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Je choisis mes amis pour leur bonne présentation, mes connaissances pour leur bon caractère et mes ennemis pour leur bonne intelligence.
Oscar Wilde.

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La Jungle
17h-18h

 
- T'as foutu l'dawa à Palaffite hein ? On dit que l'chef d'la STEP a crevé du haut d'sa tour en feu ? Et Émeline ?
- C'est ce qu'on dit oui. Je l'ai vue, elle va bien. Et elle a préféré rester là-bas pour le moment.
- Quoi ? Atta, on va s'poser dans ma loge. L'air est plus tranquille et les murs ont pas des oreilles. Ramène-toi aussi, Sam. C'est la première fois que j'te vois sans ton horrible masque d'fer. T'en as fait quoi ?
- Avec, j'aurais pas pu passer inaperçu, monsieur.
- Bof bof, Dena', c'est mon blaze, pas b'soin de façon avec moi. Voilà, on est arrivé. Donc Loth, explique.
- [...] Voilà, tu connais toute l'histoire.
- Y a pas à dire, cette meuf a pas froid aux yeux. J'la kiffe troooooop ! Du coup tu fais quoi ici ?
- J'étais venu te remettre cette mallette. Trente millions en bijoux, des cadeaux offerts à Eme' par son soupirant-kidnappeur, elle veut que nous nous en servions pour financer nos opérations.
- En plus elle pense tell'ment à tout ! Mec, c'est la femme parfaite pour toi !
- Le jour où j'aurais besoin de toi en tant qu'entremetteur, je te le ferai savoir. Sinon, je voulais aussi reparler à l'Arbre à Palabre et leur demander de reconsidérer leur position.
- Hahaha, tu peux toujours rêver ! Tu penses que j'fais quoi d'puis c'matin ? Laisse ces gars, on a d'autres soucis et ça craint vraiment !
- La situation au Roc ? Je suis au courant, je fais aussi vite que possible ici puis je m'y rendrai. Willian a besoin de mon aide.
- Nan, nan, osef du Roc. Enfin, on s'en fout moyen. Je te parle d'Boréa, Aella veut te causer en urgence.

Mon cœur fait des soubresauts, j'en viens à le sentir quelque part au niveau de ma pomme d'Adam. Depuis l'enlèvement d’Émeline, une partie de moi supplie et prie intensément pour que je ne reçoive aucune urgente missive du pays du givre. J'ai laissé de brûlantes affaires en cours là-bas et ma plus grande crainte était que l'histoire me rattrape. Dena' devine ce que je me dis, il avait essayé de me convaincre d'engager des gens pour retrouver Eme' sans m'y impliquer personnellement. Et rien que le fait qu'il ne m'ait pas martelé un "j'te l'avais dit" prouve que la situation n'est pas à la rigolade. Je pressens que je serai bientôt entre le marteau et l'enclume.
La voix sèche d'Aella sort de l'escargophone.

- Ah, tu es enfin là, Loth. Tu dois revenir toute affaire cessante à Lavallière.
- Toute affaire cessante ? Il y a le feu au royaume ?
- C'est comme si. Lavoisier, il a décidé de mettre son plan à exécution.
- De quel plan parlons-nous ?
- Un précieux contact au sein des médias m'a informé que leur édition devrait recevoir dans la nuit les noms de hautes personnalités du royaume qui utilisent leur influence à des fins de corruption, de malversations et de meurtres. Loth, Lavoisier s'apprête à livrer la Lune Jaune et Rouge en pâture à la presse !
- Mais Lavoisier est lui-même une des Lunes. Les autres aussi peuvent vendre son identité.
- C'est pour ça que la situation est grave, ça veut dire qu'il n'a plus rien à perdre !

Sur une échelle de dix, je craignais que ne survienne une affaire d'un niveau huit ou neuf qui m'obligerait à tout abandonner ici pour retourner à Boréa. Là, je suis en présence d'un niveau vingt. Le pire de tous. Le Conseil des Six Lunes est une organisation d'influence et de corruption qui a, pendant des décennies, dicté les règles au royaume des glaces. Mais depuis que le jeune roi Maximilian Nordin a décidé de reprendre les rênes de son pouvoir en lançant une inquisition contre la corruption et en m'engageant pour débusquer les Lunes, elles ont perdu du pouvoir.

Aella en était une, la Bleue, la plus importante sans doute pour leur groupe, celle qui les alimentait en Berry détournés. Durant mon enquête en début d'année, j'ai appris que la Lune Mauve était à la tête du Réseau Ashura, la plus grande organisation de contrebande de Dance Powder des Blues. C'est ainsi que je me suis lancé dans ma propre cabale contre Ashura, le démantelant Cellule par Cellule, de North à South Blue, en passant par West. Aujourd'hui, il ne reste plus rien du Réseau, je lui ai porté le coup de grâce en confondant et en recrutant Aella. Elle y travaillait également en tant que manitou si je puis dire. Si Ashura a prospéré pendant quinze années, c'est uniquement grâce à elle. Du Réseau, il ne reste donc plus que le chef, la Lune Mauve, Lavoisier. Un homme seul qui a vu son monde se dérober sous lui, un homme qui a soif de vengeance.

- Atta, atta. Pourquoi Lavoisier irait balancer les blazes des autres Lunes ? C'est Loth qu'a détruit son bis'.
- Certes, Dena. C'est moi sa cible principale, mais il en veut aussi aux autres Lunes parce qu’elles ne l’ont pas aidé. Tu me corriges si je me trompe, Aella. Le fait est que Lavoisier a monté Ashura au nez et à la barbe de ses compères Lunes et elles n'y ont vu que du feu. Le laisser se démerder était une vengeance en soi pour elles. Ce qui nous pend au nez, c'est une sorte de guerre des Lunes. Bien sûr, Aella étant trop précieuse pour toutes les Lunes, elle ne risque rien.  
- Oui, mon nom ne devrait pas apparaitre. Chacun d'entre eux espère me récupérer, qu'on travaille à nouveau ensemble. Dès que Lavoisier dévoilera les noms des Lunes Rouge et Jaune avec des preuves de leurs méfaits, leurs vies seront fichues. Elles voudront se venger. Que ce soit Phineas Holle ou le Cardinal, ils ont chacun assez d'argent pour engager toute une compagnie de mercenaires.
- Tu ne peux pas empêcher la publication des noms ?
- J'ai essayé. Dans trois agences de presses différentes, mes indics m'ont parlé de révélations fracassantes à venir. Je pense que Lavoisier a pris contact avec toutes les presses du pays. Je fus très influente, Loth. Un coup de fil par ci et je bougeais ma marionnette pour nommer le futur ministre royal à l'économie ou faire taire une rumeur. Mais ce pouvoir est aujourd'hui à son zénith et je ne peux empêcher ce qui va arriver. Une seule agence, c'est faisable. Toutes, impossible. Dès demain, tout Boréa saura qui sont ces hommes de l'ombre qui ont fait et défait les rois.
- Atta, mais c'pas bon pour nous ? On les laisse s'foutre sur la gueule, après on ramasse les restes ? On veut les buter ou capturer d'toute façon.
- Déna', le véritable nom de Lavoisier c'est Ébénézer Oort et il est le Recteur de l'Université de Jalabert.
- Ouais, j'sais. Loth m'a dit ça quand tu lui as révélé.
- Il y a plus de trente mille étudiants d'horizons divers à Jalabert. Tu tiens vraiment à ce que Oort les utilise comme boucliers humains quand les Lunes Rouge et Jaune viendront s'attaquer à lui avec des mercenaires ?
- Sans compter que Lavoisier lui-même possède des mercenaires sous sa coupe. Les Autres.
- Naan, il va pas faire ça ?
- Je te dis qu'il est dément et désespéré. Pas suicidaire, mais totalement dément, c'est sûr. Il en veut aussi à tout Boréa, au roi, à la Marine. S'il fait un massacre dans l'université, il touchera le pays au plus profond de sa chair. Loth, tu dois revenir ! Carcinomia attendra. Tu poursuis deux lièvres à la fois et tu es à la croisée des chemins.

Maudit carrefour alors.

- Si je m'en vais maintenant d'ici, je ne contrôlerai jamais Carci.
- Si tu ne reviens pas, tu perdras les fruits de onze mois d'efforts acharnés. Tu es en première ligne dans la lutte contre Ashura et tu connais les politiques. C'est toi qui seras le bouc-émissaire en cas de massacre. Reste à Carcinomia et tu laisseras la barbarie décider du devenir de ton nom. Si tu tiens à être fréquentable tout en étendant tes tentacules dans l'underground, tu n'as pas le choix, Loth, tu ne peux pas tourner le dos à Boréa.  
- J'suis d'son avis mec. T'as trop chié à démonter c'réseau pour tout laisser en plan. Carci est un gros morceau, sans doute égal à Ashura en taille et rev'nus mais t'as trop à perdre question réputation. D'mande à Eme', tu verras. Elle réfléchira même pas avant d'te renvoyer à Boréa un coup d'pied au cul.
- Et si je choisissais les deux ? dis-je, une main sous le menton.
Les deux lièvres, j'ai saisi. Mais et si je tirais une fléchette tranquillisante sur l'un d'entre eux avant de poursuivre l'autre ?
- Hein ? Parle vrai.  
- L'allégorie d'Aella a du sens. Je n'ai pas à poursuivre deux lièvres simultanément. Je peux partiellement solutionner la crise ici et partir pour Boréa, m'occuper du cas de Lavoisier et ses copains puis revenir ici avant le mariage d’Émeline. Ça se passe dans cinq jours.
- Comment ça son mariage ?
- Longue histoire Aella.
- Tu v'dire quoi par "partiellement solutionner" hein ?
- La situation de crise en cours, c'est la guerre civile au Roc. Si j'arrive à tout arrêter avant que je ne parte, ce serait l'idéal.
- Et tu comptes partir quand, dis-moi ?
- Les journaux sont livrés à six heures du matin à Boréa. L'idéal serait que j'arrive juste avant. Sachant que je mettrai quatre heures à rallier le royaume, je dois quitter ici au plus tard à deux heures du matin.
- Il est dix-huit heures. En gros tu as huit heures chrono en main pour pacifier le Roc. Bonne chance alors.
- Merci Aella, j'en aurais besoin.

[...]

- Bon, mec, tu joues contre la montre là. On fait quoi ?
- Mettons tout le monde en appel réseau.  

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
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- Salut les gars. Willian, Nox, Avada, nous sommes tous en conférence escargophonique. J'ai Dena' et Sam Tex avec moi. Es-tu seul, Will ? Sinon isole-toi.
- Je suis seul et je t'attends au QG des Énigmatiques pour t'exposer la situation.
- Wouah ! Wouah ! Wouah ! Wouah !
- Hein ? Y a un clebs chez vous ? demande Dena.
- C'est Sinistros ? Tu l'as ramené Nox ? C'est super !
- Comme si j'avais eu l'choix. Il m'a stalqué en aboyant jusqu'à c'que j'lui trouve une place dans l'sous-marin. J'crois que tu lui manques.
- Il me manque aussi. Will, je viendrais sous les coups de dix-neuf heures. Beaucoup à faire. Mais en attendant, je peux préparer mon arrivée. Il y aurait un cessez-le-feu pour le moment ?
- Précaire. Les hostilités peuvent reprendre d'un moment à l'autre.
- Parle-moi des pertes. Quelles sont les forces en présence ?
- Jack Black a perdu la moitié de ses troupes environ, capturée ou tuée. Mais il reste encore cinq cent de ses miliciens en état de combattre. Grâce à l'entrée dans la guerre des Énigmatiques, Bronze a su préserver ses hommes. Il lui reste près de neuf cent miliciens selon nos informations. Côté Énigma, on a perdu quarante des nôtres ce qui a réduit notre nombre à trois cent.
- Trois cent seulement ? Même diminués, les deux camps ennemis ont plus d'hommes ! Oh ça va chier ! J'espère que vos hommes sont d'un bon niveau au moins, Darkness, dit Avada qui semble trouver la situation drôle. Normal, elle ne vit que pour la difficulté du combat.
- Et toi Loth, tes hommes sont arrivés non ?
- Oui mes Fumiers sont là et certains d'entre eux sont déjà à pied d’œuvre à Favela. Mais garde cette info pour toi, ne la communique à personne.
- Tu crains des oreilles indiscrètes ?
- Il y en a toujours. En cours de route, j'ai réfléchi sur un moyen de rapidement gagner cette guerre. Nous allons bluffer à grande échelle mais pour cela, il nous faut plus d'hommes.
- Et tu penses les pecho où ? fit Dena, perplexe.  
- Will, d'où sortent les miliciens fidèles à nos deux antagonistes ?
- Pardon ?
- A ce que je sache, les Énigmatiques sont la seule réelle armée privée du Roc. Comment et où Jack Black a-t-il pu rassembler mille hommes alors qu'il était mon prisonnier il y a encore deux jours ?
- Ah, ça. Ils ont tous les deux des soutiens de taille. Comme tu le sais, le Roc est partagé en trois régions. L'Ouest, le Centre et l'Est. L'Ouest c'est le fief de Black et l'Est celui de X-Bronze.
- Nous, on est dans l'fief de Bronze, précise Nox.
- Il existe des clivages entre l'Ouest et l'Est en fait. Avant que Black ne soit chef de clan, les plus grandes industries étaient planquées dans l'Est. Et les ouvriers venaient de l'Ouest.  
- Le classique riches-pauvres.
- En quelque sorte. Mais durant l'ère de Black, il a délocalisé beaucoup d'usines vers l'Ouest, sa région natale, et y a créé de nouveaux marchés. Ce sont les gens qu'il a mis à la tête des nouvelles affaires qui le soutiennent actuellement. C'est sensiblement la même chose pour Bronze qui lui est soutenu par les vieux industriels du Roc. Même si certains des miliciens sont des hommes de rang, la plupart proviennent des industries d'armements.
- Hmmm et le service militaire est obligatoire non ? Donc tous savent plus ou moins ce qu'ils font.
- Oui.
- Puisque j'ai déjà des hommes dans le fief de Diez Bronze, nous allons commencer par lui. Tu connais les noms de ses soutiens ? Ceux qui lui ont fourni le plus d'hommes et d'armes ?
- Je peux les deviner. Benny Kuerten, propriétaire des usines Kuerten Artillery et Alexei Norman de Deep Waters. Ce sont les plus influents marchands d'armes du secteur.
- ALEXEI NORMAN ? LA GRENOUILLE ?

Avada, Dena', Nox et moi avions parlé en chœur. Le second nom ne nous est pas inconnu, loin de là. Au panthéon des plus ignobles marchands d'armes des quatre océans, Norman trône fièrement au côté des plus grands. Si ce n'est lui, le plus grand. Activement recherché par la Marine, on l'accuse d'implications dans la majorité des rebellions sanglantes qui secouent les Blues. On dit même qu'il aurait des tendances révolutionnaires vu qu'il ne vend qu'à eux. Mais voilà, depuis qu'il a échappé à une tentative de capture en il y a dix-sept ans, nul ne l'a plus jamais revu. On entend parler de lui, sa prime augmente parfois parce qu'on soupçonne sa main derrière tel ou tel assassinat mais rien de plus. Ainsi donc, il a trouvé un havre ici. Et il soutient X-Bronze. Les dieux sont avec moi, la voilà ma chance de retourner la situation ! Je sais que Nox pense pareil, le nom de Norman a dû le secouer plus que tout le monde.

- Oui, c'est bien cette Grenouille-là, confirme Will.
- Bon tant mieux. Avada, retrouve-moi au QG des Énigmatiques.
- D'accord.
- Quant à toi Nox, il me faut plus de renseignement sur Kuerten. Au début des affrontements, Black et Bronze avaient un nombre semblable de troupes, ce qui est très étrange en soi. Je comprends que Black juste de retour ait eu du mal à mobiliser des soutiens mais Bronze, non. Soit il a péché par égo, soit c'est du bluff et il a prévu des renforts à un moment décisif pour asséner le coup final à son ennemi. Mais vu que les Enigma' se sont rangés à ses côtés, il n'en a sûrement plus besoin. Donc, envoie quelques Fumiers roder autour du domicile de Kuerten et de son usine, capture un ou deux de ses employés et renseigne-toi sur une possible arrière-garde en attente.
- Je ne comprends pas, déclare Will. Tu prépares quoi ? Tu disais vouloir bluffer à grande échelle.
- Ouais et tu comprendras uniquement à la fin.
- Et pour la Grenouille ? demande Nox.
- Rien pour Norman, laissons-le tranquille pour le moment. Je me rends compte qu'à part Avada, il n'est personne d'aussi dangereux que lui dans ce pays. Contentons-nous du menu fretin d'abord. Lui, c'est le plat de résistance et il peut s'avérer très indigeste. Si j'avais eu vent de sa présence bien plus tôt, il n'y aurait pas eu de guerre civile. Allez à tout de suite les gars !

[...]
 
- Tu sais, Sam, tu peux parler aussi.
- Désolé, monsieur. Ça ne me concernait pas trop... et je savais pas quoi dire.
- Hahaha. Genre t'es un anarchiste timide ? C'possible ça ? Sauf si tu fais exploser les choses pac'que t'as honte ! Hahaha.
- Fous lui la paix Dena', c'est grâce à lui si mon infiltration à Scarlet Tsunami a été une telle réussite. Je pense même à t'arracher à Nivel pour faire de toi un de mes hommes de main direct. Ça t'intéresserait ?
- Ah mais... Monsieur...
- Pas grave, tu n'es pas obligé de considérer l'offre maintenant. Mais je sais que tu refuseras de toute manière, tu es un Niveleur dans l'âme. J'ai promis à ton maitre une école et je compte l'implanter ici. Carcinomia sera bientôt ton nouveau chez toi. Allez venez vous deux, je dois parler à l'Arbre à Palabre avant de m'en retourner au Roc. Le temps presse.

Comme à l'accoutumé, les dirigeants suprêmes du clan Oméga me reçoivent sous le baobab centenaire qui a donné son nom à leur conseil. Ils sont là tous les trois, assis dans leurs sièges taillés dans le tronc même de l'arbre. Le trône du milieu est occupé par le Grand Chimiste, Banarby White; à sa gauche trône le Grand Toubib Liza White, une femme de forte corpulence et à droite, Aloès White le Grand Pharmacien, un vieillard décrépi à la longue barbe blanche. Et comme d'habitude, il est le premier à prendre la parole.

- Vous nous avez demandé audience ?
- Oui je désire que vous reconsidériez votre position. La situation évolue rapidement.
- Ça vous pouvez le dire ! tonne Liza White. Nous avons appris que Willian Darkness a joint ses Énigmatiques à Diez Bronze ! Le même Bronze qui a détruit notre laboratoire principal ! Ce matin même vous vous pavaniez ici, arguant la fiabilité de Darkness, qu'il reprendra son territoire et nous livrera Bronze !  
- Je ne me pavanais pas, répondis-je d'une voix froide. Et de toute évidence, vous ne comprenez rien aux stratégies militaires. Cette alliance est juste circonstancielle. Mais au lieu de vous asseoir ici, de vous complaire et de vous draper de ce manteau procédurier, allez chercher Bronze vous-même !
- L'Arbre à Palabre tient à respecter les lois d'engagements en vigueur à Carcinomia. Nous étions partant pour monter une opération pour aller chercher le fautif mais nous n'avons pas reçu un laisser-passer de Palafitte, enchaine le chef de clan.  
- Je sais, j'étais là ! Et je continue à penser que c'est bête et réducteur de vous laisser cloisonner par de simples détails juridiques. Pseudo juridiques en fait vu qu'ici nul ne tient compte de vos propres lois. La consommation du Venner est censée être interdite à Carcinomia mais il vous suffit de sortir de cette serre, d'arpenter les ruelles ténébreuses de votre secteur pour rencontrer des mineurs prêtes à se prostituer pour avoir quelques grammes. Et qui cultive le Venner ? Qui ferme les yeux sur ce marché au sein même de votre territoire ?  C'est vous. Alors, de vous à moi, nous ne sommes pas à une hypocrisie près.  
- Attention à ce que vous dites, Reich !
- Sinon quoi ? Je déteste les hypocrites et encore plus ceux qui se mentent. Je mens parfois, enfin, tout le temps pour un X ou Y mais à moi-même, je ne saurais me mentir. Je sais qui je suis et où je vais. Et si j'ai un objectif, je m'en donne les moyens et ne laisse aucune excuse trop parfaite m'en empêcher. Avouez juste que vous avez trop la trouille de vous lancer dans une opération militaire contre un autre secteur parce que vous êtes les plus faibles ! Mais c'est justement parce que vous tendez systématiquement l'autre joue que vous n'êtes pas respectés !
- IL SUFFIT !
- La vérité blesse ? Vous pouvez vous rasseoir Barnaby. Maintenant, je sais que je ne peux compter sur vous qu'en tant que fournisseur d'intrants de Dance Powder et c'est tant mieux. Je n’aurais pas voulu d'alliés non fiables. Cela dit, vous pouvez encore m'aider.
- Je vous aurais plutôt invité à vous en aller Reich.
- Oui, je vais débarrasser le plancher mais pas avant que vous m'ayez renseigné sur X-Bronze.
- Quoi sur lui ?
- Il m'a été notifié que le bonhomme fut victime d'un accident qui l'a à jamais défiguré, raison pour laquelle il a tout un pan du corps cybernétique. Malgré tout, il continue à souffrir de graves séquelles et notamment d'une migraine chronique que seul le Venner grâce à ses puissantes capacités antidouleur peut calmer. Selon Nivel, il s'injecterait la drogue directement dans les veines sauf que je viens de passer un quart d'heure dans les lieux les plus sombres de votre Secteur et je n'ai vu aucune marque de piqures sur les drogués. La résine, ils la fument ou l'inhalent. Tous m'ont dit que c'est la mort dans d'atroces douleurs pour tous ceux qui essaient de se piquer avec, du coup Grand Pharmacien, je m’interroge : me manque-t-il une information cruciale sur le Venner ?
- Il se pourrait.
- Et puis-je en prendre connaissance ?
- Non.
- Oh, je vous en prie. Je suis un Limier. Je le saurai tôt ou tard, ce n'est qu'une question de temps. Et cette info pourrait m'être cruciale pour capturer Bronze et pacifier le Roc. Et je pense que vous aimeriez bien le juger pour ses crimes, non ?
- Vous vous proposez de nous le ramener sous bonne garde ?
- Il se pourrait.
- Allez-y Grand Pharmacien, marmonne Barnaby après une concertation silencieuse avec ses compères.
- Le Venner est en fait la résine d'une plante appelée Vyper et nous le livrons sur le marché avec une pureté de 15%. Les dealeurs le coupent à leur tour avec d'autres produits et au final, ça arrive au consommateur moyen avec 5% de pureté environ. A 100% de pureté, la résine contient un puissant cocktail d'hallucinogène, d'antidouleur et d'antibiotique, c'est pour cela que nous le coupons jusqu'à ce qu'il ne subsiste que les actifs hallucinogènes.
- Mais après tous ces traitements, il devient toxique à consommer par intraveineuse ?
- Très. Tous les consommateurs ont depuis longtemps appris que c'est un tabou. Dans le cas de Bronze, il faut que la résine de Vyper soit traitée avec une pureté de 75%.
- Ce qui n'est disponible chez aucun revendeur. Il vient donc s'approvisionner à la source, commentai-je.
- Oui, c'est un service spécial, nous lui préparons ses solutions de Venner et ses injections. Il a des infirmières pour s'occuper du reste.
- Mais depuis l'attentat, on a arrêté de lui en fournir, ajoute Barnaby comme pour se dédouaner. On aurait dû lui livrer son paquetage hebdomadaire ce matin mais rien de tel n'a été fait.
- J'aime ce que j'entends. Donc notre chef de clan sera bientôt en manque de Venner ?
- Sûrement.
- Ce qui m'amène donc à ma dernière question, qui à part vous peut lui fournir sa drogue pur 75 ?
- Hervey Mortimer, baragouine le vieillard après un moment d'hésitation. Il fut un de nos chimistes avant de décider d'en vendre. Il s'est installé à son compte au Roc. Nous l'avons convoqué pour lui expliquer la situation et l'adjoindre de revenir chez nous parce qu'il est évident que Bronze le traquera pour ses compétences.
- Mais... ?
- Il ne nous a pas écoutés. Si Bronze vient le voir, a-t-il dit, ce sera un client de plus. Il n'a pas l'intention de se soumettre à notre... embargo sur le Venner pur.
- Et ? Vous l'avez jeté dans le plus exiguë de vos violons, j'espère ?
- Il est rentré au Roc il y a moins de quinze minutes.
- J'hallucine ! dit subitement Sam Tex. J'aurais pu sursauter tellement il s'est fait oublier.
Oups, pardon messieurs, c'est sorti tout seul...
- Non, tu as mis le droit dessus, Sam. C'est encore plus hallucinant que les propriétés du Venner ! Mais vous êtes quels genres de trafiquants à vous laisser dicter vos lois par un simple chimiste natif de chez vous en plus ? La sécurité, le statuquo politique et l'isolement de Carcinomia vous ont trop affaibli. Jamais vous ne survivrez à l'extérieur.
- Nous ne...
- Pardonnez, mais je n'ai franchement pas envie d'entendre une autre explication juridique. Cet Hervey Mortimer, vous auriez son adresse au Roc ?
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Favela
18h


Le chef d'escouade Arlan halète, chaque inspiration est un pic à glace qu'on enfonce au plus profond de ses poumons. A tâtons, il farfouille dans son sac et en sort une solution de nitrate d'argent dont il se sert pour cautériser ses côtes saignantes. A bout de souffle, il s'écroule mais se relève aussitôt, son arme pointée vers la porte de la grange. Elle venait de s'ouvrir avec un grincement de métal rouillé. Dans l'embrasure, il reconnait son binôme, le soldat Danny Gin. Arlan grommelle et se laisse une nouvelle fois tomber sur le ballot de paille.

