« Tu es un Dark, tu es voué à surmonter toutes les épreuves ! »
Sur une plage, au beau milieu de nulle part, un homme aux cheveux noir de jais était étendu, inconscient. Plongé dans son passé, le jeune personnage paraissait ne jamais se réveiller, comme rongé de l’intérieur par ses souvenirs. Tandis qu’il se perdait dans son vécu, une douce brise vint caresser son visage sur lequel nombre de saletés de l’océan s’étaient déposées. Au milieu d’algues et de sédiments, on pouvait apercevoir ses paupières fermées sur le monde. Mais bien vite, des sons parvinrent à se frayer un étroit chemin jusqu’à son esprit tourmenté, le ramenant petit à petit à la réalité. Le remous des vagues qui s’écrasaient sur la silice, le léger tintement des pinces d’un crabe violoniste. À ces sons s’ajoutèrent des odeurs comme les embruns de l’océan, mais surtout la puanteur qui se dégageait de son corps mouillé et recouvert d’un amas d’immondices. Sous ses paupières toujours closes, les teintes de couleurs évoluaient, passant du noir absolu à un dégradé de mauve qui se transforma en de savantes teintes de rose avant de laisser place à une couleur orangée, la surface du monde était à portée de main. Puis, le noir total. Et des effluves encore plus nauséabondes qu’un amas de chair putride ayant macéré dans un milieu hypersalin. Enfin, le rire hystérique d’une mouette satisfaite qui toisait le malheureux depuis la cime d’un cocotier. Brusquement ramené à la réalité par cette offense, le lieutenant d’élite s’assit précipitamment et ôta de ses yeux cette déjection fraîche d’un vif coup de main. Si cela ne permit pas de tout enlever, cela eut tout de même l’effet de permettre au noble d’enfin ouvrir ses paupières restées closes pour éviter toute irritation de ses globes oculaires par cette fiente de laridé à pieds palmés. Après s’être rincé le visage dans l’eau de mer, Showl découvrit le paysage alentour et l’ampleur des dégâts causés par le cyclone. Non loin de lui, l’épave d’un bateau, autrefois caravelle de la marine, reposait sur le sable blanc, sa coque percée en de multiples endroits et ses mâts emportés jusqu’au dernier. C’est à peine si l’on pouvait encore parvenir à reconnaître la cabine du capitaine, réduite en un amas de planches de bois pourri et mouillé. À côté de cette épave, ses matelots étaient, comme lui un peu plus tôt, allongés sur le sable, inconscients ou émergeant à peine, des débris de bois sur eux ou entourés de déchets marins. Hélas, ils étaient bien peu, tout au plus une dizaine. Cherchant parmi les déchets son bras-droit, il eut le plaisir de le voir arriver près de lui, son uniforme tout aussi trempé et puant que son costume, après avoir visiblement inspecté les restes du navire. Le sous-officier Frieman, après un garde-à-vous impeccable, fit un rapport de la situation à son supérieur.
- Sous-lieutenant Frieman au rapport, mon capitaine !, commença le blond personnage.
Peu disposé à entendre ce qui s’observait d’un simple coup d’œil, le lieutenant d’élite coupa court directement au monologue de son second.
- Inutile de me dire ce que je sais déjà ! Occupez-vous plutôt de soigner les éventuels blessés et de fouiller l’épave pour trouver l’un ou l’autre rescapé de cette catastrophe !, ordonna-t-il.
