Shee,
Tu sais, il y a des moments où je me sentirais bien dans mon rôle à fumer la pipe en marchant lentement sur les quais d'ici ou d'ailleurs, les deux mains dans les poches amples d'un ciré et les bottes qui font un bruit de fer mouillé sur le pavé. C'est ce que m'évoquent ces odeurs d'algues et d'embruns alors que je t'écris depuis ce petit porche qui me sert d'abri. Tu te demandes sans doute pourquoi je te raconte tout ça, et pourquoi est-ce que je me mets à une prose qui ne me va pas, à moi qui ne suis qu'une brute en mal d'amour, un tortionnaire, et le reste. Eh. Je te vois d'ici tirer une tête de dix pieds de long parce que je te pique tes répliques. Dis toi que je fais ça pour me réchauffer, parce qu'il neige et que je ne suis pas très serein.
Je me suis mis légèrement en difficulté, j'en ai peur. J'aime mieux ne pas te dire où je suis, parce que je crains que l'on intercepte mon courrier. Les fous de bassan sont plus sûrs que les mouettes, ils volent plus haut ; mais je ne t'enverrais sûrement cette lettre que lorsque les choses se seront calmées pour moi. Si je te l'envoie. Ça me calme de t'écrire, tu sais. Je le fais comme si tu étais ma conscience et que je devais toujours te rendre des comptes. Mmh. Bon, maintenant c'est sûr, je ne t'enverrais pas cette lettre. Alors autant tout te raconter.
Cette fois-ci, ce n'est pas un haut dignitaire que je chasse. Pas non plus un révolutionnaire pourri par le pouvoir ou un gradé qui en abuse. C'est un pirate d'un genre particulier. De ce que je sais de lui, je crois que c'est un grand malade, un sadique qui trouve son plaisir de manière exclusive dans la souffrance qu'il peut engendrer. Le genre d'homme qui fait le régal ordinaire des héros de la marine ou de la révolution qui sont tous deux très heureux d'en faire leur gibier pour faire croire aux gens qu'ils sont là pour eux, pour les protéger. Et qui en profitent pour faire croire que le monde est rempli de tordus, alors que la plupart le sont pas vraiment. C'est toi qui le dit, je t'apprends rien.
Conneries ; parce que celui-là, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il a le soutien d'au moins une grande instance parmi la révolution, la marine ou le gouvernement. Tu comprends, ce genre d'homme est facile à manipuler parce qu'il ne dispose que d'un seul ressort pour donner du sens à sa vie : jouir. Et cette jouissance est à son tour limitée par un autre levier unique : faire souffrir autrui. Autrement dit, il est corruptible, et si on lui donne moyen d'expérimenter un grand nombre de choses dans l'unique perspective qui le passionne, il sera prêt à faire n'importe quoi.
Je ne sais absolument pas qui est sur le coup. Mais je sais que des gens disparaissent et ne reviennent jamais. Je sais qu'on lui met tout sur le dos, mais qu'il reste introuvable. Et pourtant, de tout ce que j'ai pu récolter comme rumeurs, témoignages, discours rapportés, l'homme n'a pas l'air spécialement fin ou doué pour la dissimulation.
J'ai commencé à enquêter sérieusement. Ça a été difficile, parce qu'on m'a refusé un poste fixe sur North Blue. J'ai du profiter de mes soirées pour coller des morceaux avec ce que je pouvais réunir. Trouver les tavernes d'expat' et de commerçants, causer aux collègues qui pouvaient avoir entendu des choses. Et puis, trop rarement, j'arrivais à prendre mes congés les jours où le courrier me menait sur Sanderr.
Sanderr, frangine. Pris dans le gel toute l'année ou presque, une retraite de moine. On s'y sent étrangement bien. Plusieurs fois, j'ai eu l'envie d'aller courir dans la neige dans le plus simple appareil pour éprouver à quel point ma force était relative, et je l'ait fait. Un jour, on m'a même retrouvé et ramené en ville à moitié gelé. J'avais mal mesuré mes efforts et je m'étais effondré dans la poudreuse. Le froid avait envahi tout mon corps. Bizarrement, je m'en suis remis très vite et je ne m'en suis que mieux porté après.
