La Pieuvre Capillaire


-Alalalala ! J'ai bien dit au vieux que cette histoire de mort n'était que du pipeau ! Il ne m'a pas cru.

- Désolé pour ça, Maître, rigola Loth en rabattant ses cheveux d'une main. Je ne m'étais pas imaginé que ça allait faire toute une histoire. C'était juste une ruse.

- Qui cherchais-tu à rouler cette fois ? Encore ces mecs gars d'Ashura là ? fit Samaël d'un ton las en tirant longuement sur sa chicha.

- Oui, et c'est en bonne voie, répondit Loth en pensant à N°4 d'Ashura qui avait été tué quelques jours plutôt. Si tout vas, bien, dans un ou deux mois maximum, Maître, je me tournerai vers autre chose.

Loth ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait eu une discussion posée et tranquille avec son maître. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu d'ailleurs ? Il était mystérieusement incapable de s'en souvenir. Ce dont il était sûr, c'était qu'après l'histoire très médiatisée pour un sous de sa "mort" mise en scène devant tout Boréa, il avait besoin de calme et de sérénité. Aussi, prit-il le chemin de l'île du Karaté, un bien étrange endroit pour se relaxer. Non, il était venu là parce qu'il avait entendu dire que Samaël y était. Il était venu ici, en quête de plus de puissance physique, chose inhabituelle pour lui. Même s'il exécrait la violence gratuite, il se rendait compte que plus il évoluait dans sa quête des sommets d'Ashura, plus les ennemis devenaient dangereux. Il avait réellement failli y passer à Lavallière. Et c'était suffisant pour prendre le bison par les cornes.

Mais pour l'instant, il profitait de la compagnie de son maître, tous deux immergés dans une source thermale à la température excellente. Loth prit un mouchoir et essuya ses verres qui souffraient de la buée. Un geste bien inutile puisqu'elles devinrent blanchâtres et laiteuses quasi-instantanément. De guerre lasse, il coula aussi plus en profondeur dans le bain.

- Ils sont puissants, et plusieurs fois, tu as failli mourir. C'est vraiment cette vie que tu veux ? dit Samaël après un long moment de silence seulement entrecoupés par les piaillements d'oiseaux environnants.

- Ça ne vous ressemble pas Maitre. Je me souviens de vos mots quand je vous ai informé que je comptais devenir freelance et faire des affaires. "Vas-y, il n'est jamais trop tard pour mourir". Qu'est-ce qui a changé ? demanda Loth, un sourire goguenard aux lèvres. Vous feriez-vous du souci pour moi ? Voudriez-vous que je vous ressemble ? Un ermite qui se laisse dériver sur les océans sans attache ?

- Si tu connaissais le réel bonheur de n'avoir de compte à rendre à personne. De circuler au gré des vents comme un nuage... Enfin, non, je ne m'inquiète pas pour toi, je voulais juste m'assurer que tu étais fidèle à tes convictions et voir si tu étais prêt.

- Prêt à quoi ? demanda Loth qui se sentit énigmatiquement inquiet. La dernière fois que Samaël avait formulé une phrase de ce genre, avec ce je-m'en-foutisme qui lui seyait si bien, il avait jeté Loth dans un ravin sans fond visible soit disant pour lui apprendre le Style du Singe.

- A mourir, puisque tu ne crains pas la mort.

Aux paroles, il joignit des actes.
Toujours affalé dans l'eau, Loth sentit quelque chose l'agripper par la taille et le tirer en dessous. Une seconde durant, il paniqua de cette peur primaire qui sommeillait en chaque être humain quand venait le moment de se confronter au pire. Mais comme à son habitude, il annihila instantanément ce sentiment primitif et lui substitua une rapide réflexion. Le bain thermal était profond de deux mètres au maximum, il n'y avait rien qui puisse sortir d'où que ce soit et tenter de le noyer, se dit-il tout en se débattant contre la chose qui désirait le submerger. Comme s'il ne remarquait pas la furieuse lutte de son élève pour rester à flot, Samaël profitait de son bain, indifférent aux clapotements et remous de l'eau, regardant le ciel et tirant de temps à autre sur sa chicha. Bien sûr, cette perfide attaque venait de lui, mais Loth voulait savoir comment . Il était dès à présent clair pour Loth que son maître avait pris les devants. Il voulait lui enseigner une technique particulière et comme à chaque fois, il tenait à l'utiliser sur lui, quitte à le blesser sérieusement. C'était sa manière douteuse de faire et pour l'expliquer Samaël avait une maxime personnelle...

Mais déjà, Loth sentit son processus de réflexion s'embrumer au fur et à mesure que l'étau de la chose devint plus brutal et plus ferme. Ses lunettes tombèrent dans la lutte et sa vision se brouilla. D'ailleurs qu'était-ce que cette chose ? se demanda-t-il alors que sa tentative de se tenir debout échouait et qu'il s'écrasait dans le bain, face en avant. Sa première idée fut qu'il était entravé par des espèces de lianes vivantes. La vapeur ambiante dans la source thermale et la perte de ses lunettes l'empêchaient de voir ce qui l’étouffait. Ça ne pouvait pas être des lianes, se dit-il alors que cette fois-ci il fut totalement immergé dans l'eau, sans possibilité de s'y extirper. Des lianes renverraient à un fruit du démon et ça ne s'enseignait pas ça. D'ailleurs, Samaël ne lui avait jamais rien appris autre que le Inner Beast... Mais quelle essence d'animal voulait-il lui inculquer ?
Loth se sentit partir. Ce familier ressenti que plus rien n'était vraiment important et qu'on se mourrait dans une totale félicité...

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Clap !
Et brutalement, il revint à lui. Allongé sur le sol herbeux, nu comme un ver. Toussotant, il tenta de se relever avec grand mal. Tout son corps et surtout ses côtes lui faisaient un mal de chien. Là où la chose l'avait empoigné, des meurtrissures étaient apparues. Samaël était assis sur un rocher, une serviette nouée autour de la taille. De son visage juvénile malgré sa quarantaine, il dévisagea Loth avec une étrange expression qui ressemblait à de la pitié.

