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Rigueur et méthodes


« Hé, mais pourquoi j’ai pas de surnom, moi ? »

J’jette mon roi sur la pile de cartes et j’ramasse le pli, en regardant tour à tour les autres joueurs. Funeste garde les yeux fixés sur sa main, ses cicatrices luisent un peu à la lumière des lampes. Charme tapote la table de ses doigts en me regardant en coin, rien de lisible sur sa tête de vieille baroudeuse. Des parties de cartes, elle a dû en faire, et pour elle, c’est jamais qu’une tentative de destabilisation supplémentaire.

Pour être tout à fait franc, y’a un peu de ça. S’ils sont assez déconcentrés pour laisser voir quelque chose quand leurs mirettes retombent sur leurs cartes, c’est tout bénéf’, même si, comme d’habitude, on joue pour les clopinettes. Y’a que Prudence pour me regarder en face en haussant les sourcils. J’me demande si elle a une dame dans son jeu.

« Mais si, tu en as un.
- Ah bon ?
- Si, si.
- Mais tout l’monde m’appelle Angus.
- Oui, mais tu en as un.
- Mhmh, laisse échapper Funeste à travers ses lèvres serrées.
- Et c’est quoi ? »
Prudence pose bien une dame et me lance un regard perçant. J’laisse courir mon index sur la tranche de mes cartes pour faire monter le suspense. Puis j’en jette une sur la table, à côté de la sienne, quand elle lâche :
« Argus. »
J’ai un mouvement du poignet un peu incontrôlé et le six manque de glisser jusqu’au sol. Charme a un petit sourire en ramassant le pli et en le posant devant elle, puis elle joue une nouvelle carte. J’incline légèrement la tête.
« Ca vient d’où ?
- Tes hommes, je crois, ils ont commencé à t’appeler comme ça.
- Oh. Trouvent que j’leur serre trop la bride ?
- Ca doit être ça. Ils aiment pas trop les entrainements à quatre heure du matin.
- Sans déc’. Ils seront plus reconnaissants quand ça leur sauvera les miches.
- Pas dit. T’étais content, quand on te faisait le coup, toi, au BAN ?
- Ouais, bon, nan.
- Bah voilà.
- Bon, vous jouez ou vous tapez la discute ? Demande Charme. »
Rappelés à l’ordre, elle pose une carte, et moi aussi. N’importe comment, en plus, j’aurais pas dû jouer ça. Sans surprise, j’perds le pli, le suivant, puis la partie. Funeste ramasse la mise avec un fin sourire et se lève, puis va s’occuper de ses hommes. Vrai qu’il faut que moi aussi…
« Ouais, j’vais faire comme Funeste, que j’dis avec un sourire en coin. J’ai une super nouvelle à annoncer à mes hommes. »
Les deux lieutenantes rient, déjà dans la confidence.

J’sors du mess avec le visage neutre, mais j’turbine derrière. Un surnom que j’connaissais pas. Et visiblement, tout le monde a déjà l’air au courant, sauf moi. J’me demande si ça cache quelque chose. J’sonderai Salengro, notre cuistot du CP5 infiltré aussi, à l’occasion. Vrai qu’en commandant, on est un peu isolé de la piétaille, mais ça va sûrement s’arranger très bientôt. Ils vont adorer, mes p’tits soldats.
J’traverse les couloirs bien éclairés de la base G-7 dite Mégavéga. Dans le mess, on était dans notre coin, entre membres de l’élite. Avec une grande partie de la garnison qui membre de la scientifique, on tisse pas forcément des super liens. Y’a plutôt même des frictions, en plus du fait qu’on a pas spécialement bonne réputation.

Dans la base, on est aussi dans notre coin, dans les baraquements de ceux qui sont pas censés rester à demeure dans le coin. Y’a plus de monde que prévu, avec Navarone qui s’est fait attaquer, et un peu abîmer, par l’Armada. J’suppose que ça accélère la transition vers Mégavéga, mieux défendue, plus à la pointe de la technologie…

C’est sûr que par rapport à l’autre base, vieillote, celle-la fait bien mieux aménagée, et pas qu’en termes d’armement. Les locaux sont pas plus grands mais ils en ont l’air, et même à l’intérieur, on a suffisamment de luminosité naturelle pour pas faire de dépression nerveuse ou quoi. C’est que le GM les bichonne, les grosses têtes de la scientos. Faut leur donner de l’eau, de la lumière et des nutriments, comme des plantes en pot, pour que de beaux fruits en sortent.

Un grand sourire et une clope aux lèvres, j’enfonce la porte du dortoir de la section de Scorone d’un coup de pied. Vu l’heure tardive, ils dorment évidemment tous. J’ferais pareil, à leur place, à quatre heures du matin. La lumière crue inonde la pièce, déclenchant des remuements, des grognements et des plaintes.
« La lumière !
- Le porte, merde !
- Oh, c’est qui, là ? T’arrêtes ça tout d’suite ou j’te déf…
- SORTEZ DE VOS LITS BANDE DE LARVES ! ENTRAINEMENT ! SI DANS DIX MINUTES VOUS ÊTES PAS TOUS DANS LA COUR EN UNIFORME, CE SERA CINQ CENT POMPES ! EVIDEMMENT, LE DERNIER ARRIVE EN FERA UN BON MILLIER PENDANT QUE SES COLLEGUES FERONT DES TOURS DE PISTE ! »
Et j’reclaque la porte pour descendre. A l’intérieur, j’entends déjà les soldats qui bondissent de leur plumard pour enfiler leurs uniformes, ranger leurs couettes et se précipiter au pas de course là où j’les attends.

