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Enfumés


J’suis claqué, comme la plupart des Marines. Mais claqué ou pas claqué, on marche, c’est l’ordre de mission. Et si Thorn nous avait laissés quartier libre, il avait été honnête sur les règles du jeu. Mais on passe trop peu de temps en perm’ pour se coucher tôt en prévision du lendemain. Résultat, ça geint un peu, ça se tient la tête. Quelques soldats échangent leurs histoires de la veille : conquêtes, jeux d’alcools et de cartes ou de dés.

Personne cause de ce que nous on a fait. Tant mieux. J’pense que la nouvelle va courir, pas forcément par les gradés présents, mais y’avait des gars qui ont participé. Le genre tout le temps maussade, mais qui doivent aimer se faire tirer les vers du nez. J’regrette l’absence d’un énième café à me déchausser les gencives. Pas que j’aie pas l’habitude des longues veillées, mais quand même.

On forme une longue procession, mes sections devant, avec des charrettes tirées par des mules. Pas de chevaux pour nous, pas dans la brume, d’après un des réguliers qui nous sert de guide. Vaguement, j’espère qu’il sait pas ce qui s’est passé en ville, sinon il pourrait vouloir nous perdre dans la vallée. On aurait l’air fin, putain. Mais les chevaux sont moins à l’aise qu’une saloperie d’âne, apparemment.

Puis les ânes connaissent le chemin. Enfin, paraît.

On a vite quitté les grands axes ultra-fréquentés par le commerce, ceux qui suivent grosso merdo la côte. Le terrain est tombé, les montagnes sont restées dans l’horizon, mais derrière nous. En face, y’avait que des plaines et, surtout, du brouillard. Au début, on aurait pu mettre ça sur le compte de l’humidité, du jour qui s’levait à peine. Mais au bout d’un moment, même avec le ciel au grand bleu et l’élévation de la température du début de journée, ça s’est juste épaissi.

Ca permet de s’rappeler qu’on est sur Grand Line, et pas sur les Blues, ce brouillard pas du tout naturel.

La route s’est petit à petit rétrécie. Toujours de quoi faire de la bonne circulation, mais clairement on approche de la région la moins fréquentée de l’île. C’est juste une grosse moitié, quoi. J’m’approche d’un des guides.
« C’est ça, la Brume ? »
J’ai déjà fait mieux comme intro. Il m’jette un œil un peu hautain.
« Oui, Lieutenant.
- Et vous faites comment pour vous y déplacer ?
- On suit le chemin, et sinon on suit les mules. Tant qu’on s’en écarte pas, on rencontre pas de souci.
- Okay, merci.
- Inquiet, Lieutenant ?
- Ouais, à tous les coups y’aura un connard pour aller pisser contre un arbre et on le retrouvera jamais.
- Ca arrive tous les mois, ça, Lieutenant. La cueillette aux champignons, c’est comme ça qu’on l’appelle.
- Oh, merde.
- Oui, Lieutenant, donc surveillez vos hommes. »

J’siffle, les têtes de mes sections se tournent vers moi. L’âne tourne la tête aussi, puis retourne besogner en tirant son convoi plein de rations pour la base de la Scientifique. Quelques signes suffisent à leur faire comprendre qu’il faut être en alerte, qu’on sait pas ce qui peut se passer. Et surtout qu’il faut rester grouper. Un type qui trainait vers le bas-côté se rapproche en deux enjambées et tout le monde raffermit sa prise sur ses armes.

Bon, j’pensais p’tet pas à ce point-là, non plus.

Mais la matinée se passe sans incident, on s’arrête même pas pour grailler, tout le monde bouffe un casse-dalle en marchant. Y’a bien Krueger pour s’plaindre que c’est hyper mauvais pour la ligne et que c’est pas comme ça qu’on aura des vrais corps d’homme, mais il s’attire juste quelques regards ironiques de la part de ceux qui l’entendent. Dans le sandwich qu’il m’apporte, toujours pas de saucisson, et y’a plus du fromage de Dédé. Juste de la viande séchée qu’il faut laisser s’imbiber de salive avant de pouvoir commencer à mâcher, au risque de se fracturer les gencives.

J’aime pas trop la vie en campagne, j’crois. Surtout la bectance.

Tout se passe dans du rien. Au final, on fait vraiment que marcher. J’crois que les moments forts de la journée, c’est quand on a croisé une fourche du chemin qui allait vers un autre bled au nom pas possible, Comte-Albert, et quand Jaunat s’est fait chier dessus par une mule. Autant dire que c’était pas vraiment palpitant. Les rodomontades ont résonné un peu, et les bruits portent loin dans le brouillard.