Après un bref salut, son subordonné repartit accomplir sa nouvelle tâche. Resté là, stoïque, quelques secondes à regarder son équipage se relever et se mettre au travail, l’officier se surprit de la puanteur que son corps dégageait. Comment un être aussi exquis que lui pouvait dégager une telle odeur ? Passablement énervé, le jeune homme se fit alors le devoir d’éliminer de manière définitive ces relents putrides. Avec un peu de chance, sa garde robe personnelle n’avait pas été entièrement emportée par les vents et il pourrait changer de costume. C’est avec ce maigre espoir que l’héritier des Dark se dirigea vers ses hommes, occupés à déplacer les décombres pour vérifier qu’aucun Marine ne subsistait dans les restes du vaisseau. Ne prêtant pas attention à la scène qui se déroulait là, l’élite s’avança et sauta sur le tas de planches qu’étaient devenus ses appartements. Au milieu de crustacés teigneux et d’algues à flotteur, il aperçut ce qui paraissait être le coin d’un meuble en bois précieux. Enseveli sous les planches de bois de sa cabine, l’escrimeur repoussa le meuble avec colère. Ce n’était que son armoire à service à thé, qui ne contenait d’ailleurs plus que de la porcelaine brisée. Quel malheur ! Un si bel assortiment de théières et de tasses frappé à ses armoiries et d’une grande valeur pécuniaire, de surcroît. Pareil gâchis ne devait se produire, oh que non ! Et pourtant cela venait de lui arriver, à lui, un illustre personnage promis à un avenir brillant, s’il en est, malgré qu’au présent les ratés s’accumulent à la manière des déchets sur son habit. Enfin, touchons du bois ! Poussant plus en avant les recherches, il finit par trouver au milieu des débris l’un de ses costumes, tout poussiéreux et déchiré en divers endroits. Se débarrassant vite fait de cette loque, il eut le bonheur de dénicher un costume intact, mise à part la poussière présente dessus, sous le précédent. Son supplice odoriférant touchait enfin à son terme ! Satisfait, le bretteur redescendit aussitôt et laissa ses matelots à leur occupation tandis qu’il disparaissait dans la végétation pour se changer. Quelques instants plus tard, vêtu de son nouveau costume, le lieutenant d’élite revint se positionner en retrait par rapport à son équipage et s’assit sur un rocher, face à l’océan. Tandis que les fouilles se poursuivaient, l’épéiste se décida à appeler son Q.G. pour faire son rapport et mentionner le léger retard qu’allait prendre sa mission d’arriver à Navarone. Avec un navire en pièces détachées comme l’était le sien, cela risquait de prendre quelques jours avant de pouvoir reprendre la mer et pour autant, rien ne garantissait que les réparations permettent de tenir jusqu’à destination. De ce qu’il pouvait voir, cette île paraissait avoir plus de palmiers qu’autre chose, et ces arécacées ne sont guère connues pour la qualité de leur bois. À coup sûr, le noble allait devoir terminer le voyage sur une embarcation de fortune. Ca ne faisait aucun doute à ses yeux. Mais constatant que son esprit le poussait irrémédiablement vers la digression, un exutoire à cette besogne ingrate que représentait la formulation d’un rapport, l’officier se força à se concentrer sur le numéro que ses doigts fins composaient sur le den-den mushi. D’après nombre de ses connaissances de la haute-société, ses mains seyaient à ravir à un pianiste hors-pair, hélas il n’eut jamais réellement d’atome crochu avec cet instrument-là, préférant de loin manier avec une précision extrême un archet que pianoter à longueur de temps. Si, néanmoins, on lui inculqua à jouer du piano de manière satisfaisante, c’est bien au violon que son talent se manifestait. Très tôt passé virtuose, il eut pu aller bien loin si la réalité ne l’avait pas rattrapé.
Tandis que le den den mushi sonnait, l’escrimeur mit le combiné près de ses lèvres, se préparant déjà à la sempiternelle réplique qu’il lui faudrait dire. À l’autre bout de Grand Line, à Marie Joa, une secrétaire entendit son den-den mushi sonner et décrocha en se livrant à un énième monologue endormant mais qu’elle s’efforçait de rendre vivant tout du moins, bien consciente qu’aucun des deux interlocuteurs n’apprécierait la conversation sans qu’elle force un peu l’enjouement et n’affiche une bonne humeur à toute épreuve.
- Bureau des rapports et missions, que puis-je faire pour vous ?, demanda-t-elle d’une voie enjouée.
- J’aimerais procéder à un rapport, articula-t-il, persuadé de l’incompétence de la Marine régulière même lorsqu’il s’agit de saisir de courtes phrases.
- Puis-je connaître votre grade et votre hiérarchie, s’il vous plaît ?, continua-t-elle, connaissant par cœur ses répliques.
- Lieutenant d’élite Dark Showl, répondit-il avec une petite note d’agacement dans la voix.
- Bien, veuillez patienter quelques instants s’il vous plaît, je reviens à vous tout de suite, dit-elle.
- Soit, j’attendrai, finit-il par dire, fulminant intérieurement qu’on le fasse attendre. Quelle plaie que ces administrations, franchement ! Une pure perte de temps. Bien entendu, le noble aurait pu écrire son rapport et l’envoyer par mouette, mais cela aurait pris bien plus de temps pour être réceptionné, et le temps, il venait d’en perdre un bon paquet déjà. Mais alors que l’épéiste se perdait dans ses réflexions, le den den mushi se remit à parler.
