4 avril 1624. En pleine nuit. La pénombre mange le clapotis des vagues venant se cogner contre les roches. Au milieu du capharnaüm de la mer, des premiers arbres de la foret et des étoiles, il y a une torche qui se perd depuis des heures. Ce soir, la lune se cache entre les nuages, les étoiles palissent de fatigue et la noirceur est telle, que même avec sa torche, la vieille dame manque à chaque pas de glisser sur un rocher trop lisse, sur une algue traître. Ici, chaque recoin se transforme en piège pour les pieds, chaque rocher garde caché son arrête la plus coupante qu'une lame de rasoir. Alors la vieille dame prend son temps, lance un juron parfois, repart toujours.
Elle mire ses pieds. Ils pissent le sang à force de faire des choses qui ne sont plus de son âge, à force de ne pas vouloir attendre le levé du jour. Parce qu'elle sait qu'elle ne pourra pas dormir. Elle sait qu'il n'en vaut pas la peine mais elle n'arrivera pas à dormir. C'est comme devenu une folie. Elle ne se sent pas capable de penser à autre chose que ce vieux corps à se faire cogner par les vagues. Ce vieux corps sans vie de ce sale Sergueï. Elle crache une insulte, se tord le dos sous la douleur des heures passées debout et repart. Soudain, elle semble apercevoir une forme inhabituel. Elle scrute un instant l'ombre étrange qui se dessine à quelques mètres d'elle, lance sa torche devant ses yeux pour mieux voir et le trouve là, mort. Elle manque de se cogner le crane contre une roche en courant vers lui, ses pieds frottent contre un récif mais elle ne le sent même pas.
Elle se penche sur ce vieux Sergueï un mélange de colère et de tristesse. Elle lui hurle dessus que ce n'est qu'un con ! Un con ! Les mots ne sortent plus, transformé par des lancers de salive et des postillons et aux postillons laissent bien vite la place aux larmes. Aux larmes de tristesse.
Le vieillard est si froid, si froid que même elle, congelée qu'elle est, elle sent la mort s'échapper de la peau de son vieil amant. Elle lui entoure le cou de ses deux bras, enlève son pull pour recouvrir le corps de Sergueï, comme un geste d'amour d'une mère pour son enfant.
Elle savait pourtant, elle savait que ça finirait forcément comme cela. Les minutes passent. Elle reste à entourer de ses bras le corps de Sergueï. Le froid de l'océan vient lui mordre les cheville à chaque vague mais elle n'en a cure. Ses épaules débarrassées du manteau se laissent gifler par le vent, mais elle s'en fiche. A cet instant elle se fout de tout parce que la vie s'est foutu d'elle.
Une dizaine de torches apparaissent derrière elle. L'une d'elle s'avance, accompagnée d'une voix douce, réconfortante.
-Venez Madame, il fait de trop froid.
Elle se laisse prendre par les bras comme un enfant pendant que les autres torches s'avancent pour prendre le corps de Sergueï.
5 avril 1624. Ici, le froid mange la nuit et le soleil bouffe le jour. Il fait si chaud que même aidée de son chapeau de paille, la vieille dame sûe de tous ses pores. La fraîcheur de la nuit a laissé place à une chaleur moite, immonde. Une odeur d'humidité, de chaleur, de pourriture arrive au nez de la vieille dame. Des larmes sèches coulent le long de ses joues. Des cernes mangent ses yeux rougies par le manque de sommeil. Oh elle n'est pas belle, plus vieillie encore qu'elle ne l'est réellement. Ses mains tremblent et ses lèvres se mordent jusqu'à se faire saigner. Il n'y pas de cimetière ici. Parce que sur cette île les corps se font manger et les restes se transforment en poussière. Alors au creux d'une clairière, un trou a été creusé. Deux planches de bois ont été taillées et assemblées entre elle grâce à un jeux de corde.
Au fond du trou, le corps sans cercueil du vieillard a été mis, sans cercueil parce que les planches de bois sont trop rares et trop longues à façonner. Parce que le temps presse avant que la vieille femme ne doive repartir et qu'à cette heure, elle désobéit déjà à tous les ordres en restant un minute de plus sur cette île. Elle lance son chapeau au fond du trou, en regardant le corps de Sergueï. C'est étrange un corps mort. Ça devient blanc, la peau se transforme en plastique rigide, la mâchoire se décontracte pour donner un air stupide, béat. Il a l'air con, au fond de son trou, le Sergueï. Cette idée lui vient et elle ne peut pas s'empêcher de rire parce qu'elle sait qu'il aurait dit exactement la même chose. Elle rit à ne plus pouvoir s’arrêter. Ses hommes la regardent, plutôt gênés, mais elle continue à rire, à rire de bon cœur d'un fou rire qui ne s’arrête que par les larmes. Et les larmes viennent, forcément. Et les pleurs avec, bruyants, morveux, jusqu'à la faire tomber par terre, jusqu'à cogner le sol en engueulant ce con qui se permet de mourir maintenant !
