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Golem de neige



South Blue, Village quelconque sur une île quelconque, 1626.


– M-mangez, vous en aurez besoin, fit le vieux paysan.

La cinquantaine, le peu de chevelure qui lui restait était de couleur grisâtre, et grasse. Extrêmement grasse. Il avait un regard noir qui mettait mal à l'aise la plupart des personnes qui le croisait, notamment sa femme. Un peu moins sale que son mari, elle se cachait derrière la longue frange noire mal taillée, et n'avait pas dit mot de tout le repas. Elle s'était contenté de jeter des regards inquiets en direction du papier étalé sur la table, à côté de l'assiette de l'invitée. Une assiette peu copieuse, représentatif de la richesse de l'endroit, mais l'invitée ne fit aucun commentaire, déjà reconnaissante de se faire offrir le couvert.

– Merci pour le repas. Je devrai y aller, maintenant,fit la jeune invitée.

Elle prit une dernière bouchée, avant de récupérer le papier - sur lequel était imprimé la photo d'une homme au visage balafré – puis de le fourrer dans sa poche. Elle remit ses cheveux blancs en place, plaça son épée dans son dos puis se recouvrit de sa cape de voyage, usée mais utile.

Le paysan se frotta lentement les mains.

– D-déjà ? Vous êtes s-sûre ?
– Oui.
– A-alors laissez moi vous ac-compagner.

* * *

Du petit navire qui venait de s'amarrer sortirent plusieurs personnes, correspondantes toutes au même type : des bandits. Il était tout bonnement impossible de les prendre pour des gentilshommes, avec leurs sabres et leurs coutelas rouillés, leurs bandeaux rouge sang et, bien sûr, leur saleté caractéristique. Le navire était crasseux, les pirates l'étaient tout autant, alors il n'y avait aucun espoir quant à leur repaire ; une crique reculé, à l'abri des regards, un peu éloigné du seul village que possédait l'île. Il n'y avait, en effet, rien d'autre. C'était l'endroit parfait.

L'homme qui était en tête de file posa sa légère cape de tissu sur ce qui semblait être un porte manteau, comme ceux que l'on trouvait dans absolument chaque maison. A ceci près que celui-ci n'avait pas de pied, mais tenait en étant accroché au plafond.

Enfin, les derniers membre d'équipage ramenèrent sur la terre ferme le butin amassé : bijoux, pièces d'or, mais surtout plusieurs caisses de marchandises diverses, tel que du tissu, de la nourriture ou encore -et surtout- de l'alcool.

– Chef, on en a eu un autre… Enfin… Une autre.

Celui qui venait de s'exprimer était le second du groupe : Cornu, un homme plus crasseux encore que ses pairs, possédant une longue chevelure noire et grasse. Ses yeux noirs et son teint jaunâtre finissaient de le rendre parfaitement repoussant, ce qui permettait aux sbires, en comparaison, de grimper au rang de « physiquement passable ».

En revanche, l'homme à qui il s'adressait, le chef du lieu, était tout à fait à l'opposé. Le cheveu blond coupé court, plaqué en arrière, et un regard bleu et perçant, il dégageait un charisme indéniable, sans aucun doute la clé pour tenir en laisse une telle bande de badaud. Il jeta un œil en direction du fond de la crique. Dans l'ombre s'étalaient plusieurs cages, taillés à même la roche et formant ainsi une prison imperméable et solide.

– Une ?
– Héhé ouais. Mais elle… euh, elle a l'air simplette.
– ?
– Elle a pas dit un seul mot encore. On a bien essayé de la travailler, mais elle a, heum, comment dire… Elle a mordu Francis.
– Je vois. Elle a mangé ?
– Euh, non, elle l'a pas mangé, juste mordu…
– …
– Ah, et il paraît qu'un autre est arrivé il y a peu… Sûrement son partenaire.

Il ne prêta pas attention à cette dernière information, et se dirigea d'un pas nonchalant vers ce qui s'apparentait à un stock de nourriture. D'un air idiot, Cornu se mit à se balancer sur ses jambes, sans savoir quoi faire d'autre.

Le chef revint peu de temps après, apportant avec lui un joli plateau d'argent, sur lequel étaient posé respectivement une fourchette d'argent, une assiette d'argent, et un couteau à beurre. En argent. L'assiette contenait plusieurs aliments que le second ne parvint pas à identifié. En dehors de la soupe et du poulet, il n'y connaissait absolument rien.

Le patron des lieux s'avança par la suite vers les cages, s'arrêta un instant devant, avant d'identifier la seule qui était occupée par quelqu'un qui était encore vivant. Il ouvrit la cellule avant de s'approcher de la prisonnière, attachée et tapis dans l'ombre. Il pouvait tout de même apercevoir quelques hématomes sur son visage fin.

– Bonjour. Je m'appelle Davinson.

Il tourna légèrement le visage de la jeune femme, impassible, afin de constater une blessure encore fraîche à l'arrière du crâne. Un petit rictus se dessina sur son visage.

– Je vous pris de m'excuser pour la brutalité apparente de mes compagnons d'armes. En guise de pardon, permettez moi de vous offrir ce repas.

Il approcha son visage en même temps qu'il approcha le plateau d'argent. Elle put voir l'ignoble cicatrice qui lui traversait le visage de part en part.

Il eut également le privilège de voir celle de la jeune femme, qui lui traversait l’œil gauche ainsi que sa joue. Il put la voir de très très près. Le choc frontal le repoussa en arrière, contre la paroi froide en pierre. Il se massa le front, rougi par l'attaque, avant de reprendre ses esprits et d'attraper le visage de son assaillante d'une main.

– J'ai tenté la manière douce, visiblement tu préfères la m-

Le second choc frontal l'empêcha de terminer sa phrase. Il prit appui sur l'un des barreaux de fer, avant de jeter un regard noir à sa prisonnière. Il s'éloigna à pas beaucoup moins sûrs qu'auparavant, puis ordonna à l'un de ses sbires de récupérer le plateau et l'assiette.

Il jeta un dernier coup d’œil à la cage, avant de s'approcher du porte-manteau afin de récupérer sa cape en lin, tout en faisant tomber une par une les autres parures, jusqu'à dévoiler totalement ce qui servait de meuble ; un cadavre, accroché au plafond par les mains, et recouvert de carreaux d'arbalète. Il avait, de son vivant, servi de cible d'entraînement, et avait garder une utilité même dans la mort. Une existence bien plus remplie que la plupart des habitants de l'île.

– C'est le dernier chasseur de prime qui est venu ici, fit Davinson. Mais il commence à être un peu surchargé. Ton compagnon fera sûrement l'affaire.

Il jeta à la prisonnière un faux sourire forcé, avant d'enrouler sa cape autour de lui et de s'asseoir devant un feu de camp, vexé. Personne dans l'assistance n'avait remarqué la fourchette en argent manquante.



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Vous n'avez besoin de rien d'autre, Monsieur Horlfsson ?
Non, mais merci pour la route et le pansement.
Le plaisir est pour moi.
Hum. Donc vous pourriez faire ce que je vous ai demandé tout à l'heure ? Que je prononce à mon interlocuteur tout en enfilant mon imposante armure sans même lui accorder un regard, l'esprit trop occupé par les précédents évènements. Si je ne suis pas là avant ce soir, mettez les voiles.
Oh, oui sans problèmes. J'ai quelques bricoles à faire ici aussi de toutes manières. J'en aurais pour la journée également.
Sans parler de la somme que je vous verse depuis maintenant une semaine. Continuai-je tout en balancant mon épée dans son fourreau, celui-ci définitivement bien attaché autour de ma taille.
Euh...c'est un point non négligeable, disons. Hinhinhin.
Trêves de bavardage, je dois y aller. Dis-je tout en me dirigeant vers les escaliers menant au pont, en prenant soin de ne pas me cogner la tête contre ce plafond à la hauteur ridiculement basse.
Ah, dernière chose Monsieur Horlfsson !
Quoi ? Mot qui sortit tel un grognement.
Les habitants ici sont pas très...loquaces ? Me lance-t-il en retroussant les lèvres, d'un air bête et interrogatif.
Je ne suis pas venu ici pour faire la causette. Lui répondis-je avant de m'éclipser.
T'en fais pas, va. Ils l'ont bien remarqués.

Cela faisait maintenant une bonne semaine que j'étais à la recherche d'un gros poisson. Accompagné de sa bande, celui-ci supervisait maintenant son équipe pour diverses opérations de pillage en mer voir directement dans d'autres iles voisines. Lors de ma dernière escale, j'ai mené une petite enquête et ai arrêté un homme possiblement impliqué dans ce petit réseau afin de débusquer leur chef dont la tête était mise à prix. Le souci étant que ma phase d'interrogatoire n'a guère portée ses fruits et que l'effectif du côté de l'ennemi avait été clairement sous-estimé. Résultat, un maillon possiblement important s'était envolé et une belle entaille au niveau du flanc était à ajouter à mon palmarès de cicatrices. Fort heureusement, Minouche, mon navigateur privé depuis le commencement de l'investigation est bien habile de ses mains, évitant une infection carabinée dû au coutelas rouillé qui m'a perforé. Ces scélérats étaient nombreux et bien organisés, honte à moi de n'avoir rien vu venir. Mais ils ne perdent rien pour attendre, j'ai suivi mon flair en étudiant soigneusement les lieux des pillages et me retrouve dans ce village qui semble laissé à l'abandon.

Lentement, j'avance. L'endroit semble plongé dans un fin brouillard, trou d'où émane un profond silence pour l'instant uniquement composé de modestes chaumières et d'un sol pavé et usé qui dirait-on a subi nombre de bombardements. Au fur et à mesure de mon avancée, les regards indiscrets à travers les fenêtres pullulent. On dirait bien que les étrangers sont accueillis comme des bêtes de foire, dit donc.

Dans une maison, proche de la position d'Hevrard, ça s'agite. Une bonne femme, à la vue de l'individu immense et armé passant devat sa fênetre, appelle discrètement son mari bien qu'il soit impossible à l'étranger de l'entendre, même à voix haute. On est jamais trop prudent visiblement.

Eliel ! Pssst, Eliel !
Mais quoi, bordel ?! On peut pas être tranquille cinq minutes après la bouffe ?
Viens voir, vite ! Lui fit-elle d'un vif geste de la main, lui ordonnant de se rapprocher. Chose que son mari fit. Y'a un nouvel arrivant au village !
Putain, ouais, t'as bien fait d'me prévenir. Faut que j'prévienne le doyen ! S'empressa-t-il de répondre avant d'enfiler sa veste et de filer par la porte arrière de sa maisonnette.

***

Arrivé dans la seul taverne du coin histoire de tâter la population locale, je ne m'étonne pas d'entrer dans un local miteux au mobilier poussièreux. Salutation brève à la personne au comptoir pour prendre place près d'une fenêtre, vers le centre de la pièce. Gants posés sur la table retentissant dans un son sourd me laissant presque croire qu'ils feraient céder l'assemblage de planches, le gérant s'avance vers moi, les sourcils légèrement froncés. Le teint grisatre et une sévère calvitie lui avait dévoré le crâne, je l'aurais presque pris pour un moine ou je n'sais quoi.

Mes salutations humble étranger, que puis-je vous servir ? Notr-

Trois poulets ainsi qu'une pinte de cervoise constamment remplie s'il vous plait, merci.
Hmpfpsfh. Qu'il groule tout en chiffonant ce qui semble être un morceau de papier niché dans son tablier. Y'a plus d'poulets, on a plus que des canards. Ca vous va ?
Tant qu'ils ne sont pas constitués uniquement de graisse.
Bhfh. MIRAJANE ?! OH, MIRAJANE ! Hurle t-il, se tenant face à moi la tête à peine retournée.
OUI ?!
TROIS PIAFS ET UN FUT, ON A UN GRAND MONSIEUR QU'A FAIM !
OK !

