- Et donc pourquoi nous avoir réunis au juste ?
Nous sommes quatre, réunis en cercle autour de la grande table au centre de la petite pièce dans laquelle j’ai passé la journée à discuter avec Lana. A chaque coin est assise une personne, chacune une expression différente. Nina, en bout de table, face à moi, semble légèrement énervée, bien moins agréable que tout à l’heure, essayant visiblement de me faire comprendre qu’elle a déjà dit ne rien savoir sur l’affaire et qu’elle n’a rien à faire ici. Heureusement, Lana, à ma gauche, semblant un peu troublée et stressée, ne lui a pas laissé le choix, la tirant de force jusqu’à ce qu’elle se laisse faire. Enfin, à ma droite, se tient le grand père, assis sur un tabouret plus haut que les autres chaises pour qu’il soit à la même hauteur que nous.
- Vous allez vite comprendre.
Enfin je l’espère. En soit, tout ça repose sur un bluff qui ne fera que me mettre tout le monde à dos si jamais il s’avère erroné. Tout repose sur cette seule et unique lettre, qui décidera du sort de Lana.
- Papy, si vous voulez bien me donner ce que je vous aie demandé de ramener. Lana, de même.
Le vieil homme me tend tout d’abord le contrat d’une des plus vieilles employées de l’atelier, écrite à la main par l’ancienne propriétaire des lieux. Certaines lettres sont peu lisibles mais dans l’ensemble, les mots sont encore bien visibles, tout comme la signature. Vient ensuite la supposée lettre de la défunte mère que me donne Lana, encore bien poussiéreuse, prouvant qu’elle est restée longtemps entreposée là où elle était. Prenant chacune des deux feuilles, sans m’intéresser au texte, je me concentre sur les différences entre les écritures et les signatures, ne laissant aucun doute quant à la réponse.
- Il s’avère que j’avais raison, il suffit de jeter un coup d’œil aux signatures pour voir qu’elles sont bien différentes.
- Ça ne prouve pas grand-chose, désolé de te le dire, c’est pas possible exactement de faire la même plusieurs fois. Il m’arrive même d’ailleurs de la changer de temps à autres perso.
- La différence est malgré tout flagrante. Et si l’on regarde de plus près l’écriture, ça ne fait plus aucun doute. Certaines lettres ne sont pas du tout écrites de la même façon, malgré le fait que les écritures semblent proches au premier coup d’œil. Cela prouve donc que cette lettre est bien une fausse !
Pour appuyer mon propos, je fais claquer mes mains sur la table en me levant subitement, provoquant un grand bruit. Sauf qu’une réaction en face n’est pas celle que j’avais imaginée. Lana, subitement, se lève elle aussi, l’air prête à fondre en larmes.
- Excusez-moi, je vais faire un tour, je reviens…
Et sans en dire plus, elle prend la porte sans nous regarder plus longtemps.
- Vous êtes consciente de ce que vous êtes en train de faire ?! Ma sœur a sacrifié toute sa jeunesse à remettre en état l’atelier de sa mère juste à cause de cette lettre et vous lui dîtes que tout ça n’était que le fuit du mensonge et qu’elle base sa vie sur une blague depuis tout ce temps, vous n’avez pas honte ? Vous n’êtes qu’une enfoirée !
- Nina, du calme ! Tu n’as pas totalement tort mais tu n’as pas à t’énerver comme ça. Et vous, j’ai bien voulu vous aider pour le bien de ma petite-fille mais si vous tentez de la détruire, sachez que vous n’êtes plus la bienvenue ici.
Arg. En quelques secondes, je me suis attirée la colère de toute la famille, visiblement prêts à me foutre dehors au moindre mot de travers. Mais malheureusement, si je veux pouvoir régler le tout, il faut que j’aille jusqu’au bout.
- Ne vous inquiétez pas, papy. Mon but n’est pas de tout détruire, juste de l’aider à avancer. Et pour ça, je dois révéler une dernière chose qui lui permettra d’avancer !
- Quoi donc ?
- Le nom de l’auteur de cette lettre.
- Ce n’est pas un simple canular ?
- Loin de là. Une personne s’est servie de cette lettre pour arranger ses affaires durant toutes ses années.
- Balivernes.
- Je ne crois pas, non. Après tout, c’est vous qui l’avez écrite, Nina !
- Ah bon ? Et vos preuves ?
- Une lettre qui oblige votre sœur à reprendre la direction de l’atelier sans que vous soyez impliquée, écrite par quelqu’un qui connaissait suffisamment l’écriture de votre mère pour l’imiter grossièrement ? Je ne vois pas qui d’autre que vous aurait pu le faire.