Ah ça, les gars avaient plus tant peur que ça de la brume, elle les impressionnait plus tellement. Tant mieux s’ils se sentent tous gaillards, remarque.

Reste qu’on est arrivé sans emmerde à la base de la Scientifique, pour livrer de la bouffe et du matos, et récupérer le prototype des grosses têtes. La seule question, finalement, c’était de savoir si Thorn allait nous permettre d’éviter d’aller faire les zouaves dans une zone que la Marine maîtrise pas vraiment.
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Je veux pas dire mais si on risque tant de se perdre, on aurait pu s'attacher avec des cordes, comme en montagne. Ça limite les risques, tout de même. Surtout que vu le nombre de personnes qui se sont couchées tard, pour une raison ou .. une autre, pas mal doivent être en train de marcher en mode automatique, et dans le brouillard qu'on a, ben c'est pas une bonne idée.

Enfin, au final y avait toute ma section quand on est arrivés à la base, donc ça va on a perdu personne. Je crois. Ou alors j'ai pas remarqué. Si il manque quelqu'un dans une autre section, c'est pas mon problème. De toute façon quand je disais "on a perdu personne", c'est à dire que toute ma section est là, donc j'ai perdu personne;, même si je suis pas vraiment responsable du fait qu'on ait perdu personne, sauf si on compte le fait d'interpeller les endormis pour pas qu'ils s'endorment trop et se perdent, mais qu'ils continuent à suivre les autres et les mules. Donc je suis un peu responsable du fait que j'ai perdu personne, sauf dans cette explication du fait que j'ai perdu personne, où je parie que des gens vont être perdus. Tant pis. C'est la faute au brouillard.


Bref, on arrive au laboratoire de la section Scientifique. C'est là qu'on devrait récupérer le moteur, puis on repartirait tous dans l'autre sens, on revient en ville et on mettrait les voiles. Ça serait bien hein ? Ben évidemment, c'est pas ça qui se passe.
Pourquoi les choses peuvent pas marcher correctement juste une fois ? J'en ai marre moi. Ils portent la poisse dans cette division, c'est la seule explication possible que j'ai. Du coup comment je l'explique cette histoire ? Hum ...
Surtout que j'étais pas là quand les scientifiques ont expliqué au commandant qu'ils avaient un "petit problème". Du coup je connais que les résultats.
Enfin, j'imagine que ça s'est passé un peu comme ça :
"Bonjour, on est la 20éme d'Elite, on est là pour prendre le moteur."
"Oh, bonjour. Vous ne pouvez pas emporter le moteur je suis désolé."
"Comment ça on peut pas emporter le moteur ? Il est passé où le moteur ?"
"Il est parti étudier un phénomène assez bizarre, un peu à l'Est de Conte Ãl~Berg."
"Le moteur ?"
"Non, son créateur."
"Et alors ?"
"Ben vous pouvez pas attendre le moteur. Euh, prendre le moteur."
"Pourquoi ?"
"Parce que là il est branché et que c'est le seul à savoir le débrancher correctement de son expérience qu'il finissait en vous attendant. Sauf qu'il est parti sans le débrancher. Et puis il doit vous donner toutes les instructions importantes pour le faire marcher."
"Mais on tire les câbles et c'est réglé. Puis les instructions vous les envoyez par escargot."
"Non ! Il faut l'attendre."
"Bon, et il revient quand ?"
"En théorie ... il y a deux semaines."
"En théorie."
"En théorie oui .."
"Et il est pas revenu ?"
"Non, il est pas revenu."
"Pourquoi il est pas revenu ?"
"On sait pas."
"Évidemment."

Et bien sûr, qui c'est qu'on envoie chercher le chercheur Fulovshat ? C'est la 20éme.
Il a intérêt à être important avec ses instructions le bonhomme. On peut pas passer nos journées à sauver tous les scientifiques égarés du monde. On a déjà fait ça à Bulgemore. Ils devraient faire un peu plus attention où ils rangent leurs affaires et où ils se rangent, eux !

Sont ennuyants ces scientifiques. En plus ils ont même pas les pièces dont j'ai besoin pour finir de remettre mon bazooka en état.
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Quand on nous a annoncé la nouvelle, j'dois dire que ça a salement fait la gueule dans toute la division. J'veux dire, on savait qu'on allait s'faire avoir à devoir glander dans la Brume, mais en plus nous faire faire leur boulot, à retrouver leur pote ? Elle est raide, celle-là. Il en faut pas beaucoup pour que les gars commencent à maugréer que c'est qu'une excuse pour nous envoyer dehors, bon gré mal gré, et que le bonhomme perdu sera rentré depuis longtemps quand on repassera la porte.