Ca arrive, j'ai transmis à la cuisinière.
Merci. Prononçai-je sur un ton neutre tout en regardant devant moi pour soupirer juste après. Ne voyant pas le tavernier déguerpir, lui me fixant avec un sourire bloqué et de petits yeux ronds, ma tête se tourne lentement vers lui. Que voulez-vous ?
Bah...rien, j'vous regarde. C'est très rare les nouvelles têtes ici, pour ça. Z'allez surement rencontrer le doyen, héhéhé. Ria t-il d'une manière bien mesquine en avalant son cou dans ses épaules.
Le doyen ?
Ouais, on l'appelle comme ça. Un peu notre chef quoi.
J'en serais ravi, tiens. Où je peux le trouver ?
Vous embêtez pas. Tout se sait ici, ce serait même judicieux de dire qu'il doit déjà être en route pour venir ici.
Quel entrain. Que je rétorque sèchement face à prise d'initiative aussi vive. Bref, l’éphémère mécontentement passe à la vue de la dame bien en chair tenant un large plateau sur laquelle se tenait ma commande. Sans attendre, j'écartèle la première bête et lance un regard noir au gérant indiscret, planté comme une bouse à mon côté le faisant déguerpir derrière son maudit comptoir. Si toute la populace est aussi étrange que lui, je n'en ai pas fini.



Alors que le festin battait son plein, il faut dire que je ne suis pas difficile en matière de nourriture, un régulier tintement se fait entendre aux abords de la porte d'entrée toujours ouverte. Naturellement méfiant et paranoïaque sur les bords du à mes années d'enseignements au combat, je continue de mordre ces délicieux morceaux de viande en buvant généreusement dans ma chope entre deux bouchées tout en gardant les yeux rivés vers l'émanation du son.

Tap...tap...tap

Au bout d'un temps, c'est un vieil homme qui pointe le bout de son museau, appuyé par une modique canne et accompagné d'un petit garçon lui tenant la main. Directement, celui tenant l'enseigne accoure vers lui pour le saluer et le soutenir dans ses pas.

Isamu ! Laissez moi vous aider. Comment allez vous, ca va mieux votre dos ? Prononce-t-il en assénant un discret coup de hanche au gamin pour passer son bras au niveau des lombaires. Hey, j'vous l'avais dit ! Un réactif not' doyen ! Evidemment, je ne réponds rien ; ne serait-ce qu'un grognement.

Doucement, dans un profond silence, les trois individus s'avancent vers vers moi. Un pas, puis l'un, puis l'autre, ces quelques mètres nous séparant m'ont paru comme une éternité pour que ce « doyen » vienne s'attabler face à moi. Vêtu d'une robe blanche, le cheveux très long et blanc, sans parler de son air complètement hagard et absent. Et puis vint ce petit brun, m'observant de ses petits yeux bridés pour ensuite se mettre directement à crayonner sur un morceau de papier sorti de sa poche.

Bonjour, je me prénomme Isamu, représentant du village. Et voici mon petit fils Sian. Peut-être que Boros vous a prévenu de mon arrivée ?
C'est ça. Répondit-je tout en continuant de manger, prenant tout de même le soin de m'essuyer la barbe face à un ancien. Et vous venez ici pour tâter de mes motivations ?
En effet, les étrangers sont rares et...
Et quoi ?

Doucement, il se tourne vers Boros qui lui est à l'écoute de la moindre de nos paroles. V'z'inquiètez pas Isamu, ca doit pas être un méchant ! Enfin j'pense. Il déglutit pour ensuite replonger ses yeux dans les miens. Quant à son « petit fils », il reste braqué sur son dessin.

Vous ne me paraissez pas très amical.
Je vois... Si vous voulez tout savoir, vieil homme, je suis à la recherche d'un criminel nommé Davinson. Il a sévit lui et sa bande il y a peu dans les alentours et tout me laisse croire que cette ile pourrait lui servir de repère. Silencieuse, complètement paumée, les critères sont profitables à leurs activités.
Monsieur, j'en saurais quelque chose si des individus aux allures de criminels viendraient séjourner en ces lieux. Nous sommes solidaires, ici.
J'avais remarqué. Donc je resterais ici autant de temps qu'il le faudra pour mon investigation.
Ne troublez pas la tranquillité ambiante, c'est la seule chose que je vous demande.
Pas de soucis là-dessus. Je me ferais discret.
Ca va être difficile pour un gaillard comme vous bwéhéhé ! Que le tavernier qui commençait à grandement me taper sur le système me lance. D'un second regard foudroyant, il se radoucit une fois de plus. Pardon... mauvais en blague.
Très bon repas. Dis-je en me relevant pour resserer ma lame.
Merci pour l'compliment !
Messieurs. Suivi d'un signe de tête avant de déposer l'addition à table. Alors que je passe au niveau du gamin, je me fais saisir la main, me faisant réagir immédiatement. Sian me tend un papier plié en quatre, me fixant de ses yeux en amandes vous mettant presque mal à l'aise.
Ah, je pense qu'il vous aime bien. Il adore dessiner, il ne fait absolument que ça. Et quand il offre un dessin à quelqu'un, c'est qu'il l'apprécie. D'ailleurs, il n'en est pas à son premier depuis le moment où il est assis je paris !
Eh bien, je te remercie Sian. C'est très gentil à toi. Bredoullai-je en passant ma main dans ses cheveux.
N’espérez pas une réponse de sa part, cependant. Mère Nature l'aura privée de la parole.
Ce sont des choses qui arrivent, malheureusement. Que je conclut en rengeant ce présent dans une de mes petites poches de cuir.
Vous ne prenez pas la peine de le regarder ?
A vrai dire, je suis de ceux qui considèrent un cadeau comme étant quelque chose de personnel. Je n'ai aucune envie que cet homme use une nouvelle fois de son indiscrétion.
Ah, oui, je comprend parfaitement. Bon courage à vous Monsieur... ?
Mon nom n'est utile à personne.

Une fois dehors, une douleur au flanc se faisait ressentir, m'intimant soit une possible infection ou une réouverture de la plaie. Au vu des circonstances, je pencherais plutôt pour la deuxième option. Faute d'endroit où temporairement résider, je marche vers un lieu plutôt reculé pour pouvoir analyser la cause de ce tiraillement.



Me voilà sous un porche au sol clairsemé de paille, ayant probablement accueilli des chevaux. Nonchalamment, je balance mon épée et les couteaux au sol pour commencer à retirer mon haut d'armure. Quelques petites taches de sang apparaissent la chemise de lin. Après vérification, c'était quelques sutures qui avaient sautées, rien de grave. J'arrache donc une manche pour recouvrir la plaie et m'apprête à revêtir l'armure lorsque quelque chose tombe pour se fourrer dans la paille, mais pas n'importe quoi. C'était le dessin que m'avait offert Sian, et l'occasion était juste parfaite pour y jeter un œil. Sur le papier, on pouvait distinctement voir une femme dont le visage était parcouru d'une épaisse cicatrice et portant une épée dans le dos, visiblement frappée par derrière à la tête à l'aide d'une pierre par un homme. Au dessus, je pouvais y lire l'inscription « Papa é méchan».

Mon cœur me dit que quelque chose ne tourne pas rond ici, et je pense bien que je vais rester.







    Il y a un certain temps…


    Il avait l'allure fière et était plein d'entrain. Le vieux paysan avait tout de suite reconnu son genre : l'air dur, rustre, le regard noir, des balafres plein la figure, quelques armes ici et là, pas de doute : il avait bel et bien devant lui un tueur. Un chasseur de prime, pour être exact. Mais un tueur tout de même.

    Mais même les tueurs peuvent apprécier une bonne soupe.

    Tout en profitant de l'hospitalité du vieil hôte et de sa femme, qui fuyait le regard de l'invité en se cachant derrière sa frange noire, le chasseur évoquait avec fierté et une pointe d'arrogance ses anciennes cibles et la façon dont il les avait terrassé, en n'oubliant bien évidemment pas de donner certains détails sanglants.

    Le vieil homme se grattait les derniers cheveux grisâtres qui lui restait sur son crâne usé.

    – J'ai vaincu Ulric le Fourbe, vous en avez probablement entendu parlé, on raconte qu'il aurait fait un odieux massacre dans un orphelinat. J'ai tué à mains nues Piertro, un combattant d'arène qui s'échauffait sur des innocents. J'ai battu l'un des plus grand épéiste de South Blue en combat singulier, et la liste continue.

    Il reprit une cuillerée de soupe avant de reprendre son étalage sanglant.

    – Un jour, j'ai été pris par surprise par une bande de North, des voyous qui ne reculaient devant rien. J'étais alors en plein sommeil dans une petite auberge tout a fait sympathique. Heureusement, j'ai toujours sous mon oreiller une dague, regardez ! Celle-là même, en plein dans la carotide du premier. Les autres, trop facile. Sous le coup de la surprise, ils ont rien pu faire. Trop rapide.

    Il porta enfin son assiette directement à sa bouche afin de finir son repas d'une manière peu élégante. Une fois essuyé avec sa manche, il s'exclama, un peu trop fort au goût de la femme du paysan.

    – Alors, je vous le répète, je n'ai rien à craindre. Une petite bande de merdeux qui n'ont rien de mieux à faire que de terroriser les habitants d'une pauvre île et de s'attaquer à du menu fretin, non, rien de dangereux pour moi. Cette nuit, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles.
    – T-très bien. Mais laissez m-moi vous accompagnez t-tout de même.


    * * *


    De nos jours…

    Le pauvre cadavre suspendu au plafond ne cessait de se balancer légèrement au fil des passages des bandits et des pirates, affairés à mettre de l'ordre dans leur butin. Ils déplaçaient certaines caisses et portaient une attention particulière à leur contenu. Trop organisé pour des voyous crasseux, se dit Klara, toujours enfermé au fond de la crique. En se tordant un peu, elle avait une vue d'ensemble un minimum satisfaisant. L'endroit était ouvert mais regorgeait de petits recoins qui ne lui était pas accessible. Au fond, le chef de l'endroit semblait être en pleine discussion. Elle ne pouvait malheureusement rien entendre.

    – C'est ce qu'il demande, monsieur. Sir.
    – Monsieur, affirma Davinson.
    – Monsieur.
    – Je vois, je vois.
    – Je vais demander aux hommes de préparer ce qu'il faut, fit Cornu avant de s'éloigner et de crier des ordres simples.

    L'invité des lieux, un petit homme jeune, crasseux et malade, ne semblait pas être à son aise. Davinson lui adressa un sourire froid avant de lui ordonner d'attendre près du chariot, resté à l'extérieur. Il s'approcha de Cornu et l'invita à s'asseoir près d'une caisse remplie de tissus.

    – Je n'ai pas encore dit que j'acceptais, fit-il d'un ton calme.
    – Je… Désolé, j'pensais que comme nous avions un arrangement, on-
    – L'arrangement, Cornu, ne consiste pas à leur donner une si grosse part.
    – Grosse, grosse…
    – Plus grosse que convenue. Mais, de toute manière, c'est le principe qui me dérange, Cornu.
    – Le principe ?
    – Le doyen nous demande de plus en plus. Ça ne signifie qu'une chose, Cornu. On ne les effraie plus.
    – Pas un problème, on a b'soin d'eux, tant qu'ils acceptent.
    – C'est un problème pour moi, Cornu. Ils nous sont utiles, c'est vrai. Mais pas indispensable. Pas au point de s'enhardir de la sorte.
    – Euh, j'pensais qu'on était là pour éviter les emmerdes…
    – Non, tu es là pour éviter les emmerdes. Contrairement à toi, je ne suis pas un petit être chétif qui a peur de tout.
    – J't'ai déjà dit, c'que j'ai vu sur les mers, les-
    – Je sais. Mais ça ne m'intéresse pas.
    – J'veux juste pas prendre de risques inutiles. Et puis, y'a aussi l'autre qui a débarqué…
    – Hm.

    Davinson se leva, avant d'ordonner à l'un de ses nombreux sbire d'aller chercher le petit paysan, qui ne savait pas où se mettre.

    – Bon. Le type qui est récemment arrivé ici. Tu peux m'en dire plus ?
    – Euh, j'en sais pas beaucoup. Il traîne un peu partout. Pas commode.
    – Pas commode ? Et quand est-ce que vous prévoyez de vous en occuper, au juste ?
    – Et ben… C'est que… Hm, il fait peur aux habitants.
    – Peur ?
    – O-ouais. Je l'ai vu moi, de loin. J'ai cru voir un géant, je vous jure. Et puis, il pose des questions bizarres, sur une fille aux cheveux blancs, ou un truc comme ça.
    – Hm, merci.
    – Vous avez pris votre décision alors ?
    – Non. Retourne glander dehors s'il-te-plaît.

    Cornu attendit quelques secondes, le temps que le paysan soit suffisamment éloigné, pour s'adresser à Davinson d'un ton grave.