- Je me demande comment tu as réussi à survivre jusque-là, petit. Qui est le plus nul ? Tes ennemis ou toi ?

- Le paradoxe du lièvre et de la tortue ? répondit-il en toussant. Peut-être que c'est vous qui êtes trop fort.

- J'en doute. Dans ce vaste monde, il existe des monstres dont la puissance... Enfin, tu le sais probablement. Et mon devoir en tant que maître est de t'armer au maximum contre eux, si jamais l'envie t'en prenait de te fritter à eux. Ou si comme je le pense, c'est eux qui viendront se frotter à toi parce qu'un de tes plans sournois les aura mal énervés.
As-tu une idée de ce qui vient de t'arriver ?


- Euh, des espèces de... cordes marines démoniaques ont tenté de m'assassiner ?

- Sois sérieux. C'est du Inner Beast, fit-il en désignant d'une main les tatouages qui constellaient son corps.

L'Inner Beast ou la Technique de la Bête Intérieure était une forme d'art martial dont l'essence consistait à imiter des positions animales. Le monde animal regorgeait d'une multitude de sources d'inspirations aux pratiquants de ce style martial qui pouvait se révéler aussi létal qu'une balle. Loth avait été initié à ce style par Samaël et pour l'instant, il en maîtrisait cinq de ses Animaux. Le Singe, le Serpent, la Grue, la Mante et le Tigre. A chaque fois qu'il avait maîtrisé un Animal, on le lui tatouait sur le corps. Ainsi, on pouvait aisément deviner la puissance d'un pratiquant du Inner Beast rien qu'en voyant son corps dénudé. Si Loth n'arborait pour sa part que les tatouages des cinq animaux qu'il maîtrisait, le corps de Samaël était quant à lui, si constellé d'animaux que sa peau blanche était à peine visible. Certains de ses animaux étaient d'ailleurs tatoués à moitié, signe qu'il était en plein apprentissage ou création de ce style.
Dans sa réflexion, Loth ne se rendit pas immédiatement compte que Samaël ne montrait pas tous les tatouages de son corps en général mais un seul en particulier. La créature était représentée juste en dessous de sa clavicule gauche. Il fallut que Loth remette ses lunettes pour voir que son maitre indexait une...

- Pieuvre ? fit Loth dubitatif.

- Oui. Je vais t'enseigner le Style de la Pieuvre, l'un des plus puissants de ma panoplie... marmonna Samaël qui fut soudain obombré par une silhouette massive.

Avec recul et horreur, Loth comprit qu'il s’agissait en fait de ses cheveux qui avaient décuplés de taille et qui ondulaient dans les airs comme s'ils étaient vivants. Comme autant de tentacules de Pieuvre...
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- Dans certaines parties du monde, cette technique est connue sous le nom de Retour à la Vie.

- Je sais, fit Loth qui parvint à se relever. Je l'ai déjà vue à l’œuvre à Poiscaille. Dans une moindre mesure cela dit... Le gars qui l'utilisait ne m'avait pas bien éclairé sur l'origine de cette technique. Il disait que pour la maitriser, il fallait renaitre.

- Je n'aurais pas mieux dit. Tes parents t'ont donné la vie, mais il nous arrive à tous, qu'à un moment de notre existence, nous renaissions. Et le Retour à la Vie illustre bien ce paradoxe. Pendant le mois qui va suivre, je vais m'évertuer à t'aiguiller sur le chemin de la Pieuvre.


Première semaine

Il était vingt heures passées cette première journée d'entrainement quand le Binoclard se liquéfia de fatigue sur le sol. Couché dans les branches d'un teck, Samaël l'observait avec curiosité.
L'entrainement au Style de la Pieuvre n'avait rien à voir avec ses entrainements de jadis. Quand il fallut maîtriser le Tigre, l'ermite l'avait jeté dans un gouffre pour qu'il puisse remontrer à main nues, travaillant ainsi ses phalanges et sa paume, essentielles dans cette imitation. Quand il avait fallu que Loth apprenne la Mante, il passa des mois entiers à casser des briques avec le tranchant de sa main. Quant à la Grue, l'ermite l'avait maintes fois poussé du sommet d'une colline pour qu'il apprenne à se réceptionner. Le Serpent avait exigé qu'il abandonne son mode de locomotion bipède et le tronque contre un mode très... reptilien. Pendant un trimestre entier Loth avait rampé comme une merde, s'attirant les satires de ses camarades Moines.

Toutes ces méthodes d'entraînements, bien que fort douteuses, avaient directement un lien avec l'animal qu'il tentait d'apprivoiser. Pour la Pieuvre, Loth se demandait encore où son maître voulait en venir. Samaël l'avait obligé à s'entrainer au lancer de chaine. Concrètement, Loth, armé d'une longue chaine d'une vingtaine de mètre de long tentait de toucher une boite de conserve à l'autre bout de la cour. C'était plutôt facile avec une cible immobile. Et ce fut à ça qu'il passa sa première journée d'entrainement. Fauchant les cibles une à une, il lançait chaine sur chaine dans des positions improbables. Il la tournoyait, lançait, touchait sa cible, puis recommençait. Inlassablement, sous un soleil printanier.
Le lendemain à l'aube, Samaël troqua la chaine contre une corde et la cible immobile contre un singe d'une habileté extrême. Ce ne fut plus aussi facile. Au bout de ce qui lui parut comme le cinq-millième essai, Loth parvint à un résultat probant en touchant le simien. A la fin de cette seconde journée, il s'écroula comme un mollusque et dormit à même le sol, à la belle étoile.

- C'est un entrainement pour devenir le cowboy de l'année ? plaisanta-t-il le troisième jour quand son maître l'arma encore de la corde.

- Non mais après ça, tu pourras gagner de tels concours. Toute cette semaine, tu ne vas faire que ça. Lancer, toujours lancer. Il faut que tu habitues ton corps à cet acte. De la même manière qu'elle peut s’imprégner de ton Wakizashi quand tu l'utilises, il faut que la corde devienne le prolongement de ton corps. Visualise ça ainsi. Quand tu lances cette corde, c'est une partie de toi que tu lances. Quand tu lances cette corde, c'est toi entier, que tu lances. Quand tu touches la cible, ce n'est plus la corde mais ta main qui la touche. Sens la corde. Vis la corde. Loth, deviens cette corde !

