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Terre d'Adieu

Tu l'aimes bien, ce chef de coque. Il a ce côté animal qui te rappelle aux bons souvenirs du Roi Minos. Sa grosse bouille barbue ne peut pas s'empêcher de toujours se pencher vers le bas. Ses gros muscles patauds remplissent à eux seuls la cabine du navire et quand il parle, ce sont toutes les oreilles qui se tournent. Pourtant il parle peu, le bougre. C'est à peine s'il a fait couler sa voix une paire de fois lors des deux jours passés ensemble.

Et puis... Il est méfiant, le bougre. Il t'épie du regard, tu le vois bien. C'est à peine si tu peux bouger de quelques centimètres sans sentir ses yeux se poser sur toi, comme s'il te demandait la raison de ce mouvement. Lui, de mouvement, il n'en fait pas, ou juste pour amener sa main à la bouteille de gnôle et la bouteille à ses lèvres. Deux jours comme ça. Deux longs jours à attendre que le Logue Post daigne fonctionner. Tu as bien essayé de protester, de bouger, de partir dégourdir tes guibolles qui n'ont ps bougé durant trop de mois, mais rien y fait. Le chef a dit, alors les gens obéissent, ou partent.

Tu approches ta gueule du poêle pour y réchauffer tes joues. Tu frottes tes vieilles mains calleuses pour leur redonner vie. Tu mires tes paumes. Elles n'ont pas changées, les rides y sont toujours, et les cales aussi. Tu pourrais même presque croire que de nouvelles sont apparues. Ça te fait marrer. Les autres te mirent étrangement mais t'en as cure. Tu continues à rire comme un âne. Tu sors de la cabine pour te dégourdir un peu. A peine le premier pas fait dehors que les bourrasques de vent viennent te gifler les joues. Tu vois le gamin qui a tenté de te tuer endormi au poste de vigie. Il a les traits blancs et le corps qui tremblotte. Haut qu'il est, au dessus du mat, les bourrasques doivent être encore plus fortes. Encore plus froides. Ta langue siffle un coup pour le réveiller. Il sursaute, un sourire de toutes ses dents à la gueule avant de voir la tienne, de gueule, et que ses lèvres ne redescendent vers le bas.

Non, la relève n'arrive pas. Héhé. 

La coque est accostée au pied d'un recif, si bien qu'il faut passer par un ponton des plus précaires pour arriver sur la terre ferme. Il ne fait pas deux mètres de long, le ponton, et pourtant chaque pas dessus est une horreur pour le cœur. Les pans de bois ne tiennent qu'à l'aide de quelques cordes et il suffit d'une bourrasque un peu dure, d'un coup de vent traître pour remuer l'estomac et les guibolles comme il ne faut pas. Mais une fois l'épreuve passée et tes jambes sur la terre ferme, tu récupères vite tes instincts.

Tu tires un paquet de tabac et une feuille de ta blague. Tes doigts secs glissent sur le papier avant que ton bec ne bloque le fagot. C'est une sale nuit. Le vent est parti d'un coup pour laisser arriver un brouillard qui mange déjà tout. Drôle de lieu que Grand Line. Le nuage blanc est si gros qu'il serait à couper au couteau. Tu ne vois même plus le gamin en haut du mat, ballotté sur sa plate forme de bois. La porte derrière toi s'ouvre pour laisser sortir le bourru de capitaine, obligé de plier les épaules pour passer dehors. Il a une sale gueule, le capitaine, une de celles des des pauvres hommes qui n'ont pas confiance. Ses deux mirettes restent plongées dans le brouillard qui mange tout. A une dizaine de mètres, tes deux globes croient voir une forme se dessiner. Une forme qui avance vers vous. Le capitaine a déjà sorti sa lame. Plus l'ombre s'avance et plus tes lèvres se mettent à faire une grimace qui ressemble à un sourire. Et plus elle avance et plus celle du capitaine grince pour dire comme elle est pas contente. Lorsque l'ombre n'est plus qu'à un mètre, même le capitaine est obligé de lever le trogne pour apercevoir celle de l'inconnu.
Minos.

Héhé.

-Bonjour Vieillard.
-Salut Boss.
-Alors comme ça on se permet de ressusciter sans prévenir son Roi.
-C'est que ça s'est fait si vite, hein.
-Six mois que tu creuses ton trou, que tu tues le sol et fais fuir les bêtes. Il y a plus rapide.
-Ouai, bon hein.

Tu te grattes le crâne.

-C'est pas sympa, ce que vous me faites, là.
-Écoute moi bien, vieillard. Je ne suis pas là que pour toi. Il y a aussi tes amis qui n'ont pas payé la taxe de séjour.

Le géant mire le capitaine qui ne bronche pas.

-J'ai rien pour toi, désolé.
-Je confirme boss. On n'a même presque plus de gnôle.
-Je ne prendrai que le bateau, alors.

Le géant lève le poing et aussitôt une centaine d'hommes sortent du brouillard, armes aux mains et gueules de combat.

-Vraiment, boss. C'est pas chouette, ce que vous faites, là.
-On ne déserte pas de la Légion comme ça, Sergueï.
-Hé, oh, je ne suis pas un foutu déserteur, je suis mort au combat, je vous rappelle !