Les bras croisés, j’les regarde s’aligner les uns après les autres devant moi, les yeux encore bouffis de sommeil mais le regard alerte. Ils ont été entrainés au BAN pour la quasi-totalité d’entre eux et ont donc l’habitude. Les troupes ont déjà été partiellement renforcées après les pertes subies à Bulgemore, mais y’a eu quelques nouveautés.
« Soldats, repos ! J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. »
J’laisse le silence peser un peu, tandis qu’ils regardent calmement devant eux en étouffant des bâillements ou en essayant de sonder ce à quoi j’pense.
« La mauvaise nouvelle, pour finir sur une note positive, c’est que le Sergent d’élite Gallena Scorone nous a quittés… Provisoirement, le temps de partir en permission. Je sais que l’absence du Sergent sera difficile à surmonter pour vous. »
Nouvelle pause. Ca doit réfléchir à des promotions. En tout cas provisoires.
« C’est pourquoi, et cela nous amène à la bonne nouvelle, j’ai décidé de prendre sur moi pour diriger cette section le temps que Scorone revient. Bien évidemment, je reste également le Lieutenant, donc je travaillerai avec le Sergent Jadieu pour des exercices joints en attendant notre prochaine mission. »
J’attends un peu.
« Je me doute bien que vous êtes tous ravis. Pour célébrer cette excellente nouvelle, on va bosser dur sur les bases pour vous rendre plus efficaces et vous permettre de survivre à nos prochaines missions. »

C’est fou, le mal que j’me donne pour eux.
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Après plusieurs jours, la fatigue commence à s’faire sentir quand j’déboule dans le dortoir à pas d’heure. Chez eux, moi j’supervise. Puis j’ai pas spécialement besoin de participer, non plus, j’suis pas un branque comme les trouffions de base. Nan, ça me laisse du temps pour éplucher des fichiers, demander des contrôles de passifs sur une des lignes sécurisées aux copains de Marie-Joie, ou juste suivre les types les moins cleans un par un histoire de. Jusqu’ici, chou blanc, mais c’est pas grave. C’est une investigation.

Au fur et à mesure, on s’entend moins mal avec les types de Mégavéga, de manière générale. Y’a toujours des groupes qui nous sont vachement hostiles, mais globalement on se vole pas trop dans les plumes. Puis j’maintiens mes gars fatigués histoire qu’ils foutent pas le boxon. J’pense à tout ça en camouflant un bâillement en toussotement pendant que j’redescends d’un pas vif le couloir qui mène à la cour des baraquements.

Ils mettent du temps à arriver, ce coup-ci, pas un seul qu’a mis son uniforme correctement, aussi. Je soupire en me massant l’arête du nez pour bien montrer à quel point j’suis déçu et ennuyé de ce qui va venir. Ils se mettent pas au garde-à-vous, ni même au repos, et me regardent pour la plupart bien en face. Quelques petits malins ont un regard par en-dessous, le genre qu’assume pas totalement, p’tet.

Mes yeux passent sur chacun d’eux, à la recherche des meneurs de l’insubordination. J’aurais dû m’y attendre. La Vingtième a pas choppé sa réputation en faisant les entrainements et en obéissant aux patrons. Quelques profils ressortent, déjà compulsés dans les dossiers que j’ai reçus concernant les Marines les plus suspects. Lentement, j’avance vers eux, j’les examine tour à tour, face à face, mirettes dans les mirettes. La plupart assume et tient mon regard. Au moins, on peut pas dire qu’ils se débinent.

Quand j’arrive au bout du rang, j’avance encore un peu, pour me placer derrière, là où sans se retourner ils peuvent pas me voir. Puis j’attends. Histoire de voir si ça les rend nerveux au moins autant que ça devrait.

Ils restent stoïques, les salauds.

Un flot marron de chique atterrit sur le sol tandis qu’une Marine jette un regard en coin derrière elle. Bon, on va continuer à jouer un peu. Ca tombe bien, j’crois que y’a pas de caporal dans la section, pour le moment, en permission, ou mutés.
« Toi, avec la chique. Nom ?
- Chique, Lieut’nant.
- Pourquoi je m’en doutais… Super. Chique, t’es caporale, en tout cas jusqu’au retour de Scorone.
- Okay Lieut’nant. »

A nouveau, un petit silence pendant que Chique recommence à regarder droit devant elle. Puis un type juste à côté de là où elle se trouve se retourne totalement pour me faire face, un grand sourire provocateur aux lèvres. Il a dû voir que c’est quand elle a regardé derrière qu’elle a été promue. Il me fixe, j’fais pareil. J’essaie de me rappeler qui c’est. Sûreté… Surimi… Non, putain ! C’est Surin !

Le surnom que j’aurais bien voulu avoir, quoi, merde.

Avec son visage taillé à la serpe, ses avant-bras épais couturés de cicatrices comme sa gueule et son sourire en coin, il attend qu’une chose. Son dossier m’revient en mémoire, le genre trublion pas trop sympa avec ses supérieurs, toujours à discuter avec les gars, mais le genre qui cimente une section. Dommage qu’il l’agrège du côté qui profite pas trop à la hiérarchie. Pas mal suspecté dans quelques disparitions de ses chefs au sein de la Vingtième, mais toujours avec un alibi.

J’me mets à sourire. On va jouer tous les deux.

« Surin, caporal, toi aussi.
- Sûr, Lieut’nant.
- Maintenant, on va commencer mollo. Tours de piste pour tout le monde, les caporaux tiennent les rangs. Demain, exercice conjoint avec Jadieu. »

Quelques heures plus tard, j’les laisse prendre un casse-croûte et se reposer, et j’appelle mes deux caporaux provisoires.
« Ouais. Chique et Surin, c’est ça ?
- Oui, Lieut’nant.
- Chique, hein ? Z’ont déjà été plus inspirés, que j’commente.
- En fait, à la base, c’était mon sergent qui chiquait, et j’détestais ça, toujours à cracher partout. Donc on m’a appelé Chique.
- Ouais, et ?
- Par esprit de contradiction, je m’y suis mise et depuis… »
Elle fait un grand sourire aux chicots brunâtres. Ca fait rêver.
« Et toi, Surin ? Tu étais sniper d’élite et depuis t’es devenu boucher ? »
Sans un mot, il soulève le haut de son uniforme pour dévoiler son ventre, sur lequel y’a un peu de gras, mais surtout dix cercles d’une couleur plus pâle que la teinte hâlée de sa peau.
« Dix gars me sont tombés dessus dans un bar, ils ont tous laissé leur couteau dans mon bide.
- Ca s’voit. »
Il fait un grand sourire un peu coquin.
« Mais ça m’a pas empêché de tous les étaler un par un. Et depuis…
- Ouais, j’vois le genre. Le mauvais côté du Surin. Ha. Bon, repos pour les soldats, on reprendra l’entrainement demain.
- Juste une question. On a accès au mess des officiers ?
- Nan mais la promotion est officieuse, pour le moment en tout cas, donc vous continuez à manger avec vos collègues. »

J’fais un geste de la main pour signaler que j’me barre puis j’vais au mess des officiers. J’ai un p’tit sourire en coin en repensant à leurs mines déçues. J’retrouve Funeste, Prudence et Charme attablés avec Boulon, un gars d’la scientos avec un beau bras métallique sensiblement plus épais que l’autre. Quelque chose à compenser ? Son nom, il le doit aux gros boulons qui parsèment son bras cyborg, pas recouvert d’une manche savamment déchirée au niveau de l’épaule.