C'est dommage, quand même, qu'on reste pas glander sur place, parce que le Gouvernement Mondial a mis les moyens pour cette base. Sas de sécurité, aération, tout y est pour contrôler la Brume et l'empêcher d'aller là où on veut pas qu'elle aille. On a vu qu'une partie des locaux à notre arrivée, mais le bouzin doit être immense, avec des sous-sols dans tous les sens. Ca fait un peu version mise à jour de Bulgemore, quoi.

Evidemment, on nous lâche pas dans la brume comme ça, à la sauvage. Nan, même pour les gradés de la base et Nebelreich, ça serait pas acceptable. Résultat, chaque section se fait adjoindre quelques soldats de la place, qui ont l'habitude des tournées dans les coins hostiles de l'île, et de survivre dans son ambiance délétère.

Mais pour le moment, ça tient davantage de la battue. On a aussi des cartes, avec des relevés topographiques, au cas où, mais j'dois dire que c'est pas mon rayon, de lire des trucs pareils. On est tous écartés de deux mètres environ, la distance à laquelle on s'voit à peine, et on avance en sondant le sol et en regardant les traces.

On suit grosso merdo le tracé qu'il a dû suivre avec la patrouille dont il faisait partie. A priori, y'avait pas de mission particulière, juste la balade de routine à laquelle les Réguliers se livrent pour faire genre ils surveillent le coin qu'ils squattent.

On quitte vite les abords de la base. Les troncs soigneusement maintenus à l'écart et l'herbe rase laissent la place à un sous-bois obscur et humide. Malgré la luminosité naturelle, tout est sombre à cause du brouillard persistant. Et comme on est pas sur la route mais en dehors, ça prend tout de suite un air plus glauque.

Quelques heures de marche continuent à faire descendre le niveau du sol, et la terre laisse la place à un mélange de boue et de vase aux relents puants dans lequel on patauge au gré des mares et des rus rencontrés. Des jurons portés par la brume arrivent de loin en loin, avec des bruits de succion qui manquent de nous prendre nos godasses.

Enfin, des cornes de brume retentissent. On nous les a filées juste avant le départ, pour pas qu'on se paume trop. Les sections utilisent ça pour se regrouper sous les ordres des sergents, et nous autres lieutenants, on trotte vers le centre de la ligne. Comme j'étais sur un bord, me faut pas mal de temps pour rejoindre les copains, mais le chemin est pas très dur, balisé qu'il est par les Marines. J'en salue une poignée que j'reconnais en passant.

Une fois qu'on est tous là, avec moi en bon avant-dernier, Thorn recoiffe sa mèche et lâche :
« Bon, nous aurions dû les retrouver, depuis. Il leur est sans doute arrivé quelque chose. Je veux chaque soldat aux aguets. Resserrez les rangs, aussi, section par section.
- On resserre la formation ?
- Non, nous espaçons les sections. Toutes les heures, signalez votre position à l'aide de la corne. Un long pour signaler que tout va bien. Trois courts en cas d'alerte ou d'attaque. Trois longs si vous trouvez la patrouille, et deux seulement pour des indices. Rompez. »

On salue puis on retourne à nos ouailles, qui attendent sûrement avec impatience les ordres. Dans mes sections, le brave Krueger fait la popotte générale en taillant le bout de gras, littéralement et métaphoriquement, avec nos guides de la Régulière. J'rapporte les nouvelles, mais ça fait pas grand-chose. On a un itinéraire prévu, cela dit, on va pas errer au pif.

Un des réguliers jette un œil à la carte, puis sourit.
« Quoi ? Ca pue ?
- Non, non. On va justement sortir du marais. Je crois que ça va être pour vos collègues, Lieutenant.
- Chacun sa merde. On peut s'attendre à des mauvaises surprises ?
- Pas plus que d'habitude.
- Bon. »
J'mâchouille un peu dans l'vide, puis Krueger signale que la bouffe est prête. J'me fais servir en premier, privilège du chef. Dès que mes sergents sont servis, j'les fais se ramener, Jadieu et Scorone, ainsi que les soldats de garnison, là, Garrett et Alraune.

« On restera relativement groupé. A portée de bras, en fait. Un guide devant, un guide derrière, formation en losange avec roulement sur les extérieurs. Tout le monde devra faire gaffe aux traces, des fois qu'on repère quelque chose. Aussi, on est sur l'extrémité de la division. On a juste Blondie sur la droite. Des questions ? »
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- Non, c'est bon Lieutenant.
De toute façon je suis la seule à répondre. Sauf si les un ou deux grognements que j'entends pendant ma réponse sont censés être des réponses aussi. J'en sais rien et à vrai dire, j'm'en fiche.

