Vers le début de l'année 1626
Autour de lui, ça s’agite. Une ribambelle de types en blouses parfaitement repassées se remue autour de l’énergumène et l’inspecte de part en part. Quelques murmures s’échangent, aussitôt renvoyés à la source. Le sujet dans l’histoire, quant à lui, n’est pas aussi agité et nerveux que la petite fourmilière se mouvant tout autour de son cas. Allongé, fermement attaché et le corps relié à de drôles machines par d’épais câbles lui ponctionnant doucement le sang, il sait ce qui se passe, c’est la routine. Comme à son habitude, celui se proclamant comme le représentant de l’équipe se penche au-dessus de son étude pour s’exprimer d’une voix douce et posée.
Comment te sens-tu aujourd’hui ? Commença l’homme en gardant les mains dans le dos.
Mundo bien mais bras pique-pique. Et Mundo sait docteur gentil avec. Répondit la masse, en gardant le regard braqué contre le plafond.
C’est exactement ça, les docteurs sont gentils avec toi. Je prends juste un dernier petit prélèvement pour vérifier si tu vas bien. Dit le docteur en interprétant les données s’affichant à l’écran. Tu vas avoir droit à un petit quelque chose pour ne plus avoir mal, d’accord Mundo ? Qu’il termina en reposant son regard vers son cobaye.
Mundo OK.
Derrière eux, les déplacements continuaient encore et encore. Visiblement, il y avait des données à enregistrer et retranscrire avec une extrême précision. A en voir l’expression sur le visage de chacun, personne n’avait le droit à l’erreur. C’était comme si ce « Mundo » était une mine d’or dont il ne fallait laisser passer ne serait-ce que la plus petite pépite visible à l’œil nu. D’un regard, le Docteur effectua un signe de tête vers son collègue se tenant à droite du golem agrémenté d’une phrase concise, sur un ton impérial.
Tout se déroule comme prévu, administrez lui une dose de morphine. Pour se retourner en faisant un signe de main vers la vitre teintée en hauteur.
***
Dans l’ombre, deux paires d’yeux sont braquées vers la scène. Pas de bruit dans la pièce, ne serait-ce que le « tic/tac » de la large horloge encastrée dans un des murs de l’endroit. Observant méticuleusement les allers et venues des individus justes en bas, la nervosité ambiante est déjà moins anodine. Au bout d’un moment, alors qu’un soupire s’échappe du corps de la première silhouette, étant assez imposante, la personne semblant discuter avec l’être aux proportions démesurées se retourna pour lever la main. L’autre individu présent, après ce signe, s’écarta de la vitre d’un petit rire narquois.
Sir, là est l’ultime preuve. Tous les contrôles sont bons, il n’y aura qu’à attendre le rapport de Docteur Rolts.
Vous m’en voyez ravi, dans ce cas. Attendons ce reçu et nous saurons alors si votre motivation a été démontrée.
Bien. Prononça l’homme au drôle d’allure pour s’approcher du petit tableau de bord, près de la vitre pour presser un bouton. Lambert, apportez les résultats d’analyse.
Nul besoin d’attendre une éternité pour qu’un laquais vous apporte ce que vous désirez. Pressant le pas dans les couloirs rejetant un écho s’engouffrant jusque dans les profondeurs de l’ile, Lambert se place devant la porte pour y insérer le document dans la fente latérale.
Tu es bien aimable. N’oubliez surtout pas de nettoyer absolument chaque parcelle de laboratoire. Ordonna Singed en entrouvrant la porte pour fixer le trentenaire de ses horribles yeux révulsés.
A vos ordres !
Que voici, Sir Swain. Je me répète mais je tiens à ce que vous sachiez que Mundo est avant tout mon ami. Loin de moi l’idée d-
Vous n’êtes pas obligé de m’annoncer les choses quinze fois. Rétorqua le Gouverneur tout en lisant attentivement le papier qui lui a été remis. Bien que celui ne détienne pas de maitrise sidérante dans le domaine de la science, les résultats affichés ne sont pas une énigme pour lui. C’est excellent, il n’y a vraiment eu aucune anomalie durant la période d’administration ?
