Fous-le camp de mon commerce si tu n'as pas de quoi payer !
Mais puisque je vous dit que j'allais payer en chanson !
Tu joues comme un manche, tu fais fuir la clientèle et pisser le sang par les oreilles !
Mais c'est même pas vrai ! c'est juste que vous avez l'oreille difficile dans le coin !
J'AI DIT, DE-GAGE !
La conversation s'échappait d'une modeste taverne, dont l'écriteau en bois suspendu sur la façade de l'entrée, renseignait subtilement qu'ici il y faisait bon de se biturer la trogne. Une bonne bière brune mélangée à de la liqueur de cerise, c'était tout ce que Jericho demandait. Se désaltérer le gosier le temps d'une pause bien méritée, avant de poursuivre le tabassage de sales types. Poser ses miches sur un vieux tabouret inconfortable et souffler un coup, au calme. Problème, le musicien chasseur de primes n'avait que rarement plus de quelques dizaines de berrys en poches. Alors il offrait la consommation contre un petit air de musique, ce qui se terminait généralement de la même façon, on lui bottait le cul hors de l'établissement après l'avoir entendu gratter sa guitare. Comme c'était le cas cette fois-ci, alors qu'il s'était lancé dans un solo endiablé destiné à embraser les fans. Un échec que trop régulièrement essuyé ces derniers jours, depuis qu'il avait mis les pieds sur ce gros rocher.
Rokade, berceau de la criminalité. Capitale des pourris et des hors-la-loi. Destination de vacances pour les bandits de tous horizons. Si vous êtes une crapule et que vous souhaitez écouler quelques jours au calme, qu'on vous foute la paix, créchez à Rokade est la solution. Jericho Rawson étant tout sauf un criminel, la raison de sa présence sur cette île restait un véritable mystère. Si sa gueule de bonhommes pas très net lui permettait inconsciemment de se fondre dans la masse de déchets grouillant dans les grottes, il était totalement différent des autres. Ne pas juger ses actes qui ne traduisaient pas exactement l'homme qu'il était, le pauvre manquant cruellement de cervelle avait le don pour se retrouver dans de mauvaises situations. Ici, après avoir mordu le sol d'une des galeries rocailleuse, et de se relever tout en maugréant des injures au propriétaire, il reprit sa route. Plus il y songeait, et plus il se maudissait d'avoir écouté ce paysan à qui il avait demandé son chemin.
Il avait pourtant clairement indiqué souhaiter rejoindre la rocade pour atteindre sa destination tout en évitant de traverser au beau milieu de la ville. Le but étant de gagner du temps. Là où il avait manquait de méfiance, c'est lorsqu'il avait suivi aveuglément les indications de ce bon monsieur avec un horrible accent. S'il avait eu un semblant de jugeote, il aurait remis en cause la véracité de l'itinéraire lorsqu'il lui avait assuré que pour rejoindre Rokade, il devrait prendre la mer quelques jours. Maintenant qu'il y réfléchissait, c'était complètement stupide de voguer sur les flots pour atteindre la route en périphérie de la ville qu'il venait de quitter. Une fois de plus, sa stupidité le conduisait en un lieu non-désiré. Cette fois, il s'agissait d'un véritable repère de ce qu'il passait son temps à chasser. Les voyous, comme les appelait Grand-Ma' Babette. Tous leur botter les fesses n'était pas une option, le surnombre étant flagrant, même pour lui. Partir était son idée. Si seulement son embarcation de fortune ne s'était pas écrasée à son arrivée...
Il lui en fallait une nouvelle. Mais il n'était pas décidé à en cherche une sans avoir étanché sa soif en premier, question de priorité. Et puis, il s'était fixé un autre objectif en tête depuis son arrivée. Ces sales racailles au goût musical douteux finirait par reconnaître son talent, il ne renoncerait pas avant d'avoir été applaudit et sifflé chaleureusement pour sa gratte inégalée. C'est donc déterminé qu'il repousse la porte d'une brasserie, ses narines immédiatement assaillis par les effluves de bons repas chauds et d'une bonne bière fraîche. Les tympans mettent quelques secondes à s'habituer au bruit émis par la multitudes de conversations s'élevant de la salle. Voix rocailleuses, nasillardes, amicales, désagréables, alcoolisées et joyeuses se mêlent entre elles pour donner un son singulier qui plaît tant au blondinet. Celui de la bonne ambiance. Stimulé, il s'avance jusqu'au milieu de la pièce, non sans s'emparer d'une chaise au passage. Son geste attire l'attention de quelques-uns.