Il fut cette corde. Enfin, à peu près...
Jour après jour, pendant cette semaine, il ne fit que ça. Déjà, il était de la tribu des Long-bras et il lui était incongru de penser que ses membres s'étiraient plus que ça. Mais lorsque les obscures paroles de Samaël rythmaient ses entrainements, il se sentit de plus en plus, d'heure en heure, maître de cette corde. Il lui faisait faire tout ce qu'il désirait, il touchait des cibles situées dans ses angles morts... Cette corde et cette chaine, il les manipula simultanément, les tissant en tresse s'il le désirait, les unissant pour impacter plus durement sur la cible.  

- Vingt heures d'entrainement par jour. Nous en sommes au sixième jour. Tu es prêt pour la seconde semaine.


Seconde semaine

- Cette semaine, tu vas la passer au lit, dit-il en déposant deux bouteilles aux contenues rosées et violacées sur la table basse autour de laquelle ils dinaient ce dimanche-là.

- Au lit ? Qu'il y a-t-il dans ces bouteilles ?

- Du poison. Un inhibiteur sensoriel et un hallucinogène. Je vais t'empoisonner.

- Euh, charmant. Pourquoi faire ?

- L'inhibiteur aura pour effet de t'immobiliser. Tu seras paralysé, tes jambes et tes bras en répondront plus. Cet hallucinogène est en fait un neuro-stimulateur. Pris dans un environnement sain, il favorise la créativité.

- Je serai immobilisé et ferai des trips. En quoi ça m'aidera à maitriser ce Style ?

- Pour te découvrir un sens nouveaux, il te faut t'affranchir de ceux que tu as toujours connu. C'est aussi simple que ça. Sans tes bras et tes jambes, tu pousseras ton organisme à chercher un nouveau soutien. Et c'est là que tu renaitras.

- D'accord... Ça se tient. Mais l'hallucinogène là-dedans ?

- Quand tu seras paralysé par le poison, je me servirai de la corde pour te saucissonner. Intégralement, comme une momie. Tu sentiras la texture de la corde sur toi, tu ne feras qu'un avec cette corde. Quand tu ingurgiteras le neuro-stimulateur, ne pense à rien d'autre qu'à cette corde. Revis tout ce que tu as vécu cette semaine écoulée, pense à la symbiose entre la corde et toi. Inlassablement, manipule la dans ton délire et ensuite, matérialise la.  

- Pardon ?

- Matérialise-la, Loth ! Sois cette corde, exprime le désir qu'elle fasse partie de toi. Exprime la foi de transformer tes membres en cette corde. Visualise un singe et capture le avec tes membres métamorphosés !

- Ça l'air bien fumeux tout ça, Maitre...
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Le froid pénétrait par tous les pores de sa peau. Recroquevillé en position fœtale, il geignait et grelotait. Depuis combien de temps cela durait-il ? Il ne saurait l'affirmer. Des mois, des années. Toute notion du temps lui avait échappé. Quelque part au loin, il entendait le "toc toc" régulier d'une fontaine qui gouttait. L'odeur, quant à elle, était la même depuis toujours. Un mélange de vieux excréments humains, de carcasses de rats en décomposition et de paille.
Doucement, il se releva du sol granitique de la cave qui était devenue sa maison depuis si longtemps. Il faisait sombre. Quelque chose tinta dans l'obscurité et lui rappela les chaines qui menottaient son pied droit.

- Hey ! Loth ! murmura une voix dans l'obscurité. T'es prêt ?

- Je n'ai jamais été aussi prêt. Allons-y !

De sa main chétive, il tâta les menottes à ses pieds. Il cracha dans sa paume une espèce d'aiguille qu'il tenait cachée sous sa langue. Un clic, un clac, et il fut libre. Lestement, Loth se redressa mais s'avachit aussitôt comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Il était si maigre et si léger que sa chute ne fit presque aucun bruit. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé ? Il l'ignorait. Il flottait dans le haillon qui lui tenait lieu de chemise. Sa peau devenue tannée était si scotchée à ses os qu'il avait plus de points communs avec un squelette qu'un humain. Ses joues étaient creuses et cireuses, son crane presque dégarni à cause de la chute prématurée de ses mèches. Loth avait tous les symptômes d'un malade du Kwashiorkor. Et pourtant, peu de personnes sur la terre étaient aussi alertes et vives qu'il l'était en ce moment. Il en était convaincu.

Une telle chance n'allait peut-être jamais se représenter, alors se releva-t-il avec toute la force de l'espoir. Dans les ténèbres, son acolyte le rejoignit et ensemble, ils longèrent les murs bruts de la cave. "Cave" était peut-être un abus de langage. Ils étaient détenus dans une espèce de tunnel souterrain dont l'ouverture était ornée d'une porte grillagée flanquée de deux matons. La porte, ils avaient de quoi l'ouvrir, le problème, restait les matons. Mais ils avaient un plan.

Se rapprochant furtivement de l'entrée, ils se tassèrent dans des cavités naturelles que comportaient la paroi et jetèrent un œil sur leur objectif. L'extérieur. Depuis combien de temps... Le soleil brillait, les oiseaux piaillaient, et au loin, on entendait les vagues qui mourraient sur la côte. Les vagues... la mer... la liberté... Bon sang qu'il n'avait jamais été aussi prêt de l'avoir !
De biais, il jeta un œil complice à son camarade qui acquiesça silencieusement du chef. Loth s'empara alors d'un caillou qu'il jeta contre la grille. Dehors, les matous veillaient, face à la mer, dos à la grille.

- Yo, t'as entendu ?

- C'quoi c'cailloux ?

- Quelqu'un l'a jeté ? C'est ces sales gamins ?

- Sois pas ridicule, ils sont enchainés. La grotte s'effrite souvent.

- C'cailloux est v'nu horizontalement, j'te dis. Pas tombé du plafond. J'vais voir.

- Si tu n'as rien d'mieux à faire.

