1624
Entrez, Lieutenant Reinhardt.
Je pousse la lourde porte et débouche sur un petit bureau ovale dans les tons du reste de la base G-3 : sommairement décoré, et plutôt crasseux et poussiéreux. On me désigne une chaise d'un signe de la tête sur laquelle je m'assieds après un bref garde-à-vous avant de fixer droit dans les yeux celui qui m'a sommé ici : le commandant d'élite Jack Haas. Son regard perçant me traverse aussitôt de part en part, me décontenançant quelque peu, mais je conserve tout de même l'assurance qui m'est caractéristique derrière mes yeux effacés et engage la conversation.
Le Sous-amiral Niromoto ne se joindra pas à nous ? Je remarque son absence de manière assez évidente.
Je pose les questions et vous y répondez. Suis-je clair ?
Oui, mon Commandant.
Je soupire intérieurement. J'étais au courant de son tempérament fini à l'urine, mais je pensais clairement en avoir terminé avec les gens aussi simplets et bornés que le Caporal Cooper après ma formation au BAN. La preuve est faite que non. Quant au Sous-amiral Niromoto, il n'est pas légende urbaine dans la base qu'il n'est qu'un mythomane compulsif cherchant à fuir le plus de responsabilités possible. Peu étonnant, donc, qu'il ne brille pas de sa présence lors de cet entretien. Fort dommage ; le fait qu'il représente et la régulière et le commandement du G-3 aurait pu jouer en ma faveur, ou au moins servir de bouclier contre les incisives et la rancœur sans fondements dont je vais probablement être la cible dans un avenir assez proche. Et ce n'est pas ce gradé anonyme qui lui sert d'assesseur et qui scribouille dans son coin - et que je viens à peine de remarquer - qui va m'aider...
Vous savez pourquoi vous avez été convoqué ?
Oui, mon Commandant. Par rapport à mon transfert depuis le G-6 et ma transition vers la régulière.
Bien. Alors on peut rentrer immédiatement dans le vif du sujet. Il marque une légère pause et coupe l'air hautain pour une voix bien plus rauque. A quoi jouez vous ?
Je vous demande pardon, mon Commandant ?
Ne jouez pas au con avec moi ! Répondez à la question !
Un silence oppressant s'empare de l'atmosphère. Être convoqué par le commandant des forces d'élite de la mer toute entière pour une simple demande de transfert me parait peu orthodoxe, et clairement pas coutumier du G-3. Donc... Il veut quelque chose. Mais quoi ? Je cherche mes mots pour retomber sur mes pattes et essayer de cerner ce qu'il a derrière la tête, essayant de concocter le cocktail verbal qui risque le moins de m'exploser à la figure.
Je ne saisis pas, mon Commandant, en quoi mes demandes ont pu poser un quelconque problème. Je ne joue à rien et souhaite simplement bifurquer dans une autre branche après une simple erreur d'orientation. A peine ai-je prononcé ces derniers mots qu'il frappe du plat de deux mains violemment sur le bureau qui nous sépare - et si ce dernier n'avait pas été là il m'aurait sans doute étranglé. Le silence retombe pesamment. Il se saisit d'une liasse de paperasse, et se levant, commence à faire les cent pas autour de moi en lisant à voix haute ce qui y est inscrit.
Sid Reinhardt. 22 ans. Lieutenant d'élite, matricule N07-198564b. Originaire de Manshon, North Blue. Son regard et son attention sautent de paragraphe en paragraphe, isolant un à un les éléments de mon dossier.
Deuxième enfant de la prestigieuse famille Reinhardt...
...
S'engage le jour de sa majorité à la formation du BAN...
...
Élève exemplaire et talentueux... Jeune homme prodige d'obéissance et d'exécution...
...
