Boréa
- Tu penses à faire une pause dans ta croisade Boréaline, dis-tu ?
- Pas une pause dans le sens habituel du terme, Dena'. Juste que là, je sors à peine de convalescence et je ne me pense pas encore au niveau pour m'attaquer de nouveau à Ashura. Il me faudrait quelque chose pour me remettre dans le bain, tu vois ? Une petite affaire sans chichi histoire de se taper quelques millions dont j'aurais certainement besoin pour plus tard recruter un ou deux types supplémentaires pour m'épauler dans l'annihilation d'Ashura.
- Hmmm ? T'as déjà Nivel qui bosse gratuitement pour toi, y aussi Avada Kedavra. T'as besoin de qui d'autres ?
- Je ne sais pas, mais ces deux là ne sont que deux hommes. Enfin, deux humains, j'ignore si Avada est un mec ou une meuf. Ce que je veux dire c'est que mes actions contre Ashura en sus de la mise en service du Winterblade ont fortement déséquilibré la balance du pouvoir ici. Le Conseil des Six Lunes commence à bouger, les peuplades des steppes s'arment et se livrent au piratage et au grand banditisme, la révolution renaît, la Marine ressert son étau. Il n'y a plus un partage manichéen du pouvoir, aussi, je pense que je dois me tenir prêt. Et quelques liasses en réserve pour engager une compagnie de mercenaires au cas où ne peut pas me faire de mal. Et aussi, n'oublies pas que j'ai recruté 100 hommes d'Ashura en démantelant la Cellule Black Box. Il me faut leur donner la possibilité de protéger mes avoirs, donc il me faut les armer. Et je veux me débrouiller avec mes fonds propres et pas faire encore appel à Red. Alors, au lieu d'argumenter, trouve-moi rapidement une affaire juteuse où on puisse tous les deux manger.
L'indic ne répondit pas et se contenta de siroter son thé. Il se leva ensuite et passa un long moment à regarder par les carreaux gelés de la fenêtre. De la suite du palace où séjournait Loth, ils avaient une vue imprenable sur le grand port de Lavallière. C'était une belle journée où un soleil d'hiver emmitouflé dans de légers nuages hivernaux parvenait tout de même à faiblement réchauffer ce pays transi de froid. Dans le port régnait une activité dantesque comme toujours. Une centaine de bateaux y transitaient chaque jour en provenance des quatre coins du monde, apportant avec eux les denrées introuvables dans ce pays polaire puis repartant avec les ressources cachées au fin fond de cette terre gelée. Loin, à la limite des eaux territoriales de Boréa, on pouvait apercevoir les massives silhouettes des cuirassés de la 444e Division des Marines de Boréa, quelques mastocs tâches blanchâtres signifiant la présence d'icebergs.
- Zieute ces bateaux en mer profonde là. Tu les vois ? fit Dena' en indexant quelques formes floues qui brisaient la ligne l'horizon.
- Oui, ce sont des chalutiers non ? répondit Loth en s'approchant des fenêtres.
- Ya. J'ai une certaine affaire qui traine sur la table depuis un moment sans preneur et récemment un petit que j'croyais trépassé depuis bel'lurette m'a contacté.
- Explicite.
- Tu vois Poiscaille ?
- Sur West Blue ? Oui, c'est l'un des plus grands royaumes poissonniers des Blues.
- C'est c'la. Alors, faut savoir que grosso merdo, y a trois familles qui se partagent la manne financière attenante au poisson. Les Portdragon, les Malsoin et les Keudver. Z'ont créé des lois, un maire fantoche, et gèrent leurs affaires à la manière Tempiesta. En moins dur, je pense. Mais voilà, les poiscailles, c'est pas une ressource éternelle, tu m'suis ? La surpêche a fait des ravages dans les rangs de certaines espèces de poissons qui sont aujourd'hui quasiment éteintes. Donc, les trois se sont réunis y a bien longtemps pour instituer une sorte d'convention du bon petit pêcheur, un protocole qui interdit la pèche de certaines espèces pour les protéger. Tu m'suis toujours ?
- Toujours. Donc laisse-moi deviner. Depuis l’institution du protocole, les prix des poissons interdits de pèche ont flambés sur le marché noir c'est ça ? Et des petits malins ont bravé la loi pour profiter de la manne ?
