A l’heure du souper, dans une banale chaumière. Un couple de quadragénaire est attablé autour du repas, « comme à leur habitude » jugerait le premier témoin de cette scène anodine. Mais ce soir-là, l’homme de la maison n’a pas l’air dans son assiette. C’est un bon vivant pourtant, comme la plupart des gens de l’ile. Toujours alléché par l’odeur de la bouffe et le gosier constamment empli de sa dense salive. Même pas sa bonne femme est en mesure de lui remonter le moral, ce soir-là. Aujourd’hui il n’est pas bien ; et on dirait que personne n’a l’air en mesure d’aider ce pauvre bougre.
T’as mangé dehors ? Chez tes copains, j’suis sûr. Dit-elle en remplissant les assiettes pour poser le plat entre les deux couverts.
Nan. Lui se retenant la tête de sa grosse paume rugueuse, à fixer inlassablement son ragout. C’est quoi alors ? T’as perdu aux cartes, un pari ? A voir ta tête on dirait que quelqu’un est mort. Répond-t-elle en mettant un coup de fourchette dans son écuelle.
Ahlala. Poussa-t-il dans un long soupir, le regard maintenant porté vers la fenêtre.
J’espère vraiment que c’est pas ca. Beh alors ?! Dit moi ce que c’est. J’suis pas là pour gérer tes crises sans même savoir ce qui se passe. Tu es comme ça depuis que t’es rentré et moi je reste collée à ton cul en te demandant ce qui se passe, sans réponse. Alors tu sais quoi ? Ce soir tu dors dans la paille. Fallait pas m’faire chier Eliel, t’as tout gagné. Silencieux, les mains bien à plat sur la table, les yeux ronds et les lèvres parfaitement plates, il se décide enfin à parler après une telle prise de position venant de sa conjointe.
C’est Auscar. Il est parti y’a déjà un moment pour… voilà. Et il est toujours pas revenu. C’est pas dans ses habitudes et j’ai beau le dire que personne n’en a quelque chose à foutre. Ah bon ? Auscar ? Mais non, y’a pas de quoi s’inquiéter. Ça fait combien de temps qu’il est parti ? En milieu d’après-midi. Hm, tu te fais du souci pour rien si tu veux mon avis. Ton ami est un prudent, sans oublier qu’il ne nous dit pas tout. C’est pas la première fois dans mes souvenirs que sa femme se plaignait qu’il ne rentrait pas. Et puis… sans vouloir faire ma curieuse, ils savent ce qu’ils font par rapport à tout ça, non ? En ce moment je t’avoue que même moi, je suis complètement laissé dans le flou. Lui, il le sait aussi. J’espère qu’il lui est pas arrivé malheur, putain. J’ai un sale pressentiment. Laissa échapper Eliel, le poing et les dents serrés.
Sa femme, après avoir terminé sa part, se lève pour passer derrière son gendre afin de le réconforter en l’enlaçant de ses bons bras.
Calme-toi, chéri. Et puis c’est un grand garçon, il sait ce qu’il fait. Mouais… s’il lui arrive quelque chose, crois-moi que ça va pas se passer comme ça. C’est moi qui l’dit. Si j’ai aucune nouvelle d’ici demain matin, je pars le chercher. ***
Le troisième jour sur cette île s’entame aujourd’hui. Minouche a été renvoyé, reparti sillonner les mers en solitaire si je ne retournais pas le voir, comme convenu. Me voilà tout de même bien seul dans cet endroit à l’ambiance glaciale. La journée d’hier ne se soldait que par de cuisants échecs dans ma recherche d’informations concernant cette jeune femme aux cheveux blancs. A écouter les réponses qui m’étaient tout le temps données, l’individu que je recherchais était comparable à un fantôme. « Jamais vu cette personne ici », «Si il y avait quelqu’un de nouveau, je serais mis très vite au courant ». Sans parler de ce doyen semblant aussi sénile qu’énigmatique. Notre rapide entrevue de la dernière fois me laisse toujours aussi perplexe. Et il y a ce Sian qui n’arrange rien à toute cette histoire. M’aurait-il raconté des sornettes ? Se pourrait-il qu’il soit manipulé à me donner de fausses informations pour m’éloigner de mon but ? Son père n’a pas l’air si mauvais que ça. Un homme se faisant de plus en plus vieux qui mène une vie des plus banals en compagnie de sa petite famille. J’ai quand même du mal à croire qu’il serait lié à un enlèvement. Il m’aura d’ailleurs proposé hier soir de diner chez lui, chose que j’ai poliment refusé. Et pour ce qui est du peu de questions que je lui ai posé, il ne me paraissait pas forcément suspect, ne serait-ce que son bégaiement. Je ne dois tout de même pas perdre de vue que mon objectif principal est de trouver Davinson. Mais si une chasseuse est retenue prisonnière dans les environs, il est de mon devoir d’aller l’aider, collègue ou pas. Si seulement ce gamin pouvait parler. Mais j’ai bien peur qu’il me soit impossible de lui soutirer plus d’informations. Si son dessin est vrai, il me sera surement impossible de le recroiser.
