Quelques jours auparavant.
Je m’aventurais sur North Blue tel le vagabond que j’étais. Comme à mon habitude, j’allais passer ma journée à composer, gratter quelques notes sur du papier et flemmarder dans ma chambre d’hôtel ; une journée standard pour un musicien. Dans ces moments-là, je ne me préoccupais de rien, pas de problèmes avec la Marine ou avec d’autres types qui auraient éventuellement pu me chercher des noises. Evidemment, il fallait toujours que quelque chose passe de travers. Mon mini-escargophone sonne, peu de gens possédaient l’accès à ma ligne ou en connaissaient l’existence. Devais-je décrocher ou bien laisser l’appareil donner de la voix de sa façon si caractéristique. Je prenais l’appel, trop de questions sans réponses ; bien mal m’en pris lorsque je reconnus la voix au bout du fil.
« Oy Oy Oy Klaus, la forme ? »« Picrate… »« Eeeeeeet oui, ton vieux pote Picrate qui se rappelle à ton bon souvenir ! »« Qu’est-ce que tu m’veux ? »« Moi ? Rien, juste l’envie de te parler »« Arrêtes ton char et dis-moi ce que tu veux, tu veux toujours quelque chose ! »« Okay, t’es toujours aussi perspicace, j’ai un boulot pour toi à Inari »« Pas perspicace Picrate, juste que je te connais bien trop, malheureusement… C’est quoi le job ? »« Oh trois fois rien, il te faudra juste arrêter l’exécution d’un gars sur une place publique »« Et j’y gagne quoi ? »« Mon respect et ma gratitude Klaus, mon respect et ma gratitude »« Tu t’fous d’ma gueule ? »« Est-ce que je dois te rappeler qui t’as sorti des griffes de ta demi-sœur ? Qui t’as fourni un moyen de fuite ? Et qui essaie de faire en sorte de brouiller les pistes hmmm ? »« Pfff…D’accord, d’accord, mais j’aurais besoin de plus de détails »« Les détails sont devant ta porte »« Quoi ? Mais comment t’as su… »« C’est mon métier, tu l’aurais aussi oublié ? »
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Je débarquais sur Inari après plusieurs jours de voyage. Paraîtrait-il que c’est un bel endroit où il fait spirituellement bon vive. Du moins, c’était avant la chute d’une île volante…J’avais bien du mal à imaginer un machin volant au-dessus de la ville. Ça devait être quelque chose d’immense visible depuis la mer ; une chouette vue en somme. Mais je n’étais pas là pour faire du tourisme, un contretemps en mer m’avait retardé d’une demi-journée sur l’horaire de l’exécution. Picrate n’allait pas être content, mais je n’en avais strictement rien à foutre, si ce type est mort, ce n’était certainement pas de ma faute. Par quiétude de conscience, j’allais m’informer sur les événements passés en ville récemment. Et quoi de mieux qu’un rade pour trouver foule d’informateurs zélés ? Je m’installais à une table où une partie endiablée de cartes avait lieu. J’avais quelques berrys à dépenser, autant poser des questions utilement ou bien écouter les ragots qui circuleraient. Je glanais des informations assez rapidement, facilement, on ne parlait que de ça au bar. Un type avait arrêté l’exécution, un coup de tête entre les deux yeux du superviseur, je l’aimais déjà ce gars. Le leader de la cabale était donc en vie, quelqu’un avait fait le job à ma place…Picrate avait peut-être envoyé un autre type en renfort…Le bonhomme en serait capable. La partie allait bon train, les potins aussi d’ailleurs. C’est fou le nombre d’informations inutiles que l’on peut trouver dans une conversation.
Je sortais du troquet les poches pleines, l’expérience et quelques tours de mains avaient contribués à ma nouvelle richesse. Qu’est-ce que je pouvais bien faire à présent ? Le travail avait été rempli, plus besoin de sauver Ernesto ; je pouvais partir l’esprit tranquille… Si seulement… L’escargophone retentit dans mon Trench Coat, fait chier…Picrate encore. Jamais je ne comprendrais comment cet homme pouvait posséder autant d’informations, je savais que le renseignement était son domaine mais tout de même. Bien évidemment, il m’interpella sur le fait qu’un autre gars avait bossé à ma place, le savon habituel. Ma mission à Inari n’était apparemment pas finit, loin de là, il fallait que j’aide Ernesto à s’emparer de l’île toute entière. Je pestais puis rétorquais que ce n’était pas ce qui était convenu…Le fait que j’arrive à la bourre aussi qu’il ironisa. Picrate savait taper là où c’était nécessaire. Mon code de conduite lui donnait raison, je me devais de remplir le contrat même si cela impliquait de faire des choses peu recommandables. Mon commanditaire me suggéra de chercher Ernesto dans les catacombes, Picrate était à peu près sûr que je le trouverais là-bas. Une virée dans les égouts, quoi de plus rafraichissant ?
Je pénétrais dans les bas-fonds de la ville par une bouche située non loin de là. L’odeur y était répugnante, mais j’avançais tout de même ; je n’allais pas reculer pour si peu. Un véritable dédale m’entourait, belle planque pour une organisation telle que la Cabale. Sans savoir où chercher, sans même savoir où aller, j’allais et venais, un coup de bol me permettrait peut-être de trouver l’emplacement de la cachette. Je ne savais pas depuis combien de temps j’errais, une heure ou deux sans doute. Je fouillais dans tous les coins et recoins sans résultats. Et puis, le jour suivant, je tombais finalement devant une porte en bois branlante, j’y entendais distinctement plusieurs voix, bonne pioche me dis-je. J’ouvrais ladite porte, les gonds couinèrent à mon entrée qui fut proprement glaciale. Cinq gaziers étaient là me fixant du regard, l’atmosphère qui auparavant semblait joyeuse était devenu lourde et silencieuse ; je brisais la glace.
