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Quand la Mort et le Noir s'opposent

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Quelque part au large, loin de toute terre,
La Campañela,
Deux-ponts voguant sous le Noir,
Lors d’un nuit sans lune.

Quand la Mort et le Noir s'opposent 1459802104-brooding-pirate-by-thegryph2

Bougon comme à son habitude, Joe divaguait au pont inférieur, assis sur son tonneau vide.

« Foutre Dieu Joe, les sabords, fermés ! »

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James… S’il n’était pas pirate, il aurait pu quand même se faire arrêter pour délit de sale gueule. James, le type qu’on sentait arriver sur le pont inférieur grâce à son haleine de poivrot.

« - Mais y fait une chaleur à crever ici m’sieur !
- Ordres du Capitaine, grincheux !
- Oui m’sieur, bien m’sieur…
- Et vous, m’sieur Thatch, vous pouviez pas lui dire avant ? Sérieux mon gars, c’est vot’ job !
- Mmh ?
- Merde à la fin, sortez d’vos bouquins, z’avez des responsabilités maintenant !
- Mmh, au temps pour moi James, j’avais pas vu, merci à vous. »

Mais James continua à grommeler dans sa barbe.

« Mouais c’pas la première fois qu’y déconne le gamin…
- James ? Une remarque ?
- J’aurais bien plus d’une remarque ouais, mais ça va pas vous plaire, morveux.
- Arrêtez-vous là, James…
- Quand on sait pas y faire, on laisse ça aux vrais marins mon gars. Z’avez pas les tripes. Ici j’suis pas seul à penser ça, mais moi j’le dis comme j’y pense : z’êtes une sacrée merde ouais. »

Le dénommé Thatch laissa sa tête basculer en arrière dans son hamac, quittant son livre du regard, fermant les yeux comme pour se recentrer sur lui-même. Il fit lentement craquer sa nuque à droite, puis à gauche, effectuant en même temps de légères rotations dans un sens et dans l’autre. Il inspira profondément puis entrouvrit les yeux tout en expirant, la mâchoire serrée, son regard sombre dirigé sur l’homme qui venait de s’adresser à lui.

Puis, il claqua bruyamment son bouquin, le posa à sa gauche dans sa toile et en descendit de l’autre côté. Tournant le dos à l’homme et à Joe, tous deux placés contre la charpente extérieure, l’un occupé à bien fermer le sabord, et l’autre attendant la réaction de Thatch, le passionné de lecture prit le temps de bien ficeler son hamac et de le ramener sur un seul poteau. Une habitude vitale quand on est un bon marin, afin d’éviter que l’équipage ne se prenne la tête dans les toiles en cas de branle-bas. Ça peut faire perdre une bataille, d’entraver la liberté de mouvement des hommes.

Et pour Thatch, la liberté était une chose vitale. Cette manie du hamac, comme beaucoup d’autres détails d’apparence insignifiante, il la rabâchait tous les jours, presque toutes les heures, si bien que les choses étaient progressivement rentrées dans le crâne de chacun. Mais depuis qu’il avait obtenu la place de Quartier-Maître, il était devenu totalement intraitable sur ces règles.

Et Thatch, c’était pas le genre de type qu’on venait embêter, déjà à l’époque. Vingt-quatre ans de vie, vingt-quatre ans de mer, vingt-quatre ans de navigation, vingt-quatre ans de piraterie. Une sombre barbe recouvrait la moitié de son visage, sur un bon centimètre d’épaisseur. Epaisse, fournie, parfaitement taillée, soigneusement entretenue.

Son rangement terminé, il resta la main gauche posée à mi-hauteur, sur le crochet de son hamac, et se passa l’autre main dans la barbe, le regard posé au sol. Puis, il redressa la tête, toujours le dos tourné aux deux hommes et regarda droit devant lui, dans le vague, mâchoire plus serrée encore.

Quand la Mort et le Noir s'opposent 1459977867-3

« Peut-être que vous trouvez que je fais mal mon travail, James. Peut-être que vous voudriez qu’on en discute. Peut-être que vous voudriez remettre en question mes attributions. Peut-être que vous voudriez vous confronter à moi »

James ne répondit pas, ne sachant que dire. Faut dire qu’il avait bien bu, le James. Un truc comme ça serait pas sorti de sa bouche sobre. Joe, lui, se rendit compte du bruit ambiant qui régnait il y a encore quelques instants lorsqu’il se heurta au silence qui était tombé sur le pont inférieur. Là-bas, des hommes avaient interrompu leur partie de cartes. Ici, d’autres tendaient l’oreille, ayant mis un terme à leurs messes basses. Et là encore, un dernier avait arrêté sa fine sculpture de navire, taillée dans un minuscule éclat de bois. Tous étaient pendus aux lèvres de Thatch, sachant qu’il allait en rajouter, n’ayant obtenu aucune réponse de la part de James.

« Ou peut-être que je me trompe totalement. Je me trompe, James ? »

« Est-ce que je suis un homme qui se trompe, James ? »

Pas plus de réponse. L’homme fixait le sol, n’osant relever les yeux vers son interlocuteur, qui lui tournait toujours le dos.

« Répondez.
- Non, m’sieur Thatch. »

Il laissa échapper un rot alcoolisé.

« Non à quoi, précisez.
- Non, vous ne vous trompez pas. »

Etait-ce la bonne réponse ? D’un côté, dire que Thatch se trompait, de l’autre, dire qu’il ne faisait pas bien son travail. Choix difficile. Dans le doute, « non » à la dernière question. Ça évitait de se faire exploser le cerveau en vaines réflexions.

« Vous voulez certainement m’expliquer comment m’améliorer, alors. Je vous écoute.
- Nan m’sieur, juste que le Capitaine a donné ses ordres, et que Joe avait le sabord ouvert, et vous savez pourquoi faut les fermer, vous je sais que vous avez bien compris le truc, les lumières du pont inférieur, tout ça, faut éviter qu’elles sortent du navire ces lumières, faut pas qu’on puisse nous voir de loin, pas pour rien qu’on a même éteint toutes celles du pont supérieur, et puis en plus y a pas de lune c’te nuit alors c’est parfait quoi, et ça s’rait con de se faire voir quoi. »

S’arrêtant, à court d’air, James reprit sa respiration, comme émergeant des profondeurs de la mer. Mais Thatch ne répondit absolument rien, ne bougea pas, ne cligna pas des yeux, ne se retourna pas, n’eut même pas l’air de respirer.

« Désolé, m’sieur Thatch.
- Désolé ?! »

Il se retourna enfin, brusquement, faisant face à James, plongeant son regard noir dans le sien, lui transperçant le cœur par la seule force de ses yeux.

« J’en ai rien à foutre James, de ce putain de sabord. Vous avez déjà oublié la manière dont vous m'avez parlé ensuite ? »

L’ivrogne ricana bruyamment, comme se rappelant ses dires, et s’exclama, fier de lui :

« Foutre Dieu non ! Putain z’avez pris cher !
- Pas Dieu James, pas Dieu. Ici, c’est Foutre Diable. C’est pas Dieu qui fera voir nos lumières à nos proies. C’est pas Dieu qui décidera si demain on tombe dessus, ou si on devra attendre une putain de semaine de plus. C’est pas Dieu qui choisira qui de nous restera en vie. C’est pas Dieu qui dirigera une balle dans votre putain de tête. C’est le Diable. Alors autant vous familiariser avec le Diable, autant vous habituer à sa présence, parce qu’un jour où vous vous y attendrez pas, il va vous sauter à la gorge et vous vider les tripes dans les abysses glacés du plus profond des océans de mort de ce monde. Alors, James, ici, on dit Foutre Diable.
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- Et en ce qui concerne la suite, James… »

Sans crier gare, il fit volte-face et asséna un violent coup de poing dans l’estomac de l’homme, qui se plia en deux. Puis, d’un vif mouvement de la jambe, il le frappa en plein visage à l’aide de son genou.

« Messieurs, emmenez cet abruti sur le pont supérieur. Le Diable va lui sembler être une fillette à côté de moi. »

Mais un cri provenant du pont supérieur mit un terme définitif à la situation devenue dangereuse pour James.

« Lumières à l’horizon ! »

Thatch courut immédiatement au niveau supérieur, talonné de près par les plus curieux. Un homme descendit du nid de pie et se précipita au niveau du timonier pour lui donner le cap. A ce moment, un autre homme sortit de sa cabine, juste derrière la barre.

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« Ah, Capitaine. Lumières en vue, par bâbord, soixante degrés environ. Invisibles depuis le pont pour le moment, mais de là-haut c’était clair.
- Pas d’erreur ?
- Pas d’erreur, Capitaine.
- Quel cap a-t-il ?
- Similaire au nôtre. Je dirais parallèle, plus ou moins une trentaine de degrés. »

Le Capitaine,  Ben Hogold, fixa la boussole proche de la barre quelques instants. Beaucoup d’hommes étaient sur le pont, silencieux, attendant les ordres de leur Capitaine.