Un paquet de cartes est posé à côté d’eux et ils lèvent les yeux quand j’m’asseois.
« Une partie ? Propose Charme.
- Ouais, qu’on fait tous. »
Elle mélange les cartes déjà usées, qui ploient facilement entre ses pognes de vieille virago. Elle tend le tas à Prudence qui coupe. Puis on nous distribue nos mains. J’y jette un coup d’œil curieux. Donne pourrie, forcément. On jette nos cuivres sur la table pour la première mise, et le jeu débute. Ma seule carte à peu près potable se fait prendre et j’termine bon dernier de la première pendant que Boulon ramasse, un petit sourire au coin des lèvres.

Les cartes filent et défilent, on choppe aussi à bouffer parce qu’il commence à faire faim. C’est meilleur que la cantoche de base des trouffions mais c’est loin de valoir celle du CP5, évidemment. Mes mains s’améliorent légèrement, mais pas de quoi sauter au plafond. Comme d’habitude, la discussion est décousue, on passe le temps.
« Alors, le séjour à Mégavéga ? Demande Boulon.
- Ca s’passe.
- Vous attendez toujours l’affectation suivante ?
- Oui. Des rumeurs commencent à courir, mais rien de concret, répond Prudence.
- Quoi comme rumeur ?
- J’avoue, j’suis pas au courant, que j’ajoute en lâchant ma dame de cœur et en prenant le pli. »

Elle mâchouille une aile de poulet en regardant le médiocre huit que j’viens de poser, puis ses yeux se posent tour à tour sur chacun des joueurs, et la pile de cartes déjà gagnées par Charme. Elle défausse.
« Ca serait encore un truc en rapport avec la Brigade Scientifique.
- Ah ? Fait Boulon.
- Oui. On irait sur la Cinquième Voie.
- Une île de la Cinquième Voie en rapport avec les scientos ? »
Funeste ramasse le pli et jette d’autres pièces à côté de lui en haussant un sourcil.
« L’Île aux Eveillés, dit-il.
- Nebelreich, rétorque Prudence en se tapotant les lèvres de l’index.
- Doscar serait bien, rêvasse Boulon.
- Avec leurs canons et tout ?
- Oui, si on pouvait y aller, genre délégation, pour examiner tout ça…
- Aucune chance, ils nous détestent et veulent à peine qu’on pose les pattes chez eux.
- Justement, et là on vous envoie avec une délégation de la Brigade et…
- Ils enverraient pas la Vingtième, que j’fais en haussant les épaules. »

Triste constat, mais j’ai tapé juste et tout le monde le sait. Reste que l’ambiance est devenue pourrie.
« Ils enverraient sûrement des types genre la 102ème, avec leurs beaux uniformes et leurs démarches de top-model qu’ont jamais vu un combat de leur vie.
- Oui, division d’apparat. Tous les fils à papa qui font les jolis cœurs avec leurs uniformes rouges à exécuter des prisonniers capturés par d’autres ou à déchaîner leurs frustrations sur les vrais Marines. »
On crache encore un peu sur les types de Marie-Joie qui vivent pépère en touchant la solde pendant que nous on bosse pour de vrai.
« Et sinon, Charme, Angus ? Vous diriez où pour la prochaine destination ?
- Shishoku, tiens, histoire de varier, lâche la vieille baroudeuse. »
Reste plus que moi. Silence, y’a rien qui vaille la peine, c’est mort. J’le sais, j’y étais. On déplace pas un demi-millier d’hommes pour cent pedzouilles qui sont pas capables d’en décrocher une. Python Rocheux, c’est le même calibre, j’crois. Doscar, j’y crois pas. Alvel, ça serait plus martial, surtout vu le passif de la Division. Lynbrook, ça semble mort aussi. Les Eveillés ou Nebelreich ?
« Y’a une base de la Scientifique à Nebelreich, non ? On va dire ça. Comme Bulgemore.
- Prudence a déjà dit Nebelreich, commente Boulon.
- Je vois pas le rapport, que j’rétorque avec un grand sourire. »
Ca hausse les épaules.

On sait tous qu’on ira là où on nous a dit d’aller, après tout.
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Le lendemain, réveil aux aurores à nouveau, et ils arrivent sans grand entrain. Comme l’autre fois. J’sifflote tranquillement dans la cour, les mains dans les poches. La section de Jadieu arrive en même temps, mieux sapée. Ca doit pas trop le faire que le lieutenant se fasse moins obéir que le sergent. J’m’y attendais un peu. Une fois qu’ils sont tous plus ou moins assemblés, je beugle.
« CAPORAUX ! »
Les deux avancent, la dégaine impeccable, contrairement à leurs petits camarades.
« Comment expliquez-vous le retard et l’accoutrement de la troupe ?
- On sait pas, Lieutenant. Ils ont l’air de pas avoir envie.
- Et vous vous êtes pas dit que c’était à vous de, justement, faire en sorte qu’ils aient envie ?
- On sait pas Lieut’nant, on débute, comme caporaux, tout ça, répond Surin.
- Ouais. Ben du coup, vous allez débuter avec cinquante tours de piste. »
Ils échangent un regard pas trop content. Surin ouvre la bouche pour parler. J’le fais taire d’un regard. Il secoue la tête et ils se mettent à courir pendant que tous les marines regardent, certains avec un sourire goguenard.

« Sergent Jadieu ?
- Oui, Lieutenant ?
- Allez vous entrainer, on verra plus tard pour l’exercice conjoint.
- A vos ordres, Lieutenant. »

J’grille une clope en regardant mes relais d’autorité tourner sur le terrain d’entrainement. Puis quelques autres. Les Marines d’élite remettent de l’ordre dans leur tenue sous mon regard scrutateur, puis tout le monde est fin prêt pour les exercices, un petit parcours du combattant suivi de travail de formations. Carrés, diamant, étau, tout y passe.

Au bout de quelques heures, la poussière soulevée par les pas dans la zone de terre battue qui nous sert de coin d’entrainement recouvre tous les uniformes d’une fine pellicule, mais ce qui domine, c’est l’odeur de la bonne suée. Personnellement, ma voix commence à être un peu enrouée à force de gueuler des ordres, de surveiller le rang et les exercices.