Après une courte nuit de sommeil du fait d’un matelas de piètre qualité, je décide de me rendre de bon matin au bord du village afin de respirer l’air marin. La bâtisse que l’on m’a loué est déjà bien isolée du reste des autres habitations, ne me faisant pas marcher pendant longtemps afin de profiter de ce plaisir matinal. Je ne suis pas vêtu de mon armure aujourd’hui malgré les possibles risques que je cours du fait de mon investigation. Je me sens nu sans elle, d’ailleurs ; Mais le vent peut maintenant s’engouffrer dans ces larges vêtements laineux.
Alors que je me perds dans mes pensées fixant éternellement les eaux, un hurlement retentit. La source n’est pas très lointaine, me forçant instinctivement à me tourner pour me ruer vers les lieux. Une fois proche de l’endroit, je dégaine mon épée par précaution pour ensuite regarder tout autour de moi. Personne aux alentours, juste un chariot chargé de caisses. J’entends des sanglots, il y a quelqu’un de l’autre côté. Doucement, pas à pas, je me décale suffisamment de biais pour apercevoir la personne. Une femme, agenouillé contre un corps inerte, l’arrière de la tête et une partie du dos baignant dans une fine marre de sang.
Que s’est-il passé ? Sans réponse, je rengaine la lame pour saisir la dame par l’arrière du col et la redresser illico.
Le visage couvert de larmes, elle arrive à sortir quelques mots.
On a glissé un mot sous ma porte ce matin disant qu’il avait besoin d’aide. Et vous y allez sans vous poser de questions ? Evidemment que ce n’est pas son genre. Et quand j’ai frappé aux portes pour demander à m’accompagner il n’y avait personne. C’est mon mari quand même. Du moins…c’était. Pour pleurer de plus belle.
Bon. Reculez, j’ai besoin de comprendre ce qui s’est passé. J’inspecte dans un premier temps le chariot, couvert par une sombre couverture assez épaisse. Des caisses sont entassées l’une sur l’autre, de tailles variables. A l’aide de ma lame courte, j’en casse quelques-unes afin d’examiner précisément leur contenue. Des céréales dans l’une, du petit bois dans une autre, la troisième, elle, contient de petits rouleaux de tissus. Principalement des ressources, et une nouvelle question me vient. Mais en l’état actuel des choses, lui tirer des informations serait peine perdu. Elle n’arrête pas de pleurer, chagrin qui me donnerait presque la migraine. Il me faut regarder le corps maintenant.
Un homme, dans les quarante-cinq ans, modestement vêtu et encore bien entretenu pour son âge. Ses poches ne contiennent pas grand-chose, ne serait-ce que quelque berrys. Le coup qui l’a tué est celui porté précisément à la gorge à l’aide d’une fine lame. La victime connaissait peut-être le tueur. Si l’un de ces paysans au village est capable d’une chose pareille, il me faut vite le trouver. Le genou à terre, je me relève en prenant appui sur celui-ci pour scruter attentivement les environs. Nous nous trouvons aux abords du village, sur un plateau d’herbe s’étalant sur quelques centaines de mètres. Actuellement, nous sommes sur le seul chemin pavé passant à travers la plaine.
Donc, si je comprends bien, vous recevez un message ce matin vous avertissant que votre mari est en danger. Vous sonnez aux portes mais personne n’est là. Je s-savais à peu près où il se rendait quand il s’éclipsait comme ça. C’est en voyant le chariot au loin que j’ai eu un mauvais pressentiment. Mon pauvre Auscar… Auscar, hum. Eh bien, madame, je pense que nos présences sont étroitement liées à ce petit mot reçu ce matin. Voyez sa mort comme un avertissement, et le cas où nous serions épiés en ce moment même ne m’étonnerait pas du tout. Comment ? Je ne c-comprends pas. Me répondit-elle en relevant son visage trempé étant enfoui dans ses mains.
