Suite des événements joués ici.
***
De bon matin, le troupeau de mangeurs de cornes s'activa avec le bruit que pouvait caractériser la marche d'une vingtaine de monstres pachydermiques. Le soleil venait à peine de se lever, et Joe devait déjà émerger.
Depuis son arrivée sur l'île des animaux il y a un peu moins de vingt-quatre heures, le cafard avait trouvé le moyen d'être en sécurité relative en s'attirant les bonnes grâces du chef de troupeau qui était le seul spécimen doté de la parole. Mais vivre avec eux impliquait devoir vivre à leur rythme.
- Debout humain, à présent tu es des nôtres, comporte toi comme un fier mange-corne.
Le forban était à présent promu au rang de mangeur de cornes. Que de chemin parcouru depuis son arrivée sur Grand Line. L'intégralité du troupeau se pressait en direction de l'Est. Rivaliser avec leur vitesse quand on n'avait que deux jambes était quelque peu ardu pour le pirate.
Sans même lui demander son avis, le chef de meute se saisit avec sa mâchoire de l'arrière de sa parka, et d'un mouvement brusque de la tête, jeta le cafard sur son dos. Ce dernier atterrit droit sur le ventre, testant ainsi la solidité de la carapace du mastodonte. Il lui fallut approximativement cinq minutes avant de reprendre son souffle suite à la chute violente qu'il avait expérimenté. Durant ce délai, l'animal qu'il chevauchait lui fit la causette.
- Tu t'appelles Joe. Étant le seul de ma race capable de parler, on ne m'a pas donné de nom. Appelle moi "Lui".
Ce nom, il l'avait choisit car, de par sa nature animale, il n'avait pas encore développé un égo assez conséquent pour se référer à lui à la première personne du singulier en toutes circonstances. L'instinct de meute faisait qu'il avait encore l'impression de n'être qu'un élément du groupe, se référant donc à lui à la troisième personne, car il n'était qu'un parmi plusieurs.
- Mouais, un peu naze comme nom, je vais t'appeler Loui, c'est un peu plus correct.
Tout juste baptisé, Loui ne trouva rien à redire à son changement de nom. Après tout, cela n'avait aucune importance. Excepté Joe, toute personne ou animal doté de la parole qu'il avait rencontré avait terminé dans son estomac. Dans ces circonstances, qu'on l'appelle Loui ou Suzanne il s'en foutait allègrement, personne ne vivait assez longtemps pour prononcer son nom plus d'une fois.
- Nous y sommes.
Joe se demandait effectivement où les mange-cornes pouvaient bien se ruer si tôt le matin. A un point d'eau tout simplement. Le cafard descendit de la carapace, manquant de se fouler la cheville en atterrissant, puis se déplaça vers la rivière, recueillant de l'eau entre ses mains pour s'hydrater. Ayant enfin étanché sa soif, il se tourna vers Loui, et, exigeant demanda :
- Et qu'est-ce qu'on mange avec ça ?
Le chef de meute et ses congénères fixèrent Joe un long moment, se demandant si il constituerait un bon petit déjeuner, mais ils renoncèrent à cela. Loui n'avait pas gardé Joe en vie par reconnaissance ou par respect, ces valeurs ne voulaient rien dire pour lui, pas plus que pour Joe d'ailleurs. Mais il avait quelques projets concernant le forban. Tandis que ce dernier escaladait la carapace du monstre pour reprendre sa place, Loui se confia, menant les siens à nouveau dans la clairière.
- On nous appelle mange-cornes car nous ne mangions que des animaux cornus, comme celui que tu as amené hier.
Plutôt que de lui répondre du tac au tac "Je m'en serais douté couillon", Joe garda sa bouche close et écouta la suite du discours de son protecteur.
- Mais depuis l'arrivée de Minos et sa Légion, nous avons été tenu en échecs plusieurs fois par eux lorsque nous désirions nous repaître. Ils nous refusent nos proies que notre race chasse pourtant depuis des millénaires. Regarde à quoi nous en sommes réduits.