- J'vous ai déniché du porc et de la gnôle, chef.
- Parfait. File moi c'te saucisse d'abord. L'topo ?
- J'vous ai vu des colonnes de miliciens à toute allure. On vous aurait dit une fourmilière ! 'S'dirigeaient vers l'sud.
- Favela masse des troupes à sa frontière avec l'Roc.
- Y nous cherchent, et vous pensent sans doute que nous autres venons d'là. Y a aussi la disparition de Caffree, tout l'monde est au courant maint'nant. Foster Burn vous a lancé un ultimatum au Roc, de libérer son frère.
- Ou c'sera la guerre ?
- Nan, il a pas dit ça. Mais apparemment, il vous aurait envoyé des messages comme ça à tous les notables du Roc.
- L'Roc est en guerre civile, Foster n'a aucun interlocuteur. Mais on l'dit impulsif et violent, j'suis étonné qu'il n'ait pas déjà envahi l'Roc à la recherche d'son frangin. C'est qu'une question d'temps sans doute.
- Et vot'blessure ?
- Ça va, j'ai eu pire. T'as un bilan ?
- On vous a perdu Fox 1, 3, 4, 8, 9 et 10.

Soit douze hommes. Morts. Ils étaient cent Fumiers à arriver à Carcinomia pour épauler leur boss Loth Reich. Vingt d'entre eux furent répartis en dix équipes de deux membres chacune avec pour mission de mettre le secteur de Favela à feu et à sang. Leurs cibles prioritaires, les établissements esclavagistes et les membres du clan Burn. Stratégie de combat, type guérilla. Détruire, harceler, s'enfuir, mais toujours revenir à la charge. Lui Arlan avait reçu le commandement de l'unité Fox 7. Au total, ce sont deux enseignes où se vendaient des ménagères et une maison où habitait le meilleur détaillant d'esclaves ouvriers de Favela qu'ils avaient plastiqué. Combien en avait-il tué exactement, Arlan l'ignorait mais à n'en pas douter, son tableau de chasse figurerait sûrement parmi les meilleurs des équipes Fox. Beaucoup eurent moins de chances, mais toutes s’acquittèrent de leur mission avec bravoure et abnégation. Résultat, tout le secteur de Favela était sous la loi martiale depuis l'après midi, les attentats se comptant par dizaines.

- Il n'vous reste plus que quatre équipes Fox, chef. L'escargo-récepteur vous a reçu un message du Commandant Nox, chef. On vous a l'ordre d'rester au frais et d'laisser filer l'temps. L'commandement juge les dégats à l'ennemi très importants. Apparemment, on vous a zigouillé plus d'deux cents esclavagistes. En douze heures, c'pas mal du tout, hein, chef ?
- Ouais. Ça f'ra d'la racaille esclavagiste en moins. Bah on s'repose alors. Toute façon, avec l'couvre-feu, ça commence à d'venir impossible d'bouger, ils quadrillent chaque rue. Ma dernière sortie a failli être la dernière. C'est quoi c'te tronche d'chien battu que tu tires là, Dan ? Tu veux pas t'reposer ?
- Si, si. Mais...
- M'fait pas lambiner, crache l'morceau.
- M’voyez, cette bouffe, j'vous l'ai volée dans un resto fermé à l'autre bout d’la rue. En face d'un bordel.
- Non, les bordels font pas parties d’nos cibles. A moins d'être sûrs qu'on touchera que les tenanciers. Les ordres sont clairs : éviter les dommages sur les civils ou pire, les esclaves.
- C'pas l'bordel, mais c’lui qui vous y entrait chef. Jack Black !
- Tu délires ?

Arlan n'y comprend rien mais Danny semble certain de ce qu'il a vu. Et le chef d'escouade a toutes les raisons de croire en l'acuité visuelle de son second. « C’tait bien Jack Black. J'vous l'ai vu ! Il vous y était avec plusieurs hommes. Avant d’devenir mercenaire, j’vous taffais comme physionomiste-portraitiste chez les Givrelames d’Sanderr. Mes mirettes vous sont rompues à la reconnaissance ! » martèle-t-il. Si le doute n'est pas permis, s'interroge Arlan, alors que fait Jack Black à Favela ? D'après les nouvelles récoltées ci et là, ses troupes ont été défaites dans le Centre suite à l'entrée en guerre des Énigmatiques aux côtés de l'armée de X-Bronze. Enfin, partiellement défaites. Il demeure des poches de résistances qui continent à guerroyer, vendant chèrement leur peau. Que manigance donc leur chef ici au lieu de soutenir ses hommes en perdition ?

- C'très inquiétant. Putain mais on a que des récepteurs ! On peut pas joindre l'command'ment ! Mais putain, sa mère !
- On est presque des kamikazes, chef. Et bien payés pour ça.
- Oui mais là, c'trop con. J'aurais appelé Nox pour d'mander confirmation. Si Black a bien été contaminé par la Emdéaire.
- Hein, c’quoi ?
- Une sal'té d’maladie des temps anciens. Rire du Mort Vivant qu’on la surnommait. C’est simple, tu délires et ris jusqu'à c’que mort s'ensuive. Les chefs ont contaminé Black avec ça pour l't’nir par les couilles et l'obliger à s’plier à leurs quatre volontés. Comme c't'un virus très ancien, bonne chance pour trouver un remède. Eux seuls ont l’antidote. Mais l'chantage a pas marché pa'c'que Black a eu l'temps d'conclure un accord avec l'clan Oméga. C'sont les meilleurs virologues d'cet océan. Sauf qu'avant que l'sérum soit près, le labo des Oméga a explosé.
- Qui a fait ça ?
- L'rival d'Black. Bronze. Il voulait l'empêcher d'sauver sa vie. Et ça a marché, les Oméga ont coupé toute relation avec l'Roc et sont en presque-guerre avec eux.
- Donc, si j'vous suis bien, Black s'est grillé auprès du Boss Reich mais n'vous a pas d'plan d'secours. ? Il vous est donc condamné à... mourir d'rire ?
- Voilà. Y a plus d'espoir pour lui, sauf forcer l'Boss Reich à lui donner l’antidote.
- Il vous peut toujours rêver.
- Non mais y a bien pire Danny ! Jack Black, c't'un humain d'la pire espèce ! L'genre qui emporte mille mecs avec lui dans la tombe rien que pour pas crever seul. Pour l'plaisir. La Emédaire est une MST !
- Oh grands dieux ! Non ! Black vous l'sait ?
- C'est sûr ! Les putains d'Favela sont les plus bonnes ! Dressées pour l'sexe, adulées et convoitées d'partout. Jack Black est en train d'propager ses microbes ! C'est sa vengeance !
- Mais... On peut faire quoi ? On vous a l'ordre d'rester en chien.
- C'pour ça que l'mot "initiative" a été créé mon gars. On peut pas l'laisser propager une épidémie à Carci où les efforts du Boss Reich pour contrôler l'pays s'ront vains. Faut buter Back, lui et toutes les putes qu'il a pointé !

[...]
Toc ! Toc ! Toc !

- Qu'est-c'que c'est ? souffle une voix féminine à travers le judas.
- C'pour un massage.
- C’est fermé !
- Allons, sois coquette ma poule ! J'ai bravé l’couvre-feu juste pou'être ici, j'ai l'feu dans l'pantalon ! Et j'suis blindé d'thunes, presse Alran. Allez ! Toi et moi, ma p'tite. J’suis sûr que t'es bien experte, hein ! Ouvre la porte, on va s'enjailler ! insiste-t-il d'une voix salace.

L'argent ouvre toutes les portes. La situation sécuritaire actuelle est un poison pour les affaires des proxénètes. Les clients sont cloîtrés chez eux, alors Arlan s'attend à voir une ribambelle de filles ennuyées dans le hall. Il est effaré d'entendre la maquerelle lui annoncer que seule Amy, la fille à la tête de fouine qui lui avait ouvert, est libre. Le Sodome est un bordel de grande taille, étalé sur deux étages, de quoi abriter une vingtaine de chambres au moins. Alors, où diable sont filles ? se demande Arlan qui frémit d'effroi en pensant à Jack Black. Sans poser plus de questions, il paie pour quelques heures avec sa nouvelle masseuse dans une loge VIP. Toute sa paye journalière y passe et distraitement, il se notifie de demander un remboursement au commandement quand tout cela sera fini. Amy l’entraîne au dernier étage et chemin faisant, il remarque que toutes les chambres sont ouvertes et vides. Néanmoins, de la musique provient de la pièce située tout au fond du corridor, au deuxième. Des voix d'hommes et de femmes en sortent.

- Hé, la chambre est ici.
- Et là-bas au fond ? On dirait que quelqu'un organise la saut'rie du siècle !
- Un important client et ses amis font la teuf, répondit-elle d'une voix peinée, comme si elle regrettait de ne pas y avoir été conviée. Mais bon, avec cette tête de fouine...
Viens.
- Non, merci.

Un mouchoir imbibé d'anesthésiant plaqué sur son nez plus tard, elle s'endort du sommeil du juste. Arlan se déplace furtivement le long des murs, glissant comme un serpent vers la pièce d'où fusent les voix. Il a deux pains de dynamite sur lui ainsi qu'un semi-automatique. Jack Black... Pour lui, ce type est la définition même de l'abomination, un individu qu'il faut éliminer au plus vite avant d'avoir une épidémie sur les bras. Pour que la chaîne de transmission du virus soit interrompue, les filles aussi doivent mourir. Dommage mais le Boss Reich comprendra. Mais si Black a fait d'autres coups avant de venir ici ?

A quatre pattes, il s'approche de la porte ouverte. Un rideau de dentelle masque la scène de débauche qui s'y déroule. Une orgie rassemblant une trentaine de filles et moitié moins d'hommes. Tous nus, tous copulant, changeant de partenaires. L'alcool coule à flot et la bonne chère abonde. Le spectacle rend Arlan malade. De l'intérieur de sa veste, il sort un appareil photo escargo-polaroid grâce auquel il immortalise la scène de dépravation. Il range les clichés dans sa poche puis armé de son pistolet, cherche et localise Black sous un tas de filles gloussantes.

- Tiens... tiens... j’ai quoi là ? Avec ces pétarades au dehors, j'savais bien qu'un homme normal aurait pas risqué d’mettre son gland dehors pour une pute !

Sa dernière vision est celle de la maquerelle, armée d'un fusil à pompe à canon scié. Ensuite, ce fut une détonation puis le trou noir.

[...]
- T’nez bon, chef ! Faut pas crever !

La voix est lointaine. Vraiment très lointaine. Et pourtant si proche. Elle est paniquée et suppliante.

- Clamsez pas bordel ! Restez-là ! Les bons chefs vous sont si rares !
- Lais-se moi..., parvient-il à articuler après un effort monumental.

A califourchon sur lui, Danny se démène pour lui poser des garrots tout en lui faisant un massage cardiaque. Arlan baigne dans son sang. Comment est-il arrivé là ? Comment a-t-il pu échapper à la pluie de plombs dont l'ont criblé la proxénète et les hommes de Black ? Il n'en sait rien. Sa seule certitude, c'est qu'il va mourir ici et qu'aucun miracle ne le sauverait. Il sait aussi que sa mission est un échec et que Jack Black continuerait à contaminer le plus de monde possible.

- Black. Tu. dois...
- Jactez pas ! J’vais…

Rassemblant ses dernières forces, il empoigne l'avant-bras de Danny avec une telle force que ce dernier en grimace. Il est primordial qu'il comprenne l'urgence absolue de la situation. Quelqu'un doit arrêter Black, quelqu'un doit travailler sur un vaccin ou un sérum, autrement, tout le projet du Boss Reich tomberait à l'eau. Lui et les autres Fumiers seraient morts pour rien du tout. La vie de milliers de personnes en dépend.

- Va ! Un. Ordre ! Voir. Nox. Raconte. Montre. Photos. Reich. Doit. Savoir. Emdéaire. D’retour...
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Le Roc

J'ai imaginé que le quartier général des Énigmatiques serait taillé dans la roche, directement adossé à la montagne. Je me trompais. C'est un simple immeuble bien que haut de quinze d'étages et surmonté de canons et de mitraillettes. Le bâtiment se trouve au centre d'une cour transformée en place forte, entourée de fils barbelés, de forteresses de sables et d'une multitude d'hommes armés.
Avec Sam Tex, j'ai enfin rejoint le Roc grâce à une escorte d’Énigmatiques. Et j'ai vis les affres de la guerre sur les édifices. Des trous béants dus aux boulets de canon ou de mortier, des ravins en plein milieu de ce qui fut une route, des immeubles effondrés en un monticule de gravats et surtout des morts. Ils jonchent les rues et nul n'a encore pris la peine de les ramasser. La plupart sont des miliciens de l'un ou l'autre camp, reconnaissables à leurs tuniques. Parfois nous sommes tombâmes sur des civils éplorés, cherchant ou pleurant la disparition d'un membre de leur famille. Ce sont les dommages collatéraux de mes ambitions. Mais plus jamais, je ne m'interrogerai plus sur le bienfondé de mes actions, ma période sentimentale de Scarlet Tsunami est révolue. Je me cantonnerai juste à ce qui a depuis toujours dicté ma vie. L’appât du gain et tant pis aux victimes que je ferai en chemin. Les plus faibles pâtissent toujours des appétits des puissants. Moi-même, j'en fus une victime, à une autre époque.

- M'sieur, la réunion va commencer.
- Je vous suis.

L’Énigmatique me conduit jusqu'à une salle secrète située au-dessus d'un faux plafond. La salle est grande et haute, ses murs tapissés de cartes topographiques de Carcinomia. Au milieu trône une table triangulaire intégralement faite de verre autour de laquelle sont assises quatre personnes. Le visage le plus jeune, le plus avenant, est celui de Willian Darkness, mon premier allié à Carcinomia. A l'origine, il avait voulu me contrôler et m'utiliser à ses propres desseins. Un manque de respect flagrant que je lui fis payer cher et depuis, nous sommes associés.

Il désire reprendre la terre de ses ancêtres et moi j'ai besoin de la puissance réunifiée du Roc. J'identifie le plus vieux de l'assistance comme étant Randyll Randall, le Commandant des Énigmatiques, un vieux loup à qui on ne la fait pas. Depuis un demi-siècle, il commande ces forces spéciales et jamais aucun des chefs de clan qu'il vit défiler n'eût la folie de le relever de ses fonctions. Si Willian contrôle les Énigmatiques, c'est uniquement parce que Randyll lui est fidèle. Mais la loyauté de Randyll va à la famille Darkness en général et pas à Willian en particulier mais vu qu'il est désormais le seul mâle de sa lignée... Randyll me salue d'une poigne vigoureuse et puissante. Il a encore du jus, l'ancêtre.

- Bienvenue, Loth. On t’attendait, introduit Willian. Laisse-moi te présenter le Lieutenant-Major Hengist Fried et le Capitaine Günther Böhm. Ce sont tous les deux des officiers supérieurs Énigmatiques. Fried nous sert d'agent de liaison avec les troupes de Bronze et Böhm dirige nos hommes sur le terrain. Il revient juste de la ligne de front.
- Pourquoi avons-nous besoin d'un agent qui fasse la liaison ? m'enquis-je.
- Même si on épaule Bronze, les Énigmatiques se sont pas mis sous ses ordres ! Manquerait plus que ça ! Comme on se retrouve avec deux commandements séparés, il nous faut obligatoirement échanger pour coordonner l'effort de guerre. Fried fait la navette entre notre QG et celui de Bronze, répondit Randall de sa voix profonde et énergique.
- Pardonnez ma jeunesse Commandant Randall, mais suis-je dans l'erreur si je trouve cette procédure particulièrement bête et onéreuse en matière de temps ? Les escargophones, ça existe, nous pouvons établir un poste de commandement commun pour synchroniser nos efforts.
- Ce que j'ai proposé mais ils veulent pas. Bronze a pas confiance en nous et préfère nous savoir à distance. De toute façon, la répartition des forces sur le terrain ne laisse aucun doute sur leurs intentions.
- Comment ça ?
- On est en première ligne, répondit le Capitaine Böhm, un petit homme à la voix aigüe.

Ses cheveux ont une couleur paille et ses yeux d'un noir troublant s'enfoncent profondément dans leurs orbites, ce qui donne à ses arcades sourcilières une proéminence ridicule. On aurait dit un de ces hommes préhistoriques à mi-chemin entre les grands singes et l'homme moderne dont j’ai vu les esquisses dans mes livres d’anthropologie.

- Ils se cachent derrière nous, on ouvre le chemin et accuse les pertes.
- Sinon Will, j'ai un plan pour ce qui reste de l'armée de black. C'est vraiment super qu'il lui en reste cinq cent en état de combattre, dis-je.
- Miam, en quoi ? demande le Lt-Major Fried.

C'est un grand dadais au long nez effilé dont la majorité du visage est recouvert par une épaisse jungle de poils auburn hirsutes. Ajouté au fait qu'il se pourlèche les lèvres à chaque phrase, il me rappelle un de ces sauvages cannibales provenant tout droit de l'Ilot Flottant.

- Ça fait cinq cent maudits adversaires de plus pour nous ouais, miam !
- Je préfère les considérer comme des ressources plutôt que des ennemis. L'objectif n'est pas de les annihiler mais de les convertir à notre cause. Will, tu n'as pas briffé tes officiers sur nos buts ?
- D'accord avec le Lt-Major. Ils ont tué beaucoup des nôtres et sont devenus des traitres au Roc quand ils ont pris les armes. Pas de pitié pour eux !
- Des traitres vis-à-vis de qui, Capitaine Böhm ? De Bronze, sûrement, de vous ou de Willian, surement pas. Le légitime chef de clan, c'est X-Bronze. Aussi, ne vous-y trompez pas, en réalité les traites, c'est vous. Will est un putschiste en devenir. Et moi je l'aide dans cette entreprise parce qu'au final, nous ne raisonnons que par la loi du plus fort. Nous voulons le Roc pour une raison X ou Y, nous le prenons. Pour toutes ces raisons, je vous prierais donc de refréner vos ardeurs à massacrer vos adversaires. Je vous rappelle que ce sont vos concitoyens. Qui assurera la sécurité du Roc face aux autres clans frontaliers quand vous vous serez entretués ? Puisque le but est de gagner, nous allons le faire en tirant le moins de coups de feu possible. Mais avant d'aller plus loin, Will, tu m'expliques pourquoi tu as soutenu Bronze et pas Black ?
- Tu m'as dit ce matin de prendre mes responsabilités non ? Tu m'as dit d'élaborer ma stratégie comme si je jouais au Go. Ce que j'ai fait. J'ai analysé la situation et pensé que j'avais plus à gagner à m'alliant à Bronze pour vaincre Black dans un premier temps puis me retourner contre Bronze ensuite.
- Te retourner contre lui comment ? demandai-je avec le ton sec d'un professeur n'étant pas du tout satisfait de l'exposé de son étudiant.
- Je suis tombé d'accord avec le Commandant Randall que si on élimine Bronze après la chute de Black, il n'y aura aucun leader que ses commandants pourront suivre, ce qui veut dire que si je me déclare, je n'aurais pas de mal à les assujettir. Donc le plan c'est d'aider Bronze à asseoir son pouvoir puis le planter et prendre sa place.
- Rassure-moi, tu te paies ma tête ? Non, tu es sérieux ? Vous êtes tous sérieux ? Vous avez tous voté pour ce plan ? fis-je totalement éberlué, secoué d'un rire d'incrédulité.
Par le cerveau givré des rois de Boréa, même un enfant dans un bac à sable aurait pu concevoir un tel plan, Willian ! Est-ce avec ce genre de stratégie minable à tâtons que tu as été triple champion de North Blue du jeu de Go ou as-tu acheté tes adversaires comme tu achètes tes compagnes au marché aux esclaves ?

Depuis que je les ai remis à leur place sur les objectifs à suivre, Fried et Böhm me dévisagent avec une antipathie que je trouve délicieuse. Après tout, je ne me suis pas présenté et même s'ils savent qui je suis, mon immixtion dans leurs affaires, l'idée de recevoir des ordres d'un civil étranger n'est pas à leur goût. Après ma cinglante raillerie contre Willian, tous deux bondissent comme s'ils avaient reçu des décharges électriques. Je suis en face d'eux, de l'autre côté de la table.

Désireux de me faire payer cette insolence, ils se ruent sur moi. Du moins, ils tentent de le faire. A peine ont-ils fait quelques pas qu'ils s'esquintent bruyamment contre le mobilier. Face la première, Fried heurte le rebord de la table en verre qui lui taillade le front. Böhm subit un sort semblable contre l'accoudoir de son siège. Les mains jointes sous le menton, j'observe la scène avec une impassible délectation. Aidé du Retour à la vie et de mes tentacules capillaires, il m'a suffi de nouer quelques mèches autour de leurs chevilles pour qu'ils se ramassent, emportés par l'élan de la colère.

- Ça suffit Loth, s'il te plait ! Ils ont compris ! intervient Willian. Mes cheveux commençaient à s'enrouler autour des blessés tels des serpents constricteurs.
- J'espère bien. Je ne supporte pas l'irrespect, répondis-je froidement et lentement.
Sous d'autres jours moins rouges, j'aurais cherché une solution à l'amiable. Vous êtes juste mal tombés les gars.
- Salopard ! Donc on peut dire que t’as tes règles quoi ?!

Dans l'encadrement de la porte, se décalque l'androgyne Avada Kedavra, emmitouflée dans une épaisse cape de voyage émeraude. En bandoulière, elle porte son fusil de précision steampunk, celui avec lequel je l'ai vu éliminer une cible à deux kilomètres alors qu'il ventait âprement. Je n'ai aucun doute que cet individu est ce qui se fait de mieux comme tueur à gage actuellement sur les Blues. Et par chance, c'est une partenaire d'affaire. Très angoissante dans son genre mais une excellente collègue.

« Enflure, je vois que tu te fais respecter ! » commente-t-elle avec un sourire sadique dédié aux officiers qui se relèvent, plus haineux que jamais. « Même s'il a l'air d'un faible et pathétique binoclard, Loth Reich est aujourd'hui quelqu'un qui pèse lourd. Rien qu'avec sa venue, il a déclenché la guerre ici. Ça c'est le pouvoir ! C'est pour ça que j'aime autant travailler pour lui, ce qui prouve déjà que ce n'est pas une tapette. Même s'il a l'air d'une victime. Loth, fais toi opérer et débarrasse-toi de ces lunettes, bordel ! M'enfin, bref. C'est mon employeur, manquez-lui de respect encore une fois seulement et vous serez froids ! »

Et comme toujours, elle joint l'action à la menace, dégaine si vite son semi-automatique que son geste en devint flou. La balle se loge dans le mur, à un cheveu de l'oreille droite d'un Fried livide.

- Ça suffit la surenchère, déclare Randyll Randall. Vous êtes "Bobcat" Avada Kedavra ? Prime, 50 millions de Berry. Vous détiendrez Caffree Burn selon les dires ?
- En quelque sorte. L'énergumène est bien au chaud au pays des rêves, répondit-elle évasivement. J'ai entendu des bribes de la conversation. Soutenir ce drogué de Bronze était aussi foireux que je le pensais ?
- Pour l'instant, on diverge juste sur la stratégie globale, répond Will qui a pris un air empoté.
- Des "divergences" ? A moins que je ne sois sourd, j'ai bien entendu Loth traiter votre plan de caca. De grosse belle merde. De bouse.

Elle s'amuse de la situation.

- Pour revenir à nos moutons, Willian, ce que je voulais dire c'est que ton projet n'a aucune chance d'aboutir. Parce que tu n'as pas assez pris en compte les différents facteurs cruciaux en jeu. J'adore l'improvisation, d'ailleurs, je suis venu à Carci dans l'idée d'aller pas à pas et de dessiner un scénario au fur et à mesure mais toujours en prenant compte de l'environnement et du facteur humain. Tu n'as pas évalué à sa juste valeur ce dernier paramètre.
- Comment ça ?
- Diez Bronze, bon sang ! Bronze !
Ce personnage est un drogué doublé d'un paranoïaque pathologique qui a failli être tué hier dans une tentative de putsch ratée. Ce qui signifie qu'il est ressorti de cette épreuve plus traumatisé et plus suspicieux que jamais ! Il doit voir des ennemis partout maintenant, son cerveau doit macérer dans l'essence même de la théorie du complot. Tu penses vraiment que tu auras une chance d'approcher un tel individu pour lui planter un couteau ? Ou de corrompre un de ses intimes ? A l'heure actuelle, il s'est sûrement entouré de gens dévolus à la vie à la mort pour lui. D'ailleurs, l'avez-vous vu sur le champ de bataille ? Avez-vous échangé avec X-Bronze, Officier de liaison Fried ?
- Miam, non ! marmonne-t-il de mauvaise grâce, une main tenant un chiffon qui éponge le sang de son front lacéré. Bronze, je l'ai jamais vu. C'est Raul Ortega qui commande les troupes en son nom.
- Tu vois, Will ? Tu ne sais même pas où est ta cible !
- Mais si on l'aide à reconquérir le pays, il sera obligé de se montrer ! De diriger !
- Ça c'est ce que tu supposes. Qu'est-ce qui l'empêche de nommer cet Ortéga en tant que super ministre régent qui administrera le Roc à sa place ? Bronze fera sûrement une brève apparition en étant surprotégé, histoire de montrer qu'il est bien là, puis disparaitra à nouveau, hors de ta portée. Voilà à mon sens ce qui risque de se passer. Soutenir Jack Black aurait été plus judicieux. Lui au moins, je détiens un moyen de pression sur lui.
- Quel moyen de pression ? Je ne suis pas au courant de ça !
- Oui, ça c'est mon erreur. Je ne te l'ai pas caché, juste que j'ai oublié d'en parler mais bon, nul ne saura jamais si tu aurais fait le bon choix, même armé de cette info. Donc c'est inutile d'épiloguer dessus.
- Si la stratégie du jeune Maitre te semble pas bonne, faut y remédier ! déclare Randyll.
- Sans soucis. Réparer les conneries des autres, c'est son passe-temps favori.
- Ne voudrais-tu pas juste te taire, Avada ?
- Que se passe-t-il ? tonne ensuite le vieux à l'encontre d'un jeune soldat qui débarque dans la salle de réunion après en avoir martelé la porte.
- Brigadier Montel à vos ordres, mon Commandant ! Ça y est m’sieur ! Ils mettent leur menace à exécution. Vont fusiller leurs cent cinquante prisonniers !
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Randall et Will se précipitent à la baie vitrée. Je ne vois rien de particulier à part des successions d'habitations à étages et parfois, des décombres. Le Brigadier désigne un point à l'horizon, à mes trois heures. Des édifices nous masquent la plus grande partie du décor mais l'endroit semble dénué de bâtiments. C'est un terrain de jeu, sûrement. Des lampadaires à dials éclairent les lieux. Sortant d'un mégaphone, nous entendons une voix amusée qui déclare avec un fort zézaiement : « Les deux z’eures ze zont écoulées. Z'avez pas z’obtempéré et rendu les z’armes, vos frères vont z'en payer le prix ! A vos z'armes ! Feu ! »

- Qu'est-ce qu'ils foutent ?!