Il fait claquer les talons de la chaise à terre, pour s'accaparer plus d'attention encore. De sa main droite, il fait basculer sa guitare devant lui, la lanière glissant habilement autour de son cou. Un sourire d'excitation le prend. Il pose la semelle de sa chaussure sur la chaise, pliant sa jambe en un angle droit, et se cale le reste du corps en appuis dessus, instrument de gratte compris. Là, les soiffards du coin comprennent à quoi ils vont assister. Qu'ils sont foutrement joyeux de savoir qu'ils vont pouvoir brailler un coup accompagné par la mélodie de ce musicien. Qu'ils applaudissent, qu'ils hurlent, qu'ils lèvent leurs godets à sa santé. Un frisson envahit Jericho qui se laisse quelques secondes pour savourer le moment. La reconnaissance du musicien, ce qu'il aime cela. Ses doigts s'agitent, agressent frénétiquement les cordes de Stâârk, comme à leur habitude. Ce qui en sort se veut être jovial, festif, réchauffe les cœurs et motive les âmes dans ce monde de brutes. Une hymne à la joie pratiquement.
Véritable amoureux de sa propre musique, fan incontrôlé de sa gratte, groupie de lui-même, il en sourit tout du long de son morceau. Satisfait, prenant du plaisir. Absorbé par ce qu'il fait, enfermé dans sa bulle, il ne remarque même pas l'agitation qu'il vient de déclencher tout autour de lui... Car ce qui est vraiment ressorti à l'oreille est l'exact opposé d'une symphonie joyeuse. Agressive, infernale, irritante, mauvaise, cela eu tôt fait de frapper le cœur des poivrots pour mieux les enflammer, négativement. Les emplir d'un flot d'émotions négatives qu'ils ne peuvent contrôler, qui leur font perdre la tête. Si cela n'a fait que rendre maussade la plupart de l'assemblée, certains, plus réceptifs, plus faibles psychologiquement, en sont devenu fous, bagarreurs. Il ne faut pas grand-chose à un homme viril pour se lancer dans un échange de mandales afin d'affirmer à quel point il est fort. Une injure, une bière renversée, une poussette, une main qui prend un derrière de tête pour envoyer le nez s'écraser sur le bois de la table...
La musique adoucit les mœurs. [Seth D Soto]
- Spoiler:
- Le RP est un Flash-Back se déroulant en 1624
À cette époque, Takeo était encore entrain de parfaire son apprentissage des arts martiaux sur une petite île de South Blue. Les moines qui l'entraînaient ne pratiquaient pas n'importe quelle technique de combat puisqu'ils étaient tous des maîtres du Zui Quan : La boxe de l'homme ivre. Il était plus que rare que de telles personnes se retrouvent sur le repaire à pourriture qu'est Rokade, et pourtant, c'était le cas aujourd'hui. En effet, le prêtre allait entamer la dernière phase de son enseignement, celle où le disciple est le plus éméché ou plutôt carrément jeté, à la ramasse, entièrement imbibé par un alcool des plus forts. C'était la raison de la venu des maîtres sur l'île, il leur fallait se procurer un puissant breuvage capable de faire entrer leur élève dans un état de transe totale et, sur South Blue, il n'y avait pas milles façons de se procurer un tel produit. Les alternatives les plus connues étaient les suivantes : Amerzone, hostile de toutes parts à n'importe quel étranger ou alors Rokade, où l'alcool en tout genre coulait à flot.