On mange en silence, plutôt. La météo invite pas trop à la discussion. Ça doit être tout à cause ce brouillard. Les autres ont pas l'air joyeux. La fatigue, le manque de sommeil, le fait de patauger dans la boue. Au moins, on va bientôt sortir de la boue. Peut-être même de la brume. J'espère. De toute façon c'pas moi qui décide.

Lorsque les cors reprennent leur concert, on se lève, on se frotte les fesses du pantalon de toute façon on est trempés tellement l'air est humide c'est pas s'asseoir sur des cailloux mouillés qui va changer grand chose.
La végétation est sinistre, enfin ce qu'on arrive à voir parfois. Surtout des algues, des champignons, parfois un peu de mousse ou de lichen. Les arbres, les buissons, tout ça est mort depuis bien longtemps et n'a juste pas fini de pourrir. Pas joyeux comme coin, j'y passerais pas mes vacances.

- Eh Ranne, tu penses qu'elle est épaisse cette brume ?
- Sûrement, vu qu'on voit pas à trois mètres.
- Non mais en hauteur, je veux dire.
- Bah, ça couvre toute la vallée. Donc ça doit quand même être épais.
- Mais je peux sauter vachement haut, si besoin.
- A quoi faire Sergent ?
- J'aimerais savoir si on va bientôt en sortir.
- Ca arrivera pas plus vite parce que tu passes la tête au-dessus des nuages, Serg'.
- ... Oui, z'avez sans doute raison raison.
...

Dommage quand même.


Finalement on émerge hors du marais, c'est à dire que le sol devient un peu plus solide et pierreux, le brouillard se fait légèrement plus lâche. Pas de scientifique disparu à l'horizon pour le moment. Pas de surprise. On est répartis en .. cinq groupes je crois ? Du coup on a une chance sur cinq de tomber sur eux. Un peu moins parce qu'il est possible que la battue entière passe à côté. Un peu plus pour nous et ceux qui sont à l'opposé, parce que c'est mieux d'être sur les bords pour faire une battue. Enfin je pense. Faudrait voir, faire des maths et tout. J'aime pas les maths et j'ai pas envie de réfléchir. On vient de manger, je vais pas m'épuiser tout de suite à réfléchir.
On a Angus pour ça. C'est son travail, il a qu'à s'en charger.


Après un moment, deux heures de plus si j'en crois les sonneries de cors, toujours pas de scientifique. Le brouillard est plus épars, on est remontés en altitude. Un peu plus de végétation, même des arbres. Des arbustes surtout. On est sur une colline, plutôt une grosse butte, dont on distingue le sommet, mais faudra redescendre dans la brume pour atteindre la suivante. Y a l'air d'avoir de grosses bêtes d'ailleurs. On entend leurs cris et tout. Ça sonne un peu comme un sanglier sonne, enfin que je crois que c'est censé sonné. Ça doit être les Cramblax dont on m'a parlé hier. Plus gros, plus méchants, des pattes au lieu des sabots et les défenses sont sur le nez. Je veux dire la truffe. Bon en fait je sais pas s'ils sont plus gros et plus méchants, ça le soldat il m'a pas dit hier. Mais vu les silhouettes sur la colline suivante ... soit elle est plus petite et plus près qu'elle en a l'air, soit c'est bien plus gros qu'un sanglier.
... Tant qu'ils restent là-bas et qu'ils viennent pas dans la Brume, on est tranquille non ?


- Lieutenant, on continue tout droit et on se prépare au combat, n'est-ce pas ?

J'aimerais qu'il dise non, mais je sais qu'il est là pour faire l'imbécile et nous embêter le plus possible. Alors évidemment qu'on va y aller.
Une confirmation, c'est bien quand même. Au moins ça me donne une excuse pour dire à tous ceux de ma section de vérifier que leurs fusils sont bien chargés et ce genre de détails. Surtout pour dire à mes caporaux de transmettre à leurs soldats, en fait. Mais le résultat est le même.
C'est que je voudrais pas outrepasser mon autorité en anticipant sur les ordres de mon officier direct, bien sûr.
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« Evidemment, Scorone. Vous imaginez s’ils ont besoin d’aide et qu’on traine ? D’ailleurs, vous passez devant. »

Elle obéit sans cacher un certain agacement. On dirait presque qu’il y a un cerveau sous tous ces tifs roses. Le guide est juste à côté, et j’lui tape l’épaule pour détourner son attention de la colline en face.
« Alors ? C’est quoi là-bas ?
- Des cramblax, probablement.
- Ouais, c’est ce que je demande. C’est quoi, ces trucs ?
- Alors ce sont des…
- Deux sec’, que j’le coupe. Dannie, sonne le cor, que Blondie se déporte en soutien.
- Nous y allons comme ça ? Demande Jadieu.
- Scorone en pointe. Jadieu un peu en retrait sur la droite. Cinq hommes avec Dannie pour le couvrir et s’assurer que Blondie trouve la bonne colline dans ce pays de merde. En avant ! »