    – L'est bien avec l'autre. Un géant. On devrait…
    – On devrait quoi ? Se cacher ? Vas-y, Cornu, fais comme bon te semble.
    – N-non, juste… Se servir d'elle. Comme monnaie d'échange, ou comme garantie, ou comme-
    – Rien, comme rien. Va aider les autres à ranger tout ça. Je vais réfléchir.

    * * *

    – 'savez, j'ai vu des choses, quand j'ai pris le large, à l'époque. Des monstres. Pas des monstres qu'on voit dans les bouquins ou quoi, nan, de toutes façons je sais pas lire moi. De vrais monstres. Des types comme toi ou moi, en tout cas de l’extérieur. Alors j'ai décidé de prendre le moins de risque possible, pour être tranquille. Comme ici. J'ai rencontré le chef, Davinson, y'a quoi, un an ? J'l'ai trouvé futé, j'me suis dis qu'il pourrait m'aider, moi et mes hommes restants. Et on a fini par débarquer ici. Un endroit crade et sans intérêt, mais pas pour moi. On s'est vite arrangé avec les locaux, et depuis, on est tranquille. On ne prend que peu de risque. En tout cas, on en prenait pas beaucoup. Mais maintenant, Davinson, il commence à m'emmerder. Dehors, sur les mers, les marchands commencent à s'douter que la région est p'tête pas si sûre, même si on fait pas beaucoup de bruit. Ils s'arment ou s'font protéger. J'pense qu'on a suffisamment d'emmerdes comme ça, mais Davinson lui, il veut aller plus loin. Il veut faire chier ceux qui nous aident ici, et s'attaquer à plus gros. Et tout ça, sans compter ton partenaire qui s'ramène et qui te cherche. Fais pas l'étonnée, ça prendra pas. Alors j'me dis que Davinson, il est p'tête pas si futé que ça. Mais moi, si.

    Alors j'vais te poser une question. T'es pas prête de sortir d'ici, mais comme j't'ai dis, j'veux pas prendre de risques inutiles. C'est Davinson qui vous attire tous ici. Toi et ton géant, z'êtes là uniquement pour lui, pas vrai ? Vous voulez sa tête, rien d'autre. C'est comme ça qu'ça marche, nan ?

    Moi, j'en ai ras l'cul de lui. J'veux connaître la réponse. Si y s'trouve que Davinson se met à réfléchir, alors ça ira. Mais si y s'trouve qu'il décide de s'mettre tout le monde à dos, alors à ce moment là j'serai content d'avoir ta réponse.

    Alors, oui ou non ?


    * * *

    – Cornu, j'ai pris ma décision, s'exclama solennellement Davinson. Amène les caisses au chariot. Toutes.

    Son interlocuteur soupira de soulagement, avant de hocher la tête et de siffler ses hommes et de leur indiquer l'ordre à suivre d'un mouvement de bras ample.

    – T'fais le bon choix.
    – Je sais.

    Il sortie de la large grotte pour aller à la rencontre de l'habitant, qui attendait maintenant depuis plusieurs heures. Il aida même certains de ses sbires à porter les marchandises, et ce avec entrain. Il se frotta les mains, l'air fier, avant de tapoter l'épaule de l'invité.

    – Désolé de t'avoir fait attendre aussi longtemps.
    – Oh… C'est pas grave.
    – J'ai encore une dernière chose à te demander. Te sens-tu capable de porter un message ?
    – Euh, oui… Si il est pas trop compliqué.
    – Il ne l'est pas. Il est même très simple.

    La lame était si fine et le coup si précis que pas une seule goûte de sang ne gicla de la glotte du paysan.


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    A l’heure du souper, dans une banale chaumière. Un couple de quadragénaire est attablé autour du repas, « comme à leur habitude » jugerait le premier témoin de cette scène anodine. Mais ce soir-là, l’homme de la maison n’a pas l’air dans son assiette. C’est un bon vivant pourtant, comme la plupart des gens de l’ile. Toujours alléché par l’odeur de la bouffe et le gosier constamment empli de sa dense salive. Même pas sa bonne femme est en mesure de lui remonter le moral, ce soir-là. Aujourd’hui il n’est pas bien ; et on dirait que personne n’a l’air en mesure d’aider ce pauvre bougre.

    T’as mangé dehors ? Chez tes copains, j’suis sûr. Dit-elle en remplissant les assiettes pour poser le plat entre les deux couverts.
    Nan. Lui se retenant la tête de sa grosse paume rugueuse, à fixer inlassablement son ragout.
    C’est quoi alors ? T’as perdu aux cartes, un pari ? A voir ta tête on dirait que quelqu’un est mort. Répond-t-elle en mettant un coup de fourchette dans son écuelle.
    Ahlala. Poussa-t-il dans un long soupir, le regard maintenant porté vers la fenêtre. J’espère vraiment que c’est pas ca.
    Beh alors ?! Dit moi ce que c’est. J’suis pas là pour gérer tes crises sans même savoir ce qui se passe. Tu es comme ça depuis que t’es rentré et moi je reste collée à ton cul en te demandant ce qui se passe, sans réponse. Alors tu sais quoi ? Ce soir tu dors dans la paille. Fallait pas m’faire chier Eliel, t’as tout gagné.
    Silencieux, les mains bien à plat sur la table, les yeux ronds et les lèvres parfaitement plates, il se décide enfin à parler après une telle prise de position venant de sa conjointe.
    C’est Auscar. Il est parti y’a déjà un moment pour… voilà. Et il est toujours pas revenu. C’est pas dans ses habitudes et j’ai beau le dire que personne n’en a quelque chose à foutre.
    Ah bon ? Auscar ? Mais non, y’a pas de quoi s’inquiéter. Ça fait combien de temps qu’il est parti ?
    En milieu d’après-midi.
    Hm, tu te fais du souci pour rien si tu veux mon avis. Ton ami est un prudent, sans oublier qu’il ne nous dit pas tout. C’est pas la première fois dans mes souvenirs que sa femme se plaignait qu’il ne rentrait pas. Et puis… sans vouloir faire ma curieuse, ils savent ce qu’ils font par rapport à tout ça, non ?
    En ce moment je t’avoue que même moi, je suis complètement laissé dans le flou. Lui, il le sait aussi. J’espère qu’il lui est pas arrivé malheur, putain. J’ai un sale pressentiment. Laissa échapper Eliel, le poing et les dents serrés.
    Sa femme, après avoir terminé sa part, se lève pour passer derrière son gendre afin de le réconforter en l’enlaçant de ses bons bras. Calme-toi, chéri. Et puis c’est un grand garçon, il sait ce qu’il fait.
    Mouais… s’il lui arrive quelque chose, crois-moi que ça va pas se passer comme ça. C’est moi qui l’dit. Si j’ai aucune nouvelle d’ici demain matin, je pars le chercher.

    ***

    Le troisième jour sur cette île s’entame aujourd’hui. Minouche a été renvoyé, reparti sillonner les mers en solitaire si je ne retournais pas le voir, comme convenu. Me voilà tout de même bien seul dans cet endroit à l’ambiance glaciale. La journée d’hier ne se soldait que par de cuisants échecs dans ma recherche d’informations concernant cette jeune femme aux cheveux blancs. A écouter les réponses qui m’étaient tout le temps données, l’individu que je recherchais était comparable à un fantôme. « Jamais vu cette personne ici », «Si il y avait quelqu’un de nouveau, je serais mis très vite au courant ». Sans parler de ce doyen semblant aussi sénile qu’énigmatique. Notre rapide entrevue de la dernière fois me laisse toujours aussi perplexe. Et il y a ce Sian qui n’arrange rien à toute cette histoire. M’aurait-il raconté des sornettes ? Se pourrait-il qu’il soit manipulé à me donner de fausses informations pour m’éloigner de mon but ? Son père n’a pas l’air si mauvais que ça. Un homme se faisant de plus en plus vieux qui mène une vie des plus banals en compagnie de sa petite famille. J’ai quand même du mal à croire qu’il serait lié à un enlèvement. Il m’aura d’ailleurs proposé hier soir de diner chez lui, chose que j’ai poliment refusé. Et pour ce qui est du peu de questions que je lui ai posé, il ne me paraissait pas forcément suspect, ne serait-ce que son bégaiement. Je ne dois tout de même pas perdre de vue que mon objectif principal est de trouver Davinson. Mais si une chasseuse est retenue prisonnière dans les environs, il est de mon devoir d’aller l’aider, collègue ou pas. Si seulement ce gamin pouvait parler. Mais j’ai bien peur qu’il me soit impossible de lui soutirer plus d’informations. Si son dessin est vrai, il me sera surement impossible de le recroiser.

    Après une courte nuit de sommeil du fait d’un matelas de piètre qualité, je décide de me rendre de bon matin au bord du village afin de respirer l’air marin. La bâtisse que l’on m’a loué est déjà bien isolée du reste des autres habitations, ne me faisant pas marcher pendant longtemps afin de profiter de ce plaisir matinal. Je ne suis pas vêtu de mon armure aujourd’hui malgré les possibles risques que je cours du fait de mon investigation. Je me sens nu sans elle, d’ailleurs ; Mais le vent peut maintenant s’engouffrer dans ces larges vêtements laineux.

    Alors que je me perds dans mes pensées fixant éternellement les eaux, un hurlement retentit. La source n’est pas très lointaine, me forçant instinctivement à me tourner pour me ruer vers les lieux. Une fois proche de l’endroit, je dégaine mon épée par précaution pour ensuite regarder tout autour de moi. Personne aux alentours, juste un chariot chargé de caisses. J’entends des sanglots, il y a quelqu’un de l’autre côté. Doucement, pas à pas, je me décale suffisamment de biais pour apercevoir la personne. Une femme, agenouillé contre un corps inerte, l’arrière de la tête et une partie du dos baignant dans une fine marre de sang.
    Que s’est-il passé ?
    Sans réponse, je rengaine la lame pour saisir la dame par l’arrière du col et la redresser illico.
    Le visage couvert de larmes, elle arrive à sortir quelques mots. On a glissé un mot sous ma porte ce matin disant qu’il avait besoin d’aide.
    Et vous y allez sans vous poser de questions ?
    Evidemment que ce n’est pas son genre. Et quand j’ai frappé aux portes pour demander à m’accompagner il n’y avait personne. C’est mon mari quand même. Du moins…c’était. Pour pleurer de plus belle.
    Bon. Reculez, j’ai besoin de comprendre ce qui s’est passé.

    J’inspecte dans un premier temps le chariot, couvert par une sombre couverture assez épaisse. Des caisses sont entassées l’une sur l’autre, de tailles variables. A l’aide de ma lame courte, j’en casse quelques-unes afin d’examiner précisément leur contenue. Des céréales dans l’une, du petit bois dans une autre, la troisième, elle, contient de petits rouleaux de tissus. Principalement des ressources, et une nouvelle question me vient. Mais en l’état actuel des choses, lui tirer des informations serait peine perdu. Elle n’arrête pas de pleurer, chagrin qui me donnerait presque la migraine. Il me faut regarder le corps maintenant.

    Un homme, dans les quarante-cinq ans, modestement vêtu et encore bien entretenu pour son âge. Ses poches ne contiennent pas grand-chose, ne serait-ce que quelque berrys. Le coup qui l’a tué est celui porté précisément à la gorge à l’aide d’une fine lame. La victime connaissait peut-être le tueur. Si l’un de ces paysans au village est capable d’une chose pareille, il me faut vite le trouver. Le genou à terre, je me relève en prenant appui sur celui-ci pour scruter attentivement les environs. Nous nous trouvons aux abords du village, sur un plateau d’herbe s’étalant sur quelques centaines de mètres. Actuellement, nous sommes sur le seul chemin pavé passant à travers la plaine.

    Donc, si je comprends bien, vous recevez un message ce matin vous avertissant que votre mari est en danger. Vous sonnez aux portes mais personne n’est là.
    Je s-savais à peu près où il se rendait quand il s’éclipsait comme ça. C’est en voyant le chariot au loin que j’ai eu un mauvais pressentiment. Mon pauvre Auscar…
    Auscar, hum. Eh bien, madame, je pense que nos présences sont étroitement liées à ce petit mot reçu ce matin. Voyez sa mort comme un avertissement, et le cas où nous serions épiés en ce moment même ne m’étonnerait pas du tout.
    Comment ? Je ne c-comprends pas. Me répondit-elle en relevant son visage trempé étant enfoui dans ses mains.
    Ne restons pas là, Madame. Je me rends compte maintenant que quelqu’un m’a menti ici et que la sécurité des habitants est mise en jeu. Lui dis-je en la relevant de manière un peu brusque par le bras. Quelqu’un viendra s’occuper du chariot et de votre mari. [/color]

    Quand à toi, Isamu, si tu me mens devant le fait accompli, je te casserai en deux.