Ne restons pas là, Madame. Je me rends compte maintenant que quelqu’un m’a menti ici et que la sécurité des habitants est mise en jeu. Lui dis-je en la relevant de manière un peu brusque par le bras. Quelqu’un viendra s’occuper du chariot et de votre mari. [/color]
Quand à toi, Isamu, si tu me mens devant le fait accompli, je te casserai en deux.
***
Plus loin, toujours sur cette fameuse plaine, deux individus sont couchés sur le ventre dans les hautes herbes. L’un d’eux, d’apparence bien distinguée semble concentré vers la scène à laquelle il assiste.
Le v’là ton géant. Passe-moi la longue vue, tu veux ? Prononça calmement le blondin avant d’observer précisément la scène.
Oui, oui. Alors, t’en pense quoi ? D’habitude il porte apparemment une armure. J’en pense seulement que sa pilosité faciale est bien prononcée. Très drôle, et je me demande aussi quel intérêt y’avait d’faire ça. Pas de réponse, ne serait-ce qu’un regard désapprobateur.
Il en est que j’aime voir le visage de ceux à qui j’ai affaire, Cornu. Ah…chacun son style, hein. Mais…pour le reste ? Quel reste, Cornu ? Bah…buter un pov’ type pour ensuite montrer son cadavre à sa femme. Dans un bref soupir, l’homme aux côtés de Cornu baissa les yeux pour ensuite remballer son outil.
Il est temps de partir, j’ai vu ce que je voulais. Debout et en train de marcher, le personnage proprement vêtu asséna une tape dans le dos de celui qui l’accompagnait.
Pour répondre à ta question, Cornu, vois ça comme une forme d’amusement. C’est génial Davi, t’auras finalement choisi de faire n’importe quoi. ***
Arrivé devant la maison du doyen, le voilà qui sort, d’ailleurs toujours vêtu de la même manière pour m’accueillir moi et la récente veuve au bas de sa porte.
Bien le bonjour, Monsieur dont le nom n’est utile à personne, que me vaux votre venue ? dit-il avant de marquer un air étonné face au visage en pleur de la dame.
Si vous le permettez, j’aimerais m’exprimer à l’intérieur. Un regard à gauche, puis à droite.
Entrez donc monsieur, madame. Que l’ancien fit d’un geste du bras pour nous accueillir.
Une fois à l’intérieur, je marque un temps d’arrêt face à la particularité du mobilier, quoique luxueux pour un ancien croupissant dans ce trou. La maison n’est pas grande mais les meubles ne manquent pas et ne sont pas aussi miteux que je me l’imaginais. Des tentures aux motifs variés venaient aussi agrémentés ces tristes murs.
Vous ne vous embêtez pas à ce que je vois. Lâchai-je sur un ton sarcastique tout en guidant la femme endeuillée de par mon bras.
Nous sommes réunis pour débattre de ce sujet ? Non, tout d’abord excusez-moi de raviver votre peine, madame. Son mari, Auscar, a été retrouvé mort il y a peu à l’écart des habitations. La première chose que je demande donc est que vous dépêchiez des hommes afin de lui offrir une sépulture décente. Par tous les dieux… Auscar…. Dit-il en posant la main contre sa table. Comment est-ce possible ?! Où est-il ? Vers l’est du village, sur la plaine herbeuse. De toute manière, vous ne pouvez pas le rater, il est juste à côté d’un chariot remplis de caisses à ras-bord. Alors, vous allez envoyer quelqu’un pour l’enterrer ?! O-oui, oui, ce sera fait, c’est promis. Qu’il répond, visiblement abasourdi, le regard dans le vide.
Après ses mots, je me tourne vers la veuve pour m’exprimer de manière assez ferme.
Je peux comprendre votre peine, mais il me faut discuter seul à seul avec Isamu. Vous l’avez entendu, quelqu’un va s’occuper de votre mari. Et, pour ma part, je m’engage à retrouver le responsable. Rentrez chez vous, s’il vous plait, quelqu’un viendra au besoin s’il vous manque quelque chose. Merci beaucoup. Fit la femme en deuil avant de repartir doucement vers la porte.
