Apple Pie #1 Accoudée sur le comptoir, la joue nichée au creux de ma paume, je baille pour la énième fois alors que des larmes perlent en coins de mes yeux. On est au milieu de l’après-midi et à cette heure-ci de la journée les clients ne se bousculent pas mais aujourd'hui est encore pire que les autres jours. Je m’emmerde donc royalement derrière la caisse. J’aime pas rester à ne rien faire mais je n’ai pas le choix. Je dois garder la boutique. Je suis prête à payer quelqu’un pour rester derrière le comptoir à tourner les pouces à ma place mais je sais que ma maman ne l’accepterait pas. J’ai déjà tenté une fois mais elle m’a engueulé en me crachant qu’il fallait que j’assume mes obligations sauf que certaines de mes obligations sont vraiment hyper chiantes comme celle de rester à attendre qu’un client se pointe comme maintenant. À choisir, je préfère courir partout à servir des clients que de rester comme ça dans le calme. Cela pourrait nuire à ma santé physique et mentale. Je bâille encore une fois sauf que ma maternelle me surprend cette fois-ci en rentrant par la porte qui donnait dans la pièce où étaient stockés nos produits. « Eva ! Combien de fois je t’ai dit de mettre une main devant ta bouche quand tu bailles et d’éviter de te comporter comme ça quand un client peut te surprendre à tout moment ? Ce n’est pas croyable ça ! » Par « comme ça », elle voulait parler de mon comportement avachi que j’avoue ne devrait pas montrer une très belle image de moi, du coup ni de notre établissement par la même occasion. Soigner son imagine, comme je déteste cette connerie mais je sais que c’est très important pour le commerce. Ne jamais montrer qu’on s’emmerde ou fatigué, se montrer aimable même envers un client que tu as plutôt envie de casser la gueule ... Des contraintes du métier que j’essaie de respecter au mieux mais il arrive souvent, très souvent même, que je dérape. Heureusement que ma mère est là pour rattraper mes conneries. « Désolée mam ! Lâche-je d’une voix à demi-endormie sans chercher à me ressaisir. - Tu ne m’as pas l'air si désolé ! ... Tiens, va m’exposer ça ! » Fait ma mère tout en déposant sur le comptoir une plaque avec des diverses petites pâtisseries aux couleurs chatoyantes et appétissantes. Je m’exécute en allant ranger les produits dans la vitrine à pâtisserie. Alors que je dispose un mini-macaron saveur citron sur la pile du même produit, je vois un groupe de marines qui se dirige vers notre établissement, plus exactement du côté salon de thé qui était complètement désert. Le carillon qui signale qu’une personne avait franchi l’entrée retentit. Je me précipite alors vers le comptoir pour y déposer la plaque, où restaient quelques produits à ranger, puis je vérifie rapidement que mon tablier, avec l’insigne de la maison, était propre et bien en place puis je dirige vers l’annexe salon de thé qui était séparé par un simple mur du côté où on vendait nos créations culinaires. Une grande porte battante, qui s’arrêtait au niveau de la taille, permettait d’accéder d’une salle à l’autre. Servir dans le salon de thé est l’une de mes tâches principales avec celle de mettre la main à la pâte tôt le matin pour préparer les produits du jour. Je ne me suis pas gourée, le groupe en uniforme bleu et blanc était bien là. Je me rapproche des quatre hommes pour les accueillir. Ils s’installent à une table après m’avoir lorgné de la tête aux pieds. J’ai l’habitude de ce genre de regard. À croire que j’ai quelque chose de ne pas normal parce que je ne pense pas être comme ma mère qu’on regarde pour sa beauté. Je leur apporte une carte de la maison à chacun. Je leur laisse le temps de choisir avant de revenir prendre leurs commandes que je note rapidement avant de filer les préparer. En quelques minutes ils sont tous servis. Pendant qu’ils prennent leur thé avec quelques assortiments de pâtisseries faits pour accompagner le liquide chaud, je m’occupe dans la salle, à nettoyer ou à ranger des choses ici et là, histoire de rester à leur disposition. « Moi je te dis qu’elle ne la fréquente que pour son grade. Elle est trop bien roulée pour lui cette fille ! - C’est vrai qu’il n’a pas le charisme du Vice-amiral Fenyang. Lui au moins, on sait que les femmes ne l’aiment pas que pour son titre. - Charisme ? Tu veux plutôt dire qu’il a les hormones en effusion ? - Ha ! Ha ! Ha ! - Franchement, je suis content d’être envoyé ici. Les filles