Mieux encore, Sir. Nous avons pu constater durant les périodes de stabilisation que les effets de la potion ne se dissipaient pas, lui permettant d’accumuler plus de sérum, au-dessus des limitations que j’ai moi-même déterminé.
Son patrimoine génétique est…
Parfait. Est-ce donc la preuve d’une maitrise non négligeable, Sir ? Vous avez devant vous le fruit de plusieurs années de recherche.
Il est vrai qu’au vu des données, vous refuser le projet serait un acte plutôt irréfléchi.
Plutôt…
Hum, un commentaire ?
Du tout, Sir. Je marmonne. Je peux donc oser espérer une réponse favorable ? Relança Singed en se frottant doucement les mains, un immonde sourire sur le coin des lèvres, laissant apparaître une rangée de dents acérées.
Une fois la lecture achevée, le Gouverneur se saisit de sa canne pour prendre appui dessus et, une fois droit comme un coq, se replace au niveau de la vitre pour épier les personnes en blouse en train de faire le ménage dans le labo. Tel un bon chien, Singed se plaça aux côtés de son maitre pour faire la même chose que lui.
Dans la mesure où votre projet de « super-soldats » - comme vous dites - passerait, auriez-vous déjà prévu la suite des évènements ?
En considérant les très bons résultats de Mundo et une validation de l’entreprise, je compte mêler son ADN avec deux de mes prochains cobayes. Pardonnez mon engouement Sir mais… ils ont déjà été sélectionnés.
Quel entrain ! Vous marquez un point, Singed. J’aime les hommes de votre trempe : entreprenants et qui ne manquent pas de témérité. Développez donc l’idée nichée dans votre tête.
L’alchimiste se devait absolument de contenir son contentement car, à ses yeux, la validation de son projet était pour lui toute faite. Volte-face, l’homme aux allures de zombie ouvre sa large besace en cuir pour y attraper un dossier. Dessus, nous pouvons clairement y lire les numéros deux et cinq.
Alors voilà, j’ai personnellement procédé à la prise de sang de chacun de mes hommes. Pourquoi me demanderez-vous naturellement ? Car, si leur condition le permet, les cobayes se trouveraient à portée de main. Bien sûr, loin de moi l’idée d’intégrer quelqu’un de force au Programme. Exprima Singed tout en présentant certaines pages de dossier à son supérieur. Ceci fait, un seul profil a clairement attiré mon attention. Surement la personne présentant la meilleure génétique dans le lot. Continua le scientifique en présentant une photo au Gouverneur.
Mais c’est…
Oui Sir, c’est Lambert. Figurez-vous qu’il n’a refusé aucune modalité proposée dans le cadre des opérations qui pourraient suivre après acceptation. Il a parfaitement compris que son accord signerait une avancée majeure dans le domaine de la science. Pour ce qui est du second, il s’agit d’un ancien chasseur de primes aux qualités physiques reconnues et bien évidemment testées, hinhin. Poursuivit le savant visiblement fou en présentant une autre photo. Docteur Walsz s’est occupé de lui refaire le portrait suite à un vilain abcès s’étant installé au niveau du visage. Pour le reste, je testerai le sérum sur des génétiques « lambda » plus sujettes aux maladies. Termina l’étrangeté humaine en fermant le dossier, synchroniquement.
Ce topo est excellent. Et bien… je ne vous souhaite que le succès. Quand espérez-vous remarquer des résultats probants ? Répondit Swain en tendant la main vers son scientifique – pour la broyer de sa grosse poigne, évidemment -
Mille merci, Sir. Je fais le serment que vous ne serez pas déçu. Et pour répondre à votre question, dix mois seraient raisonnables.