« Modifiez le cap, quarante degrés par bâbord, augmentez la voilure. Je veux voir leurs lumières avant la fin de la nuit, je veux voir leurs voiles au matin et leurs couleurs avant la prochaine nuit. Là nous pourrons savoir si c’est bien celui que nous recherchons. Et si tout se passe bien, nous leur tomberons dessus au matin suivant. »

« Monsieur Thatch, occupez-vous des manœuvres de nuit. Faites en sorte que nous restions invisibles. Comme vous aimez le dire, seul le Diable peut continuer à nous cacher, et vous êtes l’homme le plus proche de lui à bord de ce navire. »

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Dernière édition par Edward Thatch le Dim 19 Mar 2017 - 19:25, édité 1 fois
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L'embrume salée dans les dents, la proue du trois mats fendait les flots sous le soleil levant. Des jours à braver le tumulte sans la moindre éclaircie. Pas un rayon. A la place on leur avait servis à outrance flotte et bourrasque. Un véritable florilège de merdasses bien harassantes. En temps normal, les marins s’en préservaient dans les entrailles du bateau, mais pas cette fois. Ils s’étaient retrouvés à batailler sur le pont tout le long pour préserver la voilure déployée. Ordre du Capitaine, on ne manquait pas le rendez vous. L’affaire les avait tenus en haleine jusqu’à la veille au soir. Installé en avant du navire, le Cavalier gouttait à cette tranquillité retrouvée. Derrière lui, des matelots poursuivaient les réparations pendant que la majorité ronflait allégrement. L’effervescence s’éveillerait plus tard. Apportant un goulot à ses lèvres, une longue rasade de gnole descendit. Il reposa la bouteille souriant à l’horizon pleinne de promesse. Il serait resté un certain temps à savourer cet instant si un cri ne l’avait tiré de ses pensées.

- Navires en vueee !

La cabine du Capitaine s’ouvrit sitôt les mots magiques prononcés. Dans l’embrassure se tenait un homme de bonne stature à la prestance seigneuriale. Une main sur la canne et l’autre sur les hanches, le Capitaine McMahon Kelly lança un regard au nid de pie la mine rayonnante. Apprêté de son costume des grands jours, le grand chef tournait en rond depuis une heure dans l’attente de l’annonce. Il referma la porte d’un coup de jambe de bois et s’exclama pour se faire entendre d’en haut.

Quand la Mort et le Noir s'opposent Mcmahon_kelly-4f050ff

- T’excites pas bonhomme on sait déjà que le navire est là !
- Y’en a deux en vue Monsieur !
- Comment ça Deux ?
- Deux navires Monsieur !
- Deux ? Mais y en a pas deux ! Si t’as encore monté un baril de tafia là-haut je vais t’étriper !!

Furieux, il brandissait sa canne en direction des nuages. Dans le gabie, le vigie n’en menait pas large. Le Capitaine n’était pas un tendre dans ses moments de colères. Assis sur un baril dérobé des réserves, il inspecta de nouveau l’horizon pour confirmer son rapport. Deux bâtiments se révélèrent à lui. Foutu pour foutu, il maintint sa version.

- Non, m’sieur y’a bien deux navires !
- Un chien de garde ?
- Il se situe au tribord  de la cible,  à moins d’une centaine de Milles Monsieur !

Pas un navire d’escorte, seule une avarie expliquerait une telle distance entre les deux embarcations. Sans parler qu'à aucun moment les informations achetées ne le mentionnaient. Souhaitant constater la situation de ses propres yeux, le Capitaine monta l’escalier du gaillard arrière quatre à quatre. Penché contre le bastingage, il tira une longue vue d’une de ses ceintures et la déplia d’un mouvement adroit. Pas évident de détecter des points dans le désert bleu mais il ne tarda pas, il aperçut d’abord l'embarcation marchande et derrière un mystérieux navire encore trop éloigné pour se distinguer dans le détail.

Pirates. La première pensée à germer dans son esprit. Difficile après de savoir si l'expérience parlait ou si à force de les côtoyer il en voyait partout. Mais dans ce coin de l'océan, les équipages se dénombraient en petit nombre. Ils naviguaient actuellement en dehors des routes maritimes fréquentées par la Marine, un point noir sur la carte des bonnes gens. Le Caishenye avait tenté sa chance dans  une  région moins visitée. Il arrivait de rencontrer un navire dans cette vaste mer, mais deux en même temps rarement. Par contre, il suffisait d’une goutte de sang dans l’océan pour attirer tous les requins des environs. Ça ne serait pas la première fois qu’un petit malin vendrait une prise à plusieurs équipages. Même si le risque de se retrouver pendu par les bourses à leur prochaine escale planait, il doublait sa mise. L’idée restait une supposition, la confirmation viendrait dans la journée.  Se tournant vers le troupeau amassé en bas des marches, le Capitaine donna ses ordres.


- D'ici ça sent le pirate. Pas envie qu'on vienne ronger notre os ! On a du retard mais..  Il jeta à un coup au perroquet, … le vent est pour nous. S’il ne tourne pas on sera les premiers à aborder.. On serre le vent les enfants ! Si vous perdez de son souffle vous finissez le voyage au pain sec et à l’eau ! Vous m’avez entendu ?!
- Oui Monsieur !
- Gardez un œil sur les deux navires, s'ils virent de cap avertissez moi, sinon contentez vous d'un rapport toutes les heures. On a le temps mais que tout soit prêt le moment venu !
- Oui Monsieur !  


Position des équipages:


Dernière édition par Le Cavalier le Ven 9 Juin 2017 - 10:46, édité 1 fois
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Le course folle était engagée depuis déjà plusieurs heures. Chaque bâtiment pirate avait noté la présence de son concurrent, chaque capitaine hurlait ses ordres, chaque matelot exécutait ce pourquoi il vivait, ce pourquoi il respirait, ce pourquoi il était à bord de cet enfer flottant. Edward Thatch, fidèle à son poste, fidèle à sa réputation naissante, fouettait l’équipage de La Campañela au seul son de sa voix, portant par-delà les creux et les vagues en formation.

Chaque navire tentait de prendre de l’avance sur l’autre, filant à folle allure. Les trajectoires étaient précises. Alors que le bâtiment marchand essayait désespérément de distancer – dans de vains efforts – ses opposants, les pirates fondaient sur lui. Ou plutôt, ils visaient son emplacement futur. Sur mer, connaître la position d’un navire dans une, deux ou trois heures relevait de la science. Dans une situation normale, c’était un exercice extrêmement difficile.

Mais étant donnée la configuration, la proie ne pouvait qu’aller de l’avant, sans tenter de changer de cap. Le marchand ne pensait qu’à s’enfuir, imaginant encore qu’il pourrait s’extraire de ce piège. Trajectoire rectiligne, vitesse constante, c’était un jeu d’enfant. Il serait là-bas. Sur sa carte marine, le capitaine avait déjà tout tracé.

Seul un détail le préoccupait. Un détail qui n’était pas si petit que cela… Dans la situation actuelle, avec ce vent, ces positions… Les deux navires pirates allaient atteindre leur proie de concert. Chacun d’un côté. Aucun d’eux n’allait pouvoir officiellement revendiquer le butin, et ils allaient devoir se battre pour l’obtenir. D’une manière ou d’une autre. Duel, mêlée générale, qui pouvait savoir ? Rendez-vous sur le pont marchand.

Le triangle rétrécissait. Et, alors que les deux chasseurs étaient à portée de tir l’un de l’autre, le Capitaine se posait mille questions. Tirer ? Engager le combat avec l’autre pirate ?

« Monsieur Thatch !
- Capitaine ?
- Votre avis ? »

D’un bref mouvement de la tête, le quartier maître évalua la situation, décrochant ses yeux de ses hommes et des manœuvres sous sa responsabilité.

« A portée de tir depuis cinq minutes, c’est cela ?
- Tout à fait Monsieur Thatch.
- Si nous les engageons, nous perdons la prise.
- Et si eux nous engagent les premiers ?
- Ils ne le feront pas. Car cela fait cinq minutes qu’ils se posent les mêmes questions que vous, mon Capitaine. Et que cette phrase, quelqu’un chez eux la dira sous peu, si ce n’est déjà fait.
- Si nous les ignorons maintenant, nous les rencontrerons plus loin. S’ils pensent comme vous le dites, nous pouvons les surprendre maintenant.
- Capitaine, vous me proposez d’un côté la perte certaine d’un butin en gardant la vie, et de l’autre risquer nos vies pour l’acquisition certaine du butin. Vous voulez mon avis ? On garde le cap, et on fait ce qu’on fait le mieux. On pille, on tue, on étripe.
- J’aime ce plan. Continuez les manœuvres, ne nous laissons pas distancer !
- Aye Cap’taine ! »

Comme pour confirmer l’apogée imminente d’une situation sanglante, le ciel se couvrit, le vent forcit, les creux se formèrent, la pluie commença à tomber. Le temps dégénéra à toute vitesse, obligeant le timonier à forcer pour garder le cap, projetant sur les matelots des embruns aussi glacés que salés, aspergeant le pont d’une eau noire qui ne demandait qu’à rougir.

