-Si c'est du fric que tu veux, sers-toi. J'en ai plein les poches. Promis, je dirais rien.
-Non.
-... mais quoi ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? Tu cherches à te débarrasser de quelqu'un ? Je peux te trouver un bon agent. Si ce sont des femmes que tu veux, je...
-Non.
-Mais enfin, ça n'a aucun sens ! A L'...
-Essaye ça encore une fois et je te le casse, ce bras.
Tren était de marbre ; il l'était toujours quand il s'apprêtait à commettre l'irréparable. L'homme qu'il traînait dans cette petite ruelle, une main passée dans la sienne et deux doigts de l'autre en appui contre l'articulation du coude en une clef discrète, c'était un banquier. En fait, à la base, un prêteur à taux fixe qui avait fait fortune en jouant sur la misère du monde. Plutôt copain avec la crème de l'élite des Blues, c'est-à-dire d'un tas de racailles qui ont appris à écrire des lois et à bien porter le costume. De loin, on aurait dit des amants. Le cadre allait bien. Et Tren connaissait dans le quartier une petite baraque désaffectée où on ne viendrait pas le chercher.
Ça faisait des mois qu'il avait pris sa décision, Tren. Il avait mis la main sur des registres attestant des mouvements de fond douteux, il avait discuté avec des pirates qui avaient travaillé pour sa victime ; trafic d'esclaves, vente de sirènes, vols d'objets précieux revendus au marché noir. Facile de les faire parler, ils n'aimaient pas leur employeur ; ils avaient tous compris après coup que le contrat était à sens unique, et qu'ils étaient perdants. Mais il avait les yeux partout, et de quoi se payer de bons mercenaires en cas de trahison. Il était devenu arrogant, même ; il se promenait bien avec deux gardes du corps, mais il y avait un moment dans la journée où il était seul et vulnérable.
C'était un ancien secrétaire comptable ; il ne supportait pas de déléguer les tâches liées à la réception et au traitement du courrier. Il n'aurait jamais soupçonné le facteur, ce n'était jamais le même d'autant qu'il puisse en juger ; il ne regardait jamais personne d'inférieur dans les yeux. Ses clients faisaient tous appel à des compagnies différentes, elles-même comptant bon nombre d'agents. Tren passait souvent sur Logue Town ; c'était comme ça qu'il avait eu vent de ses activités, en traînant dans les bistrots, en surprenant des conversations, en sympathisant avec ceux qui avaient traité avec lui. Et ce soir là, il avait attendu une heure tardive pour lui livrer son colis ; il avait déposé un billet de passage, indiquant une adresse de retrait en prétextant une absence du destinataire. Furieux, l'homme était venu sans prendre la peine de se faire accompagner. Un coup de dés. Et Tren avait bondi.
Pas de témoins, ça devait être réglé rapidement. Il détestait ces moments là. Il le faisait parce qu'il croyait que ces hommes n'étaient pas récupérables. Parce qu'il croyait aussi que leur disparition serait une aiguille de moins dans le talon de l'humanité. Celui là pensait sincèrement s'être élevé au-dessus de la condition humaine, et Tren s'efforçait de penser qu'à cause de cela, il n'entretenait plus le moindre lien avec lui. Mais souvent, la nuit, il avait peine à trouver le sommeil.
C'est bon signe ; le jour où je le ferais froidement, je laisserais tomber. Si ça continue à me gêner, c'est que je ne suis pas encore perdu, Shee.
D'une poussée du dos, il ouvrit la porte de la vieille maison, et poussa le banquier à l'intérieur sans le lâcher. Il ne lui donnerait pas de justification, pas d'explication, il ferait au plus vite : un coup à la carotide pour qu'il perde conscience, puis un peu de poison. Seuls les sadiques et les pervers perdaient du temps en discours. Un mélange qu'il avait fait lui-même à base de digitale. Simple, sans trop de violence et sans possibilité de remonter jusqu'à lui. Personne ne suspecte jamais les cueilleurs de plantes sauvages.
De la lumière...
Il se retourna, sa victime contre lui, immobilisée et baillonnée d'une main. Il cligna des yeux. L'endroit... était habité. Un squat ? C'était mauvais. Il avait été vu, et son visage était découvert. Tant pis. Si ça devait arriver, cela arriverait. Il ne se permettrait pas de faire des dommages collatéraux. « Collatéral » ; vocabulaire ignoble inventé par des dirigeants sans cœur qui plaçaient des milliers d'innocents sous ce terme technique qui, d'une certaine manière, les excusait. Ses opérations à lui étaient renseignées, fines, méthodiques. Il fallait qu'il le comprenne. Le témoin.
Mais d'abord, un coup dans la carotide. L'homme s'affaissa entre ses bras. Inutile de discuter avec ceux qui avaient vendu leur fond commun d'humanité contre du pouvoir et des espèces.
