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Libre

Est mystique celui qui ne peut s'arrêter de marcher...

Ces mots qui me percutent aux tempes, comme le clapotis de l'eau contre la coque du navire de la translinéenne. Le temps est un peu gris, mais ça fait des heures qu'on a pas eu un typhon, la silhouette d'un roi des mers en surface ou l'indice d'un vortex dimensionnel dans les rides de l'eau. Eh, quoi ? On sait jamais. C'est Grand Line comme sur des rails, mais c'est toujours Grand Line. Est mystique celui qui ne peut s'arrêter de marcher ; mais j'ai passé les dernières années loin du sol, et ça m'a amené plus bas, au fond de la souillure de la condition humaine ; dans la guerre, les médics surchargés, les bras coupés.

J'ai les coudes hissés sur le bastingage, le menton posé au milieu des mains. Je regarde la mer. La fois où j'ai rencontré Dieu, c'était sur terre, dans une petite caverne entourée d'une forêt en fleurs. Elle était un peu en hauteur, et on y avait une vue immense, dégagée, et pourtant on se sentait très petit à côté des arbres. A la guerre, c'était autre chose ; moins pur, moins abstrait, moins beau peut-être bien. Mais je n'étais pas qu'un réceptacle pour Sa présence. J'existais. Au milieu des flots, un grain de sable, mais qui existe et qui soigne d'autres grains de sable. Sauf que du sable qui soigne du sable, on n'a jamais vu ça, non ? Alors, je me dis que je dois valoir un peu mieux que la poussière que foule celui qui ne peut s'arrêter de marcher. Et qu'après tout, avec sa tenue de touareg ou de maître pèlerin, c'est bien normal qu'on le confonde avec la terre. Que je me sois confondue avec la mer.

Je refuse de céder à la tentation de fermer les yeux ; c'est la première fois que je regarde l'océan avec tout ça dans le cœur ; j'en profite. Je sais que ça ne durera pas. A bord, il y a des gens pressés qui ont payé plus cher pour que l'équipage s'épuise à nous amener à bon port en gagnant une heure ou deux. Des gens qui sont appelés par l'ouvrage, qui savent de quoi vont être fait demain et après-demain, et tous les jours d'après aussi ; je suis plus en service. J'ai quitté la marine.

Je réalise pas. Pourtant, n'est pas mystique celui qui ne peut s'empêcher de marcher au pas. Jusque là, j'osais pas rêver d'une indépendance qui tienne la route loin des codes de l'armée. Mais on dirait qu'Aimé est ressorti du néant juste pour m'y obliger. Comme s'il supportait pas que je sois pas devenue libre en quittant le Grey T. Désolée, Aimé. On se sort pas facilement de vingt-trois années de sujétion à des plus forts que soi ; il y a eu toi et Vaillant ; puis Joe... puis le capitaine machin de la Main-Moite ; puis mes patrons ; puis Julius ; les mères supérieures ; et enfin, la marine...

Tu vois ? Je n'ai jamais été libre. Toujours une ombre pour agiter ma main. Et incapable d'en supporter l'absence durablement, les permissions ont été les pires moments. C'est normal que tu reviennes pour me retirer ça, au final. Pour te retrouver, il va bien falloir que j'apprenne à être aussi forte que toi.

Et je crois que je suis ce qu'on appelle une mystique. Du coup, pas question de bloquer en cours de route ; une fois, grain de sable est devenu guérisseur. Alors, tout est possible.
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La ligne passe par Jaya. J'avais pas vraiment prévu de quitter le navire, mais j'ai changé d'avis quand j'ai vu les hommes qui se pressaient sur le port. Des planches de bois sur les épaules, des clous dans la bouche, le pas vif et alerte, la voix forte. Je crois que je me suis frottée les yeux à un moment ; que j'ai demandé à vérifier où on était. C'était bien Jaya ; mais j'ai compris que j'avais pas seulement assisté à une guerre, mais aussi à la mort d'un univers.