Il ouvrit la porte à grand bruit et se glissa à l’intérieur. Allumant une puissante torche, il ramassa le caillou, l'inspecta avec suspicion puis progressa vers les entrailles de tunnel. Dehors, son camarade sifflotait un air joyeux. Loth et son pote se tassèrent dans leur cavité en exprimant le désir de se fondre dans la roche. Le garde les dépassa sans les voir. Il bifurqua à l'angle et ce fut le départ pour le sprint de leur vie. Ils émergèrent de leur alvéole et coururent si vite qu'ils eurent l'impression de s'envoler. Ils fondirent sur la porte entrouverte au moment où, frappé d'horreur, le maton restant se retournait vers eux en se levant. Les bras tendus, ils poussèrent la grille de toute la force que leur conférait leur malnutrition. Elle s'ouvrit à la volée et faucha le garde dans le même mouvement.

Hurlement de triomphe ! Loth enjamba sa carcasse et courut, encore et encore, hilare. Bientôt la liberté !

Il sortit de l'ombre de la montagne dans laquelle ils étaient retenus. Et soudain l'horreur. Après tout ce temps passé à l'ombre, la lumière était abominable, acide, crue, douloureuse, incisive. Les bras en visière, il continua sa progression vaille que vaille. Puis il entendit un cri déchirant comme un rideau qui tombait. Épouvanté, il dérapa sur le sol sablonneux. Du sable... depuis combien de temps, n'en avait-il pas foulé ?

- Pas un seul geste d'plus gamin, où j'trucide ton pote ! Et on verra à quel point son sang impur est dégueulasse ! lança le maton. Il tenait l'acolyte de Loth par les chevilles et le suspendait tête en bas.

- Ne l'écoute pas ! Vas-y ! s'époumona ce dernier. La liberté ou la mort, tu t'en souviens ?! Va-t’en !

Le maton le précipita sur le sol. Il s'écrasa avec un bruit mat, écœurant, et se tut aussitôt. Dans les vapes, le front ouvert. Sous les yeux médusés et les jambes flageolantes de Loth, le gardien dégaina le katana à sa ceinture, l'agrippa à deux mains, le souleva bien au-dessus de sa tête dans une intention manifeste de l'embrocher.

- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! ARRÊTE FUMIER !

- Loth ! Loth ! Réveille-toi !  

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Clap ! Clap !
Gifle sur gifle, il se réveilla en sursaut, tremblant de tout son corps, trempé de sueur. Sa tête entre ses mains, il se répéta inlassablement "un cauchemar, c'est juste un cauchemar". Mais cela ne semblait pas l'aider à aller mieux. Samaël se hâta en cuisine et lui ramena une tisane chaude.

- Avale ça, vite. D'une traite, ça t'aidera à éliminer les toxines de ton corps.

Le regard de son maître était inquiet, preuve que les choses ne s'étaient pas déroulées comme il l'avait prévu. Que disait-il déjà quand il parlait de l'empoisonner ? "Un neuro-stimulateur qui t'aidera à mieux visualiser la corde..."
Putain de corde ! jura intérieurement le Moine Hérétique en reprenant peu à peu ses esprits. Son regard accusateur à son maître était lourd de sens et ce dernier le prit pour ce qu'il était.

- Je ne pensais pas que tu ferais un bad trip...  

- Vous ne pensiez pas ? répliqua-t-il d'une voix trop calme à son goût. Il aurait voulu hurler, se jeter sur Samaël, le rouer de coups.

- Désolé, j'aurais dû savoir. Les pires moments de ta vie... je ne pensais pas qu'ils ressortiraient dans ce cadre si... sain. Que s'est-il passé ? Qui est Énoch ? Tu n'as pas cessé de hurler son nom ?  

- Personne et je n'ai pas envie d'en parler, répondit-il en se levant de sa couchette. Samaël l'y repoussa d'une simple tape sur la poitrine. Pour la première fois, il semblait sérieusement préoccupé.

- Je ne prends pas cet entrainement à la légère et tu ne devrais pas. Si tu as fait ce bad trip, c'est parce qu'il y a une raison. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça, mais c'est arrivé parce que tu as un blocage. Je te l'ai dit, pour maîtriser le Style de la Pieuvre, le Retour à la Vie, tu dois renaitre. Mais là, a priori, il y a un évènement dans ton passé que tu n'arrives pas à oublier, pas à te pardonner. Tu dois faire face et non fuir ton passé.
C'est ton catalyseur !
 

- Pardon ?

- Je reprends. Tu dois renaitre Loth. Et pour renaître, il te faut une raison, il te faut un catalyseur. Le mien, c'est liberté. Je suis un nuage libre de toute attache, je me déplace au gré des vents. Je suis libre ! fit-il, les paumes ouvertes, les mains écartées. Ses cheveux décuplaient de volumes à chaque mot. Tu vois ? La rage, la faim, la joie, le plaisir, chacun a son catalyseur dépendamment de sa constitution, de son histoire et de son état psychologique. Ton passé est marqué par tes longues années en tant qu'esclave. Et apparemment, un élément particulier y attenant pose un blocage. Ton catalyseur se trouve dans ton passé et c'est le Remord !

- Le remord ?

- Tu te blâmes pour quelque chose, pour ce qui est arrivé à Énoch. Et tu ne pourras pas t'éveiller tant que tu n'auras pas maitrisé ce remord et l'aura transformé en un élément positif.  

- Comment c'est possible ? Qu'est-ce que je peux tirer de positif dans ça ? demanda-t-il avec hâte. Vous ne savez pas... Il a été... Sous mes yeux...

- Alors, sauve-le ! Contrôle et change le scénario !  N'est-ce pas ce que tu sais faire de mieux ? N’est-ce pas ce que tu as fait à Boréa quand tu as fait croire à tout le pays que tu étais mort ?  

- Là nous parlons de passé...

- Et dans ces deux fioles, fit-il en montrant les poisons, se trouvent les élixirs qui te donnent aujourd'hui la chance de t'affranchir du remord en vainquant ce passé. Avec ces concoctions, tu vas revivre cette journée et sauver ton camarade. Et seulement, tu pourras t'éveiller !  

- Vous parlez d'hallucination là, maitre !

- Moi j'appelle ça, l'illusion de la réalité.  
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- Vous aviez quel âge à l'époque ?