Bon sang ! Un peloton d'exécution !
Dès que le zozoteur finit de parler, des coups de feu amplifiés par les mégaphones crépitent. Au loin, je vois des silhouettes s'écrouler, fauchées par les balles. De l'effarement, je passe une colère explosive. Ma bête intérieure hume l'air avec espoir. Elle désire revivre.

- C'est quoi chantier ?!
- Ça, c'était la voix de Raul Ortéga, m'explique Will. Le gros des combats s'est adouci vers quinze heures et depuis, c'est une accalmie relative. Ce cessez-le-feu a permis à chaque camp de panser ses plaies. Raoul en a profité pour donner un ultimatum à ce qui reste de l'armée de Black. "Rendez les armes avant dix-neuf heures où je ferai exécuter vos compagnons que nous avons fait prisonniers".
- Miam, miam. Et ils en détenaient cent cinquante !

Toujours ce tic de se lécher les lèvres, Fried. Et dans ce cas-ci, c’est bien glauque. On aurait dit qu'il savoure ce massacre. Ce n'est sans doute pas loin de la vérité. Ils n'ont pas été convaincus par mon petit exposé sur l'unification.

- J'hallucine ! Ils ont vraiment fusillé cent cinquante personne là ? Maintenant ?
- Tu t'es trompé en pensant que seul X-Bronze est détraqué, Loth. Tel maître, tel chien. Ces fils de putes sont tous dingues et cette mise en scène macabre le prouve. Grâce aux haut-parleurs, les gens de Black ont entendu sa voix sur la ligne de feu. Cet enculé de Raoul voulait leur faire vivre en direct la mort de leurs compagnons.
- A quelle distance sommes-nous du front ? demandai-je.
- Moins d'deux kilomètres.
- Ça me donne envie de vomir.
- Ils veulent qu'on leur livre nos prisonniers, dit Randyll.
- Jamais !
- Ça va de soi. Mais ça n'a fait que renforcer leur méfiance.
- Nous ferons avec. De toute façon, il nous faut les arrêter. Faites-moi un abrégé de la situation actuelle pour que je puisse plancher sur la marche à suivre.
- A vous, Capitaine Böhm.

Le petit homme -quasiment nain- se déplace de sa démarche de canard vers un empilement de rouleaux dans un coin de la pièce. Will l'aide à dérouler une des toiles sur la table. C'est une carte actualisée du Roc à l'heure H où les hostilités ont cessé.



- L’groupe de cercles bleutés représente l'armée d'Bronze, en cyan c'est nous Enigma' et en p'tits carrés verts, ce sont les gars de Black. En battant en retraite, ils ont minés la seule route praticable pour rejoindre l'ouest. C'est ce que nous symbolisons par la ligne rouge et les têtes de morts.
- Ah en fait, c'est pour ça la trêve ? Bandes d'enfoirés, vous ne pouvez pas avancer plus en réalité ! s'écrie Avada. Ils vous tiennent en respect par les noix ! Je me disais bien que c'était étrange qu'une horde de bisons comme vous ait arrêté sa progression.
- Tu as vraiment besoin d'insérer autant de grossièretés dans chaque phrase ?
- La ferme, binocle. Continuez Capitaine.
- Hmph. Ils ont également posés des mines sur certains bâtiments et leurs sentinelles les font exploser quand nos hommes passent en dessous. On a en perdu beaucoup, ensevelis sous les débris. C'est une stratégie lâche et abjecte qui empêche tout mouvement d'masse. Les démineurs sont à l’œuvre mais c’est difficile. Ils sécurisent mètre par mètre.
- Il n'y a pas de lâcheté qui tienne, c'est la guerre. La fin justifie les moyens. J'admire leur panache, mais ça m'étonne de Black. Il n'a pas l'esprit aussi affuté, son truc a toujours été d'arriver sur le champ de bataille avec la plus grosse arme et de tout canarder. C'est ce genre de stratégie à tue-tête qu'il a adopté quand Red et moi avons vaincu sa flotte coalisée à Ashura.
- C'est pas Jack Black mais Osmund Hank, le chef d'la section confection et ventes des mines. C'est un des plus puissants notables du Roc. C'est aussi un bon stratège. Nous pensons que c'est Hank qui dirige les troupes au nom de Black, dit Randyll.
- Comment ça ? Jack Black aussi a disparu du front ?
- Et ouais. Nul ne l'a vu depuis la tentative de putsch d'hier.
- Exemplaires qu'ils sont ces chefs de guerre qui laissent le boulot à leurs subordonnés pour aller faire Dieu sait quoi. Hmm, votre position n'est pas avantageuse cela dit.
- Ouais, on est éparpillé entre l'champ de mines et les hommes d'Bronze.

Pris en sandwich en gros. Les Énigmatiques sont au nombre de trois cent, donc même défaite et en replis, l'armée rebelle de Black reste en supériorité numérique. Derrière nous se trouvent Raoul Ortéga et ses quelques neuf cent hommes. Derrière ceux-là, se tiennent en embuscade mes quatre-vingt Fumiers. J'estime leur niveau égal à celui des Énigmatiques. Donc, numériquement, nous serions à trois cent quatre-vingt contre cinq cent, si nous voulions affronter l'armée de Black.

Ou trois cent quatre-vingt contre neuf cent si nous faisons volte-face contre Bronze. D'un côté ou de l'autre, je pense que la victoire serait à notre portée. Les Énigmatiques et mes Fumiers valent au moins deux ou trois de leurs miliciens. (HRP : Un Fumier = 100 D ; Un milicien : 30-50 D). Nous pouvons vaincre un seul des antagonistes, mais pas enchainer les deux. Il me faut trouver une stratégie autre que la boucherie, surtout après la barbare mise à mort dont je viens d'être témoin. Je dois défaire les deux camps sans confrontation directe. Du moins, sans généraliser le conflit.

- Vos deux cent prisonniers, je veux les voir.
- Pourquoi ?
- Les retourner.

[...]

- Salut les gars. Il me faudrait un représentant qui puisse parler en votre nom à tous. Le plus gradé peut-être. Y-a-t'il une telle personne parmi vous ?

Regards haineux. Naturellement, ils ont entendu la sinistre chorale des balles de Raoul. Les rallier à notre cause risque d'être ardu. Nous allier à Bronze est une belle erreur de Willian. Donc la mienne.
Quant à Black, où est-il à présent ? Que fait-il ? Son sort m'intrigue plus que celui de Bronze. Les premiers symptômes de la Emdéaire se sont déjà déclenchés, vingt-quatre heure après l'inoculation du virus. Il dispose encore de deux semaines avant de succomber à une crise cardiaque ou à une rupture d'anévrisme causée par l'excès d'adrénaline engendré par le virus du rire. Peut-être cherche-t-il désespérément un vaccin chez un quelconque charlatan ? Jouer sur sa désertion est la clé pour convertir ses hommes. Lentement, une silhouette se lève de la masse de prisonniers assis et entassés comme des sardines en boite. Il règne ici une odeur de vieille sueur et de chaussette puante.

- Sergent-artilleur Carl.
- Bien, bonjour sergent-artilleur. Il parlera en votre nom, c'est bon pour tout le monde ?

Ce sont des hommes de rang, la démocratie ne leur est pas familière. Que le plus haut gradé les représente, ils n'ont aucune objection. Et c'est tant mieux pour moi, je veux juste leur donner l'illusion de prendre part aux pourparlers.

- Je suis...
- Lé Chien dé Givre.

Ce surnom commence à m'agacer.

- Exact. Si je suis là, c'est pour vous présenter votre véritable chef. Le seul, l'unique qui sied au Roc.

Je plonge une main dans la foule m'environnant et en ressors Willian qui ne s'attendait pas à être sous le feu des projecteurs. Des murmures parcourent la salle de rétention et des index s'élèvent.

- C'est une longue histoire qui mérite de vous être contée dans les détails. Vous devez saisir que c'est l'avenir de votre patrie qui se joue et qu'ensemble, sous la houlette du seul mâle descendant des fondateurs du Roc, nous saurons restaurer la paix et la puissance de ce noble territoire.
- Yé comprends pas. Toi, t'es même pas dé Carci.
- Non mais Loth est un ami, reprit Willian. Il m'a ouvert les yeux. Les deux types qui se disputent le Roc sont fous à lier. Oui, Bronze et Black sont de dangereux psychopathes qui feront plonger notre pays dans les abysses. Ils l'ont déjà fait. Au moment où je vous parle, Favela rassemble ses troupes à notre frontière commune. Ces connards de mes deux ont toujours lorgné notre Secteur et maintenant qu'il est plus que jamais instable et accessible, ils ne vont pas se priver de nous envahir ! La seule alternative, c'est moi ! Dans mes veines coule le noble sang des antiques fondateurs. Avec votre concours à tous, je peux restaurer l'unité du Roc, mettre fin à cette stupide guerre pour faire face au seul vrai ennemi, Favela ! Et pour vous prouver ma bonne foi, je vous offre l'amnistie. A présent, vous êtes tous libres de vos mouvements !

"Noble sang", n'exagérons rien. Les Darkness furent des marchands d'armes et le sont toujours. J'apprécie le petit discours improvisé. Leur montrer que les antagonistes actuels sont des remèdes pires que le mal, faire naitre en eux un sentiment d'union contre un ennemi plus puissant et enfin leur donner ce qu'ils désirent le plus, la liberté. Mais comme ils sont tout sauf dupes, des voix discordantes fusent rapidement, nous traitant de tous les noms d'oiseaux, de traitres et de génocidaires à cause de notre alliance avec X-Bronze. La blessure de l'exécution de leurs frères est encore saignante, certains pleurent en évoquant cet épisode.

- Y a même pas quinze minutes que ça s'est passé ! tonne Carl, une perle de larme à l’œil. T'as essayé dé les en empêcher ? Non ! Descendant, sang noble ? Mes hémorroïdes ouais ! Vois c'qué y'en fait !

Il crache aux pieds de Will et d'un regard, je somme les Énigmatiques de ne point réagir à cette insulte. Faire monter la tension serait contreproductif.

- Depuis combien de temps servez-vous, sergent Carl ? La guerre, la vraie, vous la connaissez ?
- Y ai été mercénaire à Las Camp, alors épargne-moi ta condescendance, Chien ! Y en ai vu d'autres. Lé ponton, la loi martiale, les Nivéleurs.
- Ah tant mieux. Donc vous connaissez aussi la notion bluff ? Notre alliance avec Bronze est purement stratégique. Ce que nous désirons, c'est unifier le Roc, pas encourager les dissensions. Pour l'instant, nous faisons semblant d'être leurs amis et en cette qualité, nous ne pouvions empêcher le massacre qui vient de se dérouler. Ils nous auraient pris pour cible et nous sommes trop peu nombreux.
- Mais si vous venez grossir nos rangs, nous serons plus forts ! exhorte Will.
- Ahah ! Cé donc ça votre ambition ! Nous faire trahir nos frères !
- Il n'y aura pas de trahison puisque nous allons aussi proposer à vos frères d'intégrer nos rangs. Osmund Hank est un homme valeureux et le Roc ne saura se passer de ses compétences quand viendra l'heure de la reconstruction ou si jamais nous devions en venir aux armes avec Favela. Les seuls réels traitres au Roc sont Jack Black et Diez Bronze. Ce sont eux qui vous ordonnent de vous entretuer pour leurs beaux yeux alors qu'ils ne sont pas fichus de commander sur le champ de bataille. Avez-vous aperçu Black depuis hier ? L'un d'entre vous a-t-il vu ce valeureux chef pour lequel vos camarades ont sacrifiés leurs vies ?

Je promène mon regard dans la salle et lis la négation dans leurs yeux.
J'enchaine.

- Bien sûr que non ! Il a disparu les dieux savent où et ne vous figurez surtout pas qu'il prépare un quelconque plan pour tout rafler ! C'est un lâche, il se terre en attendant que vous vous sacrifiez pour lui. Ensuite seulement, il montrera le bout de son nez et se pavanera en vainqueur. Un bon chef est celui qui endure les mêmes souffrances que ses hommes et pour l'instant, il n'y a que Willian qui ait osé ça. Il vous combattu sur le front, qui l'a vu ? Allez ! Levez-les mains ! Ne soyez pas timides ! Oui, oui, beaucoup l'ont vu ! Il a même capturé certains d'entre vous, n'est-ce pas ?! Et toujours, il a essayé de prendre chaque adversaire vivant. Alors réfléchissez-y et demandez-vous "quel genre de chef, je désire ? Celui qui prend les coups avec moi ou celui qui met la main sur le cœur quand le mien reçoit une balle ? "
- On reviendra pour une réponse. Si vous êtes toujours là.
- Et où on va aller ?
- Je vous l'ai dit, non ? Vous êtes amnistiés. Libres de vos mouvements, libres de partir d'ici et de rejoindre les vôtres au-delà du champ de mine. Pour notre sécurité, on ne peut pas vous remettre vos armes. Mais vous êtes libres.
- Ah donc cé un cadeau empoisonné ! Sans armes, on va sé faire chopper par les gars à Bronze et fusillés ! Vous savez qu'on pé pas partir !
- Mais vous êtes un soldat, sergent. Vous en avez vu d'autres, m'aviez-vous dit, non ? Si vous croyez encore en votre chef, si vous avez la foi en Jack Black, assez pour lui dédier votre vie, alors vous n'aurez aucune hésitation à braver milles fournaises pour le rejoindre. Nul ne vous donnera d'ordre cette fois-ci, dis-je à la masse. C'est vous seuls et votre libre arbitre ! Mais quoi que vous décidiez, décidez-vous vite, l'horloge tourne. Favela n'attendra pas.
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- Vous étiez sérieux ? demande Randyll Randall.
- On ne peut plus sérieux, oui. C'est la seule solution pour éviter une confrontation qui nous nuirait à tous. Will doit convaincre Hank de rejoindre ses rangs.
- Folie ! Comme vous l'avez fait remarquer, le jeune maître a combattu avec nous au front ! Hank l'a vu. Ils vont l'buter dès qu'il approchera d'leur baraqu'ment ! Miam, jeune maitre, on vous en conjure ! Ce plan est totalement foireux !
- Ouais, sans dec' ?! Allez voir l'ennemi ?!
- Si vous les voyez moins comme des ennemis, plus comme des alliés, vous n'aurez plus de réticence. Le mauvais choix a déjà été fait, nous soutenons le mauvais camp. La seule question qui se pose c'est : continuerons-nous toujours plus loin vers cette impasse donc la victoire totale de Bronze ou chercherons-nous des échappatoires ?
- Échappatoire ? Votre solution, c'est la corde ouais ! L'maître va être pendu haut et court !
- C'est pas la corde ça ! Non, se jeter volontairement dans la gueule du loup moi j'appelle ça un Fist... Ou au mieux, la sodomie par un âne. Non en fait, y a mieux, faut juste imaginer...
- Que tu la fermes et arrêtes de prendre ton pied de la situation, Avada !
- Désolé binocle, mais impossible. C'est assez drôle, héhéhéhé.
- A l'instar de ces prisonniers à qui nous venons de donner le choix de s'allier à nous ou de partir, toi aussi tu es à la croisée des chemins, Will. Si tu as vraiment les tripes pour diriger une nation de fabricants d'armes, si tu veux écrire ta propre histoire, c'est maintenant que ça se passe. Choisis.
- Le choix, je l'ai fait depuis ce matin en m'alignant aux côtés de Bronze. J'ai confiance en ton plan.
- Genre t'as déjà un plan, enfoiré ?
- Ce n'est pas un plan, ça tient plus du bricolage. Je veux recruter plus d'hommes. Environ mille hommes supplémentaires en plus des prisonniers et des hommes de Hank. Et comme dit plus tôt à l'escargophone, je veux commencer le tapage dans le fief de Bronze. Il suffit de passer de maison en maison et de rafler les hommes en âge de se battre.
- Attendez, miam ! Quoi ? Voulez entraîner des civils dans cette histoire ?
- C'est plus des réservistes vu que le service militaire est obligatoire.
- Je croyais que tu ne voulais pas d'effusion de sang ?
- Idéalement, oui. L'idée c'est d'amasser plus de personnes que n'en compte l'armée de Bronze actuellement. Imagine que je recrute mes mille hommes et que je descende avec. Si tu réussis à convaincre Hank, alors il remontera avec ses cinq cent miliciens.
- Tu prépares une tenaille ?l
- Mon idée, précisément, Commandant Randyll. Mes Fumiers et l'armée recrutée à l'Est. Willian, Hank et ses hommes à l'Ouest. Nous les encerclerons avant qu’ils ne réagissent. Devant cette armada, ils ne pourront que se résigner.
- Sur le papier, ça a l'air bien joli. Comme un minois. Mais en pratique, c'est foireux comme plan, mec. Tu penses vraiment que Raoul va rester comme un bisounours pendant que tu rassembles une armée dans leur fief qui plus est ?
- Bien sûr que non, Avada, il a besoin de distraction. C'est pour ça que Will va se déclarer officiellement dans la course au titre de chef de clan. Tu le clameras haut et fort. Dans un mégaphone puis tu enverras un message à Raoul. "Rendez-vous ou nous vous détruirons. Je suis le légitime..." et tout le blabla ancestral.
- Mais c'est une déclaration de guerre ! Ils nous prendront directement pour cible !
- C'est ça la distraction qui occupera Raoul pendant que je mobiliserai des forces dans son fief. Ce QG est une forteresse. Ça ne vaut pas Scarlet Tsunami mais ça se défend.
- Un mois. C'est l'temps que c'QG a tenu pendant la dernière guerre civile quand les reîtres Wave nous assiégeaient. Ils étaient préparés en ces temps-là. Nous, on n'a pas stocké de vivres pour une longue durée, on n'est pas faits pour un siège.
- Je n'ai pas besoin d'un mois. Il est vingt-heure là. Sans trop m'avancer, je pense que quatre heures seront amplement suffisantes pour nous permettre de mobiliser milles hommes. Will aura le temps de convertir Hank, j'espère. Vous pouvez tenir aussi longtemps ?
- Envisageable.
- Miam ? Il se léchait les lèvres de manière convulsive à présent.
On va accepter ça, mon commandant ? Cet homme est fou à lier ! Moi j'dis que c'est un sbire de Bronze, il va nous précipiter en enfer !
- Non ! Avada, non !

J'ai anticipé son geste. Je lui empoigne le bras avant qu'elle ne sorte son arme de son étui. Il émane d'elle cette glaciale aura de mort. Une envie meurtrière plus concentrée que celle de ma Bête Intérieure. Le Lt-Major Fried recule, un air horrifié au visage, une main posée sur sa propre arme à feu.

- On se calme ! Lt-Major Fried, que je vous entende accuser à tort mon ami et je n'aurai plus besoin de vos services en tant qu’Énigmatique. Me suis-je bien fait comprendre ? Je confierai ma vie à Loth Reich. Nous avons le même objectif. Ses ordres sont mes ordres. Compris ?
- Merci. Je crois que tout est dit. Avada et moi allons-nous charger de l'enrôlement des nouvelles recrues. Randall, préparez aussi discrètement que possible le siège, rappelez-vos hommes et fortifiez votre QG. Les prochaines heures seront très éprouvantes. Pensez à armer nos prisonniers.
- Sérieux ?
- Oui. Vous pensez vraiment qu'ils auront d'autres choix que de se battre à vos côtés quand les hommes de Raoul vous pilonneront sans distinction ? Ils auront envie de leur faire payer l'exécution des leurs. Notre comédie de tout à l'heure ne m'a servi qu'à préparer ce moment. Je voulais briser la glace et leur montrer que nous pouvons être du même côté mais plus important, leur donner l'illusion qu'ils se battent en hommes libres. Et pour cimenter cette entente naissante que j'ai initiée, rien de tel que la camaraderie de feu. Combattre ensemble le même ennemi, ça n'a pas de prix, ça forge des liens.
- Enfoiré de binocle, tu es le diable incarné !
- Vous avez du travail messieurs. Will et moi devons peaufiner les détails de son discours à Osmund Hank, autrement, il se retrouvera pendu haut et court comme le craint le Capitaine Böhm. Dès que mes objectifs seront atteints, je vous appellerai pour coordonner la tenaille. Bonne chance !
- On en aura besoin, marmonne sombrement Randall.

[...]

- Tu n'as rien détaillé. Tu comptes vraiment faire du porte à porte ?
- J'ai des hommes qui peuvent se montrer très persuasifs. Je réussirai.
- Bon, j'ai confiance alors. Sinon, et pour ma marche à suivre ? Comment dois-je convaincre Hank ?
- Oh ! Sur ce point, je plaisantais, toi seul sais ce que tu auras à lui dire. Je ne le connais pas, toi si. Garde ton escargophone près de toi cela dit, si j'ai une nouvelle susceptible de t'aider, je te la transmettrai.
- Mais...
- Allez, redore-moi ce visage tout fripé ! Tu es un chef de clan en devenir, sois dans sa peau. Tu sais par quel chemin tu passeras pour passer le champ de mines ?
- Mouais... Böhm m'a fait un tracé des zones qu'ils ont déminé. Je vais y aller sans escorte.
- C'est la meilleure option. Sans escorte et sans arme. Avance les mains en l'air avec un drapeau blanc.
- D'accord. A quel moment, j'envoie ma sommation à Raoul ?
- Quand Avada et moi aurons déguerpi d'ici.
- Bye alors...
- Ne fais pas cette tête, tu dois y croire !

Nous disparaissons au détour d'un couloir laissant le visage déterminé mais angoissé de Willian derrière nous. « Le pauvre oisillon, je le plains ! Passer de la jetset à ça ! Il avait vraiment la gueule de la brebis qu’on jette à la meute ! Une minute de plus en sa présence et je le recouvrais d’une couverture et lui offrais du thé. Héhéhé ! » se moque Avada. « Sinon, faire du porte à porte pour embarquer des gens ? C'est quoi cette raison bidon ? Will a oublié qu'on a parlé de Norman et Kuerten il y a une heure. »

- Il n'a pas oublié, il a joué le jeu de l'ennemi. Il sera un stratège accompli un jour, il suffit de le polir mieux.
- Ah, tu veux parler de l'enflure de taupe ? Faut pas trop être un génie pour le griller. Il l'a fait tout seul.
- Encore fallait-il avoir l’œil. Je laisse Willian s'occuper de ses hommes. Hâtons le pas, cet endroit va crouler sous les balles dans quelques minutes. Emmène-moi, je veux voir Jonathan Nivel.

[...]

Une demi-heure plus tard...

- Oh bon sang ! Tu n'es pas beau à voir mon pauvre vieux !
- Tsé ! Au moins je sais c'que ressentent les larves à présent !
- Wouah ! Wouah !
- Oh toi tu es toujours beau à voir mon chien ! Ça va depuis le temps ?
- Whoaf !

Sinistros me saute dessus et me lèche de partout. J'adore ce limier-cornu et il me sera d'une grande aide dans cette atmosphère. Je le papouille, le calme puis m'en retourne vers Nivel. Avachi dans un canapé, il a réellement l'air d'un mollusque. Pour peu et je me serai attendu à le voir louvoyer. Il a été blessé en combattant pour moi, son système vestibulaire n'est que hachis. Il ne peut plus tenir debout. Il a besoin d'une intervention chirurgicale et d'implants auditifs. Peu sont qualifiés pour pratiquer une telle opération et tous sont chirurgiens cybernétiques du clan Avast de Virus. Le seul Secteur que mes manigances n'ont pas encore touché. Même dans sa blessure, il continue de me servir, Nivel. Grâce à lui, je peux contacter le Parefeu. Mais toujours, il y a cet impératif de temps...

- C'est pas pour tout suite hein ? questionne-t-il de sa voix pincée.
- Désolé mon vieux mais non. Si c'était critique, tu sais bien que je le ferai sans hésiter. Mais, je pense qu'il faudrait mieux que je pacifie le Roc avant de m'occuper de toi.
- Mais... Moi j'peux l’emmener, monsieur ! déclare Adria avec une sorte de passion. C'est une fille à la peau d'ébène coiffée de dreadlocks. Originaire de Boréa, elle est le premier disciple formé par Nivel dans ce royaume.
- Non, il faut que ce soit moi qui l'y emmène. Je dois m'assurer qu'il reçoive les meilleurs soins. Je te laisse décider Jonathan. Un seul mot et j'abandonne tout ça pour t'y conduire.
- Pfff, c'est vraiment un choix là ? T'es un sale rapace, tu l'sais hein ?! Tu m'fous bien au pied du mur puis m'demande de l'péter ou pas ? 'sûr que j'veux être des vôtres, sur l'terrain à promouvoir le Nivellement ! Pas étalé là comme un asticot !
- Ou comme un gros sac de merde. Mais on va pas s'étaler sur les superlatifs ! Héhéhé !
- Mais, j'sais aussi que la mission prime alors fonce, mec ! Toute façon, tu n'veux pas trop abîmer le Roc alors, pas d'marché pour les Niveleurs. J'veux être sur pied quand on f'ra la fête à ces satanés Wave ou Burn !
- Ne t'inquiètes pas pour cela. L'école de Niveleurs que je t'ai promise, tu l'édifieras de tes propres mains ici à Carcinomia.
- Alors, j'peux larver tranquille.
- Avant deux heures du matin, tout sera terminé. Bien, passons à autre chose. Où est donc notre invité ?
- Dans la remise.
- Au fait à qui est cet immeuble, Avada ?
- "A qui était", ce serait plus juste. Mais tu veux vraiment le savoir ?

Non. L'immeuble de trois étages est sans doute une propriété privée, peut-être un hôtel, bien cossue dans tous les cas. Avada aime le luxe et à chaque fois qu'elle a dû trouver une planque durant nos missions, ses choix se sont portés sur des suites royales, des manoirs richement meublés ou des bateaux de plaisance. C'est une des rares choses constantes chez elle. A part son aura meurtrière.
L'androgyne me conduit vers un vieux placard à bottes, Sinistros sur mes talons.

A la mezzanine et au premier étage, je croise mes quatre-vingt Fumiers bien installés à aiguiser leurs poignards ou à nettoyer leurs armes. Mon armée personnelle. Ils se lèvent à l'unisson et à mon passage. J'ai une fugace chair de poule et un sourire de fierté vient marbrer mon visage.
Reclus dans le placard, je trouve Caffree Burn. Jusqu'à hier soir, il était encore le magnat de la traite des esclaves de Carcinomia. Ce qui fait automatiquement de lui le meilleur négrier de tout North Blue. Et dire que son nom n'est jamais arrivé à la Marine. Il a aussi l'avantageuse ascendance d'être le petit frère de l'actuel chef du clan Burn, le très violent Foster Burn.