« Par tous les Dieux, une tempête !
- Faites-moi le plaisir de la fermer, James, et allez au cacatois faire ce pourquoi on vous a accordé une place à bord ! Si c’est une tempête qui vous fait peur, comment survivrez-vous à la bataille qui nous attend ?
- Bien m’sieur Thatch !
- Et ça vaut pour tout le monde ! Ramassez vos burnes et chargez-les dans les canons ! Vous avez peur d’un peu de vent ? Putain que j’adore quand ça souffle ! Alors messieurs, oui, PAR TOUS LES DIABLES, UNE TEMPÊTE !
- AYE !
- Lorsque la pluie s’écoule sur vos visages alors que vous manœuvrez, n’oubliez pas qu’elle fouette celui de nos ennemis ! Lorsque le tonnerre gronde au-dessus de vos têtes, n’oubliez pas qu’il effraye nos adversaires ! Lorsque le vent entraîne nos voiles et notre navire, n’oubliez pas qu’il précipite sur nos proies leur tragique destin ! Et lorsque le déluge s’abattra sur le champ de bataille… N’OUBLIEZ PAS QUE SON SEUL DESSEIN SERA DE LAVER LE SOL ROUGEOYANT DU SANG DE NOS VICTIMES ! ALORS MESSIEURS, TOUTES VOILES DEHORS, NAVIGUONS ENSEMBLE VERS LES ABYSSES INFERNAUX DE NOTRE AVENIR ! HISSEZ HAUT NOS COULEURS, HISSEZ HAUT NOTRE SYMBOLE, HISSEZ HAUT NOTRE GLOIRE ! »
- AYE ! »

« Messieurs… Préparez-vous à l’abordage »

« Hissez le noir. »

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Dernière édition par Edward Thatch le Dim 19 Mar 2017 - 19:26, édité 1 fois
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Boum boum boum. Le tambour de guerre martelait le rythme de la danse d'ouverture du bal sanglant se profilant. Parcourant de long en large le plancher, les hommes se rejoignaient et se quittaient selon la mélodie du quartier-maitre. Réalisant une à une les taches attendues en préparation du prochain acte. Derrière le désordre des corps, un ordre sagement orchestré guidait le mouvement. Le pont se muait rapidement en une nouvelle scène, plus propice à accueillir l’instant où les deux navires seraient à porter de tire l’un de l’autre. Les bénédictions du souffle de Neptune les avait quittés sitôt ses bonnes grâces prises pour acquises, les privant rapidement de l’avance espérée sur leur concurrent. Les distances séparant les navires pirates de la proie s’égalaient maintenant.  Leurs coques se rapprochaient à mesure qu’ils la rattrapaient. Bientôt,  l’écart ne serait plus un frein au déferlement de feu et de fer.

- Ouvrez les sabords et préparez les monstres !

L’ordre venait d’en haut. Accoudé au bastingage du pont supérieur, le Capitaine McMahon clama la directive sans qu’un écho ne soit nécessaire. En dessous, on entendit les canonniers s’affairer à déplacer  les lourdes plaques de bois. Puis d’un effort collectif, ils sortirent la gueule d’acier des pièces d’artillerie au grand air. La bouche au raz des flots, ces goinfres attendaient qu’on leur remplisse la panse. Sous la houlette du  Maitre Artilleur, les coins de mire ajustaient le réglage des lignes de tir afin d’éviter le choux blanc des premières salves. Il paraissait que les premiers boulets étaient les plus douloureux, plus vite ils tombaient mieux c’était. Avec une équipe bien rodée, un bref instant avait suffi à mettre en place la machinerie. Donnant de la voix pour se faire entendre du pont, ils avertirent de l’avancement des postes tour à tour.

- Parer à tirer !!
- Parer à tirer !!!

S’automotivant, les canonniers refrénaient leur désir d’embraser les cracheurs de mort. Une flammèche à la main, ils regardaient la fine cordelette avec l’innocence de jeunes enfants. Se glissant dans leurs dos, une ombre froide se rappela à leurs souvenirs. L’attention des forbans accaparée par les jouets dont ils avaient la garde ne remarqua la présence du Cavalier seulement une fois qu’il prit la parole. Les relents de noirceur se dégageant du personnage les enserra alors.

- On va envoyer ces crevures par le fond en moins de deux !
- Ouai !
- Toux doux les petits gars. Tout doux, gardez vos ardeurs rien ne dit qu’on va lâcher la sauce tout de suite.

Les marins ne se risquèrent pas à mettre en doute la parole du porteur de mort, l’aspect dérangeant du personnage avait la fâcheuse tendance à s’intensifier lorsqu’il vous portait son attention. Dans l’espace confiné de la calle, sa simple présence suffisait déjà à les oppresser. Mais devant la mine perplexe de certains, le quartier maître continua quelque peu.

- Ces chacals ne sont pas tout proche, on perdra les trois quarts des boulets à la flotte. Et s’ils tirent, on aura de toute façon le temps de répliquer avant qu’ils fassent mouche. Alors pas de bêtises les petits loups, soyez prêt le moment venu pas avant, ce serait déplaisant hé hé hé..

Le rire glaça l’échine des nouveaux et renforça la tension des vieux briscards. La menace à peine voilée laissait peu de place à l’imagination. Son message transmis, il se retourna vers l’escalier, choquant chaque marches de son bâton dans un silence pesant. A l’écoute de ce son caractéristique du bonhomme, beaucoup se questionnèrent de nouveau sur sa faculté à se glisser sans bruit dans le dos. Une des nombreuses interrogations l’entourant depuis qu’il les avait rejoints. Lorsqu’il remonta sur le pont, l’atmosphère de la cale s’était refroidie. L’excitation avait laissé place à une tension sérieuse. Elle allait d’avantage épuiser les esprits mais aiguiserait d’égal mesure leur attention.

Sortant du tréfonds, Le Cavalier balaya le pont d’un regard scrutateur en quête d’un bon à rien baillant aux corneilles. Personne. Tous continuaient de s’activer à maintenir l’avancé du rafiot, impatients d’atteindre la cible. Il se contenta alors de prendre une bouteille qui trainait sur un baril et rejoignit le bord du navire. Un troupeau de bons gars dispensés des manœuvres affutaient leurs armes sans détacher le regard de l’horizon. Le vieillard les épargna de sa présence et continua son chemin jusqu’au Capitaine, laissé en surplomb sur le pont supérieur avec pour seul compagnie le plumeau de sa coiffe. Un œil dans sa lunette, il ne perdait rien de ce qui se passait au loin. Entendant l’approche de son quartier-maître, il se retourna brusquement la longue vue toujours vissée à son œil. Un gros plan  du visage cadavérique s’offrit à lui, il en perdit la vue.. quelques instants. Après un bref sursaut, il s’enquit de l’avancée des préparatifs.


- Les nouvelles ?
- Tout est en ordre Cap'tain, chacun sait ce qu’il a à faire jusqu’au foutoir général.  

Les deux hommes restèrent ainsi quelques instants, les yeux perdus dans le vague. Le Capitaine faisait partie des rares à bord à supporter l’aura morbide. Le voile glacial n’enserrait pas son cœur, mais l’effet insidieux saurait faire son œuvre si on lui laissait le temps. Un certain calme s’était installé à bord dans l’attente de la confrontation. Les minutes passèrent, occupé avec le goulot de sa bouteille le Cavalier la reposa finalement pour s’intéresser au plan du Capitaine.

- Rien ? On le laisse approcher finalement ?
- Humpf… rien à foutre de ce rafiot,  je veux le trésor d’en face. Alors on se risque pas à s’abimer la voilure dans un combat fratricide, notre gagne pain ne nous attendra pas. T’as quelques choses à en redire ?
- Non non hé hé.., régler ça à l’ancienne sur le pont du Caishenye me botte bien. Un moment que les petits gars se contentent de croquer du civil, toucher à une denrée plus coriace leur fera les dents.
- S’ils sont pas cons, ils vont juste se retirer.
- Ils l’auraient déjà fait.
- Effectivement ah ah ! Je compte sur toi pour leur jouer ton numéro, qu’ils fuient la queue entre les jambes.
- Vous me surestimez Cap’tain. Hé hé..