Je…je ne sais pas quoi penser. C’est h-Isamu, écoutez-moi bien maintenant car je ne vais surtout pas me répéter. Vous me dites avant-hier mener une vie paisible comme tous les habitants d’ici pour que je vienne maintenant vous annoncer la mort de l’un des vôtres. Je veux maintenant savoir ce qui se passe ici, ce qu’il en est de cette mystérieuse femme aux cheveux blancs que personne n’a vu sauf votre petit-fils. Réfléchissez bien à votre réponse, « Monsieur le doyen », vous n’aurez pas de deuxième chance. Lui dis-je en haussant le ton en crescendo.
Il déglutit, n’ose même pas me regarder dans les yeux.
Bien, je ne peux plus vous mentir, visiblement. Mais promettez-moi d’abord une chose. Fini ces petits jeux de promesses, j’en ai plus que marre, vieillard. Dans ce cas mes lèvres seront scellées de manière éternelle. Rétorqua-t-il, légèrement tremblant en gardant maintenant son regard fixé vers le mien.
Je fais un pas vers lui, puis un autre pour maintenant m’incliner à sa hauteur.
Gardez bien en tête que je n’aurai que faire que de torturer un vieillard pour obtenir ce que je souhaite. Compris ? Mais dites toujours ce que vous voulez que je vous promette, que je rigole un peu. Vous…vous… vous allez tout savoir. Mais laissez les habitants en dehors de tout ça. Je vous écoute. Après un moment de silence, il se décide enfin à parler.
Davinson se terre ici, avec tous ses hommes. Eh bien voilà. Leur repère est dans une grotte à la périphérie du village. Je peux vous indiquer l’endroit exact si vous le souhaitez. Ce serait bien, oui. Mais, avant toute chose, vous vous rendez bien compte que vous avouez avoir caché des criminels recherchés ? Si je l’ai fait, c’est pour que tous les habitants ne manquent de rien. Gardez vos belles paroles pour vous. Dernière chose, auriez-vous quelque chose à me dire là-dessus ? Lui dis-je en lui tendant le dessin que m’avait offert Sian.
C’est un dessin de mon petit-fils. Lisez ce qui est écrit. Papa est méchant. Hinhinhin, sacré Sian. Il a toujours été curieux, maintenant que j’y pense. Le dessin est vrai ? Son père séquestre une femme ? C’est plus compliqué que ça. Mais encore une fois ne lui faites rien, c’est moi qui doit recevoir le blâme. Soit. La femme dessinée est une chasseuse de primes. Mon fils, quant à lui, se charge de les attirer chez lui, pour les assommer et les livrer à ces boucaniers. D’ailleurs, ça n’aura pas pris avec vous. Je n’aime pas la soupe. Enfin, je vais vous dresser un plan pour vous y rendre. Mais c’est à vos risques et périls. De ce que j’ai pu voir, ils vous dépassent largement en nombre. Ce n’est pas difficile à deviner. [/color]
Les choses auraient pu finir autrement. L’arrangement était honnête au départ. Des pilleurs qui demandent cachette contre une partie de leurs ressources. Mais voilà comment ça dérape, ce genre d’individus sans foi ni loi changent très vite de cap. Hum, hum, absolument. Je dois partir, maintenant. Il serait quand même bête que vous vous fassiez tuer. Le sang à assez couler, vous ne pensez pas ? Non, pas assez. ***
Le jour même, vers la tombée de la nuit.
Alors que je restais dans ma location à finement aiguiser mes armes et à rembourrer mon armure au maximum tout en pensant à un plan pour défaire l’équipe de Davinson et en même temps sauver cette jeune femme, on frappe à la porte. Directement, je me lève et me dirige vers l’entrée tout en prenant soin de glisser un couteau à l’arrière de mon pantalon. Une fois la porte ouverte, personne derrière. Curieux, je m’avance pour observer les alentours et faire un petit tour de l’habitacle. La pénombre grandissante ne m’aidant pas, je décide de rebrousser lentement chemin pour rentrer. Et c’est à ce moment que je comprends une erreur qui aurait facilement pu être évitée. J’ai laissé la porte ouverte. Lame sortie, j’entre lentement dans la petite habitation. A peine la porte passée, le son d’une arme chargée retentit juste derrière moi.