    ***

    Plus loin, toujours sur cette fameuse plaine, deux individus sont couchés sur le ventre dans les hautes herbes. L’un d’eux, d’apparence bien distinguée semble concentré vers la scène à laquelle il assiste.

    Le v’là ton géant.
    Passe-moi la longue vue, tu veux ? Prononça calmement le blondin avant d’observer précisément la scène. Oui, oui.
    Alors, t’en pense quoi ? D’habitude il porte apparemment une armure.
    J’en pense seulement que sa pilosité faciale est bien prononcée.
    Très drôle, et je me demande aussi quel intérêt y’avait d’faire ça.
    Pas de réponse, ne serait-ce qu’un regard désapprobateur. Il en est que j’aime voir le visage de ceux à qui j’ai affaire, Cornu.
    Ah…chacun son style, hein. Mais…pour le reste ?
    Quel reste, Cornu ?
    Bah…buter un pov’ type pour ensuite montrer son cadavre à sa femme.
    Dans un bref soupir, l’homme aux côtés de Cornu baissa les yeux pour ensuite remballer son outil. Il est temps de partir, j’ai vu ce que je voulais. Debout et en train de marcher, le personnage proprement vêtu asséna une tape dans le dos de celui qui l’accompagnait. Pour répondre à ta question, Cornu, vois ça comme une forme d’amusement.

    C’est génial Davi, t’auras finalement choisi de faire n’importe quoi.

    ***

    Arrivé devant la maison du doyen, le voilà qui sort, d’ailleurs toujours vêtu de la même manière pour m’accueillir moi et la récente veuve au bas de sa porte.

    Bien le bonjour, Monsieur dont le nom n’est utile à personne, que me vaux votre venue ? dit-il avant de marquer un air étonné face au visage en pleur de la dame.
    Si vous le permettez, j’aimerais m’exprimer à l’intérieur.
    Un regard à gauche, puis à droite. Entrez donc monsieur, madame. Que l’ancien fit d’un geste du bras pour nous accueillir.
    Une fois à l’intérieur, je marque un temps d’arrêt face à la particularité du mobilier, quoique luxueux pour un ancien croupissant dans ce trou. La maison n’est pas grande mais les meubles ne manquent pas et ne sont pas aussi miteux que je me l’imaginais. Des tentures aux motifs variés venaient aussi agrémentés ces tristes murs. Vous ne vous embêtez pas à ce que je vois. Lâchai-je sur un ton sarcastique tout en guidant la femme endeuillée de par mon bras.
    Nous sommes réunis pour débattre de ce sujet ?
    Non, tout d’abord excusez-moi de raviver votre peine, madame. Son mari, Auscar, a été retrouvé mort il y a peu à l’écart des habitations. La première chose que je demande donc est que vous dépêchiez des hommes afin de lui offrir une sépulture décente.
    Par tous les dieux… Auscar…. Dit-il en posant la main contre sa table. Comment est-ce possible ?! Où est-il ?
    Vers l’est du village, sur la plaine herbeuse. De toute manière, vous ne pouvez pas le rater, il est juste à côté d’un chariot remplis de caisses à ras-bord. Alors, vous allez envoyer quelqu’un pour l’enterrer ?!
    O-oui, oui, ce sera fait, c’est promis. Qu’il répond, visiblement abasourdi, le regard dans le vide.
    Après ses mots, je me tourne vers la veuve pour m’exprimer de manière assez ferme. Je peux comprendre votre peine, mais il me faut discuter seul à seul avec Isamu. Vous l’avez entendu, quelqu’un va s’occuper de votre mari. Et, pour ma part, je m’engage à retrouver le responsable. Rentrez chez vous, s’il vous plait, quelqu’un viendra au besoin s’il vous manque quelque chose.
    Merci beaucoup. Fit la femme en deuil avant de repartir doucement vers la porte.
    Je…je ne sais pas quoi penser. C’est h-
    Isamu, écoutez-moi bien maintenant car je ne vais surtout pas me répéter. Vous me dites avant-hier mener une vie paisible comme tous les habitants d’ici pour que je vienne maintenant vous annoncer la mort de l’un des vôtres. Je veux maintenant savoir ce qui se passe ici, ce qu’il en est de cette mystérieuse femme aux cheveux blancs que personne n’a vu sauf votre petit-fils. Réfléchissez bien à votre réponse, « Monsieur le doyen », vous n’aurez pas de deuxième chance. Lui dis-je en haussant le ton en crescendo.
    Il déglutit, n’ose même pas me regarder dans les yeux. Bien, je ne peux plus vous mentir, visiblement. Mais promettez-moi d’abord une chose.
    Fini ces petits jeux de promesses, j’en ai plus que marre, vieillard.
    Dans ce cas mes lèvres seront scellées de manière éternelle. Rétorqua-t-il, légèrement tremblant en gardant maintenant son regard fixé vers le mien.
    Je fais un pas vers lui, puis un autre pour maintenant m’incliner à sa hauteur. Gardez bien en tête que je n’aurai que faire que de torturer un vieillard pour obtenir ce que je souhaite. Compris ? Mais dites toujours ce que vous voulez que je vous promette, que je rigole un peu.
    Vous…vous… vous allez tout savoir. Mais laissez les habitants en dehors de tout ça.
    Je vous écoute.
    Après un moment de silence, il se décide enfin à parler. Davinson se terre ici, avec tous ses hommes.
    Eh bien voilà.
    Leur repère est dans une grotte à la périphérie du village. Je peux vous indiquer l’endroit exact si vous le souhaitez.
    Ce serait bien, oui. Mais, avant toute chose, vous vous rendez bien compte que vous avouez avoir caché des criminels recherchés ?
    Si je l’ai fait, c’est pour que tous les habitants ne manquent de rien.
    Gardez vos belles paroles pour vous. Dernière chose, auriez-vous quelque chose à me dire là-dessus ? Lui dis-je en lui tendant le dessin que m’avait offert Sian.
    C’est un dessin de mon petit-fils.
    Lisez ce qui est écrit.
    Papa est méchant. Hinhinhin, sacré Sian. Il a toujours été curieux, maintenant que j’y pense.
    Le dessin est vrai ? Son père séquestre une femme ?
    C’est plus compliqué que ça. Mais encore une fois ne lui faites rien, c’est moi qui doit recevoir le blâme.
    Soit.
    La femme dessinée est une chasseuse de primes. Mon fils, quant à lui, se charge de les attirer chez lui, pour les assommer et les livrer à ces boucaniers. D’ailleurs, ça n’aura pas pris avec vous.
    Je n’aime pas la soupe.
    Enfin, je vais vous dresser un plan pour vous y rendre. Mais c’est à vos risques et périls. De ce que j’ai pu voir, ils vous dépassent largement en nombre.
    Ce n’est pas difficile à deviner. [/color]
    Les choses auraient pu finir autrement. L’arrangement était honnête au départ. Des pilleurs qui demandent cachette contre une partie de leurs ressources. Mais voilà comment ça dérape, ce genre d’individus sans foi ni loi changent très vite de cap.
    Hum, hum, absolument. Je dois partir, maintenant.
    Il serait quand même bête que vous vous fassiez tuer. Le sang à assez couler, vous ne pensez pas ?
    Non, pas assez.

    ***

    Le jour même, vers la tombée de la nuit.

    Alors que je restais dans ma location à finement aiguiser mes armes et à rembourrer mon armure au maximum tout en pensant à un plan pour défaire l’équipe de Davinson et en même temps sauver cette jeune femme, on frappe à la porte. Directement, je me lève et me dirige vers l’entrée tout en prenant soin de glisser un couteau à l’arrière de mon pantalon. Une fois la porte ouverte, personne derrière. Curieux, je m’avance pour observer les alentours et faire un petit tour de l’habitacle. La pénombre grandissante ne m’aidant pas, je décide de rebrousser lentement chemin pour rentrer. Et c’est à ce moment que je comprends une erreur qui aurait facilement pu être évitée. J’ai laissé la porte ouverte. Lame sortie, j’entre lentement dans la petite habitation. A peine la porte passée, le son d’une arme chargée retentit juste derrière moi.

    Lâche ton couteau.
    Prévisible. Chose faite, couteau se plantant dans le sol.
    Toi et moi on va faire une petite ballade, avance. Et surtout pas de geste brusque, mon grand, je te fais sauter vite fait l’caisson si tu fais le mariole.



    Où tu m’emmènes ?
    Ta gueule, met toi au bord des rochers maintenant. M’ordonne-t-il en me poussant du bout de ce qui semble être son fusil. J’ai tout entendu de la conversation qu’t’as eu avec le doyen. Et j’mettrai ma main au feu que c’est toi qui a buté mon pote. T’es avec eux, hein ?
    Je n’ai rien à v-
    TA GUEULE ! Comme par hasard t’arrive sur les lieux en cinq minutes, t’arrive ici et il disparait pendant presque une journée. Fumier, dit adieu à ce monde.
    Réfléchis deux minutes. Mon but est d’aider les innocents, pas de m’amuser à leur trouer la gorge. C’est surement Davinson qui a commis un tel acte, ou du moins un de ses hommes. Et je me suis personnellement engagé à le faire payer lui et ses laquais.
    Il renifle vivement avant de reprendre. On s’aimait comme des frères, ça faisait maintenant deux ans qu’on était installé avec nos femmes ici. On en a connu des trucs, fallait pas nous faire chier à l’époque. Maintenant c’est fini… mais j’ai quand même envie de vérifier c’que tu viens d’me dire. Par contre, si c’est des foutaises, c’est moi qui te tuerais.
    Entendu, je peux abaisser les mains, maintenant ?
    Ouais. Répondit-il en rengainant son fusil, canon vers le sol. Si c’est vraiment cette bande de sous-merdes qui ont tué Auscar, je veux me joindre à toi. Sa mort doit pas rester impunie, et je sais me servir de c’fusil les yeux bandés.
    C’est parfait, dans ce cas. Tu as le temps ce soir ? Nous allons avoir besoin de visualiser un minimum la situation si tu es vraiment déterminé à me prêter main forte.
    Evidemment que j’suis chaud. On les crève ces salopards.
    Allons là où je loge. Par contre, si je rentre et que mes affaires sont abimées, l’alliance est rompue.



    Côte à côte devant la table, illuminée par une simple lanterne, nous étions alors en pleine réflexion quant à notre manière de procéder. Mon tout nouveau partenaire était alors en train de dessiner le repère sur un rouleau de parchemin, toujours subtilement ancré dans ses souvenirs.

    Bon, j’y ai été que quelques fois et ça remonte maintenant à un petit temps pour conclure le deal entre le chef et le doyen, j’sais pas si t’es au courant. C’est une grotte quasiment collée au village qui se retrouve bien inondée à des moments de l’année. Du coup, ils ont quelques structures de fortune histoire de se tenir en hauteur quand la flotte se pointe. Sinon, c’est une installation hyper basique, t’vois ? Un sol en planche, quelques endroits où sont posées leurs caisses après ils font des feux et s’amusent comme ils le peuvent. M’enfin, rien à foutre. Maintenant place à l’équipement, l’est pas folichon leur bordel. Z’ont un navire à eux tous, et en arme j’pense bien qu’ce soit l’minimum : lames et flingues.
    Et en effectif, tu aurais une idée ?
    Pas d’idées précises, une trentaine environ. Mais la plupart va souvent piller en mer, du coup beaucoup s’cassent à ce moment-là.
    Ils auraient un rythme par rapport à leurs voyages en mer, tu penses ?
    Ca je sais pas du tout, franchement. On pourrait r’garder quand le navire se tire pour attaquer. Et à ce moment, on serait prêt à les baiser.
    Ça me va, tu es équipé ?
    Quelle question ! Répond-t-il en se saisissant de son fusil posé contre le mur. Modèle dernier cri, semi-automatique l’bazar. Une bonne capacité en terme ed’ munitions, et j’te parle pô d’la puissance. Il traverse le bon cuir, quoi. Après, y’a d’autres petits joujous a la maison, héhé. Et toi, tu t’y connais en flingues ?
    Du tout, je n’use que de mes lames. Si je veux attaquer à distance, j’utilise des couteaux. Le combat rapproché me parle plus.
    Hum… ça va pas être facile à deux. On a beau être robuste mais bon, mieux vaut les prendre par surprise. J’pense déjà avoir une p’tite idée, passe chez moi d’main matin que j’te montre l’matos. Tu m’diras ce que t’en penses. Là, j’suis crevé et une bonne nuit de sommeil nous ferait le plus grand bien.
    Entendu, nous en discuterons demain matin.
    Eliel. Dit-il me tendant la main.
    Hevrard.
    On va les avoir, Hevrard. Bonne nuit à toi.
    De même.