C'est fou que je me dise encore ça ; mais j'avais aimé Jaya, dans toute la splendeur de sa crasse, de ses vices, de sa pourriture interne. L'ambiance dans les rues à toutes les heures du jour et de la nuit ; la façon que les gens avaient de jeter leurs montres en y vivant, parce qu'on y évaluait pas le temps comme ailleurs ; tout le monde à dormir dans les rues, souvent, parce qu'arriver au lit avec trop de sang dehors ou trop d'alcool dedans, c'était difficile ; les cochons, les chiens errants, les chats qui envahissaient tout ; l'odeur bizarre, entre le fer, la poudre, la chair sale mal rincée, la bière évaporée, le sel et la vanille. Et puis, cette sensation de liberté, d'absence de codes sociaux, de permissivité. A Jaya, tu pouvais ne jamais changer de fringues, les regarder s'user sur toi jusqu'à fondre comme de l'acide, jamais te coucher, boire et manger ce que tu voulais, te battre sans raison, jamais te justifier de rien ; on te prenait comme t'étais. Juste, des fois, tu mourrais mais c'était jamais avec une idée de jugement. Juste une manière pour l'âme de l'île de réguler sa population. C'était ça, la catin des mers. Le labo de la décadence superbe sur le rocher de l'ennui. Personne qui branle rien, mais tout le monde qu'est fier d'en être là. Qu'est plus capable de vraiment dire de quoi, pourquoi ; mais qui a pas à le faire. Parce que Jaya a ses raisons que la raison ignore. Et qu'on sait qu'y montrer son doigt ou ses poings pour clamer son droit à l'existence ; pour se venger très fort de tous ceux qui, un jour, l'ont contesté.

Les bottes sur le pavé, je regarde la nouvelle Jaya avec les yeux d'une étrangère. Ces gens qui travaillent, ces fenêtres ouvertes, ces bâtiments propres ; ces odeurs de poissons, de sueur, de poussière, de fruits et cire à bois. Ce linge propre sur les fenêtres, ces lavoirs en bord de mer, ces artisans qui travaillent à la lumière du jour. Disparues, les petites ruelles sombres et labyrinthiques où il faisait bon se perdre comme à l'intérieur de soi-même. Les allées sont larges, propres, les maisons, bien alignées. Ça fait combien de temps ? Six mois, peut-être. C'est vrai que ça construit dur. La plupart des maisons sont pas finies. Est-ce que c'est le gouv' qui a financé des gens pour repeupler ? Je sais pas, j'y crois pas trop. J'suis fascinée et effrayée comme une môme qui regarde pousser des fleurs sur la boue saignante d'un champ de bataille.

Où est-ce qu'elle sera, la nouvelle Jaya ?
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Avec un bouchon brûlé sur la fin d'un mégot, j'ai tracé de grandes lignes noires sur mon visage ; le froid des derniers jours à bord m'a rappelé de vieilles histoires trouvées dans mes bouquins. Ça parlait de guerriers chargés de fourrures qui se peignaient le visage pour faire peur à leurs ennemis et pour se sentir en lien avec les dieux.
Ce voyage en solitaire, avec des escales, pas grand monde à qui parler, un rythme léger, presque détaché de la réalité, ça me fait l'effet d'une nouvelle guerre à mener. Pas contre le monde, non, pas davantage que contre de vrais ennemis. Juste contre moi même. Ces marques noires sur mon visage, ce sont elles que je fixe en rendant le regard que le miroir me jette ; j'ai déterré la hache de guerre pour régler mes dernières contradictions majeures. C'est maintenant que ça va se jouer, entre moi et Serena Porteflamme. J'ai du temps, beaucoup de temps ; pas de vrais problèmes d'argent à l'horizon. Je peux en profiter pour arriver devant mon frère dans un état propre à le sortir de l'endroit dans lequel il est tombé. J'ai quelques mois pour devenir vertueuse. Pour continuer le chemin en y concentrant toute mon attention. Je ne crois pas qu'il soit en danger ; il a survécu aux coups de surin de Joe. Et il doit être devenu beaucoup plus fort. Il va tenir, physiquement ; mais est-ce qu'il aura encore ses principes et sa dignité quand je le retrouverai ? Je veux pas le voir se noyer dans une flaque d'alcool avec un foutu punk, et je préfère pas l'imaginer se battre contre des mouettes sans raison. Il pourrait tomber sur Andy en plus ; je l'ai laissé aux mains de la régulière, et je sais d'avance qu'ils comptent bien l'éprouver pour voir jusqu'où peut aller sa loyauté d'ancien forban repenti. Les salauds. Il ressemblait vraiment à Vaillant ; mais est-ce qu'Aimé le comprendrait assez pour voir en lui autre chose qu'une occasion de lever le poing ?