Termine major de promotion et accomplit donc sa formation avec brio puisqu'il reçoit les Honneurs et une recommandation personnelle de la part du Commandant Jugo... Bla, bla, bla ! Je vous ai fait la version courte, mais j'ai dans les mains ce paquet large comme une brique qui regroupe tous les comptes-rendus et rapports qu'on a pu faire sur vous durant votre formation au BAN... Il me désigne l'énorme dossier contenu dans la chemise en carton qu'il tient à la main. Et outre les enquêtes qui ont été faites sur votre background et les tests psychologiques, on peut s'avancer à dire sans se mouiller que ce dossier n'est au final qu'un gros condensé d'éloges à votre égard. Il marque une nouvelle pause, et baisse légèrement le ton. Autrement dit, c'est impressionnant, et nul doute que n'importe quel Commandant d'élite - et moi le premier - voudrait vous avoir sous ses ordres... Donc excusez moi de ne pas croire à "une simple erreur d'orientation". Alors dites moi, Lieutenant Reinhardt... Pourquoi quitter l'élite au vu de vos résultats et vouloir venir ici alors que votre famille a une influence gargantuesque sur toute la mer du nord ? Qu'est-ce que vous cherchez exactement ?
J'arbore un petit sourire en coin lorsqu'il prononce ces mots. Les plus ou moins récentes trahisons dans l'EMM qui ont fait fléchir le gouvernement mondial, la mutation du Commandant Haas vers cette mer crasseuse... La plupart des pièces du puzzle, ces informations que j'ai à ma disposition, s'agencent désormais dans ma tête pour me dépeindre le tableau. De quoi a t-il peur ? Que je sois un agent double ? Cette hypothèse est un peu grosse, et je ne devrais avoir aucun mal à dissiper le doute. Qui plus est, s'il avait des accusations réellement fondées, je serais plutôt au fin fond d'une cellule à me justifier auprès d'un agent du Cipher Pol que face à lui. L'autre possibilité est donc qu'il veut tout simplement me faire payer ma demande de mutation vers la régulière, par pure rancœur, comme je le supposais initialement, pour ce qu'il jugerait être une trahison... Ce qui serait fort compréhensible pour un brillant et arrogant Commandant d'élite déporté dans ce trou. Qui plus est, je suis le parfait candidat au grade insignifiant pour une petite vengeance qui passera inaperçue, d'autant plus avec les absences répétées et systématiques du Sous-amiral Niromoto qui font du Commandant Haas le véritable chef du G-3.
Et si l'on voit cette situation sous cet autre angle... Il cherche une faille pour m'atteindre, me rétrograder, tenter de m'envoyer aux oubliettes du système. C'est... Particulièrement puéril. Mais même un enfant peut-être dangereux, avec une bombe entre les mains. Ce qui est son cas, sauf qu'en lieu d'une bombe, il a un poitrail richement décoré, et un bras plus que long. Il est donc vital pour assurer ma carrière que je ne lui donne pas d'élément qu'il puisse utiliser à mes dépens, avec cependant deux problèmes qui me mettent dans une position délicate :
- Il a un dossier aussi lourd qu'exhaustif me concernant. Donc, il sait presque tout de moi.
- Je ne le connais qu'au travers de on-dit et de rumeurs. Donc, je ne sais presque rien de lui.
Autrement dit, c'est mort pour couvrir mes arrières. Il a toutes les cartes les mains là où je n'aurais même pas dû lui en laisser une seule. Une tape dans le dos, trop forte pour être amicale, me ramène brusquement à la réalité.
Vous avez perdu votre langue, Lieutenant ? Dois-je comprendre que vous avez des motivations plus inavouables de demander cette mutation ?
Je le fixe droit dans les yeux alors qu'il se retrouve à nouveau devant moi. Chaque mot que je prononcerais de travers pourrait avoir des conséquences désastreuses pour ma carrière, comme me faire prendre un retard significatif ou me barrer des routes que je compte emprunter. Il faut la jouer fine, et ce malgré les quelques secondes à peine que j'ai pour réfléchir à ce que je vais lui dire. Mensonges ? Vérité ? A quel degré de manipulation ? C'est un pari audacieux. Un tapis total.
Et bien...