    Sur le chemin du retour, la pénombre règne. Alors qu’il se trouvait non loin de chez lui, Eliel fut subitement alpagué par un individu. Pris par surprise et le couteau sous la gorge, le tout nouvel allié d’Hevrard ne peut qu’obtempérer sous peine de vite finir comme son défunt ami. Sous la menace, l’homme est forcé de s’enfoncer dans une ruelle sombre avec son agresseur.

    Écoute-moi bien attentivement, je ne te veux aucun mal, déjà. Ca va faire maintenant trois jours que le géant est arrivé, et trois jours que je tente d’entrer en contact avec. De ce que je sais, il n’est pas commode alors je préfère m’adresser à toi. Maintenant, Eliel, j’ai une proposition pour vous aider à dessouder Davinson. [/color]
    Tu veux nous aider alors qu’t’es en train de me plaquer un couteau contre l’gosier ? Drôle de manière pour entrer en scène, garçon.
    Je préfère prendre mes précautions. Je suis l’un de ses proches qui commence à en avoir marre de ses prises de positions plus que foireuses, tu vois ? Alors je vais vous offrir une chance, à toi et à Hevrard. Ecoute moi bien car je ne vais pas me répéter : demain, en début de soirée, je vais me démerder pour dégager le maximum d’homme de la grotte. Je me répète mais moi aussi je veux me débarrasser de ce type. C’est tout ce qui est en ma mesure pour vous aider. Le reste, c’est vous qui voyez. N’oublie pas, Eliel, demain vers dix-huit heures le navire va lever l’ancre. Termina l’étranger avant de doucement retirer sa lame du cou de son interlocuteur. Rentre chez toi et ne te retourne pas. Et ce serait aussi bête de laisser tomber une telle opportunité. Oh, et puis, si ça peut te motiver, c’est Davinson qui a tué ton ami. Et pour l’autre, tu pourras lui dire qu’une femme est bel et bien prisonnière, avec nous. [/color]
    Hein ?! rétorqua Eliel en se retournant vivement.

    Mais c’était trop tard, la ruelle était déjà déserte.



    Le lendemain, chez Eliel.

    Et voilà mon attirail. Fusil comme neuf et le meilleur pour la fin, viens voir. Me fit-il d’un signe de la main, pour passer une pièce où l’une de ses parties étaient couvertes d’une tenture. Soulevée, je pouvais apercevoir plusieurs jarres toutes bien fermées. Dans l’temps, mon dada c’était d’acheter des biens chez l’un pour les revendre chez l’autre quand on apprenait que c’était la pénurie d’un côté. Comme ça, au fur et à mesure, tu t’faisais bien les poches héhé. Ces vases contiennent une sorte de goudron, utilisé pour alimenter et huiler certains mécanismes. Ça se vendait à bon prix, en plus. Et comme vers la fin d’ma carrière il m’en restait un petit stock et qu’y avait pas d’acheteurs, j’ai tout gardé au chaud parce que ça peut valoir une petit fortune ! Et devine quoi, bwéhéhé ?
    Non.
    C’est putain d’inflammable, ce truc. Y’a juste à en balancer sur leurs structures en bois pour tout faire flamber. Ça pourrait aussi nous laisser une chance au cas où on serait submergé en nombre.
    Très bonne idée, mais il ne faudrait pas non plus en abuser si tu me dis que les structures ne sont faites que de bois. Tu serais en mesure de me couvrir, toi qui a l’air bien armé pour le combat à distance ?
    Ca devrait l’faire, ouais. Surtout si j’arrive à trouver un point en hauteur, je les plains.
    D’où te viens cette expérience et cette assurance, en parlant de ça ?
    M’sieur est curieux. Mais tu m’as l’air bien énigmatique donc j’vais m’permettre de garder aussi ma part de mystère. Sans te vexer, hein.
    Non, je comprends bien, je te fais confiance. Bref, il va nous falloir savoir quand frapper, maintenant. Peut-être que je devrais retourner voir le doyen, ce scélérat est à la tête de tout ça. Je m’occuperai de son cas après avoir réglé celui de Davinson.
    Hum… j’dois t’parler d’un truc, maintenant qu’j’y r’pense. Mais t’énerves pas, juste.
    Non, vas-y, tu peux t’exprimer.
    Hier, en rentrant chez moi, je me suis retrouvé face à un type qui disait être dans l’équipe de Davi’. Il m’a dit aussi qu’il en avait marre d’son chef et était prêt à nous aider aujourd’hui. L’a surement du nous épier pendant qu’on discutait et m’a suivi jusqu’à un coin plus tranquille. Me d’mande pas comment il était car vu comment il f’sait noir, impossible de voir quoi que ce soit.
    C’est un piège à coup sûr. Il ne faut pas faire confiance à ce genre d’individu.
    Justement ! Il était sûr qu’tu lui ferais pas confiance. Mais moi j’irais, car il m’a confirmé que c’était bien l’meneur qui a tué mon pote. Et pareil pour toi, l’a aussi dit qu’une femme était emprisonnée là-bas.
    S’il se permet de trahir son chef, qui te dit que ce n’est pas un guet-apens pour nous tuer tous les deux ?
    T’sais, c’genre de situation ca peut vite arriver, quand celui à qui te commande commence à n’en faire qu’à s’gueule. Si t’es récitent, j’irais seul. C’est d’ailleurs fort probable que j’me fasse buter mais j’me vanterai pas à dire que j’pourrais plomber le coupable du meurtre d’Auscar avant d’tomber.
    Pourquoi j’ai l’impression d’être mis au pied du mur… Ta prise d’initiative est admirable mais je ne pense pas être en mesure de te laisser y aller seul. Je suis certes un chasseur mais mon devoir est quand même de protéger les gens, je ne peux pas le nier. Comment pourrait-nous « aider » ce mystérieux gus, alors ?
    Il fera en sorte de mobiliser le maximum d’hommes en mer pour nous laisser du champ libre vers dix-huit heures. J’ai une embarcation pour qu’on puisse transporter les jarres et nous déplacer le plus discrètement possible.
    Bien, ce sera à double tranchant, alors. Soit il nous aide et nous avons une chance de nous en sortir ; Soit c’est un piège et je doute que nous puissions partir en un seul morceau. Personnellement, je vais opter pour une approche de front. Si tu as le pas feutré, tu te positionneras de sorte à avoir un bon point de vue. Mais c’est toi qui connais mieux le terrain.
    Ok, on fait ça alors. J’vais préparer quelques lanières pour transporter les vases et les balancer comme des frondes, héhéhé. Ça va bien flamber, t’vas voir.



    Doucement, le bateau dérive vers le repaire dans un profond silence. Le seul son perceptible jusqu’à maintenant n’est que la coque en bois de la barque au contact de l’eau. J’ai le sentiment que la traque touche à sa fin, que ces jours de recherche portent enfin leurs fruits. Eliel, lui, n’a pas dit un mot depuis le moment où il a poussé son petit navire à l’eau, le fusil bien plaqué contre sa poitrine.

    On arrive. Dit-il à voix basse. On va tout d’suite sav- Putain… regarde Hevrard, leur putain d’navire est pas là ! L’autre zig a tenu sa parole bordel. Comme quoi…
    Bien, soyons prêts. Les hostilités ne vont surement pas tarder à éclater.

    L’entrée de la grotte se présente alors à nous. Les souvenirs d’Eliel étaient alors justes. Des fondations en bois avaient bien étaient installées pour prévenir des éventuelles crues. Naturellement sombre, nous pouvons quand même distinguer quelques ombres se dessinant sur les murs de l’antre. C’est à ce moment qu’un homme était à notre portée, postiché au bord du sol en planches en train d’uriner à même la mer. Instinctivement, le tireur braque son arme vers lui. De suite, je l’interromps d’une tapote sur l’épaule.

    Attendons qu’il se retourne.

    Au fur et à mesure de notre progression, on pouvait entendre des rires éclater et distinguer des flammes, et d’autres hommes. C’est là que nous nous allongeons du mieux possible contre le sol de la barque pour enfin arriver au niveau des fondations. Personne ne nous a encore vu, nous avons encore une chance de les prendre par surprise. Eliel lui retient la progression du navire afin qu’il ne cogne pas contre l’un des piliers, risquant de nous faire immédiatement griller. Une fois stabilisé, nous nous mettons côte à côte, toujours dans l’embarcation afin de cerner les lieux, laissant juste dépasser nos yeux à hauteur du sol construit par les malfrats. Sur notre gauche se dressait une petit tour de fortune, servant probablement de tour de guet aux margoulins.

    Une bonne dizaine, tous autour d’un feu.
    On est d’accord.
    Tu te postes dans la tour ?
    De suite, tu me feras passer les jarres.
    Bonne chance Eliel, ne te fais pas tuer. Lui chuchotai-je en l’aidant à monter, le poussant légèrement au niveau des jambes.
    T’occupe pas d’moi, c’est toi qui va être exposé.

    Doucement, le fusilier use de la force de ses bras pour se hisser discrètement et atterrir sur le ventre. Je lui passe trois vases jusqu’à ce qu’il me fasse signe d’arrêter d’en passer pour ensuite se diriger vers la tour, passer son fusil dans le dos et commencer à l’escalader. A mon tour, je m’agrippe et me hisse du mieux que je peux. A noter que l’armure et les armes ne m’aident en rien pour l’aspect discrétion, causant un bruit suffisamment fort pour signaler ma position. Le plus vite possible, je me lève et avance de manière déterminée vers le groupe. Certains d’entre eux, à ma vue, se lèvent d’un bond tel des lapins.

    Chef, c’est le géant !
    Tiens, tiens. Prononça le chef de la bande tout en se levant, pour se tenir bien droit. Nous avons un invité ! Qu’est ce qui te ferais plaisir ; Bière, saucisson ?

    S’il y a bien une chose qui m’excède au plus haut point, c’est que l’on se paye ma tête. Et ce surtout quand la raillerie provient d’un individu que je me dois de trainer en justice. A une bonne dizaine de pas du groupe, je sens la rage monter et l’envie de me ruer vers eux pour les faire tâter de mon épée pourrait presque se sentir dans l’air. Ils se tiennent déjà tous prêts, la lame à la main et le regard assassin.

    Celui qui s’interposera entre moi et Davinson ira tout droit en enfer.
    Hinhinhin, z’entendez ce qu’il dit, boss ?! On va lui rabattre sa gueule à ce gros tas d’merde ! Hurla un des sbires, chargé d’entrain.
    Le blondin à la gueule balafrée de part en part passe sa main devant son laquais. J’ai juste une petite question à te poser, jeune ami. La même que j’aurai d’ailleurs posé à l’un de tes collègues. Dit-il posément en se tournant vers moi. Tu penses objectivement pouvoir faire le poids seul contre tous ces hommes qui eux, ont la rage au ventre ?
    Hum, c’est une question à laquelle je ne pense pas pouvoir répondre dans l’immédiat. Eliel, balance tout.
    Qu- ?!
    Entendu ! Qu’il crie en tournoyant, une jarre dans chaque main pour les lancer vers les pilleurs des mers. Pour ma part, je profite de la surprise causée en me ruant sur le côté pour plonger sur le sol à plat ventre et ainsi me protéger des balles. Deux coups de feu retentissent, laissant derrière eux un dangereux brasier. Des types hurlent, probablement pris en partie ou totalement par les flammes. A nouveau debout, je dégaine mes deux lames en croisant les bras, prêt pour le contact.