Tout en parlant, Gates caressait négligemment l’hampe de son bâton, une lame courbée prônait à son sommet. La faux des grandes occasions, sortie à la vue du second navire. Il ne souvenait plus vraiment où il l’avait acquise, mais avait appris à apprécier ses courbures. Le temps n’avait pas épargné l’acier, une multitude d’éclats gagnée le long des combats passés la parsemait, mais rien n’avait altéré son fil acéré. En bon coupe-jarret, il savait entretenir ses outils. Tapotant le garde-corps de l’autre main, l’intensité monta en même temps qu’il observait les éléments s’éveiller. Sous l’action du vent croisant, la mer commençait à se creuser. Les deux hommes ne tardèrent pas à en sentir la fraicheur humide. Ils se regardèrent la mine joviale au devant de ce nouveau coup du destin. Un bref instant passa à savourer le déchainement s’annonçant, puis d’un mouvement commun se retournèrent vers les hommes. Le bateau de marchandise proche, l’assaut n’allait plus tarder. Rugissant pour couvrir le son montant de la tourmente, le Capitaine embrasa les cœurs.


- Le vent se lève, cette chienne de tempête repointe le bout de sa truffe ! Mais ne vous y fiez pas messieurs, ce doux bourdonnement n’est rien en comparaison du tintamarre sanglant qui s’annonce !! Dans ces calles notre futur, et nous ne laisserons personne voler notre futur !!! Border les écoutes, on vire de bord !
- Tous à vos postes !!! On aborde !!

De toutes parts des cris sortirent des âmes déchainées. Les plus agiles grimpèrent d’une traite les haubans munis de grappin, pendant que le reste s’agglutinait accroupi à l’abri surfait du bastingage, dans l’attente de l’impact. Au milieux des visages avides de carnages s’en cachaient encore anxieux devant l’inconnu les attendant.

- Nous allons à la rencontre de la Mort ! Ne détournez pas le regard !! Elle vous attend patiemment depuis qu’on vous a éjecté des cuisses de vos gueuses, mais si elle vous demande.. répondEZ LUI : PAS AUJOURD’HUI !!!

Une nouvelle détermination gagna les moins sereins, le choc retentit à ce moment là. L’imposante carcasse de bois se rabattit contre le flanc du navire marchand dans un craquement retentissant. Des câbles furent aussitôt jetés pour l’arrimer et les plus endiablés sautèrent directement à l’assaut dans de grands cris belliqueux. Gates laissa à de jeunes gens bien plus qualifiés l’honneur de former la première ligne. Rapidement une passerelle relia les deux ponts, plus apte aux éclopés et aux vieilles personnes, le reste du troupeau suivit. Le navire apponté n’avait rien à envier à ses poursuivants, sa physionomie légèrement plus trapue convenait d’avantage à sa fonction de transporteur. En son centre, sagement disposé en rang, attendait l’équipage d’une cinquantaine d’hommes. Debout, les armes déposées à distance, ils patientaient dans l’espoir d’une clémence de leurs bourreaux. Tout espoir de lutte les avait quittés depuis belle lurette.  

Le Capitaine s'avança, clopinant au milieu de ses hommes sans porter le moindre intérêt aux civils. Habituellement, il se serait fait un plaisir à malmener n'importe lequel de ces lâches pris à croiser son regard, mais pas aujourd'hui. Tout l'équipage n'avait d'yeux que pour le bord d'en face. Légèrement en retrait sur le coté, Le Cavalier en invita discrètement quelques uns à inspecter les ponts inférieurs, en prévention d'une mauvaise surprise. Le temps houleux semblait lointain, une tension extrême parcourait les corps prêt à se jeter en avant. Le navigateur au drapeau noir s’arrêta à mi-parcours en face d'un homme de la même stature, derrière lui attendait la même troupe hétéroclite de bons à rien.


- Bien bien bien.. qu’avons-nous là.. Me tromperais je en saluant le Capitaine Hogold ? Je me présente, le Capitaine McMahon Kelly de La Pie Noire. J'ai entendu le plus grand bien de vous, mais nous avons un soucis et je le regrette sachez le, seulement.. la marchandise nous revient. J’espère que la traversé fut bonne car il va vous falloir vous y retourner, et nous gommerons ce fâcheux incident de nos esprits. Ah ah !
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Alors que la pluie ruisselait le long de la peau de chacun, les deux Capitaines se faisaient face. Chacun savait pertinemment qu'aucun ne cèderait face à l'autre. Leurs navires se valaient, leurs équipages étaient sensiblement de la même taille... Une courte discussion pour essayer de déterminer qui avait la plus grosse, un défi lancé, et un différend à régler. Ainsi, deux interrogations apparaissaient aux yeux de tous : sur quel défi se mettraient-ils d'accord ? Et qui le remporterait ?

« La traversée fut bonne, je vous remercie de votre sollicitude, Capitaine... »

Hogold marqua une pause, la tête légèrement inclinée, l'air interrogatif, presque moqueur.

« Capitaine quoi déjà ? Veuillez m'excuser, vous vous êtes présentés, vous et vos titres, avec une dédaigneuse rapidité qui pourrait faire croire aux plus crédules que vous êtes connu de par les mers.
- Comment osez-vous !
- Vraiment, j'en suis navré, mais vous m'êtes inconnu monsieur... Capitaine, pardon, j'en oublie jusqu'à votre titre. Heureux de vous rencontrer, dommage que ce soit pour une si courte durée. Vous semblez connaître mon nom, vous avez dit avoir entendu le plus grand bien de moi, certainement connaissez vous ma réputation. Alors vous savez à qui vous avez à faire.
- En effet, je connais votre réputation, et d'aucuns diraient qu'elle est fabuleuse, mais la plupart des citations de votre nom ne font que ternir votre image déjà bien pitoyable. Je vous ai plus souvent vu côtoyer "couard" et "dégradé" qu'autre chose, voyez-vous ? J'ai effectivement entendu le plus grand bien de vous, mais comme tous le savent dans mon équipage, ce n'est pas en faisant le "bien" qu'on devient un grand Capitaine ! Ha ha ! Et quid de vos hommes ? Vous voient-ils comme un bon Capitaine ? Vous me faites rire, vous n'êtes bon à rien, si ce n'est me laisser pleine jouissance du contenu de ce transporteur !
- Belle tirade. Vous savez manier les mots, mais laissez-moi vous apprendre comment manier le fer ! Certainement auriez-vous oublié ce qu'est le quotidien de la piraterie ? Vous nous critiquez, mes hommes et moi, alors je vous en prie, observez avec quelle aisance nous allons prendre le contrôle de cette proie ! MESSIEURS ! »

Tous tirèrent leurs lames ou braquèrent leurs pistolets sur l'équipage adverse, qui en fit de même, exactement au même moment. Les malheureux hommes du navire marchand, qui risquaient de se retrouver entre deux feux, se baissèrent jusqu'à s'accroupir, toujours au centre du pont, encerclés par deux demies-lunes de pirates. Une pointe des demies-lunes était délimitée par les deux Capitaines, l'autre pointe par les deux Quartiers-Maîtres, l'un à la faux bien droite, l'autre la main au sabre, non dégainé. Ces deux hommes-là devaient certainement être les plus calmes de cette clique hétéroclite.

L'équipage posté derrière Thatch ne savait que penser. D'un côté, l'être morbide à la faux du camp adverse les laissait cois. De l'autre, la moindre pensée de reculer alors que leur propre Quartier-Maître les surveillait - même s'il était de dos par rapport à eux - leur faisait beaucoup trop peur. Dilemme. On ne plaisantait pas avec un homme qui pouvait avoir été envoyé par le Diable lui-même, mais il n'était pas non plus alléchant d'affronter cette engeance qui semblait porter la Mort en elle.

L'un des matelots tiraillés par ce débat intérieur murmura faiblement à son voisin :

« Si on affronte la Mort et qu'on y passe mais que c'est en soutenant le Diable, c'est bon non ?
- Euh... P't'être... Mais on meurt quand même, non ?
- Ouais, mais je suis encore moins tenté que de rester envie avec le Diable aux trousses... C'est un coup à crever.
- Dans les deux cas, t'es mort.
- J'préfère moins souffrir. Quelque chose me dit que le Diable, avant de m'envoyer rendre visite à la Mort, aimera jouer avec moi. Et ça me tente moyennement, tu vois... Surtout si c'est Thatch qui s'occupe du sale boulot. »

Silence. Les regards noirs des deux Quartiers-Maîtres avaient figé dans leur terreur les deux bavards. Même l'équipage marchand regardait sévèrement les deux matelots. Sans attendre plus longtemps, les deux Capitaines reprirent leur discussion laissée sur le fil des multitudes d'épées. McMahon commença.