Entrez, Lieutenant Reinhardt.
Je pousse la lourde porte et débouche sur un petit bureau ovale dans les tons du reste de la base G-3 : sommairement décoré, et plutôt crasseux et poussiéreux. On me désigne une chaise d'un signe de la tête sur laquelle je m'assieds après un bref garde-à-vous avant de fixer droit dans les yeux celui qui m'a sommé ici : le commandant d'élite Jack Haas. Son regard perçant me traverse aussitôt de part en part, me décontenançant quelque peu, mais je conserve tout de même l'assurance qui m'est caractéristique derrière mes yeux effacés et engage la conversation.
Le Sous-amiral Niromoto ne se joindra pas à nous ? Je remarque son absence de manière assez évidente.
Je pose les questions et vous y répondez. Suis-je clair ?
Oui, mon Commandant.
Je soupire intérieurement. J'étais au courant de son tempérament fini à l'urine, mais je pensais clairement en avoir terminé avec les gens aussi simplets et bornés que le Caporal Cooper après ma formation au BAN. La preuve est faite que non. Quant au Sous-amiral Niromoto, il n'est pas légende urbaine dans la base qu'il n'est qu'un mythomane compulsif cherchant à fuir le plus de responsabilités possible. Peu étonnant, donc, qu'il ne brille pas de sa présence lors de cet entretien. Fort dommage ; le fait qu'il représente et la régulière et le commandement du G-3 aurait pu jouer en ma faveur, ou au moins servir de bouclier contre les incisives et la rancœur sans fondements dont je vais probablement être la cible dans un avenir assez proche. Et ce n'est pas ce gradé anonyme qui lui sert d'assesseur et qui scribouille dans son coin - et que je viens à peine de remarquer - qui va m'aider...
Vous savez pourquoi vous avez été convoqué ?
Oui, mon Commandant. Par rapport à mon transfert depuis le G-6 et ma transition vers la régulière.
Bien. Alors on peut rentrer immédiatement dans le vif du sujet. Il marque une légère pause et coupe l'air hautain pour une voix bien plus rauque. A quoi jouez vous ?
Je vous demande pardon, mon Commandant ?
Ne jouez pas au con avec moi ! Répondez à la question !
Un silence oppressant s'empare de l'atmosphère. Être convoqué par le commandant des forces d'élite de la mer toute entière pour une simple demande de transfert me parait peu orthodoxe, et clairement pas coutumier du G-3. Donc... Il veut quelque chose. Mais quoi ? Je cherche mes mots pour retomber sur mes pattes et essayer de cerner ce qu'il a derrière la tête, essayant de concocter le cocktail verbal qui risque le moins de m'exploser à la figure.
Je ne saisis pas, mon Commandant, en quoi mes demandes ont pu poser un quelconque problème. Je ne joue à rien et souhaite simplement bifurquer dans une autre branche après une simple erreur d'orientation. A peine ai-je prononcé ces derniers mots qu'il frappe du plat de deux mains violemment sur le bureau qui nous sépare - et si ce dernier n'avait pas été là il m'aurait sans doute étranglé. Le silence retombe pesamment. Il se saisit d'une liasse de paperasse, et se levant, commence à faire les cent pas autour de moi en lisant à voix haute ce qui y est inscrit.
Sid Reinhardt. 22 ans. Lieutenant d'élite, matricule N07-198564b. Originaire de Manshon, North Blue. Son regard et son attention sautent de paragraphe en paragraphe, isolant un à un les éléments de mon dossier.
Deuxième enfant de la prestigieuse famille Reinhardt...
...
S'engage le jour de sa majorité à la formation du BAN...
...
Élève exemplaire et talentueux... Jeune homme prodige d'obéissance et d'exécution...
...
