La propagande révolutionnaire utilisait souvent de la rhétorique sans lien avec la réalité. C'était là la somme de mes pensées alors que Quadrant et moi nous regardions en chien de faïence à travers la chambre de la triroyauté. Nous étions censés être des camarades, des membres de la même meute, des frères et des sœurs de lutte. Jamais je ne pourrais considérer ce type comme « mon frère ». Ni de cœur, ni d'armes.
Des frères comme ça, j'en avais un : Rafaelo. Des frères de sang, j'en avais deux. J'avais consacré un temps assez considérable, dans ma prime jeunesse, à me disputer avec eux, voire même me battre, bien que j'eusse arrêté rapidement (quand il devait clairement que mes aînés étaient plus grands et plus forts que moi). Je savais donc qu'entre frère et sœur, il n'y avait pas que de l'amour. Il y avait avant tout une bonne dose de complicité et de compétition, le tout en un savant mélange saupoudré d'égoïste opportuniste. Ensemble contre les parents, seul devant le cadeau.
Or, je n'éprouvai rien de tout cela pour Quadrant. Ni camaraderie, ni même rivalité. Au mieux, il m'indifférait. Au pire, il me débectait.
Il était pourtant l'exemple vivant d'un « bon petit révolutionnaire ». Dans la théorie. Il n'était même pas moche. A bien y regarder, il était même assez beau gosse, si on aimait le genre chafouin. Si quelqu'un avait la tête de l'emploi, c'était lui. On pourrait croire qu'il avait avalé le zoan du renard, le Quadrant. Son regard furetait partout et fuyait la confrontation, son sourire était charmeur mais froid, et derrière ses apparences aimables, il y avait une âme retorse de planificateur.
Quadrant était un As de la révolution, comme moi. Et comme Mosca de Torcy, il n'avait pas vraiment d'identité. Pire encore, il ne prétendait même pas avoir un nom de famille. Il avait fait de son nom de code la quadrature de son existence. Il avait laissé son action révolutionnaire le définir, par l'alpha et l'oméga. Il était révolutionnaire et rien d'autre que ça. Pas plus d'âge que d'histoire. Venait-il des blues ou du nouveau monde, je l'ignorais, comme beaucoup d'autres dans le réseau. Bon d'accord, du fait du cloisonnement des informations accessibles aux espions, pour limiter les pertes en cas de capture, j'en savais moins que la plupart de mes alter-ego révos. Tout juste le connaissais-je par ses talents de navigateur – d'où le nom de code. Révolutionnaires nous l'étions, et nous n'avions jamais clamé être des bêtes d'imagination.
- « Et donc... » reprenait Lullaby, brisant le silence qui s'était posé entre nous suite à mon refus de commenter ses premières déclarations, « vous êtes ici pour être un référent de la Révolution, au nom de l'Atout Raven ? »
- « Non. » Le mot était court, presque tranchant, mais Quadrant sut l'assortir d'un de ses étirements de lèvres qu'il pensait être un sourire apaisant. « Je suis ici pour trois choses. La première était la remontée de deux passagers vers Skypiéa. » Céline Di Auditore et Amaury de Denmark, les noms flottèrent sans être prononcés. « La deuxième est de redescendre Scarlett sur Grand Line, lorsque la mission diplomatique sera prête. La Révolution a bien conscience que Skypiéa n'a pas de navire digne de ce nom pour aller jusqu'à Marie-Joie, et on s'est accordé sur le fait que le succès de cette ambassade est une priorité. » Une décision qu'il était nettement loin de partager, et il ne manquait pas de le faire savoir, sans pour autant le dire de façon claire et définitive. « Ce bateau, c'est un... geste de bienvenue, on va dire, dans la Révolution. Par contre, moi, je ne suis dessus que le temps que vous trouviez un navigateur. Je ne peux pas me pointer à Marie-Joie, et même si je pouvais, j'ai autre chose à faire que servir de conducteur de Transilienne. » Je notai qu'il ne mentionna pas la possibilité de former un Skypiéien volontaire aux arts délicats de la navigation sur les flots d'eau. Révo peut-être, partageur de son expertise, nullement.
- « Ce qui nous fait deux points. Le troisième ? » s'enquit ma co-reine, qui n'avait pas oublié de savoir compter.
- « Je suis là pour évaluer ce que vous fabriquez sur Skypiéa et faire mon rapport à Raven. » Il avait fait exprès d'omettre ce point, forçant Lullaby à lui poser la question, de telle sorte qu'il put sortir sa monstruosité avec le sourire du chat qui venait de tremper la patte dans le pot de crème.
Nul besoin de haki pour saisir que Quadrant me vouait une inimité flagrante. Pour quelle raison, je l'ignorais. Je n'avais jamais rencontré ce type, et pour autant que je susse, je n'avais jamais interféré sur une de ses missions, ou une de l'un de ses potes. Après, je pouvais concevoir que j'étais facilement détestable, mais fallait-il encore me pratiquer pour le savoir. Quadrant m'était un inconnu en tout, et pourtant, il me détestait.
Du coup, je m'étais mise en retrait pendant tout le début de la discussion, cherchant à comprendre, essayant surtout de ne pas me fâcher. Mais de quel droit venait-il ici comme s'il était le détenteur du savoir universel ? On avait déjà eu ce genre de type. Deux fois. Alincourt et Maselfush, merci beaucoup. Apparemment, il venait du droit de Raven. Ouais, non. Juste non.
- « Raven ne m'a pas fait part de cet... état des lieux. » fis-je tranquillement, avec cependant une voix un brin trop cassante. J'étais sur la défensive et je n'arrivais pas à me détendre. Il fallait dire que je commençais à en avoir marre, de tout ça. Il avait réussi à m'obliger à prendre la parole. Je n'aimais pas ce type, décidément pas.
- « Raven n'a pas à rendre compte de ses décisions. » susurra Quadrant.
- « En effet. » Je lui concédai ce point dans ce jeu qu'il jouait tout seul.
« Cependant, je travaille en bonne intelligence avec elle, que je considère comme mon mentor et non juste ma supérieure, et ce depuis des années... Et ça m'étonne qu'elle pense nécessaire d'envoyer un inspecteur des travaux finis. » Un conseiller, oui. Mais un examinateur ? Ça ne ressemblait pas à Raven.
Il s'allongea en arrière, se carrant dans son fauteuil de nuages avec un peu trop de désinvolture pour me plaire.
- « Bah, si j'étais inspecteur, je n'aurais pas à inspecter grand chose... » fit-il en regardant les murs comme s'ils étaient une réalisation révolutionnaire ratée. Comme si tous Skypiéa était un échec. Je ne comprenais pas : Quadrant n'était pas un abruti, pourtant il était en train de se mettre Tenna et Lullaby à dos. Presque volontairement, en plus.
- « Ce qui est complément logique, vu que nous sommes encore en pleine reconstruction. » Cette fois, je pris la parole pour éviter à Tenna d'être grossier. « J'ai donc encore du mal à voir pourquoi Raven vous a envoyé ici, maintenant, avec cette mission. »
Quadrant décida d'ignorer la question dissimulée dans ma déclaration. A la place, il se leva et quitta la salle où Lullaby, Tenna et moi nous réunissions pour parler des différents chantiers en cours. Nous avions porté notre choix sur un bâtiment pas trop branlant, juste à côté de la grande place qui avait été le campement Shandia. En sortant, le révolutionnaire se retrouva ainsi plongé au cœur de l'animation de la ville. Beaucoup de Skypiéiens travaillaient à la construction de Maselfush Island, mais il restait encore du monde ici sur Vearth, et la plupart était encore regroupé autour de la cité de pierres. Là aussi, on rénovait : les ex-Anges qui ne vivraient pas à Maselfush Island viendraient s'installer ici.
L'As examina les va-et-vient des hommes et des femmes en train de transporter des seaux de ciment ou des paniers de feuillage arraché aux murs pour rendre les pièces habitables. Les enfants courraient partout, s'amusant des tâches qui leur avaient été confiées. Les Skypiéiens formaient un peuple très terre-à-terre, mais extrêmement sains par rapport à la possession et au bonheur. Un presque rien leur suffisait. Aujourd'hui, comme hier ou demain, ils construisaient leur futur. C'était forcément un travail dur, mais qui n'excluait pas les rires et les chansons. Pourtant Quadrant jetait un œil révulsé sur cette scène que je trouvais charmante, alors que bon, le bucolique et moi...
- « Tenna, Tenna ! » Un jeune guerrier, sûrement posté en sentinelle quelque part, jaillit de la foule en courant à grandes enjambées vers le tritroi. « On a besoin de toi, Manguelita t'attend. »
- « Où ça ? »
L'ex-Shandia avait été immédiatement sur le qui-vive, et suivit son guide à la seconde où celui-ci tendit un bras en direction du problème. Il prit à peine le temps de nous saluer, et cela ne nous choqua pas. Pas de chichis entre nous, on avait mieux à faire de notre temps. Surtout que des chichis d'Anges, vous m'excuserez...
- « Un problème ? » fit Quadrant en regardant Tenna disparaître au détour d'une ruine.
- « Non. » En fait, sûrement, mais ça ne le regardait pas. Si ça se trouvait, c'était « juste » quelqu'un de coincé sous une pierre ou quelque chose d'assez trivial. Mais ça, je n'allais pas le dire au mec qui ne voulait pas cracher son propre morceau.
- « Puisque nous sommes là, je vais vous montrer vos quartiers. »
Lullaby s'empara du dossier « connard » avec sa délicatesse habituelle. Elle allait lui faire faire la visite guidée de Shanda, le saouler de détails historiques et pratiques et voilà ! Tant qu'il ne nous dira pas clairement ce qu'il voulait faire, il sera sous étroite surveillance.
Pendant ce temps, j'essayai de joindre Raven. Je ne pouvais pas gober cette histoire de surveiller Skypiéa. Encore moins sans qu'elle ne m'en eût parler avant. Il manquait un gros pan d'information, et sans ça, je tâtonnai en aveugle. Bien entendu, impossible de la joindre ! Que la peste soit de Skypiéa et de ses Mers Blanche et Blanche-Blanche. On n'arrivait à joindre le Monde Bleu qu'une fois sur trois ! Il allait falloir que nous y remédions. Je tentai de me persuader que Quadrant était juste du genre à aimer titiller les gens, souvent à tort et à travers. Il était là pour nous filer un coup de main, me répétai-je comme une litanie, espérant gober mes propres paroles. Après tout, que savions-nous du montage d'un camp révolutionnaire ? J'étais une ancienne espionne spécialisée dans l'information, les Anges étaient des Anges – donc inutiles - et les Shandias des Guerriers. Ne parlons même pas des Sélénites. Il n'y avait que Rafaelo qui avait déjà monté ce genre de projets et s'il n'était pas aussi impliqué que moi dans la gestion quotidienne, il avait largement été consulté. Mais désormais concentré sur le chantier naval, et avec sa vie de famille retrouvée, il n'était plus disponible. Peut-être Raven avait-elle envie de s'assurer que tout était fait dans les règles de l'art ? Peut-être que Quadrant avait des talents cachés d'organisateur et de formateur dont nous ignorions tous ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas l'avoir dit ? Pourquoi se comporter ainsi ?
Je haussai les épaules. J'avais bien d'autres chats à fouetter. Je devais notamment préparer la mission diplomatique qui allait se rendre à Marie-Joie. Maintenant que la question « navire » était réglée – Raven avait été presque visionnaire sur ce coup, je le reconnais – plus rien ne m'empêchait de partir. Allez, au boulot.