Lâche ton couteau. Prévisible. Chose faite, couteau se plantant dans le sol.
Toi et moi on va faire une petite ballade, avance. Et surtout pas de geste brusque, mon grand, je te fais sauter vite fait l’caisson si tu fais le mariole. …
Où tu m’emmènes ? Ta gueule, met toi au bord des rochers maintenant. M’ordonne-t-il en me poussant du bout de ce qui semble être son fusil. J’ai tout entendu de la conversation qu’t’as eu avec le doyen. Et j’mettrai ma main au feu que c’est toi qui a buté mon pote. T’es avec eux, hein ? Je n’ai rien à v- TA GUEULE ! Comme par hasard t’arrive sur les lieux en cinq minutes, t’arrive ici et il disparait pendant presque une journée. Fumier, dit adieu à ce monde. Réfléchis deux minutes. Mon but est d’aider les innocents, pas de m’amuser à leur trouer la gorge. C’est surement Davinson qui a commis un tel acte, ou du moins un de ses hommes. Et je me suis personnellement engagé à le faire payer lui et ses laquais. Il renifle vivement avant de reprendre.
On s’aimait comme des frères, ça faisait maintenant deux ans qu’on était installé avec nos femmes ici. On en a connu des trucs, fallait pas nous faire chier à l’époque. Maintenant c’est fini… mais j’ai quand même envie de vérifier c’que tu viens d’me dire. Par contre, si c’est des foutaises, c’est moi qui te tuerais. Entendu, je peux abaisser les mains, maintenant ? Ouais. Répondit-il en rengainant son fusil, canon vers le sol.
Si c’est vraiment cette bande de sous-merdes qui ont tué Auscar, je veux me joindre à toi. Sa mort doit pas rester impunie, et je sais me servir de c’fusil les yeux bandés. C’est parfait, dans ce cas. Tu as le temps ce soir ? Nous allons avoir besoin de visualiser un minimum la situation si tu es vraiment déterminé à me prêter main forte. Evidemment que j’suis chaud. On les crève ces salopards. Allons là où je loge. Par contre, si je rentre et que mes affaires sont abimées, l’alliance est rompue. …
Côte à côte devant la table, illuminée par une simple lanterne, nous étions alors en pleine réflexion quant à notre manière de procéder. Mon tout nouveau partenaire était alors en train de dessiner le repère sur un rouleau de parchemin, toujours subtilement ancré dans ses souvenirs.
Bon, j’y ai été que quelques fois et ça remonte maintenant à un petit temps pour conclure le deal entre le chef et le doyen, j’sais pas si t’es au courant. C’est une grotte quasiment collée au village qui se retrouve bien inondée à des moments de l’année. Du coup, ils ont quelques structures de fortune histoire de se tenir en hauteur quand la flotte se pointe. Sinon, c’est une installation hyper basique, t’vois ? Un sol en planche, quelques endroits où sont posées leurs caisses après ils font des feux et s’amusent comme ils le peuvent. M’enfin, rien à foutre. Maintenant place à l’équipement, l’est pas folichon leur bordel. Z’ont un navire à eux tous, et en arme j’pense bien qu’ce soit l’minimum : lames et flingues. Et en effectif, tu aurais une idée ? Pas d’idées précises, une trentaine environ. Mais la plupart va souvent piller en mer, du coup beaucoup s’cassent à ce moment-là. Ils auraient un rythme par rapport à leurs voyages en mer, tu penses ? Ca je sais pas du tout, franchement. On pourrait r’garder quand le navire se tire pour attaquer. Et à ce moment, on serait prêt à les baiser. Ça me va, tu es équipé ? Quelle question ! Répond-t-il en se saisissant de son fusil posé contre le mur.