-Non.
-... mais quoi ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? Tu cherches à te débarrasser de quelqu'un ? Je peux te trouver un bon agent. Si ce sont des femmes que tu veux, je...
-Non.
-Mais enfin, ça n'a aucun sens ! A L'...
-Essaye ça encore une fois et je te le casse, ce bras.
Tren était de marbre ; il l'était toujours quand il s'apprêtait à commettre l'irréparable. L'homme qu'il traînait dans cette petite ruelle, une main passée dans la sienne et deux doigts de l'autre en appui contre l'articulation du coude en une clef discrète, c'était un banquier. En fait, à la base, un prêteur à taux fixe qui avait fait fortune en jouant sur la misère du monde. Plutôt copain avec la crème de l'élite des Blues, c'est-à-dire d'un tas de racailles qui ont appris à écrire des lois et à bien porter le costume. De loin, on aurait dit des amants. Le cadre allait bien. Et Tren connaissait dans le quartier une petite baraque désaffectée où on ne viendrait pas le chercher.
Ça faisait des mois qu'il avait pris sa décision, Tren. Il avait mis la main sur des registres attestant des mouvements de fond douteux, il avait discuté avec des pirates qui avaient travaillé pour sa victime ; trafic d'esclaves, vente de sirènes, vols d'objets précieux revendus au marché noir. Facile de les faire parler, ils n'aimaient pas leur employeur ; ils avaient tous compris après coup que le contrat était à sens unique, et qu'ils étaient perdants. Mais il avait les yeux partout, et de quoi se payer de bons mercenaires en cas de trahison. Il était devenu arrogant, même ; il se promenait bien avec deux gardes du corps, mais il y avait un moment dans la journée où il était seul et vulnérable.
C'était un ancien secrétaire comptable ; il ne supportait pas de déléguer les tâches liées à la réception et au traitement du courrier. Il n'aurait jamais soupçonné le facteur, ce n'était jamais le même d'autant qu'il puisse en juger ; il ne regardait jamais personne d'inférieur dans les yeux. Ses clients faisaient tous appel à des compagnies différentes, elles-même comptant bon nombre d'agents. Tren passait souvent sur Logue Town ; c'était comme ça qu'il avait eu vent de ses activités, en traînant dans les bistrots, en surprenant des conversations, en sympathisant avec ceux qui avaient traité avec lui. Et ce soir là, il avait attendu une heure tardive pour lui livrer son colis ; il avait déposé un billet de passage, indiquant une adresse de retrait en prétextant une absence du destinataire. Furieux, l'homme était venu sans prendre la peine de se faire accompagner. Un coup de dés. Et Tren avait bondi.
Pas de témoins, ça devait être réglé rapidement. Il détestait ces moments là. Il le faisait parce qu'il croyait que ces hommes n'étaient pas récupérables. Parce qu'il croyait aussi que leur disparition serait une aiguille de moins dans le talon de l'humanité. Celui là pensait sincèrement s'être élevé au-dessus de la condition humaine, et Tren s'efforçait de penser qu'à cause de cela, il n'entretenait plus le moindre lien avec lui. Mais souvent, la nuit, il avait peine à trouver le sommeil.
C'est bon signe ; le jour où je le ferais froidement, je laisserais tomber. Si ça continue à me gêner, c'est que je ne suis pas encore perdu, Shee.
D'une poussée du dos, il ouvrit la porte de la vieille maison, et poussa le banquier à l'intérieur sans le lâcher. Il ne lui donnerait pas de justification, pas d'explication, il ferait au plus vite : un coup à la carotide pour qu'il perde conscience, puis un peu de poison. Seuls les sadiques et les pervers perdaient du temps en discours. Un mélange qu'il avait fait lui-même à base de digitale. Simple, sans trop de violence et sans possibilité de remonter jusqu'à lui. Personne ne suspecte jamais les cueilleurs de plantes sauvages.
De la lumière...
Il se retourna, sa victime contre lui, immobilisée et baillonnée d'une main. Il cligna des yeux. L'endroit... était habité. Un squat ? C'était mauvais. Il avait été vu, et son visage était découvert. Tant pis. Si ça devait arriver, cela arriverait. Il ne se permettrait pas de faire des dommages collatéraux. « Collatéral » ; vocabulaire ignoble inventé par des dirigeants sans cœur qui plaçaient des milliers d'innocents sous ce terme technique qui, d'une certaine manière, les excusait. Ses opérations à lui étaient renseignées, fines, méthodiques. Il fallait qu'il le comprenne. Le témoin.
Mais d'abord, un coup dans la carotide. L'homme s'affaissa entre ses bras. Inutile de discuter avec ceux qui avaient vendu leur fond commun d'humanité contre du pouvoir et des espèces.