Ainsi soit-il
Je me réveillai d'un coup. Quelque chose n'allait pas. Je n'avais pas la moindre idée de ce que ça pouvait être, mais mon haki s'était mis à trompeter sur tous les modes son signal d'alarme, et je passai du béat abandon dans les bras de Morphée à la conscience la plus limpide. Par la fenêtre ouverte, je n'avais que les cris de la jungle habituels pour une heure aussi nocturne. Pas de cri de veilleurs, aucun appel aux armes. Soit « ça » n'était pas encore arrivé, soit « ça » ne concernait pas Shanda dans son intégralité.
Tout en m'habillant rapidement, je scannai les alentours avec mon mantra, pour détecter un petit attroupement près de la ruine où Zieger était gardé prisonnier. Enfin, pas spécifiquement là. Le Marine errait toujours dans les allées souterraines sous l'île, mais cette ruine était le point d'entrée du labyrinthe que les gardes utilisaient pour régulièrement faire le point sur sa situation. Ils en profitaient pour lui déposer des vivres, sans jamais lui donner la moindre indication sur la façon dont ils « passaient les murs ».
En lui apportant à manger et à boire, choses qu'il n'arrivait que difficilement à se procurer seul, nous le retenions dans le coin, l'empêchant de s’éloigner dans le labyrinthe, tout en lui signifiant bien qu'il était désormais notre prisonnier. Nous aurions pu le laisser errer, sans se préoccuper de son devenir. La part la plus sombre en moi chuchotait régulièrement que ça aurait été la plus facile des solutions pour le monde, que de le laisser mourir de faim, de soif ou d'infection, ou encore d'une mauvaise chute accidentelle. Là, il nous aurait suffi d'annoncer au Gouvernement que le Lieutenant-Colonnel avait été retrouvé trop tard, mort, définitivement mort. Mais je me refusais à laisser un innocent souffrir aussi abominablement. Avant même la soif ou la maladie, ça aurait été la folie qui se serait emparée de lui. Or, pour avoir goûté moi-même aux « plaisirs » de l'Under-Skypiéa, je ne pouvais souhaiter ça qu'à mon pire ennemi. Et encore.
Mais le nourrir régulièrement revenait à lui signifier que nous étions au courant de sa présence dans les ruines et que nous refusions de lui porter assistance au-delà des vivres et des médicaments de base. Après l'énorme bêtise de Rafaelo, nous en rajoutions une couche. Tout bon révolutionnaire aurait, à ce stade de l'aventure, décidé que le cas Zieger était irrémédiablement scellé et que c'était un geste de bonté que de l'achever là, maintenant, proprement. Encore une fois, c'était un ordre que je me refusais à donner. Pourtant ce n'était pas les volontés plus fortes qui manquaient. Tenna en premier n'était pris, lui, d'aucun doute métaphysique sur la nécessité à se salir les mains pour assurer à Skypiéa paix et prospérité.
Néanmoins, je ne pouvais me résoudre à faire assassiner Zieger. Le mot faisait grincer, voire hurler plus d'un, mais c'était exactement l'impression que ça me donnait.
- « Mais quel crime a-t-il commis, pour qu'il doive payer de sa vie ? Il a sûrement fauté par avant, mais il est un homme bon. Vous pouvez sonder son âme autant de fois que vous le voudrez, au bout du compte, il est et sera et restera cet homme bon qu'il était hier et le jour avant. Le Lieutenant-Colonel n'a fait que suivre des ordres, des ordres assez inoffensifs : explorer Skypiéa pour répertorier ses richesses et contenter Maselfush. C'est de l'ingérence, oui, mais c'est très classique au sein du Gouvernement. Rien qui ne nécessite la mort. Et parce que l'un des nôtres a fait une faute, voilà que c'est lui qui devrait mourir ? C'est Rafaelo qui l'a blessé, au lieu de juste le chasser des ruines, c'est Rafaelo qui l'a laissé découvrir qu'il était encore en vie. »
- « C'est donc Rafaelo qu'il faut punir, c'est ça ? »
Je secouai la tête en réponse à cette interjection moqueuse.
- « C'est là le problème : vous cherchez à punir, pas à améliorer. Arrêtez de vous focaliser sur le blâme et la recherche d'un coupable, et concentrez-vous sur la solution, la meilleure solution. »
- « Shaïness, la meilleure solution, c'est celle qui sert le plus grand bien. Zieger met en danger l'intégralité de notre peuple. Sa mort résoudrait tout. » souffla doucement Tenna. Il ne comprenait pas mes « sensibleries ». Ça se voyait à l’œil nu qu'il me trouvait, en cette instance, faible.
- « Ne pas chercher au-delà de la mort de Zieger fera de nous des criminels. Nous ne pouvons pas tuer juste parce que c'est plus pratique. Toute vie est sacrée et Zieger mérite qu'on se décarcasse un peu pour lui sauver la peau des fesses. »
C'était il y a quelques jours avant l'arrivée de Céline Di Auditore et d'Amaury. Depuis, un statut-quo s'était installé, un qui consistait à ignorer autant que pouvait le problème Zieger. J'avais, de mon côté, sollicité la jeune mère fraîchement débarquée. En tant que Révolutionnaire aguerrie et expérimentée, Céline aurait pu avoir une idée qui nous aurait échappée. Hélas, elle-même avoua, après plusieurs jours de réflexion, que tuer le Marine était, tous comptes faits, la meilleure solution. Alors, comme tout à chacun, j'avais repoussé le cas dans un recoin de ma mémoire, me concentrant sur tout ce que je pouvais faire pour Skypiéa. Organiser le départ de Rafaelo, mettre en place un conseil pour la gouvernance des affaires ordinaires et extraordinaires, préparer ma propre délégation vers Marie-Joie. J'étais d'ailleurs sur le point de partir ; dans deux à trois jours à l'aube, le HMS Kulkutanne ferait sa descension inaugurale. A vrai dire, j'avais complètement zappé le Marine et sans ce chahut nocturne, je serais sûrement partie sans lui, me retrouver bien embêtée lorsque serait venu le moment de justifier de son absence. Ou peut-être espérais-je pouvoir le garder ici, entre ombre et oubli, ni libre ni mort, en une zone de flou artistique.
Là, si je n'intervenais pas, j'allais avoir un mort sur la conscience. Comment Zieger avait-il pu sortir des ruines, je l'ignorais, mais il était à deux doigts de se faire égorger par la patrouille de nuit. A l'aide de mon soru, je me précipitai pour porter secours au mort-en-suspens. Je ne faisais que retarder l'inévitable, et encore une fois, Dark Shaïness me susurra que laisser Zieger mourir ainsi arrangerait tout le monde. Sauf ma conscience. Si seulement je ne m'étais pas réveillée ! Le matin venant, j'aurais constaté le crime, j'aurais poussé une gueulante et enterré le corps. Là...
Avec mes fils et une pirouette sur moi-même, j'arrêtai les lames juste avant qu'un coup aussi malheureux que fatidique ne fut porté.
- « VRAIMENT ? » tonnai-je. « Vous n'êtes pas capables d'arrêter le prisonnier en fuite sans le trucider ? C'est là toute l'étendue de vos capacités ? Ah ben, elle est belle, la garde skypiéienne ! » Honteux d'avoir défié mes ordres, et encore plus (ou surtout?) de s'être faits prendre la main dans le sac, les quatre gardes baissèrent le nez.
- « …. » Zieger me regarda, et je vus dans ses yeux l'espoir faire place à la compréhension, à la peur, la colère, la résignation. Oui mon grand, je n'étais pas la Madonne qui te sauverait la peau. J'étais comme eux, une révolutionnaire.
Il me vint à l'esprit que nous aurions peut-être pu convaincre le Marine que Rafaelo avait agi seul, et que nous n'étions en rien son ennemi. Qu'il avait été retenu dans les ruines le temps nécessaire pour moi pour transmuter sa mise à mort pour être entré dans des ruines sacrées, en exil ou autre. J'étais suffisamment bonne menteuse (excellente même) pour lui servir tout ça sans sourciller. Mais non. De retour sur Grand-Line, Zieger s'empresserait de clamer le retour de Rafaelo parmi les vivants, en plus de nous mettre la pression d'une visite-sur-place de Maselfush, pour s'assurer de l'intégrité de son protectorat. Et qui sait ce qu'il avait vu et entendu depuis son sous-sol ? Non, il n'y avait pas d'espoir pour Zieger.
- « Tiens, tiens, mais qu'avons-nous là ? » Tous mes poils se hérissèrent et je dus maîtriser le mouvement instinctif qui me poussait à éclater la tronche de Quadrant, de la même manière que certains arachnophobes pouvaient continuer à s'acharner sur la bouillie de feu-l'araignée qui venait de succomber, en poussant des hululements de guerre. Littéralement, ce mec me débectait au point de régresser au stade de limace pour moi.
- « Rien qui ne te concerne. »
Au fil du temps, l'animosité entre lui et moi ne s'était pas estompée, loin de là. C'était pire depuis le départ de Rafaelo car avant ce dernier et moi avions pu faire front commun. Numériquement, nous écrasions ses « avis ». Il s'avéra au bout du compte, qu'il était censé nous conseiller, et non pas nous surveiller. J'avais réussi à attraper Raven entre deux interférences, et à faire le point sur la situation. Quadrant et Céline devaient nous aider à mettre en place non seulement la partie « révo » de Skypiéa, mais surtout Skypiéa en soi. Ne s'érige pas qui veut en nouveau gouvernement sans quelques erreurs et apparemment les deux là étaient des experts sur la question. Céline, je voulais bien, mais Quadrant ? Il nous tenait encore en haleine sur ses qualités, son CV... tout ce qui pourrait attester d'un savoir-faire spécifique. Et encore une fois, il n'avait pas répondu franchement... Quant à la preuve par les faits ; vu comment il nous avait « testé », selon ses propres mots une fois confronté à la vérité des faits, il ne bénéficiait d'aucune crédibilité auprès des Skypiéiens. Nous étions donc à bâtons rompus, surtout lui et moi. J'avais tout essayé, y compris lui poser directement la question de savoir pourquoi il me détestait autant, mais il n'avait fait qu'éluder ou crier à l'innocent bafoué. Autant dire que je le reçus comme un chien dans un jeu de quilles.
- « Un Marine ? Ici ? »
- « Il n'est pas là pour très longtemps, ne t'inquiète. Tu devrais aller dormir, c'est mauvais pour la santé de se promener comme ça. Les nuits sont fraîches. »
Vu qu'il n'était pas en pyjamas, et moins encore hâtivement vêtu comme celui tiré du lit au débotté, cela signifiait qu'il vadrouillait sur l'île. Et cette idée me dérangeait particulièrement. Pourtant, nous n'avions rien à lui cacher. Enfin, je crois. Je ne pouvais même pas certifier qu'il n'avait pas un agenda parallèle ou secret. Je pense qu'il était juste un de ces types qui ne trouvaient de réconfort dans la vie qu'en pourrissant celle des autres. J'étais une chieuse-née, donc je pouvais quelque part comprendre, mais là, il jouait dans une toute autre catégorie. Il faisait exprès.
- « Je ne comprends pas. C'est lui, le fameux Zieger ? … Oh, s'il te plaît, ce n'est pas un secret d'état. Ou alors, apprends à tes sujets à être plus discrets, ô ma reine. » glissa-t-il en réponse à ma réaction surprise. « En fait, je suis plus choqué par ce manque de prudence que par le fait que tu fasses des cachotteries à la Révolution. »
- « Je ne fais pas embêter le DRAGON avec des points de détails. »
- « T'entends ça, mon vieux ? » Il s'adressait à Zieger. « Tu n'est qu'un point de détail pour elle. »
- « Le DRAGON n'a pas à savoir l'intégralité de nos journées. Pas plus la couleur de nos chaussettes que nos problèmes internes. Nous allons régler cette histoire tous seuls. »
- « C'est sûr, vous allez régler cette histoire. Ça fait combien de temps que Maselfush est parti ? Combien de temps que vous le gardez prisonnier ? Il serait peut-être temps de t'y mettre, tu pars dans trois jours. »
- « Je n'ai pas de leçons à recevoir de toi. Tu aurais pu aider, avoir un apport positif, mais tout ce que tu as fais, ce n'est même pas critiquer, c'est instiller le doute et énerver les gens. Tu n'as rien apporté à Skypiéa, et donc je vais te demander de regagner ton logement et d'y rester jusqu'au jour du départ. » Ça y était. J'avais atteint le point de non retour.