Il faut y entrer pour la comprendre, cette île. Comment te dire... c'est coupé du GM. Pourtant, il y a un avant-poste marine avec à sa tête le responsable le plus haï de toute l'histoire militaire des cinq derniers siècles, au moins. Pour te citer un collègue qui avait besoin d'une autorisation pour laisser son navire de livraison, c'est « une sale petite gueule de frustré qui calme ses problèmes d'impuissance en s'essuyant sur son prochain jusqu'à se sentir propre ». Et le plus beau, c'est qu'il a raison. De temps en temps, le bonhomme perquisitionne des établissements sans réelle autorisation, juste pour foutre la pression aux gens. Plusieurs fois, il paraît qu'il y a la milice du coin – les Givrelames – qui a du rappliquer pour lui rappeler que ses fonctions se limitaient aux côtes. La plupart des bistrots refusent de le recevoir. Ses hommes sont plutôt mal vus aussi. De temps en temps, il envoie des rapports mensongers à ses supérieurs juste pour augmenter la fréquence des contrôles et faire peur à tout le monde. On raconte aussi qu'il lui est arrivé de prendre des prisonniers sous prétexte qu'ils avaient été pris à ramasser du bois sur un terrain d'entraînement appartenant à l'armée. Et qu'il a forcé les familles à payer cher pour les récupérer.
D'un autre côté, il y a le seigneur de l'île. Personne l'a jamais vraiment vu, à ce qui se raconte. Même dans la ville la plus centrale, je n'ai trouvé personne qui soit capable de me le décrire physiquement. Le visage du pouvoir, ce sont les Givrelames. Des soldats dévoués, les gens les connaissent comme étant les vrais maîtres du coin. Très fiers d'être ce qu'ils sont, d'après qu'ils viennent tous du caniveau. Plutôt populaires, à cause d'eux, on raconte que le roi a des idées plutôt révolutionnaires avec les contacts qui vont bien. Et tu ne sais pas quoi ? C'est vrai.
Le royaume est un archipel ; c'est pour ça que le GM a du faire pression pour caler une base. C'est trop facile d'y cacher des gens, du matériel. Lors d'un de mes passages, j'ai pris le temps de fouiller de petits ilots un peu reculés. J'ai trouvé des traces évidentes de passage, et même quelques armes planquées dans une grotte. Le truc, c'est qu'il faut savoir où regarder. Et c'est aussi possible que j'ai eu du pot. Il y a tellement d'espace, tellement de terres, on ne sait pas par où commencer. Je suis à peu près sûr que Kobold – le chef de la marine locale – a essayé de s'y mettre en espérant une promotion. Mais il est limité par les Givrelames qui sont pas franchement partisans de ses expéditions qui, de toutes façons, sont pas légales. Je pense qu'il trouverait son bonheur si on le laissait faire. La grotte que j'ai vu, celle avec les armes, elle sentait très fort la poudre.
Et puis, il y a Wrendy Antonson Derviche. Le pirate dont je te parlais. Depuis quelques mois, il est partout. Il bute des gens, il en enlève d'autres, il les rend dans un état horrible. Tout le monde sait que c'est lui, parce qu'il signe ses actes et qu'on l'a vu roder dans le coin. Et personne arrive à le choper. Je me suis mis sur sa trace en espérant comprendre les raisons de cette inefficacité. J'ai découvert quelques pistes. Et depuis, je reçois des billets de menace de mort à chaque fois que je reviens traîner dans le coin.
Mais je vais tenter une dernière fois ma chance. J'ai pu prendre une semaine de congé. Je t'enverrais peut-être cette lettre, au final. Quand je serais vraiment certain de l'issu de toute cette histoire.
