Cinquième jour de croisière. Ou sixième ? Mon esprit régresse. J'suis plus sûr de moi nulle part. Y compris pour compter jusqu'à sept. Mon entreprise folle consistait à rallier Alabasta sur cette vieille touffe d'échardes qui s'prétendait navire, en compagnie de Martin, le pécheur ivrogne, raciste, sexiste, rigolard, cynique, et démesurément philosophe.
Et bah n'empêche, faut voir le bon côté des choses : on est pas sur Alabasta, mais y a au moins suffisamment d'sable ici pour s'y croire !
On avait du faire moins d'une centaine de kilomètres. Ici, l'air frais trahit encore l'influence de Drum dans l'atmosphère, comme un baiser glacial de deux lèvres gercées à l'égard de ce qui fut son bébé. On s'est pas tant éloignés que ça. Et ça m'fout en rogne. Ouais. Ça crache des étincelles sur mon stress hautement inflammable. Alors j'ai pris feu. J'ai engueulé Martin pour sa connerie, il a boudé, j'ai boudé, nous sommes deux mômes sur une île... déserte. A priori. Déserte au plus plat sens du terme : du sable, juste une terrain vague ensablé sur des kilomètres, une plaine totalement dénuée du moindre espoir de trouver de la végétation salvatrice, ou même un animal à bouffer, j'ferais pas mon difficile.
Même pas de mouettes. Moins connes que nous, elles savent qu'elles trouveront plus de pitance à Drum qu'est à quelques coups d'ailes d'ici. La différence entre elles et moi, c'est qu'elles volent trop haut au-dessus d'leurs prédateurs pour se sentir privée de leur insouciance. Et si une prime me tombait sur le museau ? Un foutu porte-poisse. Le paratonnerre qui prend la forme d'une affiche plein de zéro qui attire joyeusement toutes les foudres du destin. Puis ça enferme dans un cercle vicieux, ça. Puissant, le gouvernement, il a pas besoin de chopper ses bêtes noires pour les sceller : il leur colle une prime. Et plus longtemps ils survivent, et plus elle grimpe, et plus dure devient l'existence, et plus insupportable est la pression du lendemain.
C'est qu'une question de temps. Pendant que j'poireaute ici à mirer mes os dessiner des stries à même mon cuir desséché, la vérité doit être occupée à se faire violer par une bande de bureaucrates mielleux. Je devrai éviter les lieux publiques. Pas de souci. J'suis occupé à randonner dans l'ombre. Il me faudra couper les liens qui me reliaient aux quelques marins que j'ai appris à aimer. Des liens peu nombreux, mais solides, tissés avec attention. De la vraie amitié, ce minerai trop rare en ce monde, dont la sculpture permet de bâtir de formidables édifices. Bah tu te les carres dans ton fondement humide, étroit et odorant, tes amitiés, là est leur place. On a bien vu c'que ça donnait avec Elizabeth, de copiner avec des têtes configurées par le gouvernement...
Le tout serait supportable si j'étais seul. Genre, seul avec moi-même, à creuser dans mes souvenirs à l'aide d'une pelle à merde pour "méditer", c'est à dire me morfondre sur le passé, le présent, l'avenir et même ce qui viendra après.
Mais j'ai Martin...
T'sais, j'avais bricolé un radeau pour les gosses à la Toussaint, bah, il marchait très bien !
Un radeau en sable ?
Beh...
Cinq jours avec Martin. J'ai pu lui cacher ma main semi-humaine, l'aberration. Quasiment tout le temps. Il a du l'apercevoir plusieurs fois sans jamais me faire remarquer son étrangeté. Probablement un effet secondaire du manque de pinard qui l'assèche. Sûrement persuadé que ses mirettes sont bondées d'hallucinations, je pourrais me changer en tas de merde que ça ne le choquerait pas. C'est dans mes cordes ça, en plus...
Quelles sont les chances de survie d'un navire bouffé à la fois par le temps, par les glaces, et par l'incompétence de son capitaine, au milieu d'un cirque de monstres tel que Grand Line ? Le coup de bol dans notre malheur, c'est d'avoir pu dériver jusqu'à cette plage lorsque le gouvernail a décidé de prendre le large sans nous. Le naufrage en pleine mer, j'perds pas de vue que ça m'aurait buté, mais surtout passablement humilié. Heureusement, plutôt que me rabougrir dans les douces abysses de l'inconscience au fond de l'océan qui me chérissait autrefois, j'aurai la chance de m'observer crever de faim sur cette île, avec en tant qu'ambiance sonore le ton nasillard de Martin, et en tant que farce olfactive, les vapeurs incessantes de vinasse qui s'évacuent de son gosier rougeâtre en même temps que ses mots nauséabonds.
Tape sur mon système. Court-circuit d'ma compassion. Juste envie de le faire taire. Puis de me perdre dans moi-même en fredonnant "Il était une fois l'océan" pour ultime requiem. Peu importe la façon dont j'envisage mes derniers instants, ils sont hautement pathétiques. Qui aurait cru que j'compterai mes ultimes jours sur une île déserte ? Non vraiment, qui l'aurait cru ? J'ai eu des centaines d'occasions d'clamser avant. Et c'est la plus stupide de toutes qui va s'offrir le luxe de m'effacer.
Si seulement j'pouvais encore flotter.
Au moins flotter...
Hmm.
Frustrant de toucher du doigt la soluce mais de pas pouvoir en tracer les contours.
Le marais...
Le sable...
L'épave...