- Excusez-moi pour l’attente. Vous êtes donc le lieutenant d’élite Dark Showl et vous souhaitez faire un rapport, c’est bien cela ?, interrogea-t-elle accoudée sur son modeste bureau, une main passant dans sa longue chevelure dorée.
- C’est bien cela. Puis-je donc enfin procéder à mon rapport ?, demanda-t-il sur un ton qui se voulait ferme.
- Oui, je vous écoute, répondit-elle après avoir saisit une feuille de papier et son stylo.
- Bien. Ayant reçu une missive demandant de me rendre dans les plus brefs délais à Navarone, je traversai les mers avec ce but-là, lorsque ma route croisa celle d’un équipage pirate : les Black Pirates. Est-ce noté ?, s’enquit-il.
- Oui, tout est bien noté, annonça-t-elle.
- J’en viens donc au rapport à proprement dit. « Après une âpre bataille navale face au galion adverse et un combat sur les ponts des deux vaisseaux… », continua-t-il.
- Pardon. Deux vaisseaux vous dites ?, l’interrompit-elle.
- Oui, deux bateaux. Le mien, une caravelle et le galion des pirates, n’est-ce pas clair ?, répondit-il sur un ton autoritaire, fort énervé par cette interruption.
- Ah, d’accord. J’en prends note, répondit-elle en gardant son ton enjoué.
- Je reprends donc : « Après une âpre bataille navale face au galion adverse et un combat sur les ponts des deux vaisseaux, », continua-t-il.
- Oui, ça c’est noté, vous pouvez passer à la suite, je vous prie, le pressa-t-elle, sa pause déjeuner se profilant à l’horizon.
Se faisant violence pour ne pas exploser de fureur devant tant d’incompétence, le marin reprit donc son monologue en détachant bien les syllabes, pour éviter qu’une fois encore son interlocutrice ne l’interrompe de manière impromptue pour lui demander quelque explication douteuse.
- Je poursuis, si vous le permettez : « (…) je terrassai le capitaine pirate. Due à une incroyable tempête qui faisait rage et à la différence d’armement entre les deux navires, mon vaisseau de fonction fut amoché. À peine, eu-je achevé ce combat en rendant justice qu’un cyclone emporta les deux bâtiments. Je me retrouve ainsi sur la plage d’une île avec une épave comme navire. Les réparations retarderont mon arrivée à destination ». Fin du rapport, conclut-il sobrement.
- Bien, tout est bien écrit. Votre rapport sera transmis dans les plus brefs délais. Nous vous souhaitons de passer une agréable journée, termina-t-elle avant de raccrocher sans attendre de réponse.
Quelle impolitesse pensa l’officier d’élite. Décidément, ces marins de la régulière faisaient vraiment peine à voir. L’incompétence les caractérisait à merveille.
Alors qu’à son tour, l’héritier des Dark raccrochait le combiné de son den-den mushi, son second vint à sa rencontre, vraisemblablement avec des nouvelles déplaisantes à en juger par son expression faciale qui traduisait son désarroi. Après un bref salut militaire comme le voulait l’étiquette, le sous-lieutenant se mit à parler.
- Mon capitaine, nous venons d’achever de fouiller les restes du navire. Au terme de ces fouilles, nous avons pu retrouver les corps inertes de trois de nos hommes, hélas, aucun survivant n’a été retrouvé, annonça le jeune marin qui peinait à cacher sa honte d’avoir laissé des matelots mourir.