- « Oh vraiment ? Assignation à résidence ? »
- « Parfaitement. Et ne t'avise pas de dire un mot de plus, ou tu iras remplacer Zieger dans le labyrinthe. Et là, crois-moi, tu ne seras pas nourri. »
- « Mais que de haine. Envers moi, un frère. On pourrait croire que tu préfères ce Marine à un--- »
- « Il n'y a pas à croire ou pas. Ce n'est pas parce que tu te dis révolutionnaire que je dois t'aimer ou même t'apprécier. Entre un type comme lui, et un type comme toi, mon choix est vite fait. Tu es mesquin, tu fais exprès de souligner les manquements chez les autres, sans apporter aucune aide pour améliorer. Tu es quelqu'un d'amer et de frustré et tu es la honte de la révolution. Maintenant--- »
- « Mais bien sûr, c'est moi la honte de la révolution. »
Je levai un sourcil perplexe.
- « Je ne vois pas ce qu'on pourrait me reprocher. J'ai servi fidèlement la Cause. »
- « Mais oui, mais oui. Ça fonctionne peut-être avec d'autres, mais pas avec moi. »
Avec un regard blasé, je me détournai. Hors de question que de lui prêter la moindre attention. Pour le moment Quadrant avait réussi, lui (et je le détestais pour ça), à garder son calme. Il m'avait assené sa dernière remarque en date avec cette horripilante maîtrise de soi saupoudrée avec ce qu'il fallait de sarcasme pour provoquer. C'était en fait sa stratégie : il poussait à bout et quand l'autre réagissait avec plus ou moins de passion, il se retrouvait en position forte pour que ses commentaires devinssent la vérité. Quoi de plus crédible que celui qui restait zen, face à l'accusé qui jurait et s'excitait. Comportement qui donnait à ce dernier un air de coupable. Ayant compris cela, et bien qu'il m'en coûtât, je gardai les lèvres serrées, cherchant à me concentrer sur l'important du moment : Zieger.
- « Comment êtes-vous sorti ? … Qui vous a aidé ? »
Le doute s'insinua en moi. C'était bien du genre de Quadrant que sous prétexte « qu'on ne l'avait pas mis au courant, et parce qu'il avait entendu bruit et qu'il ne voulait pas déranger les gardes qui avaient mieux à faire et que lui était un bon petit révolutionnaire qui mouillait la chemise spontanément », d'aller délivrer Zieger. Ce qui expliquerait sa présence tout habillé dans le coin, à cette heure indue de la nuit. Oh, je le voyais parfaitement en train de se frotter les mains : « oh, ils veulent me cacher des trucs ? Ben on va voir. »
Le fils de chacal !
Je lui jetai un regard en biais et il ne s'y attendait pas. Aussi je pus constater son sourire satisfait de ce qui a réussi à faire tomber le blâme de sa bêtise sur l'autre, sourire qu'il effaça immédiatement, mais trop tard.
- « Ne--- ne me renvoyez pas là-bas !!! » supplia soudain Zieger. « Pas les couloirs. Je... je vous promets, sur mon honneur, que je ne chercherai pas à m’échapper. Mettez-moi en prison, je ne ferai rien pour déranger, mais... mais ne me renvoyez pas là. » La folie dans ses yeux, son espoir désespéré alors qu'il m'adressait sa supplique, à genoux au sol, levant des mains en imploration vers moi. Il disait la vérité. Au fond de moi, je savais qu'il ne complotait rien d'autre que sortir du labyrinthe.
- « Emmenez dans la petite salle près du conseil. Mettez un garde devant la porte... et donnez-lui à manger ou boire s'il le désire. S'il essaye de s'échapper, là, vous pouvez le tuer. Mais j'examinerai la scène avant, donc pas d'entourloupe, hein. Il DOIT rester vivant, sauf si vous voulez que la Marine vienne ici. »
La patrouille hésita. Je savais qu'elle n'aimait pas ça. Pourtant, je fus obéie.
- « Tu joues un jeu dangereux. » me glissa Quadrant alors que nous n'étions plus que tous les deux devant l'entrée de la ruine.
- « Tu es encore là ? Retourne te coucher, tu as fais assez de dégâts pour cette nuit, je crois. »
- « Tu te montres faible, de plus en plus faible, chaque jour qui passe. Tu vas perdre toute crédibilité, et tu vas finir par perdre ta couronne. »
- « C'est sûr, tu te soucies de ma crédibilité. Ça fait des jours que tu sapes tout notre travail, à Tenna, Lullaby et moi. Et là, tu as délivré le prisonnier, me forçant à agir en plein jour. Enfin, nuit. Je me demande comment je m'en serais sortie sans ta si précieuse aide. »
- « Je ne voulais pas tomber sur Zieger. »
- « Mais bien sûr, tu pensais trouver qui ? Le fantôme des Noëls passés ? »
Il me répondit avec son sourire habituel, cet étirement de lèvre qui lui donnait l'air supérieur de celui qui en savait plus. Il pencha la tête et sans faire de pause, rattaqua, portant le combat sur un autre terrain.
- « Donc, ça ne te gêne pas, de perdre ton trône ? »
- « Si les Skypéiens en arrivent au point que ma décision n'est à leurs yeux, plus que faiblesse, alors je laisse la couronne à qui veut bien. »
- « Tu abandonnerais, donc ? »
- « Oui. C'est inutile de vouloir travailler avec des gens qui sont aussi fermés d'esprit. Comment pourraient-ils être dignes d'être sauvés ? Je les laisse à leurs nuages et à leur dragon céleste. Qu'ils se démerdent sans moi. »
- « Ah, mais quelle grandeur d'âme, quel dévouement à la Cause ! »
- « Ah, tiens, tu railles ouvertement, maintenant ? » A ce petit jeu, on pouvait être deux. J'apprenais très vite les règles et je détestais perdre. Il renâcla. J'avais touché un point sensible. Apparemment, je pouvais moi aussi le pousser dans ses derniers retranchements. « D'où vient cette terrible haine que tu me voues ? » La franchise restait la chose qu'il détestait le plus, lui le perfide fourbe.
- « Elle me vient, » cracha-t-il, comme électrisé par ma demande, preuve que j'avais bien deviné, « que je n'ai jamais eu et n'aurai jamais confiance en toi. Que tu passes ta vie à t'enfuir à la première difficulté. Tu es de la pire espèce, tu n'endures jamais, tu laisses tomber sous prétexte d'un jugement de valeur. »
- « C'est bien là ton avis. Je ne sais pas comment tu en es arrivé là, vu que nous n'avons jamais travaillé ensemble, mais si tu penses que je vais me justifier, tu te trompes. Je n'ai pas de compte à te rendre. Tu aurais dû voir, par le travail accompli ici, que je ne suis rien de tout ça, mais quelque chose me dit que tu es trop obnubilé par ta haine pour le voir. Non, chaque fait, chaque preuve doit être tordue, disséquée et remontée dans ton esprit pour que « les faits », tes faits collent à ta réalité. »
J'étais dégoûtée. Tout ça, pour ça. Mais quoi encore ? Je sauverais le monde entier à moi toute seule que j'aurais encore des détracteurs sur le dos. On ne pouvait pas plaire à tout le monde. Et j'en avais fini avec cette tendance à vouloir que tous m'aimassent, au point d'en perdre la raison. J'avais construit, enfin, un équilibre mental, où je pouvais me regarder dans la glace avec... non plus « juste » l'absence d'écœurement, mais une certaine fierté.
Ainsi, les récriminations de Quadrant ne me faisaient désormais ni chaud, ni froid. Je haussais les épaules et pris le chemin pour retourner me coucher.
- « Et encore une fois, tu fuis. »
- « Fuir quoi ? Ton imbécillité ? Quoi, que veux-tu ? Dois-je tomber à genoux et implorer ton pardon pour mes fautes ? Ou les fautes que tu penses toi, que j'ai commise ? Me flageller ? Oh, peut-être dois-je te demander conseil sur comment vivre ma vie ? »
- « Ta vie, je m'en contrefous. C'est la mienne qui m'intéresse. »
- « Hé bien quoi ? Vis-la, ta vie. Tu aurais pu refuser cette mission, non ? Des navigateurs, la révolution en a suffisamment pour ne pas avoir à te mettre dans cette position. A croire que tu voulais souffrir ma présence, volontairement. »
- « C'est que, contrairement à toi, je suis un révolutionnaire, un vrai. Je ne choisi pas mes missions ! Je suis les ordres, en dépit des mes sentiments personnels ! »
Avec toute l'ironie dont j'étais capable – un sacré tonneau, croyez-moi – j'applaudis mollement.
- « Mais c'est fan-tas-ti-que ! Mais quelle abnégation! Tu veux un bon point ? Une médaille en chocolat peut-être ? »
- « Tu te moques ? »
- « De toi, pas de la Cause. On a tous donné quelque chose, perdu quelque chose. Et je t'arrête, il n'y a pas d'échelles de comparaison, entre perdre un bras ou perdre sa famille. On a tous souffert et on continuera tous à souffrir. Si être révo, c'était la plage, le soleil et le bungalow, ça se saurait. »
- « Venant de celle qui n'a jamais souffert, c'est très ironique. »
- « Ah, mais que sais-tu de moi ? Tu n'as pas la moindre idée de ce que j'ai vécu. Tu ne m'as jamais parlé. Quant aux rumeurs, je leur prête tellement peu de valeurs, que je ne pense pas grande chose de ceux qui y croient. »
- « Il y a les rumeurs, mais il y a les faits. Et dans les faits, tu es une traîtresse ! »
- « …. première nouvelle... » Sacrebleu, où était-il allé chercher ça ? Je n'avais pas envie de revivre vitesse grand « v » toutes mes missions, mais un rapide coup d’œil mental sur mon état de service me confirma que je ne voyais rien qui pouvait ne serait-ce faire commencer à douter de mon engagement.
- « Tu étais CP. Et tu as trahi. »
- « Oui, pour la révolution... Être traître, c'est l'inverse, hein ? »
- « Ah-ah. Tout ce que je dis, c'est que celle qui a manqué à sa parole la première fois, manquera à la seconde. Ta parole n'a aucune valeur. C'est du flan, comme les mots que tu as dit lors de ton investiture CP. Tu sais, le serment que tu dois réciter par cœur à ta petite cérémonie. »
- « C'est là que tu te trompes. Pour moi, mon action au sein de la révolution s'inscrit parfaitement dans mon premier serment. J'ai juré de protéger la population civile, quoi qu'il m'en coûte. N'est-ce pas ce que nous faisons ? Toi, moi, chacun à notre niveau ? »
- « Mais tu ne fais rien ! Tu ne sers à rien ! »
- « Ça c'est ton opinion. Après, il suffit de regarder autour de toi pour voir que j'ai réalisé deux-trois trucs. J'dis ça, j'n'dis rien. Après tout, tu as de la merde entre les deux oreilles, pas étonnement que tu en aies aussi dans les yeux... »
- « Ah oui, parlons-en. La grande révolutionnaire Shaïness Raven-Cooper, trireine de Skypiéa. Devons-nous tous nous agenouiller pour admirer et boire chacun de tes gestes et paroles ? »
- « Grande non. Pas sûre que Scarlett soit un nom de code très connu de la masse de l'Armée Révolutionnaire. Même au sein du DRAGON, à part Raven. Je n'ai pas la folie des grandeurs, et je n'ai même pas la grosse tête. J'ai été espionne, mince ! Plus discret que moi, ça devient difficile. »
- « Mais précisément. Madame l'espionne dont on doit couvrir les traces, qu'importe le prix. Madame l'espionne qui se fait virer des Bureaux, comme ça, sans réfléchir à deux fois... » Ah, non, ça allait. Une fois, je veux bien, mais pas deux. Rafaelo m'avait déjà remonté les bretelles. « … et maintenant, Madame qui ne veut pas se salir les mains et qui dit que si on l'y oblige, alors c'est les autres qui ne sont pas assez bien pour elle. »
C'était hallucinant. Tout en moi se récriait devant un tel portrait, pourtant une part infime de moi ne pouvait s'empêcher de comprendre son point de vue. Ce n'était pas pour autant que je l'acceptais, mais...