- Moi douze. Lui treize. C'était en 1609, j'ai pu situer la date après ma libération. Il s'appelait Énoch. Et de tous ceux ayant été détenus dans ce maudit lieu avec moi, il fut le seul à tenir plus d'un an. Forcément, ça a créé des liens.

- J'imagine bien. Un long-bras aussi ?

- Non, c'était un membre de la tribu des Longues-jambes. Son père était un juge itinérant, venu de Grand Line pour présider le jugement d'un roi accusé de massacre à grande échelle. C'est à cette occasion qu'il l'avait accompagné parce qu'il désirait voir de quoi les Blues avaient l'air. Le bateau-tribunal de son père fut attaqué par des milices fidèles au roi incarcéré. Son père tué, lui-même capturé puis vendu au Conclave. C'est comme cela qu'il s'est retrouvé avec moi dans cette cave.

- Venu de Grand Line pour se faire prisonnier sur les Blues ? C'est ironique...

- Le destin a un étrange sens de l'humour.

- Donc...

Donc il est mort, oui, fit-il d'une traite comme si le dire plus rapidement allait alléger cette peine recluse et scellée au plus profond de lui depuis si longtemps. Ce n'est pas tant le remord comme vous le dites. C'est plutôt le syndrome du Survivant. Je n'ai rien à me reprocher dans sa mort, nous avions établi ce plan tous les deux, en avons parlé pendant des mois avant de le mettre à exécution. Si je suis coupable de quelque chose, c'est d'avoir survécu et surtout d'avoir été assez bête pour m'arrêter quand il a été capturé. Je savais que je ne pouvais rien pour lui, que je n'avais aucune chance contre ce garde et pourtant, je me suis jeté à fond pour l'empêcher de l'embrocher. Sans succès.

- Hmmm. Ce qui t'as le plus protégé durant ces années noires, c'est sûrement ton esprit très carré. D'autres que toi seraient dévastés et s'en seraient voulus. C'est pourquoi j'ai parlé de remords. Mais la donne reste la même. Tu dois y retourner. C'est absolument nécessaire. Mais cette fois-ci, ce sera différent. Le paralysant musculaire sera administré à très faible dose, idem pour l'hallucinogène. Tu feras une sorte de rêve éveillé. Tu seras à la fois ici et là-bas. Je te parlerai, tu entendras ma voix comme un lointain écho.

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Cette semaine-là fut la plus éprouvante de toute sa vie. Alternée entre rêve et réalité. Outre ces voyages saumâtres sur le plan psychologique, son corps commençait à lâcher. Et dès le début, il avait été prévenu qu'il y avait une dose maximale de toxine que son corps pouvait tolérer dans un certain laps de temps sans laisser de graves séquelles.

Le premier "voyage" après son bad trip fut exactement semblable au bad trip en question, sauf que cette fois-ci, il était conscient qu'il revivait un scénario prévu d'avantage. Cet état de semi-conscience, de semi-rêve, être au fait que vous étiez "là-bas" et "ici", était ineffable. Immédiatement après avoir ingéré les concoctions, il se retrouva recroquevillé sur le sol humide de la grotte. Il se voyait, autant dans son enveloppe charnel qu'en dehors. Il connaissait le scénario et si le but était d'empêcher la mort d'Énoch autant y aller par le chemin le plus court, s'était-il dit.  

- Hey ! Loth ! murmura une voix dans l'obscurité. T'es prêt ?

- Non, je ne le suis pas. D'ailleurs j'ai perdu mon aiguille. Je ne pense pas que ça va se faire.

- Quoi ? Pas de problème, j'ai la mienne.

Clic, clac. Il se libéra puis évolua à quatre pattes vers Loth qu'il délivra de ses menottes.

- Allez, on y va ! Hey, qu'est-ce que tu fous ? s'alarma-t-il en voyant Loth empoigner son bras.

- N'y va pas. Tu vas mourir ! fit-il cash.

- Quoi tu délires ? T'as la fièvre ?

- Enlève cette main de mon front ! Je te dis que cette scène n'est pas réelle. Mais tu vas mourir, je l'ai déjà vécu !

- Donc si c'est pas réel, pourquoi tu crains que j'y meurs ? Et puis, trêve de blabla, tu nous fais perdre du temps. C'est le moment où ils s'en vont déjeuner, ils ne seront que deux gardes là-bas. C'est le moment où jamais. On n'a attendu ça pendant un an ! Avoir une chance de chiper ces aiguilles à Miss Tressilian, attendre le bon moment ! Tu ne veux plus voguer les océans ? Apprendre des trucs ? Résoudre des crimes ? Commercer des antiquités ?

- Je sais. Ce sont mes rêves.

- Bah, on dirait que tu les as oubliés ! Moi, je préfère mourir que de rester une minute de plus ici. J'aime mes propres rêves et si tu t'es dégonflé, alors, reste ici, moi je me casse !

Silencieux comme une ombre, il laissa Loth en plan et se dirigea vers la sortie du tunnel. Malgré lui, Loth le suivit et l'action se répéta telle quelle. Le maton repéra le caillou, il s'aventura plus en profondeur, les enfants se ruèrent sur la grille qu'ils ouvrirent sèchement en renversant l'autre garde au passage. Mais cette fois-ci, Loth ralentit la cadence, il voulait voir ce qui lui avait échappé la dernière fois. Où s'était glissée l'erreur.

Quand, rempli d'une hystérie folle, il enjamba d'une traite le corps renversé du maton, Énoch voulut faire de même. A ce moment, le garde leva sa main de la taille d'un couvercle de poubelle et le faucha au talon. Le gamin s'écrasa sur le sol alors que Loth avait déjà mis une trentaine mètres entre eux. La suite était écrite d'avance. Mais cette fois ci, il se précipita sur le garde avec la ferme intention de libérer son pote. Son petit point étique et noueux fendit l'air avec rage et toucha son colosse et bien nourri adversaire au ventre, sur une partie particulièrement généreuse en graisse. Saignant du front et de mauvaise humeur à cause de la grille qu'il s'était pris plutôt, le garde ne goûta pas à la plaisanterie. Un revers de sa main expédia Loth dans le sable.

