Posté Mer 16 Mar 2016 - 9:45 par Joe Biutag
- Mais enfin bien sûr que je parle.
Pour le coup, la cigogne paraissait vexée. Cela n'avait rien d'étonnant pour elle d'être dôtée de la parole, alors, blessée dans son orgueil, elle tourna le dos au forban, s'apprêtant à s'envoler.
- Attends attends !
Espérant que le pirate l'apostrophait afin de s'excuser, elle renonça à décoler, et daigna même lui faire face à nouveau, disposée à recevoir ses plus plates excuses.
- Pourquoi tu parles bestiau ?
"Bestiau". C'était le mot de trop. La cigogne, ne se sentait plus vexée mais insultée, il y avait pour elle des limites à l'indécence. Après tout, comme cela se disait par ici : "On est pas des bêtes". Aussi, le piaf s'approcha du cafard et lui mis un coup de bec dans le torse.
A priori, une cigogne avait l'air tout ce qu'il y a de plus inoffensif, mais son bec tranchant, élancé d'un mouvement de cou assez rapide, pouvait faire du dégât. En tout cas, Joe hurla sur le coup, sentant qu'il avait une côte fêlée.
- Sachez monsieur que par chez nous, de nombreux animaux sont dotés de la parole. Nous autres "bestiaux" comme vous vous plaisez à le dire, tirons une très grande fierté de cette prouesse, et je vous serais gré de bien vouloir vous excuser.
Ne souhaitant pas se prendre un second coup de bec, le forban, se tenant les côtes s'excusa mollement, grommelant quelques insanités entre ses dents. Après tout, quoi de plus vexant que de se faire blesser par un oiseau qui en plus, avait une locution plus savante que la sienne.
- Ouais ouais, désolé tout ça.... Mais je suis plus ou moins nouveau sur l'île, pourriez pas me faire un topo de là où je me trouve ?
Haussant un sourcil, la cigogne le toisa du regard, exprimant tout son dédain par ce simple coup d'oeil. Joe serra les dents. Se faire attaquer par un oiseau était une chose, se faire mépriser par lui en était une autre. Lui aussi avait un orgueil mal placé, mais il était plus nocif pour la santé de le contrarier lui qu'une modeste cigogne.
- Peuh... Un touriste, et pourquoi je renseignerais un grossier personnage dans votre genre.
Après avoir pris une grande bouffée d'inspiration pour se retenir d'étrangler le volatile, le forban lâcha ses côtes un instant pour fouiller dans une poche de son pantalon.
Il en sortit alors un biscuit à moitié entamé qu'il avait mangé à bord du navire, et le jeta à terre d'un revers du poignet. Bien que se comportant avec dignité et grâce, la cigogne se rua comma la bête sauvage qu'elle était pour picorer les quelques miettes du délicieux biscuit. Même avec un égo, un animal restait un animal.
Un sourire méprisant et satisfait au visage, Joe contempla la bête en train de s'abaisser à se nourrir des restes d'un biscuit jeté à même le sol. Une fois le piaf s'en étant régalé, sans honte aucune, elle s'éclaircit la gorge et reprit sur un ton tout aussi hautain que plus tôt.
- Vous n'êtes pas un si mauvais bougre après tout. Je suis Sybille la majestueuse. Que voulez vous savoir exactement ?
La douleur s'étant apaisée, Joe se montra plus dominateur dans sa posture, ne quittant pas l'oiseau du regard, chaque parole qu'il lui accordait sonnait maintenant comme un ordre.
- Dis moi où sont les hommes de Minos, à quelles excentricités je dois m'attendre de la part de la faune locale, et où je pourrais trouver de quoi boire et me nourrir pendant dix jours.
L'oiseau fut décontenancé de l'assurance avec laquelle Joe venait de lui demander tout cela. Jusque là, il lui avait semblé avoir à faire à une vermine sans prétention, mais après avoir croisé son regard vide de remords et d'humanité, elle comprit que c'était un pirate qu'elle avait en face d'elle. Mieux valait ne pas le contrarier.
Elle se contenta de lui faire savoir tout ce dont il avait besoin. Minos et ses hommes avaient aménagé au sommet de la montagne des habitations chaque jour mieux élaborées. Mais ce n'était pas d'eux dont il devait se méfier le plus. Dans la clairière au centre de l'île, se trouvaient les mangeurs de cornes. Il s'agissait d'énormes quadripèdes à la carapace solide, et à l'intelligence rudimentaire.
- Des mangeurs de cornes ?
L'appellation semblait étrange. La cigogne lui apprit alors que sur l'île, il y avait les animaux à cornes, comme elle et ses semblables, et les mangeurs de cornes. Il ne fallut pas longtemps à Joe pour faire le rapprochement entre les deux.
- Est-ce qu'ils mangent aussi des humains ?
L'oiseau cornu se contenta d'acquiescer un air grave au visage. A présent, le cafard savait qu'il devait tenir dix jours éloigné de la Légion de Minos, mais aussi de créatures mangeuses d'homme. Grand Line n'avait décidément pas usurpé son titre de route de tous les périls.
- Cela n'a pas toujours été ainsi.
Perdu dans ses réflexions pour savoir comment s'en sortir dans ces conditions, Joe leva un oeil distrait et écouta ce que la cigogne avait à lui dire.
- Avant l'arrivée de Minos et ses hommes, les mangeurs de cornes ne s'attaquaient pas aux hommes. Mais depuis que la Légion protège les cornus, les mangeurs de cornes n'ont plus rien à se mettre sous la dent et crèvent lentement de faim.
Elle disait ces mots avec une certaine satisfaction.
- Seulement, depuis peu... Un mangeur de cornes s'est révélé plus intelligent que les autres. Je ne l'ai jamais vu, mais il paraît qu'il est lui aussi doté de la parole comme certains cornus. Il organise ses congénère pour attaquer des hommes de Minos isolés.
Si la cigogne n'en avait pas dit autant, Joe s'en serait tenu à l'ermitage pendant dix jours, à construire un radeau pour se tirer de l'île. Mais maintenant qu'il venait d'entendre ça, une idée malfaisante comme des centaines lui traversaient l'esprit par jour émergea.
Si il y avait en effet une espèce animale sur cette île, dotée de la parole, et qui détestait les révolutionnaires autant que lui, peut-être devait-il envisager l'idée de lui payer une petite visite.
Alors, le cafard leva ses fesses de la souche d'où il était assis depuis un moment. Le sourire qui s'étendait de plus en plus sur son visage avait quelque chose d'angoissant. Peu à peu ses dents de charognard sans scrupule se dévoilèrent.
- On va aller rendre visite à ces mangeurs de cornes.
Surprise, la cigogne balbutia :
- Oh non non, pas moi héhé, ils me dévoreraient autrement.
La réponse du forban ne se fit pas attendre, et son regard vînt se fixer soudainement en direction du piaf.
- Précisément....
Ce regard lugubre, cette intonation perfide, la cigogne avait compris qu'il était temps pour elle de décamper, et vite. Le cafard avait en effet quelques projets la concernant. Alors que l'animal se retournait, commençant à battre des ailes pour décoller vers des horizons moins terrifiants, il était trop tard.
Une balle vînt perforer son aile gauche. Toute tentative de fuite était à présent vaine. La pauvre n'eut pas le temps de pousser le moindre hurlement, puisqu'une main ferme vînt se saisir de son bec, une autre se saisissant de ses deux maigres pattes. Joe, ne lâchant pas prise, porta l'animal autour de ses épaules.
- Alors comme ça on les trouve au centre de l'île. On va voir ça hinhin.