Peu intéressé par les états d’âme du sous-lieutenant Frieman, Showl le toisa du regard avant de lui ordonner de creuser une tombe dans le sable pour chacun des trois marins morts. Si les formations élite ne faisaient pas dans le sentimentalisme, il incombait tout de même au capitaine d’accorder aux malheureux des sépultures décentes allant de pair avec le courage qu’ils ont dû faire preuve durant les moments difficiles. C’est ainsi que le noble supervisa les obsèques. Cependant, celles-ci ne s’éternisèrent pas, l’heure étant à la réparation de leur moyen de transport. Il gratifia simplement chacun des morts d’un salut militaire. Inutile d’en faire plus. La mort faisant partie intégrante de la vie d’un militaire, aucun n’ignorait que sa vie finirait d’une semblable manière tôt ou tard. Après ces inhumations, le vrai travail put enfin commencer. Chaque matelot reçut sa mission qui consistait soit en la réparation du navire, soit assurer le ravitaillement en matières premières ou bien en la cueillette de biens de subsistance pour tenir le temps que le bateau soit remis à flot. De son côté, l’officier d’élite décida d’explorer les environs, à la recherche d’une quelconque trace d’activité humaine dans les parages ou de toute autre chose utile. Après avoir prévenu son bras-droit que son absence pourrait être longue, l’homme aux cheveux noir de jais précisa qu’il emportait un den-den mushi portatif avec lui, dans l’éventualité où un problème se présenterait devant l’un ou l’autre des deux marins. Cela fait, l’élite disparut bien vite dans la forêt. À mesure qu’il avançait dans ce tissu végétal, les sons provenant de son équipage devenaient plus ténus, jusqu’à ce qu’ils en deviennent inaudible, puis le silence. Silence que seul le bruit de ses pas cassant des brindilles à moitié enfoncées dans une boue, qui témoignait de l’humidité croissante du lieu, venait rompre. Si pénétrer dans une jungle sans moyen de se repérer pouvait être vu comme un potentiel suicide, lui, de son côté voyait les choses sous un autre angle. C’est confiant que l’escrimeur avançait toujours plus en avant dans cette luxuriante forêt tropicale. Mais depuis que sa marche avait commencé il y a quinze minutes, une question le taraudait. Au vue de l’humidité qui régnait dans cette contrée verdoyante, les pluies devaient être monnaie courante par ici et pourtant, rien ne présageait que des intempéries avaient eu lieu depuis son arrivée accidentelle sur cette île. Dès lors, en postulant que les précipitations n’abreuvaient qu’occasionnellement ces terres-ci, un cours d’eau ou une pièce d’eau, voire des nappes phréatiques devaient se charger de fournir l’eau nécessaire au fantastique développement de toute cette végétation. Or, force était de constater que le lieutenant n’avait vu ni entendu aucun son se rapprochant du ruissellement d’une source naturelle. Et pourtant, la moiteur ne permettait de se tromper là-dessus, ses vêtements à nouveau mouillés en témoignaient également, il devait immanquablement y avoir une réponse à cette interrogation. Et tandis que son chemin se poursuivait, le bretteur eut l’occasion de voir toute une faune et une flore particulières qui formaient un écosystème extrêmement riche et varié. C’est ainsi qu’une Scolopendra Gigantea d’une taille étonnante, selon ses estimations ce spécimen devait bien atteindre les deux mètres de long au lieu de la trentaine de centimètres réglementaires, une vraie curiosité scientifique, lui permit de l’observer pendant une rapide partie de chasse avec un non moins extraordinaire colibri qui ne sut échapper au féroce prédateur, hélas. Plus loin, c’est une rafflésie aux dimensions peu communes qui attisa sa curiosité. Celle-ci devait approximativement avoir un diamètre de six mètres, un record, même pour cette fleur-là ! Fort de toutes ces merveilles naturelles dont il prit d’abondantes notes sur un petit calepin qui ne le quittait jamais, le justicier finit par percevoir un rai de lumière au loin. Bien vite, ce fut tout un pinceau lumineux puis une incroyable luminosité qui l’aveuglait, lui qui venait d’être plongé dans une semi-pénombre durant plus d’une heure, le feuillage des grands arbres ne laissant que peu filtrer la lumière de l’astre solaire, comme le voulait une forêt ombrophile.