C'est ainsi que le saint homme s'était retrouvé sur l'énorme rocher, le contact avec le commun des mortels lui avait manqué et ses enseignants ne virent aucun problème à l'emmener. Le voilà donc dans une taverne des plus banales, installé à une table près de la fenêtre, il avait comme à son habitude dégainé son carnet de voyage et son crayon de bois afin d'y annoter les différentes observations qu'il pouvait faire des drôles d'énergumènes peuplant les lieux. L'adaptation aux différents cris, rires, chants et autres joyeusetés qu'offrait l'enseigne fût d'abord difficile pour l'écrivain habitué à travailler dans un calme absolu mais il finit par se forger sa propre bulle où il grattait en paix jusqu'à ce qu'un CLAC sonore l’arrache à ses occupations.
Le religieux tourna la tête vers le jeune blondinet au physique peu avantageux qui venait d'imposer sa présence à une bonne partie des clients, présence qui ne les intéressa qu'une poignée de secondes avant qu'ils ne retournent à leurs occupations alcoolisées. Il en fût de même pour le vieil homme qui considéra le garçon un instant, griffonna quelques mots sur son livre qui dénotaient une coutume pirate des plus intéressantes caractérisée par le guitariste : « Les artistes qui fréquentent cet endroit semblent proposer des prestations gratuites. Les clients n'en ont pas l'air mécontents. » puis il finit par détourner le regard vers d'autres scènes captant son attention avant d'être absorbé à nouveau par le musicien qui commençait à jouer. Mon dieu, quelle mélodie étrange se dégageait de l'instrument ! Le gris n'en manqua pas une seule miette, le son lui était absolument déplaisant -presque douloureux- et fascinant dans le même temps, « quelle drôle d'espèce que les pirates », nota t-il « leurs musiques diffèrent entièrement de tout ce que j'ai eu la chance d'entendre jusqu'à ce jour ».
Les poivrots avaient l'air d'apprécier le spectacle, nombre d'entre eux se levant de leurs chaises, tapant du poing sur la table pour être en rythme, s'attrapant l'un et l'autre par le cou comme pour célébrer le spectacle offert tout en augmentant les décibels tant ils étaient joyeux. Les impressions de franche camaraderie qu'avaient le père Kitano furent bien vite brisés, tout aussi brisés que ne l'était la fenêtre où il siégeait et par laquelle venait d'être éjecté un homme par l'un de ses confrères. Les ivrognes ne s'amusaient pas : ils se battaient et le fracas provoqué par le baptême de l'air prit un temps le pas sur la guitare, si bien que les regards se tournèrent vers l'ecclésiastique encore installé tranquillement à sa table, il y répondit par un sourire gêné, se grattant l'arrière de la tête.
- Héhé, vous pourriez faire att....
- Le vieux a pété la fenêtre ! Je l'ai vu de mes propres yeux ! Beugla un grand gaillard vachement remonté et que Takeo soupçonnait d'être le fameux lanceur d'alcoolo. Tu vas pas t'en tirer comme ça !
Le gris s'était levé de sa chaise pour l'envoyer d'un coup de pied dans les jambes d'un petit maigrichon qui lui fonçait dessus avec une choppe de bière rageuse comme arme et qui finit sa course face contre le planchet. Ce fût ensuite au tour du musclé de s'en prendre au vieux qui se contentait pour le moment d'esquiver ses coups et ceux des différents clients dont il croisait sans le vouloir le combat tout en reculant et en sommant à son assaillant de se calmer -ceux qui eut l'effet totalement inverse-. Autour de lui, le chaos régnait et, ceux qui ne se battaient pas à cause du guitariste frappaient sur les ensorcelés pour se défendre ou profitaient simplement d'avoir une bonne excuse pour se défouler.
Beuh... M'enfin ? Vous avez pas aimé ou quoi ?