- La première raison ne prouve rien du tout et la seconde n’en est pas une, de nombreuses personnes l’avait déjà vue.
- Mais j’ai bien une preuve, je peux vous l’assurer.
- Quoi donc ?
- Lana m’a dit elle-même plus tôt que vous aviez reçu chacune une lettre, ce qui semblait logique dans le cas où la lettre viendrait vraiment de votre mère, voulant vous adresser ses dernières paroles. Dans le cas d’un blagueur voulant tromper Lana, il aurait sûrement envoyé une lettre à vous aussi pour que la blague paraisse vraie, évitant l’incohérence. Donc pouvez-vous me la montrer ?
- Ce serait avec plaisir mais je l’ai malheureusement égarée. Je n’étais pas plus attachée à ma mère que ça donc je n’ai pas vraiment pris la peine de la garder en lieu sûr.
- Objection !
J’ai toujours rêvé de gueuler ça un jour, surtout dans un moment comme celui-ci. Faudra que je pense à le cocher dans mon cahier de choses à faire dans la vie.
- C’est gentil de vous contredire comme cela.
- Comment ça ?
- Le collier autour de votre cou ! Vous m’avez vous-même dit que c’était un souvenir de votre mère lorsque nous somme saluées. N’est-ce pas Papy ?
- Effectivement, cela appartenait bien à ma fille, elle l’a donné à Lana avant de partir à la guerre.
- Tss…
- Donc si vous n’êtes pas en mesure de me montrer cette lettre, cela voudra bien dire que vous n’en avez jamais reçue et que vous êtes bien l'auteur de celle de votre soeur !
- Et un motif, hein ?! Qu’est-ce j’aurais gagné à lui faire cette blague ?
Elle s’est levée soudainement, à deux doigts de péter un câble. Son visage plutôt angélique le paraît beaucoup moins maintenant, prête à m’égorger si je dis tout haut ce que je pensais. Mais malheureusement, il en faut plus que ça pour m’effrayer.
- C’est tout simple, avec votre sœur occupée à reprendre l’atelier, vous n’aviez aucunement besoin de vous investir dedans. A vous l’avenir plein de joyeusetés, loin du travail acharné de cet endroit.
- …
Elle se calme soudainement, me fixant avec un air troublé, puis reprends rapidement du poil de la bête, avec cependant un ton moins agressif que précédemment.
- Désolé mais ce n’est pas possible. Nous avions douze ans à cette époque, je n’étais même pas consciente que ce serait à nous de reprendre l’atelier à sa mort.
- Elle dit vrai, c’est Lana qui m’a pris de court avant que je leur explique, soudainement motivée pour reprendre l’atelier alors qu’elle venait de passer deux ans sans quasiment aucun contact social. C’est la lettre qui lui a appris l’existence de ce fait sans aucun doute, Nina ne peut donc pas en être l’auteur !
- Arg.
- Objection…
Tout le monde se retourna d’un coup, fixant la porte de la salle où se tenait Lana, visiblement mal en point au niveau de ses émotions. Elle est restée là tout ce temps à nous écouter derrière la porte malgré tout ?
- Papa nous avaient expliqués que si un jour ils disparaissaient, se serait à nous de nous occuper de l’atelier mais qu’il ne voulait pas que cela arrive, étant une trop lourde charge pour nous deux. Mais quand j’ai reçu la lettre de Maman, j’ai ignorée cela, heureuse de pouvoir accomplir sa dernière volonté…
- Dans ce cas, c’est tout à fait possible que –
- Objection ! Merci pour ton aide mais tu te trompes sur ce point. J’ai compris maintenant le pourquoi du comment. Tu as voulu m’aider, n’est-ce pas Nina ? Vu que j’étais incapable de me remettre de la mort de nos parents, tu as décidé de me donner une raison de vivre à nouveau…
S’arrêtant là dans ses explications, elle fixa sa sœur dans les yeux, tentant de retenir les larmes qui semblaient vouloir à tout prix couler sur son visage.
- Sauf que tu ne t’attendais pas à ce que je continue de suivre et à reposer ma vie sur cette lettre aussi longtemps… Alors tu as continué à mentir, par peur de me briser à nouveau…
- Mais…
- Ça va aller. Je suis plus forte mentalement que tu ne le crois. J’ai fini par m’en remettre malgré tout, tu sais ?
Et sans prévenir, les deux éclatèrent en pleurs, Nina se jetant dans les bras de sa sœur et s’excusant sans s’arrêter pendant plusieurs minutes, voir plusieurs dizaines.