Comme attiré par cette lumière rédemptrice, le marin marcha en direction de l’intense luminosité, jusqu’à être plongé dedans complètement. Devant lui s’offrait alors un paysage tout autre. Certes, le blanc dominait toujours, mais à cette couleur se rajoutaient nombre d’autres teintes qui formaient un tout cohérent. À mesure que ses yeux s’adaptaient à cette forte luminosité en réduisant la taille de la pupille, l’escrimeur découvrit une rue animée, débordant de vie. Partout des gens conversaient gaiement entre eux, posaient des questions à d’autres personnes se tenant derrière un comptoir. On retrouvait là toute la saveur d’une rue marchande, ses échoppes bon marché, ses commerçants roublards et pingres, sans oublier le surpeuplement de la voie publique comme il est de coutume dans cette sorte d’endroit. Tous les ingrédients étaient rassemblés. De ce que le noble pouvait en juger, il faisait bon vivre par ici, malgré que la forêt tropicale ne prédispose nullement à une forte présence humaine dans les environs. Se frayant un chemin parmi la foule, l’élite eut tout le loisir d’observer les alentours avec ses artisans qui présentaient leurs récentes créations, tant de la poterie, que des armes ou que des créations en cristal, il semblait y en avoir pour tous les goûts, assurément. Cependant, une question restait sans réponse et non des moindres : sur quelle île se trouvait-il ? Fortuitement, le noble entendit alors une bribe de conversation entre deux dames d’un certain âge et au milieu de mots innocents, le sésame : Sukarigu. Voilà donc où ce cyclone l’avait déposé. De ce que l’escrimeur avait pu en lire dans un atlas, cette île de petite taille se situait à proximité de deux autres bouts de terre avec lesquels les marchands de Sukarigu commerçaient abondamment : Fuji Island, une île volcanique dont la forme rappelait celle d’un croissant de lune, et Akashomi, une île ne comptant qu’une ville, mais construite sur d’importants gisements miniers. Quelle surprise que d’avoir atterri ici ! Le temps que les réparations soient effectuées, il allait pouvoir faire l’acquisition de nouveaux objets de valeur. Finalement, la Fortune ne l’avait pas abandonné. Mais avant d’écumer les boutiques, peut-être valait-il mieux procéder à une visite des lieux en bonne et due forme ? Certes, ni base Marine ni réelle milice ne faisait respecter la loi ici, les quelques hommes engagés par le bourgmestre de la bourgade suffisant généralement à régler les conflits de toutes sortes, due à la taille relativement petite de l’île et de sa proximité avec Akashomi qui dispose d’une Base Marine, mais le lieutenant pouvait tout de même espérer tomber sur une menuiserie dans laquelle il pourrait quérir de l’aide pour remettre à flot son vaisseau. Son objectif en tête, le bretteur quitta avec regret la rue marchande et s’engagea dans une rue adjacente moins peuplée pour commencer son tour des environs. Après une promenade forestière, si l’on pouvait dire, il repartait pour une promenade urbaine. Cela avait au moins l’avantage de varier les décors. À l’affût de la moindre enseigne, le marin expérimenté parcourut le dédale de ruelles, débouchant parfois sur une place bien accueillante. Puis, tout à coup, une explosion retentit dans la direction du port, situé à quelques centaines de mètres de Showl. Se demandant ce dont il pouvait bien s’agir, l’aristocrate se décida à aller voir de ses propres yeux la chose. Était-ce un regrettable accident causé par quelque incompétent travailleur recruté sur le tas ? Ou bien s’agissait-il d’une attaque de criminels ? À dire vrai, les deux options paraissaient plausibles.
À mesure que l’officier se rapprochait du lieu, il constata que les gens s’enfuyaient en courant en sens contraire. À ce fait-là vinrent s’ajouter de nouvelles explosions. Le doute ne subsistait plus, ces éléments corroboraient avec sa seconde hypothèse. Décidé à être informé de l’avancement de la situation, le jeune noble interrogea rapidement un badaud qui fuyait à vive allure. Ce dernier, en proie à une grande agitation répondit de manière éloquente : « des piraaaaates !!! ». Ainsi donc, même dans un coin désolé comme celui-ci, la peste que représente la piraterie parvenait à trouver l’audace de perturber la tranquillité des habitants. Quelle ignominie ! Il allait se faire un plaisir de les bouter rapidement. Fort de ses convictions, le marin se hâta en direction des docks que sa promenade lui avait permis de voir quelques dizaines de minutes auparavant. Sur place, un galion arborant un fanion noir avait cessé la canonnade et laissait désormais ses nombreux occupants descendre sur la terre ferme pour commettre leurs méfaits. Comme une horde assoiffée de sang, la vermine se répandit sur les quais, envahit les rues et ruelles adjacentes, tuant, volant et saccageant. À la manière d’une traînée de poudre, le fléau prenait de l’ampleur et se propageait, tel un voile d’obscurité recouvrant petit à petit cette paisible bourgade sans grande histoire. Bientôt cette ville serait en proie aux flammes et autres calamités. Alors qu’une mère s’échappait avec ses deux enfants, une bande de malfrats encercla la petite famille. Sabre d’abordage à la main, des yeux emplis de haine et un sourire glaçant d’effroi tout citadin, les mécréants s’apprêtaient à réduire en lambeaux de chair ces