- Le "Lord aux Menottés", n'était-ce pas là votre surnom, Mister Burn ? Je délecte chaque lettre, j'attends ce moment depuis trois jours.
Je dois vous remercier, je m'en rends compte. Si vos hommes n'avaient pas enlevé Émeline, jamais je n'aurais lancé cette cabale pour la retrouver, jamais je n'aurai eu l'idée d'ajouter Carci à mon empire naissant. Entendez-vous la chorale des canons et des balles à l'extérieur ? Mon œuvre, votre œuvre.
- Petit... chuchote-il avec peine. Avada lui a refait la dentition.
Ces forces te dépassent ! Libère-moi et on oubliera !
- Pourquoi faire ? Si je voulais être tranquille je serai devenu pêcheur dans un trou paumé d'East Blue. Vous mon pauvre ami, allez être mes excréments.
- Quoi ?
- Il y a un dicton de South Blue qui dit : "Avec du miel on attrape des mouches. Mais on en capture cent fois plus avec des excréments". Vous serez ces excréments et alors viendront à moi les mouches. Et Foster Burn.
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Après cet intermède avec mon prisonnier, nous retournons vers la mezzanine où m'attend Nox qui a bien rempli les missions que je lui ai confiées. Je vois trois hommes assis dans le salon, angoissés d'être ainsi entourés de dizaines de mercenaires. Inquiets aussi d'avoir été arrachés à leurs domiciles et à leurs proches. Ils déglutissent et m'observent curieusement, quelque part, ils se disent que celui qui mène la danse et qui scellera leur sort est arrivé.

- Alors, tu les as bien traités, j'espère ?
- Très bien même, fit Nox avec un sourire. La carotte et l'bâton tu sais, nous avons eu l'même maitre à penser.
- Honoré soit le Gila.
- Béni soit l'Reptile. Donc Loth, j'te présente Naïm, Abdul et Moh. L'premier est chef ingénieur dans les usines Kurten, l'second est un artificier d'leur usine d'poudre à canon et l'dernier a passé toute sa vie à s'trimballer d'gauche à droite chez les Kuerten sans obt'nir une grosse promotion.
- Magnifique. Joli échantillonnage.
- Devine qui s'est mis à table l'premier.
- Moh, dis-je en croisant ses prunelles gorgées de rougeurs d'où s'échappent de temps à autre des suintements purulents. Quel âge avez-vous ? Soixante sans doute ? Et vous êtes au bas de l'échelle depuis si longtemps que naturellement vous êtes aigri et frustré. Vous travaillez, ils empochent et des jeunots qui n'ont même pas remplacé leurs dents de lait viennent vous supplanter. Aujourd'hui, vous êtes un simple vigile de nuit et votre salaire de misère ne vous permet même pas de bien soigner votre conjonctive. Que d'amertume ! Ça se lit dans vos rides.
- Il a tout craché dès que j'lui ai filé un million d'Berry, son salaire annuel quoi. D'après lui, il existerait une "Deuxième Colonne" prévue par Kuerten. Des employés d'l'usine qu'ont été armés d'puis l'matin mais qu'on a renvoyé chez eux dans l'attente d'un rappel. Donc t'avais raison, y a bien une arrière garde préparée pour les soutenir.
- Et la Deuxième Colonne compte combien d'hommes ?
- Y a rien de tel ! Ce vieux est fou ! Vous vous gourez ! crie le dénommé Naïm.
- Bien sûr. En tant que chef ingénieur, votre position est privilégiée. Vous soutenez votre chef.
- Vous n'obtiendrez rien de nous, sale traitre ! Vous êtes...

Bang !
Je n'ai jamais su ce que nous étions. Avec un mouchoir, j'essuie les projections de cervelles et les esquilles de boite crânienne dont je suis criblé. Dégueulasse, je vais devoir me changer encore une fois. Les deux prisonniers sont épouvantés mais j’entraperçois un rictus de satisfaction perverse chez le vieux Moh. Comme presque tout membre de la classe ouvrière, il déteste vraiment l'élite. Le corps est évacué et Avada nettoie son semi-automatique. « Nous ne sommes pas des curés, bandes de trouducs ! Y en autre qui veut cracher des imprécations ? Abdul ? Non ? » L'artificier plaque ses mains sur sa bouche de peur de défaillir. « Respire un bon coup et réponds à la question ! »
Il confirme l'existence de la seconde Colonne et en dénombre les membres à près de quatre cent.

- Bon, l'vieux a dit la même chose.
- C'est sûr que Norman aussi doit avoir sa Colonne. Que va-t-on faire, Loth ?
- Leur rendre visite à tous les deux bien sûr. Avec différents cadeaux.

[...]

Prudemment, il se faufile le long des immeubles en longeant le Chemin des Dames. Chaque pas lui expose les affres de la guerre civile, conséquence de la course au pouvoir de Jack Black et de X-Bronze. C'est vrai qu'avant de rencontrer Loth, il préparait lui aussi quelque chose en collaboration avec le mandataire des Tempiesta sur l'ile. Quelque chose qui n'aurait sûrement pas autant dégénéré.
L'héritier s'abrite derrière un tas de gravats. Il a entendu un bruit tout près. Cette zone fut minée par les hommes d'Osmund Hank puis déminée par les Enigma'. Le bruit n'était pas illusoire, ça se rapproche et ce sont des pas.

- Miam, je sais que t'es là. Sors de là, Willian !

La voix l'estomaque. A vrai dire, il avait parié sur quelqu'un d'autre. L'héritier des Darkness s'extirpe de son abri de fortune pour faire face à celui qu'il avait nommé en tant qu'officier de liaison avec l'armée de Diez Bronze. Les deux hommes sont debout dans un décor de guerre, des immeubles debout mais criblés et éventrés d'un côté, des monticules de gravats de l'autre. Et au loin, le chant des armes et des canons. Raoul Ortega n'a pas hésité à assiéger les Enigma' dès que Will lui envoya le message qui faisait désormais de lui, un ennemi.

- Je suis surpris et extrêmement mécontent, Lt-Major Fried !
- Surpris de quoi ? C'est un pays de dingues où tout le monde veut le pouvoir ! Une taupe est pas surprenant ! Mais toi t'as rien vu venir !
- Bien sûr que si, c'était évident. Le nombre de victimes Enigma' m'a mis la puce à l'oreille bien avant que Loth n'en fasse le sous-entendu. Depuis, j'ai soupçonné qu'ils aient été tués par des poignards amis, dans le dos comme le dernier des traitres !
- Quoi tu soupçonnais, Böhm le nain ? Hahaha, c'est qu'un nabot de mes deux ! Miam ! Il peut pas avoir fait un boulot aussi propre !
- Donc vous avez réellement vendu votre âme ? POURQUOI ?
- Pourquoi pas ? Ce combat est perdu d'avance et ton ami de l'extérieur, ce Chien ne fait que t'enfoncer dans la mouise ! Et maintenant regarde toi, à te faufiler dans un champ de mines pour négocier chez un ennemi certain ! T'es sa pute ou quoi ? Miam ! Pour tout ça, j'ai choisi le camp des vainqueurs, du seul et légitime chef de clan ! En plus Reich l'a dit lui-même.
- Donc tu as informé Raoul de nos manœuvres ?
- Miam, ouais et c'est ça qui colle pas. Tu savais qu'y avait une taupe mais t'as parlé de tout ?
- Qui a dit qu'on a parlé de tout ?
- Où sont tes gardes alors ? Une taupe aurait forcément voulu t'empêcher de t'allier à Hank. Pourquoi t'as pas de gorilles ?
- Parce que je peux me défendre tout seul et qu'ils sont plus utiles à repousser l'assaut sur le QG.
- Ils tiendront pas les quatre heures de Reich, j'ai filé à Ortega les plans du bâtiment. Il connait ses points faibles.
- Bah nous aussi.
- Reich et l'autre androgyne vont juste mourir des mains de nos hommes ! Deux types qui essaient de lever une armée en toquant à des portes ?! Miam miam miam ! Jamais vu un plan aussi grotesque ! Il sait pas les soutiens qu'on a, pourquoi on appelle ça "notre fief" ! Ortéga a alerté tous les notables et a envoyé un peloton les cueillir ! En ce moment, ils doivent chier leurs tripes par la bouche ! Appétissant ! Miam miam !
- Hahahahaha ! Désolé, je m'attendais pas à ce que ça marche aussi bien. Et aucun de vous ne s'est dit que ç'aurait pu être de la désinformation ? Vous n'êtes pas des lumières, Osmund Hank ne serait jamais tombé dans un piège aussi criard ! Hahahaha !
- Quoi ? Arrête de vouloir faire genre ! La tenaille, on va la briser ! Tu vas mourir, Reich l'est déjà et ton vieux Randall et ses Enigma le seront !
- Donc Raoul Ortéga a attaqué le QG tout en sachant que c'était un piège.
- J'ai dit qu'on va déjouer votre piège !
- C'est sur ça que Loth a parié. Un piège simple, pour des gens simplets. Un piège dans lequel vous ne pourez que tomber ! Maintenant, assez de parlotte, fit-il en dégainant ses doubles lames khukuri. Tu n'es pas venu me tuer, Fried ?
- ...
- Pourquoi tu ne bouges pas ?
- Parce que je me souviens de la première fois que tu as été admis au stage des Enigma, miam. T'étais encore enfant et t'as tellement morflé que t'as insulté Randall. "Cette vie est pas faite pour moi. Je veux être un oiseau et vous chier dessus !" que tu lui as craché après une entorse à la cheville. L'enfant a disparu, j'aurais aucun regret à tuer l'homme.
- ALORS APPROCHE ! hurle Willian, les yeux embués de larmes. Depuis le début, il avait compris.

BOOOOOOOOOOOOOOOOOOOUUUUUUUUUUUM !

[...]

Une victoire de plus pour Diez Bronze. A coup sûr, se dit-il, on le nommera commandant des futurs Énigma' à former. Et déjà, il a tout un programme à mettre en œuvre. Chantonnant, il sort de l'immeuble en ruine. Cet air de victoire qu'il sifflote parait encore plus exquis maintenant. Il aura réussi d'une pierre deux coups à éliminer deux gêneurs, même s'il a eu un coup de chaud à la fin. Il a eu l'impression fugace que ce barbu délivrait un message sibyllin au petit. Tout joyeux, il contacte son boss.

- Allô ? Commandant Ortéga ? Mission accomplie, Darkness et Fried sont morts.
- Ah ? Zuper. De zon côté, Sully vient de m'informer. Il a trucidé Reich, Kedavra a été capturé. Deux bonnes newz coup sur coup ! Fried ezcortait Darknez ?
- Nan, nan. Je l'ai assommé dans les toilettes et j'ai mis une ceinture d'explosive sur lui.
- Houhouhouhou ! Obéis-moi ou tu crèves ? Z'aime ton ztyle ! T'as pas tenu ta promesse hein !
- Je lui ai dit de zigouiller Darkness et je vais désamorcer la bombe. Quand il l'a approché pour l'attaquer, j'ai déclenché le système à distance. Ils sont en enfer tous deux !
- Houhouhouhou. Le crétin !
- Mais y a eu une discussion, j'lui dis tout c'qu'il devait demander à Darkness. Et s'lon lui, ils bluffaient.
- Pfffff, les derniers mots d'un mourant qui cherche à razurer sa conscienze ! Bluff ou pas, ils sont bien morts non ?
- Carrément !
- Alors ? Les plus malins z'est nous ! Tous les coups zont permis ! Viens nous z'aider à défonzer l'QG puis on pazera à Ozmund Hank !
- A vos ordres !

Tout content et un peu plus rassuré, il s'avance de sa démarche chaloupée. Puis, ses sens l’alertent. Une présence derrière lui. Il se jette à droite et sent quelque chose le frôler. Mais aussitôt vu, aussitôt disparu. Puis réapparu. A sa gauche. « Aaaaaaaaaaaaaaaaaah ! » qu'il hurle quand tout le côté gauche de son visage se retrouve balafré. Douleur. Le liquide poisseux coule sur ses mains. A sa gauche, tout est ténèbres. « Non, non, non ! Oh non ! » couine-t-il. Il trébuche, chute et de sa main libre, farfouille son corps à la recherche d'une arme. N'importe laquelle. Mais encore cette présence. Un autre slash.
« P-pitié ! non ! pitié ! hinhinhinhin ! Mon bras ! C-coupé. Miséric-corde. C'qui ?! » qu'il supplie maintenant. Il pleure, son moignon contre son torse, essayant de stopper l'hémorragie qu'il a dû mal à fixer de sa vue éborgnée. Ensuite il vole, plane puis s'écrase contre un pilier en béton. Misérable petite chose.

- Alors, tu prends ton pied, Capitaine ?
- Wil...

Un autre coup de pied sauté. Un autre vol plané. Un énième gueulement de douleur.

- Je t'interdis de prononcer mon nom, abject petit personnage ! La plus belle erreur de ma vie fut de te confier mes hommes au front, Böhm !
- P-p...
- QUOI ? TU VAS DEMANDER GRÂCE ? TU N'AURAS MÊME PAS LE COURAGE D'ASSUMER TES ACTES ? TU AS FAIT GRÂCE A MES ÉNIGMATIQUES QUE TU AS LÂCHEMENT TUÉS ? D'AILLEURS COMMENT TU AS FAIT CA ? LAISSE-MOI DEVINER, TU LES ENVOYAIS EXPLORER UN SECTEUR QUE TU AS TOI-MÊME MINÉ AUPARAVANT ? ET COMME AVEC FRIED, TU TE CACHAIS POUR LES FAIRE SAUTER ?
- Par...
- NE. DEMANDE. PAS. PARDON ! rage-t-il en accompagnant chaque mot d'un coup de pied. TU AS FORCÉ UN HOMME BIEN A ÊTRE TA MARIONNETTE ! TU LUI AS SOUFFLÉ LES QUESTIONS QU'IL DEVAIT ME POSER HEIN ? ME TIRER LES DERNIERS VERS DU NEZ AVANT DE LE FAIRE EXPLOSER ? HEIN ?

Il le bourre d'une multitude de coups de pieds avant de s'écrouler à côté, pleurant et sanglotant. Fried fut un de ses instructeurs pendant son service militaire. "Un pays de dingues, chier dessus", c'étaient des codes propres à leurs promotions qui respectivement désignaient une action sous la contrainte et une bombe ambulante. Depuis le début de leur conversation, Willian n'ignorait pas l'état de la situation mais c'est seulement à la fin que Fried choisit de lui révéler qu'il avait une bombe sur lui. Et tout ce temps, il maintint une distance de sécurité entre lui et Willian de sorte à le protéger. Grâce à son avertissement, l'héritier n'a pas cherché la confrontation au corps à corps, ce qui lui aurait été fatal. Il se dissimula dans une crevasse quand son instructeur et meilleur officier explosait en poudroiement organique.

Il se ressaisit rapidement après une prière à son ami défunt, tranche la tête du nain pour la bonne mesure puis se déleste de ses armes. Pour seuls outils, il s'équipe d'un étendard blanc et d'un escargophone. A partir de là, il sait qu'il avancera en terrain miné avec la mission quasi suicide de retourner un ennemi mortel. Osmund Hank. Que font les gens normaux ce soir ? s'interroge-t-il avec ironie.
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21h

- La douche était bonne ?
- Ouais, plutôt. Rien de tel que de nettoyer des bouts de cervelet sur soi pour se sentir propre. Avons-nous des nouvelles du Q.G ?
- Ils sont assiégés, les prisonniers s'battent à leur côté comme t'avais prévu. La forteresse tient.
- Espérons qu'elle tienne longtemps alors.
- Ma couille, on a cadeau pour toi.

Un cadeau d'Avada, jamais bon signe. Maintenant habillé d'un simple t-shirt et d'un short, je débarque dans le salon de la mezzanine où l'autre à été exécuté. Un autre homme, chauve, baraqué a pris la place qu'occupait le trépassé. Il est barbouillé de sang, le sien qui goutte des plaies ouvertes qu'il a sur le corps. « Loth, dis bonjour à Sully » dit Avada d'une voix de gamine.

- Bonjour Sully. Quel mauvais vent t'amène sur le pas de ma porte ?
- Sully commandait l'peloton d'trente hommes que Ortéga a envoyé pour t'éliminer. Ils pensaient vraiment que tu faisais du porte à porte pour recruter des gens ! Nos gars qui patrouillent leur ont fait leur fête mais on gardé c'lui là en vie.
- Le connard avait un escargophone sur lui, je l'ai forcé à dire à son patron que tu étais mort et que moi j'étais capturé. Il lui a donné l'ordre de veiller sur le fief donc pour l'instant on est tranquille.
- Beau boulot. Je me flatte de savoir choisir mes collaborateurs. Alors, Sully, saurais-tu où se trouverait Diez Bronze ?
- Non.
- Non ? "Non" comme "non, je ne sais pas" ou "non, je n'ai rien à te dire, va te faire foutre ?"
- Chai pas. Chui qu'un sous-off'.
- Ah un sous-officier. Dommage pour toi. Les gars, Bryan et Jeff, je vous l'offre. Tirez-en tout ce que vous pourrez comme information.
- Quoi ? Non ! J'ai tout dit. Non. Pit...
- Ta gueule !

Le Fumier le gratifie d'un coup sur la bouche puis son compère et lui acheminent l'infortuné dans une pièce où je n'entendrai pas ses cris. C'était juste une question pour la forme, je trouverais Bronze tout seul. Et l'heure file, déjà vingt-une heures passées. Il ne reste que cinq heures au maximum avant mon départ. Tout doit s’accélérer et heureusement, le plan est déjà arrêté. Sauf qu'il reste à Nox un brin de discussion.

- J'continue d'penser que j'suis l'mieux placé pour convaincre Norman.
- On ne va pas se battre pour ça. Je te laisse ta Grenouille, je me charge de Kuerten.
- Non, Avada. Tu vas chez Norman comme je l'ai décidé ! Arrête de chipoter Nox.
- J'chipote pas ! On a un passé un commun, j'peux...
- Je ne dis pas que tu ne peux pas ! Le passé dont tu parles, je l'ai vécu ! Et pourtant, je ne pense pas que je sois à même de le convaincre ! C'était un ennemi mortel du Gila ! Te rends-tu compte de ce que ça signifie ? Le Gila nous a formés, nous avons tué des hommes de Norman ! La Grenouille est de la vieille école. Ce type vendait des armes quand je marchais encore à quatre pattes ! A l'instar du Gila, c'est un homme qui respecte la force et c'est pour ça qu'Avada est la mieux indiquée pour négocier avec lui.
- Tu dois être plus célèbre que moi aujourd'hui, dit-elle.
- Auprès de la veuve et de l'orphelin, oui. Je suis connu comme un sauveur de royaume. Comme un chasseur de criminels. Comme le chien d'un roi de North et de South Blue. Je suis persona non grata dans le souterrain, presque. Je fais tellement attention à ne pas laisser de traces exploitables par mes détracteurs Marines que peu savent que je suis du milieu. Et pour ces raisons, je risquerai ma vie en allant parlementer avec la Grenouille. Plus que tout, il déteste les indics et les chasseurs de primes. C'est à cause d'eux qu'il est défiguré aujourd'hui. Je ne le crains pas mais je ne suis pas non plus dans une logique de confrontation donc autant passer la main. Avada est connue depuis plus longtemps que moi et les trainées sanglantes qu'elle a laissées ont bâti sa légende. Elle a une prime de cinquante millions, la même que celle de la Grenouille. La tienne est de dix, Nox ! Ce n'est pas le même monde, désolé.
- Okey, okey.
- Qui plus est, tu connais le dicton. Grand sera le mandataire, plus grand sera le mandant. Que quelqu'un comme Avada vienne négocier en mon nom me donnera plus de crédit que toute autre solution. Voilà qui est dit, vous savez ce que vous avez à faire. Retrouvons-nous dans deux heures si tout se passe bien.
- Ou enfer autrement.
- Fais attention, la Grenouille est fourbe.
- Et moi, létal.
- A la bonne heure.

[...]

Nox rampe dans ce conduit d'aération tapissé de poussière. Que ne faut-il pas faire pour entrer discrètement chez un ennemi ! Fort de son vécu, le vieux Moh leur a fourni tous les renseignements désirés. Benny Kuerten vit près de la frontière avec Favela, dans une tour sise au sein d'un vaste complexe industriel qui rassemble toutes les usines Kuerten Artillery. Le chef des Fumiers donne un coup de pied dans la grille de ventilation et dégage le chemin. Lestement, il glisse du conduit et atterrit dans une petite pièce qui sert de débarras. Selon les informations obtenues, les appartements du maitre de maison se trouvent au quatrième. Un à un, les dix Fumiers qui l'accompagnent prennent pied. Nox sait que simultanément, à cinq kilomètres de là, Avada s'entretient avec Norman.

C'est en bas de l'escalier qui dessert le troisième qu'ils aperçoivent le premier gorille. Normal, en ce moment, ils sont tous rassemblés dans la cour parce qu’Ortéga les aura alertés sur des "recruteurs". Kuerten a concentré ses hommes autour de sa demeure s'attendant à une attaque extérieure.
Un coup vif dans le plexus, un autre à la base la nuque et notre gorille cravaté s'en va au pays des songes. Les Fumiers progressent, furtifs, bifurquent à leur droite et empruntent un escalier en colimaçon. Onze hommes habillés et cagoulés de noir, ce ne serait pas fameux d'être surpris en file indienne dans cet escalier tortueux, pense Nox. Et effectivement, quelqu'un émerge d'une porte et instinctivement, Damask se jette sur la menace. Puis se rend compte que c'est juste une fillette, à peine dix ans. La terreur absolue se lit dans ses yeux alors qu'elle essaye de bouger. Nox plaque un mouchoir imbibé d'anesthésiant sur ses narines et elle s’évanouit instantanément.

- Non, c'bon, prenez pas la peine d'vous lever pour nous.
- Toi déposes ça ! Fais pas l'malin, on a la fille ! clame un Fumier.
- Ouais, tu n'devrais pas faire du zèle, c'est elle Deedee Kuerten ? Ah non, Deedee c'est une adolescente mûre d'après notre ami Moh. Ah ! C't'elle là-bas contre la cheminée.
- Qui êtes-vous, putain ? Et vous fichez quoi dans ma demeure ?!
- Héléna ! pleure la mère.
- Calmez-vous 'sieur, m'dame Kuerten, prenez un Bloody Mary.

Le seul garde dans la pièce se désarme tout seul à la vue de l'otage. Nox prend ses aises et s'étale dans le canapé bourré. De l'excellent cuir, très haut de gamme. Décidément, les armes, ça paye. Il allonge la fillette à ses côtés puis caresse ses cheveux châtains et s’attarde longuement sur sa frêle nuque. Atterrés et debout, ses parents lui font face, une expression indescriptible d'horreur au visage.

- Toi, je te connais ! Tu es ce tueur à gage de South Blue ! Damask Nox ! fit le père, un index accusateur brandi.
- Ça fait du bien d'être reconnu. Tu sais c'qui s'passe dans l'Centre actuellement ?
- Euh... Qu'est-ce que ça à...
- Réponds !
- Hmph... O-on m'a informé que le petit Darkness avait trahi avec les Énigmatiques. Qui sont assiégés. Mais je vous en prie. Si c'est de l'argent...
- La ferme ! Si j'suis là, c'est parc'que tu soutiens l'mauvais camp. T'as fourni armes et hommes à Bronze.
- C'est le légitime !
- En effet. Mais tu connais l'proverbe. La raison du plus fort est toujours la meilleure.
- M'en fous ! Relâchez ma fille !
- Vous lui avez fait quoi ?! pleura la mère.
- Que dalle, juste un somnifère. J'ne toucherai jamais aux enfants. Enfin, tant qu'on n'me pousse pas à bout. Tu veux m'pousser là, Kuerten ?
- Non. Non. Vous voulez quoi ?
- Des hommes. J'ai entendu parler d'la Deuxième Colonne. Faut les sonner, j'veux les voir rappliquer ici. Faudra bien sûr leur dire d'nous obéir.
- Quoi ?! Mais ! Trahison.
- J'ai pas bien entendu. Hein ? dit-il, une main sur le cou de la fillette.
- Rien...
- Tant mieux. Rayan ? Ramène Héléna Kuerten à notre hôtel. J'te donnerais des nouvelles chaque demi-heure. Si j'rate l'coup d'fil, tue-la. Tony, Abalo, escortez Rayan.
- A vos ordres.

Il y eut un tumulte vite calmé par des coups de crosses. Un pistolet sur la tempe convainc la mère et la sœur de souffrir en silence. Quant au père, il perdit une incisive et l'intégrité de ses lèvres dans sa tentative de rébellion. Il n'arrivera rien à cette fillette, même si Kuerten refuse de coopérer. Mais la comédie était convaincante. Tant mieux. Une partie de Nox en arrive presque à plaindre ce père de famille impuissant à protéger ses enfants. Les Fumiers disparaissent avec la fillette et Kuerten est anéanti, tellement qu'il n'arrive même pas à pleurer. Contrairement à sa femme et à son ainée qui déversent des flots de larmes. Nox le gifle pour lui faire reprendre ses esprits.

- Hey ! Ça s'passe ici, Kuerten ! Ta fille n'est pas encore morte mais elle l'sera si tu déconnes. Compris ? Et puis d'filles, il t'en reste encore une, là. Qu'est déjà une femme faite. Avec tout au bon endroit... Vas-y, Deedee, lève-toi pour que j'vois un peu tes jambes ?

Nox se dégoute à chaque mot, à chaque délectation perverse dans sa voix. Il tourne autour de Deedee comme un prédateur. Sa mère l'enlace pour la protéger, tellement le chef des Fumiers à l'air d'un détraqué sexuel. Elle hurle à son mari : « Benny ! Donne-lui ce qu’il veut ! Qu’il quitte notre maison ! Je veux ma fille ! »

- Oui, écoute-la Benny. Décroche ton escargophone et contacte tes réservistes. J'veux cette compagnie d'quatre cents hommes dans vingt minutes ou... Tu connais la chanson. Et aussi, tes gros bras dans la cour, d'mande leur d'rameuter et d'déposer les armes. Mes propres gars vont s'assurer d'la sécurité. Et à chaque instant, n'oublie pas Héléna. Et puis, y a pire que la mort hein. Pense aux esclaves libidineux, héhéhéhé.