- « Dès qu'un truc ne te va pas, pfff, et tu n'es plus là. Tu penses à toi, et absolument pas aux autres. Oh, oui, je suis au courant pour ton recrutement. Madame a eu une prise de conscience. Madame a réalisé que les Bureaux, c'était des méchants. » Il avait pris une voix grossièrement boudeuse. « Et Madame allait devoir faire des trucs glauques, et elle ne voulait pas devenir la méchante. Donc elle est passée révo, mais hors de question pour elle d'écailler son vernis. Ah non ! Madame l'espionne refusait de prendre des gros risques. Et la hiérarchie qui approuvait, parce que Madame était trop précieuse. Mais au bout du compte, ce n'était pas ta place qui importait, c'était de pouvoir te réassurer que finalement, tu n'avais pas si trahi que ça. Que devant Papa Marine et la famille, tu pouvais te justifier. Tu as toujours laissé une porte de sortie derrière toi. Le jour où être révo, c'est trop dur pour toi, alors tu peux retourner à ta petite vie. Scarlett n'est pas connue parce qu'elle était espionne ? D'accord. Mais Scarlett n'est plus espionne. Elle peut donc tuer un certain Marine. Un geste que tout le monde lui dit être la seule solution, même si c'est regrettable. Et alors même que certains sont prêts à le faire pour elle, elle refuse encore, pour des questions morales. La moralité n'a rien à voir là-dedans. Au fond de toi, tu es avec ce gars, parce qu'il est Marine et que tu es une agent du gouvernement avant tout autre chose. Tu peux jouer à la révolutionnaire, et tu es assez douée dans le rôle. Mais si on devait gratter le doré, Reine, on trouverait un beau bleu mouette. Tu as toujours été une gouvernementale, depuis le moment où tu es née. Et tu le seras jusqu'à ta mort. »
Il n'avait pas tort. Dans le sens où je serai toujours la fille de mon père. Les années passeront, je resterai la jeune adolescente éduquée pour devenir le prochain maillon de la dynastie marine qu'était ma famille. Je pourrais m'ouvrir les veines, je serais bien incapable d'en trier les gouttes qui faisaient de moi une Raven-Cooper de celles qui me donnaient le droit de m'appeler révolutionnaire.
Et une partie de moi avait, en effet, refusé de perdre espoir. La révolution, telle que j'avais toujours compris la chose, ne prônait ni l'anarchie, ni l'anomie. Elle se voulait réformatrice, non destructrice. L'idée n'était pas de renverser le Gouvernement Mondial mais de le purger. Aussi avais-je toujours cru intrinsèquement aux missions des Bureaux. Ainsi avais-je toujours refusé de considérer un Marine comme un ennemi, juste parce qu'il portait un uniforme. Oui, j'espérais un jour pouvoir me tenir devant mon père et mes frères, qui, en toute connaissance de mes faits et gestes, me considéreraient comme l'une des leurs. Nous étions une race égoïste et orgueilleuse, les Raven-Cooper. Notre honneur était notre sanctuaire. Il devait rester inviolé. Et c'était exactement pour ça que j'avais suivi Raven : au nom de mon honneur que des ordres iniques avaient bafoué.
J'avais abandonné Quadrant après sa tirade rageuse. Rentrée chez moi, j'avais envisagé de me recoucher, mais alors que l'aube teintait d'un rosé pourpre mes dernières journées sur Skypiéa, je dus me rendre compte que je n'arriverais pas à dormir. J'avais besoin de me confier et je ne voyais personne pour cela. Rafaelo était parti, Céline avait assez à faire avec les jumeaux et Mangrove n'était pas assez proche de moi, en terme d'âge et de vécu, pour comprendre. La dernière chose dont j'avais besoin, c'était une leçon de morale déguisée en interrogation mystique. Et je n'avais pas envie d'avoir à supporter le serpent volant qui m'avait adopté. Il était collant au possible. Enfin, elle. J'avais décidé que c'était une fille, parce que voilà. Être aussi chiant, c'était une marque indéniable de féminité. Je ne voulais pas être rassurée, je voulais.... échanger, réellement.
Finalement, il me vint à l'esprit qu'il n'y avait qu'une personne sur Skypiéa avec qui je pouvais parler de Zieger et des contradictions qu'il faisait naître en moi : Zieger lui-même. Aussi incohérent que cela pouvait paraître, il restait encore la personne qui connaissait le mieux le monde bleu ET le système gouvernemental. Et s'il ne serait pas impartial, au moins ne serait-il pas là pour immédiatement crier à l'hérésie institutionnelle dès que nous aborderions le sujet. Et là je réalisai que c'était peut-être là la réelle solution : parler à cet homme. S'il était véritablement l'humain bon mais imparfait que je pensais, alors il ne pourrait qu'abonder dans mon sens. Il comprendrait le pourquoi du comment de mes décisions. Et celui qui comprenait était presque déjà celui qui partageait.
Les gardes devant sa porte d'entrée n'étaient pas très contents de leur poste. Pour eux, faire la sentinelle pour cet étranger était presque humiliant. Et ils ne comprenaient pas pourquoi j'avais ordonné de déplacer Zieger. En cela, Quadrant avait encore une fois pas forcément tort. Les Skypiéiens avaient beaucoup de qualités, mais ils étaient assez xénophobes.
- « … est-ce qu'on vous a bien traité, depuis tout à l'heure ? »
Le regard que Zieger me dédia fut éloquent et j'eus l'humilité de rougir profondément. L'air désabusé se mélangeait à une fatigue certaine, et à ma plus grande honte, un certain fatalisme.
- « … que voulez-vous de moi ? N'est-ce pas suffisant de tenir prisonnier de vos ruines ? Qu'est-ce que c'est, une mise en scène, pour tenter de m'amadouer et me faire dire ce que je ne sais pas ? »
- « Oh, nous savons parfaitement que vous ne savez rien. Et c'est bien là le problème. »
- « Ah ? »
- « Oui. Vous seriez un espion, un fouineur, une âme damnée de la bureaucratie, je n'aurais pas toutes ces hésitations sur votre cas. »
- « C'est sûr, vous êtes très hésitante. Je l'ai bien perçu depuis les tréfonds de cette île, où j'erre depuis... quoi ? Combien de temps ? J'ai perdu le compte. »
- « Précisément. Un mort ne perçoit rien. » fis-je en ignorant ses accusations qui avaient un relent de vérité détestable.
- « Parce que vous appelez ça être en vie ? Donne-je vraiment l'impression d'être une personne saine de corps et d'esprit ? »
- « J'ai moi aussi erré quelques heures dans les ruines souterraines. Je ne peux imaginer ce que vous avez pu éprouver. Mais si vous préfériez mourir, vous n'aviez qu'à le faire savoir. Ou vous débrouiller tout seul. »
- « Croyez-le ou non, j'avais un espoir. Tenu, fin, mais un espoir tout de même. Vous. C'est fou ce qu'un espoir peut vous faire faire ou croire. »
- « Je sais. C'est par espoir que je suis devenue révolutionnaire. »
- « … Ainsi, c'est vrai ? Vous êtes une révolutionnaire ? Convaincue et avouée ? » Il jeta un coup d’œil vers la porte, que les gardes avaient délaissé pour nous donner un peu d'intimité. Pourtant, il préféra reprendre à voix basse, presque un murmure inaudible, même pour moi penchée vers lui. « Vous n'êtes pas une CP infiltrée qui va pouvoir m'aider ? »
- « Je ne suis pas infiltrée dans la révolution. Mais ce n'est pas pour autant que je ne peux pas vous aider. »
Il eut un reniflement moqueur.
- « Vous êtes peut-être reine sur ciel, mais je ne vois pas ce que vous pouvez faire pour moi. Si j'ai bien compris ma situation, je suis un mort en suspens. Et je sais que j'ai compris la situation. Il me manquait votre variable, et avec votre véritable allégeance, l'équation est résolue. Espoir égal zéro. »
- « Je ne suis pas convaincue que ce soit le cas. J'ai le sentiment que je peux vous sauver, même si je n'en ai pas encore trouvé le moyen. »
- « … pourquoi ? »
- « ??? »
- « Pourquoi vouloir me sauver ? »
- « Pourquoi ne vous sauverais-je pas ? »
- « Je suis votre ennemi. Il est de mon devoir de lutter contre vous, de toutes mes forces, tout comme il est le vôtre de me rendre la pareille. »
- « Non, l'Armée Révolutionnaire ne veut pas tuer les Marines à vue. Juste les--- »
- « C'est ça. Répétez-le-vous assez souvent, vous finirez par y croire. Moi, en tous les cas, je peux vous citer une longue liste comme le bras où votre Révolution a été gratuitement violente, tuant des Marines, voire même des civils. Je ne parle même pas de dommages collatéraux. »
Nous échangeâmes quelques noms d'oiseaux au milieu de notre argumentation, mais force fut pour moi de me rendre à l'évidence : la Révolution n'était pas parfaite. Je ne l'ignorais pas, mais c'était autre chose que de se prendre cette accusation, non, ce fait, en pleine face. D'habitude, c'était moi qui convainquais les autres de la noirceur du Gouvernement. C'était un retournement de situation bien désagréable pour moi.
Puis je me souvins d'Alheïri, dont la première femme était morte dans un attentat révolutionnaire. Et de Clotho, qui avait tué des civils simplement par simple colère.
- « Soit. Les hommes et les femmes de toutes races sont imparfaits. C'est pour cela que le système du Gouvernement Mondial a été corrompu, et c'est exactement pareil pour la Révolution. La théorie est belle, parfaite, la mise en application compliquée, la pratique loin des attentes rêvées. Devons-nous donc continuer à entretenir ce cycle d'imperfections en vous tuant pour le simple fait d'être d'un avis contraire ? Ou allez-vous m'aider à vous sauver la peau des fesses ? »
- « À partir du moment où je serai libre, je vous dénonce. Tous. Eux, vous, Rafaelo. L'autre type, là. »
- « Hum. » Je pouvais difficilement avouer que j'étais prête à livrer Quadrant aux autorités moi-même, tellement il m'énervait. Malheureusement, Zieger était toujours aussi finaud. Je l'avais déjà remarqué lors de notre voyage depuis Alabasta.
- « Pff, vous ne vous aimez pas. Vous êtes incapables de passer outre pour travailler en bonne intelligence. Pas étonnant que vous ne réussissiez jamais à rien. »
- « Parce que vous, vous aimez tous vos petits camarades de division, peut-être ? »
- « Nous, nous ne nous battons pas pour un idéal pur et blanc. »
- « Techniquement, si. Dois-je vous rappeler les paroles de votre serment ? Protéger les populations, arrêter les criminels, faire régner la CUL, offrir à chaque homme et femme de toute race l'opportunité d'une vie meilleure ? J'ai oublié les licornes et les arcs-en-ciel, mais bon... »
Il cligna les yeux, un peu déstabilisé. J'avais marqué un point.