Quelques jours plus tard, j’suis obligé de constater que j’dois encore être trop gentil. Avec Surin et Chique, on a joué au petit jeu des sanctions tous les jours, sans forcément grand succès de mon côté. En tout cas, lui le prend avec bonne grâce, et toujours un petit sourire en coin. Mais Chique commence à être assez gonflée de trinquer pour les autres. Quelque chose dans les regards qu’elle lance à Surin quand il peut pas le voir, et ceux qu’elle porte sur les autres soldats.

Faut dire, au début, j’me contentais d’augmenter les doses. Quatre-vingt tours de piste, cent, cent-cinquante… Mais ça faisait perdre un temps fou. J’suis revenu à des trucs plus rigolos. Des sacs de trente, quarante, cinquantes kilos à trimballer. Les jambes attachées. Vingt tours sur les mains. A cloche-pied. Ouais, bon, j’suis arrivé en manque d’inspiration. Et pendant qu’ils sautillent devant nous, les Marines au garde-à-vous gardent les expressions impénétrables des types en train de finir leur nuit.

Encore quelques jours de ce régime et Chique va décider qu’elle a marre. Ca devrait péter de leur côté, et ils arriveront enfin à l’heure aux entrainements que j’leur impose tous les jours.

Les cartes tombent sur le bois abîmé de la table. Il fait plutôt beau, donc on est dehors, ce coup-ci. Et on joue pour plus gros que d’habitude. Y’a Boulon qu’a ramené un type de la Brigade, mais plutôt intendant de la base. Tafta, qu’il s’appelle. Aucun de nous n’a précisément écouté son statut. Ce qui compte, c’est qu’on a prévu de le plumer sévère, donc les mises suivent en conséquence.

Le tas grossit encore quand Charme y jette d’autres pièces, puis pose un neuf. Les doigts des lieutenants de la Vingtième bougent à peine sur leurs cartes. C’est Prudence qui va prendre, ce coup-ci, avec un roi. Tafta donne sa dame, comme on s’en doutait. Et il se fait prendre par la jeune lieutenante, pendant qu’on s’écrase tous.

On avait préparé le truc. Les signaux. La stratégie globale de la partie. Charme et moi, on perd, Funeste reste à l’équilibre et Prudence ramasse. Puis on repartagera les gains entre nous, ensuite. Ca va des expressions faciales à la gestuelle en passant par les appuis du pied sous la table. De temps en temps, on le laisse gagner un coup ou deux, pour pas qu’il se méfie trop.

Boulon lui devait un chien de sa chienne, pour du matos pourri qu’il s’était fait refiler avec des semaines de retard, y’a des mois de ça. Rancunier, le type. Il s’est esquivé dès le début de la rencontre, pour faire ses trucs de Brigade Scientifique. On n’a pas écouté non plus l’explication, c’était prévu, et ça a eu l’air de convaincre Tafta. Quel nom ridicule, putain.

On part sur un autre tour bidon ouvert par Prudence. Les mises s’accumulent à nouveau, j’renchéris malgré le fait que la pile soit vachement faible chez moi. J’commence à raser les pâquerettes. Ca fait quelques tours que la conversation est au point mort. C’est mauvais signe. Si Tafta commence à trop se concentrer sur le jeu, il risque de remarquer quelque chose ou alors en avoir marre de perdre et se barrer de la table.

J’réarrange mes cartes. Funeste hoche la tête, remue le coude. Charme fait jouer sa mâchoire dans l’vide, ça fait longtemps qu’on a fini les amuse-gueules. J’racle mes fonds de cervelle à la recherche d’un sujet rigolo qui pourrait assez distraire Tafta. Merde, si on avait mieux écouter, on saurait qui sont ses chefs, donc on pourrait taper dessus, ou le lancer dans cette direction. Quoique, j’peux enrober ça et…
« Ca se passe comment, avec ta section ? Demande Charme. »
Je hausse un sourcil, Funeste jette un regard en coin et Prudence réarrange minutieusement ses cartes, l’air de celle qui veut pas être là. Ouais, c’est pas trop des bonnes manières, ça, de fourrer les paluches dans les sections des petits camarades. Y’a que le Scientos qu’a l’air vraiment intéressé.
« Comment ça ? Il y a un souci ?
- Non, non, que j’rétorque avec un sourire confiant. »

Le silence qui suit en dit long. J’loupe le signal de Funeste, j’prends le pli, ce qui m’vaut un coup de pied sous la table de Prudence. J’mate mon jeu. Ca va devenir compliqué, là. J’aurais dû prendre plus tard, ou plutôt me donner à Tafta histoire qu’il finisse pas totalement dernier. Ca serait cool si on pouvait le réinviter une autre fois. Et le raser à nouveau, évidemment.

Toujours le calme, mais maintenant le Brigadier fronce les sourcils en regardant ses cartes, la table, les plis qui sont passés. Charme se gratte la joue, elle va jouer une dame. Attends, quoi ? Les quatre sont déjà tombées. J’signale un ‘’non’’ frénétique en remuant mon annulaire. Elle le voit, montre une annulation. Bon. Puis un ‘’oui’’. Mais pourquoi ?
« Tu devrais leur laisser du mou.
- Hum, que j’marmonne en posant mon valet.
- Ils sont grands, ils se débrouilleront, tout ça… »
Elle est pas plus à l’aise que ça. Plutôt même franchement l’inverse. Mais d’où elle m’en cause, aussi…
« Ah ! Fait Tafta en s’illuminant. C’est la section qui fait toujours des exercices en pleine nuit, c’est ça ?
- Ouais, j’les entraine et les endurcis.
- Ils s’en sont toujours bien sortis jusqu’à présent.
- Ils s’en sortiront encore mieux ensuite.
- C’est pas dit, intervient Funeste. »

Putain, lui aussi s’y met.