Je t'embrasse fort,
Tu sais, il y a des moments où je me sentirais bien dans mon rôle à fumer la pipe en marchant lentement sur les quais d'ici ou d'ailleurs, les deux mains dans les poches amples d'un ciré et les bottes qui font un bruit de fer mouillé sur le pavé. C'est ce que m'évoquent ces odeurs d'algues et d'embruns alors que je t'écris depuis ce petit porche qui me sert d'abri. Tu te demandes sans doute pourquoi je te raconte tout ça, et pourquoi est-ce que je me mets à une prose qui ne me va pas, à moi qui ne suis qu'une brute en mal d'amour, un tortionnaire, et le reste. Eh. Je te vois d'ici tirer une tête de dix pieds de long parce que je te pique tes répliques. Dis toi que je fais ça pour me réchauffer, parce qu'il neige et que je ne suis pas très serein.
Je me suis mis légèrement en difficulté, j'en ai peur. J'aime mieux ne pas te dire où je suis, parce que je crains que l'on intercepte mon courrier. Les fous de bassan sont plus sûrs que les mouettes, ils volent plus haut ; mais je ne t'enverrais sûrement cette lettre que lorsque les choses se seront calmées pour moi. Si je te l'envoie. Ça me calme de t'écrire, tu sais. Je le fais comme si tu étais ma conscience et que je devais toujours te rendre des comptes. Mmh. Bon, maintenant c'est sûr, je ne t'enverrais pas cette lettre. Alors autant tout te raconter.
Cette fois-ci, ce n'est pas un haut dignitaire que je chasse. Pas non plus un révolutionnaire pourri par le pouvoir ou un gradé qui en abuse. C'est un pirate d'un genre particulier. De ce que je sais de lui, je crois que c'est un grand malade, un sadique qui trouve son plaisir de manière exclusive dans la souffrance qu'il peut engendrer. Le genre d'homme qui fait le régal ordinaire des héros de la marine ou de la révolution qui sont tous deux très heureux d'en faire leur gibier pour faire croire aux gens qu'ils sont là pour eux, pour les protéger. Et qui en profitent pour faire croire que le monde est rempli de tordus, alors que la plupart le sont pas vraiment. C'est toi qui le dit, je t'apprends rien.
Conneries ; parce que celui-là, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il a le soutien d'au moins une grande instance parmi la révolution, la marine ou le gouvernement. Tu comprends, ce genre d'homme est facile à manipuler parce qu'il ne dispose que d'un seul ressort pour donner du sens à sa vie : jouir. Et cette jouissance est à son tour limitée par un autre levier unique : faire souffrir autrui. Autrement dit, il est corruptible, et si on lui donne moyen d'expérimenter un grand nombre de choses dans l'unique perspective qui le passionne, il sera prêt à faire n'importe quoi.
Je ne sais absolument pas qui est sur le coup. Mais je sais que des gens disparaissent et ne reviennent jamais. Je sais qu'on lui met tout sur le dos, mais qu'il reste introuvable. Et pourtant, de tout ce que j'ai pu récolter comme rumeurs, témoignages, discours rapportés, l'homme n'a pas l'air spécialement fin ou doué pour la dissimulation.
J'ai commencé à enquêter sérieusement. Ça a été difficile, parce qu'on m'a refusé un poste fixe sur North Blue. J'ai du profiter de mes soirées pour coller des morceaux avec ce que je pouvais réunir. Trouver les tavernes d'expat' et de commerçants, causer aux collègues qui pouvaient avoir entendu des choses. Et puis, trop rarement, j'arrivais à prendre mes congés les jours où le courrier me menait sur Sanderr.
Sanderr, frangine. Pris dans le gel toute l'année ou presque, une retraite de moine. On s'y sent étrangement bien. Plusieurs fois, j'ai eu l'envie d'aller courir dans la neige dans le plus simple appareil pour éprouver à quel point ma force était relative, et je l'ait fait. Un jour, on m'a même retrouvé et ramené en ville à moitié gelé. J'avais mal mesuré mes efforts et je m'étais effondré dans la poudreuse. Le froid avait envahi tout mon corps. Bizarrement, je m'en suis remis très vite et je ne m'en suis que mieux porté après.