Modèle dernier cri, semi-automatique l’bazar. Une bonne capacité en terme ed’ munitions, et j’te parle pô d’la puissance. Il traverse le bon cuir, quoi. Après, y’a d’autres petits joujous a la maison, héhé. Et toi, tu t’y connais en flingues ? Du tout, je n’use que de mes lames. Si je veux attaquer à distance, j’utilise des couteaux. Le combat rapproché me parle plus. Hum… ça va pas être facile à deux. On a beau être robuste mais bon, mieux vaut les prendre par surprise. J’pense déjà avoir une p’tite idée, passe chez moi d’main matin que j’te montre l’matos. Tu m’diras ce que t’en penses. Là, j’suis crevé et une bonne nuit de sommeil nous ferait le plus grand bien. Entendu, nous en discuterons demain matin. Eliel. Dit-il me tendant la main. Hevrard. On va les avoir, Hevrard. Bonne nuit à toi. De même. …
Sur le chemin du retour, la pénombre règne. Alors qu’il se trouvait non loin de chez lui, Eliel fut subitement alpagué par un individu. Pris par surprise et le couteau sous la gorge, le tout nouvel allié d’Hevrard ne peut qu’obtempérer sous peine de vite finir comme son défunt ami. Sous la menace, l’homme est forcé de s’enfoncer dans une ruelle sombre avec son agresseur.
Écoute-moi bien attentivement, je ne te veux aucun mal, déjà. Ca va faire maintenant trois jours que le géant est arrivé, et trois jours que je tente d’entrer en contact avec. De ce que je sais, il n’est pas commode alors je préfère m’adresser à toi. Maintenant, Eliel, j’ai une proposition pour vous aider à dessouder Davinson. [/color]
Tu veux nous aider alors qu’t’es en train de me plaquer un couteau contre l’gosier ? Drôle de manière pour entrer en scène, garçon. Je préfère prendre mes précautions. Je suis l’un de ses proches qui commence à en avoir marre de ses prises de positions plus que foireuses, tu vois ? Alors je vais vous offrir une chance, à toi et à Hevrard. Ecoute moi bien car je ne vais pas me répéter : demain, en début de soirée, je vais me démerder pour dégager le maximum d’homme de la grotte. Je me répète mais moi aussi je veux me débarrasser de ce type. C’est tout ce qui est en ma mesure pour vous aider. Le reste, c’est vous qui voyez. N’oublie pas, Eliel, demain vers dix-huit heures le navire va lever l’ancre. Termina l’étranger avant de doucement retirer sa lame du cou de son interlocuteur. Rentre chez toi et ne te retourne pas. Et ce serait aussi bête de laisser tomber une telle opportunité. Oh, et puis, si ça peut te motiver, c’est Davinson qui a tué ton ami. Et pour l’autre, tu pourras lui dire qu’une femme est bel et bien prisonnière, avec nous. [/color]
Hein ?! rétorqua Eliel en se retournant vivement.
Mais c’était trop tard, la ruelle était déjà déserte.
…
Le lendemain, chez Eliel.
Et voilà mon attirail. Fusil comme neuf et le meilleur pour la fin, viens voir. Me fit-il d’un signe de la main, pour passer une pièce où l’une de ses parties étaient couvertes d’une tenture. Soulevée, je pouvais apercevoir plusieurs jarres toutes bien fermées.
Dans l’temps, mon dada c’était d’acheter des biens chez l’un pour les revendre chez l’autre quand on apprenait que c’était la pénurie d’un côté. Comme ça, au fur et à mesure, tu t’faisais bien les poches héhé. Ces vases contiennent une sorte de goudron, utilisé pour alimenter et huiler certains mécanismes. Ça se vendait à bon prix, en plus. Et comme vers la fin d’ma carrière il m’en restait un petit stock et qu’y avait pas d’acheteurs, j’ai tout gardé au chaud parce que ça peut valoir une petit fortune ! Et devine quoi, bwéhéhé ? Non. C’est putain d’inflammable, ce truc. Y’a juste à en balancer sur leurs structures en bois pour tout faire flamber. Ça pourrait aussi nous laisser une chance au cas où on serait submergé en nombre. Très bonne idée, mais il ne faudrait pas non plus en abuser si tu me dis que les structures ne sont faites que de bois. Tu serais en mesure de me couvrir, toi qui a l’air bien armé pour le combat à distance ? Ca devrait l’faire, ouais. Surtout si j’arrive à trouver un point en hauteur, je les plains. D’où te viens cette expérience et cette assurance, en parlant de ça ? M’sieur est curieux. Mais tu m’as l’air bien énigmatique donc j’vais m’permettre de garder aussi ma part de mystère. Sans te vexer, hein. Non, je comprends bien, je te fais confiance. Bref, il va nous falloir savoir quand frapper, maintenant. Peut-être que je devrais