Sur mon ordre, tous les Marines démarrent au pas de course et se mettent petit à petit en formation. Scorone devrait tenir le choc initial et Jadieu renforcer en arrivant par le flanc. Dans tous les cas, j’suis là aussi, donc à moins que les cramblax soient… D’ailleurs, ouais.
« Garrett ?
- Oui, Lieutenant ?
- Alors, les scrantrucs ?
- Cramblax, oui. Vous voyez des sangliers ?
- Ouais.
- Ben vous prenez des trucs trois à cinq fois plus gros.
- Hum.
- Vous rajoutez des grosses défenses sur le museau.
- Huh.
- Des pattes griffues.
- Hein ?
- Et ils se déplacent en meutes putôt que seuls.
- Meutes ?
- Oui, comme les autres carnivores, quoi. »

J’laisse échapper un petit sifflement. On va s’amuser.
« Et vous tombez souvent dessus ?
- Ils attaquent rarement des humains, surtout en groupe.
- Mouais… »
Avec toutes ces informations tirées du guide, on a eu le temps d’arriver en bas de la colline. Et, évidemment, les terres un peu plus sèches et dépourvues de brume ont automatiquement laissé la place à l’humidité qu’on connaît déjà trop bien. Devant moi, ça patauge, vu que j’suis juste derrière l’unité de front de Scorone. Et ils ont déjà bien applati la terre, donc j’essaie dès que possible de rebondir sur les racines apparentes, les pierres retournées et le bord des troncs. Pour pas salir le bas de mon pantalon.

Un ru court dans l’espace entre les deux collines, mais à ce stade, il tient davantage du marais. P’tet que plus loin, il redevient un vrai ruisseau, mais ici, il rend tout spongieux et fait que les soldats soulèvent des gerbes de vase à chaque pas. Le bois est un peu mort et pourri, et ça doit grouiller d’insectes et autres saloperies, mais notre tintamarre actuel les rameute pas encore. A intervalles réguliers, Dannie sonne du cor pour pas que Blondie perde la trace dans la brume.

« Scorone, que j’appelle.
- Lieutenant ?
- Vous sautez. Vous aviez dit que vous pouviez, non ?
- Euh, pourquoi ?
- Pour voir où ça en est, si nos cibles ont bougé et si nous devons nous attendre à une mauvaise surprise.
- Mais…
- Exécution ! »
Avec un raidissement de la nuque et un petit saut de préparation, la voici qui bondit d’abord sur les arbres proches. Elle est suffisamment légère pour à peine déranger les branches, même en rebondissant à pleine vitesse dessus. Mais objectivement, dans la brume, ça pousse pas bien haut. Gros soucis de luminosité, a priori. Après les arbres, ce sont des bouts de corps qui poussent de l’écorce, puis les uns des autres, pour projeter le Sergent de la Marine de plus en plus haut. Y’a quand même un côté crade, objectivement, mais c’est efficace. Et même plus rapide qu’un Geppou, en terme de verticalité, p’tet ? Dur à dire.

Faut quelques instants de plus, alors qu’on entame l’escalade de la colline suivante, pour que Scorone retombe. On est toujours au pas de course, et autant la première phase demandait qu’on fasse gaffe à pas se casser la gueule, la seconde exige davantage d’effort physique. En fait, j’espère que le son des cornes soufflées à intervalles réguliers par Dannie, la troupe de Blondie et les autres en arrière-fond suffira à disperser les bêtes sauvage. Et notre boucan, aussi. On a laissé tomber toute discrétion, de toute façon, pour leur tomber dessus au plus vite.

« Alors, Scorone ?
- Les bêtes sont encore là, Lieutenant. Peut-être sur le départ.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- Elles se sont retournées et ont commencé à partir.
- Vous avez vu autre chose ?
- Peut-être que…
- Des gens ?
- Oui, il y avait bien des gens qui ont été emportés par les cramblax.
- Humpf. Au pas de course ! Que j’gueule. »

Finalement, essoufflés, on arrive bien en haut de la colline. Y’a un genre de plateau sur une cinquantaine de mètres, et le fait que y’ait quasiment pas de brouillard fait de l’endroit un coin idéal pour faire bronzette et arrêter de déprimer dans le noir. Et aussi pour, si t’es perdu ou déboussolé, un endroit où tu peux te réorienter.