Cette rage... ce sentiment d'impuissance atteignit son paroxysme. Il était là-bas et en même temps, sur l'île du karaté, allongé dans ce sofa... Il ragea de cette humiliation. Que quelqu'un transporte ce garde dans son présent, en 1626, et qu'en charpie, il le mette sans demander son reste ! Pourquoi était-il misérablement affalé sur ce sable ? Pourquoi était-il si famélique, si faible, si... gamin ?
Le pire se reproduisit encore une fois. Énoch embroché. Et de rage, il vociféra dans la réalité.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ? C'est juste un rêve ! Ça ne devrait pas...

- Le scénario s'entretient de lui-même. Et quoique tu essaies, Énoch tentera de s'enfuir. Si tu veux le sauver, il faut éliminer ce garde.  

- Mais... Je ne peux pas. J'en étais physiquement incapable à cette époque.

- C'est pour cela qu'il te faut un pouvoir que tu n'avais pas. Un pouvoir qui ne requiert pas ta force physique amoindrie par la malnutrition. Tout ce dont tu as besoin, c'est de la Pieuvre. Elle sera nourrie pas ton le désir que vous surviviez tous les deux. Penses-y Loth. Vous deux, libres, tous les deux...

Survivants !
"Nous devons vivre, nous devons survivre !".
Au fil des interminables répétitions de ce scénario en boucle, Loth ne cessa de renouveler ce vœu. Il devait puiser dans son envie de vivre pour soustraire son camarade de la barbarie de se garde. Et il échoua. Encore, et encore. Il ne saurait compter le nombre de fois qu'il s'était réveillé en sursaut, tremblant de tous ses membres. Combien de fois y était-il retourné ? Combien de jours avaient passé depuis la première fois qu'il avait ingurgitée ces saloperies depuis la première fois ? Plus il en consommait, plus il se sentait faible physiquement et miné moralement. Un jour, puis deux, puis trois, puis quatre. Pour un résultat identique malgré le scénario qui changeait légèrement à chaque fois.

Loth tenta tout. Balancer un autre caillou plus gros à la tête du maton, le déséquilibrer par les chevilles, lui voler son katana quand la grille le fauchait et s'en servir pour l'empaler... Échec que tout cela.

- Tu ne peux pas l'atteindre, Loth ! Pas physiquement ! claironna en écho la voix lointaine de Samaël.

Loth était encore à terre, ayant auparavant voulu faire chuter le colosse. L’ennemi était debout, ses mains sur son katana, prêt à transpercer Énoch. Et une fois de plus, Loth regardait cette horrible scène se dérouler. Sauf que cette fois-ci, il y avait quelque chose de différent. Le temps semblait s'écouler moins vite, la voix de son maître en filigrane lui donnait une sorte de courage indicible, une chaleur réconfortante au creux de son cœur.
Il n'était pas seul.

- Tu ne peux pas l'atteindre, Loth ! Il va l'embrocher, fais quelque chose !

- Mais quoi ? pensa-t-il.

- Que penses-tu qu'il te faudrait là, pour le soustraire à cette épée ? Tu es à six mètres de lui, incapable de courir, faible ! Que te faut-il ?

- Un... Une... Un grappin ! Une chaine ! Une corde !

- Et c'est pour ça que tu n'as pas appris à la manipuler pour rien ! Ressens en toi le pouvoir de la corde. Exprime le désir de la matérialiser. La corde est ton moteur et l'envie de vivre, son carburant. Laisse-toi consumer Loth ! Brûle de désir de vivre !

Avait-il beuglé à mort ? Était-il resté calme et inexpressif comme toujours ? Loth n'en sut rien. Tout ce qu'il savait c'était qu'il vivait un moment comme il n’en avait jamais vécu. Presque paralysé par la malnutrition et la faiblesse musculaire, il brûlait littéralement d’envie de vivre. Un an de capture, un an de sévices, une longue année de torture et d'humiliation pour la seule raison qu'il était différent. Qu’il était un Long-bras. Toute cette haine, tout ce vécu, en l'espace d'un instant se mua en un désir irrépressible de s'en aller, de s'échapper de cette enfer. Pas seul, mais avec celui qu'il considérait comme son frère. Celui sans lequel son séjour dans cette cave aurait pu être plus insupportable. Il devait le sauver !
Pouvoir de l'amour ?
Non.
Pouvoir de la vie.
Pouvoir des rêves.
Ils avaient des rêves à réaliser, un monde infini devant eux...

- VIS !

Ce mot s'échappa de ses lèvres. Ses mains tendues en avant, il pensa à cette chaine et à cette corde qu'il avait tant manipulé qu'elles faisaient parties de lui à présent. Il exprima le désir de les matérialiser et qu'elles viennent au secours de ce frère d'infortune.

- Une corde, une chaine, n'importe quoi de filin ! IL VEUT VIVRE PUTAIN !

Il ne souvint pas s'être jamais autant concentré de sa vie. Il ne souvint pas avoir jamais monopolisé les cent pour cent -et au-delà- de sa concentration dans un seul dessein. Le dessein de vivre.
La vie, Énoch, la liberté, la vie, la corde, la chaine, la vie, la vie, la vie, LA PIEUVRE !
La vie et la corde en un seul élément. LA PIEUVRE !
Il se laissa posséder et irradia d'une fureur animale. L'essence même de l'Inner Beast. Loth était parti, ne subsistait que la Pieuvre. Et la Pieuvre n'avait pas besoin de corde. La Pieuvre avait ses tentacules. Il formula le désir d'étendre un tentacule. Tout ce dont il avait besoin, c'était d'un tentacule !
Alors, aussi aisément qu'un humain normal déplacerait son bras ou sa jambe, ses cheveux se transformèrent en long un appendice qui serpenta en vitesse, s'enroula autour du frêle corps de son camarade et le souleva dans les airs.

C'était une étrange sensation que celle d'avoir un membre supplémentaire. C'était comme découvrir une nouvelle partie de soi qui nous avait été cachée depuis la naissance. Une sensation indescriptible en somme et pourtant si familière ! La même que d'avoir une jambe pour marcher, un nez pour respirer.
La lame du garde se figea dans le sol, à l'endroit où habituellement se trouvait le corps d'Énoch. Loth hurla de triomphe mais juste après, une volée de flèches cribla la carcasse maigrichonne de son ami toujours ceint par son tentacule capillaire.