J’fais la grimace.
« Explique.
- Flexibilité et improvisation.
- Mouais.
- Si tu les entraines trop sur des automatismes, ils risquent de plus être adaptables.
- Ils seront adaptables quand il faudra et automatiques quand il faudra aussi.
- Dans l’idée, oui.
- Ah ! Vous parlez entrainement et formatage des troupes, c’est ça ?
- Ouais, Tafta, quelque chose comme ça. »
On fait plus trop attention aux signaux. Prudence remue juste sur sa chaise, probablement en filant des coups de pieds dans tous les sens, vu qu’on fait tous n’importe quoi.
« Ils ont pas l’air de capter que j’fais ça pour eux. Ca m’amuse pas de les réveiller en pleine nuit, et donc d’être moi aussi debout. »
Le bruit des cartes et des pièces qu’on jette. Commence à faire tard, et on arrive au bout de l’argent, de toute façon. Funeste me regarde par en-dessous.
« Oui, bon, ça m’amuse peut-être un peu. Mais ils pourraient coopérer et être reconnaissants. »
Tafta se râcle la gorge.
« Mais, euh… C’est la Vingtième, non ? Du coup… »
Il marque un point.
« C’est bon, la situation devrait bientôt se débloquer, que j’leur assure. Tout ira mieux d’ici peu. »
Ils grognent leur assentiment, pas convaincus pour un sou.

Et parlant pognon, Tafta ramasse la dernière mise de la journée. Il finit finalement avec un tas pas si inconfortable, quoique bien délesté par rapport à quand il est arrivé. Moi, j’suis ratiboisé comme prévu, tandis que Prudence a fait sauter la banque. On remet les cartes ensemble et j’me lève en reculant ma chaise.
« Bon, j’ai bien perdu. Sale journée, aujourd’hui, putain. On remet ça à l’occaz’ ? »

Puis j’taille la route. Pioncer un peu avant d’aller réveiller les autres zouaves.
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J’me retourne dans mon plumard. J’entrouvre les yeux, fait encore sombre. Vais dormir encore une heure puis j’irai. J’ai l’impression d’avoir à peine fermé les mirettes quelques secondes que j’perçois un truc pas net dans la pièce. Un craquement du plancher ? Une odeur épicée sans raison. Le temps que j’capte, j’sens une douleur aigue et froide dans mon flanc gauche.

Sur le coup, j’me tourne en agrémentant tout ça d’un Tekkai réflexe, et j’flanque un pain qui touche que le vide. Ma porte claque doucement en se refermant et ma technique du Rokushiki se relâche. J’halète, surpris par l’assaut et la douleur. J’vois flou, aussi. J’reprends ma respiration, je la calme et je l’approfondis p’tit à p’tit, jusqu’à en reprendre le contrôle. Puis je continue la méditation en me focalisant sur la douleur, pour la faire refluer au fur et à mesure jusqu’à un niveau supportable.

J’tends la main, l’autre posée sur la blessure à mon côté, et j’allume l’ampoule. Ca m’nique les yeux, que j’garde fermés. L’effort, le réveil en sursaut, j’suis couvert d’une suée froide. Rien que le geste a déclenché un pic de douleur que j’réprime à force de volonté, en tout cas le temps de chercher à tâtons des trucs que j’pourrais utiliser pour bander la blessure.

J’me fige, j’cherche mentalement dans mon matos. Rien, que dalle, nada. J’saisis un couteau, et j’perce puis j’déchire les draps. En ouvrant très légèrement les paupières qui ont plus tant besoin de protéger mes pupilles, j’vois le sang qui tache mon plumard. Chiasserie. Verra plus tard. J’sens le rouge qui pulse légèrement contre ma main gauche et qui coule, aussi.

En y mettant tout mon poids, j’arrive à déchirer de grandes bandes que j’enroule le plus serré possible autour de la blessure, une longue éraflure au couteau sous mes côtes, qui s’enfonce assez profondément en un point. Ma respiration est difficile, à cause du bandage de fortune et de la douleur à chaque fois que j’inspire trop profondément.

Mes mirettes parcourent la chambre. A la recherche d’indices. Mais niveau mobilier, j’ai pas vraiment personnalisé le coin, vu qu’on va pas y rester à terme. L’agresseur a juste tapé dans une chaise en se déplaçant dans le noir. Donc elle est un poil décalée. Faudra que je regarde si y’a autre chose, mais les taches noires devant mes yeux me déconcentrent. Je me rallonge tout doucement.

Et j’réfléchis à la suite.

Probablement un type de ma section qui en a marre de se lever à pas d’heure pour faire des entrainements à la con. Peut-être Surin. Vérifier son alibi. Ou quelqu’un de son groupe, ou n’importe qui de la section d’ailleurs. Vrai qu’ils sont connus pour ça, à demi-mot. Aller à l’infirmerie. Oui ou non ? J’pèse les conséquences.

D’un côté, j’serais mieux soigné. Mais le toubib risque de cramer le coup de couteau. Risque de remonter ça. J’peux pas compter là-dessus, j’ai entendu dire qu’à Mégavéga, justement, ils surveillaient pas mal ce genre d’écarts, surtout si ça vient de la Vingtième. Déjà qu’on n’a pas bonne réputation… Mais si ça remonte, ça risque pas de les mettre de bonne humeur, et contribuera encore qu’à les faire détester les gradés. Et à leur donner envie de me repayer une autre visite.

De l’autre côté, j’peux enquêter tout seul, retrouver le type ou la nana, puis me faire justice. Ca s’trouve, c’est p’tet même le révolutionnaire infiltré que j’traque depuis le début qui est à l’origine de tout ça. Donc si j’arrive à le sortir, ça pourrait régler les problèmes de la Vingtième. Et, pour ça, j’peux tabler sur le fait qu’il est possiblement le seul à savoir qu’il m’a attaqué, ou en tout cas à quel endroit précisément…

Puis, surtout, il est p’tet pas encore arrivé au dortoir, donc ça doit être le bon moment pour aller lancer un nouvel entrainement.

Enfin, à part que j’ai mal, quoi.

Avec un grognement, je me redresse en position assise, puis j’prends appui sur les montants du lit pour me hisser debout. Ma vision s’trouble dans une saloperie de vertige qui passe après quelques secondes. Essoufflé, à nouveau, putain. J’ouvre un placard, j’en sors une bouteille. De la gnôle de contrebande que j’ai touchée par Funeste. Une rasade me brûle les lèvres puis réchauffe toute ma poitrine à mesure que j’la sens couler, et la douleur se fait un peu moins prégnante.

Ca devrait le faire.

Il me faut un temps fou pour enfiler mes sapes, puis sortir de ma chambrette et me diriger vers le dortoir. Dans les lumières toujours allumées de Mégavéga, j’ai un teint pâle et une sueur mauvaise. J’ai pris soin d’arroser un peu mon visage et mon uniforme d’alcool, histoire d’avoir un mensonge bidon si jamais on me cherche des noises. En tout cas, vu les longues minutes qu’il me faut, celui qui m’est tombé dessus a dû avoir le temps de faire le tour de l’île trois fois. Et une sieste.