    Il est vrai que je n’y aurait jamais pensé ! Me lança Davinson en sortant des flammes, l’épée dégainée.
    Les flammes commencent peu à peu à s’étendre, me brouillant quelque peu la vue. C’est alors que trois hommes se ruent vers moi, me faisant immédiatement reculer. L’un arrive vers la gauche mais se fait vite faucher par le fusil d’Eliel. Le second fonce de face pour asséner un coup vertical, évité en me décalant vers la gauche, son arme ensuite coincée par mon épée. Bloqué, le brigand ne put qu’apprécier ma lame courte se logeant entre ses clavicules. Le troisième n’eut pas le temps de réagir que sa gorge s’aérait d’une belle entaille, profitant de sa mauvaise garde probablement causée par la nervosité. Alors qu’un autre adversaire s’empressait de recharger son arme, il put constater pendant quelques secondes à quel point des couteaux ne demandaient aucun temps de rechargement. Touché à la poitrine, c’en était fini de lui.

    Les balles continuent de fuser vers mon partenaire bien planqué dans sa tour. Les acolytes du primé commençaient à remarquer sa position, tirant comme des possédés avant de se retrouver à court de projectiles.




      – Chef, vous êtes sûr de vous ?
      – Parfaitement sûr. J'vais même te dire, c'est sûrement le truc le plus sûr que j'ai jamais fait.
      – Mais… Z'avez bien la situation là-bas… Imaginez, on r'vient et paf, y'a plus r-
      – Mais c'est précisément là qu'est le génie ! On part faire notre boulot, comme d'habitude, pendant que Davinson et ses troufions font je sais pas quoi, et là, hop ! Nous, on revient pas ! Pas mal non ?
      – J'pensais que not' situation elle était cool et tout.
      – T'as raison, elle l'était. Alors avant de partir j'ai réfléchi. J'ai été voir quelques connaissances, puis j'ai réfléchi. A notre avenir.
      – Et du coup ?
      – Je réfléchis toujours.

      Cornu tourna le dos à son sbire, puis s'appuya contre le barrière située à l'arrière du navire. Il ne pouvait plus voir l'île qu'il avait quitté un peu plus tôt. Pour une fois, tout était parfaitement calme.


      * * * * *


      La plupart des coups de feu cessèrent pendant quelques secondes, comme si la bataille était terminée. Ce n'était qu'en fait que les différents participants qui avaient semblait-il décidé, dans une synchronisation quasiment parfaite, de recharger tous en même temps. Les nombres étaient parfaitement déséquilibrés, seul l'effet de surprise et la petite stratégie employé avait permis aux deux attaquants d'avoir le dessus pendant un temps.

      Les tirs reprirent de plus belle. Le point fort des sbires de Davinson n'était sans doute pas leur capacité à viser. Ni même leur capacité à économiser leurs balles. Le tireur embusqué, lui, était précis et avare. Chaque balle devait compter. Sa hauteur lui prodiguais un formidable avantage qu'il lui fallait absolument garder.

      – Passe-moi ça, abruti.

      Davinson, couvert de sueur et de suie, prit des mains de l'un de ses hommes un bâtonnet universellement reconnu comme étant un explosif répondant au nom de dynamite. Il prit deux sbires avec lui, avant de s'élancer vers la tour de bois. Il lança un dernier ordre aux hommes qui restaient au sol, face au géant.

      – Celui qui me dégomme ce golem aura le loisir de s'amuser avec l'autre cruche.

      L'un des sbires se sentit pousser des ailes, et s'élança au travers des flammes en direction de l'ennemi. Il disparu aux yeux de ses camarades, dans la fumée épaisse et grise, avant de revenir dans leur champ de vision via une glissade spectaculaire contre le sol rugueux, le visage en sang et le regard vide.

      Davinson lui, avait réussi à contourner la tour en se servant de ses deux acolytes comme diversion pour le tireur embusqué, qui n'avait pas réussi à toucher le chef. Le reste de la troupe gardait l'attention du géant qui ne put empêcher la tour d'exploser et son partenaire de tomber au sol lorsque le primé eut lancé le bâton d'explosif et fit mouche. Un cri plus tard, il put entendre un sordide choc retentir, et une quinte de toux s'élever parmi les débris.

      – Un de moins.

      La balle qui lui frôla l'épaule le stoppa dans son élan.

      * * *

      Les barreaux de fer ne semblaient pas suffire, et on l'avait affublé d'un garde à l'apparence intransigeante. Il tenait en sa main un pistolet à silex pointé sur elle, la main tremblant au rythme des coups de feu et des chocs qui retentissait un peu plus loin dans la crique.

      Il était au fond, il était en sécurité. Il n'avait rien à craindre. La seule menace proche était enchaînée derrière une frontière d'acier. Après le départ de Cornu, et quelques minutes avant l'attaque, Davinson l'avait chargé de fouiller et de garder la cellule, craignant que son ancien partenaire n'ai eut certaines idées déplaisantes. Le primé n'avait aucun doute quant à la raison du départ de celui-ci, aussi se montra-t-il prudent.

      Seulement voilà. L'attaque avait débuté, et la prisonnière ne cessait de le fixer, son regard vert pénétrant le sien avec défi, comme pour le provoquer.

      – Pourquoi est-ce que je ne te tue pas directement ? T'es encore là parce que Davinson voulait s'amuser un peu et que Cornu a plaidé en ta faveur. C'est tout. A quoi bon te laisser là ?

      Il avait la voix tremblante, mais l'air déterminé.

      – Je vais simplement mettre fin à ta misère.

      La prisonnière se recula vivement vers le fond de sa cellule, là ou les ombres étaient suffisamment fortes pour que le garde ne puisse plus la distinguer correctement. Il se rapprocha naïvement, pour être sûr de ne pas rater sa cible.

      Il n'avait pas fouillé la cellule.

      Il approcha son visage des barreaux d'acier, et passa le canon de son arme au travers. Ses yeux s'habituèrent un peu plus à l'obscurité totale qui régnait dans la cellule, et la silhouette devint reconnaissable. Le garde prit une profonde inspiration, et posa le doigt sur la gâchette et s’apprêta à tirer.

      L'explosion qui retentit quelques dizaines de mètres plus loin le fit sursauter, et causa par conséquent sa perte.

      La prisonnière en profita pour lui planter un objet contondant qui n'a pas pour habitude d'être utilisé sur de la viande vivante, ce qui eut pour effet -en plus du cri strident et de l'odieuse insulte qui sortirent de la bouche du blessé- de lui faire lâcher son arme qui retomba sur le sol dans un fracas bien faible comparé au brouhaha provoqué par la bataille.

      – Ne bouge pas, s'il-te-plaît.

      C'était la première fois que le garde entendait sa voix. Elle était faible et rauque, sans doute du fait que la prisonnière ne s'était pas exprimé depuis quelque temps. Elle même était surprise de sa propre voix, comme si elle venait de retomber sur une vieille connaissance qu'elle n'avait pas vu depuis un moment.

      Elle n'était plus enchaînée. Elle possédait une arme à feu chargée. Et la clé de sa cellule. Alors il obéit. Il se tenait la main, un mince filé de sang s'écoulant sur le sol. La blessure n'était pas grave. Piètre consolation, étant donné qu'il allait probablement mourir. Il ferma les yeux, avant de s'évanouir dans les ténèbres. Il n'eut même pas le temps d'entendre le coup de feu.

      Et pour cause ; il n'y en eu pas. Seulement un coup sec sur la tempe pour l’assommer.

      * * *

      La plupart des armes à feu s'étaient tues. Les pillards étaient passé à l'arme blanche. Manque de munition, ainsi que la distance entre eux et l'ennemi qui s'était drastiquement réduite. Mais ils étaient encore nombreux. La tour de guet avait été réduite en miette et plus personne ne couvrait le géant. Ils avaient le dessus, ou du moins pensaient-ils l'avoir.

      Klara se fraya un chemin parmi les vauriens, en usant de l'épée de mauvaise qualité qu'elle avait ramassé sur un cadavre. La manier n'était pas difficile mais restait loin d'être aussi agréable que sa propre arme, jusqu'ici introuvable. Elle arriva finalement à l'épicentre de la bataille, ce qui n'était pas bien dur compte tenu de la taille de la crique. Elle para habilement un coup qui lui vient de son flanc droit, ce qui la força à tourner le dos à sa gauche, et deux autres bandit en profitèrent pour l'attaquer. L'effet de surprise qu'elle avait provoqué en attaquant par derrière avait disparu, mais ses adversaires restaient pris entre deux feux.

      Elle fit un bond sur le côté, puis un coup d'estoc pour repousser le premier assaillant. Elle usa de sa main droite pour frapper le deuxième au visage qui s'était dangereusement approché, puis para une seconde fois l'attaque de son assaillant de droite.

      Puis une troisième fois, mais elle parvint cette fois à déséquilibrer suffisamment son adversaire pour passer dans son dos dans une habile roulade afin de lui porter un coup à l'arrière de la cuisse. Le pillard tomba à genoux et ne put empêcher la chasseuse de planter son épée en plein buste. Il s’affaissa sur le sol dans un râle sinistre. Elle croisa plusieurs fois le fer avec les deux autres, avant de se dérober en reculant de plusieurs pas en arrière.

      Perdant patience, l'un d'eux se lança à sa poursuite et tenta de frapper Klara d'un coup vertical puissant, trop puissant. L'esquiver fut facile et il vacilla en avant. Il se fit désarmer lorsqu'il prit appuie sur son sabre pour ne pas tomber. Il resta impuissant devant l'attaque qui lui trancha le torse à la diagonale, de bas en haut.

      La chasseuse fit rapidement volte-face pour ne pas se faire surprendre par le dernier adversaire qui lui faisait -pour l'instant- face. Les autres étaient occupé soit à s'échapper des flammes, soit à attaquer ou à se protéger du géant.

      – Un de moins.

      Klara distingua sa voix parmi le chaos environnent. C'était lui, sa cible. Pas la chaire à canon qu'elle s'usait à combattre. C'était lui qu'elle voulait, personne d'autre. Elle enterra la rage qu'elle avait au ventre au plus profond de son être afin de garder son calme. Elle para le coup de son adversaire avant de le pousser d'un coup d'épaule. Le bandit se recula et se rattrapa à l'un des supports d'armes qui meublait la crique. Elle en profita pour s'emparer de la dague qu'il portait à la ceinture, et dans un mouvement parfaitement harmonieux tira un coup de feu en direction de Davinson par dessus l'épaule de son otage, avant de lui trancher la gorge.

      Mauvaise nouvelle ; le voyou s'était agité avant de mourir et la balle n'atteignit pas sa cible. Furieuse contre elle-même, Klara se rassura tout de même en se disant que les armes à feu étaient bien différente des arcs, qu'elle avait bien plus l'habitude de manier.
      Bonne nouvelle ; elle était maintenant libre de continuer son chemin. Les hommes de Davinson n'étaient plus très nombreux, et la plupart étaient entrain de se regrouper auprès de leur chef. Voyons la situation actuelle sous ses yeux, il changea d'avis concernant le tireur anciennement embusqué. Il le sortit des débris, puis plaça sa lame sous sa gorge. La même lame qui avait tué son pauvre ami quelque temps plus tôt. Il avait toujours le même sourire narquois sur son visage, et celui-ci, couplé à sa prise d'otage, aux flammes environnantes et au chaos général qui régnait, formait un tableau parfaitement lugubre.

      – Cornu t-aurait-il donné un coup de pouce ? Bien sûr, bien sûr. J'ai pensé à le tuer, mais je crois que ses hommes ont encore un peu de respect pour lui, bien que je ne sache vraiment pas pourquoi. Alors je me suis dis, tant pis ! Ce vieux parano finira mort noyé de toute façon, préférant sûrement se jeter dans la mer glacée plutôt que de faire face à l'adversité. Allons bon. Vous êtes doué, vous devez formez un sacré duo, je vous l'accorde. En tout cas, j'espère que vous êtes heureux de vous être retrouvé. Ça ne va malheureusement pas durer longtemps. Je pourrai tenter de négocier, mais je doute que je puisse obtenir de vous ce que je veux, c'est à dire la vie sauve, et la liberté. Pour moi comme pour mes hommes. Même si j'accepterai volontiers de vous en céder quelques uns, bien entendu. Mais, pour être honnête, je souhaite juste voir ce que vous allez faire dans cette situation bien précise. Option une : vous rendre, mais ça serait trop beau et même un peu décevant. Option deux : négocier, possible mais inutile comme je le disais. Option trois : Partir d'ici, décevant pour moi comme pour votre ami. Option quatre : Tenter de le libérer de mon emprise par je ne sais quel miracle, peu enclin à fonctionner si vous voulez mon avis. Et enfin la cinquième option -ma préférée- : n'en avoir rien à foutre. Allez-y, divertissez-moi.


