Montaudevert

Selon les critères en vigueur sur son île d’origine, Monty est une personne de petite taille, voir même un nain. En effet, au milieu de ses compatriotes dont le vertex chatouille la barre des trois mètres, Montaudevert et ses deux mètres vingts font figures d’erreur de la nature. Un nabot chétif en comparaison de ses pairs avec ses maigres cent-soixante kilos. Pourtant, si l’on en vient à placer le curseur de la normalité sur une île de taille plus standard, Monty devient alors un géant, un golgoth capable de faire passer les plus athlétiques des habitants pour des brindilles. Ajouter à cela, un bouc fourni et une moustache magnifique qui ferait pâlir d’envie les plus nobles des nobles, et vous obtenez notre Siafelan (habitant de l’île de Siafela). Cette moustache d’ailleurs, il tend à la lisser de façon répétée, souvent, presque en permanence, lorsqu’il ne triture pas sa pipe. Ce tic est sans doute son plus remarquable, la poignée d’autres notables est en réalité plutôt notoire car on les retrouve chez tous les fumeurs de pipe. Par-dessus ce grand corps de muscles et de poils s’étendent des vêtements relativement communs, bien que fortement typés « forban » ou « corsaire » selon le point de vue. Le tout est agencé selon une posture ferme, mais dynamique, à même de soutenir le poids glorieux de sa moustache et celui plus réel de sa Canne-ciel. Il la porte d’ailleurs en toute circonstance, tout comme son vieux tricorne et, si le second lui donne un genre plus qu’il n’a de réelle utilité, la première, qu’il tient à la main faute de fourreau ou de pouvoir l’enrouler autour de son torse comme sa corde ou son hameçon, est son outil comme son arme. Servant son gagne-pain comme sa défense, elle est sillonnée de gravures où vient s’ancrer la robuste corde dont il se sert afin de pêcher dans l’océan aérien. Car oui, Montaudevert est un être poétique…

… poétique et au comportement d’un autre temps avec ces dames. Galant à l’outrance, sans jamais tombé dans le sirop qui confit certains de ces gentlemen dans la perversité, Montaudevert demeure pour son malheur trop amateur de jeu de mots vraiment pas à la hauteur pour faire un bon séducteur. Mais, en dépit de ces accablantes rimes en « eur », Montaudevert est donc un pêcheur, de ciel certes, mais un pêcheur quand même. Il peut ainsi discourir durant des heures des raffinements de son art et de la subtilité immense que requiert la pêche du ciel. Point sanguin mais teigneux malgré tout, le Siafelan est donc difficile à énerver, préférant à la confrontation physique la déflection verbale, car lorsque l’on est plus faible que tous, mieux vaut avoir une langue bien affutée qu’une droite dure. En effet, la droite dure tend à se briser sur les boucliers de chaires des plus grands que soi tandis qu’une bonne langue passe partout et peut faire des dégâts insoupçonnés.
Que reste-t-il à dire sur Montaudevert ? Il est beau, il est intelligent, il est ambitieux, il est terriblement drôle, selon ses propres critères, mais il manque terriblement de recul, ce qui confirme le point précédent de cette liste. Une fois la machine en marche lui faire faire un virage à cent-quatre-vingts degrés relève de l’impossible car, en plus de se focalisé sur des objectifs parfois douteux, Montaudevert est têtu. Il en résulte sa vie, à courir derrière ses frères auréolés de gloire sur Siafela, à lutter contre la nature l’ayant affublé d’une beauté ravageuse mais d’une carrure de nabot (ahem…), et enfin à chercher sa propre voie, si possible écrasante socialement parlant, histoire de mettre sa famille en rage avant de les massacrer les uns après les autres.
Car oui, détail s’il en est, Montaudevert voue une haine si enflammée à sa famille et à son île en général, bien qu’il n’en soit pas le seul nain, qu’elle suffirait à faire cuir plus d’un poulet à la broche.
Il apparait donc clairement que Monty est complexé par sa taille et voue une certaine animosité, voir une animosité certaine à toute personne le dépassant. (Votre narrateur s’est d’ailleurs bien gardé de se lever lorsqu’il l’a rencontré…)

Avant de commencer l'histoire, veuillez noter que votre narrateur a compilé pour vous quelques fiches relatives à la pèche du ciel. Ainsi les * font références à l'une de ces fiches situées en bas de page.