Alors, le cafard hasarda un regard autour de lui. Plusieurs mange-cornes étaient en train de brouter l'herbe de la clairière à contre coeur. En protégeant les bêtes cornues, Minos avait bouleversé l'écosystème local.
- Plus de la moitié de notre troupeau en est mort, le reste est affaibli. Nous survivons en mangeant des fruits dégueulasses et en broutant pour la finalité de nous remplir le ventre. Mais combien de temps pourrons nous survivre sans viande ? Nous approchons de l'extinction.
Évidemment, Joe n'en avait rien à carrer, du moment que ce n'était pas son problème, difficile pour lui de ressentir la moindre empathie pour ceux-là même qui le protégeaient de Minos en l'accueillant parmi eux. Cependant, il se sentit concerné, mais uniquement parce que la faim des mange-cornes pouvait éventuellement se retourner contre lui. Après tout, qu'est-ce qui lui assurait qu'il ne se ferait pas dévorer dans son sommeil par une de ces bêtes affamées ?
- Mais puisque nous partageons la même haine contre la Légion, alors il nous reste une chance de riposter.
Ce n'était pas tant la Légion que Joe détestait, mais toute personne appartenant à la révolution, surtout quand ceux-ci voulaient lui faire la peau ou le réduire en esclavage. Cela dit, malgré toute la haine qu'il pouvait vouer à ces derniers, il se voyait mal entrer en guerre contre eux, même avec une vingtaine de mastodontes à ses côtés.
D'ailleurs, l'un d'eux sentit une odeur et grogna en direction de son meneur pour l'avertir d'un danger.
- Décidément ils n'abandonnent jamais.
Levant la tête, Loui aperçut à l'orée de la forêt entourant la plaine où ils se trouvaient, un autre groupe de légionnaires venu chercher Joe. Ceux-ci furent néanmoins plus farouche que les précédents. Puisque Joe se tenait assis sur le dos du chef de troupeau des mange-cornes, ils en déduisirent, à tort, que le cafard les avait dompté et préféraient alors s'en méfier.
- Hier tu en as tué trois à ta façon, contemple à présent ma manière de procéder.
Le forban eut à peine le temps de s'accrocher, que Loui, tel une bête furieuse, fusait en direction de la forêt. Les hommes de la Légion tentèrent de rebrousser chemin, mais ils furent vite rattrapés par le monstre décimant les arbres sur son chemin.
Ce fut un spectacle assez coloré que de le voir dévorer ses proies. En plus de la faim, Loui était animé par la colère, de ce fait, il prit son temps pour faire souffrir son repas avant de s'en régaler.
- Ça ne vaut pas un bon cornu, mais ça redonne des forces.
Une fois qu'il eut terminé de s'être amusé à observer Loui s'occuper de révolutionnaires, Joe commença à déchanter. Il venait de comprendre pourquoi la bête avait besoin de lui.
- Je vois...
Puisque la Légion semblait obstinée à vouloir ramener Joe en vie pour que Minos l'étripe en personne, cela lui donnait un avantage certain sur eux. Un avantage qui n'avait pas échappé à Loui.
- Puisqu'ils veulent me capturer en vie, tu comptes te servir de moi comme appât pour les attirer à vous et vous refaire une santé en les bouffant, c'est bien ça ?
Le mastodonte léchait encore le sol humide du sang de son en-cas, et releva la tête.
- Bien sûr, il va de soi que nous partagerons la viande avec toi.
Bien qu'il eut par le passé été contraint de s'adonner au cannibalisme, le forban se voyait mal passer les prochains jours à déguster de la chair humaine. Mais il accepta néanmoins son rôle d'appât. Car si le troupeau ne pouvait dévorer de la viande révolutionnaire, cela ne les gênerait probablement pas de se rabattre sur du second choix et de manger un pirate.