Norman devient aussi blanc qu'un bloc de banquise. Et Nox s’écœure davantage.

[...]
- Je n'aime pas les planques.
- Vous venez d'arriver, monsieur, fit Sam Tex en souriant.
- Oui et c'est ça qui m'ennuie dans les planques. Je peux être d'un naturel très patient, je peux laisser les rouages d'un plan s'imbriquer et fleurir sur plusieurs années mais une planque, ça m'horripile. Attendre, seulement. Qu'as-tu fait d'autre depuis ?
- Rien, monsieur. J'ai attendu et j'ai regardé droit devant moi à l'affut.
- Tu ferais un bon sniper. J'en ai côtoyés qui utilisaient une technique appelée Fantasme Utopique. En gros, ils se mettent dans un état de semi-méditation puis créent un scénario autour de leur cible. Toi par exemple, tu serais là entrain de t'imaginer avec Hervey Mortimer, travaillant avec lui, le sauvant d'une noyade, et cetera. Et puis quand il apparaitra enfin, ton imagination reviendra à la réalité.
- Ça une utilité, monsieur ?
- Oui, rester éveillé pendant trois jours non-stop.
- Ah oui. Moi je suis là seulement depuis trois heures, haha !
- Et moi depuis un quart d'heure mais déjà, je me ronge les ongles.
- Et eux, ils dorment.

"Eux", ce sont les propriétaires de l'appartement que nous squattons Sam et moi. Ils dorment du sommeil du juste, ils se réveilleront dans quelques heures avec une grosse migraine. Leur appartement a l'avantage d'être juste en face de la maison-laboratoire d’Hervey Mortimer, le chimiste dissident de la Jungle. Depuis que nous quittâmes ce Secteur, je donnai à Sam la mission de venir surveiller le domicile du chimiste, convaincu qu'à un moment où un autre, les hommes de Bronze viendraient le visiter, désireux de se procurer le fameux Venner pur à 75%. Et depuis trois heures, rien du tout, pas un chat à la devanture de l'étrange maison qu'on dirait construite par quelqu'un qui n'aurait eu que de vagues notions d'architectures, aucun signe d'activité non plus à l'intérieur.

- Il se pourrait que les gens de Bronze l’aient chopé en cours de route, monsieur.
- Vraisemblablement. Selon l'Arbre à Palabre, Mortimer les a quittés juste quinze minutes avant nous. S'il s'est fait arraisonner en chemin alors nous perdons notre temps ici. Et du temps, je n'en ai pas.
- On va fouiner chez lui, monsieur ?
- Fouinons.
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22h

Les uns après les autres, séparément ou par groupuscules, les membres de la Deuxième Colonne arrivent chez Kuerten avec paquetages et armes. Le reste des Fumiers a rejoint les lieux et s'occupe de sécuriser le vaste domaine qui inclut le complexe industriel et la tour d'habitation des Kuerten. Les réservistes se réunissent par pelotons avec une discipline militaire sous le regard impérieux de Nox depuis le sixième étage de la tour. A ses côtés malgré lui, Kuerten. Désireux ne prendre aucun risque, Nox choisit finalement d'envoyer sa femme et sa fille ainée rejoindre la cadette. Il y a une raison si les criminels prennent soin de cacher ou de ne développer aucune relation sérieuse, la famille est toujours le meilleur moyen de pression qui puisse exister.

- Y en a trois cent, trois cent cinquante là, non ?
- Ouais. Tous les quatre-cent vont arriver. Vous libérerez ma famille comme promis ?
- Qu'ils s'ramènent, c'est l'plus facile. Faut s'assurer qu'ils nous obéissent.
- Ils vont vous obéir, parce que je le leur ai dit.
- Sauf qu'ils n'savent pas encore qu'ils vont marcher contre Bronze. Y aura p't'être une rébellion.
- Il n'y aura aucune rébellion, ce sont mes hommes ! Pas ceux de Bronze. Ils mangent dans ma main ! dit-il avec une sorte de fierté. Première fois que Nox voit un sursaut d'orgueil chez lui.
- Soit. Descendez voir vos hommes. Faut bien leur expliquer qu'ils s'battent désormais pour l'héritier légitime du Roc, Willian Darkness. T'nez, c't'un audio dial. Y a un discours d'Willian enregistré d'dans.

[...]

- AaaaAAaaaaAAAaaah ! P-pour-koi v-vous f-faites ça ?

La mission suicide de l'Héritier a tourné au vinaigre. Comme il s'y attendait.
Sans arme et avec pour seul outil un étendard blanc, il s'était engouffré dans la zone de repli de ce qui reste des combattants de Jack Black. La hantise de Willian alors : les snipers. Mais heureusement, aucune balle ne siffla près de ses oreilles, la gratitude peut être à ce drapeau blanc. Des miliciens vinrent à sa rencontre et le conduisirent menotté devant le chef. La première partie était réussie dès lors, il ne lui restait plus qu'à convaincre Osmund Hank de ployer le genou -en quelque sorte- devant lui, s'était dit l'Héritier.

On disait beaucoup de choses sur Hank, que c'était un homme juste, loyal, un bon stratège et surtout un homme de raison. Quelqu'un qui, assurément, pourrait comprendre que continuer la guéguerre n'était pas dans l'intérêt suprême du roc, s'était dit le Darkness avant de se lancer dans sa tentative de conversion. Mais maintenant, il se rendait compte cruellement qu'on ne lui avait pas tout dit. Osmund Hank était aussi de ce genre de meneurs papa-poule qui détestait perdre des hommes et en voulait à la terre entière pour cela.

- Je peux accepter de perdre mes gens dans des combats, ils ont tous signés pour ça, personne n'a été forcé en fait. Mais perdre cent cinquante hommes et femmes, shootés comme des pigeons... Mais non, qu'est-ce que je raconte, même les pigeons ont leur liberté ! Ils volent ! Ils ont une chance de s'enfuir avant que les plombs des chasseurs s'abattent sur eux. Non, mes gens ont été fusillés, massacrés comme de la vermine ! ET TU OSES VENIR ME DEMANDER DE M'ALLIER A TOI ALORS QUE TU AS CAUTIONNÉ ÇA ?

Quand la main de Hank s'abaisse, Will s'attend à la douleur. Elle ne manque jamais son rendez-vous. Le rituel est le même depuis près d'une heure. D'abord le vrombissent caractéristique d'une lanière qui se déplace dans l'air puis le claquement sec sur une peau nue suivi un râle de douleur. S'ils ne sont pas noyés par les gémissements du supplicié pendu par les mains au plafond, on peut entendre les "toc toc toc" réguliers du sang qui goutte sur le sol. La négociation a tourné court. Le torse dénudé de Willian Darkness ressemble désormais à une étrange confluence d'autoroutes sanguinolentes.

- J-je... ami...
- Qu'est-ce que tu dis ? Ami ? Qui et qui ?
- Toi..moi...
- Je suis pas ton ami et je vais pas non plus obéir à une espèce d'enfant gâté dont le plus grand passe-temps est d'acheter des esclaves pour s'en faire des compagnes. C'est pas parce que t’as participé à ta première escarmouche ce midi que tu dois te sentir chef de guerre.
- M-moi... je.soutiens.m-mes.hommes. parvient-il à hacher. Où.est.ton.B-Black ?
- Parti régler un truc, répond-il. Pourquoi tu souris ?
- Tu.sais.pas.où.se.trouve, mâchonne Will qui, malgré le supplice qui lui tiraille le corps, a repéré l’amertume et le doute dans la réponse de Hank. Tu.perplexe.peur.
- Peur ? Peur ? Mais de quoi ?
- D-défaite.Avenir.tes.hommes.

L'héritier sourit davantage, comprenant enfin que son adversaire est dans le désarroi le plus complet. Bien sûr Hank n'est pas un homme idiot, il s'est interrogé sur les manœuvres de son chef absent. Et c'est surtout après sa défaite au Centre qu'il se sera demandé où est son général quand ils ont le plus besoin de lui. « Tu.veux.pas..battre.à.mort.pour.rien » grince-t-il d'une voix de plus en plus faible.
« Tu.d-désires.porte.sortie. Pas.mourir.pour.Black.déserteur. Je.suis.ton.seul…ami. »
Et quand il croise les prunelles grises de son cinquantenaire de bourreau, le jeune Darkness sait qu'il a vu juste. Cet homme n'est sûrement pas prêt à se sacrifier pour un absentéiste. Mais encore faudrait-il lui donner une raison solide de définitivement couper les ponts avec son général de tutelle. Et pour l'instant, il a échoué sur ce point. De négociateur, il est devenu captif.

- Euh... Commandant, il est dans les vapes. On l'laisse là ?
- Nan, détachez-le et désinfectez ses plaies. Administrez de l'essence de Soumbui par dessus pour éviter les lésions cicatricielles.
- On doit l'soigner ?
- Oui ! Vous êtes sourds ou je dois répéter mon ordre ?!
- A vos ordres...

Osmund Hank s'en va à grandes enjambées vers ses quartiers, plus tourmenté que jamais. Combien de temps parviendra-t-il à tenir cette position précaire ? Cinq cent de ses hommes ont déjà payé de leur vie ou de leur liberté cette guerre pour un chef qui fait Dieu-sait-quoi. « Je m’en vais chercher des renforts, j'ai des amis puissants » avait dit Black en partant ce matin. Où sont ces amis ? Où est-il lui ? Et c'est dans ces moments que Hank se maudit d'avoir ce code, cette intégrité rigide qui l'empêche de faire des choix. Un autre que lui aurait déjà embrassé la proposition de ce jeunot qui en a malgré tout dans le ventre. Se déplacer en personne pour convaincre un ennemi mortel, ça vaut son pesant de respect. Et lui Hank est un homme à respecter le courage.

[...]

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Nox.
- C'est Randall.
- Ah, salut. Ça s'passe d'votre côté ?
- Ils nous canardent comme si on avait couvert leurs mères. Mais sinon, ça se tient. Personne ne connait ce bâtiment mieux que les Énigmatiques et même leur artillerie lourde ne va pas nous en déloger ! Le plus dur c'est de tenir l'assaut et penser à préserver les vies de nos ennemis.
- Ah ouais, pour Loth s'sont des recrues futures. Mais ouais, j'suis d'accord avec toi, dans l'feu de l'action, tu réfléchis pas à préserver c'lui qui t'fait cadeau d'sa balle quoi.
- T'as déjà subi un siège ?
- Non pas vraiment.
- Et ben prépare toi à en tenir un.
- Quoi ?
- Depuis quinze minutes, les troupes d'Ortega ont levé le camp. Enfin, une partie. On a rien remarqué d'abord parce qu'ils ont couvert leur départ par une pluie de feu deux fois plus importante que ce qu'on subissait jusque-là. Mais là, ça semble évident que plus de la moitié des gars qui nous assaillaient ont déguerpi.
- Vers notre position ?

Un Fumier choisit ce moment pour arriver.

- Commandant Nox, nous avons repéré un mouvement massif d'troupes en approche.
- Vous avez votre réponse Nox. Ils ont foncé tout droit sur vous, quelqu'un a dû les informer.
- La ruse avec Sully n'a pas trop marché.
- C'était pas la tenaille prévu par Reich hein ?
- Pas vraiment nan. On était censé les surprendre en train d'vous assaillir. Pas rameuter une partie ici. Et merde ! Bon bye, j'dois préparer les choses. Viens avec moi Sinistros !
- Whoaf !

Le chien sur ses talons, Nox sonne le branle-bas de combat. Le complexe industriel Kuerten est trop grand pour le défendre dans son intégralité et il ne compte pas non plus s'engager directement dans un combat sans l'ordre express de Loth. La meilleure chose qu'il ait à faire pour l'instant c'est de réunir tout le monde dans un lieu facilement défendable. L'usine de balles par exemple. Elle est carrée, adossée à la paroi montagneuse, isolée de l'ensemble du complexe et il y a un entrepôt, donc des stocks de munition à disposition. C'est décidé, c'est de là qu'il essaiera de tenir la dragée haute à l'armée qui fonce sur lui, avec ses soixante-dix Fumiers et les quatre-cents réservistes à la loyauté nouvelle acquise qu'il convenait de tester.

Et que fait Avada avec Norman ? s'interroge-t-il.
S'il y a un moment pour jouer les héros qui arrivent in-extremis, c'est maintenant, se dit-il en désespoir de cause.

[...]

Le domicile d'Hervey Mortimer ressemble à ce qu'on pourrait imaginer de la demeure d'un chimiste. Un espace exiguë, occupé par une énorme bibliothèque, des étagères à n'en plus finir encombrés de fioles, de tubes à essai et d'autres verreries. Et bien sûr, il y a l'odeur, un mélange de médicament couplé et à du caoutchouc brûlé. Et ça, c'est juste le salon. Dépassé l'antichambre, il y a le labo au fond. Outre la verrerie supplémentaire, des machines viennent s'ajouter au lot, un four, une presse et des braseros également. Dans un coin sont entassés des sacs qui contiennent surement les produits qui lui servent à couper le Venner.

- Sam, continue de fouiller. Je passe un coup de fil à Will. Il aurait déjà dû me donner des nouvelles.
- Bien monsieur.

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Will ?
- Aux abonnés absents.
- Est-ce vous Osmund Hank ? Je suis Loth Reich.
- Ah oui. Il m'a parlé d'vous.
- En bien j'espère ? S'il ne décroche pas, je suppose que c'est parce que la négociation a tourné court ?
- Y a jamais eu de négoce.
- Hmm, vous n'avez pas fait l'erreur de le tuer au moins ?
- Et si c'était le cas ?
- Ça ne changerait rien dans l'immédiat. Vous serez toujours en position précaire et au lieu de négocier, nous marcherons contre vous.
- Ce sera toujours la guerre quoi. Rien n'aura changé depuis ce matin.
- Ce qui aura changé c'est la fusion totale des Énigmatiques et de l'ex-armée de Bronze. Ils sont en ballotage et bientôt, ils ne seront que de l'histoire ancienne. Ce que moi je vois quand je vous parle, c'est un homme esseulé et abandonné de tous, de son général. Les soutiens dont vous disposez dans votre propre fief ne sont que verbaux. Hank, vous ne pouvez renflouer votre armée comme le ferait Black. Vous n'avez aucune colonne en réserve. Vous jouez au funambule et la question n'est pas quand vous tomberez mais comment. Ou plutôt, de quel côté ?
- Vous parlez trop.
- Savez-vous ce qu'on dit des gens à la loyauté aveugle ?
- Non.
- Moi non plus.
- Très drôle.
- Par contre, je sais ce que moi je dis à ce propos. Le sacrifice, c'est un truc de looser. Ne soyez pas un looser, Osmund Hank.

Je raccroche animé d'un étrange sentiment. Pas de la culpabilité, Will connait les risques et j'espère qu'il s'en sortira. Hank m'a l'air d'un homme bien mais pour le retourner il faudra plus que des mots. Plus d'actes. Finalement, quelque part, je me dis que mon envie de résoudre cette histoire sans en arriver à une confrontation généralisée est un poil utopiste. Ça tire au QG des Enigma et ça ne tardera pas à tirer chez les Kuerten, information que je tiens de Randall. Mon plan part en sucette et étend le conflit au lieu de le confiner. Mais comme Nox ne m'a pas encore appelé, je garde confiance. Ce n'est pas encore assez critique pour effectuer un virage. Et plus important, je n'ai eu aucun appel d'Avada. Je lui ai confié le devenir de ma stratégie et je sais qu'elle ne me décevra pas. Autrement, nous serons tous cuits.

J'archive tout ça dans un coin de ma tête et m'intéresse de près aux machines présents dans le labo. Je ressens une certaine chaleur dans la pièce et me rapproche d'une centrifugeuse. La coque est chaude. Étrange. Elle n'est pas la seule, presque toute la machinerie présente là est tiède comme si elle avait cessé de fonctionner quelques minutes plus tôt. Dès que la Jungle prit la décision de couper ses relations commerciales et diplomatiques avec le Roc, Mortimer fut rappelé, le matin même. Et il ne quitta la Jungle qu'aux alentours de dix-huit heures.

- Sam, il était là !
- Ah bon, monsieur ? fit sa voix depuis le salon.
- Oui, les appareils ici sont chauds. Ils ont fonctionné y a peu.
- C'est peut-être des automatiques ? Des programmables ?
- Non, du tout. Ce sont toutes des manuelles, je ne vois aucun clavier, aucune minuterie.
- C'est impossible. Il m'a peut-être devancé mais dès que je suis venu, je me suis posé en face, monsieur. Il semblait n'y avoir aucune vie à l'intérieur. Et même s'il m'a dupé, par où il est sorti ? Je suis resté presque sans scier, figé en face de la porte.
- Le rasoir d’Ockham alors. Il y a une autre sortie. Cherchons une trappe ou une porte dérobée.
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PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Ouais.
- T'es qui ?
- C'est toi qu'appelle, t'es qui ?
- Ze suis celui qui assièze l'uzine. Et c'est le numéro de Kuerten que t'as.
- Oh t'es juste l'voisin d'en face quoi. Sympa d'venir nous souhaiter la bienv'nue dans l'coin. T'as apporté une corbeille d'fruits ?
- Tu t'crois malin, c'est za ? Te retrancher dans cette uzine va pas te sauver. Si tu zors on peut trouver un terrain d'entente.
- Non, non, on est bien là où on est. Et si toi tu foutais l'camp ?
- Ze veux parler à Benny.
- Benny ? Jamais entendu causer.
- Kuerten ? Si tu m'entends, peu importe ce qu'ils t'ont promis, peu importe les menaces. Suffit d'dire à ta Colonne d'se retourner contre eux. Tout zera réglé.
- Navré. Kuerten est sur répondeur.
- Tu veux en découdre hein.
- T'es un p'tit génie toi.
- Ze vous razerai tous !

Gatchan.

- Vous pensez que c't'une bonne idée d'l'énerver chef ?
- Non, mais c'était amusant.
- Y a rien d'amusant ! vocifère Kuerten. Ils sont des centaines là dehors !
- On est des centaines à l'intérieur. Je dirai même qu'on est probablement plus nombreux qu'eux, à vue d’œil. Donc relax.
- Je ne peux pas être relax ! Vous détenez ma famille et y a une armée qui m'assiège !
- Alors, faites c'qu'il faut pour vous sortir d'là. Pou'quoi n'pas écouter Ortéga par exemple hein ? Dites à vos hommes d'se retourner contre les miens ? On est que soixante-et-onze et vous, quatre cent. Vous allez nous massacrer et t'auras gagné ta liberté d'copiner avec tes copains là derrière les remparts. Et avec un peu d'chance, ils t'aid'ront à fouiller tout North Blue à la recherche d'ta famille parc'qu'autant t'le dire avant que tu fasses une bêtise. Elles sont plus à Carci d'puis belle lurette.
- ...
- Non ? Choisis bien à qui va ta loyauté. A ta famille ou à ces illuminés. Tu penses que ce zozoteur d'Raoul Ortéga s'en carre l'cul du dev'nir d'ta femme et d'tes filles ? Il leur piss'ra à la raie volontiers.
- Que voulez-vous faire ?
- Rien. On garde nos positions, on les renforce.
- Et s'ils passent à l'attaque ?
- Bah on ripost'ra mais on prend pas c'te initiative. Pour l'instant, il veut être en surnombre avant d'nous attaquer pac'qu'il sait qu'on est plus nombreux.
- Mais plus pour longtemps. Vous pensez que je suis le seul qui leur fournit troupes et armes ? Il va voir quelqu'un de bien plus puissant que moi ! Ma Colonne ne compte que quatre cent hommes. Celle de Norman en compte deux fois plus ! Y aura donc bientôt plus d'un millier de reitres ici et on sera fait comme des rats ! Ce serait plus raisonnable de les attaquer avant qu'ils ne fortifient leur position.
- Vous avez déjà fait la guerre ? Combattu quelque part ?
- Non.
- Vous pensez qu'on est des amateurs ?
- ...
- 'lors fermez là et observez. Moi aussi j'compte sur Norman. D'puis l'début, Loth a dit que tout dépendrait d'lui. On y est.
Ho ! C'est quoi c'boucan ?

Dans le bureau du directeur d'usine transformé en QG de fortune débarquent deux Fumiers qui en soutiennent un autre semblant blessé. Nox le reconnait de suite, c'est l'un de ceux qui ont été assignés à la déstabilisation de Favela. Il croit se souvenir qu'il s'appelle Danny Gin et était le binôme d'Arlan dans l'unité Fox 7. « On l’a trouvé en cherchant des canalisations secrètes, commandant. On veut l’soigner mais il veut d’abord vous causer » dit un des Fumiers. Danny est à bout de souffle, tellement que ses camarades l'éventent. Il a un bras et une jambe ensanglantés, dus à des balles, probablement. Nox se demande comme il s'est débrouillé pour arriver jusque-là et surtout pourquoi. Les unités Fox survivantes ont reçu la mission de rester en hibernation. Un long moment après, il a assez récupéré pour parler. Il demande qu'on ouvre sa besace et qu'on en sorte des photos.

- Par l'cul d'la Mère ! marmonne Nox en contemplant les clichés. Mais bordel d'merde ! Oh putain ! Non ! Non ! Non ! Non ! Merde ! C'fils d'pute ! Qu'est qu'il nous fait, sa race ! Quand ça a été pris ?
- 18h. Chef Arlan vous a pris les tof. Dans l'bordel nommé Sodome. Y vous a sacrifié sa vie pour prendre ces tofs.
- J'le regrette déjà. C'était l'un de mes meilleurs seconds.
- Y voulait éliminer Black mais il vous a été surpris. Y vous y a laissé la vie. Y vous a envoyé Danny pour prév'nir. J'ai dû vous traverser la frontière. Favela vous y masse des troupes par milliers, commandant.
- Ya, Foster Burn qui s'impatiente d'ne pas trouver d'interlocuteur.
- Y viendra pour vous chéchère son frelot.
- J'sais mais pour l'instant, on n'est pas à une armée près. Ça s'gate d'tous les côtés. Très bon boulot Danny, va t'faire soigner, on aura b'soin d'toi si ça crépite.
- Et pour Black ? On peut pas vous l'laisser continuer à baiser tout c'qui bouge.
- Ouais. Mais c'est tellement la merde partout ! Nos plans s'retournent contre nous.

[...]

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Loth ! Ça pue !
- Belle intro', Nox. Essaie autre chose plus compréhensible voir ?
- J'te dis que ça sent la merde !
- Tu parles du blocus d'Ortéga ? Juste un contretemps. Randall m'a fait un point de la situation. Tu as pris la bonne décision, il faut juste attendre. Le temps est une alliée traitresse dont on peut exploiter les faiblesses. Dans une certaine mesure.
- J't'ai envoyé Sinistros, tu comprendras. J'arrive même pas à expliquer avec des mots !
- Bizarre. J'attends alors. Je suis toujours chez Mortimer à la recherche d'une porte secrète mais nous faisons chou blanc depuis. Et pourtant, tout indique qu'il était là !
- Mec ! J'te dis qu'on recherche l'mauvais gars ! C'est Black que tu devrais pister, pas Bronze !
- Pourquoi ?
- Atta, atta. Sinistros va v'nir. Il est parti y a seize-vingt minutes. Il suivra ton odeur.
- N'êtes-vous pas encerclés ?
- Si mais y a un moyen de s'tirer en scred via un tunnel et d'apparaitre derrière leur ligne. Si ça s'gâte, j'pense m'en servir pour envoyer des hommes les prendre à revers.
- Bonne tactique. D'ailleurs en parlant mauvaise nouvelle, ça ne se passe bien tout pour Willian. Il est perdu.
- Quoi ? Ce Hank l'a zigouillé ?
- Presque, il le torture je pense ou il l'a torturé.
- T'avais tablé sur son armée pour v'nir soulager les Enigma. La tenaille est compromise.
- Très.
- Will est livré à lui-même ?
- Je lui fais confiance pour retourner la situation à son avantage, Hank doute fortement déjà.
- Hmm, tu penses que si tu captures Bronze à temps, ses gars vont déposer les armes ?
- Aucune chance, tant qu'Ortéga et ses plus proches lieutenants commandent les troupes. Ils sont tous aussi délirant que Bronze. Eux, il faut les neutraliser.
- Quand on cause du loup...
- Ils se préparent à vous donner l'assaut ?
- Non, la Troisième Colonne arrive. Au pas. Étendards levés. J'les vois dans mes jumelles. Ils sont à deux, trois kilomètres d'nous. Y a une grenouille sur leur drapeau.
- Ce n'est pas pour rien qu'on surnomme Norman ainsi. Le dénouement approche.
- Wouah ! Wouah ! Wouah ! Wouah !
- Je vais lui ouvrir la porte, monsieur.
- Super, il t'a r'trouvé. C't'un bon chien. Sur son collier, y a une p'tite boite. Ouvre là, Loth. Tu trouveras des tofs à l'intérieur. Ça va t'donner d'l'urticaire.
- Mes aïeux... Est-ce ?
- Black en train d'se taper une méga orgie ? Ouais, à fond. Ça a été pris par Fox 7. A 18h. Tu comprends pourquoi j'dis que c'est lui que t'aurais dû cibler ? M'enfin, t'es au courant maint'nant, moi j'ai d'jà d'quoi m'occuper avec la Grenouille qu'arrive. Ah, selon l'Fumier qu'a ramené ça, les Burn massent leur armée à la frontière. Ce s'rait pas fameux qu'ils nous envahissent maintenant. Fais quelqu'chose.

Mais putain...
Pourquoi ai-je l'impression que je dois esquiver l'univers tout entier ? C'est ça le souci avec l'improvisation sur un terrain que tu connais mal. Tu prévois à court terme, tu mets quelques garde-fous mais tu finis toujours par te prendre en pleine tronche un sacré imprévu déboulant de nulle part. Je parlais de Jack Black comme d'un déserteur mais je reconnais maintenant ne pas avoir assez pris le temps d'analyser sa personnalité. Ironie, j'ai reproché la même chose à Will plus tôt à propos de Bronze. J'aurais dû la fermer et ne pas jouer aux vieux maitres. Je suis aussi tout plein de défauts. Je n'ai pas su prévoir la réaction désespérée de Jack Black, j'ai pensé qu'il voudrait reconquérir son trône et ensuite se servir de ce pouvoir pour chercher un remède. Je le croyais idiot mais en vérité, depuis ce matin, c'est lui qui nous mène en bateau. Cette guerre civile n'était pour lui que de la poudre aux yeux. Il n'a donc jamais eu l'intention de s'emparer du Roc, il voulait juste m'occuper pendant qu'il serait tranquille à propager le virus de la Emdéaire.