Je critique pas ; j'ai aimé ça, moi aussi. Et j'ai failli me confondre avec les ruines fumantes de Jaya, même si maintenant, elles sont loin sous les pavés neufs. Juste, je veux pas que mon frère tombe aussi bas. Si j'ai pu monter un peu plus haut que le bord de mes grolles, c'est un peu à lui que je le dois.

Je quitte ma piaule. J'sens qu'on me jette de drôles de regards, mais je me sens étrangère à bord depuis le début. Mes cheveux ont repoussé depuis Jaya. J'ai une crinière folle qui me court aux oreilles, et le charbon sur mon visage me fait l'effet d'une grille de protection contre le monde. Je fais pas attention à eux. Je suis une guerrière de Drum, une foutue valkyrie. Je suis pas de leur monde, j'ai pas de gosses à nourrir ni d'amis à qui penser. J'suis seule, prête à tout recommencer depuis le départ. Prête à aller chanter des chœurs de bataille sur tous les foutus nuages du monde, avec ma harpe et mon épée. Sans personne pour me dire quoi faire, quand me lever, que manger le midi, quand prendre mes pauses et qui fréquenter.

Et pour la première fois de toute ma vie, cette idée ne m'angoisse pas.

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Il y a le désert à perte de vue. J'en avais eu une approche à l'époque d'Hinu Town, mais c'était pas aussi vaste. On dirait que le sable entoure et étouffe la mer, qu'il menace de tout absorber et qu'il est plus puissant que l'eau.

Je me sens petite. A la fois centre du monde et à côté de mes pompes. Ça, je connais. Mais ça faisait longtemps que j'avais pas eu à y faire face sans distraction possible.

J'ai un objectif, des idées, des projets pleins la tête ; envie profonde de revenir sur ce que j'ai vécu et à aider les autres à se sortir de situations similaires ; construire un village de rêve pour les expat', les oubliés, les exclus, ceux que le monde a complètement négligé de vouloir sauver ; faire brûler toutes les communautés, religieuses ou pas, qui croient qu'être dans le vrai, c'est suivre une seule direction et obéir à un cadre ; serrer mon frangin dans mes bras et lui dire que je lui en veux pas ; repartir pour le Grey T., pour voir ce que la décharge est devenue ; apprendre à me servir de mes mains pour faire autre chose que prier et tuer ; voyager avec des médecins et tout apprendre au cœur des batailles. Vivre, grandir en vertu et en courage ; ce genre de trucs. Même si je suis pas certaine d'en saisir la fin véritable, je crois que j'ai envie de les faire.

Mais je me sens seule, maintenant. Les Rhinos ont disparus, ils ont été mon seul lien humain pendant deux ans. J'ai pas de contacts à-travers le monde. Les gens me connaissent un peu par les journaux, beaucoup par les rumeurs sur les Blues, très peu personnellement. Et avec ça, j'ai une tendance maladive à m'adapter qu'en me trouvant un leader à suivre. Ça, j'en peux plus. Comme je commence à plus tellement apprécier ces vacances. J'ai du mal à me lever le matin, à bord de la Translinéenne, et j'enchaîne les cafés en journée. Pourtant, c'est tout juste si je fais l'effort de m'entraîner une heure par jour pour ne pas trop baisser ma garde. A l'armée, c'était beaucoup plus dur, on dormait beaucoup moins aussi. Sur Jaya, je crois pas avoir fait des nuits de plus de deux ou trois heures. Pourtant, je me sentais infiniment plus vivante et heureuse que ça. Et j'avais jamais de café, je tournais à la gnôle.

