BROOLLLMMM !!!
L'explosion avait retenti dans l'Académie depuis les étages supérieurs, comme si une avalanche soudaine avait fondu sur la façade nord du bâtiment, emportant dans son flot neigeux et glacé des pans entiers de murs du quatrième niveau. Affairée à bander le bras d'une enfant qui se l'était brisé en faisant de la luge, le fracas m'avait aussitôt interrompue dans mon travail. A l'instar de bon nombre de mes collègues, je m'étais alors précipitée dans l'escalier pour gravir les marches quatre par quatre jusqu'au dernier étage de l'Académie, celui qui était toujours en reconstruction et était censé être désert, hormis pour quelques rares médecins possédant leur bureau à ce niveau là.
- Elle respire encore !!
- Brancardiers ! Il nous faut des civières !
- Des poches de sang et de la gaze, vite bon sang ! INFIRMIÈRES !!
Malgré le chaos total qui régnait, j'avais réussi à approcher les malheureuses victimes tout en notant les particularités du décors. Il n'y avait pas eu d'explosion comme on pouvait le croire, cependant les murs étaient fissurés ou absents par endroits et une partie du plafond avait tout bonnement disparu. Çà et là trainaient des coulées marronâtres étranges d'une substance semblable à de la vase ou de la boue. La situation était aussi soudaine qu'inconcevable, étrangère au moment présent, incohérente. Qu'avait-il bien pu se passer ? Je retournais indéfiniment la question dans ma tête tout en soutenant de la main droite la partie occipitale du crâne de l'une des victimes. Elle respirait, elle bougeait les yeux et semblait capable de remuer les lèvres. Qui, quand, quoi, comment étaient les questions qui m'étaient venues instantanément à l'esprit.
- Que s'est-il passé ? lâché-je soudainement, emportée par cette satanée curiosité maladive qui me ronge perpétuellement.
Autour de moi, trois ou quatre médecins se regroupent pour entendre ce que la jeune femme a à dire eux aussi. Produisant de petits bruits égosillés, l'inconnue au teint et aux cheveux albinos emploie donc ses dernières forces pour répondre à la question, le corps parcouru de spasmes incontrôlés.
- Craig... Kami... na...
***
Je me tenais au chevet de la jeune inconnue aux cheveux blancs : assise dans un fauteuil relativement confortable destiné aux visiteurs, vérifiant de temps à autres l'activité cardiaque, la tension, l'apparition d’œdèmes ou de complication rénales, j'attendais patiemment son réveil pour saisir son identité et la communiquer à Adaggio. Car à contrario des deux autres victimes, cette même patiente qui quelques jours plus tôt avait donné le nom du prétendu coupable était une sombre anonyme sortie de nul-part, vêtue de pied en cape par son mystère jusque dans son porte-feuille. Pas de papiers d'identité, quelques billets, une trousse d'outils inusuels et un escargophone ; le tout était planqué dans un trois-quart noir garni de poches comme pas possible. Face à cette opacité rare et cette présence aux raisons aussi douteuses qu'inconnues, l'hypothèse que l'albinos pouvait être un autre agent du Cipher Pol n'avait pas fait que m'effleurer. Entre cela et les blessures rappelant étrangement le Rokushiki sur le corps de Carryline Sweetsong et de sa fille, que l'on ne retrouvait étrangement pas chez la présumée fonctionnaire, devais-je me douter de la culpabilité de la famille Sweetsong quant à ce qui avait bien pu se passer là-haut ? Les questions allaient et venaient, ne cessaient de germer dans mon esprit, me ramenant inconditionnellement aux éléments de cette terrible affaire qui avait tout de même fait pas mal de bruit dans le coin depuis. Et comme des réponses dépendait ma mission, prétextant un excès de zèle, je m'étais inscrite comme l'infirmière de garde de la jeune femme sur absolument tous les créneaux.
Or les jours et les semaines passaient et ma patience s'ébranlait progressivement, alors que l'étrangère ne se réveillait toujours pas, pour laisser place à l'envie de succomber à la facilité. Bien évidemment, il lui fallait du temps pour se remettre de ses contusions et de ses os brisés, cependant je ne pouvais courir le risque de me faire suspendre ma garde et de voir une civile lambda me faucher la place. Si plusieurs fois j'avais remis en cause l'idée de mettre fin à la vie de l'inconnue, la fatigue et le manque de sommeil avaient fini par me faire considérer l'idée et placer une échéance.
- Demain. Si demain elle ne se réveille pas, je devrai m'en débarrasser. me résous-je donc, voyant une énième aube se lever et éclairer chaudement la pièce d'une lumière orangée.
La mesure est drastique mais c'est le fonctionnement, la règle d'or pour éviter les fuites d'informations compromettantes, l'incrimination du Gouvernement Mondial lorsqu'il mouille dans des affaires pas très nettes. Ce ne serait pas la première fois, et ça ne serait absolument pas la dernière. Quant au fait qu'elle puisse être véritablement responsable de la mort de la doctoresse et de sa gamine de huit ans, je ne peux me sentir coupable de mettre fin à la vie d'une tueuse d'enfants. Mais le destin est farceur et la vie facétieuse, car au moment où je penche une énième fois la tête vers l'avant pour la fourrer entre mes bras nus et me replier sur moi-même enfoncée dans mon fauteuil, une voix sèche et rocailleuse chuchote dans le silence.
- J'ai... soif...
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 19 Déc 2015 - 15:07, édité 2 fois