- Nooooooooon !

- C'est bon, c'est bon ! Retour à la réalité ! fit son maître en lui administrant des claques puis les produits qui annihilaient les effets des poisons.
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La seconde semaine d'entrainement prenait fin. Depuis la dernière fois que Loth s'était "éveillé" à la Pieuvre, il était retourné dans son monde semi-conscient trois fois. Maintenant qu'il avait goûté à son catalyseur, malgré qu'il pût feindre et brûler de cette rage de vivre qui lui donnait accès à la Pieuvre, il ne parvint jamais à sauver son camarade. Le scénario s'entretenait perpétuellement et Énoch mourrait toujours, d'une manière ou d'une autre.

Samaël arrêta l'entrainement en jugeant le niveau d'éveil suffisant. Pour Loth, ce fut le départ pour un long processus d’auto-guérison. Son corps avait assimilé beaucoup de toxines à répétition en très peu de temps. Du temps. Voilà ce qu'il lui fallait pour se rétablir. Physiquement parlant.
Moralement, c'était une autre histoire qu'aucun antidote ne pouvait guérir. Vivre inlassablement la mort de l'être qui vous avait été le plus cher à un moment donné de votre vie ne se faisait pas sans mal. Même pour un être aussi apathique que Loth.

La semaine qui suivit la fin de l'entrainement aux hallucinogènes, il resta seul. Passant le plus clair de son temps dans une source thermale médicinale des vœux de Samaël. Des espèces de geishas venaient régulièrement verser telle ou telle essence végétale dans l'eau à bonne température. Essences qui aidaient le corps de Loth à éliminer ce qui restait de poison et à se rétablir.
Son maître quant à lui avait disparu. Et Loth ne prit pas la peine de demander où il était passé. Il en avait l'habitude depuis le temps maintenant.

Depuis son retour à la réalité, il avait bien sûr essayé de reproduire ce qu'il avait réalisé de l'autre côté du rideau. Malheureusement, l'incandescent désir de vivre qui avait été le sien durant ses hallucinations semblait l'avoir mystérieusement abandonné. L'éveil était acquis et il arriva à augmenter de peu son volume capillaire mais rien à voir avec les tentacules qu'il avait généré au plus fort de sa concentration. Depuis son retour, il était incapable d'irradier d'envie de vivre. Son morale était miné par les morts à répétition du jeune Longue-jambe. Puis une chose en entrainant une autre, il se mit à imaginer Énoch en 1626. De quoi aurait-il eu l'air ? Que ferait-il ? Où serait-il ?

Se laissant complaire dans ce désespoir morbide, la partie carrée et rationnelle de lui -son vrai "lui"- irradia d'une envie immense de se détacher, de se scinder, de se matérialiser et de baffer à mort la vieille carcasse complaisante qui n'était plus que l'ombre de ce qu'avait été Loth.
Ashura ? Boréa ? La criminalité ? Les énigmes ?
Tout ça lui paraissait fade à présent. Sans intérêt aucun.

- Pathétique ! murmura-t-il un jour, immergé dans un bain thermal.

C'était misérable et pathétique. Et cette remarque sur son état actuel le remit un peu d'aplomb. Tout ce qui lui semblait fade était pourtant ce qui lui avait permis de garder un esprit sain malgré cinq longues années d'esclavages et de brimades. S'il n'avait jamais perdu l'esprit, c'était parce qu'il savait qu'au-delà de ces murs l'attendaient de formidables aventures. Il savait qu'il sortirait un jour. Plus qu'un espoir, c'était une conviction, une sorte d'implacable résultat mathématique. C'était écrit, il sortirait un jour et ferait de grandes choses. Bonnes ou mauvaises. Peu importait mais le monde entendrait parler de lui.

Que dirait Enoch s'il le voyait là ? Allongé de toute sa charpente dans ce bain à dépérir pour un môme mort il y a dix-sept ans ?

- Looser !

Son cerveau "matérialisa" cette réponse d'outre-tombe qui arracha un sourire à Loth. Un sourire qui n'avait pas maculé son visage depuis longtemps. D'ailleurs, les muscles de son visage se raidirent comme s'ils n'étaient plus habitués à ce moment. Quand il sortit du bain, il était résolument tourné vers l'avenir.

Le passé appartenait aux fantômes.

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- Oh tiens, tu as bonne mine ! Et moi qui pensais revenir trouver une vieille peau décrépie se lamentant à mort !

- Seriez-vous revenu vendredi que vous auriez été satisfait de votre présage, maître.

- Nous sommes lundi. Mince !

- Où étiez-vous parti ?

- Bah en fait... Je ne sais pas... Je me suis couché sur cette feuille de bananier pour faire un somme sur la plage et je crois que j'ai été emporté par la marée. Me suis retrouvé sur une île que je connaissais pas.

- ...

- Sans dec', j't'assure ! Il m'en arrive des choses. Hahaha !

- Si vous le dites...

- Mais je vois que tu as fait d'énormes progrès.

Ils étaient sur la plage à un endroit du littoral recouvert de grès. Des protubérances rocheuses semblables à des stalagmites avaient poussé un peu partout. Leurs sommets avaient été polis, aplatis par les innombrables générations de pratiquants martiaux qui s'étaient succédées en ces lieux et qui, comme Loth, avait trouvé en ces pics rocheux, une excellente place pour méditer.
Face à la mer, bercé par ses remous et le chant des oiseaux, on s'en retrouvait les sens littéralement ouvert, prêt à embrasser le monde.
Loth avait expérimenté ce phénomène et depuis qu'il avait cessé de se morfondre sur son sordide passé, il trouvait qu'il lui était plus facile de générer l'envie de vivre qui constituait désormais le moteur à l'activation de la Pieuvre. L'envie de vivre comme catalyseur à une technique appelée Retour à la Vie. C'était satirique voir redondant. Le remord, c'était plus cool comme activateur, se dit-il. Mais encore heureux qu'il ne se complût plus dans le passé.