d’ici sont des vraies beautés exotiques ... Je me ferai bien la petite Esméralda. - Tu parles de cette fille qui se trémousse dans les rues. J’avoue qu’elle est canon mais je parie que beaucoup d’hommes y sont déjà passé. - Au moins il aura sa chance le petit Tony ! - Ha ! Ha ! Ha ! - Arrêtez, ce n’est pas drôle les gars ! » Je soupire face aux bassesses que j’étais forcée d’entendre. Les marines n’avaient pas tout à fait tort concernant Fenyang que je connaissais de réputation être un homme à femme mais j’aurais préféré ne pas avoir à subir leur commérage. Là était l’un des fardeaux de mon métier : entendre les clients jaser. J’évite toujours de me mêler de cette futilité mais il arrive parfois que je m’emporte quand j’entends qu’on dise du mal et à tort des gens que je connais. Parmi les ramassis de conneries que j'entends, j’ai néanmoins appris une chose d’intéressante : Fenyang avait pris du galon. De Contre-amiral il était passé Vice-amiral. Nouvelle qui ne va pas changer ma vie et dont je m’en foutais un peu mais ce n’était pas une information de merde. Alors que je m’atèle à essuyer le comptoir qui était pourtant suffisamment propre que je pourrai même le lécher, un des marines lève un bras pour attirer mon attention. Je laisse alors tomber ma tâche pour occuper le temps et me dirige vers mes clients. « Oui ? Fais-je d'une voix docile et commerciale. - Je vais prendre une nouvelle part d'amandina. - Et du kenafeh pour moi. - Autre chose ? - Non. Ce sera tout,» lâche un des hommes après quelques secondes. Je m’en vais chercher leurs commandes dans l’autre salle et là je vois que Dana, une de nos employées avait remplacé ma mère derrière le comptoir. « Elle est où mam ? - Partie régler le problème de la farine chez Nono's Industrie ... J’espère qu’elle va réussir à régler ce souci avant que nous tombons en stock zéro. Je refuse d’utiliser cette farine de mauvaise qualité. Les clients sentiront de suite la différence avec nos produits habituels et pourraient bien préférer se fournir chez un concurrent. - Ne t’inquiète pas. Mam est très douée en négociation et puis, je suis sûr que c’est juste une magouille du fils qui cherche à nous escroquer, » fais-je calmement tout en se servant dans la vitrine pour les clients d’à côté que je ne tarde pas à aller servir. Nono's Industrie est notre fournisseur officiel en farine. Habituellement c’est le père Nono qui gère les affaires mais il est tombé gravement malade alors c’est son fils ainé qui s’occupe de faire tourner l’entreprise durant sa convalescence sauf que la farine qu’ils nous ont livrée dernièrement était d'une qualité bien inférieure à celle qu’on reçoit habituellement alors qu’on avait payé pour avoir le produit habituel. Ma maternelle était donc allée régler le problème sur place. Les marines étaient restés une bonne heure avant de régler addition et partir sans oublier de m’accorder un dernier regard qui me paraissait cette fois-ci intéressé. J’ai même eu droit à un sourire de la part des deux auxquels j’ai répondu avec sincérité. J’aime recevoir des clients aimables même s'ils jasent trop à mon goût. Je débarrasse la table qui avait été occupée avant de m’atteler à la nettoyer. Je n'avais pas encore terminé que le carillon retentit pour annoncer la venue d’un nouveau client et qui n’était autre que le Vice-amiral Fenyang. Je délaisse immédiatement ce que j’étais en train de faire pour aller accueillir le haut gradé de la Marine et avec mon plus beau sourire. « Je vous souhaite la bienvenue chez Les Délices des Langorat Vice-amiral Fenyang. Je vous en prie, installez-vous donc où vous voulez ! » Fais-je tout en s'inclinant légèrement. En deux générations, notre établissement qui portait le nom de Les délices des Langorat était réputée sur tout Alabasta. On a déjà reçu des membres de la famille royale dans notre modeste salon de thé mais Fenyang était le premier de l’amirauté à venir nous rendre visite. Sa venue me faisait particulièrement plaisir parce que'outre sa réputation de coureur de jupons dont je me tamponnais complètement car c’est une histoire qui ne regarde que lui, c’était un homme qui a fait beaucoup pour ce pays. Sa dernière action me touchait particulièrement, moi qui adore les enfants. Il avait ouvert un bien majestueux orphelinat à la périphérie de ma ville natale : Nanohana ... |
Dernière édition par Eva Langorat le Mer 19 Oct 2016 - 0:07, édité 6 fois