A la déception générale, les créatures sont effectivement parties, et avec elle notre espoir de chopper les gens avec qui elles se trouvaient là. Ca s’trouve, on a raté notre scientifique de peu. Mais d’après Scorone, personne n’a été déchiqueté sur place et… J’fais signe aux traqueurs de l’unité de ramener leur fion. Ils se préparent déjà à examiner chaque pouce carré de la zone en rangeant leurs armes. N’importe qui pourrait voir par où la meute est partie.

Nan, c’que j’veux, c’est les informations sur les humains.
« T’as trouvé quoi ?
- Un peu de sang, probablement plus vieux que l’attaque d’à l’instant.
- C’était une attaque ?
- Oui, Lieutenant Angus. On peut voir du sang plus frais ici et…
- Autre chose d’important ?
- Dur à dire sans examen plus approfondi.
- Okay. Tu restes et t’attends la corne et Blondie, puis tu retournes la zone. Nous, on poursuit la piste.
- Oui, chef. »

Je siffle, et relance ma troupe en avant d’un signe de la main.


Dernière édition par Alric Rinwald le Mer 20 Juil 2016, 21:25, édité 1 fois
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On sait de quel côté ils sont partis et heureusement. Sinon on aurait pu prendre le mauvais chemin. Nous nous retrouvons vite dans le brouillard, ce qui est problématique. Ben oui, on peut pas courir dans le brouillard. Surtout avec la terre molle qui pousse ici.

J'suis en tête de la troupe. C'est embêtant. Bon, si un cramblax faisait demi-tour pour nous attaquer, mieux vaut que ça soit moi ou le lieutenant qui le gère. J'aimerais pas me battre contre le Lieutenant, il a le Soru et tout, mais contre un cramblax, je pense que je suis plus adaptée à la situation que lui.
On peut pas savoir avant d'avoir la bagarre, mais je suis confiante. Il est pas si fort que ça. Et avec mon pouvoir, je vaux bien deux personnes moi. Parfois plus. En tout cas, un sanglier même géant, ça me fait pas peur.

Tant mieux, parce qu'on leur court après.
Je regrette de pas avoir fini de remettre en état mon bazooka. Un truc aussi gros, ça aurait été une cible facile, et puis faire un gros trou dedans, ça aurait bien plus d'impact que les petits trous des fusils ou les petites coupures de mes dagues.
Et puis même si je vois comment le battre, si c'est résistant comme je m'y attends, ... va falloir que je vise les points faibles. C'est pas avec des coups de poings dans les pattes ou le torse que je vais arrêter des sangliers géants. Ou des cramblax de taille ordinaire. C'est pareil de toute façon.


Je prends rapidement de l'avance sur les autres. Ils se déplacent en groupe, je mène la reconnaissance. Lorsqu'il faut escalader ou descendre de gros cailloux, ils sont ralentis par ceux devant, moi pas. Je suis rapide et prudente. Et si je devais trébucher, tant que je panique pas je pourrais me rattraper sans soucis, surtout avec mon pouvoir.
Mais je tombe pas. Je suis assez agile pour l'éviter et je fais assez gaffe où je mets les pieds pour éviter de me tordre la cheville. Les cramblax ont déjà la piste, je n'ai qu'à la suivre. Pendant que le brouillard se dégage doucement. Que même sans la descente de la colline, la montée d'une autre, d'une seconde, d'une troisième, d'une quatrième, le terrain monte doucement en se rapprochant des montagnes. On progresse, moi d'abord. La végétation grandit encore. Et d'un coup, la piste se sépare. Des cramblax semblent partir dans tous les sens. Mais y en a une majorité qui est allée dans une même direction. Juste à m'avancer un peu pour voir des traces de sang tombées sur cette piste. Ils ont dû emmener leurs prisonniers par-là.

Mais alors la question que je me pose quand même, c'est pourquoi des cramblax carnivores auraient fait des prisonniers et les ont pas mangés tout de suite. Ils font des réserves pour l'hiver ? Il tombe quand l'hiver sur cette île ? Je sais pas quand il arrive, mais si c'est dans longtemps, ils vont devoir les nourrir et tout. Ça va être bizarre. Puis le scientifique domestiqué, ça doit pas être aussi bon à manger que le scientifique sauvage élevé en plein air et .. mais qu'est-ce que je dis moi ? N'importe quoi.