imprudents civils, terrorisés à la vue (et à l’odeur surtout) de ces déchets de la société qui vivaient pour répandre horreurs et catastrophes dans le monde. Dans une tentative désespérée de protection, la jeune femme, qui tirait vers la fin de la vingtaine, entoura ses chérubins âgés d’à peine quelques années, affichant sur son visage, duquel s’échappait une sueur abondante, un regard résolument décidé à tout mettre en œuvre pour assurer un avenir à sa progéniture, en dépit de tout malheur que cela pourrait lui causer. Nullement impressionnés par le courage dont faisait preuve la jeune femme à la longue chevelure rousse, les forbans approchèrent de son visage leurs lames déjà rougies par le sang de quelque malheureux. Conscient du danger qui ne cessait de croître et d’étendre son aura malveillante sur ces quartiers, l’élite courait vers le port de plus belle, lorsqu’au loin, il aperçut un groupe de pirate disposé en cercle. Que mijotaient-ils donc ? Quel infâme complot échafaudaient-ils dans cette rue déserte ? Désireux de les empêcher de nuire, l’héritier des Dark fonça sur les flibustiers, ses katanas dégainés au préalable. Tandis que de son côté, la mère se refusait à baisser ses yeux devant ces dépravés que l’Enfer aurait rejeté, un éclair blanc transparut, tranchant net avec les gerbes de sang qui s’échappaient du corps meurtri. Au milieu de la petite troupe, l’élite apparut alors, piétinant la tête du boucanier qui venait de s’effondrer au sol, une plaie béante dans son dos, enfonçant autant que possible le crâne du misérable dans les pavés de la route. Le déchet, déjà emporté par la Faucheuse, ne ressentait pas l’intense douleur qui parcourait son corps tout en entier, ni d’ailleurs sa tête qui paraissait sur le point d’imploser. Pensant tout cela irréel, la rousse dame resta comme figée de torpeur devant la scène qui se déroulait sous ses yeux. De leur côté, les rebuts restants jetaient désormais leur dévolu sur l’impudent personnage aux cheveux noir de jais qui venait de tuer leur camarade en une fraction de seconde. Pour sûr, cet étrange bonhomme paierait cet affront !
Comme un seul, les sept pirates pointèrent leur arme en direction du justicier, avec la ferme intention de le déchiqueter. Peu intéressé par ces infâmes gredins, l’élite souhaitait au plus vite mettre cette famille en sécurité. Un après l’autre, le marine trancha les corps en décomposition de ses adversaires, parant et attaquant avec une incroyable dextérité. Incapables de tenir, les mécréants furent vite réduits à l’impuissance et trépassèrent sous la puissance du lieutenant d’élite. L’affrontement terminé, le jeune noble se pencha près des enfants qui tremblaient de tout leur être, recroquevillés avec les mains sur la tête, pour leur indiquer qu’ils étaient désormais saufs, affichant par la même occasion un sourire réconfortant pour appuyer ses paroles. Puis, il se releva et s’adressa à la mère, qui récupérait encore du choc émotionnel subit, en lui demandant d’emmener aux plus vite sa progéniture hors d’ici. Cela dit, et tandis que la femme, enfin remise de ses émotions, avait rapidement gratifié d’un « merci » l’officier de la Marine avant de se mettre à courir avec son fils et sa fille loin d’ici comme on lui avait expressément demandé, le jeune Showl déclara de ton solennel qu’il protégerait cette ville et exterminerait la menace qui pesait sur cette bourgade. Entendant les propos, la jeune dame s’étonna du courage de cet homme que la Providence apportait, mais elle continua sa course sans se retourner, son instinct de survie primant sur sa curiosité. Au même moment, de nouveaux ennemis apparurent en haut de la rue, face à l’homme aux cheveux noir de jais qui terminait d’éclater un à un les crânes vides des malfrats que ses lames venaient de tuer. Surpris et furieux de voir les cadavres de leurs compagnons se faire ainsi souiller, la dizaine de tireurs se mit alors en joue et ouvrit le feu sur ce bonhomme en costume. À la fois irrité et énervé contre ces malandrins qui osaient le déranger, mais également pointaient leurs armes à feu en direction de cette famille de civils, l’aristocrate se décida à considérer ces nouveaux adversaires. Dans un murmure, l’escrimeur prononça « Tekkaï ». Immédiatement, son corps se raidit à l’extrême, à un tel point que les balles ricochèrent sur son épiderme doté à présent d’une résistance incomparable. L’assaut de ces vermines terminé, le bretteur en vint à riposter. Fondant sur ses cibles, il croisa ses bras puis d’un geste vif et précis les décroisa en créant une double lame d’air, avec ses Meitous jumeaux, qui se dirigea vers les flibustiers. Pris de court par l’attaque étonnante, le groupe fut lacéré par la lame d’air. Si ses coups manquaient encore sérieusement de puissance, l’épéiste put constater que cela avait grandement diminué la force des boucaniers, leur ventre entaillé laissant couler un liquide écarlate, responsable de leurs souffrances. Bien décidé à en terminer au plus vite, l’officier marine continua sa course et se contenta d’embrocher les deux rebuts devant lui avant de poursuivre, après avoir retiré ses lames des cœurs des criminels, en tournoyant rapidement sur lui-même, ses bras tendus, lâchant par la même occasion une lame d’air circulaire qui termina le combat en faisant perdre la tête aux écervelés.