Alistair, qui ne prendra que bien plus tard le nom de Montaudevert, est né sur l’île de Siafela. Cette île où tout est étiré vers le haut mais où les règles de proportions demeurent est située à quelques semaines de navire de l’entrée de Grand Line, sur West Blue. C’est donc là que naquit Monty. Si cette île est l’habitat naturel de beaucoup d’espèces agrandies, elle possède également quelques spécificités locales, dont les plus notables sont l’absence totale de pirate, beaucoup trop effrayés par les locaux, et la pratique de la pêche ciel. Venons en à la pêche ciel, car ce métier, que dis-je  narrateur averti que je suis, cette profession, avec un P majuscule comme pour Ptérosaurus, est une institution à Siafela et est centrale à l’histoire de Montaudevert.

En effet, notre héros, appelons le ainsi par convenance, est issu d’une illustre famille de pêcheurs du ciel. Même si nous ne la nommerons point, cette famille recueillait de tout temps la gloire comme les plus beaux spécimens de Siafelans. Grands et forts, ils harponnaient, hameçonnaient et attrapaient les plus belles prises, oiseaux, hommes et femmes. Ainsi, en dépit de l’isolement relatif des insulaires du fait de leur taille imposante, qui demeurait en dépit des unions avec les humains de passage plus petits, ceux-ci vivaient bien et souffraient de peu de maladies. Leur plus grand soucis était de ne pas enfanté de nain. Car les êtres de petites tailles étaient voués à des rôles subalternes chez les Siafelans. Et pour une île où l’ambition était une valeur maîtresse, atteindre sa limite signifiait la fin. Ainsi les nabots étaient mal vu sur cette île prospère. Or, Alistair eu le malheur d’entrer dans cette terrible catégorie.

Fort heureusement pour lui, l’enfance lui épargna la mise au ban, car jamais il ne parut être plus courtaud qu’un autre durant ses dix premières années. Il évita ainsi bien des brimades et moqueries de la part de ses camarades alors qu’il s’initiait à la pêche ciel sous le patronage de ses frères aînés. De sa première canne-ciel et de cette époque joyeuse il ne reste aujourd’hui plus rien. L’ustensile de pêche fut emporté par une giromouette* particulièrement véloce qui, pour déjouer la prise du crochet, enroula la corde à la barre métallique avant de plonger vers le sol en vrille, décrochant par la même l’hameçon de son flanc et envoyant la canne-ciel se fracasser en bas des falaises. Ce bris fut de mauvais augure, car c’est à partir de cet instant que la vie de Montaudevert se mit à battre de l’aile.
Avec l’adolescence vinrent les poussées de croissance, ou pas. Si la majorité de ses petits camarades grandissaient de plusieurs centimètres par mois, Monty lui devait se contenter de plusieurs millimètres. Avec avec la différence de taille se creusa celle de comportement. Jusqu’alors chaleureux, les jeunes de son âge se firent de plus en plus froid, n’hésitant pas à bousculer violemment le jeune Alistair. Des croissances à retardement existaient chez les Siafelan, mais les nanismes à retardement aussi. Et une fois de plus, on s’accorda à dire que depuis qu’il s’était fait avoir par la giromouette, Monty avait la poisse. Car sa croissance ne vint jamais, ou par de brefs à-coups sans conséquences miraculeuses. Et après ses camarades se furent ses frères qui se désintéressèrent de lui, le laissant se débrouiller pour apprendre la pêche ciel par lui-même.

Ce fut sans doute la seule conséquence de sa taille qui ne lui damna pas le pion immédiatement, car la pêche ciel en solitaire est une joie qui s’apprend, et Monty l’avait apprise depuis son plus jeune âge. Ainsi il passa de longs moments planté sur les falaises, à lancer sa ligne aux furvents des cieux où frayaient les giromouettes et autres férolombes, laissant balloter son hameçon dans les nuages bas où plongeaient les escargrives* pour se nourrir de chenilles des brumes. Ces moments étaient pour lui heureux. Et il acquit de surcroît une maîtrise de la canne-ciel digne du nom de famille qu’il portait en dépit de sa taille.

Ainsi, jusqu’à ses dix-sept ans, Monty vécut une vie simple, certes émaillée de frustrations liées à sa taille, mais où ses talents de pêcheurs suffisaient à son bonheur. La véritable cassure, celle qui transforma sa frustration en haine, celle qui métamorphosa son nom en cauchemar, celle qui transfigura son propre sang en poison, vint lorsque son aîné épousa la fille d’un notable. A l’occasion de cette union dont toute l’île s’accordait à dire qu’elle produirait des magnifiques résultats, on convint d’organiser un championnat de pêche-ciel.