Tu tires une dernière fois sur ta clope avant de la jeter et de t'avancer vers le géant. T'es à quelques millimètres de son nombril quand tu lèves les globes vers sa trogne.

-Je m'en vais, boss. Et vous aussi.

Tu serais plus grand que tu verrais la colère monter dans les yeux du géant mais au vu de son menton, l'image est moins nette. Alors tu patientes jusqu'au moment où tu mires son poing foncer vers ta gueule. Il te faut tous tes anciens réflexes pour le bloquer dans ta paume à quelques centimètres de ton crâne. Tes muscles craquent sous l'effort, tes joues se déchirent de douleur et tu manques de t'effondrer mais tu fais comme si.

-Vous voulez vraiment jouer à ça, boss ? Vous savez pourtant ce que j'ai mangé. Non ?

Comme seule réponse c'est son autre poing qui écrase ta mâchoire dans le sens inverse pour te faire t’envoler bien haut dans le ciel. 

Il y a deux secondes qui se passent avant que tu n'ouvres ton bec pour commencer à brailler. Ces deux secondes là, ton corps gagne une vitesse que tu ne pensais pas imaginer pour un être humain, une altitude que tu ne savais même pas possible. Durant ces deux secondes, ton cœur pleure et ta bouche braille avant que la vitesse ne diminue et que le sens de course s'inverse. Cette fois c'est la chute. Et une chute de plusieurs centaines de mètres de hauteur, ça fait peur, un peu, mal, surtout.

Pendant ce temps, bien plus bas , à une hauteur où les pieds touchent terre, Minos se frotte le bras amoché par la violence du coup porté. Il grimace d'un mélange de fierté et de douleur en voyant ton corps revenir plus vite encore qu'il n'est parti. Le géant n'a pas pensé, il a oublié de se rappeler que les coups, tu préférés toujours les donner que les prendre. Alors quand ton corps arrive à hauteur du sol et qu'il s'attend à te voir s'écraser comme un crottin de cheval tombé du derrière de l'animal, il ne s'attend pas à recevoir ton poing. Parce que oui, quitte à tomber quelque part ta vieille carcasse à préféré le faire poing en avant et sur la gueule du géant.

Le bruit du choc n'est pas beau. Vraiment. Même l'ours tourne les yeux et grimace d'horreur. Les soldats révolutionnaires se cachent les mirettes de douleur et l'un des deux mousses en tombe par terre.

Quand les regards peuvent enfin se retourner vers la source du rafus, c'est pour te voir écrasé sur le sol à reprendre ton souffle. Allongé tout prêt, Minos fait de même. Il a la trogne qui a doublé de volume. Quant à toi, pas que ton corps soit plus laid qu'à l'habitude, juste que tes guibolles ne veulent plus te lever pour le moment.

-Bon, Monsieur le Roi Minos qui est très sympa mais un tout p'tit peu violent. Pt'être même plus que moi, je crois que t'as compris.

Le géant reste allongé, tentant de reprendre son souffle. Ses poumons montent et descendent son énorme cage thoracique à une vitesse qui ferait frémir tout homme normalement constitué.

-Je vais te tuer. Vieillard.
-T'auras pas le temps, cornu, je t'aurai réglé ton compte avant !
-Viens là !
-Quand tu veux !
-Maintenant !
-D'accord !

Vos deux corps essayent de se lever de quelques centimètres avant de retomber à terre. Pitoyablement.

-Bon, on va peut être attendre...

Les deux camps se font faces quelques minutes, avec vous deux à comater plus que dormir. Et puis après le temps à se demander que faire, le capitaine se décide à t'emmener dans la coque. Il te prend par les épaules et tu as beau brailler, il te claque un coup à chaque gueulade pour te faire taire. Il passe le ponton en te traînant, te balance au fond d'une paillasse sur la coque et t'intime de te reposer.

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Quand tu réussis enfin à te mettre debout, trois jours ont passé. Les cinq hommes du navires sont en plein boulot. Tu sors ta gueule dehors pour les voir amarrer d'énormes caisses enfouies dans les fourrées. Ils les sortent à grand renforts de cris et d'acharnement pour les placer dans des radeaux de survie qu'ils attachent au bateau. Le grand capitaine s'avance vers toi. Ses tempes suintent la transpiration, sa barbe laisse perler quelques gouttes et son front, rougis par l'effort, lui donne un air encore plus animal qu'à l'habitude.

-On part ce soir, et on a besoin d'aide.
-C'est quoi, ces caisses ?
-Ça te regarde pas. Moins tu parles, plus tu bosses.

Le capitaine se retourne déjà à ses affaires, si bien que lorsque tu le coupes, une moue de désapprobation apparaît sur sa gueule.

-Au fait, cap'tain ?
-Quoi ?
-Je crois pas savoir comment tu t'appelles.

Le capitaine hausse les épaules, comme si cette information n'avait aucune importance.

-Yuri Kaplovskayiovk.
-Yuri quoi ?
-Yuri  Kaplovskayiovk.
-Yuri Kapvfor... Kaplov... Ouai, bon, « capt'ain », c'est plus simple.