« Si nous nous affrontons, beaucoup mourront - surtout les vôtres. Je gagnerai, mais j'aurai perdu beaucoup d'hommes. Et pour la suite, voyez-vous, c'est chiant.
- Vous avez peur ? Pour moi, si on s'affronte, mon équipage aura un tel avantage que leurs blessures seront soignées avant d'avoir terminé le pillage de votre bâtiment et du transporteur !
- Quelle lamentable vanité dont vous faites preuve...
- Encore des mots ! Voilà ce que je vous propose : de l'action. Au lieu de mettre face à face la totalité de nos équipages, faisons s'affronter seulement deux hommes. Ainsi, votre inconfort à la pensée de perdre votre équipage sera soulagé, même si cela ne change rien à la finalité ! Je ne vous propose pas de nous affronter tous les deux, vous refuseriez, de peur de perdre. Qu'en dites-vous ?
- Cessez vos piques inutiles, cela ne montre en vous que le fait que vous êtes mal à l'aise face à moi ! Quoi qu'il en soit, je n'aime pas regarder les duels. C'est habituel et lassant. Et tout est basé sur la force d'un champion. Alignons trois hommes ! Ce sera plus palpitant ! Hé hé !
- Eh bien... Soit ! MATT ! HANRYCK ! THATCH ! »

Matt. On ne savait toujours pas si c'était son nom ou son prénom, mais personne n'en avait rien à carrer. Fallait dire qu'il n'était pas très dégourdi avec les mots, le Matt. Il s'était présenté comme ça, personne n'avait cherché à comprendre : il faisait le taf et le faisait très bien. Matt, c'était une brute épaisse de plus de deux mètres de haut, pour un poids qui faisait remettre en question la tenue du pont à son passage. Alors, certes il était extrêmement lent, mais également très résistant aux coups, et si vous vous preniez une beigne de l'un de ses rares mouvements rapides, on vous retrouvait deux mois plus tard à émerger d'un coma post traumatique. Matt, c'était un fan des armes de pugilat contondantes.

Hanryck. Pour lui, il s'agissait bien du nom de famille. Mais bon, on s'en fout, pas vrai ? Le truc intéressant avec Hanryck, c'est qu'il était à peu près aussi brutal que Matt, mais avec des centimètres et des kilos en moins, compensés par de la vitesse et un soupçon de ruse. Un soupçon. Faut pas déconner, ce n'étaient pas des intellectuels non plus. En résumé, Hanryck était grand, lourd, et se battait au sabre pirate et aux pistolets. Mais cette fois, il allait falloir se contenter du sabre, les pistolets n'étant pas autorisés dans la lutte qui se préparait.

Thatch. Nom de famille. Et non, on ne s'en fout pas. Parce que Thatch, c'était Thatch, et Thatch, fallait pas chercher à ignorer le nom qu'il avait décidé de porter, sinon Thatch, il allait pas être content. Thatch. Faut le répéter encore longtemps ou vous l'avez intégré ? Parfait, continuons alors ! Grand, mais il semblait ridicule à côté de Matt. Lourd également, mais pas démesurément. Du muscle, et un début de ventre, comme tout bon pirate amateur de rhum qui se respecte. Un sabre d'abordage, manié avec élégance et tact. Un Quartier Maître autant apprécié que respecté et craint par ses hommes, pour sa science du combat et son expérience de la piraterie.

Et en face ? Voyons... Qui allait les affronter ?

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- Quelle déception après tant de palabre d’aligner trois sacs de frappe… Fint, la Balafre et le Cavalier sortez des rangs et occupez vous en.

Fint. Tout son être respirait la filouterie, à commencer par sa petitesse. Une sorte de lutin diabolique, dont l’agilité et l’énergie débordantes profitaient à son aspect fluet. Lorsque le Capitaine le sortait de son chapeau, commençait un véritable artifice de pitreries. Rien ne l’arrêtait avant qu’il n’est percé de toutes parts la cible désignée. Que ce soit par les cordages ou en passant entre les jambes, il finissait toujours par l’atteindre pour y planter ses deux petits poignards d’acier. Une personne très fatigante à côtoyer, jouant de ses proies et ricanant plus que nécessaire.

La Balafre. Lorsque la moitié du visage s’était vue arracher par une arme tranchante, s’appeler Bill, Bernard ou Bob n’importait plus vraiment. L’évocation du stigmate suffisait à se faire reconnaître, jusqu’à ce que cette nouvelle identité s’impose à vous. Pour le reste, le gaillard avait tout du bon pirate : plus trapu que massif et légèrement bougon sur les bords. Il se battait au sabre d’abordage dans une main et au coutelât dans l’autre, avec pour mauvaise habitude de graver les mêmes cicatrices à qui croisait le fer contre lui. Sa soif maladive de victoires cachait sa crainte d’une nouvelle défaite lourde de conséquences.

Le Cavalier. Quarante septième années à fouler la surface des Blues sans que le temps et les coups du sort ne parvinrent à corrompre sa mine arrogante. L’empreinte de l’âge s’était posée ailleurs. Avec son teint blême et ses traits osseux, il était mal aisé de ne pas lui en donner le double. Seule son insouciance transparaissait encore de ses jeunes années. Si sa physionomie inspirait peu de crainte, il en était tout autre de l’aura le ceignant. Le couplage des deux s’harmonisait en une monstruosité de la nature. De ce sentiment, le pirate se délectait et jouissait à chaque occasion que la situation lui permettait. L’effroi et la prudence avaient pris l’habitude de baigner ses alliés comme ses ennemis. Bien que depuis peu à bord de la Pie Noire, il avait su se hisser à l’un des plus hauts postes.

Circonspect dans un premier temps, le Capitaine Hogold se laissa aller dans un rire moqueur.


- Ah ah ah ! Non mais sérieusement ?  De tous vos essais maladroits, pour la première fois je me sentirai insulté à la vue d’un tel ramassis. Je comprends votre souhait d’abréger leurs souffrances et j’en admire la bonté, mais tout de même. Si l’élite de votre équipage se retrouve en ces hommes, je retire mon chapeau et vous salut d’être parvenu par cette mascarade à le préserver de l’anéantissement.
- Riez donc misérable, le plaisir de votre air dépité à la fin de cette entrevue ne sera que plus plaisant. Montrez à ces morceaux de viande la fin qu’ils ont échappée, gravez dans leur souvenir le nom de votre Capitaine pour que dorénavant la sénilité ne soit plus une excuse à l’oubli !

Un écho d’acclamations et de quolibets répondirent à ses paroles. Prenant pleine mesure des ordres, Gates se détacha de la cohue gesticulante la faux collée contre son épaule et rejoignit le centre des festivités. D’un léger regard il consulta le Capitaine, qui lui répondit d’un clin d’œil. Le Seigneur de la Pie Noire ne souhaitait pas que ses hommes se contentent de dérober la vie de leurs opposants.  Il s’agissait de démontrer la supériorité d’un équipage sur l’autre par une violence de premier ordre. Transformer en lambeaux les plus forts combattants restait le meilleur moyen de calmer toute envie de révolte chez les perdants. Seul un sang abondant signerait la suprématie d'un des capitaines. Glissant ses doigts sur l’hampe de son arme détrempée par les éléments, le Cavalier calmait les humeurs à mesure qu’il passait devant les hommes. Sa soutane gorgée d’eau lui collait à la peau, mais la sensation de froid sensée l’accompagner se contentait de glisser sur sa carcasse amoindrie. La faute à un bouillonnement montant. Telles des bêtes sauvages, chacune se rapprochait sans se perdre du regard. Attentifs aux déplacements, ils se jaugeaient à la posture, à la lourdeur du pas, afin de décider du meilleur angle d’attaque.

Lorsqu’ils atteignirent le centre du navire, place net avait été faite. L’équipage marchand avait rapidement été entassé à la proue et les spectateurs s’étaient reculés d’un pas pour laisser le champ libre aux épanchements sanglants. Les fanfaronnades maintenant lointaines, un silence lourd écrasait l’arène bercée dorénavant uniquement par les intempéries croissantes et le craquement des trois embarcations se percutant sous l’action de la houle. Même les Capitaines, au prix de mines hautaines, avaient tu leurs provocations afin de se retourner de chaque bord et profiter du spectacle. Sur l’un des points du cercle formé par les compétiteurs, le Cavalier laissa chanter ses articulations aux cotés d’un Fint sautillant et d’une Balafre toujours aussi laide. En face, le quartier-maître patientait entouré de ses deux armoires à glace. Peu impactée par les roulis, sa stature conservait une droiture fière. De celle qui ne flancherait pas quand bien même le destin s’y appuya. Un début de barbe de jais dissimulait des traits jeunes, dont un regard d’encre d’une autre époque transperçait qui le croisaient. Un sourire carnassier naquit sur ses lèvres à la vue des yeux blanchâtre le fixant. Malgré le gouffre cherchant à le happer, il ne tiqua pas un instant plus intrigué qu’effrayé. Tout différenciait les deux hommes, jusqu’à l’aura sombre les entourant pourtant de par la vie les ayant choisis un lien les unissait. Lorsqu’ils s’élancèrent il n’y eu pas vraiment de signal, le moment était simplement venu.


- J'arriiiiiveeee !!!

