- De la pommade ça ? Bordel on dirait du guano...
Ce que l'infirmière lui avait donné sur l'Île du Karaté avait en effet la texture, voire même l'odeur de chiure de mouette. Mais sous ce soleil de plomb, son visage le faisait de toutes manières trop souffrir, et il ne tarda pas à étaler la pommade sur sa sale bobine.
Bien que toujours esquinté, sa tête reprenait apparence humaine. Elle avait reprit son volume normal, et la teinte violacée de sa peau tournait maintenant au bleu.
- Bordel, Aïe, ouh la vache !
C'était le moment délicat où Joe passait la pommade sur son nez. Ce dernier avait été cassé, et le moindre contact suffisait à éveiller des douleurs dont le cafard se passait volontiers. Lorsque les flots n'étaient pas trop agités, il passait la tête par dessus bord afin de tenter d'observer son reflet pour constater les dégâts, mais le forban peinait à voir si il guérissait.
Cela faisait longtemps que les médicaments administrés à l'infirmerie ne faisaient plus effet, et toute sa tête, de la mâchoire à la boite cranienne le faisait souffrir atrocement. Dans ces conditions, un individu lambda savait où il devait se rendre pour se soigner.
- Cap vers Torino !
Mais Joe n'était pas un individu lambda, c'était un pirate doublé d'un enfoiré notoire. Il était de toutes manières compliqué de trouver des bonnes âmes pour soigner un criminel avec une prime sur la tête , aussi, le cafard se résigna à procéder comme il le faisait habituellement en cas de blessure. C'est à dire en se rendant dans une des plus grandes bibliothèques du monde afin de lire. La lecture n'avait évidemment aucun effet curatif, mais cela avait au moins le mérite de le maintenir au calme quelques temps, lui permettant ainsi de recouvrir certaines blessures superficielles. Le coup du poing qu'il avait reçu dans l'arène n'avait heureusement occasionné aucune séquelle définitive, un peu de repos suffisait ; bien que quelques soins demeuraient néanmoins les bienvenus.
Mais puisqu'il n'y avait pas d'hôpital à Torino, le forban ne compta pas là dessus, et se contenterait de quelques bouquins pour le distraire de son agonie en attendant que ça passe.
Enfin, il allait accoster après presque deux jours de voyage, ayant dû faire une détour pour chercher ses dials et son magot. La modeste embarcation qu'il avait subtilisée avait quelques provisions à bord, notamment du rhum et des harengs conservés dans le sel. Il ne lui en fallait pas plus pour faire son bonheur. Déchargeant ses victuailles, il s'étonna d'attirer autant l'attention des bons sauvages qui peuplaient ces terres.
Est-ce que cela venait de son visage ? Son avis de recherche était-il parvenu jusqu'ici ? Si tel avait été le cas, les habitants n'auraient pas été tout sourire.
- C'est vous Joe Bitagu ?
Si l'on connaissait son nom, alors il pouvait être à présent certain que sa prime était affichée dans les environs.
- Biutag petite ! Et pour toi c'est "Monsieur le capitaine Joe Biutag".
S'apprêtant à mettre une claque à la petite fille enrobée qui avait eu le malheur d'égratigner son nom, il préféra stopper net l'élan de sa main quand il s'aperçut qu'il était entouré des indigènes. Faisant mine de se gratter l'épaule avec la main dont il allait se servir pour baffer la gamine, l'un des habitants brandit un avis de recherche pour lui mettre sous le nez.
- Nous savons qui tu es Joe Biuman !
Timidement, Joe tenta de corriger le bougre :
- A vrai dire Monsieur, c'est plutôt Biutag, m'enfin vous pouvez m'appeler Joe hein... haha...
Son petit rire forcé occasionné par la nervosité laissa place à un silence lourd, qui ne fut violé que par la reprise de parole du gros sauvage.
- Te voilà à présent citoyen d'honneur de Torino.