Par contre, derniers détails.
Oui Sir ?
Je serai TRES regardant quant à la discrétion de votre Projet. Bien que nous nous trouvons sur une île jugée sans foi ni loi ou je ne sais quelles conneries, faire savoir au public que des humains servent de cobayes pour des expériences visant à les rendre invincibles pourrait possiblement semer la zizanie, vous ne croyez pas ?
Oh, loin de nous ce problème Sir. Les personnages travaillant avec moi ont tous été… conditionnés.
Bien. Vous êtes prévenu Singed. Bien que je vous tienne en haute estime, les sanctions pour m’avoir désobéi s’avéreront très lourdes.
Je le conçois, Sir. Je le conçois.
Et pour ce Mundo, que comptez-vous en faire ?
C’est un présent, Sir. Pour vous. Mundo est une réussite et il est parfaitement dressé, vous en faire un garde du corps est, je juge, une bonne idée. Sans parler de votre accord qui m’a poussé à être redevable à votre égard. Prélever des échantillons de sang était la dernière chose à faire.
Le geste est appréciable. Mais cela ne changera rien à ma mise en garde : ne me décevez pas.
***
Six mois plus tard
Comme chaque jour, l’alchimiste se terre dans ses locaux pour comparer encore et encore l’évolution de ses sujets. En ce moment même, la journée est terminée pour aujourd’hui. Devant son bureau muni d’un enregistreur, l’homme se lance dans son rapport pour classer toute les informations importantes recueillies ce jour.
Jour cent quatre-vingt-cinq, me voilà aujourd’hui taré d’un avis tantôt mitigé, tantôt positif. En effet, les analyses faites sur le Sujet numéro 2 sont formelles malgré mon entêtement à les réitérer presque sans cesse. Au départ, lorsque j’ai administré le sang de Mundo aux Sujets deux et cinq, leurs métabolismes ont presque immédiatement changés. Les analyses étaient bonnes, surtout pour Numéro cinq qui, à l’heure d’aujourd’hui, doit être aussi parfait que mon premier cobaye en terme de résultats. Lambert aussi, mais les contrôles de routines et la période d’augmentation des doses de sérum s’est révélé quelque peu alarmante. Je vais vulgariser car la fatigue et mon esprit préoccupé m’empêchent de réfléchir comme il se doit. L’équipe a remarquée il y a peu que les cellules du sujet sont devenues littéralement accrocs au sérum. Lorsque celui lui ingère une potion, ses capacités sont telles qu’il pourrait affronter mes deux meilleurs soldats en même temps sans AUCUN problèmes. Sur le fait, c’est magnifique, le problème étant maintenant que son organisme se détériore quand il n’est pas sous sérum. Sans parler de ses accès de colère fréquent pendant l’ingestion. Pire encore, la destruction s’accentue encore plus vite après la descente. Lambert est un sujet extrêmement prometteur et cette situation attriste mon âme de savant. Si nous arrivons à passer au-dessus de ce problème d’accoutumance, ce sera lui l’Alpha. Pour ce qui est du reste, ce n’est que de la chaine à canon. Les génétiques avantagées me distrayant bien plus.
***
Deux mois après
Comme à son habitude, l’ex chasseur avait la mine naturellement blasée. Devenu alors l’homme à tout faire de Singed, celui-ci se chargeait maintenant d’acheminer son « frère d’expérience » jusqu’au laboratoire. Non très loin de la position actuelle, étant donné que le captif restait dans une chambre non loin des lieux où les expériences se déroulaient. Les mains ceinturées et assis sur lit le regard braqué contre le mur dénué de motifs, une équipe de quatre hommes s’avancent au niveau de la porte vitrée. Trois hommes en blouse, équipe supervisée par le Numéro cinq. La main sur son épée, il n’est jamais trop prudent au cas où un débordement surviendrait.