« Salut les gars, je vous raconte pas le mal de chien que j’ai eu pour vous dénicher mais vous voilà, je cherche Ernesto, Picrate m’envoie p… »Je n’eus même pas le temps de finir ma phrase que les disciples se ruèrent vers moi. Il fallait que je réfléchisse en une fraction de seconde, devais-je les mettre au sol, quelques beignes dans la tronche ? Ou bien devais-je me laisser prendre et les laisser me conduire jusqu’à leur leader ? La deuxième option semblait la plus intéressante. Sans résistance, je me laissais faire, un petit passage à tabac n’était pas grand-chose, ça piquait un peu, sans plus. J’espérais simplement qu’ils seraient assez stupides pour m’emmener jusqu’à Ernesto. Ils m’attachèrent solidement, le croyaient-il ; puis, ils me recouvrirent le visage d’une cagoule puante. Je les entendais discuter, se demandant ce qu’ils allaient faire de moi. L’un d’entre eux décida qu’Ernesto saurait quoi faire de moi. Jackpot. Tout se passait aussi bien que je l’espérais, comme du beurre qu’on étalerait sur une tartine de pain. On me fit embarquer dans ce qui semblait être un véhicule, j’ignorais de quel genre. Mon idée de départ était de compter chacun des pas que j’aurais pu faire pour connaître l’emplacement du Leader. Je n’avais pas prévu le transport.
Je ne saurais donc pas dire où ils me conduisirent. Au vu du nombre de marches que je grimpais, je pouvais être sûr que le bâtiment dans lequel je me trouvais à présent était démesuré, gigantesque. J’entendais maintenant deux battants de portes qui s’ouvraient. On m’y poussa pour que j’entre, ce que je fis sans rechigner. Un bon coup de pied derrière le genou me força à poser mes jambes au sol, je sentais que l’heure de ma rencontre avec Ernesto arrivait. Une minute passa, puis deux, et enfin trois, la porte s’ouvrit à nouveau.
« Qu’est-ce que c’est ? » dit une voix tandis qu’une autre plus formelle se fit entendre
« Un gars qui a trouvé notre planque dans les catacombes, il nous a parlé de pinard, qu’il vous cherchait, on a rien compris »Si seulement, il m’avait laissé le temps de m’exprimer, tout aurait pu être si simple… Il était temps que j’entre en piste. En un tour de main, je me détachais, sans même prendre le temps d’enlever la cagoule qui entravait ma vue, je frappais le type de droite puis l’autre à gauche que je fauchais du pied ; j’avais l’oreille plutôt fine, je savais approximativement où se trouvait mes ravisseurs. Enfin, je retirais le capuchon, j’observais finalement la pièce et ses occupants ; Ernesto derrière moi, ses deux hommes et un autre type devant moi, le cheveu hirsute, fumait le cigare. Sans un mot, je récupérais toutes mes affaires, ils m’avaient littéralement détroussé de tous mes biens. Je récupérais mon Trench Coat que j’enfilais, mon chapeau ainsi que mes lunettes qui étaient disposé là sur un fauteuil luxueux. L’impression de nudité s’en alla une fois mes vêtements sur moi. Je tournais les talons pour faire face au Leader.
« Ah oui, c’est beaucoup mieux ! Maintenant on peut causer. J’me devais de corriger ton personnel histoire de resserrer les liens de notre future collaboration » lui dis-je en montrant le morceau de corde au sol
« Picrate m’envoie, à la base j’étais censé sauver ton p’tit cul sectaire de l’échafaud mais j’ai eu un léger contretemps, désolé pour ça. Tout est bien qui finit bien j’imagine, t’as toujours la tête sur les épaules. Il m’a demandé de te filer un coup d’main, m’demande pas comment il sait de tes petites affaires, j’en sais rien »« Picrate ? Comment va ce vieux fouineur ? »« Aussi bien qu’un rat qui aurait trouvé un morceau d’fromage remplit d’infos j’dirais. »« Hahaha, type bizarre ce Picrate hein ? »« Yep »« En tout cas, je ne refuse pas ton aide, même si j’imagine qu’elle ne sera pas gratuite »« Mon aide si, celle de Picrate, moins sûr »« Je pense qu’on sera amené à prendre contact lui et moi »« T’inquiètes pas, quand il flaire quelque chose, il lâche pas l’bout d’gras, il saura te trouver »J’allumais une Huff&Puff, ma marque de cigarette favorite, tout en scrutant l’homme assis derrière le bureau. Il n’avait pas prononcé une seule parole, pas un mot. Pourtant, je sentais que quelque chose n’allait pas. Je l’avais observé durant toute la conversation avec Ernesto, je sentais que cet homme avait soif, non pas du whisky qu’il était en train de boire mais bien d’autre chose. J’avais vu ce regard de nombreuses fois, il trépignait d’impatience, il voulait de l’action sans tarder.
« Et lui c’est… ? »« Oh, j’en allais oublier les présentations, je te présente Olek qui m’a sauvé la vie y a quelques jours, Olek je te présente…Euh…C’est quoi ton nom ? »« J’tiens pas vraiment à ce qu’on me cite dans un torchon après mon départ, j’ai mes propres soucis…Mais j’imagine qu’il faut que je me mouille pour que vous ayez un peu plus confiance en moi…Klaus »« Très bien messieurs, il est temps de s’emparer de cette île »