J’ouvre tout doucement la porte de la piaule commune de ma section. La lumière artificielle traverse faiblement les rideaux pas tout à fait opaques, et j’remonte les rangées de lits en regardant s’il manque des gens. Et effectivement, ça loupe pas, trois plumards sont vides. Mais ça peut très bien être pour d’autres raisons, pas vrai ? Genre la bagatelle.

Quelques personnes s’agitent, ouvrent un œil, me voient et se redressent immédiatement. J’me fous à côté de la porte, que j’ferme, puis j’allume la lumière et j’gueule au réveil de ma plus belle voix de champ de bataille. Ils s’lèvent tous, plus ou moins facilement, et il faut que quelques secondes pour que chacun soit à côté de son lit. J’redéfile dans les rangs, j’note les visages, je coche la liste.

« Terry, Canette et… Surin, hein ? »
Les Marines continuent à émerger tranquillement.
« Chique ?
- Oui, Lieutenant ?
- Où sont-ils ? »
Elle hausse les épaules.
« Terry et Canette, on a bien une petite idée… »
La bagatelle. Putain.
« Et Surin ?
- Il a dit qu’il avait une partie de cartes de prévue.
- Il va être en retard à l’entrainement.
- Possib’, Lieutenant. »

J’sors le premier, et les deux possiblement amoureux ou partenaires de crime nous rejoignent dans le couloir, les vêtements et les tifs en désordre. Belle mise en scène, si jamais. Ils filent dans le rang sous les sourires de leurs petits camarades. Manque plus que Surin, qui vient d’faire un bon de géant dans ma liste de suspects.

J’marche d’un pas raide jusqu’au terrain d’entrainement, déjà occupé par une silhouette solitaire. Elle se retourne en nous entendant, avec un large sourire. Mon p’tit pote Surin, tiré à quatre épingles et au garde-à-vous. Les autres Marines se placent derrière lui et Chique, et attendent le signal et les ordres pour les premières séquences.

J’cligne des yeux à la recherche d’un truc, et j’lutte contre un vertige. Le fait que j’tende le bras pour m’rééquilibrer leur échappe pas, et j’ai le droit à des regards désapprobateurs ou amusés. Le Lieutenant sombre dans l’alcool pour oublier, hein ? Enfin, mieux que vaut ça que le Lieutenant qui s’fait planter et…

J’reprends le fil de mes idées quand Surin m’demande si ça va, un air inquiet sur le visage. J’leur baffouille cent pompes puis j’vais m’raffraîchir au robinet d’eau froide mis à disposition. Genoux qui tremblent, mauvais signe. Un fondu enchaîné et mes deux caporaux provisoires sont à côté de moi, l’air soucieux. Faut dire, appuyé sur la sortie d’eau, j’ai pas l’air gaillard.
« La gnôle passe pas, Lieut’nant ?
- On fait quoi pour l’entrainement ? Demande Chique.
- Sympa, ta partie de cartes, Surin ? »
Règle de base du Cipher Pol, toujours répondre à une question par une autre question.
« Euh… Oui, Lieut’nant. J’ai gagné.
- Bien. C’était avec qui ?
- C’est vraiment important maintenant ?
- Ouais.
- Trois types de la Scientos, Femto, Blanquette et Gadjo.
- Noté. J’irai jouer avec eux… aussi…
- Vous êtes sûr que vous allez bien, Lieut’nant ?
- Juste un peu la gueule de bois, j’crois.
- Et pour l’entrainement ?
- Ouais, l’entrainement, faut que j’vous file un truc… Faites comme hier. Moi, j’ai des trucs de… Lieutenant à faire. »

Avec un soupir et une main qui s’tend involontairement vers mon côté blessé, j’me redresse et j’pars doucement vers ma piaule.

« Tu vois. Quelques jours de résistance et tous les gradés pètent.
- T’es sûr que c’est ça, Surin ?
- Ouais, j’peux pas m’planter, aussi vrai que j’m’appelle Surin. »

Très drôle.
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Les jours suivants sont passés dans un semi-brouillard. J’ai gardé les noms des types qui servaient d’alibi à Surin, mais j’ai pas eu l’occasion d’aller vérifier de première main. J’attends d’être un peu plus gaillard, aussi, faut dire. Mon côté est moins douleureux, mais j’suis loin de ma souplesse naturelle. J’ai même esquivé une poignée de parties de cartes, tellement j’étais claqué.

J’ai pas fait que chômer, quand même. Terry et Canette ont apparemment bien l’habitude des escapades à deux. Ca prouve rien, dans un sens ou dans l’autre, cela dit. Ils pouvaient très bien être ensembles, ou l’un servir d’alibi à l’autre. En tout cas, les rumeurs comme quoi j’m’adonne au lever de coude commencent à prendre de l’ampleur.

Pas que j’en aie grand-chose à foutre, cela dit.

Nan, j’ai identifié les trois de la Scientos, Femto, Blanquette et Gadjo. En fait, les deux premiers sont des femmes. Si c’est à nouveau la bagatelle, j’sens que j’vais devenir hargneux. Là, y’a Gadjo tout seul, donc j’vais commencer par çui-la. T’façon, il est simple Marine. La seule question, c’est est-ce que j’fais jouer le rang ou pas.

Pour le départ, j’suis parti sur un non. Le bonhomme est lambda, un brun de taille moyenne, de corpulence moyenne. J’le domine de cinq bons centimètres, mais ça en arrivera probablement pas là. Un regard autour de moi, y’a que la nuit éclairée de Mégavéga, avec tous les couches-tard déjà pieutés avant que les lèves-tôt n’arrivent.

Gadjo grille une clope en marchant le long des docks. Une dernière p’tite promenade avant qu’il rejoigne lui aussi ses pénates. J’ai fait jouer des relations et de la hiérarchie pour chopper son emploi de temps, donc j’sais que demain il embauche tard. J’fais courir mes doigts sur ma blessure, en bonne voie de cicatrisation. La pointe de douleur aiguise mon attention.