J'espère pas avoir fait tout ça pour rien. Si je trouvais pas mon frère, si j'arrivais pas à faire quelque chose de ce désert qui m'apparaît comme une réalité maintenant qu'il n'y a plus les cohortes bien alignées de la marine pour m'en cacher le sable, je crois qu'au final j'aurais pas vraiment compris pourquoi j'ai décidé de vivre. Parce qu'il y a bien des gens qui le font sans l'avoir décidé. C'est pas mon cas. Du coup, j'suis obligée de pas voir ça comme une évidence. Je suis pas là juste parce que je suis là. Je suis là parce que j'ai pris de manière intense et passionnelle la décision de ne pas me foutre à la mer. Et de prendre un peu soin de moi.

Mais cultiver ce corps, ce cœur, ces capacités d'écoute et de non-violence, pour moi-même, pour un quotidien fade et vide, juste pour survivre, ça rime à rien, j'y adhère pas. Il faut pas juste le désert pour justifier le désert aux yeux de celui qui marche dedans ; il faut des oasis et des trous d'eaux, des tentes et des villages construits dans les creux frais et ombragés. Il faut quelque chose qui puisse souligner l'effort, marquer un point d'arrêt et de pivot pour que celui qui a beaucoup marché en mourant de soif puisse mesurer son œuvre et en comprendre le sens.



J'ai lu quelque part que c'était le propre des mystiques de traverser les déserts ; mais les histoires ne disent jamais ce qui se trouve au bout.

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A Drum, l'escale est normalement longue, m'a dit l'équipage ; il faut se frayer un chemin à-travers la glace, anticiper les blizzards et faire attention aux ours polaires qui s'écartent un peu de l'île pour aller pêcher. Il y a eu des accidents, et la translinéenne tient à sa réputation. Voyager en sûreté sur Grand Line, grâce au seul pouvoir de l'argent ; une démesure qui fait sourire, mais une démesure qui m'arrange, et qui rappelle régulièrement à quel point elle est illusoire. Une bonne chose pour tous ceux qui sont assez cons et prétentieux pour y croire.

Pourtant, ça n'a pas beaucoup traîné. Les grand icebergs et les morceaux de banquise, on ne les a pas vus. A bord, il y a le navigateur, un grand gars qui s'appelle Anton, qu'a regardé la terre à peine couverte de neige d'un mauvais œil. On gelait, mais il trouvait le temps trop doux. Je me suis dit qu'il devait être triste de se trouver priver de son acte d'héroïsme quotidien, d'abord. Et puis, ça m'a pris aussi.

J'ai regardé Drum ; les autres Rhinos m'en avaient un peu parlé, et j'avais lu des articles de journaux parce qu'ils étaient pas loquaces à ce sujet et que pour moi, c'était important de savoir ce qu'ils avaient traversé. J'ai lu des choses à propos d'un combat sans réel vainqueur, des centaines de morts inutiles, de Salem, Reyes, Lilou. Oswald... son délire d'aller cogner toujours plus haut, toujours plus fort. Maintenant, je me dis qu'il doit faire le con dans le nouveau monde en attendant de trouver le coin de rocher sur lequel se briser pour de bon. Tous, on était pas assez forts pour trouver par nous-mêmes un sens à nos vies. Alors les moments de bataille et d'opposition en tenaient lieu. On vivait pour surmonter des choses qui nous arrivaient. Peut-être pas tous ; Oswald, si. Lilou, peut-être. Moi, sûrement. Je crois que c'est toujours le cas. Le jour où tout ne sera plus que paix, je crois que je connaîtrais le vrai visage de l'angoisse.

Heureusement, ça n'est pas près d'arriver. Mais pour penser ça, je dois encore être à côté de mes pompes.

Anton pousse un profond soupir. Le vent soulève à peine ses cheveux, sa barbe n'est pas mouillée par les embruns. Il pousse la barre sans efforts à-travers les rares obstacles. Lui aussi, c'est un géant dans l'âme, et il a peur de passer une journée sans avoir à se battre. Ça doit pas être ça, la vie. Une fois, ça m'a poussée à tuer un pacifiste, à perdre une amitié solide et un poste tranquille, juste par peur d'un modèle qui pouvait rendre la vie trop facile. J'étais bourrée ce jour là, c'est vrai. Mais j'ai tué un homme pour rien. Si le cosmos m'offre des retombées pareilles pour avoir pensé comme ça, c'est qu'il doit y avoir là dedans un truc qui va contre la loi du tout.