Il faut y entrer pour la comprendre, cette île. Comment te dire... c'est coupé du GM. Pourtant, il y a un avant-poste marine avec à sa tête le responsable le plus haï de toute l'histoire militaire des cinq derniers siècles, au moins. Pour te citer un collègue qui avait besoin d'une autorisation pour laisser son navire de livraison, c'est « une sale petite gueule de frustré qui calme ses problèmes d'impuissance en s'essuyant sur son prochain jusqu'à se sentir propre ». Et le plus beau, c'est qu'il a raison. De temps en temps, le bonhomme perquisitionne des établissements sans réelle autorisation, juste pour foutre la pression aux gens. Plusieurs fois, il paraît qu'il y a la milice du coin – les Givrelames – qui a du rappliquer pour lui rappeler que ses fonctions se limitaient aux côtes. La plupart des bistrots refusent de le recevoir. Ses hommes sont plutôt mal vus aussi. De temps en temps, il envoie des rapports mensongers à ses supérieurs juste pour augmenter la fréquence des contrôles et faire peur à tout le monde. On raconte aussi qu'il lui est arrivé de prendre des prisonniers sous prétexte qu'ils avaient été pris à ramasser du bois sur un terrain d'entraînement appartenant à l'armée. Et qu'il a forcé les familles à payer cher pour les récupérer.
D'un autre côté, il y a le seigneur de l'île. Personne l'a jamais vraiment vu, à ce qui se raconte. Même dans la ville la plus centrale, je n'ai trouvé personne qui soit capable de me le décrire physiquement. Le visage du pouvoir, ce sont les Givrelames. Des soldats dévoués, les gens les connaissent comme étant les vrais maîtres du coin. Très fiers d'être ce qu'ils sont, d'après qu'ils viennent tous du caniveau. Plutôt populaires, à cause d'eux, on raconte que le roi a des idées plutôt révolutionnaires avec les contacts qui vont bien. Et tu ne sais pas quoi ? C'est vrai.
Le royaume est un archipel ; c'est pour ça que le GM a du faire pression pour caler une base. C'est trop facile d'y cacher des gens, du matériel. Lors d'un de mes passages, j'ai pris le temps de fouiller de petits ilots un peu reculés. J'ai trouvé des traces évidentes de passage, et même quelques armes planquées dans une grotte. Le truc, c'est qu'il faut savoir où regarder. Et c'est aussi possible que j'ai eu du pot. Il y a tellement d'espace, tellement de terres, on ne sait pas par où commencer. Je suis à peu près sûr que Kobold – le chef de la marine locale – a essayé de s'y mettre en espérant une promotion. Mais il est limité par les Givrelames qui sont pas franchement partisans de ses expéditions qui, de toutes façons, sont pas légales. Je pense qu'il trouverait son bonheur si on le laissait faire. La grotte que j'ai vu, celle avec les armes, elle sentait très fort la poudre.
Et puis, il y a Wrendy Antonson Derviche. Le pirate dont je te parlais. Depuis quelques mois, il est partout. Il bute des gens, il en enlève d'autres, il les rend dans un état horrible. Tout le monde sait que c'est lui, parce qu'il signe ses actes et qu'on l'a vu roder dans le coin. Et personne arrive à le choper. Je me suis mis sur sa trace en espérant comprendre les raisons de cette inefficacité. J'ai découvert quelques pistes. Et depuis, je reçois des billets de menace de mort à chaque fois que je reviens traîner dans le coin.
Mais je vais tenter une dernière fois ma chance. J'ai pu prendre une semaine de congé. Je t'enverrais peut-être cette lettre, au final. Quand je serais vraiment certain de l'issu de toute cette histoire.
Je t'embrasse fort,
Ton frère qui t'aime.