- « N'empêche. Vous avez trahi ce même serment. Ce qui fait que votre deuxième combat est corrompu de base. Qui trahit son maître une première fois, trahira forcément une seconde fois. »
C'était exactement ce que Quadrant m'avait dit. Pourtant, venant de Zieger, c'était autrement plus douloureux.
- « Je n'ai pas trahi. Enfin, je peux comprendre pourquoi j'en donne l'impression, mais pour moi, je ne me voyais pas continuer à travailler pour un système qui est complètement pourri. »
- « Peuh, illusion que seuls les rêveurs peuvent se permettre. Tenez, puisque nous nous sommes mis d'accord que votre Révolution ne vaut pas mieux que mon Gouvernement, qu'est-ce que vous allez faire ? Refuser de bosser pour votre Freeman ? Déserter à nouveau, et chercher un St Graal de pureté, que vous ne trouverez jamais, soit dit en passant ? »
- « Non. Je ne vais pas mentir, il y a beaucoup de choses à redresser au sein de la révolution. Après tout, nous sommes encore un mouvement jeune, et récemment unifié. Les divergences de vues entraînent bien autre chose que des discours enflammés contre ou pour telle action. Mais ce n'est pas une cause perdue ! Nous pouvons changer les choses ! »
- « Mais le Gouvernement, lui, est une cause perdue ? Vous ne pouviez pas changer les choses là-bas non plus ? »
- « Je... »
À vrai dire, c'était bien la première fois que j'envisageais réellement cette possibilité. En un éclair, mon haki de l'empathie me fit voir ce futur alternatif, ce qui aurait pu se passer si j'étais restée dans les CP et mener le combat de l'intérieur.
- « Non. Ça n'aurait pas fonctionné. Les CP sont l'exemple parfait de la corruption du système. J'aime mon mé---enfin, j'aimais. Jusqu'au jour où j'ai compris qu'il y avait abus. Sous prétexte du « top secret », on laissait presque carte blanche pour des horreurs. J'ai vu... j'ai fait... des choses horribles, complètement inutiles, juste parce que ça allait plus vite et que personne ne saura jamais la vérité sur l'implication du Gouvernement. J'ai les mains rouges de sang. De sang de victimes collatérales. D'innocents. De gens qui n'avaient pas BESOIN d'être tués. Ce n'est pas être prude. Parfois, à la violence ne peut répondre qu'une violence plus grande. Je le sais. Il est nécessaire que quelqu'un se salisse les mains, et j'avais conscience de ça. Je... j'ai tué des gens au nom de cette conviction. Mais nous étions utilisés à tout va, pour n'importe quoi.
Jamais un CP ne pourra réussir à faire bouger le système. Pour survivre, la plupart des agents enterre leur conscience. La faire revivre serait une douleur trop grande pour eux. Quant aux agents qui sont simplement psychopathes, je ne vois pas la moindre solution. Non, au mieux, un CP ne ferait que détruire. »
- « Vous auriez passer Marine ? »
- « Vous savez très bien ce qui arrive aux officiers qui ouvrent trop leur grande gueule sur les sujets qui fâchent. Non, le système est trop corrompu. Les « méchants » sont bien installés en haut de la chaîne et veillent jalousement à ce que rien ne vienne déstabiliser leur petite vie. Ils passent ainsi tout leur temps, et détournent bien des moyens du Gouvernement, pour assurer leur arrière, au lieu de concentrer ses ressources sur les véritables missions. »
- « Ohohoh. Vous êtes en train de me dire que tous les officiers supérieurs sont des monstres ? »
- « Non, bien sûr que non. J'en connais personnellement deux---. » En fait, plus qu'un. Mon père. Alheïri était mort. Ma voix se cassa soudainement et je fus à deux doigts de me mettre à pleurer, sans trop savoir pourquoi. Je réussis à me reprendre à grand peine, refusant de montrer une faiblesse de plus. « Bref. Mais à partir d'un moment, un officier ne peut pas ignorer les manquements du système. Et ne rien dire, détourner les yeux, c'est déjà une faute lourde pour moi. » Et en cela, mon propre paternel était coupable, et je lui en voulais beaucoup.
- « C'est sûr, c'est tellement plus utile de se faire passer en cour martiale pour insubordination. »
- « Ah, mais on y arrive. Donc, parce que le système est corrompu et que dénoncer cette corruption équivaut à signer son arrêt de travail, si ce n'est son arrêt de mort, surtout ne faisons rien ? C'est bien pour cela que je suis devenue révolutionnaire. Parce qu'on ne peut rien faire de l'intérieur, sans risque de se prendre un mauvais coup. Et comme vous l'avez dit, un mort ne sert pas à grand chose. »
- « Vous auriez pu faire semblant. Devenir un de ces chefs intouchables, en n'en ayant que l'apparence. Et une fois au pouvoir, là, vous pouviez changer les règles du jeu, à votre convenance. Quitte à être infiltrée, autant l'être au bon endroit. »
- « Oh, c'est facile de donner des leçons. Quand on VIT cette situation, rien n'est clair, limpide. Et bon, je vous rappelle que vous bossiez pour le CP en charge des dragons célestes, hein. Niveau collusion d'intérêt, vous faites fort. »
- « Parce que vous pensez que j'ai eu le choix ? Que j'avais la possibilité de dire « non, je suis Marine, sur un navire, alors jouez les explorateurs pour un tyran, je passe la main » ? Que de toutes les façons, j'avais envie de faire cette mission ? »
- « Donc, vous-mêmes reconnaissez que le système est pourri. » J'insistai. Lourdement et encore plus s'il le fallait.
- « …. oui.... » finit-il par reconnaître après un moment de silencieux rageur.
« Mais ce n'est pas pour autant que j'approuve votre groupuscule, ses agissements et surtout, votre trahison. »
- « Ce qui est fait est fait. Peut-être que si je vous avais rencontré plus tôt... mais avec des si, on met Marie-Joie en bouteille. »
- « … Je veux bien admettre que vous êtes une révolutionnaire atypique. » concéda-t-il brusquement. « Votre façon d'être et de faire. Je ne retrouve pas forcément en vous ce qu'il y a chez les autres. Pourquoi ça ? »
Sans entrer dans les détails, je lui expliquai alors les tenants et aboutissants de la Révolution, depuis la réunification par Freeman jusqu'aux idéologies proéminentes encore en cours parmi les cellules de la Cause.
Je n'avais pas à me justifier. Mais je voulais qu'il comprît que toute la Révolution n'était pas une masse de crétins ou d'anarchistes. Qu'il y avait un sens. Et qu'il arrêtât de voir le monde en noir ou blanc. Si nous étions gris de groupe (avec des influences rosées), c'était pour une bonne raisons.
- « Agen---Madam--- comment dois-je vous appeler au bout du compte ? Votre Majesté ? » J'eus un rire court.
- « Ma foi, je n'y ai jamais pensé. Ici, le protocole... Je suppose que je vais devoir m'habituer à ça. Votre Majesté.... Mais vous pouvez m'appeler Shaïness. »
- « Et votre nom de code ? » La question me coupa dans tous mes élans, et soudain, je le regardai, prise d'une méfiance absolue. « Si vous voulez que je vous croie, il va falloir passer à table, Shaïness. De toutes les façons, j'en sais déjà trop. Autant mériter ma mort, non ? Et peut-être qu'en vous mettant dos au mur, vous allez pouvoir prendre une décision en ce qui me concerne. »
- « Vous tenez tellement à mourir ? »
- « Non, mais je m'y suis préparé. … …. … Hé, franchement, que voulez-vous faire de moi ? »
- « Bah, vous sauver la vie, mais si vous-même avez perdu l'espoir.... »
- « Mais quel espoir ? Celui de rester en vie ? Celui de revoir ma famille ? Mais à quel coût ? Je ne serai jamais libre. Je ne pourrai jamais retourner à ma vie d'avant. J'en sais trop déjà. Et même si je devais vous jurer de garder le secret, est-ce que vous me croirez ? »
- « Moi si. »
- « Vous êtes une idéaliste au point d'en être niaise, Shaïness. »
- « Hé !!! »
- « Il est temps que vous compreniez que vous ne gagnerez pas qu'avec des bons sentiments et des nobles intentions. Tiens, rappelez-vous ce que vous m'avez dit : tout système demande une part de violence. Du temps où vous étiez fidèle au gouvernement, vous vous salissiez les mains en son nom sans sourciller. Pourtant n'en feriez-vous pas autant pour la Révolution ? »
- « Parce que c'est mal. J'aurais dû sourciller. Accepter que la violence est une réponse acceptable, c'est juste.... »
- « terriblement terre-à-terre. » conclut Zieger.
Il me regardait avec... pitié. Par tout ce que j'avais de sacré (certes, pas grand chose), j'étais, moi, Shaïness Raven-Cooper, prise en pitié par un Marine prisonnier depuis des semaines.
J'en restai bouche-bée, un cri de colère dans les poumons, sans qu'aucun son ne voulût sortir de ma gorge. Je ne m'en rendais pas compte, mais je serai convulsivement les poings, et j'étais à « ça » de juste frapper Zieger.
- « NON ! » hurlai-je presque.
- « Non quoi ? »
- « Non, je refuse. Je refuse de vivre dans un monde où le recours à la violence est banalisé. Je refuse ce monde. Et c'est exactement pour ça que je veux le changer. Et c'est exactement pour ça que ça fait de moi une bonne révo, et une bonne marine pour le coup--- »
- « CP, vous étiez CP. » interjeta Zieger, mais je n'enregistrai même pas la remarque.
- « –- et si pour réussir à créer un monde de paix à la place d'un monde de violence je dois être traitée d'idéaliste, de niaise et de rêveuse, qu'il en soit ainsi. Et qu'importe si je suis la seule au monde à voir ainsi. Et qu'importe si cela dérange. »
- « Ah, ça, c'est sûr que c'est un discours très... novateur. Vos compagnons ne vont pas aimer. »
- « Est-ce que j'ai la tête de quelqu'un qui se préoccupe de ce que pensent les autres ? »
- « Un peu oui. » Après la pitié, la moquerie ? Ce mec avait-il des tendances suicidaires, en fait ? « Cet autre révolutionnaire ? Le blond, de tout à l'heure ? Il... excusez-moi si je blesse votre ego, Votre Majesté, mais il vous a critiqué devant vos sujets. Il a remis en question votre autorité. Et vous l'avez laissé faire. Clairement, ce qu'il dit de vous importe. »
Je reniflai, dédaigneuse pour le coup.
- « Je ne serai plus naïve, mais bête ou hypocrite si, alors même que je tente de réduire la violence dans le monde, je devais taper Quadrant pour avoir une opinion différente de la mienne. Enfin, opinion, c'est vite dit. »
- « Un monde de paix, et un monde d'égalité, ce n'est pas la même chose, Shaïness. Vous êtes Reine. Ou meneuse, chef, qu'importe le titre. L'autorité fait loi, c'est le ciment de toute chose. Regardez dans la nature, bon sang ! Il y a toujours un alpha dans les meutes d'animaux, et le plus fort mange le plus faible. Vous pouvez changer des choses, mais pas leur ordre. L'ordre naturel des choses. Si vous voulez faire entendre votre voix, il faut commencer par faire taire celle des autres. Tenter de beugler plus fort qu'eux, c'est rajouter de la violence. Les ignorer, c'est être naïve. Donc bon, à un moment donné, vous allez devoir vous mouiller.. »
- « … vous allez mal le prendre, mais vous réfléchissez presque de la même manière que Quadrant... »
- « Hein ? Mais bien sûr que je le prends mal ! C'est un... un... révolutionnaire! »
- « Ben moi aussi. » Donc si le mot était une injure, il venait de me manquer de respect, alors même que ce n'était pas du tout ce qu'il y avait entre nous.