À quelques dizaines de mètres de là, caché derrière une maison à l’angle d’une ruelle, un homme avait observé toute la scène et passait maintenant un coup de fil. D’un aspect repoussant, mais plutôt bien bâti, le personnage paraissait peu familiarisé avec la technologie escargophonique. Finalement, après quelques essais infructueux, il réussit à appeler. À l’autre bout, une voix autoritaire décrocha. Le subordonné parla alors sur un ton excité : « Nous l’avons trouvé ! ». Intéressé, son interlocuteur le félicita alors brièvement avant de lui ordonner de la ramener à bord au plus vite. Répondant par l’affirmative, le costaud personnage raccrocha ensuite. De son côté, le lieutenant d’élite se préparait désormais à rejoindre les docks après ces interruptions inopinées afin de mettre un terme à cette attaque sournoise en éliminant simplement le chef ennemi. Un plan simple, mais qui avait montré son efficacité un grand nombre de fois. Privés de leur capitaine, les sous-fifres se révèlent bien souvent incapables à agir de manière cohérente et en viennent vite à capituler. Autrement dit, si la tête tombait le corps suivait, inéluctablement. Laissant là les cadavres, le lieutenant se remit en route, n’étant plus qu’à quelques dizaines de mètres du port, la rue débouchant directement sur les docks. Tandis qu’il avançait, un léger bruissement de l’air lui parvint. S’arrêtant pour en localiser la source, une hache démesurée passant devant son visage, manquant de peu de lui laisser une profonde entaille sur le crâne. Surpris par cet assaut peu conventionnel, l’élite se tourna pour apercevoir son prochain adversaire. Sortant de sa cachette, une silhouette imposante fit son apparition. D’un aspect repoussant, le criminel était vêtu de guenilles parsemées de tâches de sang et portant à sa ceinture plusieurs haches de différentes tailles. À n’en point douter, l’homme usait d’armes peu communes. Soudain, il se rappela de l’avis de recherche sur lequel la tête de ce type était mise à prix à 25 millions de Berry’s. Le boucher de l’équipage Blood Slave, Jack the Butler. La menace qui pesait sur cette île n’était donc pas anodine. Reprenant d’un coup sec sa hache plantée dans le sol en tirant sur la chaîne qui lui était reliée, le pirate ne perdit pas plus de temps en bavardages et passa à l’attaque, son arme étonnante à la main. Pour pouvoir manier pareille arme, le malfrat devait disposer d’une grande force physique, certainement. Cela en tête, le noble se décida à répondre à l’assaut de son adversaire, afin de vérifier ses allégations. Dégainant à nouveau ses katanas, l’aristocrate s’élança à son tour. Leurs armes s’entrechoquèrent, un son métallique strident s’échappant. Bien disposé à en finir rapidement, le hacheur lançait une série d’attaques puissantes sans relâche. Pour sa part, l’épéiste voyant bien que sa force ne lui permettait pas de rivaliser, préféra opter pour un style plus défensif. Les attaques furieuses s’enchaînaient, le bretteur parait avec habileté chaque coup de hache. Le combat semblait pouvoir durer longtemps ainsi. Mais tous deux souhaitaient ardemment y mettre un terme au plus vite. Les coups adverses commençaient à sérieusement endolorir ses bras qu’il devait contracter afin de palier à la différence de puissance de leur coup. À ce rythme-là, le Marin ne ferait pas long feu. Son ennemi, quant à lui, frappait avec hargne sans discontinuer et sans faire montre de signe de fatigue. Comprenant bien que le prendre de cette manière le conduirait inexorablement à la mort, le jeune escrimeur changea de tactique. D’un bond, il recula de cinq mètres. Si l’atout de ce manieur d’hache était incontestablement sa force, l’héritier des Dark comptait bien combler ce désavantage par sa vitesse. Saisissant fermement ses sabres alors que le forban se rapprochait pour reprendre le contrôle du combat, l’homme aux cheveux noir de jais fondit sur le mécréant.