Termine major de promotion et accomplit donc sa formation avec brio puisqu'il reçoit les Honneurs et une recommandation personnelle de la part du Commandant Jugo... Bla, bla, bla ! Je vous ai fait la version courte, mais j'ai dans les mains ce paquet large comme une brique qui regroupe tous les comptes-rendus et rapports qu'on a pu faire sur vous durant votre formation au BAN... Il me désigne l'énorme dossier contenu dans la chemise en carton qu'il tient à la main. Et outre les enquêtes qui ont été faites sur votre background et les tests psychologiques, on peut s'avancer à dire sans se mouiller que ce dossier n'est au final qu'un gros condensé d'éloges à votre égard. Il marque une nouvelle pause, et baisse légèrement le ton. Autrement dit, c'est impressionnant, et nul doute que n'importe quel Commandant d'élite - et moi le premier - voudrait vous avoir sous ses ordres... Donc excusez moi de ne pas croire à "une simple erreur d'orientation". Alors dites moi, Lieutenant Reinhardt... Pourquoi quitter l'élite au vu de vos résultats et vouloir venir ici alors que votre famille a une influence gargantuesque sur toute la mer du nord ? Qu'est-ce que vous cherchez exactement ?
J'arbore un petit sourire en coin lorsqu'il prononce ces mots. Les plus ou moins récentes trahisons dans l'EMM qui ont fait fléchir le gouvernement mondial, la mutation du Commandant Haas vers cette mer crasseuse... La plupart des pièces du puzzle, ces informations que j'ai à ma disposition, s'agencent désormais dans ma tête pour me dépeindre le tableau. De quoi a t-il peur ? Que je sois un agent double ? Cette hypothèse est un peu grosse, et je ne devrais avoir aucun mal à dissiper le doute. Qui plus est, s'il avait des accusations réellement fondées, je serais plutôt au fin fond d'une cellule à me justifier auprès d'un agent du Cipher Pol que face à lui. L'autre possibilité est donc qu'il veut tout simplement me faire payer ma demande de mutation vers la régulière, par pure rancœur, comme je le supposais initialement, pour ce qu'il jugerait être une trahison... Ce qui serait fort compréhensible pour un brillant et arrogant Commandant d'élite déporté dans ce trou. Qui plus est, je suis le parfait candidat au grade insignifiant pour une petite vengeance qui passera inaperçue, d'autant plus avec les absences répétées et systématiques du Sous-amiral Niromoto qui font du Commandant Haas le véritable chef du G-3.
Et si l'on voit cette situation sous cet autre angle... Il cherche une faille pour m'atteindre, me rétrograder, tenter de m'envoyer aux oubliettes du système. C'est... Particulièrement puéril. Mais même un enfant peut-être dangereux, avec une bombe entre les mains. Ce qui est son cas, sauf qu'en lieu d'une bombe, il a un poitrail richement décoré, et un bras plus que long. Il est donc vital pour assurer ma carrière que je ne lui donne pas d'élément qu'il puisse utiliser à mes dépens, avec cependant deux problèmes qui me mettent dans une position délicate :
- Il a un dossier aussi lourd qu'exhaustif me concernant. Donc, il sait presque tout de moi.
- Je ne le connais qu'au travers de on-dit et de rumeurs. Donc, je ne sais presque rien de lui.
Autrement dit, c'est mort pour couvrir mes arrières. Il a toutes les cartes les mains là où je n'aurais même pas dû lui en laisser une seule. Une tape dans le dos, trop forte pour être amicale, me ramène brusquement à la réalité.
Vous avez perdu votre langue, Lieutenant ? Dois-je comprendre que vous avez des motivations plus inavouables de demander cette mutation ?
Je le fixe droit dans les yeux alors qu'il se retrouve à nouveau devant moi. Chaque mot que je prononcerais de travers pourrait avoir des conséquences désastreuses pour ma carrière, comme me faire prendre un retard significatif ou me barrer des routes que je compte emprunter. Il faut la jouer fine, et ce malgré les quelques secondes à peine que j'ai pour réfléchir à ce que je vais lui dire. Mensonges ? Vérité ? A quel degré de manipulation ? C'est un pari audacieux. Un tapis total.
Et bien...