- « …. » Il soupira lourdement, se frottant l'arrête du nez. « Je croyais que nous nous étions mis d'accord que vous étiez une exception à la règle. »
- « Non, je ne suis pas une exception. Je suis exceptionnelle, je vous l'accorde, mais tous les révo ne sont pas des anarchistes meurtriers, comme tous les Marines ne sont pas des despotes sans foi ni loi. »
- « Vous ne me ferez pas dire que vous avez raison. »
- « Même pas pour sauver votre vie ? »
- « Est-ce que vous voudriez sauver votre vie au prix d'un tel mensonge ? »
- « Mais certainement. Je mens comme je respire, de toutes les façons. »
- « … vous n'aidez pas votre cas, là. »
- « Ah bon ? Je suis en train de vous dire que je suis prête à sacrifier mon image, pour rester en vie, pour continuer ma lutte, et vous, vous y voyez là un signe de faiblesse ? »
- « Mais c'est fantastique ! Rien n'a de sens avec vous ! Votre logique est de base contradictoire ! »
- « Mais elle est logique. »
- « M-m-m-m- »
- « Et si vous deveniez mon conseiller ? » fis-je soudain, prise d'une illumination.
- « HEIN ? »
- « C'est justement ça dont j'ai besoin ! Quelqu'un qui n'est pas d'accord avec moi, qui peut s'opposer à mes décisions, qui discute sans pour autant partir dans des délires de complot ou je-ne-sais-quoi. »
- « Je ne serai JAMAIS révolutionnaire !! »
- « Ben, ne le devenez pas. . »
- « Mais bien sûr. Je reste ici, et tout le monde accepte cela ? »
- « On dit que vous êtes morts, et voilà, problème résolu ! »
- « Non, parce que tout VOTRE monde ne m'acceptera pas ! »
- « Raah, ils s'habitueront. Vous êtes ni méchant, ni l'ennemi. »
- « Pour eux, oui. Ils voudront me tuer ! »
- « Mais non ! » tentai-je de le rassurer. « Ils seront un peu – beaucoup, d'accord – froids à votre égard au départ, mais c'est le principe de la démocratie : on respecte les parties d'opposition. »
- « Vous êtes en monarchie, Shaïness. »
- « J'ai été élue. »
- « Triple monarchie, pour être exact. »
- « Justement, je suis la reine, je fais ce que je veux ! »
- « Votre logique contradictoire m'énerve. »
- « Prenez ça comme un détachement, de vos fonctions actuelles ? Une mission annexe, auprès d'un organisme étatique indépendant ? »
- « Vous savez très bien que toute solution comprenant ma survie éveillera les récriminations de votre... Quadrant ? Alors, me faire rester ici ? »
- « Bah, et alors ? Je vous ai dit que Quadrant peut dire ce qu'il veut, je m'en fiche. »
- « Oui, mais il FAIT aussi un peu ce qu'il veut, vu que vous ne vous opposez pas à lui ou tentez de le museler, et ce qu'il veut, c'est clairement me tuer, là. »
- « Comment ça, il veut vous tuer ? Il vous a aidé à vous échapper, non ? »
- « Pas spécialement. Il était parti pour me tuer, mais il arrêté son geste. Quelque chose a attiré son attention, et j'en ai profité pour retracer ses pas et sortir des ruines. »
- « … Donc vous me confirmez qu'il est venu dans les ruines pour vous tuer ? » Zieger était peut-être en train de me donner les preuves dont j'avais besoin pour réduire Quadrant au silence, en dénonçant ses actions qui s'opposaient à mes ordres directs. Même si la parole de Zieger ne valait pas grand chose... mais celle de Quadrant non plus, donc...
- « Absolument pas. Il a clairement été surpris de me trouver. De ce que j'en ai compris, il cherchait autre chose, et c'est cet autre chose qui a retardé ma mort. »
- « Mais il voulait quoi ? »
- « Aucune idée. Je ne me suis pas arrêté pour lui demander son but dans la vie non plus. »
- « Ce type est vraiment perfide. Je ne sais pas ce qu'il fait, mais il cherche les emmerdes. »
- « Pour tout vous dire, je ne l'aime pas non plus. » Zieger eut un sourire las, mais sincère. Avec beaucoup d'amertume.
- « Mais moi, vous m'aimez bien, hein ? Donc, aidez-moi ! »
- « Je vous ai dit. Non. Si je me retrouve libre sur Skypiéa, je chercherai à m'échapper. »
- « Mais pourquoi ? Vous avez vous-même admis que mon action avait un sens. Tordu, mais pas tant que ça. Aidez-moi à lui en donner encore plus ! »
- « Mais c'est ma mission ! J'ai juré de vous combattre ! Je n'ai pas le choix ! »
- « Tout le monde a le choix ! Vous savez que ce que je fais ici n'est pas mauvais. Et je ne vous demande pas de trahir, de donner des secrets ou même d'apprendre à mes guerriers à se battre. Je vous demande juste de me dire honnêtement le fond de votre pensée sur les décisions. »
- « C'est facile. Ma pensée se résume grosso-modo à : rendez-vous, réintégrez les rangs de la Marine et faites les choses proprement. En plus, je n'ai pas envie d'être mort aux yeux de ma famille. »
- « Vous préférez donc être mort tout court ? »
- « Non, mais je ne peux pas rester sur Skypiéa. Non seulement je ne le veux pas, mais je ne le peux pas. Votre peuple me tuerait. Ils ont déjà du mal à ne pas s’entre-tuer entre eux. Dernier point, votre obstination à me sauver trouve peut-être ses racines dans l'envie de bien faire, mais ça va vous mettre en porte-à-faux avec vos sujets. Ils ne sont pas prêts pour ça. Au bout du compte, ils vont vous déposer, et vous ne serez plus reine de rien. »
- « J'ai déjà dit que je ne voulais pas être reine de gens comme eux. »
- « Trop tard. Vous êtes déjà Reine. Vous n'arriverez pas à les changer. »
- « Donc, je ne peux pas vous faire changer d'avis, et je ne peux pas les faire changer d'avis. Je sers à quoi, alors ? »
- « A pas grand chose. » Il se cala contre le mur et me fit un sourire impertinent en coin. « C'est ça, d'être une rêveuse naïve. »
- « Donc, je vais quoi, de vous ? Je vous mets un couteau dans la main, vous tuez Quadrant et comme ça, vous mourrez honorablement en entraînant un salaud de révo avec vous ? »
- « C'est un salaud, et c'est un révo. »
- « Vous savez très bien que ce n'est pas ce que je veux dire ! »
- « En toute honnêteté, c'est peut-être la moins pire des solutions, si vous me permettez l'expression. Quitte à mourir, autant tuer un abruti avec moi. Qu'il soit révo est juste la cerise sur le gâteau. »
- « Vous pourriez, vraiment, me tuer, moi, juste parce que je suis révo ? »
- « Non, je vous tuerai parce que vous me feriez confiance et que ça serait comme tuer un bébé chien. »
- « Mais vous me tueriez ? »
- « Si ça me permet de gagner ma liberté ? Carrément. »
- « Et si je vous offre la liberté, mais ailleurs ? »
- « Comment ça ? »
- « Loin, très loin d'ici. Sur une autre île. Une dont vous ne vous échapperiez pas, mais où vous pourriez vivre en paix. Loin de tout. »
- « Comment ça ? »
- « Sur le Nouveau Monde, il existe des îles où vous ne seriez pas Marine, mais pas révo. Vous seriez juste un homme, avec un bon sens moral. »
- « Je vous l'ai dit, je vais m'échapper. »
- « Pas si je tue le Marine en vous. »
- « Et comment voulez-vous faire ça ? »
- « Huum, je pourrais vous dire que si vous n'acceptez pas le marché, je tue votre famille. »
- « Venant de vous ? Laissez-moi rire. »
- « Alors, c'est un accord de principe. Vous me faites confiance. Vous faites confiance en la révolution que j'incarne. Vous abandonnez de vous-même votre rang au sein de la Marine, vous acceptez de redevenir civil. Comme ça, vous êtes déliés de votre promesse de combattre « les ennemis ». Et moi, je vous envoie vivre le reste de vos jours en paix. Je peux même faire venir votre femme et vos gosses, si vous le voulez. »
- « …. et vous ME feriez confiance ? Comme ça ? Je dis juste oralement qu'à partir de maintenant, je renonce à la Marine et ça vous ira ? »
- « Mieux faut renoncer à la Marine qu'à la vie, non ? »
- « Ce n'est pas ça ! Shaïness, ma parole, je vous parle de ma parole ? »
- « Quoi ta parole, qu'est-ce qu'elle a, ta parole, hein ? »
- « Mais je suis un Marine !! Personne ne va me croire. »
- « Mais moi, je suis Reine, et mes convictions font loi. »
Nah !
Il en resta scié, pendant un long moment, parce que quelque part, mon discours, ma proposition, tout se tenait. A partir du moment où lui comme moi passions outre notre clivage et nous faisions confiance.
Autant dire que ce n'était pas totalement gagné.
- « Et si vous trahissez votre parole, vous me trahissez, moi, puisque j'engage mon titre sur votre parole. Et là, je le prendrai très mal. Et comme je n'aurai plus de trône, j'aurai tout le temps disponible pour vous traquer. Et quand je vous aurai trouvé, et je vous trouverai, je vous tuerai. J'ai été une agent CP assez doué, je vous le rappelle. Je VAIS vous retrouver. »
- « …. Votre code ? »
- « Scarlett. »
- « Sur le nom de Scarlett, alors, je veux bien jurer. Comme ça, si je vous trahis, je sais que j'emporterai une révo dans la tombe avec moi. »
Et comme nous savions tous les deux que nous n'avions aucune envie de nous entre-tuer, en dépit de nos différences, alors, nous étions sauvés.
Bien entendu, la décision ne plut absolument pas. Rare étaient les Skypéiens qui comprenaient que le sang ne pouvait pas continuellement appeler au sang. Même Raven ne semblait pas convaincue. Pourtant, elle accepta d'arranger le transport de Zieger vers une île sous dominion révolutionnaire (pour garder un œil sur le loustic) au fin fond du nouveau monde.
Après ça, il y eu une petite cérémonie publique où Zieger jura devant l'assemblée réunie qu'il renonçait à sa mission de Marine, en échange de quoi la révolution lui laissait la vie sauve. Au nom de la révo, j'acceptai. J'avais bel et bien lié mon sort à celui du lieutenant-colonel. S'il avait menti, s'il reprenait contact avec la Marine, alors, c'en était fait de moi. Pourtant, j'étais très contente de cet accord. Encore plus quand je réalisai à quel point Quadrant enrageait.
Et ce fut là que je commis une faute. A cet instant, j'aurais dû me méfier. Quadrant qui boude n'amasse pas mousse. J'aurais dû savoir qu'il me préparait un coup-fourré. Cependant, j'étais accaparé par les ultimes préparatifs de mon départ. A tel point qu'il réussit à me coincer sur le « quai », alors qu'une foule était assemblée autour du HMS Kulkutanne, admirant ce bateau et surtout, l'inventaire des cadeaux qu'on y embarquait. Parmi beaucoup d'autre chose, un Skypiéien, c'est curieux. En fait, j'étais Reine d'un peuple à la mentalité de gamins de sept ans. : turbulents, bagarreurs, crédules et fiers. C'était exactement ça. J'étais la Royal Nanny of the Revo. Autant dire que j'avais autant envie de discuter avec Quadrant que de faire la vaisselle dans un restaurant de tripailles.
- « Je ne suis pas d'accord. » commença-t-il, sans s’embarrasser de ces usuelles circonvolutions.