Ou alors. Ou alors, tout est absurde, et si ça m'est arrivé, c'est comme le reste. Et s'il y en a qui sont comme Oswald, comme Anton, comme moi, et d'autres qui mènent des vies sans histoires et en ayant l'air d'être sans désirs, c'est encore la faute à la Fortune. Et quelque part, on est pas tous humains de la même manière.



Je refuse de le penser.
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Le bateau passe à l'écart de Little Garden. Autour de moi, les montagnards nouvellement montés à bord se pressent pour voir de loin en salivant tous les dangers réputés de l'île. Moi, j'en suis à découvrir. Ça fait deux ans que je suis sur Grand Line, mais j'en connais pratiquement rien. Deux ans sans vraie permission, à dormir à bord d'un navire de guerre ou dans une caserne. J'ai l'impression de mettre le pied dans une nouvelle vie, parce que celle d'avant, c'était toujours pas ça.

J'ai envie de fumer. Mais j'ai presque épuisé mon tabac et je sais que je pourrais pas vraiment faire le plein avant Whiskey Peak maintenant. Et j'ai pas tellement envie d'aller gratter chez les autres. Je sais pas combien de temps durera le voyage. J'ai pas mal d'argent en réserve, mais à moins de réussir à négocier avec la Translinéenne pour un genre d'abonnement, il y a des chances pour que j'ai tout brûlé avant d'avoir trouvé une vraie piste. Kiril Jeliev, tout le monde sait qui c'est ; il y a des indices qu'on peut trouver sur lui dans le journal. Mais il est constamment en déplacement, et au fond, je sais même pas si Aimé est encore avec lui. Mais le trouver, ça serait déjà un premier pas.

Dans la dernière gazette que j'ai pu lire avant de partir, j'ai lu qu'on l'avait vu passer sur Hungeria. Il paraît aussi qu'il navigue en indépendant maintenant, sur un bateau qu'il a construit lui-même. J'ai lu aussi des histoires bizarres sur Lilou. Ça, ouais, ça, ça m'a retourné la tête. J'ai presque cru qu'on changerait d'avis, qu'on me laisserait pas partir. Mais non. Tout le monde en ébullition, c'était pas la première trahison majeure. Comme si au fur et à mesure qu'on s'approchait des hauts grades, on devait faire un choix entre vendre son âme et ses principes pour garder l'uniforme et la considération de tout le monde ou rester intègre et devenir un renégat.

J'imagine pas Lilou trahir la marine, d'un autre côté. Sur Jaya, elle était impitoyable, bien plus que moi. Elle a fait partie des héros de Drum. Elle aurait du devenir Vegapunk après tout ça. Peut-être qu'elle s'est juste pris un refus catégorique et que ça l'a rendue folle ? Je sais pas. Ça rentre dans ma logique, si je m'étais accrochée à ce truc avec toutes mes forces et si j'en avais fait mon seul espoir, ça aurait pu me pousser à faire ça ; est-ce que ça irait avec la sienne ? Je me souviens même que ça m'est arrivé. Je me disais « je tuerai personne, je deviendrai jamais une criminelle ». Quand ça, ça s'est effondré, j'ai failli en crever. Si j'avais pas eu cette révélation comme quoi autour de nous, en nous, il y a de l'infiniment grand et que c'est ça qui compte – cet espace de liberté, de dignité, de beauté – j'y serais peut-être pas restée. Mais j'aurais fait brûler le monde pour compenser.

Est-ce que c'est ça qui t'est arrivé, Lilou ? Est-ce que tu es arrivée au bout du désert, est-ce qu'il n'y avait rien d'autre que du vide ? Ou alors, est-ce que tu croyais juste en la marine, pour t'apercevoir que c'était pas si clean ? J'ai du mal à penser à toi comme à une personne naïve. Mais après tout, l'armée nous cale à tous un deuxième visage.