retourner voir le doyen, ce scélérat est à la tête de tout ça. Je m’occuperai de son cas après avoir réglé celui de Davinson. Hum… j’dois t’parler d’un truc, maintenant qu’j’y r’pense. Mais t’énerves pas, juste. Non, vas-y, tu peux t’exprimer. Hier, en rentrant chez moi, je me suis retrouvé face à un type qui disait être dans l’équipe de Davi’. Il m’a dit aussi qu’il en avait marre d’son chef et était prêt à nous aider aujourd’hui. L’a surement du nous épier pendant qu’on discutait et m’a suivi jusqu’à un coin plus tranquille. Me d’mande pas comment il était car vu comment il f’sait noir, impossible de voir quoi que ce soit. C’est un piège à coup sûr. Il ne faut pas faire confiance à ce genre d’individu. Justement ! Il était sûr qu’tu lui ferais pas confiance. Mais moi j’irais, car il m’a confirmé que c’était bien l’meneur qui a tué mon pote. Et pareil pour toi, l’a aussi dit qu’une femme était emprisonnée là-bas. S’il se permet de trahir son chef, qui te dit que ce n’est pas un guet-apens pour nous tuer tous les deux ? T’sais, c’genre de situation ca peut vite arriver, quand celui à qui te commande commence à n’en faire qu’à s’gueule. Si t’es récitent, j’irais seul. C’est d’ailleurs fort probable que j’me fasse buter mais j’me vanterai pas à dire que j’pourrais plomber le coupable du meurtre d’Auscar avant d’tomber. Pourquoi j’ai l’impression d’être mis au pied du mur… Ta prise d’initiative est admirable mais je ne pense pas être en mesure de te laisser y aller seul. Je suis certes un chasseur mais mon devoir est quand même de protéger les gens, je ne peux pas le nier. Comment pourrait-nous « aider » ce mystérieux gus, alors ? Il fera en sorte de mobiliser le maximum d’hommes en mer pour nous laisser du champ libre vers dix-huit heures. J’ai une embarcation pour qu’on puisse transporter les jarres et nous déplacer le plus discrètement possible. Bien, ce sera à double tranchant, alors. Soit il nous aide et nous avons une chance de nous en sortir ; Soit c’est un piège et je doute que nous puissions partir en un seul morceau. Personnellement, je vais opter pour une approche de front. Si tu as le pas feutré, tu te positionneras de sorte à avoir un bon point de vue. Mais c’est toi qui connais mieux le terrain. Ok, on fait ça alors. J’vais préparer quelques lanières pour transporter les vases et les balancer comme des frondes, héhéhé. Ça va bien flamber, t’vas voir. …
Doucement, le bateau dérive vers le repaire dans un profond silence. Le seul son perceptible jusqu’à maintenant n’est que la coque en bois de la barque au contact de l’eau. J’ai le sentiment que la traque touche à sa fin, que ces jours de recherche portent enfin leurs fruits. Eliel, lui, n’a pas dit un mot depuis le moment où il a poussé son petit navire à l’eau, le fusil bien plaqué contre sa poitrine.
On arrive. Dit-il à voix basse.
On va tout d’suite sav- Putain… regarde Hevrard, leur putain d’navire est pas là ! L’autre zig a tenu sa parole bordel. Comme quoi… Bien, soyons prêts. Les hostilités ne vont surement pas tarder à éclater. L’entrée de la grotte se présente alors à nous. Les souvenirs d’Eliel étaient alors justes. Des fondations en bois avaient bien étaient installées pour prévenir des éventuelles crues. Naturellement sombre, nous pouvons quand même distinguer quelques ombres se dessinant sur les murs de l’antre. C’est à ce moment qu’un homme était à notre portée, postiché au bord du sol en planches en train d’uriner à même la mer. Instinctivement, le tireur braque son arme vers lui. De suite, je l’interromps d’une tapote sur l’épaule.
Attendons qu’il se retourne. Au fur et à mesure de notre progression, on pouvait entendre des rires éclater et distinguer des flammes, et d’autres hommes. C’est là que nous nous allongeons du mieux possible contre le sol de la barque pour enfin arriver au niveau des fondations. Personne ne nous a encore vu, nous avons encore une chance de les prendre par surprise. Eliel lui retient la progression du navire afin qu’il ne cogne pas contre l’un des piliers, risquant de nous faire immédiatement griller. Une fois stabilisé, nous nous mettons côte à côte, toujours dans l’embarcation afin de cerner les lieux, laissant juste dépasser nos yeux à hauteur du sol construit par les malfrats. Sur notre gauche se dressait une petit tour de fortune, servant probablement de tour de guet aux margoulins.