- « Je n'ai pas la moindre idée de ce dont tu parles, et je n'ai pas envie de savoir, mais le fait que tu sois contrarié me ravit au plus haut point. Tu peux désormais disposer, tu as rempli ton rôle, petit bouffon. » Bien entendu, il prit mal cette remarque. C'était tout de même le but. Je ne voulais pas lui parler. Et comme lui, apparemment, oui, puisqu'il prenait sur lui d'avaler cette couleuvre, je dus en remettre une couche. « Donc maintenant, tu prends ton petit chapeau à grelots et tu vas faire drelin-drelin plus loin. Maman est occupée, là. Enfin, pour toi, c'est Madame Reine Maman Votre Majesté. »
- « Un jour, un autre que moi en aura marre de tes caprices, et il te fera savoir ceci de la plus frappante des façons. » articula-t-il avec difficulté entre ses dents serrées à s'en faire blanchir la mâchoire.
- « Oh, serais-tu en train de me menacer ? Ici, devant mon peuple ? » susurrai-je. Maman, j'étais, Maman, j'allais être. Et une Maman n'est jamais menacée devant son petit. Enfin, petit. Quand on voyait la taille de certains Shandias... « Mes caprices ne regardent que moi et celui qui veut m'en parler est le bienvenu. J'ai moi aussi une rhétorique bien huilée et je n'hésiterai pas à m'en servir. Ça, et de mes armes. Nous savons recevoir, nous les Skypiéiens. Notre sens de l'hospitalité est inégalé. »
- « Mais ça me dégoûte, de voir comment tu utilises ces gens. Un coup ils sont tes amis, une autre fois, ton peuple aimant, et la fois d'après, tes quasi-esclaves. »
- « Ceci n'est pas un mot à prononcer à la légère, Quadrant. L'esclavage, je l'ai vu de près. Il s'appelait Elzékior Maselfush. Et toi, est-ce que tu t'es déjà dressé contre un Dragon Céleste ? Non, je me disais. Donc, pour la dernière fois, ferme-la. Tu es là pour naviguer ce bâtiment, et jusqu'à ce qu'on est besoin de tes compétences en tant que tel, ton silence est exigé. Non, » j'interrompis sa tentative de parler. « tu n'as rien à rajouter. Ici, je suis la trireine. Ici, JE décide. En accord avec Lullaby et Tenna, forcément, mais sur ce point, nous sommes tombés d'accord. Tu nous as insulté, pour des raisons qui t'appartiennent. Je ne sais pas pourquoi, mais voilà, tu n'es pas le bienvenu sur Skypiéa. Donc ne tente pas ta chance, et fais profil bas. Je pourrais être tentée de t'arracher la langue, sinon. Pas besoin de langue pour naviguer, n'est-ce pas ? »
Il me fusilla du regard mais il hésita. Etais-je vraiment sérieuse quant à ma menace ? Je le voyais qui me jaugeait. Évidemment que je n'étais pas sérieuse. Moi, arracher une langue ? J'ai des gardes pour ça, hors de question de tacher ma robe. Cependant, je pouvais parfaitement lui déboîter la mâchoire.
- « Tu es reine, mais tu as besoin de moi. Donc tu ne me feras rien, tant que tu n'as pas un autre navigateur. Et bon, là, je te parle de révo à révo, et nous sommes à égalité sur ce point. »
- « Non, tu te trompes. Je suis bien meilleure que toi, sur tous les points. Je ne veux même pas en parler. »
- « Ce n'est pourtant pas ce que Raven pense. »
- « Je m'arrangerai avec Raven sur ce que tu es allé lui raconter en douce. »
- « Es-tu certaine qu'elle aura plus confiance en toi, qu'en moi ? »
- « Je suis certaine qu'elle écoutera la vérité. Et là, la vérité est que tu as été... j'allais dire inutile, mais non, tu as été pire que ça. Tu as été un boulet tout le long. Juste parce que tu n'acceptes pas que je sois qui je suis. Oui, j'étais membre du Cipher Pol et oui, j'ai toujours l'espoir de réconcilier la Marine et la Révolution. Là, c'est dit, devant tout le monde. Je suis une naïve, une rêveuse et j'ai également sauvé la vie d'un homme qui mérite d'être sauvé. Là, re-content ? »
- « Non. »
- « Ben, c'est dommage. »
- « Mais il n'y a pas que moi. »
- « Mais que veux-tu que ça me fasse ? Tes petits copains et toi avez un club anti-Shaïness, c'est ça ? Mais éclatez-vous. Vous ne serez ni les premiers, ni les derniers à me détester. »
- « Le truc, ce n'est pas un club anti-Shaïness, qu'un club « mais qui est Scarlett », que nous menons. »
- « Si tu veux. » Je ne comprenais pas ce qu'il me disait, mais je n'en avais rien à faire.
- « Tu as juré sur le nom de Scarlett, que ton Marine allait filer droit. Mais qui est Scarlett ? Rien, c'est du vent. Pas même une rumeur au sein du Gouvernement, tellement tu as « bien fait » ton travail d'espionne. Scarlett, ça peut être n'importe qui. »
- « Ne dis pas de bêtise. Raven me connaît. Tu me connais. »
- « Hum, à mon avis, on peut compter sur nos doigts, le nombre de personnes qui connaissent Scarlett. Moi ? Je ne suis qu'un petit As. » Ça, je ne te le faisais pas dire.« Tu mets tout le réseau de la révolution en danger, tout Skypiéa. S'il parle, c'est tout un pays qui trinque. »
- « Et moi, la première. »
- « Tu ne veux pas comprendre. Personne, ni la révo, ni le gouvernement, ni le public, ne connaît Scarlett. Il a annoncé qu'il dénoncerait Scarlett, pas Shaïness Raven-Cooper. »
- « Et ? Justement, je trouve ça plutôt sympa de sa part. Il a juré... oh, de ne rien faire. »
- « Oui, encore une fois, il aide sa copine. »
- « Ce n'est pas ma faute si tu es une tête de gland que personne n'encadre. Si tu essayais d'être gentil, toi aussi, tu aurais des amis. »
- « Ah-ah-ah. Laissez-moi reformuler : encore une fois, Shainess Raven-Cooper a fait ses petites affaires pour que son nom disparaisse du circuit. Encore une fois, il n'y a aucun lien entre toi, Scarlett et la révo. »
- « Oui, ça s'appelle une couverture. Un nom de code. Une identité secrète. Note bien « secrète », c'est le mot clé de la phrase. »
- « Comment veux-tu que la Révo te fasse confiance, si tu ne fais pas confiance à la révo ? »
- « Je fais confiance à la révo. Juste pas à toi. »
- « Mais au Marine, oui ? »
- « Mais tu vois, quand tu veux, tu peux. Ça va, pas trop bobo, d'avoir branché tes deux neurones ? »
Mon orgueil s'amusait de cette situation, et je ne vis pas le piège. Un jour, j'apprendrai réellement à avoir peur de moi-même. Au lieu de mettre fin à cette conversation, quitte à faire arrêter Quadrant, je le laissais parler. Mais j'étais tellement persuadée que personne n'allait écouter les divagations de ce type...
- « Tu peux faire de l'humour pourri, si tu veux, ça ne change pas que les réseaux révo ne sont pas chauds pour bosser avec Skypéia. Personne ne veut se mouiller avec un pays qui fait bande à part. Skypiéa, révo ? Vous NOUS faites bien rire. Entre votre protection par un dragon céleste et votre « reine » qui ne veut même pas afficher au sein du réseau son existence, on se pose rapidement la question d'où va sa première loyauté. Et où ira la vôtre. » Cette fois, il s'adressait aux Skypiéiens, et je ne pouvais plus le neutraliser, au risque de passer pour une oppresseur des libertés. « Entre le devenir de votre île et votre engagement révo, laissez-moi vous dire qu'il est clair pour tous que votre île passera avant. Or, c'est censé être le contraire. »
La foule commença à murmurer, déstabilisée par le discours de Quadrant. Force m'était de reconnaître qu'il n'avait pas tort. La plupart des Skypéiens n'avaient pas réalisé ce qu'être révo voulait dire. Comment le pourraient-ils ? Mais j'étais absolument certaine qu'être révo, ce n'était pas se sacrifier corps et âme à la cause. Si Quadrant voulait vivre ainsi, grand bien lui fît. Il ne pouvait toutefois pas attendre de chacun ce genre d'extrêmiste.
- « Ceci est TA vision de ce qu'est la révolution. Ce n'est pas la vérité seule et universelle. »
- « C'est la vérité de beaucoup d'entre nous. Nous n'avons pas de petit coin douillet où rentrer le soir après nos missions. Nous ne sommes pas révo à mi-temps, entre les courses et les constructions de temples et d'hôtels. La révo, ce n'est pas ça. Et quand tes « sujets » vont descendre sur Grand Line ou les Blues pour mener le combat, ils vont déchanter, rapidement. Et au bout du compte, les relations vont s'amenuiser. Finalement, Skypiéa se désintéressa de la Cause. »
- « Et bien sûr, ça sera ma faute, parce que... parce que je ne suis pas une vraie révo, parce que... parce que je ne suis pas connue des Marines et des CP ? » Je ne sais pas pourquoi j'avais ne serait-ce tenté que de suivre son raisonnement. « Parce que quoi... Disons que Scarlett se fait connaître comme révo. Elle a une prime. Et ? Qu'est-ce que ça change ? Est-ce que ça va vraiment modifier quoi que ce soit à la situation de mon pays ? »
- « Hé bien, ça change que le jour où Shaïness se fait prendre la main dans le sac, et que le Gouvernement découvre qu'elle est Scarlett, ou vice-versa, que le GM découvre que Scarlett, c'est Shaïness...
alors Skypiéa aura chaud aux fesses. Autant qu'ils soient tous de bons révolutionnaires à ce moment. Qu'ils aient eu le temps de se préparer en toute connaissance de cause. Qu'ils ne se soient pas attachés plus que ça à une maison et une vie familiale. Et là, on pourra accepter tous ses chichis sur la protection de Miss Raven-Cooper. »
- « En gros, tu es jaloux parce que nous avons été intelligents en trouvant un moyen d'être révolutionnaires sans être sur le point d'être découvert à tout moment ? Tu voudrais que tous ici vivent la peur au ventre, avec rien d'autre qu'un sac de couchage, toujours prêts à décamper à la moindre lueur de danger ? C'est vraiment ça, la Révolution, pour toi ? »
- « Oui. Un révolutionnaire, c'est un homme – ou une femme – qui se bat avec la Révolution. Pas qui jouit simplement des bienfaits d'être délivré. Ou alors, vous n'êtes pas révolutionnaires. Vous êtes juste des civils avec des tendances pro-révo. Mais dans ce cas, nous, la Révo, ne dépendrons pas de vous ainsi. Ne vois-tu pas le danger ? Si eux, si vous, aujourd'hui, êtes Révo, pourrez-vous en dire autant de vos enfants ? Ou de vous-même dans dix ans ? Etre révolutionnaire, c'est avant tout un état d'esprit, une conviction. Avoir beaucoup ou tout à perdre, ça motive. Se battre contre les injustices d'autrui, quand on est bien au chaud chez soi, c'est tout de suite moins attractif. Qui nous dit que dans dix ans, l'un d'entre vous ne va pas être d'accord avec être révolutionnaire ? Pourra-t-on l'obliger ? Devra-t-on le jeter en prison pour ça, parce qu'il sera forcément au courant des activités du reste de Skypiéa, et qu'on ne pourra pas prendre le risque de le laisser s'en aller et parler à la mauvaise personne ? »
- « Skypiéa dans dix ans, c'est mon problème, pas le tien. »
- « Mais justement, si, c'est MON problème. Mon nom, mon visage, ils le connaissent. Ils connaîtront le nom de mes amis aussi. » Je pensais très fort que dans dix ans, il serait tout de même extrêmement extraordinaire si ce con ne s'était pas mangé une balle. « Je pense à la Révo, avant de penser à un peuple. Tu es Reine avant d'être Révo, Shaïness. »
- « Peut-être. Et alors ? Je suis révo tout de même. Je t'interdis de vilipander mon engagement. Je SUIS une révolutionnaire. Pour le moment, je suis... en congé maternité, si tu veux. »
Il souffla et grogna en même temps, montrant ainsi tout ce qu'il pensait de mon trait d'esprit. Je n'attendais pas à ce qu'il le comprît.
