- Qu’il est agréable de déguster cette bonne bouffée d’air. Kage Berg est une île bien accueillante, chaleureuse, magnifique de part son paysage, puis les villageois sont d’une extrême gentillesse. J’ai pourtant énormément voyagé, mais ils restent les plus aimables que j’ai rencontré, y a pas à dire. Nous sommes nourris et logés dans chacun des villages que nous parcourons, bien sûr par totalement gratuitement, puisque Stanislas trouve le moyen de me vendre en tant qu’homme à tout faire, pendant que ce dernier passe ses journées à fumer la pipe et nettoyer ses armes. Sale enflure. Malgré tout, le travail y est tout aussi plaisant, me permettant de m’entretenir physiquement et de discuter avec les vaches. Il y en a pas mal ici.
Je m’amuse à mesurer ma force face aux vaches, sauf que j’oublie qu’elles sont plutôt balèzes et agressives. Mais franchement, j’passe de bons moments ici. Pourquoi cette île ? Disons qu’on dû fuir la marine pendant un bon bout de temps et qu’après les avoir semés, on s’est arrêté sur la première île qui s’est présentée à nous. Du coup, on y reste le temps de bien récupérer et reprendre des forces, bien que nous soyons plutôt en train de passer du bon temps. Surtout l’autre andouille ! Qu’est-ce qu’il est en train de foutre d’ailleurs ? Il vise avec son fusil mais sans tirer… J’en ai vu des cons, mais lui, c’est la crème des crèmes. Je m’approche lentement de lui avec un air sûr de moi, presque arrogant, puis je m’arrête à une certaine distance pour ne pas trop le déranger.
« - Qu’est-ce tu fou le borgne ? T’as pas l’air con comme ça depuis tout à l’heure…
- Je fais ce que l’on appelle une simulation de tir, mon cher Ragnar.
- Tu simule quoi crétin, y a rien en face de toi !
- Surveille ton langage si tu ne veux pas avoir à retirer une balle qui se logera incessamment sous peu dans ton fion. D’ailleurs, si tu pouvais t’en aller, j’ai besoin de concentration pour réaliser ce genre d’exercices.
- J’pige vraiment pas tes exos d’abrutis. Ce qui ma chagrine davantage, c’est d’avoir à me coltiner un mec comme toi.
- Tu ne comprendras jamais ce genre de choses, ça te dépasse tellement. »
Ça se finit toujours de cette manière. Systématiquement. Je passe pour le gros débile et lui le génie. En soit, c’est plus ou moins réellement le cas, mais j’pense être aussi débile, si ? Enfin bref, c’est pas ce qui m’importe le plus pour le moment, j’ai besoin de me laver après cette journée de labeur. Je me rends au petit ruisseau qui se trouve non loin du village pour m’y rincer le corps et lavé mes vêtements. La température de l’eau est bonne. Enfin tout me paraît chaud depuis mon passage à l’archipel de Sanderr, j’en frisonne rien que d’y penser. D’ailleurs, j’me demande bien ce que devient ce bon vieux Yamamoto, ce marin fou mais bienveillant. C’est certainement le seul mec du gouvernement que je peux blairer actuellement.
Pendant mes rappels du bon vieux temps, Stanislas se pointe avec le den-den. Ça m’intrigue un peu parce qu’il est rare qu’on nous appelle, mais genre vraiment très rare.
« - Tiens, il n’arrête pas de sonner depuis quelques temps.
- Pourquoi n’as-tu pas prit la peine de répondre au lieu de venir me déranger pendant mon bain ?
- Ma mère m’a tout simplement interdit de répondre aux inconnus. »
Il me balance l’appareil avant de faire demi-tour. Je réponds rapidement.
« - Ragnar ?
- Lui-même.
- Enfin. Je t’appelles pour te confier…
- Z’êtes qui ?
- Je ne peux pas te le dire pour le moment. Je disais…
- J’vais pas rendre service à un inconnu, t’as vu ça où ?
- Nous avons un chef commun, c’est tout ce que je peux vous dire.
- Bien. Poursuis.
- Des camarades vont bientôt arriver sur l’île, mais disons qu’ils ne seront pas seuls et plutôt menottés. Tu saisis ?
- Plus ou moins.
- L’idée est que tu récupère tous les camarades avant qu’ils n’atteignent le premier village.
- C’est tout ?
- C’est tout. »
Je raccroche aussitôt. J’suis à poils et le temps presse. J’enfile mes fringues que je n’ai finalement pas eu le temps de laver - la chemise normalement est grisâtre - et je tape un long sprint pour rattraper mon acolyte.
« - Stanislas ! On a du boulot !
- TU as du boulot que JE t’ai trouvé.
- Pas ce boulot ! J’te parle du boulot qui nous vient de l’armée ! Ils nous reconnaissent enfin !
- Ne t’excites pas, gamin. Quel est l’ordre du jour ?
- Je t’explique tout en route. Et rappelle-moi gamin encore une fois et je…
- La ferme, gamin. »
Une fois encore, on se chamaille presque tout le long du chemin.
Je fais signe au borgne de se taire quand j’entends des bruits qu’il peut entendre pour l’instant. Beh ouais, y a des avantages à avoir des sens assez développés. Les vastes plaines nous permettent d’avancer discrètement. On continue de se rapprocher de la source sonore, quand on tombe finalement vers notre objectif, soit des hommes de la marine qui trainent avec des révolutionnaires. Ils ont tout de même bien avancé les salopards, le premier village n’est plus si loin de leur position. Il faut agir rapidement.
« - On fait quoi le borgne ?
- Attire l’attention. Je m’occupe des prisonniers et des quelques soldats, puis occupe-toi du mec qui prend de l’avance. À mon avis, il s’agit de leur chef.
- Tu vas t’en sortir ? C’est pas une simulation là…
- Les soldats ? J’en mange tous les matins au petit-déjeuner, mais pour ce qui est des officiers, c’est une toute autre histoire… Ah ! Pour une fois, je t’autorise à foutre un boucan monstrueux.
- Hélé. Merci Stanou ! »
Je dégaine ma lame et là, j’affiche déjà un regard machiavélique. Je sors de la cachette en courant à toute allure vers le groupement, puis les soldats ont à peine le temps d’annoncer ma venue, que j’envoie une lame d’air qui sépare le groupe en deux, l’officier du reste de son groupe. Stanislas profite de ce remue-méninge pour se faufiler derrière un des prisonniers qu’il menace de tuer si les soldats ne reculent pas. Mais au contraire, ils avancent vers le borgne. Il pointe finalement l’arme sur l’un des marins sur lequel il tire. Par la même occasion, il pousse le prisonnier qu’il tenait après lui avoir soigneusement filé un couteau avec lequel il peut défaire ses liens et attaquer un marin. Je sens l’odeur du sang qui me parvient assez rapidement. J’espère qu’il n’y a pas de morts. Mais pour l’instant, je suis face un type plutôt stoïque qui ne semble pas du tout effrayé par la situation, il me fait presque peur.
« À nous deux, fripouille ! », lui dis-je en pointant ma lame vers lui.