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      C’est à ce moment que la situation est devenue plus délicate. A ce moment que l’avantage en notre faveur s’était envolé aussi vite qu’un moineau apeuré par un coup de feu. Eliel était maintenant désarmé et aux mains de l’ennemi, et mes tactiques d’approche s’étaient elles aussi évaporés en une fraction de seconde. De plus, l’individu que j’avais cru jusque maintenant imaginaire du fait de la réticence des locaux à m’aider avait maintenant fait irruption sur le champ de bataille. Une jeune femme, balafré et modestement vêtu sortait d’une vulgaire cage pour immédiatement charger ses ravisseurs dans d’agiles et sveltes mouvements. Malgré ses quelques séquelles apparentes, elle se débrouillait bien. Une aide précieuse à mes côtés, moi qui commençait à essuyer coupures sur coupures.

      Haletant, un filet de sang coulant le long de l’arcade et les armes et le plastron totalement ensanglantées, nous nous tenions moi et mon « allié », muette, face au reste des hommes de Davinson, lui désormais derrière cette barricade humaine tenant le quadragénaire par la gorge.

      J’ai une sixième option si tu préfères : t’infliger les pires tortures pendant des temps immémoriaux une fois que toute ta clique sera réduite en bouillie.
      Hahahaha, Monsieur n’est pas fair-play, Monsieur veut changer les règles, Monsieur me pique en même temps ma monnaie d’échange. C’est qu’il se croit tout permis celui-là.
      Bien dit, chef ! Cria un chauve, le crâne agrémenté d’un bien médiocre foulard rouge, tenant le bout de sa lame par-dessus sa main gauche comme tous ses compagnons formant le barrage.
      Toi, ta gueule. Que lui rétorqua son chef en durcissant l’étreinte contre son otage qui jusque maintenant ne pondait plus un mot. L’un de vous pourra l’ouvrir quand il se sera vraiment rendu utile parce que, là, jamais vu pire équipe de connards que vous.

      Le sbire pouffe, accentue la pression de sa main contre son pommeau avant de lancer un rapide regard à ses coéquipiers pour avancer à pas millimétrés vers nous, toujours dans la même position. Je rengaine alors la dague afin de pouvoir utiliser au mieux la force que pouvait délivrer l’épée. Moi aussi en position ainsi que l’étrangère, la préparation au dernier assaut était maintenant faite, malgré la fatigue. C’est alors que, coup de théâtre, une grosse voix retentit contre les murs de la grotte.

      Hey ! C’est bien beau ce p’tit jeu, certes. Mais j’ai quand même mon mot à dire dans l’affaire, nan ?! Crie le tout nouvel otage malgré la pression du coutelas lui pressant douloureusement la gorge. Après une courte pause, Eliel s’exprime alors d’une voix rauque et fatigué. A l’époque, on avait un dicton qu’on se répétait toujours entre collègues, notre propre invention !
      Interrogatif, relevant un sourcil pour observer son captif d’un air suspect, Davinson ne prit même pas la peine de relever la naissance de cette scène étrange. « Bien… le paysan brise le silence. » pensa-t-il surement.
      Alors… c’qu’on disait c’était que… « Chez l’élite, c’est comme au poker. » Vous pigez pas, hein ? Z’allez vite comprendre. « Chez l’élite, c’est comme au poker. Toujours un joker sous la manche ! » Juste après, un petit canon jaillit – comme si bien dit- de la manche de l’homme tenu en joue. Le faisant passer juste au niveau de ses côtes. Une détonation retentit, suivit d’un terrible cri, puis une autre, puis un autre cri…provenant d’Eliel.

      A peine a-t-il eu le temps de dégainer pour faire feu sur son oppresseur, le blessant au niveau du bas ventre pour ensuite user d’une seconde balle, se nichant dans le crâne d’un des larbins qu’il se retrouvait alors sans défense et au milieu de tous ces chiens enragés. Même pas le temps de souffler que plusieurs des pilleurs abattirent leurs lames sur celui maniant le fusil comme il le voulait.

      C’est qu’il se relève difficilement, le chef blondin après une telle attaque surprise. La main au niveau de l’impact, on pouvait apercevoir une belle quantité de sang s’échappant de l’orifice. Il frappe et crache maintenant sur le cadavre tout frais de mon jeune partenaire, ce connard de Davinson ne peut s’empêcher d’enchainer ses blagues aussi pitoyables les unes que les autres.
      Un joker… HAHAHAHA ! Un pistolet pour gosse, fumier. Heureusement que j’porte toujours ma fidèle côte de maille sous ces fringues. C’est qu’il aurait pu me tuer, ce fourbe. Cria-t-il avant de recracher un mollard bien volumineux dans le visage du fin tireur. Bon, c’est pas tout mais grâce à lui la quasi-totalité d’la grotte est maintenant en cendre. J’ai ni envie d’crever brûlé et encore moins de finir à la flotte. Alors vous s’rez gentils, vous m’les butez une bonne fois pour toutes ? Ce sera une semaine d’hôtel et de putes à ceux qui reviendront vivants héhéhé. C’est qu’ils m’ont laissés une barque, en plus, les coquins. Qu’il murmure avant de marcher à reculons tout en prenant le soin de taper dans le dos de deux de ses hommes en guise de garde rapprochée.

      Je tourne alors la tête vers la jeune femme ayant fait irruption durant le combat, fauchant sur son passage quelques-uns de mes ennemis.

      Hors de question qu’il se fasse la malle pour devoir encore lui courir après. Maugréai-je. Et je serais étonné que tu penses le contraire. Je vais m’occuper du reste des hommes et te frayer un chemin jusqu’à Davinson avant qu’il ne reprenne la mer, il ne fera pas long feu avec sa blessure de toute manière. Conclue-je avant de lui lancer ma lame courte et une petite bourse. Emmène-le à l’endroit indiqué, si tu peux. Et si je ne reviens pas, fais ce qui te chante avec la prime. Maintenant, ça va commencer.

      Tenant fermement mon épée à deux mains, j’avançais tel un forcené vers le groupe pour maintenant faire face au dégarni pourvu d’un bandeau. Il porte un coup d’estoc que je pare en formant un arc de cercle de la droite vers la gauche pour directement tenter de lui trancher la poitrine, coup qu’il esquive habilement. Me reculant tout en faisant tournoyer l’épée dans ma main, le voilà qui me charge avec toujours le même coup. Dommage pour lui, moi qui possède des gants de mailles pouvant stopper le tranchant d’une lame. Retenir son arme tout en me déviant pour la retenir et lui décrocher la tête des épaules était alors une tâche forte aisée.

      C’est à ce moment-là que je me retourne vers ma partenaire, la foudroyant d’un regard on ne peut plus sérieux.

      Maintenant.



        – Bordel. Putain.

        Il avait perdu de sa superbe. Ses cheveux blond étaient devenu foncé et semblaient vouloir écraser son crâne. L'éclat bleu clair de ses yeux avait laissé place à un regard assombri, presque voilé. La main sur l'estomac, il s'extirpa difficilement de l'eau et s'avança sur la plage en s'aidant de sa main libre.

        Davinson parvint à parcourir plusieurs mètres avant de comprendre qu'il avait besoin de se reposer quelques minutes. Il se laissa tomber sur le sable, et apprécia les gouttes de pluies qui lui rafraîchissaient le visage. Le calme fut cependant de courte durée, et il entendit rapidement d'autres pas, plus léger, non loin de lui. Il releva la tête jusqu'à apercevoir la silhouette qui le traquait depuis bien trop longtemps à son goût.

        – Évidemment. Ça ne t'as pas suffit de massacrer mes hommes ? Votre soif de sang n'a donc pas de limite, hein ?

        Il souriait, tandis qu'il se remettait sur pieds. Il serra dans sa main gauche le manche de son épée qui ne l'avait jamais quitté. Une œuvre d'amateur, mais le style général de l'arme lui convenait parfaitement. Il la planta dans le sable et caressa de son pouce le crâne qui l'ornait.

        Face à lui se tenait Klara, épuisée elle aussi, qui secoua sa tête comme un chien mouillé. Quelques entailles lui parcouraient le bras, l'épaule et le visage. Elle avait réussi à rattraper le primé à et l'éjecter de son moyen de transport précaire, au prix de quelques blessures et de sbires tombés dans les fin fond marins. Et à présent, ce n'était plus qu'elle et lui. Enfin.

        Le pas lourd, Davinson s'avança en premier, excédé et pressé d'en finir. Il fit virevolter son épée dans la main dans un geste outrancier et provocateur.

        – Après toi et ton pote, j'irai rendre visite aux jolis petits habitants de cette jolie petite île. Le feu que vous avez foutu chez moi m'a donné une idée sur la suite des opérations. Le doyen passera sûrement en dernier, après son connard de fils. Enfin bon, en attendant…

        Il porta le premier coup.

        Il parvenait, malgré sa blessure qui ne cessait de saigner, à parer et esquiver les coups de Klara qui se faisaient de plus en plus lent et désordonnés. Il usa de toute ses forces -et arracher par la même occasion un cri strident de douleur- afin de porter un énorme coup à la verticale qu'elle ne pu parer qu'en sacrifiant son équilibre.

        Davinson en profita alors pour lui asséner un coup de poing directement dans l’œil. Elle fut repoussé jusqu'à l'un des gros rochers qui jonchaient la plage, qu'elle utilisa comme appui, jusqu'à ce que son adversaire ne la cogne une seconde fois, avant de jeter son épée sur le sable mouillé et de s'équiper à la place d'une longe dague acérée, bien plus adapté à la situation. Il repoussa les assauts de Klara d'une main, tout en levant sa dague de l'autre, laissant sa plaie à découvert. Malgré son ascendant, il ne parvint pas toucher la gorge de son ennemie, la dague déviée au dernier moment par celle-ci avant de s'enfoncer dans son épaule.

        Davinson souriait, pensant le combat maintenant gagné. Il n'avait plus qu'à balancer une dernière phrase avant de l'achever, et il pourrait continuer son chemin. Seulement, Klara décida d'user du seul coup qu'il n'avait jamais su esquiver.

        Le coup de boule renvoya son crâne en arrière, mais il ne céda pas pour autant, fermement accrocher à sa proie. Le second cependant le sonna suffisamment pour qu'elle puisse se sortir un minimum de son emprise durant de précieuse seconde, qu'elle utilisa pour porter un coup aussi fort qu'elle le put dans l'estomac du bandit, droit dans sa blessure par balle. Il tituba. Elle arracha la dague de son épaule dans un cri de douleur, la prit à deux main et se jeta sur son assaillant, la plantant à l'endroit qui semblait le plus accessible et le moins protégé. Elle s'écroula au sol, se tenant l'épaule par la main, tandis que Davinson titubait en arrière. Sa main tâta sa clavicule, sentant le sang -son sang- s'écouler rapidement.


        * * * * *


        Quelques temps plus tard...


        – Pardon ?

        Le vieux crasseux -comme elle l'appelait maintenant mentalement- sursauta. Effrayé, il tentait de se cacher derrière sa femme qui montrait un peu plus de courage que lui. Finalement, après avoir dégluti pendant ce qui semblait être une éternité, le vieux paysan reprit la parole, en tentant de choisir au mieux ses mots.

        – Je… Eh bien, j-j'ai besoin d'outils vous s-savez… Vraiment b-besoin. Et c-comme je pensais que vous n'allais p-plus en avoir besoin… Je… Enfin, v-voilà quoi. Je l'ai fon-fondue.
        – Vous avez fondu mon épée ?
        – … O-oui… Pour des o-outils ! Très importa-tant !
        – Vous avez fondu mon épée ?
        – Oui… C-c'est ça…
        – Vous avez fondu mon épée.

        Klara soupira et réfléchit en regardant le vieux paysan dans les yeux pendant de longues secondes, chacune créant chez lui une autre goutte de sueur lui glissant du front jusqu'au sol sale de la maison. Elle avait l'air fatigué, presque morte. Elle posa sur la table -où l'attendait, il n'y a pas si longtemps, un bon bol de soupe- un sac en toile, dont le dessous était rouge sang. Le contenu semblait lourd et sphérique. Le paysan frissonna.