Les places furent tirées au sort et, des tribunes furent installées à bonne distance des falaises pour ceux possédant des longues vues et peu de moyen, et derrière les participants pour les plus riches des invités. De par son nom, mais contre la volonté du marié, Monty fut autorisé à participer. Après tout n’était-il pas son frère ? Ne s’était-il pas illustré à plusieurs reprises malgré son handicap ? Ces questions et leurs réponses avaient poussé le père à laisser son cadet planter sa canne-ciel à l’emplacement dit du « Mont de verre ». Cette pointe rocheuse au sommet de laquelle trônait un petit plateau de quelques mètres carrés de superficie était à moitié transparente, d’où son nom.
Les prises lors du concours furent nombreuses, et la légende veut que la population de giromouette nichant sur Siafela fût réduite de deux tiers ce jour-là. Mais ces proie, malgré la taille respectable que certaines pouvaient atteindre, furent éclipsées par deux prises titanesques. La première fût le fait du frère de la mariée, un grand aigle-arc-en-ciel* qui fût capturé alors qu’il plongeait en direction d’une giromouette blessée. Ignorant les pêcheurs il fondit sur sa proie mais se rendit compte que trop tard que les rôles avaient été inversés. Empêtré dans la corde du pêcheur, il s’était blessé avec l’hameçon et avait été mis au sol d’un jet de harpon précis. La seconde prise, plus grande encore, fût quant à elle l’exploit de Montaudevert. Une magnifique raie-nuage*, ignorée de tous à cause de son camouflage, avait tapée dans l’œil de notre jeune héros. Le camouflage était presque parfait, à cela près qu’aucune escargrive ne fondait à travers elle. Cette particularité avait laissé perplexe Monty qui avait tenté le coup. Savamment il envoya sa corde s’enrouler autour de la bête et d’un geste fort habile parvint à accrocher son hameçon à sa corde. Il n’eut alors plus qu’à tirer pour enserrer la raie-nuage qui quitta alors son camouflage dans l’urgence, révélant une peau quasi-immaculée d’écailles aux reflets argentés. L’opération qui ramena la raie au sol se déroula sans réelle difficulté, car plus elle se débattait, plus la corde autour d’elle l’étouffait et elle s’épuisa en quelques minutes. Elle flotta alors doucement jusqu’au promontoire où se trouvait Monty, qui la dirigea à bout de bras vers une zone plus apte à recevoir l’immense proie.

La compétition pris fin et l’on examina les prises avec intérêt. Mais le choix du vainqueur revenait aux mariés et à leurs parents. Et plus les discussions duraient, plus Montaudevert voyait la victoire échapper à sa canne. Le glas sonna sous la forme de la voix de sa belle-sœur qui annonça l’aigle-arc-en-ciel comme la prise victorieuse. Dépité, déprimé, Montaudevert abandonna à la foule sa raie-nuage et descendit en direction de la mer. En chemin il ramassa chez lui une chemise supplémentaire qu’il roula en boule dans une sacoche, il y fourra également une gourde et quelques vivres, bien décidé à ne plus remettre les pieds en ces lieux, car on l’avait trahi. La cassure apparut alors au grand jour. Dans une colère aveugle, le jeune Siafelan s’empara d’une lampe à huile, la brisa à même le sol de sa maison et y mit le feu avant de s’échapper en direction du port.

Les années passèrent, et avec elles les bruits parvinrent aux oreilles de Montaudevert qui s’était laissé pousser la moustache, s’était mis à fumer la pipe et avait trouvé un tricorne à sa taille dans ce monde de petites personnes. Depuis son départ de Siafela il était passé du statut de hooligan, à celui de brigand, puis pirate, avant d’être dénoncé comme un vulgaire laveur de pont, et pire encore. Bientôt on l’oublia. Plus aucun bruit ne courut sur l’incendiaire. Mais sa haine grandit. Lui qui pêchait le ciel inlassablement était vu comme un moins que rien par les siens. Il décida donc de quitter la frégate marchande qui l’hébergeait jusqu’alors pour l’aventure, avec un A majuscule, comme Atrabilaire. Il allait devenir quelqu’un, avec un Q majus… (votre narrateur s’excuse…) bref, il ne serait plus un simple pêcheur du ciel.