- « Puisque tu es prête à mettre ton nom en jeu pour un Marine, tu peux le faire pour ton pays, non ? Si tu es prête à sacrifier ta vie, et par extension, ton action ici, sur la bonne fois d'un Marine, tu peux le faire pour assurer qu'on puisse croire Skypiéa, non ? »
Mon peuple n'apprécia pas cette remise en question de son engagement. Et là, je vis, mais trop tard, le savant dessin de Quadrant. Il avait tissé sa toile avec une habilité redoutable. Désormais, j'avais deux options. La première consistait à jurer, sur le nom de Scarlett, que jamais l'île Céleste ne mettrait en danger la Révolution. Comme Quadrant l'avait dit, cela voulait dire un contrôle de la population sévère, et j'entrevoyais déjà une société fondée sur la méfiance et la guerre (contre le GM) alors que je n'avais jamais souhaité pour Skypiéa que paix et prospérité. Or, jurer sur Scarlett, ce renard me l'avait fait comprendre, ne voulait rien dire. Passé cette constatation, je ne comprenais pas où il voulait en venir.
Ou alors, je pouvais refuser de jurer. Dans ce cas, Skypiéa était quelque part libéré de sa promesse, et redevenait un pays neutre. Les îles resteraient un sol fertile pour les graines de révo, mais tout cela devrait alors se faire dans le plus grand secret. Et la Révolution aurait perdu son île 100 % révo. Et moi, dans tout ça, serait forcément retirée du circuit. Ça en serait fini de Scarlett. Plus jamais Raven ne me confierait de missions, et je serais, à tout jamais, Shaïness Raven-Cooper, trireine de Skypiéa. Et encore... ce uniquement jusqu'aux prochaines élections, où j'espérais déjà bien ne pas me représenter. Parce que je voulais retourner dans la Révolution. Parce que je n'étais pas faite pour être Reine.
Mais.
L'idée d'être libérée de cette double vie, de ce jeu de dupes était une tentation redoutable. Alors même que je venais de réaffirmer, en pensées, que je voulais être révolutionnaire plutôt que reine, je m'imaginai libre de toutes contraintes. Ni CP, ni révo. Juste affranchie de toute contrainte. Au prix, certes, de mon honneur, de mon intégrité. Finalement, est-ce qu'on a besoin de ça, pour être heureuse ? Pendant longtemps, j'avais bradé ma moralité pour le GM. Puis je l'avais récupéré, et j'avais trahi. Au nom de ma droiture, j'avais confronté Malsefush et fait perdre à la révo son espionne. La seule chose que mon honnêteté m'avait apporté, outre une sacrée bonne dose de paranoïa, c'était du malheur. Il suffisait de voir Rafaelo et Céline. Ils étaient parents, mais ne pouvaient pas rester ensemble. Mon ami verrait-il jamais ses gosses grandir ? Serait-il jamais capable de s'offrir cette vision qui le faisait rêver : une île en paix, une maison avec un jardin, et sa famille. Bon, je ne voulais pas forcément d'enfants – pour le moment, j'en avais quelques dizaines de milliers, mais... qu'est-ce qui me rendait heureuse ? Loin de ses proches, divisée dans mes loyautés, Shaïness Raven-Cooper était peut-être noble d'esprit, mais qu'est-ce que sa vie était affligeante !
Pouvais-je vraiment renoncer si facilement à tout ce que j'étais. Faire une virevolte sur moi-même, et annoncer « en fait, je change d'avis ». Pouvais-je enterrer la fière, l'orgueilleuse, intransigeante Shaïness-Scarlett, pour devenir... ah, comment être Shaïness sans être Shaïness ? Même Reine de Skypiéa, je serais droite dans mes bottes. Comment pouvais-je toutefois prétendre à le rester, si je tournais le dos à la Révolution ?
J'hésitai, ce conflit intérieur m'engloutissant dans un tourbillon de pensées folles. J'avais une folle envie de tout lâcher. Au diable Quadrant. Au diable Raven aussi, si c'était ce qu'elle pensait de moi, ou de lui. Ou même si elle ne voyait aucun souci à laisser un type comme Quadrant opérer partout dans les réseaux à répandre ses idées et son poison.
Les Skypiéiens, néanmoins, avaient une tout autre vision de la chose. Une partie s'insurgeait qu'on (on étant un con) pût remettre en cause leur intégrité. D'autres encore ne voulaient pas reculer devant l'implication révolutionnaire. Si certains comprenaient les arguments de Quadrant, peu pouvaient les assimiler. Tout ce qu'ils voyaient était que le Chafouin dénigreait leurs efforts.
- « Mais dis-lui Shaïness ! Montre-lui qui nous sommes »
- « Nous sommes des révo, nous aussi! »
- « Oui, nous ne sommes pas égoïstes, on ne va pas laisser d'autres îles tomber sous le joug d'un de ces dragons célestes. »
- « On va combattre ! »
- « Tu peux jurer, on ne va pas trahir ! »
- « On est avec toi ! »
Des cris montèrent, et s'enflèrent, comme des vagues avec la marée haute. Ah, si je tardais, j'allais l'avoir, ma révolution. Sous forme de révolte populaire. Et surtout, je n'avais aucun moyen de défendre un autre point de vue. Je ne pouvais décemment pas dire à mon peuple, qu'après tout, on allait laisser tomber tout ça et se mettre à cultiver les feuilles de thé et créer une fanfare nationale.
Le pire ? Le fait que Quadrant le savait et qu'il m'avait amenée exactement là où il le voulait. Oh, il n'avait pas la moindre idée des déchirements intérieurs qu'il avait provoqués en moi – heureusement car il en serait encore plus heureux – mais il m'avait eu. Pire que pire. Je ne voyais pas ce qu'il voulait de moi, au-delà de pousser Scarlett sur le devant de la scène. Et savoir qu'on marche dans un piège sans en connaître la nature est l'ultime ironie. A vrai dire, autant en ignorer l'existence, non ?
- « D'accord, d'accord. On se calme. Je jure. Je jure sur le nom de Scarlett que nous serons tous des révo comme il le faut. A mon image, quoi. » Il était hors de question de laisser tomber le combat. Jusqu'à la dernière seconde, je me débattrais contre, je refuserai de me laisser encercler et prendre dans son filet. Je ne serai pas la blanche agnelle qui laisse le berger la conduire à l'abattoir. Il avait fait l'erreur de porter le combat sur le seul territoire sur lequel je me savais forte, si ce n'était excellente : la joute orale. Moi aussi, je pouvais mettre des mots et des significations dans la bouche d'autrui.
- « J-N-E... » Hé oui, il ne pouvait décemment pas me jeter à la face que ma façon d'être révolutionnaire était à revoir. Après tout, c'était ma façon d'être qui avait sauvé l'ensemble des personnes réunies ici. Il fronça les sourcils, déstabilisé par la tournure des événements. Il espérait bien tirer autre chose de la situation.
- « Bon maintenant que tu as fait ton caprice, je peux retourner à mes affaires ? »
- « Oh, il y a juste le transfert à organiser. »
- « Il est déjà organisé. Une fois sur Grand Line, un autre navire de la Révolution arrive, prend Zieger à son bord et nous échangeons de navigateur par la même occasion. Tu n'as pas idée à quelle point cette perspective me réjouit. » Même si Zieger était beaucoup moins enthousiaste à l'idée de se retrouver seul sur un navire de révolutionnaires, avec Quadrant comme compagnon de chambrée.
- « Justement, il y a une petite modification à tout ça. Un deux fois rien. »
- « ….......... » Si je n'étais pas une grande dame, et une reine, je lui aurais éclaté la dentition à coups de talons aiguilles.
- « Une petite mise en scène, pour parfaire le tout. Ça devrait te plaire, toi, la femme de l'illusion. …. ….. Bon, c'est facile. Il s'agit de mettre en scène une attaque du navire par la révo. Comme ça, aucun soupçon ne planera sur Skypéia, puisque la mission diplomatique aura été attaquée. »
- « C'est débile. Comment veux-tu que nous survivions à une attaque révo ? Aucune crédibilité. »
- « Voyons, tu es une ancienne agent du CP. Battre une demi-douzaine de révo qui vous sous-estimait, ça ne doit pas être trop difficile. Surtout si un certain Lieutenant-Colonel devait prêter main forte. Ah, quel dommage cependant. Il va mourir, en te protégeant, d'ailleurs. Tellement noble de la part du Gouvernement. »
- « Oh, laisse-moi deviner. Et le meurtre, comme l'attaque, est revendiqué par une certaine Scarlett ? »
Son sourire en était lumineux.
- « Exactement. Une jeune cellule révo, pleine d'idéale et poussée par la fougue, vous a accosté pour tenter de vous prendre en otage, surtout toi, ô Reine. »
- « Encore une fois. Si Zieger et moi combattons, alors la cellule va être vaincue. Scarlett sera morte avant même d'exister... »
- « Ah, tout de suite. Je te pensais capable de faire avaler que le bateau s'est enfui, emporter avec lui la fameuse Scarlett. Et puis, tu étais occupée à tenter de sauver Zieger. »
- « Dé-bi-le. Je suis ancienne CP. Sauver les camarades n'a jamais fait partie des priorités. »
- « Justement, tu n'es plus CP. Tu es Reine. Tes priorités ont changé. »
- « Et le bateau n'aurait aucun dégât ? Pas une provision de pillée ? Pas d'autres victime que Zieger ? Tu penses vraiment que c'est crédible ? »
Il haussa les épaules.
- « Bah, avec les Marines, c'est toujours pareil. Il suffit de susurrer le mot de « révolutionnaire » pour qu'ils arrivent la bave aux lèvres. La moitié nous prennent pour des abrutis, et l'autre pour des psychopathes. L'un dans l'autre, personne chez eux n'attendent de nous la moindre logique. Il suffit que l'attaque du convoi de la reine de Skypiéa ait un sens, et c'est le cas. »
- « Bien sûr que non! Comment la Révolutionnaire pourrait être au courant que nous arrivions ? Au pire, tout ça laisserait sous-entendre un espion ici, et la Marine va s'emparer de ce prétexte pour---. »
- « Ah, non. Tout le monde attend l'arrive de la délégation skypiéienne. Ton cher Dragon Céleste s'est enorgueilli à plusieurs reprises de son flair et de sa position comme guide spirituel. Rien de nouveau sous le soleil, chère Majesté.. »
- « …. ça va mal tourner, je le sais. »
- « Hum. Bah, c'est Scarlett qui va tout prendre non ? Et toi, Shaïness Raven-Cooper, tu es tellement exceptionnelle, tu vas bien être capable de faire face à tout ça. »
- « Certes. Mais je m'oppose à ce plan. C'est un risque trop grand, pour Skypiéa. Ce n'est pas la peine de risque de soulever des suspicions à notre encontre. »
- « Désolé, mais le plan a été approuvé. Le fait que la délégation soit attaquée sert justement à clairement faire de Skypiéa une victime, ou une non-partisane. Alors, autant en profiter pour régler cette histoire de Scarlett, non ? »
Je pouvais comprendre le point de vue du Conseil. J'aurais juste aimé que la nouvelle me vint directement, et pas via Quadrant. Le pire ? J'avais conscience que si c'était lui le point d'entrée des informations, c'était parce que le Conseil lui faisait plus confiance, qu'à moi, justement parce que Scarlett n'était rien, pour beaucoup trop de personnes. Je n'étais pas un mouton noir, non. Quadrant était juste plus apprécié que moi, et si je voulais changer ça, je devais faire de Scarlett une révolutionnaire en bonne et due forme.
Ainsi soit-il.