En deux pas j’suis derrière lui et j’l’attrape par le col. Il tente un coup de coude, que j’attrape puis que j’tord. Son coup de talon réussit qu’à le déséquilibrer sur mon Tekkai Kenpo et une balayette achève de le mettre au sol. J’reprends mon souffle en lui faisant une clef de bras. Il jure, un long souffle digne d’un marin.
« Salut Gadjo, que j’lui murmure à l’oreille.
- C’est quoi ton blème, enc...
- Chut, chut, c’est moi qui vais poser les questions. Et si tout va bien, dans cinq minutes, ce sera fini et nous n’entendrons plus jamais parler de l’autre.
- C’est Tori qui t’envoie, c’est ça ?! »

J’remonte son bras d’un cran pour lui arracher un grognement de douleur.
« Rends les choses plus pénibles qu’elles le sont déjà, j’gronde. T’étais où, vers cette heure, y’a quatre jours ?
- Y’a quatre jours ? Je, euh...
- Accouche !
- Cartes ! Je jouais aux cartes !
- Ah ? Avec qui ?
- Y’avait... Tori... Non, pas là... Femto, et sa copine, l’autre, là...
- Son nom ?
- J’me souviens plus, c’était la première fois que j’la voyais ! Blanchette, quelque chose comme ça !
- Qui d’autre ?
- Un autre type, pas d’ici !
- Ouais ? Raconte ?
- Il est de la Vingtième, t’sais, la division pourrie, là...
- Ouais ?
- Il nous racontait des conneries, qu’il avait vécu pire, que c’était autre chose que se planquer à Mégavéga toute l’année, tout ça...
- Ouais ?
- Et, euh...
- Et il s’appelait ?
- Il avait un surnom à la con, en plus, genre Surin ! »

Hin-hin. D’une main, j’lui choppe les cheveux et j’lui fracasse la tête contre le sol.
« Tu disais qu’il s’appelait comment ?
- Surin ! J’suis sûr que c’était Surin !
- On t’aurait pas dit de venir raconter ça si on te posait la question, par hasard ? J’trouve que tu fais un très mauvais menteur. »
J’marque le coup en réitérant mon attaque.
« Nan mais il s’appelait vraiment...
- On va faire les choses différemment. Il ressemblait à quoi ?»
Et voilà qu’il me bafouille le signalement complet de Surin, à quelques détails près.
« Des éléments qui sortaient de l’ordinaire sur ce Surin ?
- Il avait l’air de bicher sévère sur la Blanchette !
- Mouais, et ?
- Alors il a voulu expliquer l’origine de son surnom. Comme quoi il s’était fait poignarder pleins de fois, je sais pas quoi. Je me suis foutu de sa gueule pour ça. Puis il a soulevé son uniforme avec l’air du type qu’attendait que ça pour montrer ses abdominaux et ses blessures.
- Et elles y étaient ?
- Ouais, plutôt qu’elles y étaient.
- Et la Blanchette, elle en a pensé quoi ?
- Elle en pensait pas du mal, en tout cas...
- Quoi, toi aussi tu bichais sur la Blanchette ?
- Ta gueule, connard ! »

J’réfléchis quelques instants. Ca le sort quand même pas mal d’affaire, Surin. Il peut avoir tout maquiller, c’est sûr. Faudrait que j’remonte la piste chez Femto et Blanquette, puis j’regarderai du côté de Terry et Canette. Y’a aussi tous les autres Marines qui étaient dans le dortoir, mais ceux-là, ça va être compliqué de les identifier. Faut que j’réfléchisse à un plan. Un moyen de faire sortir le lièvre des fourrés. Déjà, j’vais m’sortir de là où j’suis.

J’tape une dernière fois le crâne de Gadjo contre le sol, et d’un Soru j’me propulse dans une allée adjacente. D’autres usages du Rokushiki me mettent hors de portée alors que j’l’entends gueuler qu’il me fera la peau s’il me choppe. C’est ça, cours toujours, mon pote. Ma prochaine destination, c’est la même que d’habitude. Mais d’abord, j’vais faire un détour par ma piaule pour y changer mon pansement.

Une fois là, j’déroule les bandes de tissu qui enroulent mon torse et protègent le coup de couteau que j’ai pris. Une croûte à l’aspect pas très propre est en train de se former, et j’crois que dessous, c’est un genre de pus. Bref, la guérison semble en bonne voie.
Puis en y réfléchissant, j’ai pas forcément besoin de le réveiller à nouveau au milieu de la nuit. J’l’ai tellement fait que ça doit les rendre nerveux, donc ça s’trouve ils sont réveillés à m’attendre, alors que l’entraînement sera plus tard... Ouais, j’vais m’pointer en début de matinée, tranquillement. Sans rebander mon côté, j’me couche, puis j’m’endors, aussi vite que d’habitude.
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Au réveil, j’ai un joli message qui m’attend. Ca dit qu’on part le surlendemain à destination de notre prochaine mission, et qu’on sera briefé sur le navire amiral. Puis on a la décomposition de la flottille sur laquelle on sera. J’saute tout ça. On ira à Nebelreich, très bien. Mais ça veut surtout dire qu’il vaut mieux que j’me grouille de trouver mon révolutionnaire-traitre-mutin, sinon ça va devenir la galère de contrôle les alibis.

Et vu que le boulot des lieutenants, c’est aussi de s’assurer que tout soit prêt, j’pense que j’aurai pas tant de temps que ça. J’cogite en refaisant mon pansement. Un moyen de le faire sortir du bois... A priori, les gens savent pas forcément que j’suis blessé au côté, j’crois. J’dois pouvoir jouer là-dessus en voyant qui m’attaquerait plus par là ?

Après m’être débarbouillé et avoir avalé quelque chose au mess des officiers, où j’croise Funeste en vitesse, j’file au dortoir de ma mauvaise troupe, dont une partie est déjà levée ou glande sous la couette. Et y’en a certains qu’ont l’air d’avoir arrêté de dormir y’a un moment. Un soldat doit être capable de prendre tout le sommeil qu’il peut là où il le peut, hé.

Sur un signe de ma part, ils suivent tous jusqu’au coin d’entrainement.
« Aujourd’hui, on va faire un peu différemment. Savoir agir comme une unité, c’est bien et c’est important, mais ça fait pas tout. Si, idéalement, faut profiter de la supériorité numérique quand vous êtes face à un adversaire, c’est pas toujours possible. Donc, pour changer, on va faire duel à mains nues. Mettez-vous par groupes de deux. »
Les paires se forment, et j’fais signe à Surin de ramener sa fraise.
« Echauffement libre, allez-y mollo quand même.»