Et c’est ainsi qu’il arriva à l’île aux éveillés, à se cailler sous la pluie et à pêcher le ciel nuageux comme les fonds marins. Tout ça parce qu’il n’avait pas écouté votre serviteur… Je lui avait pourtant dit d’attendre un navire de la marine et de s’engager, mais non, MONSIEUR savait, MONSIEUR voulait vivre l’aventure en solitaire, comme les grands Hommes, avec un H majuscule. Tcheeeee… Je vous raconterais la suite quand il se décidera à m’escargophoner ou à m’envoyer une lettre…

Ah c’est vous ?! Vous tombez à pic, figurez-vous que MONsieur l’aventurier a daigné me donner de ses nouvelles. Il était temps. Enfin, prenez une chaise. J’ai fait une bassine de thé si ça vous intéresse… mmh ? Quoi ? Mmh oui oui je commence, je commence. Ahem Ahem…

… depuis quelques temps déjà l’ami Monty est arrivé sur l’île aux éveillés. D’après lui, c’est une île splendide. Il y ferait jour en permanence grâce à des arbres étonnants et à leur myriade de fruits luminescent qui baigneraient l’île et ses habitants dans une douce lumière. Le seul défaut de l’endroit, toujours d’après notre ami, serait le temps humide, terriblement et invariablement humide. Sur cette île, il pleut aussi souvent que je bois du thé, c’est dire !

En arrivant sur l’île, Montaudevert s’est présenté comme pêcheur du ciel. Au premier abord les locaux ne comprenaient pas. Pour eux la pêche se limitait à attraper de la poiscaille aussi humide que leur atmosphère. Aller lancer des lignes ou des filets en l’air ne leur serait jamais venu à l’esprit. Pourtant la flore de l’île aurait permis ce genre de sport sans mal, avec ses arbres de bonne taille. Ainsi le Siafelan, plutôt que de froisser les autochtones, se contenta de trouver un emploi de manutention dans le bois, la seconde source de travail de l’île d’après lui.
Mais bien vite il dut se rendre à l’évidence, porter du bois n’avait rien de bien joyeux, et il n’atteindrait certainement pas une renommée digne de ce nom de cette façon. Ainsi Monty quitta son emploie et se fit embauché comme pêcheur. Mais ses techniques, musclées, ne plaisaient guère et on lui demanda de s’abstenir d’utiliser sa canne-ciel.

Dépité Montaudevert revint à la manutention, ce travail sans prétention. Et, lorsque les vents se levaient et balayaient les cimes des luminous avec fougue, il allait lancer sa ligne dans les airs à la recherche d’une prise digne de ce nom. Au mieux il rentrait avec une escargrive, voir une belle giromouette, au pire il revenait bredouille des hauts feuillues. Certes désormais les éveillés comprenait ce que Montaudevert entendait par pêche ciel, mais ils n’y voyaient pas une réelle source d’intérêt.

Je divague ? Non, je vous donne du contexte ! Voyez, la suite arrive, la raison pour laquelle MONsieur Montaudevert a estimé qu’il avait besoin de parler est là. Donc…

… alors qu’il jouissait d’une belle journée, chose peu courante sur l’île où réside notre ami, Montaudevert décida de partir pêcher les cieux en bordure du chemin menant au geyser géant de l’île des éveillés. Il espérait attraper un éventuel planeur désireux d’utiliser l’air chaud générer par le geyser pour remonter dans les couches supérieures du ciel.

Il entreprit donc de grimper à un beau luminous, à la cime touffue et au tronc large. L’escalade, sans être son fort, n’a jamais constitué pour Monty une torture, et il parvint à atteindre le sommet de l’arbre sans peine. Inutile de dire qu’il commençait à avoir l’habitude des luminous lesquels, s’ils étaient moins grands que les arbres et falaises de Siafela, étaient très confortables pour la pêche du ciel.
Montaudevert prit donc ses aises mais avant qu’il n’ait pu effectuer son premier lancer en direction d’une brise qui lui semblait prometteuse, on l’interpella depuis le sol. La distance et le feuillage obturant le son, notre ami se rapprocha du pied pour voir qui était à l’origine de la voix qu’il avait entendu.

A la vue des petits arbres sortant de l’étrange casque, Montaudevert poussa un soupir. C’était la Folle. Il ne la connaissait que sous ce nom, et on lui avait recommandé dès ses premières heures sur l’île de l’éviter comme la peste, elle et ses mysticismes alambiqués. Mais il était là dans une situation sans porte de sortie et, en bon gentleman, Montaudevert se résolut à accéder à sa demande. Il fit un nœud à sa corde et la fit descendre le long du tronc. La Folle s’accrocha à la corde et Monty fit tourner sa canne-ciel pour amener à lui cette étrange femme. Puis, sans un mot, ils allèrent se poster à la cime.
Les questions se mirent à fuser lorsqu’enfin Montaudevert put lancer sa ligne. La volée d’interrogation de la Folle, qui semblait absorbée par l’ondulation de la ligne de la canne-ciel, pouvait être résumée en une unique question.