D’un pas bondissant, Fint fut le premier à traverser la distance avec l’envie de meurtre pour écume. Filant entre les gouttes une cible toute désignée en tête, il se mua en une traînée par la vitesse. Cependant après que le ciel se soit obscurci à son approche, une masse en clôtura l’avancée. Un tronc de deux fois sa taille venait de broyer son ombre dans un fracassement destructeur. Éclaboussé par une pluie d’éclats de bois, il en évita le poids que de justesse. Une enjambée avait suffi au demi-géant pour se porter au devant de son équipe. Arrachant toute une section du sol d’un premier mouvement, il écrasa de nouveau son poing contre le cafard. Vif celui-ci ne se laissa pas si facilement aplatir. Sitôt le coup évité, il sembla rebondir sur les planches arrachées par le choc et planta ses fines lames dans la chaire dénudée du bras, mais déjà en poussant sur ses jambes il s’écarta d’une pirouette du dénommé Matt avant que le claquement de sa paume scelle son sort. Un heurt s'entrechoqua alors dans son dos, accompagné d'une douleur vive.

Attentif au point de chute, Hanryck fendit l'air sitôt le lutin se réceptionna au sol. La demi-portion aurait muté en deux portions si l’acier glacer du porteur de mort ne s’était pas interposé. Le coup salvateur rasa de prêt l'individu, si prêt que la pointe d'une de ses oreilles en pâtit et tomba. Un bref bras de fer s'entama entre la lame des deux combattants. Brièvement car le pirate du Campañela se désengagea brusquement pour interposer sa lame à la Balafre se jetant sur lui. Bloquant le sabre du sien, il contrecarra l'autre main avant d'être poignardé. Sous la force de l'assaut ses jambes le trahir, roulant boulant les deux hommes s’emmêlèrent dans une étreinte mortelle. En lieu et place de la collision, les deux membres restant de la Pie Noire se propulsèrent chacun d'un coté lorsqu'un nuage menaçant assombrit de nouveau la scène. Peu impacté par les blessures ressues, Matt venait d'abattre ses deux poings. L'explosion de puissance n'épargna pas le plancher qui vola en éclat dans un large rayon. Désossé, seul les poutres le soutenant persistaient encore au point d'impact. S'étant propulsé en arrière, le Cavalier se retrouva séparé du champ de bataille par une muraille de chaire le surplombant. La brute épaisse avait choisi le plus menaçant et ne comptait pas le laisser passer en un seul morceau.


- Dis moi mon gros, tu souhaites vraiment me faire face ?
- ...
- Merveilleux hé hé... J'aime ceux qui savent se la boucler.
- ...

Contractant ses muscles, le colosse balança sa plus belle droite contre l'amas de tissus détrempés. L’arme en retrait, le Cavalier la fit revenir brutalement en avant comme réponse. La faux sembla se courber comme un fouet et un son éclatant sonna lorsque l’acier rencontra l’acier. Deux nouveaux chocs retentirent et le même son métallique raisonna. La chaire n’était pas au rendez vous. Armé de cestes, d’épaisses sangles de cuir serpentaient autour des avant-bras du pugiliste, puis se croisaient au niveau des mains pour fixer des plaques. Cette terminaison apportait puissance aux coups et protection. A chaque choc, les deux hommes se repoussaient d’un jeu égal. Quand vint la quatrième tentative, le Cavalier modifia son approche. Portant cette fois ci une frappe latérale, il sembla s’enrouler autour du bâton en pivotant sur lui-même. Lorsqu’il frappa de nouveau l’arme réalisa un cercle parfait dont il fut le centre. La force de l'attaque  déstabilisa son adversaire suffisant pour le laisser en plan et retourner au centre des festivités. Furibond se dernier s’apprêta à le charger mais un Fint sanguinolent glissa entre ses jambes et y déposa ses marques. Son habitude à la parlotte l’avait quitté depuis sa rencontrer avec l'envoyé du diable. Les mortels aussi massifs soient ils, avaient le mérite de vous laisser une chance.

De par cet échange d'adversaires, les bulldogs toujours dans leur coin à se morde le museau, les deux quartiers-maîtres se retrouvèrent de nouveau face à face. La lame gourmande du plus jeune n'avait pas attendu pour s’abreuver. D'une démarche impériale nimbée de ténèbres, Edward Thatch prônait. Interrompant sa dératisation provisoirement, il agressa avec aplomb le nouvel adversaire. Traversant adroitement le pont défoncé, il écrasa son arme contre le quart de lune l’empêchant d'aller plus loin. Toujours bloqué sur un parcours de poutrelles abîmées à l'heure de la tempête, une pluie acérée régula son avancée. Un ferraillement à l'intensité croissante s'était engagé entre les deux hommes. Il aurait suffi de se reculer pour se désengager et repartir d'un meilleur pied, mais le pirate à la barbe noire ne le souhaita pas. Il portait sur ses épaules non pas les attentes de son équipage mais sa propre volonté passionnée de surpasser. La volonté de surclasser quiconque se positionnerait à son devant et le Cavalier n'en fut pas insensible.


- Pas mal morveux.. On croirait avoir à faire à un pirate hé hé..
- Ne prenez pas cet air condescendant avec moi. Ou un prix sera demandé pour ces paroles.  
- Hé hé.. C'est qu'il mordrait !

D'un coup plus perfide, le barrage manqua de rompre. Ce n'est que de justesse que le déluge d'acier continua son martellement.  

- Hé hé.. Bouge pas je reviens.

Au lieu de maintenir le barrage, la faux balaya la structure affaiblie et poursuivit dans un même mouvement en direction de son adversaire. Ce dernier vif d'esprit, tenta bien de se soustraire du lieu incertain par l'ouverture nouvelle. Cependant le Cavalier en abattant si promptement son arme ne lui laissa guère le loisir d'en profiter. N'ayant pour appuie que des poutres sciées, bien qu'il bloqua la lame toute sa personne fut engloutie à l’étage inférieur.

Inspectant la scène plus posément, le maître des coups bas observa au prise avec le géant un lutin à l'avenir plus incertain à mesure de l'écoulement de ses plais. Dans un souffle, l'ombre de la Mort se glissa dans le dos de l'ennemi. Réaction il y eu en raison des beuglements d'une partie de l'assemblée, seulement trop tardivement. Un premier coup sec lui sectionna la jambe. Genou à terre, Matt grimaçait autant qu'il était humainement possible. Le grognement de douleur se transforma en un gargouillement au deuxième. Un flot de sang s'échappait maintenant de sa gorge. Endiguant tant bien que mal le flux pour préserver ses dernières parcelles de vie s’effilochant, le gaillard tenta dans un geste désespéré de saisir le Cavalier. Fint hilare et crachotant des obscénités ne lui en laissa pas l'occasion. Il escalada la masse semi-inerte et planta ses poignards frénétiquement jusqu'à ce que le dernier souffle d'air s'éteigne.

Plus que deux.


Dernière édition par Le Cavalier le Mar 6 Juin 2017 - 16:00, édité 1 fois
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Fint riait à gorge déployée, fier de son œuvre. Il trônait sur le corps chaud du mastodonte et jouait de ses lames sur la chair à vif de sa victime. A ses côtés, l'ombre de la mort balançait sa faux de gauche à droite, lame vers le bas, comme le pendule inlassable de l'horloge de la vie qui dicte l'existence de chaque être, sonnant l'heure de la fin de tous. Il était terrifiant.

Devant leurs pieds s'étendait une ouverture carrée béante d'environ six pieds de côté au fond de laquelle avait disparu l'homme à la barbe noire. Et de l'autre côté, Hanryck, acclamé par l'équipage du Campañela, continuait son affrontement contre la Balafre, dont le nom était scandé par l'autre groupe. Le Capitaine de la Pie Noire affichait une mine enjouée face à la mort du premier homme. Le costaud ne poserait plus de problème, et il savait que son Quartier Maître allait pouvoir aisément terminer le boulot.

Mais c'était sans compter Edward Thatch.

De multiples cordes jaillirent du trou pour saisir chaque membre du lutin aux couteaux. Sous la force de l'emprise, il dû lâcher ses lames qui vinrent se planter une fois de plus dans la chair de Matt.

« Non non non non noooooooooooooooooooooooon »

Dans ce dernier cri, il disparu, happé dans le noir du gouffre. Sa plainte s'acheva dans un gargouillement étranglé. Un étrange bruit difficile à décrire si ce n'est par la réalité de la chose : Fint venait de se faire égorger.

L'assemblée se tut. Même Hanryck et La Balafre avait interrompu leurs échanges de coups. Leurs armes s’entre-coinçaient, mais tous deux avaient un œil posé sur les ténèbres qui avaient aspiré le lutin. Les acclamations avaient cessé, tous fixaient l'ouverture sombre du pont. En instant, la Mort redoutait d'affronter le Noir.

Mais au fond de son trou, Thatch venait de prendre conscience d'une évidence : Hanryck et lui ne pourraient pas venir à bout du duo adverse. L'homme à la faux s'imposerait par son expérience. La manière qu'il avait de manier son arme ne faisait aucun doute sur l'étendue de son pouvoir. Et Thatch, malgré ses années de piraterie, se savait inférieur. Ou en tout cas, le risque était trop grand.