Finalement, je m'en roule une. Une grande clameur résonne du côté des montagnards. Un roi des mers est sorti de l'eau pour attraper une sorte de mouette géante en plein vol. Quand il replonge, ça fait des vagues qui secouent salement le navire. On s'accroche tous comme on peut, ils rigolent. Ils me prennent même avec eux, je vois que certains ont les mêmes peintures de guerre que moi. Un moment, on se raconte nos aventures, ça tient chaud, et ça occupe. Ça me fait bizarre d'avoir de vrais contacts avec des civils. Quand je me suis engagée, j'avais dix-neuf piges. Ça fait cinq ans. Cinq ans que je pense plus à moi comme à une civile. Et même avant, j'étais chez les sœurs. Un autre uniforme, un uniforme quand même, quelque chose qui fait que tu te distingues des autres. Quand je repense au vrai avant, celui sans titre ni cadre de vie strict, j'en étais à brosser le pont des navires marchands de Bliss. Et j'avais sept ans de moins. J'ai complètement oublié ce que c'était. Plusieurs fois, même.

Cette sensation d'avoir des choses en commun avec les gens jusque parce que ce sont des gens. Et qu'au final, y'a pas de raison pour qu'on se ressemble pas un peu. La barbe savamment sculptée d'un montagnard me chatouille ; je souris, et la fumée me passe entre les lèvres.
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-Tu sais, les gens heureux, ça pense pas trop au futur.
-Ça a l'air d'aimer la gnôle les gens heureux aussi.
-Et ça te sert à quoi d'être cynique ?
-A rien, je constate juste.
-Si t'es si forte en la matière, tu devrais aussi constater que le présent est le seul temps à exister. Bonne soirée.
-Toi aussi.

Je grille ma dernière, accoudée contre le bastingage. Il fait presque nuit, et le port de Whiskey Peak est presque vide. Le montagnard avec qui je causais est parti se rincer au bistrot. Moi, je sortirai juste faire le plein de tabac. Ici, l'air est un peu trop sain pour Grand Line, et ça me rend bizarrement nerveuse.

J'avais entendu quelques échos sur le coin. Un trou rempli de chasseurs de primes à l'affût, quelque chose qui sent la planification et la sournoiserie, l'énergie humaine mal orientée et étalée comme une nappe de brouillard dense et pourpre. Mais au lieu de ça, ce sont des collines cultivées qui se dressent dans l'ombre des maisons. Ça devrais être l'inverse, mais c'est comme si la civilisation avait tellement pris le pas sur l'île qu'on en voyait plus la sauvagerie. Les gens marchent lentement, ils ne regardent pas vraiment ce qui se trouve autour d'eux. L'air ni heureux, ni malheureux. Ils existent juste. Ils travaillent juste. Ils font ce qu'ils doivent faire.

Je jette ma tige dans l'eau. Je me sens barracuda au pays des poissons rouges. Je finis par oser poser un pied sur la terre ferme. Mais je me garde bien de regarder les gens. Eux par contre, je sens qu'ils se privent pas. Pourtant, je suis pas la seule à pas avoir l'air du coin. Femme seule sur Grand Line, c'est ça qui doit gêner. Ou alors, c'est encore moi qui m'imagine ça parce que j'ai encore du mal à me passer d'un leader.

Au final, j'achète mon tabac sur le port et je retourne me poser sur un banc qui fait face à la mer. Le soleil finit de se coucher et les gens finissent de rentrer chez eux. Je me trouve de nouveau en paix ; à l'extérieur, seule avec le vent. Je m'imagine en train de marcher dans une grande étendue verte sans objectif, juste pour le plaisir de sentir ce que ça fait. C'est con ; ça m'est déjà plus ou moins arrivé, je sais qu'on arrive pas facilement à arrêter de se demander où on va. C'est quand on regarde les choses en sachant qu'on ne va pas s'y aventurer et qu'on va aussi les quitter qu'elles prennent cette texture sacrée.

Mais au fond, le Montagnard, il a peut-être pas tort. Peut-être qu'on se sent mieux quand on arrête de se demander sans arrêt où mènera le pas suivant. Ne serait-ce que parce qu'on peut commencer à regarder le paysage pour ce qu'il est, sans appréhension, sans jugement, sans volonté.

Et simplement trouver que les choses peuvent être belles.
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