Une bonne dizaine, tous autour d’un feu. On est d’accord. Tu te postes dans la tour ? De suite, tu me feras passer les jarres. Bonne chance Eliel, ne te fais pas tuer. Lui chuchotai-je en l’aidant à monter, le poussant légèrement au niveau des jambes.
T’occupe pas d’moi, c’est toi qui va être exposé. Doucement, le fusilier use de la force de ses bras pour se hisser discrètement et atterrir sur le ventre. Je lui passe trois vases jusqu’à ce qu’il me fasse signe d’arrêter d’en passer pour ensuite se diriger vers la tour, passer son fusil dans le dos et commencer à l’escalader. A mon tour, je m’agrippe et me hisse du mieux que je peux. A noter que l’armure et les armes ne m’aident en rien pour l’aspect discrétion, causant un bruit suffisamment fort pour signaler ma position. Le plus vite possible, je me lève et avance de manière déterminée vers le groupe. Certains d’entre eux, à ma vue, se lèvent d’un bond tel des lapins.
Chef, c’est le géant !
Tiens, tiens. Prononça le chef de la bande tout en se levant, pour se tenir bien droit.
Nous avons un invité ! Qu’est ce qui te ferais plaisir ; Bière, saucisson ? S’il y a bien une chose qui m’excède au plus haut point, c’est que l’on se paye ma tête. Et ce surtout quand la raillerie provient d’un individu que je me dois de trainer en justice. A une bonne dizaine de pas du groupe, je sens la rage monter et l’envie de me ruer vers eux pour les faire tâter de mon épée pourrait presque se sentir dans l’air. Ils se tiennent déjà tous prêts, la lame à la main et le regard assassin.
Celui qui s’interposera entre moi et Davinson ira tout droit en enfer. Hinhinhin, z’entendez ce qu’il dit, boss ?! On va lui rabattre sa gueule à ce gros tas d’merde ! Hurla un des sbires, chargé d’entrain.
Le blondin à la gueule balafrée de part en part passe sa main devant son laquais.
J’ai juste une petite question à te poser, jeune ami. La même que j’aurai d’ailleurs posé à l’un de tes collègues. Dit-il posément en se tournant vers moi.
Tu penses objectivement pouvoir faire le poids seul contre tous ces hommes qui eux, ont la rage au ventre ? Hum, c’est une question à laquelle je ne pense pas pouvoir répondre dans l’immédiat. Eliel, balance tout. Qu- ?! Entendu ! Qu’il crie en tournoyant, une jarre dans chaque main pour les lancer vers les pilleurs des mers. Pour ma part, je profite de la surprise causée en me ruant sur le côté pour plonger sur le sol à plat ventre et ainsi me protéger des balles. Deux coups de feu retentissent, laissant derrière eux un dangereux brasier. Des types hurlent, probablement pris en partie ou totalement par les flammes. A nouveau debout, je dégaine mes deux lames en croisant les bras, prêt pour le contact.
Il est vrai que je n’y aurait jamais pensé ! Me lança Davinson en sortant des flammes, l’épée dégainée.
Les flammes commencent peu à peu à s’étendre, me brouillant quelque peu la vue. C’est alors que trois hommes se ruent vers moi, me faisant immédiatement reculer. L’un arrive vers la gauche mais se fait vite faucher par le fusil d’Eliel. Le second fonce de face pour asséner un coup vertical, évité en me décalant vers la gauche, son arme ensuite coincée par mon épée. Bloqué, le brigand ne put qu’apprécier ma lame courte se logeant entre ses clavicules. Le troisième n’eut pas le temps de réagir que sa gorge s’aérait d’une belle entaille, profitant de sa mauvaise garde probablement causée par la nervosité. Alors qu’un autre adversaire s’empressait de recharger son arme, il put constater pendant quelques secondes à quel point des couteaux ne demandaient aucun temps de rechargement. Touché à la poitrine, c’en était fini de lui.
Les balles continuent de fuser vers mon partenaire bien planqué dans sa tour. Les acolytes du primé commençaient à remarquer sa position, tirant comme des possédés avant de se retrouver à court de projectiles.