Alors il préféra choisir une alternative. Si l'affrontement face à face ne pouvait lui sourire, il fallait autre chose. Et il n'y avait pas une infinité de solutions. Cela allait engendrer de nombreux morts parmi les deux équipages. Mais Thatch n'était pas adepte du sacrifice personnel. Il poursuivait un but bien au-delà de la vie de ces centaines d'âmes.

Mêlée générale.

Un corde sortit du trou et s'enroula autour de la cheville d'un matelot de la Pie Noire, l'un de ceux du premier rang qui jusque là ne faisait qu'observer le spectacle. Celui-ci tomba à la renverse et commença à se faire traîner inéluctablement vers le gouffre. Ses plus proches camarades entreprirent de lui venir en aide, mais de nouvelles cordes jaillirent et les agrippèrent à leur tour. Nombre d'entre eux dégainèrent leurs sabres et s'acharnèrent sur les liens. Dans la précipitation, ils se blessèrent autant qu'ils se libéraient.

Mais les cordages se faisaient plus nombreux, plus rapides, plus résistants. Dans la panique générale certains matelots tombaient dans l'ouverture béante et se faisaient aspirer par ses ténèbres. Ils poussaient des râles noirs d'une sonorité identique à celui poussé par Fint précédemment et s’éteignaient définitivement.

Sauveur de ses hommes, l'ombre de la mort mit fin à la situation catastrophique en sectionnant la totalité des fibres en un seul puissant coup de faux. L'ambiance générale était tendue. Les pirates traînés par le Noir reculaient à moitié à quatre pattes, terrifiés. Leurs camarades, armés jusqu'aux dents, ne réclamaient que vengeance. Et de l'autre côté, l'équipage du Campañela se préparait à recevoir leurs assauts.

A nouveau, des cordes s'élancèrent du trou, mais cette fois pour s'agripper aux deux mâts du pauvre navire marchand de part et d'autre du pont. Les mâts ployèrent sous la charge exercée depuis les abysses ténébreuses mais ne rompirent pas. Soudain, la charge se relâcha et cela eut l'effet d'une catapulte, propulsant un Thatch déterminé hors de sa cachette. Dans son élan, il envoya sur l'équipage adverse les corps démembrés et sanguinolents de leurs alliés qui avaient eu la malchance de se faire happer par sa noirceur.

L'homme à la barbe noire retomba au beau milieu des matelots de la Pie Noire les plus désorientés, ceux qui avaient encore du mal à se remettre des émotions des cordes qui avaient tenté de les aspirer. Dans le même temps, son équipage le suivit, armes aux poings, rage aux lèvres.

La mêlée générale avait commencé.

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Une fois la boîte à malice de Thatch entrebâillée, l’ambiance avait viré de bord plus rapidement qu’un corsaire les jours de grandes marées. Épongeant le sang reçu d’une manche, le Cavalier resta quelque peu pensif devant le bras d’enfant qui venait de lui atterrir sur le coin du nez. Le don de Flint pour le mal de crâne était parvenu à traverser les voiles de l’au-delà. Choisissant d’y voir un signe de sa persévérance, le pirate soupesa le membre arraché et le projeta de toutes ses forces contre le premier goret du troupeau vociférant. Un craquement l’accueillit comme baroud d’honneur d’un lutin voué à l’oubli. La masse lourdement harnachée se referma alors. En cette heure, la peur les avait quittés, seul l’appel du sang bourdonnait dans leurs oreilles. Au cœur du torrent furieux, le vieillard ressentit des petits battements se dégelant irrigués de nouveau sa soif inassouvie. D’un bond, il libéra la place aux tires avides de tuer et d’un second raccourcit les fusils qui venaient de les lâcher. Les francs tireurs devenus blêmes échappèrent de peu à la Mort, par l’intervention de toute une ribambelle de vilains impatients de la donner. A ses cotés les hommes de la Pie Noire, non retenus par le problème barbu, percutèrent l’avancée ennemie. La principale caractéristique des mêlées se traduisait par le chaos les accompagnants. Un bon combattant n’était plus qu’un élément de la mélasse meurtrière une fois plongé en son sein. Frapper encore et encore, sans jamais chercher à s’attarder contre un adversaire prêt à tomber restait le meilleur moyen de ne pas finir une lame dans le dos. Malgré toutes les bonnes volontés, la roue du destin conservait le dernier mot. Implacable et aveugle, elle prodiguait sa bonne parole sur un coup de dés. Seuls les êtres surhumains gardaient le pouvoir de se soustraire à ses desseins, que ce soit par les tours du Malins ou le glaçant d’outre tombe. La fuite des lâches parvenait aussi à distancer ses sentences, mais en mer les échappatoires se faisaient rares..

Tournicotant dans un ballet mortuaire, le Cavalier écrasait son arme contre qui s’essayait à en suivre le pas. Pesant d’une force incongrue, le cadavre déambulant broyait les gardes et dégommait les hommes s’interposant au fil acéré. Lorsque la puissance brute ne suffisait pas, le damné modifiait son approche. Délaissant les martèlements brutaux du dos de sa lame, il se rapprochait sous le couvert de l’hampe avec l’idée d’enfermer l’adversaire dans un croissant meurtrier. En plus de bloquer l’arme, il fallait aussi parvenir à se préserver du croc pointu. La courbure avait la fâcheuse habitude de frapper d’une position supérieure dans les angles morts. La survie dépendait alors de la compréhension du mouvement, de la vitesse de la parade et de la force employée pour s’y soustraire. A ces nombreuses qualités nécessaires s’ajoutait un esprit fort, capable de résister à la présence du Cavalier plus proche que jamais et à la Faucheuse tapie dans le dos. Le déluge ambiant d’eau et de sang et les creux avalant et recrachant les embarcations semblaient si lointains à ces moments... Occupé à une de ces fortes têtes depuis quelques instants, le pirate réduisit encore la distance. Corps à corps, les deux hommes grimacèrent dans la confrontation. Soudain libérant la place, le quartier-maître bondit en arrière. Si l’arme glissa contre le sabre, la courbure de la lame s’enfonça dans la chaire et ramena la prise jusqu’à un puissant coup de boule, qui la plongea dans les ténèbres. Satisfait, le forban vainqueur écrasa son pied contre le visage du malheureux quand une douleur vive naquit dans son dos. Se préparant à trancher l’importun en deux, la Balafre le devança d’un coup net. La gueule d’ange salvatrice semblait s’être prise du plomb dans l’aile. Le souffle lourd et deux vilaines blessures, le gaillard ne portait plus qu’un sabre, son poignard étant profondément enfoncé dans sa propre épaule par un tour dont lui seul connaissait l’histoire. Le dernier soupir de la victime quitta un homme rasé de prêt et vêtu d’une tenue de marin zébrée par une marque rougeoyante. Le plus notable de ses attributs était sa coiffe affublée d’un pompon. Crachant sur le malandrin entre deux échanges,  le Cavalier comprit aux nouvelles couleurs perlant sur le champ de bataille le fin mot de l’histoire. Les pirates n’étaient plus les seuls hommes à bord…

Grands oubliés du remue ménage, l’équipage du navire marchand cloîtré à l’avant du navire reprenait vie. Dans l’attente d’un jugement, il avait vu la chance basculer en sa faveur dès lors que les deux poisons des mers commencèrent à se rentrer dedans. Avec l’énergie de l’espoir nouvellement acquis, ils avaient ramassé les armes tombées et pris part à la bataille. L’arrivé de cette nouvelle force ne manqua pas d’apporter un peu plus de chaos encore. Devant cette mouvance incertaine, les deux forbans se mirent dos à dos. Batailler ferme ne les empêchât pas de converser, sous l’investigation du Cavalier curieux de la tournure prise par les événements.
   

- Ton molosse a passé l’arme à gauche ?
- Ch’ais pas.. Humpf ! … Perdu de vu..
- Le Cap'taine que j'ai pas recroisé.
- Aux prises avec l’autre, à se fracasser la tronche sans cesser de japper. Il tient son affaire, le souci c’est plutôt votre gars. Depuis qu’il est en roue libre, ça va mal dans le coin.
- Hé hé hé… un bébé kraken et le navire prend l’eau !

Dans un reniflement, le balafré lâcha d’un ton sombre une sentence au gout de vérité.    