C’est une bonne situation ça pêcheur de ciel sur l’île aux éveillés ?

Montaudevert avait regardé dans le vague un moment en s’imaginant la voix de la femme casquée lui poser cette question. Mentalement il avait commencé à deviser une réponse, puis une autre, puis une troisième, mais aucune ne le satisfaisait. L’envie de lâcher une quelconque blague pour s’amener les bonnes grâces de la mystique de l’île l’avait même quitté. Plusieurs fois il ramena sa ligne et la relança dans le courant où il avait vu plusieurs animaux volants non-identifiés, se rejouant la question de la Folle à chaque fois. Finalement, il se décida à briser le silence qui s’était installé.

Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Si je devais résumer ma vie avec vous aujourd’hui je dirais que c’est d’abord un ensemble de rencontres… Nan mais à qui je mens… C’est une situation totalement outrancière que je me coltine actuellement. A la limite la vôtre est plus enviable, avec tout le respect que j’ai à votre égard.

L’hameçon de Montaudevert prit à cet instant un A.V.N.I. et il s’interrompit pour commencer à le ramener vers lui depuis les nuages bas où il était réfugié. Bien qu’il fut à l’œuvre, à pêcher, à faire ce qu’il aimer, il ne parvenait pas à sourire.

Les gens, les miens en tout cas, sont un cas particulier de crétinisme aigue. C’est pour ça que je suis là. Alors certes ça pourrait être pire, mais voilà, j’ai une prise, une jolie dame à mes côtés sur cet arbre, et je ne suis pas dans de bonnes dispositions. J’aurais d’ailleurs plutôt envie de m’envoler et de mourir là-haut pour m’écraser comme une raie-nuage.

La combativité de sa prise avait à nouveau coupé la parole à Monty. Elle était descendue de plusieurs mètres et le pêcheur pouvait désormais l’apercevoir en partie mais elle restait difficile à identifier. Ses pattes étaient sombres et ses ailes grises, mais impossible de mettre un nom sur l’animal avec aussi peu d’information.

Très clairement j’étais destiné à mieux, mais ces imbéciles ont décidé que, parce que j’étais le plus petit, je ne valais pas la peine qu’on me donne des occasions. J’aurais pu être le champion, le meilleur pêcheur, tous les attraper. Puis devenir instructeur. Mais non, qui aurait voulu d’un instructeur qui ne gagne pas. Ma place n’était pas à Siafela définitivement. Pas plus qu’elle n’est ici où je suis plus utile à porter du bois et gagner des bagarres de taverne qu’à jouer de mon art.

D’un coup sec accompagné d’une vrille rapide de sa canne-ciel Montaudevert parvint à rapprocher sa prise de nombreux mètres. La surprise fut grande pour lui. L’A.V.N.I. était en réalité une Mart’O’frégate ! Le puissant et immense oiseau couvrait quatre mètres de son envergure mais le crochet de notre ami était bien ancré et la corde solide. Le pêcheur avait, malgré l’adversaire, toutes ses chances. Après tout, il était Montaudevert, il n’allait pas se laisser vaincre par un vulgaire oisson.

Après je peux toujours aller de l’avant. Je finirais bien par avoir de quoi bouger d’ici et aller vers un endroit où mes capacités seront mieux valorisées. J’aurais sans doute eu mieux fait d’écouter l’Autre et de rentrer dans la Marine jusqu’à atteindre ce que je voulais, mais je ne pense pas avoir fait un mauvais choix. Il y a toujours des possibilités, il y a toujours des opportunités. N’êtes-vous pas d’accord Madame la Folle. Madame la Folle ?

La Folle avait semble-t-il disparu. Quelque peu confus, Montaudevert manqua de laisser filer sa corde et avec sa prise. Mais un coup de vent le ramena à la réalité en manquant de lui emporter la ligne des mains. Il ramena alors avec un doigté certain la Mart’O’frégate à son niveau, l’épuisant suffisamment pour pouvoir sauter sur son dos depuis la cime et la clouer au sol sans qu’elle se débatte. Il en garderait un morceau pour la Folle, par principe.
Fier de sa prise, physique comme de conscience, Montaudevert ligota l’oisson et entreprit de le ramener en ville. Un jour où l’autre il finirait par hameçonner de quoi se venger. Il n’était pas bloqué à vie ici. Mieux valait être optimiste et garder en tête ces visages qui le moquaient. Ils paieraient. Il devait juste être patient.

Bon, voilà où il s’est arrêté, et puis j’ai plus de thé moi. Je vais me refaire une bassine.