Les yeux clos, je me concentre sur le bruit de mes chaînes. En fond, j’entends de l’eau qui goutte sur le sol, en émettant un son clair et régulier. Il fait froid, mais ce n’est pas très important. Ce n’est pas important.
J’entends à nouveau le vif claquement du chat à neuf queues, et la chair se déchire à nouveau. Je garde les yeux fermés, et je continue de contrôler ma respiration. J’ignore la douleur et le sang que je sens couler sur mon dos et mes jambes jusqu’à goutter sur le sol. Evidemment que j’ai mal. Mais je repousse ma douleur loin de mon esprit, en lui ordonnant de se taire. Elle se fait toute petite, elle gémit dans un coin. Je n’ai pas compté les heures qui se sont écoulées depuis qu’on m’a enfermée ici. Mes cheveux ont déjà séché depuis l’épreuve de l’eau, et mon estomac se plaint d’avoir sauté ses heures de repas. Je ne me dis même pas que ça va finir par s’arrêter, ça ne sert à rien. Je dois parer à toute faiblesse psychologique. Non, je dois supporter, tout supporter.
Comme une pierre qui ne sent rien. Pendant un moment, je deviens une pierre, insensible et fermée. Je ne suis plus humaine, je n’ai plus de sentiments. Je mets toutes mes forces dans cette acceptation de la douleur. Je la perçois, je la reçois, mais elle ne me fait rien. Elle déchire ma chair, verse mon sang, mais elle ne m’atteint pas.
Les heures défilent, et je sens que l’inconscience cherche à m’attraper. Dans ces cas-là, la douleur est mon alliée, comme si elle m’arrachait brutalement à tout espoir de repos à chaque fois. Je ne peux pas m’évanouir. Si je rate mon créneau, l’absence de mon bourreau, je resterai là pour 12 heures de torture en plus.
Il fait nuit noire lorsqu’il arrive. J’entends enfin mon bourreau être appelé, puis qui s’éloigne et ferme la porte à clé derrière lui. J’inspire profondément. Je sais que je n’ai qu’une poignée de minutes pour m’évader.
Doucement, je commence à me balancer. Tous mes muscles sont engourdis, je suis restée trop longtemps dans cette position. Je fais des petites rotations avec mes poignets, j’essaie de réveiller mes membres endoloris et fatigués. Lorsque je suis prête, je me lance. J’attrape les chaînes à mes poignets, et d’une impulsion, je lance mes jambes en l’air. J’échoue au premier coup, mes jambes fatiguées retombent comme de la pâte molle. Je les agite quelques temps pour chasser l'engourdissement, puis je retente. Cette fois, mes pieds montent assez haut et je les pose contre le plafond. A présent, je suis accroupie au plafond, les mains encore attachées placées entre mes jambes, comme un animal. J’observe un peu mes menottes. Elles sont en acier fin, fixées autour d’une vis dans le plafond. La dernière fois, j’avais réussi à faire céder les maillons de la chaîne mais cette fois, pas de chaîne. Plus de serrure à garniture non plus, ç’aurait été trop facile. Ils ont prévu des fers avec un cran de fermeture à usage unique en parant à toutes mes combines de précédentes de crochetage ou d’altération du mécanisme. A chaque fois, c’est plus dur de m’évader. Le gardien ne prend plus le risque de s’approcher plus près que ce que son fouet peut atteindre, et on m’a bandé les yeux pour que je ne tente pas l’hypnose.
La solution me vient vite, aussi pénible soit-elle. Ma main est plus grande que mon poignet, mais ça peut s’arranger. Je prends une profonde inspiration et d’un geste sec, je provoque un violent craquement.
Deux de mes doigts désarticulés, je peux faire glisser ma main hors de la menotte. Niveau douleur, je ne suis plus à ça près, mais j’ai du mal à défaire mon autre main de la même façon. Une fois libérée, je tombe sur mes deux pieds, mais mes jambes cèdent aussitôt et je m’étale de tout mon long sur le sol. Malgré la tentation et les suppliques de mon corps, je dois résister à la tentation de m’endormir sur le sol de pierre. Je me relève péniblement, tachée par le sang sur lequel je suis tombée. Il faut encore que je sorte de la pièce. Il y a une minuscule fenêtre, je n’ai aucun espoir de passer par là.