- Hahahaha ! Je me suis fait avoir. Félicitation Jack Black. C'est vraiment finement joué.
- Je comprends pas, monsieur. Il a disparu de la bataille depuis ce matin. Il a pu avoir des dizaines et des dizaines de partenaires, d'ailleurs il a pris soin de faire des orgies. Les hommes qui participent fileront le virus à leur tour et les putains le feront naturellement.
- Et qu'est-ce qui est incompréhensible ?
- Bah, ce qu'il gagne là-dedans ? Je trouve pas que vous ayez fait une erreur. Le moyen le plus simple pour lui de trouver un traitement sans vous obéir, c'est battre Bronze, redorer son blason et négocier de chef de clan à chef de clan avec la Jungle. Là, il propage juste une épidémie. Il veut emporter tout le monde avec lui dans la tombe ? C'est un attentat suicide ?
- Tu ne te poses pas les bonnes questions. Que se passe-t-il en cas d'épidémie ?
- Une quarantaine pour les malades ? Une crise sécuritaire ?
- Ouais, aussi. Mais surtout, on trouve une solution, on crée un vaccin !
- Oh !
- Ouais. Il faut penser retors. Jack Black s'est dit qu'il n'avait aucune chance de s'emparer du Roc par les armes vu le peu de soutien dont il dispose et je le félicite pour sa lucidité. Pour le moment, le seul vaccin contre la Emdéaire, c'est moi qui l'ai. Mais il sait aussi que je désire m'emparer de tout Carcinomia.
- Donc vous laisseriez pas une épidémie éradiquer la population. Le sérum passera de rare à disponible. Ainsi il pourra se procurer un traitement.
- Et plus le nombre de contaminés augmente, plus la crise sera intense, plus ses chances grandiront. On ne pourra pas efficacement contrôler la distribution du vaccin s'il y a des centaines de malades, il y aura toujours quelqu'un à corrompre pour en avoir.
- Oh l'enflure !
- J'adore, vraiment ! Hahahaha !
- Monsieur ?
- Je sais qu'il n'y a pas de quoi se réjouir, que nous sommes au plus bas mais c'est pour ce genre de moment que je vis, vois-tu. Un de mes penseurs favoris a écrit un jour : « Je choisis mes amis pour leur bonne présentation, mes connaissances pour leur bon caractère et mes ennemis pour leur bonne intelligence. » Je préfère les ennemis qui me poussent dans mes derniers retranchements. Black vient de remonter tout à coup dans mon estime. Son plan est simple mais super efficace.
- Mais qu'est-ce que nous allons faire ?
- Ne pas paniquer déjà. Ensuite, continuez en avant. Sans le vouloir, j'ai un peu contré le plan de Black en demandant aux Fox de déstabiliser Favela. Il y a un couvre-feu là-bas, donc les sorties sont restreintes.
- Ça n'empêche pas Black de se promener de bordel en bordel, monsieur.
- Certes, mais bon, il s'assure de contaminer les filles. Réjouissons-nous que leurs clients soient cloîtrés chez eux.
- Euh... Pour combien de temps ? Il ne reste que trois équipes Fox désormais. Ce sont les esclaves, surtout libidineux, qui font vivre Favela. Demain, le couvre-feu sera levé et le business de la chair reprendra. Sauf que ce sera le bis' de la MDR cette fois-ci.
- Sérieux ? Tu ne veux pas me remonter le moral ?
- Désolé monsieur. Je disais juste...
- Hahaha, je plaisante, je déconne. Je suis parfaitement conscient de la situation et il n'y a rien que nous puissions faire actuellement. Ce serait une erreur d'alerter Favela, Foster Burn pourrait prendre ça pour une attaque biologique et nous attaquer. Je demanderais plus tard à la Jungle de travailler sur un remède. La Emdéaire ne devient létale qu'au bout de deux semaines de délires intenses, donc disons qu'on a le temps. Ceci dit, je vais donner l'ordre aux Fox survivants à Favela de traquer Black dans les bordels et de l'éliminer.
- Ce sera déjà ça de fait, monsieur.
- Je disais donc qu'on devait se concentrer sur ce qui se passe ici. Plus vite nous résoudrons ce conflit, plus vite j'irai discuter avec Foster Burn, histoire de le convaincre de ne pas se lancer dans une vaine guerre pour son frère mais se préoccuper de ses bordels.
- Ouais, pardon. Faut trouver cet Hervey Mortimer. Mais par où il a pu disparaitre ?
- Non, ton rôle est terminé ici. J'ai une nouvelle mission pour toi Sam.
- Ah ?
- Tiens, les photos prises par la Fox 7. Que vois-tu dessus ?
- Jack Black au milieu d'une orgie qui rassemble plus de vingt filles et quinze mecs.
- Sur la table basse à droite, que vois-tu ?
- Un journal.
- Le Carcinomia Herald, l'édition d'aujourd'hui. En première page, on voit clairement que c'est l'usine qui a été détruite dans la Jungle. Maintenant, redis-moi ce que tu vois.
- Une preuve, fit-il en souriant. Une preuve que ces clichés ont été pris aujourd'hui. Une preuve que le général Black a déserté pour se faire une orgie pendant que cent cinquante de ses hommes étaient fusillés et bien d'autres capturés. Vous voulez que je me rende chez Hank ?
- En essayant de sauver sa peau, il nous a indirectement donné les moyens de le décrédibiliser auprès de ses hommes. Il sauvera peut-être sa vie mais ne retrouvera jamais sa position. Quant à Osmund Hank, il est vraiment temps qu'il choisisse.
- J'y cours, monsieur.
- A l'approche de la zone minée, dépose armes et munitions. Prends ce mouchoir blanc. Je vais l'appeler pour lui dire qu'un messager est en route.
- Vous vous chargez de Bronze alors ?
- Ouais.
- Bonne chance !

« Bon, nous sommes seuls mon petit Sinistros. Tu ne veux pas m’aider à trouver ce passage si secret ? » Dis-je au chien qui me regarde en clignant des yeux. De la race des Canis lupus majoris cornibus, Sinistros est ce qu'on appelle plus communément, un chien cornu, une race extrêmement rare, classée en voie de disparition. Cette espèce a longtemps été chassée, exterminée sous prétexte qu'elle porte la poisse. Je l'ai trouvé il y a quatre ans dans les Daemon Hills de South Blue, tétant le sein de sa mère massacrée.

« Une chance que le bourreau de ta mère se soit dit qu’il fallait mieux te laisser crever de faim. Je te comprends mon beau, moi aussi, j’ai été chassé parce que j’étais différent. Mais assez de nostalgie, tu as été entrainé par le maitre-chien du Gila pour pister bombes et drogues. Tiens, renifle moi-ça. C’est une infime quantité du Venner pur 75% que l’Arbre à Palabre m’a filé. Maintenant, renifle ce pantalon, Sam l’a pris dans la chambre à coucher de Mortimer. Repère une piste en partance de la maison. Allez bon chien. Renifle, vite, vite. »

Il bouge frénétiquement, tourne en rond en aboyant, longe les cloisons, renifle les appareils puis sort du laboratoire. Il répète le manège dans le salon et s'oriente vers la salle de bain. Je ne le lâche pas. Il s'attarde dans les toilettes que nous avons déjà visitées avec Sam. Il s'intéresse forcement au siège de W.C, tourne autour puis se met à aboyer férocement. Il finit par s’asseoir à côté, les pattes jointes. C'est le signe habituel qu'il a trouvé quelque chose. Sérieusement ? Dans le W.C ? Je suis une fouille-merde mais pas jusque-là. Mais puisqu'il faut mettre la main à la pâte...

Revêtant une paire de gants, je m'attaque à la tâche et me rends compte rapidement que le tuyau d'eau qui arrive à la chasse n'est relié à rien. D'ailleurs, les lunettes et le battant sont rabattus, chose que fait rarement un homme seul, et pour cause, il n'y a pas d'eau dans la cuvette. Aucune odeur particulière non plus. Ce truc n'a jamais servi à qui que ce soit. En touchant le siège, je me constate qu'il est amovible. Oh l'enfoiré ! Je le pousse et mets à jour la trappe que je cherchais. Décidément, tout le monde semble avoir une longueur d'avance sur moi ce soir.

- Tu viens Sinistros ? Esclave, je pensais qu'on ne pouvait descendre plus bas. Aujourd'hui, je vais explorer un simili de fosse septique et redéfinir la bassesse.
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23h

La pente est verticale mais heureusement, il y a une échelle pour descendre. Facile pour le bipède que je suis, beaucoup moins pour mon ami canin. Aidé du Retour à la Vie et de mes mèches démultipliées, je le saisis et le ramène vers moi. Nous sommes à dix mètres environ sous le Roc. J'allume ma torche et je suis Sinistros qui m'a déjà devancé. Il continue à pister l'odeur de Mortimer ou du Venner, va savoir. Cette galerie a directement été creusée dans la roche et il me suffit d'en tâter la paroi pour comprendre où je suis. Dans l'enchevêtrement de canaux qui s'étend sous le Roc telle une gigantesque toile d'araignée. Les murs de calcaire ont été polis par l'eau qui a coulé ici une centaine d'année auparavant quand tout Carcinomia étant embourbé dans une guerre civile. A cette époque-là, le clan Wave contrôlait l’intégralité du littoral -comme aujourd'hui d'ailleurs- et ces boyaux servirent à drainer l'eau du lac Azur vers le Roc. Il y a deux jours, c'est par ces dédales que Nivel échappa à ses geôliers.

- C'est le meilleur moyen de se déplacer sans être vu, Sinistros.
- Whouaf !
- Va doucement, j'ignore ce qui est tapi dans les ténèbres. Nivel dit y avoir vu des ossements humain. Ça sert aussi d'oubliettes.
- Whouaaaaf !
- T'inquiètes, moi aussi je me demande si tu me comprends. Haha !

[...]

Sous la grenouille verte et borgne qui blasonne leur étendard, marchent des noirauds typiques de South Blue; des canonniers au teint exsangue caractéristique des îles hivernales de North Blue; des fusiliers enturbannés originaires des tribus nomades des déserts d'Hinu Town; une horde de spadassins aux visages balafrés qui affichent pour certains le blason de la Révolution de Goa sur leurs plastrons. Tous forment l'arrière-garde et le centre de l'armée d'Alexei Norman. Quant à l'avant-garde, elle est formée de la plus grande cavalerie de Carcinomia. Cent cavaliers drapés d'une tunique vert-pâle par-dessus leur côte de maille, claymores fourrées à la ceinture, fusils mitrailleurs en bandoulière. Ils forment une infernale garde rapprochée qui débarque dans une cacophonie de sabots battant le pavé, telle une ode au plus craint des marchands d'armes des Blues. A quatre pattes, un esclave vient lui servir d'escabeau pour descendre de son destrier.

- Oh l'enculé ! Heureusement que Loth n'est pas les parages !
- T'as dit quoi ?
- Oh rien ! Je parlais à la Grenouille mais comme il fait genre il m'entend pas. Et toi t'es qui ? Le Grinche ?
- L'aide de camp du Boss. La ferme et avance !
- Ça va, ça va.

Menotté, le meilleur sniper des Blues est trainé dans le sillage de la Grenouille qui se dirige vers la tente-QG de Raoul Ortéga à l'écart du gros des troupes. Alexei Norman est un homme peu loquace. Ce cinquantenaire éborgné et au visage défiguré par l'acide impose le respect du haut de ses deux mètres. Il s'avance d'une démarche conquérante, comme si la terre lui appartenait. On dit d'ailleurs qu'il ne regarde jamais le sol, parce que c'est l'apanage des pauvres. Et tout à coup, Avada a envie qu'un marais apparaisse à ses pieds pour voir si la rumeur est vraie. Depuis la tentative d'assassinat qui lui a valu ces séquelles au visage, il est en permanence entouré d'une garde très rapprochée de trois mastodontes armés hallebardes. C'est à se demander pourquoi ce n'est pas lui qui dirige le Roc.

- Enfin ! Ça fait trente minutes quand même ! Z'ai pensé que t'allais me pozer un lapin.
- Le Maitre a dû rassembler sa Colonne qui n'était pas préparée, répond l'aide de camp de la Grenouille pendant que l'intéressé contourne la table ovale pour s'asseoir directement en face d'Ortéga.
- Le "maitre" peut m'répondre aussi ! Il n'est pas muet alors la ferme baltringue ! C'est qui lui ? Elle ?
- Disons "il", répond Avada avec sourire.
- Hey, lui c'est Bobcat ! fit un des dix lieutenants d'Ortéga autour de la table. C-c'est c'fameux tueur à gage, l'a une prime de 50 millions !
- Ouh là, je vois que j'ai un fan. Tu veux un autographe connard ? Aieeeuh !
- La boucle j'ai dit.
- Qu'est-c'qu'il fait ici ? Willian l'a z'envoyé pour éliminer ?
- Non. Pour négocier avec moi, répond la Grenouille. Les lieutenants sursautent, aucun d'entre eux ne l'a sûrement jamais entendu parler.
- Négo...négozier quoi ?
- Ma loyauté envers Bronze, quoi d'autre.
- La carotte et le bâton quoi. Le bâton marche bien avec Kuerten mais on s'est dit que Norman était pas un homme à se laisser intimider et surtout pas quelqu'un qui tient à sa famille. Mais bon, ça n'a pas trop marché, je n'aurais jamais dû y aller sans arme. Donc les gars, vous n'avez qu'à me libérer et je partirai tranquille, vous entendrez plus jamais parler de moi, ni moi de vous. Enfin, j'espère.
- Alors pourquoi il est encore en vie ? s'offusque Ortéga.
- On était pressé par le temps. Fais le taire, Jim. Définitivement.
- Quoi ? Déconnez pas, bande de...

L'aide de camp ôte son couteau de combat de son étui et sans hésiter le plante dans le ventre de Bobcat. De ses dents crispées par la douleur s'échappe un flot de sang, dans ses yeux écarquillés miroitent la rage mais aussi la stupeur. Elle avait eu confiance dans le plan du binoclard, elle lui faisait confiance. Ce n'était pas censé se passer ainsi. Une, deux, quatre fois, la lame s'extirpe et rentre dans sa chair. Ce n'était pas ça le plan. L'erreur. C'était son erreur. Elle aurait dû se cantonner à ce qu'elle savait faire, tirer, tuer. Avada flanche et répand sur le sol une mare de sang. Les yeux vides.

- Hahaha ! A mes pieds ! C'est là qu'est ça plaze ! se réjouit Ortéga qui en profite pour gratifier le cadavre de coups de pieds de son propre cru. Hahaha ! Ils z'ont vraiment pensé pouvoir t'faire une offre ?
- Bronze achète ma loyauté au prix fort, c'était pas bête de leur part d'essayer. Tu sais, tout le monde a prix, il suffit de le trouver et de le payer, dit Norman d'une voix lente qui donna des sueurs froides à l'assistance. J'ai cru comprendre que vous étiez en manque de ravitaillement ? Mes hommes ont apporté vivres et boissons. Si tu veux les nourrir et les étancher avant de donner l'assaut.
- Ouais, faizons ça. Moi-même z'ai faim.
- Mangeons.

[...]

- A quoi j-je ressemble ?
- A une momie, monsieur.
- Arrête de m'appeler comme ça. G-Garde ça pour Loth. Will, ça suffira.
- D'accord. Non, vous pouvez pas vous lever !
- B-bien sûr que si ! aboie Willian qui chancèle mais finit par se maintenir droit. Ces bandages me gênent.
- C'est nécessaire pour panser vos plaies.
- Passe-moi mon manteau, il faut se mettre en route. Où est Hank ?
- Toilette, je crois. Peut-être qu'il essaie de se noyer dans la baignoire.

La désillusion fut grande pour le loyal Osmund Hank quand Sam Tex lui livra les clichés de Jack Black empêtré dans cette scène de débauche. Sa première réaction fut le déni mais il n'eut besoin que Sam lui montre le journal au coin de la photo pour que sa raison reprenne le dessus. Les hommes participant à l'orgie avec lui étaient les lieutenants qu'il prit comme garde rapprochée le matin. Après avoir contemplé d'un air éberlué les photos, il dit juste à son second que la "cause était perdue" et qu'ils avaient été "floués". Il passa ensuite un coup de fil à tous ses chefs de section pour leur signifier le changement de hiérarchie.

- Tous sont désormais à vos ordres, Will.
- Certes mais je ne vais prendre aucune décision sans Hank.

Clopinant, refusant qu'on le soutienne mais s'accrochant au mur pour progresser, Will se dirige cahin-caha vers les toilettes où s'est réfugié Hank. Sans toquer, il y pénètre et voit le commandant accoudé au lavabo, dévisageant son propre reflet dans le miroir. Sa tête est mouillée, comme s'il avait fait trempette, ou pour cacher ses larmes. Dur de tomber des nues, surtout quand on va avoir sur la conscience les visages des hommes qu'on a entrainé dans la mort. Tout ça pour qu'un homme puisse répandre une épidémie.

- Écoutez, comme vous l'aviez dit, je suis un bleu. Je n'ai pas votre expérience mais je n'insulte pas vos sentiments si je prétends savoir ce que vous ressentez. J'ai envoyé mes loyaux Énigmatiques au combat et je porte le poids de la mort de quarante-cinq des leurs. Pas tués au combat contre les vôtres mais par un tourne-casaque dans nos propres rangs. Et comme vous venez de le découvrir, c'est encore pire. Mais je crois que c'est un peu ça aussi le fardeau des responsabilités et je pense qu'il faut avancer. Parce que nous avons un pays à reconstruire et des ennemis à notre porte. Pas Bronze, mais Foster Burn. On pleurera plus tard, pour l'instant, j'ai besoin de vous à mes côtés.
- Mes hommes vous obéiront.
- Je sais mais je veux puiser dans votre expérience, je veux apprendre. Et de toute façon, votre place est au front. S'il vous plait.
- D'accord, souffle-t-il après des minutes de silence. Vos ordres ?
- Qu'on avance, il nous faut soulager les Enigma du siège qu'ils subissent. Vous y verrez que deux cents des vôtres que nous avions fait prisonniers se battent avec eux main dans la main. Espérons juste que Loth parvienne à désarmer Ortéga et Co' avant et qu’on n’ait pas à affronter les assiégeants.

[...]

- Allez, renforcez les positions. Darren, tu prends l'command'ment d'l'aile gauche ! Ostin, tu prends cent hommes et tu défends l'entrée ouest !
- J'aperçois des canons mobiles de campagne chef ! Du lourd, 75 mm !
- Que la section d'John s'éloigne des murs alors ! D'fendre les murs n'sert à rien avec l'artillerie qu'ils ont. On les laisse ouvrir autant de brèches qu'ils veulent, ils s'engouffrent et on s'les farcit !
- Et ma fem...
- La ferme Kuerten ! Vot'famille est hors d'ici j'ai dit ! On sort vivant d'là et on en reparle. Rendez-vous utile et foutez-vous sous un meuble !

Nox beugle et jette des ordres ci et là. Depuis un quart d'heure, les mouvements de l'armée au-delà des murs de l'usine ne laissent aucun doute sur leurs intentions, ils vont donner l'assaut. Ce qui signifie qu'Avada a échoué. D'ailleurs, le Fumier Denis envoyé par la galerie secrète pour se mêler aux ennemis a envoyé un rapport comme quoi le sniper de Loth était arrivé menotté. Nox fulmine en maintenant qu'il aurait été meilleur à négocier qu'Avada mais l'entêtement de Loth ! Les ennemis sont deux fois plus nombreux et disposent d'une artillerie lourde qui va leur faire très mal mais hors de question de se rendre comme l'a demandé une voix à travers un mégaphone quelques minutes plus tôt. Il s'attendait à entendre le zozoteur mais ce fut une autre personne, m'enfin, peu lui importe l'identité du speaker.

- C'est bon, on a des nouvelles ? s'enquit-il.
- Aucune, chef !
- Comment ça ?! aboie-t-il en sentant sa tension monter d'un cran.
- On n’a aucune nouvelle d'l'unité d'saboteurs, chef !
- Mais...
- J'tente d'puis dix minutes. Denis aussi n'répond pas. Ils ont dû s'faire attraper.

Nox donne un coup de pied furieux dans un tonneau. En prévision de l'assaut, il avait envoyé une unité de dix Fumier poser discrètement des bombes dans le camp ennemi de sorte à les déclencher au moment opportun. Maintenant, ils n'en avaient plus de nouvelles.
Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Bang !
L'attaque commence. L'usine ressemble à une fourmilière sous tension. Aucun coup de feu n'est tiré depuis ici, les ordres de Nox sont clairs. Attendre qu'ils viennent à eux. Tous sont planqués, à l'affut. D'autres coups de feu résonnent mais ce sont juste des coups de semonces se rend compte Damask. Puis soudain, survient un gros "BOUM" qui fait vibrer les fondations de l'usine. Puis un autre, un troisième. Méthodiquement, ils rasent, éventrent les murs, se dit le commandant des Fumiers depuis l'aile sud de la cour. Puis, dans la nuit, des objets volent hauts et retombent.

- Mortier !

La plupart se terrent, ceux qui se retrouvent dans la ligne de chute des grenades volantes décampent. Elles explosent dans un boucan à vous arracher les tympans. Le sol est soufflé et des débris fusent à la vitesse de balles. Derrière son pilier, Nox voit la cour se recouvrir d'une épaisse fumée blanche. Lacrymogène, incapacitante aussi. Quelques hommes à ses côtés s'écroulent, les yeux dans le vague. L'équipement des Fumiers comprend des masques à gaz, la Colonne de Kuerten n'en dispose pas. Ils étaient préparés à affronter des balles croisées, pas une guerre chimique. D'autres bombes fumigènes explosent. Ils ne veulent pas se battre comme des hommes, juste les gazer comme des rats et ce simple constant fait bondir Nox de fureur. « Raf’, Milo, Oliver, Cruz, avec moi ! Ces fils d’putes nous enfument. On passe par la galerie, on arrive derrière et les encule ! »

Hors de question d'abandonner. L'échine bas, Nox et ses hommes se faufilent dans la cour enfumée. Sur leurs chemins, ils ne rencontrent que des corps inanimés, baves aux lèvres, yeux vides. Il n'y a quasiment pas de vent, du coup la fumée stagne et prolonge ses effets. Ce ne sont pas des hommes, juste des lâches. Tous les réservistes de Kuerten qu'ils croisent sont hors combat. Quatre cent hommes qui ne servent à rien ! Peut-être que ceux placés dans les dédales de l'usine n'ont pas été victimes du gaz. Et peut-être que le leur loyauté faiblira suite à cette démonstration de force. Trop d'incertitudes. La seule chose dont Nox est sûr c'est qu'on leur colle la raclée du siècle, sans combat !
Soudain, son monde bascule. Vertige. Désorientation. Affaiblissement général. Paralysie musculaire.
« Mais merde ! » tente-t-il de jurer sans y arriver. « Putain, non ! »

- Im-impo.. J-j'ai.. masq..
- Parfois, les masques ne suffisent pas mon bonhomme, réplique un homme beaucoup trop flou du point de vue de Nox.

Puis ce furent les ténèbres.
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- C'est encore loin, Sinistros ?
- Whouaf ! Whouaf !
- Mouais.

Presque une heure que nous avançons dans les ténèbres impénétrables de ce labyrinthe souterrain sans croiser âme qui vive. Des squelettes par contre sont au rendez-vous, abandonnés ci et là, certains montrant des signes de mort violente. Cet endroit a servi de débarras pour des générations successives de meurtriers. Sinistros suit sa piste olfactive sans jamais s'arrêter. Je suis obligé de trotter pour le suivre. Les chiens cornus sont une espèce montagnarde, morphologiquement très musclée, habituée aux efforts éreintants et à la raréfaction de l'oxygène. Cette aventure dans les catacombes du Roc, c'est juste une promenade de santé pour lui.

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Attends Sinistros. Au pied ! Tout de suite ! Voilà, bon chien. Allô ?
- Lo... ZzzzzzzzzzzzzZZZZ Lot... ZzzzzzzzZZZZ No... Zzzzzz trou.. zzzzzzzzzz parti ZzzzzzzzZzzzzz
- Pardon ? Willian ? Je ne te reçois pas.
- Pa.. ZzzzzZZ... rti... ZzzzzzZZZZZZ
- Parti ? Qui est parti ?
- Lot.... ZzzzzzzzzzzzzZzzzzzz

Le grésillement est infernal. Les ténèbres qui m'environnent sont timidement dissipées par ma torche que je rapproche des parois. Ce n'est plus du calcaire comme sous le domicile de Mortimer mais une roche qui mélange des teintes cendrées, blanches et noires. Un peu comme un dalmatien. C'est de la roche ignée, magmatique. Rien d'étonnant, la cavité où Carcinomia s'est développée fut autrefois le centre d'un puissant volcan marin. La lave en fusion contient le plus souvent de la magnétite et en refroidissant en dessous d'une certaine température elle acquiert, en raison du champ magnétique planétaire, une aimantation rémanente. Bref, il y a un champ magnétique ici, assez puissant pour donner des migraines à mon bébé escargophone. Si Willian m'appelle, c'est que Hank a retrouvé raison comme je l'espérais. Il voulait peut-être me dire qu'il est parti de chez Hank avec l'armée de ce dernier comme on l'avait projeté. Il me suffira de l'appeler dès que j'émergerai.

- On y retourne Sinistros. Et plus vite, je suis coupé de l'extérieur au mauvais moment.

Nous avons parcouru environ dix kilomètres depuis notre descente dans ce lacis et toujours, nous nous sommes dirigés plein sud-ouest. Je commence à deviner où ces boyaux vont nous emmener et j'ai peine à croire à ce coup de poker de la part de Diez Bronze. Sinistros s'arrête devant un escalier en colimaçon également taillé dans cette roche magmatique. La poussière au sol n'est pas uniforme, des traces de bottes récentes sont partout. Je stoppe les ardeurs du chien qui commence à grimper les marches et souris d'incrédulité. Jonathan Nivel est passé par ici deux jours plutôt quand il s'enfuyait des griffes de Bronze. Nous sommes dans la capitale du Roc et plus précisément sous la bâtisse d'où le chef de clan exerce son pouvoir. Bronze en fut délogé quand Jack Black épaulé par ses hommes s'y attaqua. Il profita donc de la confrontation dans le Centre pour y revenir. Qui aurait pensé à le chercher ici ? Au cœur du fief de son ennemi ?

