[ 5 jours avant les faits ]
Voilà près d'une semaine que Joe flânait à la recherche d'un nouvel équipage à intégrer. Son dernier naufrage avait eu lieu à South Blue, c'est donc tout logiquement sur cette partie du globe qu'il errait. Pour le moment, il pouvait compter sur quelques dizaines de milliers de berries pour subvenir à ses besoins rudimentaires, mais pour combien de temps ?
Attablé dans une gargote d'une île dont il ne connaissait même pas le nom, il lisait un journal qu'il avait plus ou moins mendié en harcelant une vieille dame, qui, assez loquace, avait comprit qu'il valait mieux éviter de refuser quoi que ce soit à un tel spécimen. Il allait de soi qu'on ne trouvait pas de petites annonces pour travailler sous une bannière à tête de mort, mais c'était à partir des incidents qui s'étaient déroulés dans les environs que Joe pouvait savoir où chercher de nouveaux camarades d'infortune.
- Appréhendé par la marine... Coulé... Capturé après une rude bataille...
C'est en grimaçant de manière assez sinistre que le cafard ruminait quelques titres du journal. La marine était particulièrement agressive, ce genre d'éclats de force n'était jamais que temporaire et ne visait qu'à se refaire une virginité auprès des civils. Toujours est-il que cela suffisait à contrarier Joe qui allait devoir trouver un moyen de s'enrichir, et vite. La maigre somme qu'il avait sur lui finirait tôt ou tard par fondre comme neige au soleil.
Pensif, il posa son journal sur la table, y ajouta son coude et tînt son menton dans la main.
- Je vais quand même pas d'jà devoir taper dans mon trésor ?
En treize ans de piraterie, Joe avait mit un sacré pactole de côté ; près de 20 millions de berries. Mais jamais il n'y touchait. "Mieux vaut ne s'en servir que dans une situation de crise" se disait-il sans cesse. Comme de nombreux pirates de légende, sans doute finirait-il par mourir avant de dépenser un sou du trésor que l'avarice l'avait poussé à enterrer.
Bien assez vite, comme à chaque situation de crise financière, il renonça à piocher dans sa fortune cachée. Et son regard se s'établit par hasard sur un article du journal qu'il n'avait pas entièrement lu.
"Cinquième guet-apens au large de Endaur, les chantiers naval incapable d'honorer leurs commandes."
Un sourire glaçant s'étendit le long de ses joues, dévoilant les dents du charognard qu'il était.
- Nous y voilà hinhin !
Froissant le journal entre ses mains, il se leva brusquement. A présent, Joe savait où trouver des pirates assez habiles pour s'attaquer à des zones trop en marge de l'influence géographique de la marine, mais en plus, suffisamment malins pour chercher des matières premières à vendre plutôt que de l'or à tout prix.
Direction Endaur.
- Dis voir toi là bas ! T'aurais pas oublié de payer ton café ?
Alors que le cafard se dirigeait vers la sortie, le propriétaire de la gargote l'interpela. Joe se retourna, un air vaguement ahuri dessiné sur son visage tourmenté.
- Oh.. C'est vrai...
Retournant sur ses pas, sa démarche se faisait lente, on aurait pu la rythmer au piano avec une marche funèbre. Il fit alors face au tenancier. Un gaillard robuste, quoi qu'un peu gras, d'une quarantaine d'année. Ce dernier s'attendait à être payé quand il vit Joe entrouvrir la parka qu'il ne quittait que rarement, et le tenancier vit ce qui s'y trouvait.
Dévoilant sans gêne un versant de l'intérieur de son anorak, le cafard mit en évidence le lance-grenade qui s'y trouvait. Ne quittant pas le propriétaire du regard, ses yeux s'élargirent petit à petit, des veines d'un rouge sang se profilèrent dans le globe oculaire. Relevant sa lèvre inférieure comme un chien galeux aurait retroussé les babines, il prit la parole :
- J'ai "oublié" de payer ton jus de pisse, mais j'ai aussi oublié d'incendier ta foutue bicoque, si on pèse le pour et le contre, tu devrais me remercier d'avoir la mémoire aussi courte.
L'homme en face ne trouva pas les mots, se contentant de racler sa gorge. Joe referma sa parka et prit congé, sa démarche ayant repris son rythme habituel. Cette fois, il se dirigeait d'un pas pressé vers le premier embarcadère afin de se faire transporter sur Endaur. A vu de nez, la traversée prendrait 5 jours.
[ A présent– sur Endaur ]
Durant son périple en mer, Joe avait réfléchi à une manière de mettre la main sur les pirates qu'il cherchait à rejoindre. Il allait de soi qu'ils n'avaient pas mouillé sur un des embarcadère d'Endaur, autrement, voilà longtemps que leurs méfaits se seraient terminés. Sans doute avaient-ils trouvé abri sur un îlot rocailleux non répertorié sur les cartes.
- Si j'étais à leur place...
Maintenant, il s'agissait de réfléchir comme un pirate sans vergogne, un domaine de prédilection dans lequel excellait le cafard. Si les abordages des pirates pour voler le bois avaient été si efficaces, c'est parce qu'ils connaissaient à l'avance la trajectoire de leur proie, et si oui ou non il y avait des marines à bord. C'était clair comme de l'eau de roche, il y avait un ou plusieurs éclaireurs de l'équipage infiltrés sur l'île pour les en informer.
Le tout à présent était de se faire remarquer par ces derniers afin qu'ils viennent à lui. Étant donné la faible population qui proliférait dans cette zone de South Blue, un homme armé en plus dans leurs rangs pourrait effectivement les intéresser.
- Il est temps d'exhiber ma charmante personnalité héhé.
Aucune base de marine n'était à répertorier sur l'île. La plus proche se trouvait à des lieues d'ici, peut-être faudrait-il six heures pour que leur flotte arrive sur place. A moins qu'une section de marine fut mobilisée pour enquêter sur les abordages récurrents, Joe pouvait être tranquille. Il ne lui restait qu'à trouver un des lieux les plus fréquentés de l'île, se présenter comme il savait si bien le faire, et se faire recruter.
Que ce soit les pirates ou les bûcherons, les hommes de poigne s'abreuvent à la même source. L'île n'étant pas bien grande, il fut aisé d'y trouver la taverne, très animée par ailleurs. Personne ne remarqua son entrée, sa dégaine était pourtant assez peu avenante, notamment la casquette où le signe de la marine avait été changé par "pirate". A présent, il était temps de se faire de nouveaux amis.
Sans préambule, il entrouvrit sa parka, et en sortit cette fois son mousquet à canon triple. S'adossant à l'un des murs de l'édifice, il tapotait sa propre épaule avec le canon de son arme.
- C'est tout de même foutrement surprenant... L'un des viviers de l'industrie navale se trouve sur cette île, et je ne vois ni marine ni qui que ce soit d'armé. A croire que si on voulait se servir.... il suffirait de tendre la main.
Vous avez essuyé cinq pillages de marchandises ces derniers temps. Un de plus... un de moins...
Pour la subtilité, il faudrait repasser. Mais une telle démonstration de menace suffirait, à la vue des réactions de ceux qui venaient d'écouter sa petite menace de caïd de bac à sable, à repérer quels seraient les éventuelles taupes de l'équipage, et d'aller à leur contact pour se voir intégrer.
Action audacieuse et risquée, mais un pirate qui ne prend pas de risques, on appelle ça un marine, et Joe ne mangeait pas de ce pain là.