J'attends les premiers de la section, leur explique la situation, leur dit d'attendre le lieutenant. Que je prend un peu d'avance mais reviens vite. Y a un truc pas clair et pas net. Et quand il se passe des trucs pas nets, on envoie les éclaireurs pour éclaircir la situation. On a d'autres éclaireurs, mais ils auront qu'à rester avec le guide ou quoi. Si je tombe sur un cramblax moi je peux le gérer. Eux, c'moins sûr.
Bon après, pt-être que je les sous-estime. Ou que je me sur-estime. Mais dans un cas, on prend pas de risque et dans l'autre, je suis la seule à en courir. Et je suis rapide. Je peux fuir.
Pas besoin de marcher dans la broussaille, ils ont dégagé le chemin pour moi. Du coup j'avance sans perdre de temps. Quand je les rattraperais, les cramblax, je ralentirais et irait dans les buissons me cacher. Mais c'est pas la peine là. Là je suis en phase de progression. Ensuite vient la phase de dissimulation. Et finalement arrivera la phase de défonçage de gueule de sanglier. Ou de cassage de hure de cramblax. C'est pareil.

Gros comme c'est, ça doit pas être discret, un cramblax. Ca doit faire un boucan pas croyable. Et rameuter toute sa meute et ... holalala. Du coup la première chose à faire pour chasser le cramblax, c'est leur couper la langue ? Ou les empoissonner pour qu'ils aient la langue gonflée et puissent plus parler ? Ou leur mettre le feu à la fourrure pour que .. non, ça a aucune utilité et ça serait pas très sympa.

Je pourrais aussi ... prendre un tournant autour d'un gros caillou et tomber nez à nez avec un cramblax. Oh. Bonjour monsieur. Ou madame.
- Zut, que je dis.
Gruik, qu'il grommelle.
Puis il ajoute : hhhhhhhhhhhHHHHHHSSQUEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE !!! Ce qui est un peu bruyant, me casse complètement les oreilles que je me bouche pour moins l'entendre, risque de rameuter d'autres cramblax et de faire flipper le Lieutenant et les autres.
Autrement dit, gros oups.
Avant qu'il réagisse plus que ça, je fais apparaître des poings et frappe ses yeux. J'en fais apparaître d'autres pour lui fermer la gueule dès qu'il arrête de hurler et tenter de la maintenir fermée. Si c'est comme les reptiles, il aura du mal plus de mal à l'ouvrir qu'à la fermer. Et dans tous les cas ça le distrait et détourne un peu de son attention.
D'autres bras, pour ses membres. Pattes avant, pattes arrières. Tenter de le coincer. Il a de la fourrure, je m'y accroche, j'enroule mes mains pour mieux tenir. Il peut s'en déloger, mais il aura plus de mal. Et ça lui fera au moins aussi mal qu'à moi.
Je saute sur le côté. Je vais pas attaquer un truc avec des défenses aussi grosses du côté où les hures se trouvent. Je suis pas folle.
Saute saute saute, tournant, attaque de flanc. Un coup dans les côtes. Comme je pensais, il essaye une fois de plus de hurler, de se dégager, mais ça lui fait pas vraiment mal. Il est juste vraiment énervé. Je devrais peut-être fuir ? Je doute qu'il arrive à me rattraper. Mais si je m'en débarrasse, il pourra pas dire aux autres cramblax pourquoi il a hurlé. Sauf s'il l'a déjà dit dans son hurlement, mais alors c'est trop tard et m'en débarrasser fera toujours un gros prédateur en moins. J'aime pas m'en prendre aux bêtes, mais des fois il le faut. J'ai fait le serment de protéger la population après tout. Et une bestiole comme ça, si c'est pas dangereux pour la population, alors je sais pas ce que c'est.
Très dangereux, peut-être.

Je saute sur son dos, puis sa tête. Mes poings qui cognent ses yeux, c'est bien, mais c'est pas suffisant. On va voir que qu'il en dit quand c'est des gants en métal qui s'en chargent. Mes cestes aux poings, mes vrais poings, voilà qui devrait lui faire mal. Bien en place, je martèle. Pas en concentrant mes coups sur un seul point, comme j'aime faire, mais en frappant les deux yeux alternativement. J'ai essayé de faire frapper en même temps, mais c'est plus difficile et donc lent. Donc pas d'intérêt.