Non, j'vois pas. Tu vois, toi, à l'abri derrière ton quatrième mur ? Allez, fais un effort. On dirait que tu as encore moins d'inspiration que moi.
Et bah n'empêche, faut voir le bon côté des choses : on est pas sur Alabasta, mais y a au moins suffisamment d'sable ici pour s'y croire !
On avait du faire moins d'une centaine de kilomètres. Ici, l'air frais trahit encore l'influence de Drum dans l'atmosphère, comme un baiser glacial de deux lèvres gercées à l'égard de ce qui fut son bébé. On s'est pas tant éloignés que ça. Et ça m'fout en rogne. Ouais. Ça crache des étincelles sur mon stress hautement inflammable. Alors j'ai pris feu. J'ai engueulé Martin pour sa connerie, il a boudé, j'ai boudé, nous sommes deux mômes sur une île... déserte. A priori. Déserte au plus plat sens du terme : du sable, juste une terrain vague ensablé sur des kilomètres, une plaine totalement dénuée du moindre espoir de trouver de la végétation salvatrice, ou même un animal à bouffer, j'ferais pas mon difficile.
Même pas de mouettes. Moins connes que nous, elles savent qu'elles trouveront plus de pitance à Drum qu'est à quelques coups d'ailes d'ici. La différence entre elles et moi, c'est qu'elles volent trop haut au-dessus d'leurs prédateurs pour se sentir privée de leur insouciance. Et si une prime me tombait sur le museau ? Un foutu porte-poisse. Le paratonnerre qui prend la forme d'une affiche plein de zéro qui attire joyeusement toutes les foudres du destin. Puis ça enferme dans un cercle vicieux, ça. Puissant, le gouvernement, il a pas besoin de chopper ses bêtes noires pour les sceller : il leur colle une prime. Et plus longtemps ils survivent, et plus elle grimpe, et plus dure devient l'existence, et plus insupportable est la pression du lendemain.
C'est qu'une question de temps. Pendant que j'poireaute ici à mirer mes os dessiner des stries à même mon cuir desséché, la vérité doit être occupée à se faire violer par une bande de bureaucrates mielleux. Je devrai éviter les lieux publiques. Pas de souci. J'suis occupé à randonner dans l'ombre. Il me faudra couper les liens qui me reliaient aux quelques marins que j'ai appris à aimer. Des liens peu nombreux, mais solides, tissés avec attention. De la vraie amitié, ce minerai trop rare en ce monde, dont la sculpture permet de bâtir de formidables édifices. Bah tu te les carres dans ton fondement humide, étroit et odorant, tes amitiés, là est leur place. On a bien vu c'que ça donnait avec Elizabeth, de copiner avec des têtes configurées par le gouvernement...
Le tout serait supportable si j'étais seul. Genre, seul avec moi-même, à creuser dans mes souvenirs à l'aide d'une pelle à merde pour "méditer", c'est à dire me morfondre sur le passé, le présent, l'avenir et même ce qui viendra après.
Mais j'ai Martin...
T'sais, j'avais bricolé un radeau pour les gosses à la Toussaint, bah, il marchait très bien !
Un radeau en sable ?
Beh...
Cinq jours avec Martin. J'ai pu lui cacher ma main semi-humaine, l'aberration. Quasiment tout le temps. Il a du l'apercevoir plusieurs fois sans jamais me faire remarquer son étrangeté. Probablement un effet secondaire du manque de pinard qui l'assèche. Sûrement persuadé que ses mirettes sont bondées d'hallucinations, je pourrais me changer en tas de merde que ça ne le choquerait pas. C'est dans mes cordes ça, en plus...
Quelles sont les chances de survie d'un navire bouffé à la fois par le temps, par les glaces, et par l'incompétence de son capitaine, au milieu d'un cirque de monstres tel que Grand Line ? Le coup de bol dans notre malheur, c'est d'avoir pu dériver jusqu'à cette plage lorsque le gouvernail a décidé de prendre le large sans nous. Le naufrage en pleine mer, j'perds pas de vue que ça m'aurait buté, mais surtout passablement humilié. Heureusement, plutôt que me rabougrir dans les douces abysses de l'inconscience au fond de l'océan qui me chérissait autrefois, j'aurai la chance de m'observer crever de faim sur cette île, avec en tant qu'ambiance sonore le ton nasillard de Martin, et en tant que farce olfactive, les vapeurs incessantes de vinasse qui s'évacuent de son gosier rougeâtre en même temps que ses mots nauséabonds.
Tape sur mon système. Court-circuit d'ma compassion. Juste envie de le faire taire. Puis de me perdre dans moi-même en fredonnant "Il était une fois l'océan" pour ultime requiem. Peu importe la façon dont j'envisage mes derniers instants, ils sont hautement pathétiques. Qui aurait cru que j'compterai mes ultimes jours sur une île déserte ? Non vraiment, qui l'aurait cru ? J'ai eu des centaines d'occasions d'clamser avant. Et c'est la plus stupide de toutes qui va s'offrir le luxe de m'effacer.
Si seulement j'pouvais encore flotter.
Au moins flotter...
Hmm.
Frustrant de toucher du doigt la soluce mais de pas pouvoir en tracer les contours.
Le marais...
Le sable...
L'épave...
Non, j'vois pas. Tu vois, toi, à l'abri derrière ton quatrième mur ? Allez, fais un effort. On dirait que tu as encore moins d'inspiration que moi.
Dernière édition par Craig Kamina le Lun 14 Déc 2015 - 12:20, édité 1 fois