La question était légitime tant le comportement de ses fans d'une soirée avait totalement changé entre le début et la fin de sa prestation. Si au départ ils l'acclamaient, levés leurs choppes à sa gloire, maintenant c'est au travers de la gueule du voisin que les verres finissaient. Une soudaine agressivité avait pris possession de la foule et à vrai dire il ne s'en était aperçu qu'à la fin de son morceau, trop absorbé qu'il était à donner le meilleur de soi-même. Dans sa cervelle, cela tournait vite. Du moins correction, jamais cela n'avait tourné aussi vite, ce qui entraînait cet état second dans lequel il se trouvait actuellement. Immobile, le faciès comme figé dans une expression d'incompréhension profonde, sourcils froncé, bouche entrouverte et langue apparente. Il cogitait. Fort. Extrêmement fort. Etait-il à l'origine de cette pagaille ? Devait-il tenter de calmer les choses ? Fallait-il ambiancer l'action par la gratte ? Y'avait-il lieu de se foutre à poils et d'agiter son pénis à l'air libre en cercles répétés ?
Ca chauffe... 'Faut refroidir l'tout.
Et ce n'est pas le gosier qu'il va désaltérer, mais bien sa fiole. Qu'il se rue sur le premier tonneau de bière qu'il trouve, tout juste ouvert, encore frais d'un long séjour en cave. Sans réfléchir aux conséquences, il y jette sa tête à l'intérieur. Saleté de méninges, à peine trop sollicité qu'elles prenaient feu du fait de l'intense réflexion à laquelle elles avaient été exposées. C'est qu'à l'intérieur de la boite crânienne ça pionce de trop, si peu habitué que c'est à être utilisé. Au diable la réflexion, place à l'improvisation. De cela, le blond écervelé en était friand. Émergeant du tonneau d'alcool dans un mélange de bruits buccaux digne d'un dérangé, il prit une profonde inspiration, emplissant ses poumons pour mieux tout expulser par la bouche. Il allait mieux. Et du coup, se sentait d'humeur à faire la fête. Ses mains s'emparèrent du tonneau, le soulevèrent au-dessus de sa tête pour bazarder le tout au beau milieu de la cohue. Qu'ils se rafraîchissent les idées. Si cela avait fonctionné avec lui, pourquoi pas eux ?
On ouvre grand la gueule et on avale tout ! Comme à la maison ! Yeah-ah-ah-ah !
Intelligence anormalement basse, un panel de blagues graveleuses inépuisables et une imagination déroutante, un cocktail explosif qui provoquait des catastrophes si on ne l'arrêtait pas. Et il riait, avant d'être interrompu par deux guignols arrosés par son action. Ils avaient la haine, c'était le cas de le dire. Et si le premier à vouloir l'étriper se heurta à l'acier de son instrument de musique, le second le percuta de plein fouet et tous deux s'étalèrent contre tables et chaises. Cela ne les empêchèrent pas de s'échanger de virils coups de tatanes et de taloches au milieu des débris, tels de vers de terre s'agitant à la surface. La tête de Jericho fut plus résistance que celle du pirate et il pu se relever, non sans chanceler, la trogne amochée, la bouche ensanglantée, les dents rougies, mais souriant. La baston était une sorte d'inspiration dont il était si facile de puiser dedans. Reprenant sa guitare entre les mains, il entreprit de laisser la mélodie naissant dans son esprit couler à travers ses doigts qui firent très vite frémir les cordes de son instrument.
ONE PUUUUUUUUUUUUUUUNCH !
Un appel à la baston. L'embrasement des cœurs réchauffa le sien et le voilà qui après une prise d'élan, bondissait sur le comptoir, sans s'interrompre dans son œuvre. Son corps tout entier répondait à l'air qu'il enchaînait frénétiquement, sa tête balançait dans tous les sens, ses pieds et ses jambes s'articulaient dans une sorte de chorégraphie bordélique. Mais le plus important restait ce sourire satisfait qu'il arborait chaque fois qu'il jouait. Car il le faisait avec enthousiasme, avec passion, et c'était bien tout ce qui comptait pour lui. Tout autour, la bagarre monta d'un cran comme boostée par la musique. Il ne se rendait même pas compte de ce qu'il était en train de provoquer. Il continuait, arrivant bientôt à la fin du morceau, sans pour autant avoir le plaisir de faire profiter à tous du grand final. En effet, une main vint balayer ses guibolles et il chuta immédiatement sur le flanc. Ses cotes heurtèrent le rebord du comptoir et sa tête percuta le sol dans la foulée.