est une adhésion préventive, si tu veux voir ça comme ça. Nous rejetons tout ce qui fait ce Gouvernement Mondial pour qui la vie d'une personne comme toi n'importe pas. Ce qu'il t'a fait à toi, il pourra nous le faire à nous. Et c'est hors de question.
Shaïness, réalise bien que nous sommes parfaitement conscients de la chance que nous avons eu que ce soit toi qui aies eu cette mission. Si elle avait été donnée à un autre agent du CP, un qui ne soit pas révolutionnaire... où en serions-nous maintenant ? Une bonne partie de nous serait prisonniers si ce n'est morts, nous en sommes persuadés. Nous devons notre vie à la Révolution, au-delà de toi. Donc si actuellement, nous sommes encore sur la défensive, bientôt, nous pourrons aider d'autres peuples qui pourraient souffrir des exactions des gens comme Maselfush. Parce que nous avons été épargnés, mais pas part chance. Par action, grâce à la Révolution. Pour le moment, nous ne pouvons pas faire grand chose, et nous avons besoin de la protection, de la guidance de la révolution, mais bientôt, bientôt, nous serons avec vous. »
- « Nous sommes tous des guerriers de la paix. Tu peux appeler tes copains Révo, nous sommes prêts à les recevoir. Donc pour ton lieutenant, je n'ai aucune idée de ce qu'on va faire. … Shaïness, tu vas bien ? »
- « Je dois en parler à Rafaelo. C'est une nouvelle... inattendue. Si c'est ce que vous voulez, je ne peux pas m'y opposer, mais, j'avoue que ça me surprend. Ça m'inquiète un peu aussi. Je ne vous pensais pas prêts. »
- « Tu feras une bonne mère, et pour le moment, tu fais une bonne trireine. Va voir Rafaelo, il doit être de retour. Il a fait des siennes, lui aussi. »
Sur ces mots, nous nous séparâmes, et je partis à la recherche de mon comparse.