La porte est en bois, mais elle est épaisse, je ne pourrais pas la fracturer à moins d’y passer des heures, or il ne me reste sûrement qu’une poignée de minutes. Mais j’ai réussi à déjouer la fouille, j’ai mes aiguilles sur moi.
Les fouilles sont de plus en plus précises, et jamais je n’ai pu utiliser la même cachette deux fois, car à chaque fois mon gardien semble avoir découvert entre-temps ma cachette précédente. Probablement suis-je observée.
Rapidement, j’attrapais un caillou qui traînait au sol, et entrepris avec de m’ouvrir l’avant-bras. Je mis un moment à faire sortir les deux senbon que j’avais préalablement cachés. En réalité, ils étaient là depuis la dernière fois, au lendemain de laquelle j’avais déjà dû penser à une nouvelle idée. Sinon, cela n’aurait jamais cicatrisé assez vite pour qu’il ignore la blessure.
Péniblement, je parvins à récupérer mes deux aiguilles, et à crocheter la serrure. Il n’y avait personne derrière la porte ni dans le couloir des cachots, mais je dûs monter le plus discrètement possible les étages, passant parfois par dehors pour ne pas être repérée.
J’ignore quelle heure il était lorsque, enfin, je parvins jusqu’à ma chambre, au dernier étage.
Là, mon premier réflexe fût d’ouvrir la fenêtre et d’aller m’allonger là, dans la neige, sur le toit. Aussitôt, je dû étouffer un cri. Le froid de la neige mordait violemment contre les plaies fraîches de mon dos. J’ignore quels dégâts le chat à neuf queues a pu faire, mais la neige a adopté une couleur vermillon sous moi. Au moins, passé le plus dur, la neige glacée finit par anesthésier plus ou moins mes plaies, et ralentit mon hémorragie. Est-ce que je n’ai pas perdu trop de sang ? J’ai la tête qui tourne, mais ça va.
Plusieurs minutes passent, pendant lesquelles j’essaye désespérément de ne pas céder à la somnolence. Puis, quand je commence à ne plus sentir mon dos, je me traîne à l’intérieur et ferme la fenêtre. En me relevant, mes doigts me rappellent douloureusement leur état, mais je commence par aller me doucher. J’ai passé douze heures enfermée, et je suis dans un état innommable. Je suis obligée de me laver assise pour ne pas tomber, et je dois ravaler mes gémissements lorsque je m’attaque à mon dos. Une fois plutôt propre, je m’éponge avec précaution avant d’aller saisir une tenue dans mes affaires, et j’opte aussitôt pour la combinaison dos-nue noire en soie. Avant de l’enfiler, je dois encore préparer un cataplasme aux herbes pour mon dos.
Je passe un temps fou à sélectionner les plantes dans ma serre miniature et à préparer la mixture avec mes doigts valides. Lorsqu’elle refroidit grâce à son récipient posé dans la neige, je me place face au miroir pour me l’appliquer seule.
Mon dos est méconnaissable. La chair a été déchirée à différentes profondeurs, et de grandes griffures le parcourent dans tous les sens. J’ai la nausée rien que de voir les tissus sanguinolents à vif. Il n’y est pas allé de main morte.
Tout doucement, je commence à appliquer mon cataplasme, et cela me soulage déjà. A certains endroits, j’ose à peine toucher ma peau, mais il le faut. Tout cela me prend une éternité. L’aube pointe au loin lorsque je me prépare rapidement une attelle pour mes doigts cassés. J’ai les yeux rouges et la gorge rauque après la torture par l’eau, mais aucune séquelle des injections de poison, comme d’habitude.
Après avoir sommairement noué mes cheveux, je vais enfin m’allonger sur mon lit, sur le ventre. Je m’endors à la seconde même où je ferme les yeux, épuisée.
Dernière édition par Xia He Wei le Mer 18 Avr 2018, 10:35, édité 1 fois