- Simple loi de l'offre et d'la demande, mon cher. Et ceux qui se sont risqués au braconnage l'ont payé très cher. Couilles parties, torture par l'eau, poire d'angoisse, etc... Les Trois savent prendre soin de ceux qui transgressent leur loi.
- Charmant.
- Maintenant j'en viens à mon affaire. J'ai un client sur West Blue qui paierait beaucoup pour une caisse ou deux de Gomerland. Ces poissons ressemblent un peu aux espadons et sont exclusivement endémiques des eaux de Poiscaille. Y a deux décennies de c'la, ils ont été péchés jusqu'à la quasi-extinction. Z'ont été les premiers interdits de pèche. Mais ces derniers temps, on en a vu dans les restaus d'îles non loin de Poiscaille.
- Quelqu'un se remet à violer le protocole ?
- Ouais, et pour nous, c'est une aubaine. Mon client voulait juste que j'trouve l'braconnier et lui achète une caisse ou deux mais j'me dis qu'on s'ferait bien plus en remontant l'groupe, en trouvant l'forban et en lui piquant sa pitance comme de vieilles hyènes. Ça t'tente ? Environ trente millions pour toi dans cette affaire. Cette fois, c'moi qui t'engage sous contrat mon pote.
- Pas de soucis, "patron".
- Hahaha, j'aime bien ça. Rends-toi sur Poiscaille alors, tu trouveras un jeune du nom d'Eden. C't'une vieille connaissance de Las Camp de jadis quand l'ponton regorgeait encore d'exquis criminels qui aimaient en saigner plus d'un. Eden a les crocs en ce moment alors il te servira d'guide et d'appui dans cette histoire. J'ai déjà convenu du prix avec lui, même tarif que toi.
- Tu as soixante millions à claquer dans cette affaire ? Dis donc, combien ton client t'a-t-il payé pour nous arroser autant ? Mon bras droit que tu es assis sur un joli pactole.
- La charité bien ordonnée se fait des couilles en or avant... Enfin, tu connais le dicton...
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Poiscaille
Quelque part à Poiscaille, un homme à la chevelure en cascade posa un genou à terre et courba l'échine dans un geste de profonde révérence au parterre de personnes qui l'entourait. Assis dans fauteuils bourrés les trois individus disposés dans un demi-cercle toisaient l'homme chevelu d'un regard coléreux et grave.
- Alors, Dante, les nouvelles ? demanda l'homme à la place d'honneur, celui assis dans le fauteuil du milieu.
- Seigneur Portdragon, vos soupçons étaient justes, répondit le chevelu d'une voix faible mais parfaitement audible. J'ai bel et bien retrouvé la trace de Gomerlands frauduleusement pêchés dans nos eaux, pardon, dans vos eaux. Mais c'est juste la cerise sur le gâteau, seigneur. J'ai en fait découvert que depuis plus d'un an, des restaurants des îles voisines et parfois lointaines étaient approvisionnés en poissons interdits qui pour certains sont indigènes de Poiscaille.
- Et tu n'as rien fait pour empêcher ça ?! tonna la voix féminine et autoritaire de la personne assise à la droite du dénommé Portdragon.
- J'ai fait une brève enquête, Lady Keudver. Quelques mandales ici et là, mais j'ai juste réussi à savoir que leur fournisseur venait d'ici. C'est à Poiscaille qu'il faut enquêter parce qu'apparemment, ces braconniers agissent depuis assez longtemps et leurs méthodes sont bien rodées. Si bien que leurs clients eux-mêmes ignorent qui ils sont. Ils agissent par codes et mots de passe. Mais j'ai déjà une idée d'où aller pour remonter la filière.
- Alors va ! ordonna le dernier des individu assis. Trouve ces voleurs et ramène les nous, que je leur coupe la main droite personnellement !
- Bien, Seigneur Malsouin. Si vos seigneuries me permettent de me retirer...
- Dante ?
- Oui, Seigneur Portdragon ?
- Pas de quartier, pas de détail. Ceux qui se mettront en travers de ton chemin, tu les élimines.
- Avec plaisir, Sir, répondit Dante qui s'humecta les lèvres et afficha un sourire carnassier en sortant de la pièce.