- Il a le Diable en lui…

Souriant, le Cavalier sembla approuver la remarque. Le jeunot avait quelque chose dans le regard de pas commun. Une force pas commune non plus. Situant approximativement la position de la terreur, peu souciée par la discrétion, le porteur de mort s’interrogea sur la manière de l’atteindre. Une flopée de crapules séparée les deux monstres, l’idée consistait à la traverser sans perdre de temps et de panache. Une réputation se faisait dans les détails.. Un regard au grand mât à deux pas lui apporta la solution. Le morceau de bois se dressait fièrement au centre de l’embarcation, le chapiteau maintenu à sa cyme. Le pirate planta son comparse et dégomma le couple de bagarreurs le gênant. Tournoyant l’arme entre ses doigts, la faux s’érigea en un mur protecteur dans l’attente de la bonne vague. Les embarcations enchaînées remontèrent le creux qui les avait englouties, à mesure qu’elles s’élevaient la pente du pont s’accroissait. Quand l’inclinaison commença à bouger les canons, le pirate trancha d’un coup net le mât. Un instant, rien ne sembla se passer… puis peu à peu sous l’appel de l’apesanteur l’imposante masse s’écroula. Lentement d’abord en raison des cordages le retenant, mais à mesure qu’ils se rompaient, sa chute s’accéléra. Le Cavalier n’attendit pas qu’il soit au sol pour le parcourir sur la longueur. Porté par le fracas et le hurlement d’un civil s’étant caché dans le nid-de-pie, il traversa l’allée ouverte pendant qu’en dessous tous s’écartaient pour ne pas être écrasés.

Un large souffle soufré s’était dégagé de l’épicentre Thatch. Le carnage sans nom imbibait les planches et avait remodelé le décor. Surplombant la scène, la Barbe Noire toisait ses victimes avec un mélange de mépris et de fureur. Le sabre toujours en main, plus rougi encore, il maniait maintenant de l’autre un chat à neuf queues de plusieurs mètres tout aussi coloré. Les cordes s’étaient torsadées langoureusement en des lanières épaisses capables de résister à l’acier. Vrombissant à chaque coup, les claquements marquaient les chaires et brisaient les mentalités. Le sang les gorgeant en alourdissait le poids. Une véritable vision de l'enfer, dont l'empreinte se lisait sur le visage des vivants comme des morts. Positionnée sous le point de chute, l'engeance du Diable explosa en éclat le mât d'un mouvement ferme de son martinet à neuf branches. Des débris, un amas de friperie au sourire avenant se dégagea alors.


- TRANCHE TRONCHE !!!

Une fois à sa hauteur, le Cavalier  venait de se propulser d’un bond. La faux s’abattit de toute sa puissance contre sa garde sans qu’elle ne s’effrite. Cette fois ci le sol tint bon, le jeune pirate parvint même en puissant dans ses retranchements à repousser le vieillard ricanant à bonnes distances.

- Hé hé hé... Te revoilà donc ici à martyriser mes hommes... sans moi ? Penche la tête que je la coupe et tu seras pardonné.
- Nom de Diable, sacrée sangsue que voilà incapable de s’arrêter de baver !
- Fuis donc. Plus loin encore si tu peux, mais dis moi d’abord... As-tu peur de la Mort ?
- La Mort n'effraye que ceux qui la craigne. Parle si tu le souhaites, mais le son de tes mots se perdra dans le vent.
- Fais moi face alors et voyons se qui se passe quand la Mort et le Noir s'opposent..

Bien campé sur ses jambes, le Cavalier paraissait plus imposant. Le vent soufflant s’engouffrait de toute sa puissance entre les plis de sa soutane décolorée, gonflant son habit tel un plumage de mauvais présage. Tournoyant entre ses mains desséchées, l'arme du faucheur s'érigeait menaçante. Lorsqu'il s'élança, la rotation gagna en vitesse. L'élancement sanglant de son dos lui semblait lointain. Il pleuvait des cordes de plus en plus durement à mesure qu'il approchait. Ses genoux ne fléchirent pas. Il traversa l'épreuve, la porte des limbes s'ouvrit sur une patte griffue. Trois coups successifs jaillirent en direction de Thatch avec le désir de le déchiqueter. Il était maintenant de sa responsabilité d'y résister. La question était de savoir combien de temps la météo le permettrait. Car si les deux hommes ne s'en émouvaient pas, autour beaucoup avaient des difficultés à simplement rester debout. Roulant d'un coté à l'autre à chaque mauvaise vague, les combats en pâtissaient.
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Pris d'ivresse, les deux damnés ne se quittaient plus. Tête à tête ensanglanté, où les passions s'acharnaient à broyer et déchiqueter ce qui restait d’humain, ne laissant plus qu'une hargne à vif. Une hargne de vaincre... de survivre. Les parades et pas sur le coté ne suffisaient plus, les corps pâtissaient dorénavant pleinement des atteintes portées. Mais derrière la rudesse des coups, aucun des deux ne souhaitait clore l'échange. Chacun frappait pour tuer, mais une attente persistait à voir l'autre se relever. Ils souffraient, saignaient, maudissaient et crachaient. Plus encore. Mais derrière les paroles et les actes assassins, deux nobles cœurs de pirate savouraient la confrontation de leur reflet. L’escalade de violence s’était élevée à un point où seul le tocsin aurait pu les stopper. Le Dieu Noyé le fit.  

Entre deux éclairs découpant le ciel de ténèbres, le sol les quitta. Aspirés par les profondeurs écumeuses, les trois navires harnachés venaient une nouvelle fois de s’éloigner. Coincés entre ciel et planches, cadavres désarticulés et bretteurs gesticulants se mélangèrent avec désordre. Le moment de flottement sembla durer une vie. Tous s'écrasèrent contre le sol une première fois, puis une deuxième quand une montagne d'eau s'échoua de toute sa lourdeur. Pirates, marchands, pleutres ou courageux, ils n'étaient plus que des hommes aventurés dans la colère des eaux. Les combats oubliés, ils s’accrochaient à présent aux derniers îlots arrimés au milieu du déchainement furieux. Malheureux était ceux ne le pouvant pas. Les carcasses de bois ainsi fagotées se trouvaient à la merci des éléments, les structures effilées s'étant encroutées en un grossier radeau. Les esprits s'étaient également tempérés chez les Capitaines, des deux bords le même ordre de repli tonnait maintenant. Côte à côte, alors qu'encore un peu une lutte féroce les opposait comme en témoignaient les blessures, ils parcouraient le pont clopin-clopant en hélant les âmes à retourner à bon bord. Le temps était venu de libérer la place.

L’envie de poursuivre glissa qu’un bref instant dans l’esprit des deux combattants. Les mers n’en formaient qu’une, ils sauraient se retrouver le moment venu pour clore le préambule. Les quartiers-maîtres suivirent le pas et relayèrent les ordres. Tous ceux qui le pouvaient luttaient pour retourner à bon bord, couper les cordages, décrocher les passerelles... L'équipage du Caishenye quant à lui ne sut pas s'il faisait face à une délivrance ou à un abandon. Quand les deux navires parvinrent à se retirer, une nouvelle vague les entraina sous l'eau. Deux voiles noires en ressortirent, mais seule la quille du troisième s'érigea hors des flots. Alors que le branlebas continuait de secouer les hommes pour leur survie, une ombre obscurcie les yeux du Cavalier. Perdant peu à peu pied, il sombra...



***



Les miasmes de la tempête lointaine, un soleil radieux surplombait la Pie Noire lorsqu'il reprit ses esprits. La bouche sèche, le crâne migraineux... D'abord ébloui, quelques secondes lui furent nécessaires pour discerner de nouveau le pont où on l'avait allongé. Sur le ventre à même le sol, au milieu d'un équipage mal en point, une perfusion lui sortait du bras et un bandage lui entourait le corps. On avait sorti les blessés sous l'air salin et les rayons revigorants sitôt la pluie arrêtée. Pensif sur les derniers événements, une douleur lui tiraillait le dos. Il serra les dents et à l'aide de cordages s'assit le long du râtelier histoire d'avoir une meilleur vue sur la fine équipe de bras cassés et d'yeux crevés. Sans tarder, une jambe de bois le rejoignit.

- Que vois je ? Ce sale vieux canasson se joint à nous après avoir joué le mort la journée durant. Un rôle qui te colle à la peau ma parole.
- Cap'taine.. grimaça l'intéressé.
- Sitôt mis à l'intérieur, que le doc a vu que ça pissait dans le dos. Avec cette saucée qu'on a eu, t'était trop rincé pour qu'il le voit avant. Y dit que t'es pas passé loin ce coup là.
- Huf huf.. Et le trésor ?
- De la piquette.. Nos gars sont pas les seuls à être descendus en cale, et avec l'autre poulpe s'ont bien morflé. Si l'autre empaffé s'était montré moins têtu et qu'il était reparti sa marmaille sous le bras, on aurait pu savourer nos gains. Mais là deux coffres voilà tout ce qu'on ramène !
- Moins à partager vu ce qui est tombé et on a donné de quoi réfléchir à deux fois au prochain qui nous laissera pas piller notre droit..
- Quel optimiste ! Ah ah ! Tu dis vrai, bois donc cette rassade et remets toi sur pied. Il reste à faire !
- Comme il vous plaira Cap'taine !
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