- Ah la la ! On dirait que Bronze et Black se sont mis d'accord pour me prendre à revers. Que fout-il ici ? Après, c'est compréhensible, c'est le symbole du pouvoir au Roc. Et le pouvoir, il en est avide, comme moi en fait. Il s'est installé dans le fauteuil en attendant sa victoire.
- Ouaf !
- Euh ouais, tais-toi. Chuuuuut. Passons en mode furtif.

[...]

- Ça ne passe carrément pas ! Qu'est-ce qu'on peut faire ? demande Willian, les lèvres pincées.
- Il est où ? questionne Randall en se tournant vers Sam Tex.
- Aucune idée. La dernière fois, avec monsieur Reich on était au domicile d'un chimiste du nom d’Hervey Mortimer. On pensait que Bronze chercherait à le contacter pour lui acheter de la drogue pure. Monsieur Reich cherchait une cachette secrète quand je suis parti livrer les photos.
- Il doit être dans une zone à fort champ magnétique pour que la transmission soit aussi mauvaise, mais je ne connais aucun endroit comme ça par ici, dit Osmund Hank. Vous lui avez au moins dit que les troupes d'Ortéga qui assiégeaient les Enigma ont battu d'eux-même en retraite vers l'Est ?
- Je le lui ai dit, je ne suis pas sûr qu'il ait entendu.
- Pourquoi ils sont partis comme ça ?
- Aucune idée, marmonne sombrement le vieux Randall. Après trois heures de combat, on tenait encore le siège; on les repoussait mais ils n'étaient pas autant en difficulté que ça quoi. Cette retraite précipitée ne sent pas bon pour nous.
- Vous semblez anxieux, remarque Hank.
- La dernière fois que j'ai vu une armée se retirer comme ça, j'étais mercenaire et on combattait les Mouettes. On a pensé qu'on les avait vaincus et bêtes qu'on était, on célébrait.
- Et que s'est-il passé après ?
- Un Buster Call. Toute une ile en feu, civils et rebelles compris. Un carnage. On a pris cher et en beauté. Donc ouais, ça m'inquiète.
- C'est vrai que s'ils se préparent à raser cet endroit, ils vont d'abord retirer leurs hommes, mais ils n'ont pas cette artillerie. Non ?
- Je sais pas, jeune Maître. Ortéga a Norman comme allié et seuls les dieux savent ce que la Grenouille a dans sa manche.
- J'arrive pas à joindre Nox non plus ! fit Sam Tex, un escargophone à la main. Ça sonne mais il décroche pas. Idem pour Avada.
- Aux dernières nouvelles, ils subissaient aussi un siège par Ortéga lui-même.
- Ses troupes ici ont battu en retraite pour aller leur porter secours peut-être !
- J'en doute, dit Hank. Vous entendez ?
- J'entends rien.
- Justement, Sam Tex. Rien. Ils sont juste à neuf kilomètres dans cette direction, on devrait percevoir des échanges de feu, surtout dans un environnement comme Carci. Le son est confiné et rebondit sur la montagne. Mais il est aussi possible qu'Ortéga ait gagné et que les usines Kuerten soient en sa possession.
- Dans ce cas pourquoi rappeler ces hommes ici ? C'est pas logique, il devrait venir soutenir leurs efforts, réplique Randall.
- Donc conclusion, nous sommes dans le noir complet, résume Willian qui se laisse lourdement tomber sur une chaise. Loth injoignable, ses hommes également.
- Reich ne fait que nous épauler jeune maître, c'est vous qui dirigez. Donnez-nous l'ordre de les poursuivre. Avec le renfort de Hank, nous sommes un peu plus de mille hommes maintenant.
- Je conseille la prudence, fit Hank. C'est sans douce ce qu'ils veulent. Ils savent qu'ils gaspillent leurs munitions, ils cherchent à nous entrainer à découvert.
- Et alors ? renchérit Randall. Je rappelle qu'on subissait volontairement ce blocus pour les beaux yeux de la stratégie en tenaille de Loth. Et ça a foiré. On est obligé d'attaquer dehors si on veut reprendre le territoire !

Willian souffle de fatigue. Chaque centimètre carré de sa peau fouettée le tiraille et il n'aspire qu'à dormir mais il doute de pouvoir s'allonger avec cette douleur. Il se sent aussi fiévreux, migraineux par la responsabilité qui est la sienne. Finalement, c'était mieux de jouer à la stratégie sur un échiquier de Go. Sacrifier des pions, c'est facile, ils sont juste blancs ou noirs. Ils ne parlent pas, n'ont pas de visage, pas de famille pour porter leur deuil. Il aurait bien besoin du sang froid de Loth, pense-t-il. Où est donc passé ce binoclard ? Que se passe-t-il dans le fief de Bronze ? Que fomente Raoul Ortéga ? Doit-il temporiser comme le lui conseille Hank ou foncer comme le désire Randall ? Les deux ont leur pour et leur contre. Loth ne veut pas d'une généralisation de la guerre, mais Loth est sur répondeur. Et puis, se dit-il avec un sursaut d'égo, le Roc est à lui. Reich n'est qu'un allié. L'héritier est tiré de ses réflexions par des Énigmatiques qui débarquent à bride abattue. Ils escortent un homme portant la tenue des troupes de Bronze. Ce dernier transporte une grosse boite en carton et un drapeau blanc signe de paix. Le regard de Willian s'attarde sur la boite rougie et humide à la base. Quelques gouttes d'un liquide écarlate en perlent et tombent sur le sol.

- C'est quoi ça ? s'enquit-il en reculant, écœuré. Son cœur bat à rompre sa cage thoracique.
- On l'a fouillé, Commandant, répond un des Enigma. Y a pas de piège mais vous devriez voir ce qu'il y a à l'intérieur de la boite. Dépose ça sur la table !

Will déglutit. Il regarde tour à tour Hank, Randall et Sam qui semblent tout aussi méfiants que lui. Le vieux loup est le premier à esquisser un pas suivi de Hank. Will décolle le dernier, un pas après l'autre, il s'attend presque à voir le carton lui exploser à la figure. Mais il sait que ce sera bien pire. Ce sang... Son cœur désire vraiment se tirer de sa poitrine tellement il s'affole.
On ouvre la boite et... « Bleeeeuuurp ! Beeeeeeuargh ! »
Maintenant, ce sont ses tripes qui veulent se faire la malle par sa bouche. Son déjeuner y est déjà passé. Il ne reste plus rien dans son estomac, seulement les sécrétions biliaires. Jamais dans sa vie, il ne s'est senti aussi nauséeux.

- C'est quoi le sens de ce message ? interroge Randall.
- Loth Reich a l'obligation d'se rendre dans les usines Kuerten, à minuit pile, répond le transporteur. Donc grosso modo, il lui reste vingt minutes à tout casser.
- Sinon ?
- Sinon vous recevrez d'autres cadeaux comme celui-là. Ah et si vous tentez d'attaquer l'usine, il pleuvra aussi des cadeaux.
- Et c'est qui ton mandant ?
- La Grenouille, naturellement.

[...]

- Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans "mode furtif", hein ?
- Houuf !
- Fichu chien !

Bien sûr, il a fallu qu'il se mette à aboyer assez fort pour réveiller tout le pays.
Des catacombes, nous tombâmes d'abord sur les cuisines vides puis empruntâmes ce couloir qui nous mena directement dans le laboratoire où travaillait Hervey Mortimer, un homme au visage constellé de taches de son. A sa vue, Sinistros aboya de tous ses poumons, tout content de mettre le grappin sur l'individu qu'il flairait. Super. Maintenant, vingt gardes armés jusqu'aux dents fusent vers nous. « Oh non mon vieux, tu viens avec moi ! » dis-je à Mortimer qui refermait la porte de son labo dans la panique. Aidé du retour à la Vie et de mes tentacules capillaires, je le saucissonne puis décampe, les gardes à mes trousses. Ils étaient prêts à tirer mais se retinrent subitement après ma capture. Ils veulent garder Mortimer en vie, bonne nouvelle pour moi. Moins pour eux. Je dérape et fais volteface.

- Lordly Tiger, Le Poing du Messie !

Quand je mitraille l'air de mes poings, une dizaine de mètres me séparent alors de mes poursuivants. Parfait, l'essence de l'Inner Beast que je pratique avorte la proximité et prône le combat à distance. Mes gesticulations génèrent une multitude d'ondes de chocs ovoïdes qui les arrosent tous. Désarmés, percutés, soulevés, ils finissent par terre, contre le plafond ou dans le mur. Voilà, de quoi être tranquille pendant un moment même si le remue-ménage a alerté tout le monde dans le château. J'entends des ordres et des cris provenant des étages supérieurs. « Où est X-Bronze ? »

- J'sais pas, chai pas.
- Ne te fous pas de moi !
- T'as aucune chance d'sortir d'ici, connard ! Ils sont une centaine ! Lâche-moi et décampe pendant que tu respires encore !
- GrrrrRRrrrRRrrr !
- Mon ami Sinistros n'aime pas trop ton ton. Ôte-moi d'un doute. Toi, un simple chimiste, tu es prêt à mourir pour Diez Bronze, c'est ça que tu insinues ? Bien. Tu as déjà vu chien comme celui-là ? Non ? 1m80 au garrot pour 190 kg de purs muscles. Tu penses que je le nourris avec quoi ? Pardon, je voulais dire, avec qui ? fis-je avec un sourire sadique qui lui donne ses tics d'épouvante. Sinistros, son mollet !
- Non, non, non ! C'est bon, c'est bon ! hurle-t-il. Les canines démesurées du chien touchent déjà sa chair.
- Ouais, parle et plus vite que ça !
- Au troisième, l'est au troisième !
- "Était", tu veux dire ? Avec ce chahut, il a déjà filé. C'est quoi le plan de repli ? Tu dois forcément en être, tu es d'une importance quasi-vitale pour lui. J'ai bien remarqué qu'ils ne veulent pas te blesser. Non ? Tu n'as rien à me dire ? Sinistros !
- AaaaAAaaagrhrrhrgrrrrrh !
- TU PENSES QUE JE PLAISANTE ?! OU A-T-IL PRÉVU D'ALLER EN CAS DE RETRAITE SUBITE ?! que je beugle alors qu'il saigne abondamment, son jarret complètement déchiqueté.
- O-oubli..
- Les Oubliettes ? Il a prévu d'aller se terrer dans des oubliettes ?
- Ooui... halète-t-il
- Sérieux ? Tu veux finir en hachis ? Ooh, toi dégage !

D'un coup de pied retourné, j'envoie valser le sbire qui débarque au coin du couloir. Ils en ont mis du temps à me trouver. Je mets une pression sur la jambe abîmée du chimiste qui hurle à s'en arracher les alvéoles.

- Où va-t-il ?!
- J-j'ai dit. V-vérité. Oubliet...
- Que va-t-il faire dans les oubliettes ?
- F-fuir. S-sous-ma...

Tout à coup, ça devient très clair. J'ai été long à percuter sur ce coup-là. Je me sers de mes cheveux pour garroter la blessure de mon prisonnier. J'ai encore besoin de lui même si je ne pense pas qu'il m'ait roulé. Je le porte sur les épaules comme un vieux sac de patates et rebrousse chemin. « RA-TAT-TAT-TAT !!! »
Ouh là, ça mitraille ! Je me baisse vivement pendant que Sinistros fonce et plante ses canines dans la gorge du tirailleur. « Mantis Fist, Le Poing du Bourreau ! »
Avec mon index, je perce le vide et envoie un jet d'air lancéolé sur le colosse qui vient d'apparaître, une hache à la main. Agile pour sa stature, il évite mon attaque en plongeant à droite. Une roulade plus tard, il se réceptionne et me balance son arme. En voilà un boomerang mortel !

- Iai !

Je dégaine et rengaine mon Wakizashi dans le même mouvement. Je n'ai que trop peu touché aux préceptes de cet art du maniement du katana avec mes professeurs moines mais je me débrouille, assez pour trancher de l'acier. La hache rotative vole en éclat sous le regard hébété du gros. Regard vide la seconde suivante. Je retire ma semelle de sa face et poursuis mon chemin. « Hey ! L’voilà ! » qu'hurle un porte-flingue. Je m'engouffre dans les cuisines, jette le Mortimer comateux par terre puis déplace de toutes mes forces le lourd buffet de cuisine contre la porte. De ma besace, je sors une grenade. Dans le trou de sa goupille, je passe un fil tendu que je relie ensuite au poignet de la porte. Malheur à celui qui tentera de l'ouvrir en force.

Subitement...
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
Ah non, pas maintenant les gars ! Désenvasez-vous tous seuls !

Ignorant l'escargophone qui braille, je ré-emprunte l'escalier en colimaçon qui me dépose de nouveau dans les dédales souterrains. Selon les rapports de Nivel, les oubliettes où il fut enfermé étaient vers le nord, juste en face de l'escalier. Ma torche éclaire l'entrée d'un corridor qui correspond à la description. Et les traces de pas laissées dans la poussière confirment que des gens y sont passés y a peu. Les empreintes sont grandement espacées, ce qui signifie qu'ils couraient. Je vois des bottes mais aussi des doubles empreintes caractéristiques des semelles à talons. Des femmes. Bronze est passé là avec ses gardes du corps et ses infirmières. Je me faufile à leur suite puis je laisse tomber Mortimer pour sprinter quand j'entends un rugissement inquiétant. Sinistros me devance déjà.

Ces canaux serpentent sous le Roc puis sous Palafitte pour se connecter au lac Azur dont ils siphonnèrent les eaux, il y a cent ans. Et sachant que ce lac demeurait le seul moyen de quitter Carcinomia, je trouve logique que ceux qui conçurent cet endroit y installèrent aussi de quoi y amarrer un submersible. Un moyen de sauver sa vie en somme, de prendre la poudre d'escampette si le Roc venait à succomber à une puissance militaire supérieure. Tombé en désuétude et dans l'oubli après l'accord sur le partage du lac, Bronze le redécouvrit et fit surement rénover ce port secret pour s'en faire sa propre bouée de sauvetage. Belle bouée. J'adore.

Je cours comme un dératé et de très loin me parviennent les échos du "BOUM" distinctif d'une grenade. Quelqu'un a ouvert la cuisine. Bon appétit. Après presque deux kilomètres en sprint non-stop, je déboule à bout de souffle dans un grand espace aménagé occupé en majeure partie par une cale sèche où repose un immense submersible. Le lac Azur étend devant moi ses eaux d'un bleu sombre qui se déversent par saccade dans la cale via une écluse. C'est l'eau qui rugissait, finalement.
Et sans y couper, le comité d'accueil.

- O-on hrah! p-art hrah! ha! q-quel-q-que p-art ? hrah! que je baragouine, toujours haletant, une main sur violent un point de côté.
- Massacrez-moi ça !

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
Mais qu'est-ce qu'ils ont à m'appeler ?
Moi aussi j'ai besoin d'aide, l'herbe n'est pas plus verte chez moi.
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Celui qui vient de hurler au massacre, c'est Diez Bronze. Sa dépendance aux antidouleurs a été expliquée par un accident qui lui arracha toute la moitié gauche du torse, une partie du visage et son avant-bras droit. Ce n’était pas exagéré, toutes ses parties sont mécanisées et son bras gauche transformé en une espèce de mitrailleuse à quadruple canons. Qu'il pointe vers moi. Malgré mon point de côté, je sprinte à nouveau et me jette au sol. Son bras crache rafale sur rafale et moi, à quatre pattes, j'essaie de filer plus vite que les balles. Mon compagnon canin et moi avons un temps de répit en nous abritant derrière un des piliers qui soutient la voûte de la cale sèche. Il résiste aux balles et derrière moi, je sens qu'on s'affaire. C'est juste un tir de barrage qu'il fait, il n'a pas envie d'éterniser le combat, ce qu'il veut c'est fuir. Un coup d’œil à droite me confirme que la cale est presque remplie. Bientôt ils pourront s'échapper à bord du submersible.

- Hinhihinhinhinhin ! Alors, j'croyais que t'étais venu me tuer ? Hein ? Pourquoi tu t'caches derrière c'pylône ? chantonne-t-il d'une voix râpée et pincée tout en continuant à canarder l'espace de balles.
- Arrête de tirer et je vais sortir !
- Sors si t'es un mec ! Hinhihinhinhinhin ! Jette tes armes et j'vais arrêter d'tirer ! Hinhinhihin !

Il a ce brin de démence dans la voix. Une complaisance dans la folie. Jeter mes armes ? Ben, volontiers. Je m'empare d'une grenade dans mon sac que je leur lance après l'avoir dégoupillée. On hurle à la bombe et on se jette pour sauver sa vie. Hormis Bronze, j'ai compté trente sous-fifres et dix infirmières. Du beau monde quoi. Elle explose et toute la structure de l'installation tremble. La poussière est soulevée et stagne. Mon pilier me protège des débris volants. C'est le bon moment pour riposter et Sinistros le sait. Il a son flair pour l'aiguiller dans le nuage de particules, moi j'ai mon... instinct. Mais les voix, c'est plus concret. Dans la suspension de poussière, les blessés hurlent leur souffrance, les biens portants mettent en garde de ne pas tirer de peur de se toucher mutuellement, Bronze lui beugle de le protéger et d'aller au sous-marin.

Et c'est vers lui que je me dirige en priorité. Le reste, juste du menu fretin habillé de costard et décoré d'une arme. Un coup à l'arrière du crâne par ci, un autre à la gorge par-là, un genou dans les parties sur le suivant et ils tombent. Sinistros est moins conciliant et son grognement monstrueux les emplit d'effroi. Surtout quand ils entendent leur compère hurler « Non ! No ! AaaaAaArAArrghhahaaa ! »
Puis rien. Par les cris des suppliciés, ils se représentent les crocs du monstre s'enfonçant et déchiquetant la chair, ils oient les gargouillis du sang sortant par saccade d'une trachée ouverte, ils ressentent jusqu'au fond de leurs âmes les borborygmes des agonisants. Et tout ce qu'ils voient dans l'amas de poussière, c'est deux grands yeux jaunes.

Dans sa démence panique, Diez Bronze n'en a cure de ses hommes. Comme avant, il mitraille la brume sans distinction. Ça commence à être redondant. Un "plouf" m'indique que Sinistros a certainement sauté dans la cale pour échapper aux plombs. Moi, je n'ai pas ce besoin, je suis hors champ, suspendu dans le vide près de la voute, à quelques huit mètres au-dessus du sol. C'est la technique de la Rencontre du Troisième Type qui me permet, à l'instar du Geppou des agents du Gouvernement, de rester dans les airs. Sauf qu'à la différence de cette technique, ce sont mes mains qui accrochent des points de solidité dans l'air et je n'ai pas besoin de rebondir. J'avance dans cette position loufoque, tel un gymnaste en Appui Tendu Renversé, en équilibre sur les mains, les pieds joints. Bronze stoppe ses tirs alors que la poussière se dissipe. Il est le seul debout, il a fauché bon nombre de ses hommes. Le regard toujours dément, il cherche nos cadavres dans les corps disséminés.

- Diez Bronze. Je vais te demander de venir avec moi.

Après un petit cri de stupeur, il oriente son bras-canon vers le plafond. Je déclenche une lame d'air en fouettant le vide de mes pieds. Son arme si précieuse s'envole, sectionnée au niveau du coude. Il ne ressent aucune douleur, toute cette partie est cybernétique. « FILS D’PUTE, J’VAIS T’DECOUPER !!! » qu'il beugle. Une lame rutilante aussi longue que moi émerge du bras fraichement coupé. Je suis légèrement déconcentré par ce dans ma poche, le bébé escargophone n'a pas arrêté de brailler. Finalement, ils vont arriver à me faire douter avec leurs appels intempestifs. Ça se passe aussi mal pour eux ?

Je zigzague, je bouge dans tous les sens au fur et à mesure que Bronze se rapproche et essaie de me trancher en rondelles. Son truc est dangereux et ce n'est pas de l'acier. Je ne tenterai surement pas de couper ça. « VA EN ENFER !!! » Il pense tenir sa victoire parce qu'à force de reculer, je suis coincé contre le mur. Alors qu'il abat son arme pour me pourfendre, il vocifère et puis tombe à genou, le talon d'Achille droit complètement arraché par Sinistros. Il s'est silencieusement approché en rasant le sol, tel un fauve tapi dans les fourrées à attendre que passe la biche. J'aimerais bien avoir toute une meute de Canis lupus majoris cornibus comme lui. Ma vie serait plus agréable. Sans perdre une seconde, il s'attèle à laminer ce qui reste de chair sur les jambes de mon ennemi pour l'immobiliser pour de bon. Moi, je sectionne à nouveau son bras.

- Tu te souviens de la dernière fois quand tu recevais Jonathan Nivel dans ton salon ? C'était il y a juste deux jours. Il t'a proposé une alliance avec moi contre les Burn de Favela et tu l'as rejetée puis fait enfermer Nivel dans les oubliettes parce que tu n'as pas notre temps. Nous autres petites merdes fanfaronnes.
- Argh ! Ha ! T-toi...
- Mais même après cette insulte, je ne prends aucun plaisir particulier à t'écraser. Par contre, j'ignore si je dois te garder en vie ou pas. Mon maître le Gila avait une prison où il gardait enfermé tous ses ennemis. De temps à autre, il en faisait sortir un ou deux, dinait avec eux pour se remémorer le bon vieux temps, ou les opposait dans un combat à mort puis libérait le vainqueur. C'est un grand homme, n'est-ce pas Sinistros ?
- Ouaaaaf !
- Alors dis-moi, Diez Bronze. Que préfères-tu là ? Mourir ou finir au fond d'une geôle ?
- FILS DE...
- Ce sera la geôle alors, commentai-je après lui avoir asséné un coup de pied qui l'a envoyé tout droit dans les vapes.

Après une ou deux années au violon, il sera de meilleur sentiment et peut-être pourrai-je utiliser sa hargne à mes fins. Note de mettre Mortimer dans la même cellule que lui. Devant moi, il y a le cratère causé par ma grenade et tout autour, les corps des gorilles qui l’accompagnaient. En voilà un carnage. Je me dirige vers le levier hydraulique qui contrôle l'ouverture de l'écluse. La cale est complètement remplie et le submersible à moitié immergé. Les infirmières émergent de sous la coque du navire où elles plongèrent pour avoir la vie sauve. Maligne les filles. Je leur fais signe de s'aligner devant moi et j'intime le même ordre à l'équipage du sous-marin. L'écoutille est toujours ouverte, une grenade là-dedans et l'affaire serait réglée mais ce serait un tel gâchis. On n'a jamais de sous-marin en trop et celui-ci se semble parfaitement taillé pour accueillir toute une armée. Il est immense, je n'en ai jamais vu de tel, et de cette forme. On dirait une chenille. Je me rends compte que c'est un mastodonte dont je n'ai aperçu qu'un petit bout émergé. Ce truc fait plus de cent mètres de la proue à la poupe. Je suis sidéré.

- Il a un nom ? demandai-je au capitaine qui est finalement sorti avec dix membres d'équipage.
- Sub 017.
- Ce n'est pas un nom ça. Combien de personnes peut-il accueillir ?
- Ça d'pend des modules 'sieur. Moi c'est Joe, l'mécano.
- Bonsoir Joe.
- V'voyez les gros trucs ronds là, c'sont des modules. C'bébé est comme un train en fait. On peut foutre beaucoup d'ces modules et chaque peut stocker dix gens.
- Je vois.
- Pour une vitesse d'croisière, l'babe peut prendre dix modules.
- Cent hommes, pas mal du tout. Pour qui travaillez-vous ?
- Euh...
- C'vous l'boss ! fit le Joe après avoir longuement maté la carcasse de Bronze comateux et les corps par terre.
- Toi, tu iras loin dans la vie, Joe. Tu t'y connais en submersible ?
- Formé à Zaun, 'sieur.
- Très bien. Je m'appelle Loth Reich et comme vous avez pu en être témoin, les choses sont en train de changer aux sommets. Bronze, Black, de l'histoire ancienne. Le futur, c'est Willian Darkness et Loth Reich. Vous êtes des esclaves, non ? demandai-je aux infirmières qui se tenaient collées les unes aux autres.
- Oui.
- Sérieux ? Vraiment ? Et vous n'avez jamais pensé à lui injecter une saleté ? Non ? répétai-je alors qu'elles hochaient de la tête furieusement. Encore du conditionnement.
Je sens que le chemin sera ardu, marmonnai-je en les laissant à leurs pleurs. Sinistros, je vais te laisser garder tout ce beau monde. Je devrais pouvoir envoyer des gens d'épauler bientôt. Nox ou Sam. D'accord ?
- Whouaf !
- Et s'ils font un truc de travers, dévore-les jusqu'à l'ongle ! fis-je avec un sourire diabolique qui leur donna la chair de poule. Je dois remonter pour décrocher, les ondes ne passeront pas ici.

[...]

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Mais qu'est-ce que tu foutais ?!
- Oh salut Will. La dernière fois que j'ai pris de tes nouvelles, tu étais torturé. Ça va ? Moi, pépère, tout baigne.
- C'est pas le moment Loth, ça urge. Reviens ici en toute urgence !
- Ici c'est où ?
- Au QG des Enigma ! Dépêche toi ! Tu as juste dix minutes encore avant un massacre !
- Lequel de massacre ? m'enquis-je imperturbable. Depuis deux jours, nous trempons dans des séries de massacre.
- Mec, je n’ai pas de mots ! Ramène-toi à la cinquième vitesse !

Et dire que je lui avais bien signifié de ne pas me donner d'ordre la dernière fois. Passons le savon à cause de la panique dans sa voix.

[...]

Quand j'y arrive, la situation me parait nébuleuse. Une partie de mon plan semble avoir marché, Hank a joint ses hommes aux Énigmatiques. Mais le siège est levé sans qu'il y ait eu de victoire d'un des deux camps, ce qui se serait passé si ma tenaille avait pris forme. Et dans ce cas, j'aurais vu une troisième armée, celle qui avait appartenu à Bronze et qui serait maintenant aux mains de mes propres hommes, Nox et Avada. Cette partie du plan ne s'est pas déroulé comme prévu et encore plus incompréhensible, les assiégeants ont laissé tomber leur blocus sans demander leur reste. Quand je m'apprête à les bombarder de questions, tous me désignent de la tête un gros carton ensanglanté.