Le chef est quand même fou de vouloir procéder à une nouvelle phase d’augmentation.
Tu rigoles ?! Il a bossé corps et âme dans un sérum adapté à son métabolisme. Ce type c’est de la putain de nitroglycérine, tu as vu ce qu’il a fait à Sahoz ?! En une patate bordel…
Silence, nous ne sommes pas là pour nous repentir de la mort d’un collègue. Intervint le super-soldat sur un ton sec. Ouvrez la porte, vous aurez tout le temps de vous recueillir plus tard.
Pour leur propre sécurité, les hommes en blouses sont chacun équipés d’une petite matraque électrique pour officiellement neutraliser l’homme en cas de pépin. Mais à en écouter certains, l’arme n’a pas l’air d’être si efficace.
Amené dans le labo, le Sujet est allongé sur la table métallique totalement glacée. Comme d’habitude, il est analysé de partout pour ensuite se remettre droit pour procéder à l’assimilation. Aussitôt dit, aussitôt fait, Lambert est déplacé dans la « cage » - endroit où les cobayes ingurgitent les potions – pour qu’on lui remette ensuite la fameuse fiole, censée atténuer les effets indésirables du précédent sérum. De l’autre côté, tout le monde est attentif. Et surtout, personne ne se doute de la tournure des évènements qui va arriver comme une baffe en pleine figure. Oui, ça secoue.
BWARGH ! Ca ? C’est le son qu’hurla le cobaye presque instantanément après avoir vidé le contenu de la fiole que lui avaient donnée les scientifiques. Eclatée au sol, l’homme se tord de douleur pour s’écrouler à même le sol, au milieu des morceaux de verre.
Et merde ! J’en étais sûr bordel !
Il est mort ?
Bonne question, il n’y a qu’un seul moyen de le savoir. Lança un des membres du personnel avant d’être coupé net dans son élan par l’homme si taciturne qu’on pourrait penser de lui que c’est un cyborg.
La n’est pas ton rôle. Si quelqu’un doit aller vérifier, c’est bien moi.
C’est mieux comme ça, oui.
En une poignée de seconde, celui dont le rôle était de chasser les criminels en fuite par le passé se tenait déjà devant la porte de la cage. Extrêmement méfiant, il avançait avec une lenteur telle que même les mouches devenaient des tambourines à chaque battement d’ailes.
Ouvrez. Intima la brute d’un signe de main vers le petit bureau.
Arrivé devant l’inerte, c’était déjà trop tard pour réagir à quoi que ce soit. S’il en avait marre ? Oh que oui. Rester cloitré dans une chambre et recevoir des traitements lui causant d’abominables douleurs n’étaient pas une vie. Bien sûr, les termes du contrat étaient tous beaux tous roses sur le papier, mais qui aurait pu déceler la vérité derrière un projet si joliment présenté ? Une vie où l’on a la patate quoiqu’il arrive, servir son ile et blablabla et blablabla.
Aujourd’hui, Lambert il en peut plus. Et c’est avec un extrême sentiment de soulagement qu’il surpris son collègue pour l’encastrer dans le mur d’un revers du poing pour ensuite saisir sa tête et l’éclater contre la paroi en verre jusqu’à la faire céder. Forcément, tout le monde tire la sonnette d’alerte et le personnel se munit de fusils tranquillisants. Mais là ça ne sert à rien. Il aura attendu le Lambert, il aura prévu minutieusement un plan dans sa tête pour se faire la malle avec un joli sac rempli de potions en éventrant une armoire solidement fermée. C’est peine perdue pour l’équipe scientifique si elle compte le rattraper, le Sujet est beaucoup trop fort et rapide et doit se lancer dans une course à travers les rues de la ville pour se réfugier et espérer retrouver sa famille au-delà de ce dépôt de pourriture formant une ile.
Tu sais que tu n’en a plus pour longtemps, mais tu t’accroches comme un enragé.