        – E-et, et Davinson ?
        – Dans l'incapacité de nous ennuyer. Même si vous, il ne vous a jamais vraiment ennuyé, je crois.
        - Et b-bien…
        – Ouais.

        Elle dégaina l'épée qu'elle portait à la ceinture, de qualité médiocre comparé à son ancienne arme à laquelle elle était particulièrement attachée. Le manche était cependant assez soignée ce qui la distinguais d'autres armes faites en séries que les sbires en tout genre portaient. Noir, avec un petit mais remarquable crâne taillé en guise de pommeau.

        – Ça fera l'affaire.

        Elle s'approcha à pas lent de l'homme à qui elle devait sa blessure à l'arrière du crâne, épée à la main, le regard noir.

        – Rien d'autre ? Demanda-t-elle sur un ton peu rassurant.
        – Euh… n-non.

        Elle hocha lentement la tête, avant de rengainer son arme fraîchement acquise et de tourner les talons, en direction de la sortie, et n'oublia pas de récupérer le sac ensanglanté en prenant soin de bien le montrer au vieux paysan. L'air frais de l'extérieur lui rappela à quel point cette maison empestait un mélange de crasse, de pourriture et d'alcool. Elle se massa doucement l'épaule avant de reprendre sa route, plus que pressée de quitter cet endroit.

        – Attendez…

        C'était une voix que Klara n'avait jusqu'alors jamais entendu. La femme du vieux crasseux, qui l'était d'ailleurs nettement moins que lui, la rattrapa et lui pris le bras, avant de se raviser.

        – Tenez, fit-elle timidement en lui tendant une chaîne de collier à laquelle pendait un petit cadre contenant une fleur aplatie et conservée par un procédé qui était totalement inconnu à la chasseuse. C'était à… quelqu'un comme vous. J'ai réussi à le cacher pour éviter que mon mari ne s'en débarrasse. Je ne sais même pas pourquoi j'ai fais ça… Mais tenez.

        Klara remercia la femme, surprise et penaud. Elle ne savait vraiment pas quoi dire. Fort heureusement pour elle, la femme du paysan s'empressa de rentrer chez elle, évitant à ce moment de blanc tout à fait gênant de ne pas durer au-delà du raisonnable.

        Il était temps de partir. Le sac en toile dans la main, prenant soin de le tenir le plus loin possible de son nez, elle prit la direction de la plage, avant de regretter d'avoir laisser son agresseur en paix.


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        Quelques instants avant la mort de Davinson…

        Toujours acculé dans la grotte, le feu commençait à manger de plus en plus de terrain, avalant lentement et dans son brulant baiser le bois faisant jusqu’alors office de sol pour tous ces gredins. Il n’en restait plus beaucoup, maintenant. Tremblants, les lèvres serrés et les sourcils se mouvant comme pour exprimer tantôt de la colère, tantôt de l’incertitude. Pas l’un d’entre eux n’osait s’approcher, moi toujours en position de combat, l’armure et la face couvertes de sang, toujours prêt à charger dans le groupe tel un fou furieux. La réalité était en fait tout autre. Moi, comme eux, était tout aussi épuisé, et ce que je leur réserverais en cas de refus d’obtempérer va drastiquement faire pencher la balance en ma faveur. Et il me fallait faire vite, la chaleur des flammes dans mon dos deviendrait vite insoutenable.

        Vous pensez vraiment qu’il vous offrira ce que vous voudrez en lui ramenant ma tête ? Que je leur lance à la figure en pouffant juste après. De la bonne chair à canon, surement le seul rôle qui vous sied à merveille. Alors, si vous tenez à la vie, partez.  
        C’est alors que les hommes firent les gros yeux, comme étonnés par la teneur de mes propos. On peut plus retourner en arrière. Le chef va probablement crever quelque part comme un chien et la plupart de nos potes sont morts. Alors, si –moi, car j’en ai plus rien à foutre de l’avis des autres- je peux encore me battre, j’vais l’faire. Me renvoya calmement un pilleur, à la coiffure ébouriffée et noire de jais et à la peau rougeaude en s’avançant calmement, armé de sa lame et d’un petit écu. Après de longues secondes d’hésitation, le reste du petit groupe s’avança –surement à contrecœur- pour alors m’encercler.
        Eh bien, je vous avouerais que je m’attendais à ce genre de réaction. Dis-je tout en fermant les yeux autour des brigands, eux médusés.
        Qu’est-ce qu’il fout... ?

        La voie du berseker:

        L’instant d’après, Hevrard ouvrait les yeux, colorés d’un bleu ciel bien plus prononcé qu’à l’accoutumée. L’air fatigué du géant avait comme disparu, et l’actuel était parfaitement neutre. Jaugeant ses ennemis par de rapides coups d’œil, la meute se lança maintenant vers lui, dans un hurlement guerrier. Ce contact allait être décisif, spécifiquement le dernier.

        Tout en se décalant et en tournant sur lui-même, le golem évite la première attaque tout en balayant l’arme de son agresseur dans un coup semblant nonchalant pour profiter de la garde inexistante du bandit pour offrir une entrevue entre son poing et le visage du gredin. Rapide volte-face, deux autres hommes se tenaient côte à côte pour arroser le guerrier d’une pluie de coup aussi incessante qu’une tempête en pleine mer. Se mouvant sur le côté une fois de plus, le nordique ne put cependant éviter l’épée l’entaillant par-dessous l’armure au niveau des côtes. Le col de son assaillant solidement tenu, celui-ci se vit immédiatement projeté par une force herculéenne contre son partenaire, laissant le temps au combattant menant la bataille de s’occuper de l’adversaire au bouclier, plus assuré et trapu que les trois autres.

        L’épée d’Horlfsson s’abat avec fracas contre le rond de bois une fois, puis deux, pour ensuite tenter un coup de taille au niveau de la gorge dans un rapide tournoiement, coup esquivé de justesse. Le géant dans son armure ne laisse aucun répit à son adversaire, pour continuer dans un enchainement de trois coups. Deux d’affilés dans l’écu, causant de terribles fourmillements dans le bras de l’homme de main, profitant d’un écart de celui-ci pour le tailler dans le bas ventre. Laissant échapper un râle synonyme de douleur, il décide alors de se servir de son écu comme d’un projectile, surprenant alors Hevrard qui perdit l’équilibre pendant quelques secondes ; N’ayant pas le temps de stopper la course folle et désespéré du boucanier. Dans un moment de détresse et profitant du terrain, le grand barbu abattit son épée devant lui, précisément contre le sol fragile, le fendant net, le pirate des mers se retrouvant alors dans l’eau poisseuse de la grotte et mortellement blessé. Même pas le temps de respirer qu’un autre lui saute dans le dos pour s’accrocher comme un singe, plongeant à l’occasion sa dague dans la poitrine du bétail. Pas un signe de douleur, juste que le gus n’eut le temps de rien d’autre après avoir porté son coup. Saisi par la nuque et abattu contre le sol, la lourde botte du martial eut facilement raison de la boite crânienne du brigand semblant affamé.



        Les deux ennemis restants étaient dans les vapes, et nul envie de jouer l’homme plein d’honneur et de principes. L’arme au poing, leur exécution –simple et rapide- ne se fit pas attendre. La grotte maintenant était totalement embrasé. Il m’était impossible d’emporter avec moi le cadavre d’Eliel, ne possédant même plus de moyens de me déplacer dans l’eau. C’est alors que je retire mon armure, pièce par pièce ainsi que mon haut afin de l’emballer dans ma veste de laine pour la transporter attaché au cou tel un baluchon. L’épée à la ceinture et le « sac » sur les épaules, je jette un dernier regard en arrière avant de me jeter à l’eau tout en me demandant ce qu’il était advenu du sort de Davinson. La jeune femme avait-elle honoré ma demande ? S’en était-elle sorti face au primé ?      
         
        La berge du village n’est pas loin de la grotte, mais le poids de l’armure et les blessures reçues me demandent beaucoup d’efforts ; Et c’est mollement que je m’écrasais sur le dos, le sac à mon côté ainsi que les petits vagues salés me fouettant régulièrement. Pas l’ombre d’un chat à proximité, me voilà seul étalé au bord de la plage à me perdre dans le ciel de plus en plus grisaillant.

        Je me remets sur pieds difficilement, désormais torse nu, le tronc présentant de profondes entailles toujours sanguinolentes et respirant comme un taureau. Mon travail sur cette ile touche maintenant à sa fin, mais il me reste une toute dernière chose à faire : annoncer la mort d’Eliel. J’agis purement par devoir, et ne m’attarderai aucunement sur le deuil et la tristesse de son épouse.

        Au loin, on pouvait apercevoir d’épais nuages de fumée noirâtre.



        Chose faite, je ne pense pas être resté plus de cinq minutes dans l’habitacle avant de tourner les talons, le cœur tâché d’une certaine amertume. Il faisait lourd dehors, et les nuages adoptaient un aspect de plus en plus menaçant. Rien de tel pour me dissuader de passer une dernière bonne nuit sur l’ile pour me reposer et panser ces blessures avant de me rendre au point de rendez-vous. Je n’ai d’ailleurs pas pris la peine d’aller annoncer la dissolution de l’équipe de Davi au doyen. Un vieillard perfide comme lui n’en aura pas pour très longtemps à subsister ainsi, il est plus sage de le laisser à son sort, lui et son fils. Je n’aurai des regrets que pour Sian, j’espère qu’il grandira bien et saura faire face à son handicap.  

        [***]

        Le lendemain, c’est l’heure du départ. L’armure bien nettoyée et l’épée bien aiguisée, je range correctement la chaumière avant de fermer la porte et me diriger vers la plage. La grosse clé est laissée sur la poignée. La veille, j’ai pu repérer une petite embarcation que je prendrai volontiers avant de tourner le dos à ce trou à rat. Et, peu importe à qui elle appartient, elle me sera probablement plus utile.

        Alors que je pousse la barque à l’eau, j’entends quelqu’un se rapprocher. Je me retourne et me rend alors compte que je n’avais jamais vu la personne auparavant. Chauve et maigre, le type s’avance pour s’arrêter à un bon mètre de distance. Nous nous regardons dans le blanc des yeux, lui la tête un peu penché et toujours muet. C’est là qu’il porte une main à la ceinture et se met à regarder la mer, les yeux plissés.

        C’est une matinée calme, Hevrard. Je n’en avais pas connu des comme ça depuis un moment déjà.
        Qui es-tu ?
        Probablement celui qui t’as sauvé la vie. Bien qu’ce soit un peu présomptueux de sortir ça comme ça.
        Mon sauveur… lui répondis-je l’air songeur avant de rire, les dents serrées et apparentes. Tes blagues ne vont pas m’amuser longtemps, alors répond franchement.
        Ah, pardon, c’est vrai. Me répondit-il suivi d’un ton quelque peu provocateur. Moi c’est Cornu, celui qui a transmis un message à ce défunt Eliel, qui te l’a ensuite transmis. Et, encore, je t’avoue être agréablement étonné de te voir encore en vie. Comme quoi, on se trompe souvent sur les gens. Je présume que c’en est fini de Davi ?
        Probablement. La dernière fois que je l’ai vu il s’est pris une balle. S’il est en vie à l’heure où on parle, il doit être à l’agonie en train de crever quelque part.
        Hm… Ça m’va, du bon boulot tout ça. Tu as fait le bon choix en le tuant, Hevrard. Le monde tournera mieux sans lui.
        Peut-être. Rétorquai-je sur un ton placide tout en continuant à tranquillement pousser la barque à l’eau.

        Lui, sans un mot, tourna les talons pour marcher doucement le long de la plage. A peine avait-il pris la route que je l’interpellais une ultime fois.

        Cornu ? Lançai-je tout en m’avançant dans le but d’arriver à sa hauteur.
        Ouais ?
        Merci d’avoir éloigné sa bande, hier.
        Boh…Pas d’quoi t’sais. C’est moi qui te remercie, en fait. J’en avais plein l’cul de ses choix à deux b-

        Celui qui avait trahi Davinson me tenait désormais dans la main. Plus précisément tenu par la gorge et décollé du sol.

        A mes yeux, tu es toujours l’un de ses laquais.

        Et sans autre forme de procès, je lui brisais la nuque.

        Laissant son corps ballant dans le sable à l’observer pendant plusieurs secondes, je reculais de la scène pour monter dans la barque et me mettre à ramer.
             
        Au loin, je pouvais apercevoir les nuages s’écarter pour laisser place au soleil.