C'est quoi ce délire ?
J'ai l'impression de retourner des années en arrière quand le Gila faisait envoyer à ses ennemis un "cadeau d'anniversaire". La plupart du temps c'était une boite, enveloppée dans du papier cadeau, accompagnée d'une carte sur laquelle était imprimée un monstre de gila. Dans la boite, le plus souvent, un membre d'une personne chère. L'anniversaire, c'est ce fameux jour dont se remémorera à jamais le receveur. J'ouvre la boite et l'odeur me fouette les narines. Placide, je regarde. Des têtes humaines. J'en compte six. De visu, je ne connais aucun de ces gens-là. Je gante ma main droite et en sort la première tête que j'exhibe devant eux. Willian grimace, il a sûrement déjà vomi à cette vue.

- C'était qui lui ?
- Raoul Ortéga, répond Randall.
- Quoi ?! Le zozoteur ? Comment il est arrivé dans cette boite ? De qui est cette mise en scène macabre ? Non, ne me dites rien, susurrai-je en comprenant enfin.
La Grenouille, putain.
- Tout à fait. Le reste des têtes, ce sont les lieutenants d'Ortéga. Tout son état-major est là. L’émissaire de la Grenouille a laissé un autre message, il veut te voir dans les usines Kuerten avant minuit sinon tu recevras d'autres têtes, de gens que tu connais cette fois-ci, explique Willian. Tu sais ce qui s'est passé ?
- Je peux le deviner. En prenant en otage la famille de Kuerten, Nox le contrôlait. Puis quand il lui a ordonné de rassembler sa colonne, Ortéga l'a su et est parti avec la moitié des hommes qui vous assiégeaient ici. Mais il n'avait pas de quoi leur attaquer Nox, donc il se sera surement contenté d'un blocus en attendant le soutien d'Alexei Norman. A ce dernier, j'avais envoyé Avada pour négocier son alliance histoire de contrecarrer définitivement Ortéga.
- Négocier avec quoi ? demande celui que je devine être Osmund Hank.
- Avec "qui", serait plus judicieux. Il a eu une vie avant de venir ici, et je suppose qu'avec ma proposition, j'ai réveillé de vieux démons.
- Vous avez un passif ?
- Indirectement. La Grenouille était un ennemi mortel du Gila. Mon maître.
- Et tu pensais le rallier ?
- Comme je viens de le dire, il a eu une vie avant de s'installer ici, je pensais connaitre son point faible, dis-je en soulevant mes lunettes.
- Donc qu'est-ce qu'il veut là ? Et c'est quoi le sens de ces têtes ?
- Il veut me dire qu'il contrôle la situation. Il a fait tuer Ortéga et son état-major pour s'arroger le contrôle de sa moitié d'armée; il aura surement trouvé un moyen de neutraliser mes Fumiers et la colonne de Kuerten sans combattre; puis il a rappelé l'autre moitié d'armée qui vous bloquait.
- Pourquoi ? Si ton raisonnement est vrai, il a plus de deux milles hommes sous le coude là. Et il peut surement en lever d'autres, tout le fief de Bronze est à lui avec ça. Il aurait pu venir tenter de nous écraser.
- La Grenouille est de la vieille école, c'est plus le genre qui t'envoie la tête de ta fille pour t'obliger à rentrer dans le rang plutôt que de s'en prendre à toi. Il fonctionne aux rapports de force, mais s'il peut éviter l'affrontement, il le fera. C'est un marchand d'armes, pas un chef rebelle. Norman est ici depuis dix-sept ans, s'il enviait réellement la place de chef de clan, crois-moi que Bronze et Black n'auraient pas eu de Roc à disputer. En rappelant les hommes, il applique ce qu'il appelle, "la force tranquille". Il nous montre qu'il a juste fallu qu'il entre en scène pour que les armes se taisent et que nos stratégies soient réduites à néant.
- Il pose ses couilles sur la table quoi, marmonne Randall.
- Mais il veut te rencontrer.
- Ouais, et j'y vais de ce pas.
- Sans escorte ?
- Aucune escorte ne me protègera de la Grenouille et puis, il tient mes hommes. J'ai été à l'école du Gila, il sait qu’on n’abandonne jamais les nôtres. Je n'ai rien à craindre de lui, c'est un marchand, donc un négociateur. Là où je serai mal, c'est quand je n'arriverai pas à payer son prix.
- Un prix ?
- Sam, retourne chez ton maître et prend Adria avec toi. Elle accompagnait Nivel quand il s'est enfui, elle connait les catacombes en dessous du manoir du chef du Roc. En face nord de l'escalier en colimaçon, il y a un couloir qui donne sur une espèce de plage aménagée. Tu y trouveras Sinistros et Diez Bronze.
- Tu l'as eu ?
- Oui. D'ailleurs, Will envoie un détachement d'Enigma pour épauler Sam. Bronze est assommé et blessé, faites le enfermer dans les oubliettes. J'ai aussi sécurisé le sous-marin avec lequel il comptait s'enfuir. Celui là, je le garde comme trophée de guerre. Je vais le baptiser Aldébaran, du nom de l’étoile la plus brillante de la constellation du Taureau.
- Bien, monsieur.
- Sinon, ne faites rien à part envisager la reconstruction. La guerre est terminée comme nous le désirions. Et pour mettre la touche finale, il me suffit de satisfaire une grenouille avide.

Et j'ai ma petite idée sur l'objet de son insatiabilité.
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- Tu prends quoi ?
- Un café au citron. Un croissant également. Et vous, vous ne prenez rien ?
- Non. Je suis un vieux qui contrôle son transit intestinal.
- C'est vrai, vous n'êtes plus tout jeune.
- Tu crains que je t'empoisonne ?
- Ce serait ridicule.
- Il t'a bien formé.

L'étincelle dans ses yeux en dit long sur cette haine viscérale qu'il garde, entretient et chérit pour le Gila. Nous sommes ce que nous aimons mais également ce que nous haïssons. Et dans ce milieu, beaucoup se définissent à leurs ennemis. Dis-moi qui tu abhorres et je te dirais qui tu es.
Lui, c'est Alexei Norman, alias la Grenouille. Prime, cinquante millions de Berry, juste parce qu'il s'est retiré du marché "actif", à l'instar du Gila. La ressemblance entre mon maitre et lui est frappante. Tous deux cinquantenaires tirant sur la soixantaine, tous deux du milieu, tous deux ayant forgé leur empire en se hissant sur une montagne de cadavres. Ils aiment l'élégance, un certain code vestimentaire et militent pour une mafia procédurière. Et bien sûr, leurs surnoms. Le Gila à cause du reptile éponyme qui ne lâche jamais sa prise quand il mord, fidèle image de mon maitre. La Grenouille à cause de sa longue langue collante. Un parallèle avec ses activités de marchand d'armes, du fait qu'il déstabilise des pays en restant à distance. Telle une grenouille qui projette sa gluante langue pour gober une proie.

Un reptile et un batracien.

- Comment il va ?
- Je n'en sais rien.
- Tu penses que c'est une bonne idée de te foutre de moi ?
- Je peux être suicidaire par moment mais il n'y a aucune raison pour ça, en cet instant. J'ignore où se trouve le Gila, lui répondis-je, mes prunelles dans les siennes.
- Ça fait presque deux ans que ton maitre a failli être capturé par la Marine à Manshon et t'ignores où il est ?
- Je sais ce qui s'est passé à Manshon. Et vous le dites si bien, ils ont seulement failli le capturer. Le Gila n'est pas n'importe quel parrain et certains de ses élèves ont des bras bien plus longs que les miens.
- L'Impératrice pirate Kiyori Tashahari par exemple ? J'avoue que j'ai été sur le cul quand j'ai appris ça.
- C'est sa nièce en fait. Et grâce à sa seconde flotte, le Gila s'est extirpé du piège qui lui a été tendu et depuis, il s'est fait oublier. Peut-être est-il dans le Nouveau Monde, peut-être réchauffe-t-il son sang-froid à Hinu Town.
- Tu l'as pas cherché ? Je suis étonné. Maintes fois, il m'a cassé les oreilles avec son discours sur la famille.
- Je n'étais déjà plus de sa famille en 1625, mon enseignement était terminé. Les évènements de Manshon ont duré deux semaines, j'étais sous couverture pour une triade et coupé de toutes informations. Je n'ai appris que le dénouement.
- Tu sais que les Tempiesta l'ont trahi ?
- Je sais que beaucoup de personnes du syndicat du crime de North Blue l'ont laissé tomber. Et je sais qu'il le paieront, quand viendra leur anniversaire. Merci pour le thé, mais si on parlait de nous ?
- T'es pressé ?

Très. Je n'oublie pas que je vais laisser ce pays dans une guerre en suspens pour rejoindre un autre pays sur le point d'exploser. J'ai moins de deux heures pour tout finaliser.

- Quel est votre prix ?
- C'est ici que j'ai fait tuer Avada Kédavra, fit-il en montrant une part de moquette tachée de rouge.
- Mais non, vous n'en êtes pas capable. C'était le meilleur pour négocier avec vous et même sans arme apparente, elle ne se serait constituée prisonnière que de son gré.  
- T'as confiance en tes gens. Laisse-moi t'offrir une perle de sagesse, petit. La moitié des gens au cimetière y sont à cause de leurs proches.
- C'est tout simplement parce qu'ils les avaient mal choisis, répondis-je. Donc Avada a accepté d'être votre prisonnière pour faire baisser sa garde à Ortéga et vous avez mis en scène sa mort, c'est ça ?
- Ouais.
- Mais après vous être débarrassé du zozoteur, vous n'avez pas tenu votre parole, vous n'avez pas libéré Avada ? Vous êtes bien sûr de vouloir faire de cette femme votre ennemie pour la vie ? A votre place, je n'oserai même pas. Simple question de bon sens.
- J'ai rarement du bon sens quand j'ai mal, Reich ! Chaque jour, suffit que je croise un miroir pour souffrir le martyr. Tu peux soulager cette douleur, il parait ? demande-t-il en explosant du poing la table, l'autre main tendue vers son visage ravagé par l'acide.
D'après Bobcat, tu as le baume qu'il me faut ?!

Le baume, c'est bien ce que je pensais, le même qu'Avada lui a proposé de ma part. Mais il a pensé qu'on essayait de le rouler et a pris les miens en otage pour m'interdire tout mouvement. Je scrute ses séquelles au visage et m'imagine la douleur qui fut la sienne. Brûlure par l'acide. Je comprends qu'il n'ait confiance en personne, surtout pas en sa famille vu que le responsable de cette mutilation n'est autre que son propre frère, Leonid Norman "Le Frelon".
Une vingtaine d'année plus tôt, les deux frères Norman dirigeaient la plus puissante corporation de marchands d'armes des Blues, jusqu'au moment où Leonid fut capturé par la Marine. Lâche et traitre, le cadet n'hésita pas à balancer non seulement son ainé mais aussi l'intégralité de la famille Norman en échange d'une amnistie. C'est ainsi qu'à l'orée de 1609, la Marine opéra le plus grand coup jamais porté à une famille mafieuse sur North Blue en démantelant intégralement les Norman. Leonid convia son frère à diner, un piège d'où s'extirpa la Grenouille en y laissant un œil et la moitié de son visage.

- Quand je te regarde, je vois son visage.
- Pourquoi cela ?
- Parce que tu pues la Mouette mouillée. Et je hais les Mouettes.
- Et d'habitude, vous en tuez dès que vous en avez l'occasion. Pourquoi ne pas me tuer ? Vous ne pouvez pas. Je suis trop important pour vous, je suis la seule porte qui ouvre sur la vengeance dont vous rêvez. Et contrairement à votre frère, je ne balance pas les miens et j'affiche publiquement ma collaboration avec la Marine. Pour arrêter des tueurs sanguins, pour démanteler des groupes criminels qui n'hésitent pas à commettre des génocides sur des civils. Je n'ai aucun regret.
- Et pendant ce temps, tu prospères à leur barbe.
- Ce que j'essaie de faire. Et c'est pour ça qu'on me surnomme le Chien de Givre. Mais m'est avis qu'ils aimeraient tous être aussi fréquentables que je le suis et ne pas être obligé de se terrer sous la mer pour échapper à la patrouille. M'enfin, pour répondre à votre question, oui, j'ai votre baume. Avada vous l'a expliqué.
- Oui. Mais je veux le réentendre de ta bouche.
- Après vous avoir trahi, votre frère a monté sa propre famille mais personne dans le métier ne voulait plus travailler avec lui. Trop risqué et d'ailleurs, il est devenu l'homme à abattre. Les Sept de Manshon ont mis sa tête à prix, les Gardiens des Abysses également, sans compter les triades d'East Blue. Et côté Marine, il était devenu encombrant parce qu'aucune de ses infos ne valait de l'or. C'est alors qu'il eut une bonne idée. Tout le monde voulait sa peau mais il connaissait quelqu'un qui pourrait l'héberger, quelqu'un qui haïssait son frère et qui serait ravi de copiner avec celui qui l'a fait tomber. C'est ainsi que Leonid se rendit à Saint-Uréa pour quémander la protection du Gila.
- Ça a toujours été un idiot fini.
- En effet, s'il avait eu le temps de réfléchir, il aurait compris qu'il faisait là la plus grosse erreur de sa vie. Nos meilleurs ennemis sont également ceux qui respectent et nous admirent le plus.
- Donc, depuis le temps où je le cherchais, il était dans la fameuse prison que le Gila a fait construire pour ses ennemis, la Ruche. Ton enfoiré de maître n'a jamais pensé à me dire qu'il détenait mon frère !
- Bah non, il était trop occupé à essayer de vous tuer et vous, de le tuer. Je crois qu'il espérait vous envoyer rejoindre Leonid à la Ruche.
- Mais quand le Gila s'est retiré des affaires courantes et a dissout sa famille y a dix ans, il a détruit la Ruche et libéré la plupart de ses prisonniers.
- La plupart seulement, ceux qu'il avait brisé et qui n'étaient plus bons à rien. Grâce à ses relations, les plus dangereux ou les plus significatifs ont été très discrètement placés dans des prisons du Gouvernement, un peu partout sur les Blues et seul le Gila connaissait leurs positions. Jusqu'à ce qu'il consente à me former et que je devienne son nouveau bras droit.
- Il t'a formé en temps de paix.
- Pas tant que ça, le monde du crime a été très animé de 1622 à 25. Il s'est retiré du service actif mais il avait toujours des sbires, des contacts et de l'influence que des gens de tout bord venaient solliciter. Votre frère est actuellement détenu sous un faux nom dans une des prisons les plus sures des Blues mais je peux l'en faire sortir, soit pas mes relations, soit en allant l'y chercher. Cette blessure vous démange depuis dix-sept ans. Je me propose d'en calmer la virulence à condition que vous souteniez Willian Darkness et que vous libériez Avada Kedavra. Elle me sera indispensable pour libérer le Frelon. Nox et les autres, vous pouvez les garder en garantie jusqu'à ce que je vous ramène votre frère. Mais vous serez avisé de ne pas les égratigner.
- Que penserait le Gila en te voyant assis à cette table avec moi, en posant tes conditions ?
- Je suppose qu'il serait fier. Avons-nous un accord ?
- Pas vraiment non, ma couille, fit une voix derrière moi. Ton idée que je vienne le voir sans arme était merdique, tu le sais ça, binocle ?
- Bah voilà, ton Avada chéri s'est libéré de lui-même.  
- C'est une mauvaise idée de t'allier à lui mec, je le verrai plutôt l'allié d'une pierre tombale, déclare-t-elle, passablement énervée. J'ai accepté de jouer le jeu de ce connard, de me faire menotter par du granit marin, de me faire planter par un faux couteau. Au lieu de me désentraver après, il en a profité pour me faire prisonnier. Il n'a aucune parole !
- On dirait que même le granit marin ne t'arrête pas.
- Faut juste trouver la clé.
- Sinon, je t'ai jamais promis de te démenotter après, j'ai juste dit que si tu jouais la comédie, on se débarrasserait plus facilement d'Ortéga et que je serai plus enclin à écouter les dires de Reich. Je l'ai écouté là, j'ai tenu ma promesse.
- Te fous pas de moi, enflure !
- T'as dérobé un flingue non ? Pourquoi tu me mets pas en joue ?
- Parce que c'est pas un jouet. Le jour où je pointerai un brolique sur toi, t'iras vérifier si les anges ont des trous de balles. Je t'attends dehors, Loth.
- Je vous avais dit que c'était une mauvaise idée de liguer cette femme contre vous.
- T’es seulement sûr que c'est une femme ?
- Je préfère le penser. Une question, comment avez-vous vaincu mes hommes sans combattre ?
- Le Maskelyne. C'est un nouveau gaz qui diffuse un puissant paralysant musculaire. Je peux te faire un prix.
- Plus tard. Du coup, je veux vous l'entendre dire. Vous apportez votre soutien à Willian pour asseoir son autorité dès ce soir et vous garderez mes hommes en résidence surveillée jusqu'à ce que je vous livre le Frelon. Avons-nous un accord ?
- Nous avons un accord.
- Vous souriez.
- Et alors ?
- Le Gila disait que vous ne souriez jamais à personne, à moins que vous ne sachiez exactement comment cette personne mourra.
- Faut pas croire ce que disent les légendes. T'as peur de mon sourire, petit ?
- Non. Je vous souris en retour.

[...]

Pari réussi. On peut considérer le Roc comme pacifié. Le lendemain, les citoyens apprendront qu'ils ont un nouveau chef, et avec l'apport d'un homme aussi influent que Norman, Willian s'en retrouvera d'autant plus canonique. Militairement, le Roc était le plus puissant des Secteurs mais après une journée de carnage qui a fait des centaines de morts, cette force de frappe est grandement amoindrie. Il faudra du temps pour réunifier les milices, effacer les blessures des exactions d'Ortéga mais le fait qu'il soit mort et Bronze emprisonné va déjà aider. Ce n'est donc pas le moment d'entrer en guerre contre un autre Secteur et surtout pas Favéla. Trente minute après mon entretien avec Norman et après avoir expliqué les termes de mon accord à un Nox plus ou moins mécontent d'avoir été posé en garantie, je me rends avec Willian à la frontière Est où Burn n'a cessé d'amasser des troupes depuis dix-huit heures. Maintenant qu'il a une autorité à qui s'adresser, écoutons ce qu'il a à dire.

- T'es blessé, c'est grave ? s'enquit-il en désignant Willian bandé telle une momie. Si Bronze était dément, Foster semble sauvage avec sa tignasse et sa barbe écarlate.
- Les joies d'être un chef. J'ai reçu ta missive mais j'avais d'autres priorités.
- Mon frère a été capturé sur ton territoire !
- Depuis deux jours, c'est le bordel au Roc, il a pu être attaqué par n'importe qui. Pourquoi tu groupes tes soldats sous ma porte ? Tu penses retrouver ton frère en déclenchant une guerre ?
- S'il l'faut ! J'retournerai chaque maison du putain d'Roc pour l'retrouver !
- Soit pas têtu. Si tu nous attaques, nous riposterons et je crois que toi aussi tu as eu une sale journée avec tous ces attentats. Ton secteur est à feu et à sang et tu veux déclarer une guerre, grand bien te fasse.
- Quoi, tu veux t'battre ?
- Ouais, à fond. Mais pas contre toi, ton frère va le chercher ailleurs, il n'est pas chez moi. Mais moi j'ai quelqu'un chez toi, fit Willian en lui remettant les fameux clichés de Jack Black. Tu sais ce qu'il fait là ? Il contamine ton secteur.
- Quoi ?
- A Zaun, Black a été atteint de la Emdéaire, une MST. Il n'y a pas encore de remède à cette saleté, du coup, il contamine autant de gens que possible en se disant que si la maladie se propage, ça augmentera les chances de trouver un traitement. Depuis ce matin où on l'a plus revu au front, c'est ce qu'il faisait. Ce n'est pas simplement ton problème à l'heure actuelle mais celui de tout Carcinomia. Vos putes sont réclamées partout donc nous avons un gros souci.
- Comment tu sais qu'il est malade ?
- Parce que c'est moi qui l'ait ramené de Zaun, dis-je en parlant pour la première fois. Il était juste censé nous aider à dompter Bronze mais ça a dégénéré.
- Il faut le mettre hors course et publier la nouvelle.
- Quoi ? Non ! J'refuse !
- Pardon ?
- Tu veux qu'on dise que les putes de Favela ont été contaminées par une ordure ? Ça va ruiner notre économie ! D'ailleurs, j'vous crois pas ! J'sais que les attentats, ça vient d'vous, bandes de salops ! Vous complotez pour déstabiliser mon territoire ! Je veux mon frère, Darkness, ou prépare toi à la guerre !

Sur ce, il s'en alla rejoindre ses hommes qui campent de l'autre côté des lourds grillages symbolisant la frontière.

[...]

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPU !!!

- Salut. Je te réveille ?
- Pas vraiment. Les coups de feu qu'on a entendu depuis le Roc n'ont pas aidé. Et la mort du Crâneur ce midi a rendu tout le monde parano, répondit Émeline d'une petite voix. Elle a dû s'isoler dans la salle de bain pour me répondre.
Qu'est-ce qui se passe au dehors ?
- Le Roc est à nous. J'en ai profité pour confier Nivel au meilleur chirurgien cybernétique de Virus. Au départ, je voulais contacter le Parefeu, l'instance dirigeante de ce Secteur mais ils ne reçoivent personne en audience à une heure si tardive. Nivel sera sur pied d'ici deux ou trois jours, prêt à diffuser le Nivellement.
- J'en suis contente !
- Autrement, nous avons trois autres problèmes, si on exclut le tien.
- Ah ?
- Foster Burn veut son frère et son armée campe à la frontière et menace d'envahir le Roc à tout moment pour le chercher. En réponse, Willian a aussi fait camper ses hommes devant. Demain, il va réunir tous les notables du Roc pour se présenter en tant que nouveau chef, s'assurer de leur soutien et lever une milice plus importante. La situation est électrique.
- Pourquoi tu ne leur remets pas Caffree Burn ?
- Ce serait admettre qu'on l'a, ce qui déclencherait une guerre de toute façon. Donc, je préfère l'escalade tout en le gardant comme monnaie d'échange, ultérieurement.
- D'accord. Mais c'est super quand même, un secteur sur cinq sous notre coupe. C'est quoi le second problème ?
- Y a un virus dans l'air. Ou plutôt, dans les gens. Black a passé toute la journée dans les bordels, il transmet allègrement la MDR. D'ici vingt-quatre heures, le temps que la période d'incubation soit consommée, les contaminés commenceront à en ressentir les premiers symptômes. Dès la pointe du jour, Willian fera une annonce qui apparaitra dans les journaux mais nous n'aurons pas l'appui de Foster Burn qui pense à un complot pour saper son Secteur. Ce qui est vrai, mais pas avec un virus. Son manque de coopération jettera le discrédit sur toute action de prévention, les prostituées continueront à travailler jusqu'à ce que les effets de la maladie soit visibles. Et bien sûr, Black restera libre, sauf si mes Fumiers planqués à Favela l’interceptent avant.
- Mais tu as le traitement non ?
- Pour une seule personne.
- Mais, avant votre alliance, la Jungle voulait fournir un vaccin à Black, non ?
- Je viens de terminer une réunion avec l'Arbre à Palabre et ils sont septiques à ce propos. Ils connaissent la formule contre la souche MDR qui a été éradiquée il y a deux cents ans. Mais ils n'ont ni les ingrédients, ni le matériel pour en produire en masse. Leur principal labo a été détruit.  
- Purée ! Du coup, c'est quoi le plan ?
- Je les ai sommés de trouver une solution, d'acheter les matériels nécessaires et de se mettre au boulot avant qu'on ait une épidémie sur les bras.
- Tout ça complique grandement le plan global, on n'avait pas besoin de ça. C'est quoi le troisième problème ? Ça ne peut pas être pire ?
- Si. Boréa. Lavoisier prépare un massacre.
- Oh non...
- Et pour ça, je dois partir. Je suis déjà au port là, je m'apprête à entrer dans l'Antarès.
- L'Antarès ?
- Un sous-marin que j'ai acheté. J'en ai récupéré un autre également, plus grand. Je pars aussi avec. Je règle le souci à Boréa et je reviens.
- Ne presse pas, il reste cinq jours avant le mariage.
- Si mariage il y a. La MDR risque de tout chambouler, si tu veux qu'on t'exfiltre maintenant...
- Non, non. On s'en tient au scénario prévu. Va-t-en, fais ce que tu as à faire puis reviens.
- Tu n'es pas seule. Willian a ton numéro, il prendra régulièrement de tes nouvelles. En plus, y a Claude, Weimin encore plus près de toi.
- Je sais, je sais. Et de mon côté, j'avance avec la vieille Nan. Je lui ai parlé de Wilhelmina après ton départ. Je lui ai appris qu'elle était en vie, à l'extérieur. Elle a été tellement choquée que j'ai craint qu'elle nous fasse repérer. Mais elle a tenu le coup. Sa fille qu'elle croyait morte est en vie, tu aurais dû voir l'expression de bonheur sur son visage ! Si tu pouvais ramener le Pachyderme Écarlate à Carci, ça aiderait tous les esclaves à se soulever.
- Sauf que onze années se sont écoulées depuis sa disparition et aujourd'hui, elle est plus connue sous le surnom de "Bloody Baroness" Wilhelmina, N°2 des Twin Bones Pirates. Elle a peut-être changé.
- Ou en elle brûle toujours le désir de trouver Carcinomia et de retrouver les siens. S'il te plait Loth, fais ça pour moi. Trouve la et persuade la de revenir.
- C'est une pirate Eme', je ne vais pas fouiller la mer entière. Même s'ils ont fait parler d'eux principalement sur North, ils sont peut-être en route pour Grand Line en ce moment. Je n'ai que cinq jours.
- C'est largement suffisant. Tu veux abolir l'esclavage, que les opprimés se soulèvent d'eux même non ? Mina est la clé de voûte de ce projet.
- D'accord, je ferai de mon mieux.
- Fais l'impossible. Je veux voir Vieille Nan retrouver le sourire.
- A vos ordres, madame.
- Je préfère ça, fit-elle en riant. Prends soin de toi et ne cherche pas trop les problèmes sans moi.  
- D'habitude, ce sont les problèmes qui me trouvent. Tu le sais.
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