En un instant, sans que cette vermine ne s’en rende compte, le lieutenant passa sur son flanc droit, le lui entaillant par la même occasion. Touché, la brute épaisse ne paraissait pas ressentir la douleur de la blessure, sa colère devant inhiber les influx nerveux. D’un geste incroyablement vif, le flibustier releva sa hache gigantesque et d’un revers droit, décrivit un large arc de cercle autour de lui au moyen de son arme. À nouveau surpris, le marine n’eut que le temps de placer l’un de ses sabres entre la hache et sa tête. Incapable de contenir l’impact, le justicier voltigea sur plusieurs mètres et s’écrasa contre la façade d’une petite maison. Au même moment, un cri retentit, provenant des quais. D’une voix perçante et un rien effrayante, on cria : « Itami ! ». Ne se préoccupant pas de la signification de ce mot, son adversaire occupant actuellement ses pensées, l’épéiste se releva. Son bras droit, quoiqu’intact en surface, avait visiblement souffert du choc. Ne parvenant plus à le bouger, l’élite se décida à poursuivre l’affrontement à un sabre. Certes, son bras invalide handicapait son style de combat, mais rien ne l’empêcherait de venir à bout de son ennemi. Ce dernier, vraisemblablement content d’avoir asséné un coup au bonhomme en costume, laissa apparaître un sourire carnassier sur son visage. Résolu à vaincre ce type à l’étrange chevelure noire, le hacheur lança sa gigantesque arme en direction de l’élite. Celui-ci, voyant le coup arriver, l’esquiva en se mouvant sur le côté, puis profita de cet instant de relâchement dans la défense adverse pour le surprendre d’un coup d’estoc. Maîtrisant apparemment le combat, le pirate ne fit pas grand cas de l’attaque du noble et de sa main droite, il lança un des hachoirs placé à sa ceinture. Surpris par le coup, l’épéiste grimaça en se prenant l’arme dans la poitrine. Stoppé net dans son élan, l’aristocrate ne parut pas remarquer le malfrat tirer de sa main gauche sur sa chaîne pour reprendre sa hache démesurée, plantée dans le mur en briques. Voulant reprendre son assaut là où il l’avait laissé, le jeune homme se releva, prêt à planter sa lame dans le cœur de cette sorte de boucher, mais une vive et très intense douleur dans son épaule droite le retint dans son mouvement. Devant lui, du sang giclait et un bras, un bras tâché de sang, son bras, était propulsé en avant et tombait désormais sur le sol. Que faisait donc l’un de ses membres à terre ?! C’était forcément une mauvaise blague d’un plaisantin passant par là. Pourquoi sentait-il du vent rentrer directement dans son corps ?! Pourquoi diable ne parvenait-il pas à bouger son bras droit, censément en place, pour le placer face à lui, avec son bras gauche ?! Tournant sa tête d’un geste lent, instinctivement, vers la droite pour constater de visu ce qui n’allait pas avec son bras, une vision d’horreur s’imposa à son esprit. Son bras, son cher bras, le bras d’un noble, avait disparu. À la place, ne restait que l’extrémité de sa clavicule droite, tout décharnée. De la plaie béante s’écoulait un liquide rougeâtre, son sang ! Parvenant malgré tout à reprendre ses esprits, le bretteur se leva une nouvelle fois, après s’être laissé choir, pour tenter de continuer la confrontation. Au même moment, une douleur similaire à celle ressentie précédemment lui traversa l’abdomen. À nouveau, des gerbes de sang s’échappaient de l’entaille. Une entaille horizontale, propre, au niveau du ventre. Intérieurement, alors qu’il était projeté violemment en arrière sous la puissance du coup, le jeune aristocrate sentit sa cage thoracique se briser et ses morceaux se répandre dans son corps meurtri. Alors que progressivement ses forces l’abandonnaient, ses paupières se fermèrent. Un cauchemar, tout ceci ne devait être qu’un cauchemar !