Du coup, il avait réussi. Son envie de vivre, il pouvait le générer aussi bien en passant sans regret à son passé qu'à son avenir. Un futur où il ambitionnait d'être un Baron de la pègre mondiale. Se tailler la part du lion chez les félins. Voyager, découvrir le monde, résoudre ses mystères. Toute cette joie, tout ce plaisir en attente constituaient désormais son envie de vivre. Et pour démontrer cette envie à son maître...

- Bérénice, fit-il, les bras écartés et levées, les paumes orientées vers le ciel.

Il bouillit d'une joie intense de subsister, puisa dans ce carburant et vivifia ses cheveux. Ondulants comme autant de serpents, ils prirent vie, augmentèrent de volumes en l'obombra. C'était jouissif comme sentiment de discerner la vie dans la moindre parcelle de son corps. De la contrôler.
Aussitôt qu'il pensa à saisir son maître avec ses nouveaux appendices, ils fusèrent sur lui et le saucissonnèrent. Il désira le soulever et Samaël fut arraché de terre.

- Oh pas mal, pas mal du tout !

- L'effort est sensiblement le même que celui que j'aurais déployé pour vous soulever à la force des bras.

- Bah ouais. Tu pensais que c'était de la télépathie ou quoi ? Malgré tout, on peut utiliser ce pouvoir autrement.

- Ah bon ?

- Comme ça !

Le tronc supérieur du corps de Samaël se mit alors à gonfler, gagnant en masse musculaire à vue d’œil. Aisément, il se débarrassa de l'entrave de Loth puis un autre coup dans le vide et il réduit en miette le rocher sur lequel méditait son élève. Ce dernier fut soufflé par inattendue implosion de son support.

- Ça c'est deux techniques différentes hein, va pas croire. La Pieuvre te donne non seulement le pouvoir de jouer avec tes mèches mais aussi d'accroitre considérablement ta force physique. Mais c'est quelque chose que je ne peux pas t'enseigner et que tu devras rechercher pas toi-même, commenta-t-il indifférent que son élève eût mordu le grès. J'ai même vu des gens utiliser cette technique pour changer la couleur de leur cheveux, se faire pousser des barbes, se déguiser.
Pourquoi tu l'as appelé "Bérénice", au fait ?


- Merci, je vais bien. Vous avez juste failli m’écrabouiller avec votre onde de choc... maugréa-t-il en se relevant. Bérénice provient de la "Chevelure de Bérénice", est un astérisme céleste. Une constellation septentrionale qui elle-même tire son nom de la légende de la reine Bérénice II. Pour faire court, un jour, son mari partit à la guerre et elle fut si inquiète pour lui qu'elle supplia les dieux de le ramener et qu'une échange, elle leur ferait don de sa chevelure réputée la plus belle de la terre. Son mari revint et elle tint sa promesse. Les dieux furent tellement enchantés de l'offrande qu'ils l'accrochèrent dans le ciel.

- Toi et tes histoires d'astronomie... Oh merde !

De sa poche arrière s'échappa une feuille qui avait dû en être expulsée à cause de sa masse corporelle qui avait augmentée à cause du Retour à la Vie. Il tenta de la rattraper mais son expression horrifiée titilla tellement Loth qui voulut voir de quoi il s'agissait. En plus le papier ressemblait à une affiche de recherche du Gouvernement. Utilisant ses nouvelles capacités, il s'empara de la feuille avant son maitre grâce à une mèche serpentine.

- Je... Que... C'est une plaisanterie... marmonna-t-il, les jambes flageolantes.

Il chuta sur la plage de grès, les yeux écarquillés et figés sur l'affiche. Énoch Ravencroft... Cavalier de l'Armée Révolutionnaire... Cent millions de Berry de prime... Depuis quand ? Comment ? Où ?
Les questions fleurissaient tellement dans sa tête qu'il ne put en exprimer aucune intelligiblement. Il se contenta de poser un regard interrogatif sur son maître.

- Quand vous avez été libérés du Conclave, nous -les Moines Servites- avons reçu une liste. Tu dois comprendre que le Conclave disposait de plusieurs caches, sur cette même île. En tout cas, j'ai eu cette liste entre les mains et je n'y avais jamais particulièrement fait attention ou même souvenu de ça jusqu'à ton bad trip. "Énoch" n'est pas un nom si commun que ça alors je me suis dit qu'il y avait des chances que ce soit celui que tu as cru mort.

- Il a été empalé par un katana. Au sternum. Sous mes yeux !

- Je sais. Mais je sais aussi que tu as été assommé après. Tu ne sais pas ce qu'il est devenu et ce n'est pas comme si on avait laissé le corps pourrir à côté de toi. Je ne peux que supposer qu'il a bénéficié de soins et qu'il a ensuite été détenu dans une autre cache, loin de toi. Et sans doute t'a-t-il cru mort aussi.

- C'est ça que vous êtes allé faire quand vous avez disparu ? Trouver une affiche de lui ?

- Je te l'ai dit, ce n'est pas un nom courant. Je voulais confirmer ce que j'avais entendu sur une nouvelle figure de la Révolution qui faisait des siennes sur Grand Line. Celui-là est aussi un Longue-Jambe. En fait, je suis allé chercher son affiche parce que je pensais que je te retrouverais encore en train de te morfondre mais tu as surmonté la pente tout seul alors…

- Il est vivant... marmonna Loth qui ne se sentit ni bien, ni mal.

C'était étrange à quel point une fois qu'on obtenait une chose désirée, elle devenait sans intérêt. Il était vivant et avait embrassé la cause de la Révolution. Étrange de par son ascendance et en sachant que c'était la Marine qui les avait libéré du Conclave. Mais il était en vie et c'était ça l'essentiel, se dit le Moine Hérétique.
Avait-il envie de le voir ? De se précipiter sur Grand Line ?
Non, pas du tout.
Tout le monde poursuivait ses rêves et tant mieux s'il vivait les siens, quoique radicalement différents de ce qu'il avait exposé à Loth dans ces caves sombres.

Il froissa l'affiche et la jeta à la mer en souriant. Cette escapade sur l'île du Karaté aura finalement valu la peine.
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