J’me mets en garde de profil, de façon à cacher mon côté gauche tout en le gardant protégé par mon bras. La main droite ouverte devant moi, les genoux fléchis, j’fais signe à Surin de commencer. Il reste de face, lui, les deux pognes pointant vers moi. Puis il tourne. J’pivote avec lui, sans concéder un centimètre. Un p’tit rictus naît sur mon visage. Lui est concentré, les mirettes fixées sur les miennes.

Un pas en avant l’amène à portée et son bras se détend pour attraper mon poignet. D’un mouvement du coude, j’éjecte sa tentative du tranchant de la main. Son second poing file vers mon visage, et j’esquive en me penchant en arrière. Un coup de pied direct le fait reculer d’un mètre. Et quand j’l’ai frappé, j’ai eu l’impression de frapper un mur. Duraille, le Surin.

Le caporal provisoire revient aussitôt à la charge avec un coup de pied latéral que j’bloque du tibia avant de me rapprocher d’un pas chassé. J’incline brusquement la tête de côté pour éviter un coude agressif et j’le saisis au col et à la taille. En replaçant mes jambes et en basculant, j’le projette au sol, dans un nuage de poussière.

Il s’relève d’un bond mais revient pas à la charge. Il tourne à nouveau en reprenant son souffle, et prend la même garde que moi. Un regard à la ronde m’avertit que les autres entrainements se font tranquillement aussi. Délibérément, j’change ma posture pour ouvrir un peu mon côté droit. Le genre qui appelle forcément quelque chose.

Pour le bien de l’exercice, il mord à l’appât et envoie sa jambe. Mais juste avant l’impact, il rétracte son pied et tourne sur lui-même comme une toupie pour envoyer son talon dans mon visage. J’bloque avec les deux bras croisés au-dessus de ma tête. Il retombe au sol, plutôt fier de lui, et se fige en posture de défense. Mon tour, heh ?

J’envoie deux directs du poing droit, un coup de pied bas de la jambe avant. Il encaisse tout stoïquement dans sa garde, en sachant pertinemment que ce sont des sondes. J’ouvre une fois de plus mon côté droit en invitant cette fois une contre-attaque, dans la manière un peu lente que j’ai de me replacer. Son index et son majeur filent vers mon foie pour me descendre tout de suite.

Un pas chassé suffit à m’écarter et me placer en bonne position pour que ma jambe gauche décole vers ses cotes. Son bras encaisse puis il pivote autour du point d’impact pour me décocher un coup de coude en plein dans la mâchoire. A croire qu’il veut me refaire le portrait. Dingue. J’me penche en arrière puis envoie un genou dans sa rate.

Il prend le coup en soufflant et recule en se tenant à gauche. L’ironie, c’est que j’suis pas loin de faire pareil. J’ai pas pris de coup mais les inclinaisons du buste ont suffi à tirer sur le début de tissu cicatriciel. J’avance à nouveau sur lui, en relâchant un peu la protection de ma blessure. On va voir s’il réagit en la visant plus vite que ce qui serait normal. Je lui ménage aussi une ouverture un peu plus grande à droite.

Mais pas moyen. A chaque passe d’arme, j’ai beau lui offrir toujours un peu plus à gauche, jamais il y va. En désespoir de cause, j’ferme totalement à droite pour le voir enfin tenter sa chance. Ma main intercepte aussitôt son assaut et le projette au sol. Mouais. Y’a rien, là. Il a p’tet pas spécialement évité, mais p’tet aussi qu’il a vu clair dans mon stratagème et...

Restent Terry et Canette, à la rigueur. Faudra que je regarde ce que je peux en tirer demain, ou sur le navire. Un couple de révolutionnaires infiltré, ça semble pas si improbable.

J’arrête là pour le premier combat d’entrainement. Cette fois, c’est avec Chique que j’m’entraine, et que j’répète le processus, sans davantage de succès. Elle tente davantage de subtilités, comme feinter dans mes ouvertures pour en créer d’autres, mais rien là de très surprenant. Compenser l’écart de capacité par des pièges, et tout ça, c’est assez logique, et y’a que des types comme Surin qui le comprennent pas, ou veulent pas s’y adonner. Ou veulent se faire le patron à la réglo, p’tet.

Rien qu’après ça, j’me sens fatigué. Donc j’me contente de passer dans les rangs en donnant des conseils sur comment gérer un coup, un contre, tout ça. J’crois que les soldats préfèrent effectivement, plutôt que courir, faire des exercices purs, ou des parcours du combattant et des changement de formations pour le champ de bataille.

Ils me seront sûrement reconnaissants quand ça leur sauvera la vie.

Quelques heures plus tard, j’participe à une partie de cartes avec les collègues, la première depuis que j’me suis fait attaquer dans ma piaule. Y’a tout le cadre de la Vingtième, les quatre lieutenants, et on n’a plus de cinquième. Minus est parti vers d’autres horizons, avec un grand sourire. L’a dit qu’il connaissait quelqu’un qui l’avait fait muter. Pour retrouver sa femme et ses gosses. Si elle est du même calibre, je suis pas sûr de vouloir la voir, même si Prudence et Charme étaient curieuses.

Y’a que nous, encore, en plus, dans le mess des officiers. Deux cuistots tournent la tambouille et finissent de nettoyer la vaisselle en discutant calmement. Leur quart doit bientôt finir.
« Alors, vous avez des infos sur notre prochaine mission ? Que j’demande histoire d’alimenter la conversation.
- Pas grand-chose, pour le moment.
- En tout cas, rien de nouveau depuis la dernière fois, ajoute Charme.
- Enfin, on nous dira tout en route...
- Oui, encore un trajet interminable, apparemment. »
On hausse les épaules puis j’prends le pli, laissant un Funeste totalement lessivé niveau mise. Il se lève avec les coins de la bouche qui tirent nettement vers le bas et se dirige vers les cuisiniers du mess. Quand il revient, il a des ailerons de poulet épicés sur une assiette, qu’il pose devant lui.

J’cligne des yeux.

Un sale souvenir.

J’inspire profondément.
« Dis, Funeste, ça fait longtemps qu’ils les servent, les ailerons épicés ?
- Quatre ou cinq jours, je dirais. ‘Sont vachement bons.
- Ils en servent partout ?
- Juste au mess des officiers, j’crois.
- Hm, okay. J’vais en prendre, j’pense. »

J’pose un valet d’atout puis j’gratte doucement la croûte de ma blessure. Mes mirettes sur Funeste, j’jurerais les voir aller de mon côté à mon visage, puis un fantôme de sourire tendre sa bouche.

Chiasserie.
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