-T'es qu'un con, T'es qu'un con Sergueï ! T'es qu'un con !
Héhé, oui. « T'es qu'un con, Sergueï » sera la messe de tes funérailles. Plutôt drôle, non ?
Elle mire ses pieds. Ils pissent le sang à force de faire des choses qui ne sont plus de son âge, à force de ne pas vouloir attendre le levé du jour. Parce qu'elle sait qu'elle ne pourra pas dormir. Elle sait qu'il n'en vaut pas la peine mais elle n'arrivera pas à dormir. C'est comme devenu une folie. Elle ne se sent pas capable de penser à autre chose que ce vieux corps à se faire cogner par les vagues. Ce vieux corps sans vie de ce sale Sergueï. Elle crache une insulte, se tord le dos sous la douleur des heures passées debout et repart. Soudain, elle semble apercevoir une forme inhabituel. Elle scrute un instant l'ombre étrange qui se dessine à quelques mètres d'elle, lance sa torche devant ses yeux pour mieux voir et le trouve là, mort. Elle manque de se cogner le crane contre une roche en courant vers lui, ses pieds frottent contre un récif mais elle ne le sent même pas.
Elle se penche sur ce vieux Sergueï un mélange de colère et de tristesse. Elle lui hurle dessus que ce n'est qu'un con ! Un con ! Les mots ne sortent plus, transformé par des lancers de salive et des postillons et aux postillons laissent bien vite la place aux larmes. Aux larmes de tristesse.
Le vieillard est si froid, si froid que même elle, congelée qu'elle est, elle sent la mort s'échapper de la peau de son vieil amant. Elle lui entoure le cou de ses deux bras, enlève son pull pour recouvrir le corps de Sergueï, comme un geste d'amour d'une mère pour son enfant.
Elle savait pourtant, elle savait que ça finirait forcément comme cela. Les minutes passent. Elle reste à entourer de ses bras le corps de Sergueï. Le froid de l'océan vient lui mordre les cheville à chaque vague mais elle n'en a cure. Ses épaules débarrassées du manteau se laissent gifler par le vent, mais elle s'en fiche. A cet instant elle se fout de tout parce que la vie s'est foutu d'elle.
Une dizaine de torches apparaissent derrière elle. L'une d'elle s'avance, accompagnée d'une voix douce, réconfortante.
-Venez Madame, il fait de trop froid.
Elle se laisse prendre par les bras comme un enfant pendant que les autres torches s'avancent pour prendre le corps de Sergueï.
------
5 avril 1624. Ici, le froid mange la nuit et le soleil bouffe le jour. Il fait si chaud que même aidée de son chapeau de paille, la vieille dame sûe de tous ses pores. La fraîcheur de la nuit a laissé place à une chaleur moite, immonde. Une odeur d'humidité, de chaleur, de pourriture arrive au nez de la vieille dame. Des larmes sèches coulent le long de ses joues. Des cernes mangent ses yeux rougies par le manque de sommeil. Oh elle n'est pas belle, plus vieillie encore qu'elle ne l'est réellement. Ses mains tremblent et ses lèvres se mordent jusqu'à se faire saigner. Il n'y pas de cimetière ici. Parce que sur cette île les corps se font manger et les restes se transforment en poussière. Alors au creux d'une clairière, un trou a été creusé. Deux planches de bois ont été taillées et assemblées entre elle grâce à un jeux de corde.
Au fond du trou, le corps sans cercueil du vieillard a été mis, sans cercueil parce que les planches de bois sont trop rares et trop longues à façonner. Parce que le temps presse avant que la vieille femme ne doive repartir et qu'à cette heure, elle désobéit déjà à tous les ordres en restant un minute de plus sur cette île. Elle lance son chapeau au fond du trou, en regardant le corps de Sergueï. C'est étrange un corps mort. Ça devient blanc, la peau se transforme en plastique rigide, la mâchoire se décontracte pour donner un air stupide, béat. Il a l'air con, au fond de son trou, le Sergueï. Cette idée lui vient et elle ne peut pas s'empêcher de rire parce qu'elle sait qu'il aurait dit exactement la même chose. Elle rit à ne plus pouvoir s’arrêter. Ses hommes la regardent, plutôt gênés, mais elle continue à rire, à rire de bon cœur d'un fou rire qui ne s’arrête que par les larmes. Et les larmes viennent, forcément. Et les pleurs avec, bruyants, morveux, jusqu'à la faire tomber par terre, jusqu'à cogner le sol en engueulant ce con qui se permet de mourir maintenant !
-T'es qu'un con, T'es qu'un con Sergueï ! T'es qu'un con !
Héhé, oui. « T'es qu'un con, Sergueï » sera la messe de tes funérailles. Plutôt drôle, non ?
Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Dim 24 Jan 2016 - 20:42, édité 1 fois