Après les yeux, je pense à redescendre, lui casser les jambes. Enfin les pattes. Mais ça serait de la torture. Je veux pas ça. Alors je reste sur la tête. Et je cogne le crâne, dur. Plusieurs fois. Autant qu'il en faut. Le plus fort que je peux. En fait j'ai perdu du temps avec les yeux. J'avais pas dû. Bon on fait tous des erreurs.
J'entends un genre d'os qui craque. Beurk. J'espère que c'est pas son crâne. Ou pas trop. En tout cas, j'espère que je vais pas me mettre à faire couler son cerveau par les oreilles parce que ça serait dégueulasse.
Aussi, j'entends des bruits dans le brouillard. Ca se rapproche. Cramblax ou marines ? Sais pas. Suis concentrée ailleurs. Sur un sanglier géant qui finit par trembler. Puis par chuter. Je retire mes bras juste à temps pour pas les faire s'écraser et laisser la bête tomber, pendant que je saute de l'autre côté.
Mais je remets les bras au cas où il se relève. Non, il essaye pas. Il est bel et bien assommé. Bien, maintenant j'en fais quoi ? Il est trop lourd pour que je m'en débarrasse rapidement. Mais si d'autres le trouvent ...
Oh tant pis zut ! C'est trop près et ça fait trop de bruit. Soit c'est des cramblax, soit c'est une section entière de marines. Moi je me barre.
Si c'est des marines, je les verrais depuis ce buisson.
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On arrive enfin en haut de la colline. Scorone était partie vraiment devant, pour le coup. Les bruits ont beau porter assez aucun son ne vient de devant. Gallena doit suivre la piste toute seule. C’est qu’il faut que j’reste avec mes hommes, alors que mon Sergent s’débrouillera bien pour appeler à l’aide ou s’enfuir si y’a besoin. Ou gagner, d’ailleurs.

Puis au détour d’un énième caillou, on tombe sur la dépouille d’un cramblax. Ils sont aussi impressionnants que Garrett a dit, et Alraune, l’autre guide de la Régulière, laisse échapper un sifflement d’admiration.
« Z’en avez jamais vu ?
- Rarement aussi gros, commente-t-elle.
- Super. Des chances que ce soit le chef et que les autres soient faciles ?
- A priori, non. Plutôt l’inverse, même.
- Super. »

Une tignasse rose sort des fourrés où elle était cachée.
« Alors, Scorone, votre travail ?
- Oui, Lieutenant.
- Bon boulot. »
Elle a un air perdu sur le visage. Elle doit pas avoir l’habitude qu’on la félicite, ou elle a pas compris un mot, je sais pas.
« Donc, Scorone, situation ?
- Le cramblax était tout seul, resté en arrière.
- Sûrement pour nous distraire ?
- Oui, ils ont un fonctionnement de meute qui vise à sacrifier le plus faible pour assurer la survie des autres, précise Garrett.
- Merveilleux. Ils vont continuer comme ça longtemps ?
- Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’alpha, peut-être.
- Ptet ?
- On les a jamais poursuivis à ce point.
- Pourquoi ?
- Quel intérêt ?
- Les étudier ?
- Oui mais… pourquoi ?
- Ben maintenant on saurait. M’enfin, j’peux comprendre, j’suppose. Vous avez pas eu droit aux zoophiles fous qui viennent examiner la faune locale sous toutes ses coutures. »

Silence.

« Oui, bon, on va pas les rattraper en se zyeutant dans le blanc des yeux, les enfants. Allez, hop hop hop ! »

Mais on a beau courir plusieurs heures, pas moyen de les rattraper. J’sais que Blondie est sur nos traces, et que les autres groupes avancent parallèlement à nous. Les cornes à intervalles réguliers suffisent pas à le déterminer, à cause de la résonnance dans cette saloperie de brouillard. Mais d’autres signaux plus ténus, comme le rythme des appels, suffit comme code.

Heureusement, en tout cas, le brouillard empêche pas de suivre la piste. Il bloque toute vision à une certaine distance, mais empêche pas les traceurs de faire leur boulot. Si ce n’est que la piste raffraichit depuis le début de la traque, parce que les cramblax se déplacent manifestement plus vite que nous. Ca sent la marche forcée de nuit pour refaire la distance, voire les surprendre pendant que ça pionce, tout ça.

Pulup Pulup

J’pêche l’escargophone qui s’agite au fond de ma poche. A tous les coups c’est… Le denden secoue la tête pour replacer sa mèche imaginaire. Thorn, à coup sûr.
« Lieutenants ? »
Un concert de voix lui répond. J’vois qu’on est en conférence avec tous les gradés d’importance.
« Angus ? Etat ?
- On prend du retard sur les cramblax. Ils sont plus rapides que nous, moins gênés ou plus habitués au terrain. Résultat, on perd du temps à passer des obstacles.
- Ils nous sèment ?
- Ouais.
- Funeste ?
- Nous avançons sur le côté, mais pareil, rattrape pas.
- Les éclaireurs estiment la distance à combien ?
- Plusieurs heures, du genre cinq ou six.
- Ca semble faisable…
- Oui, mais ce sera de nuit, donc on ira probablement plus lentement et…
- Tant pis, il faut retrouver ces humains, c’est notre seule piste.
- Sinon, on rentre les mains vides…
- Nous verrons plus tard, d’ici quelques jours. »

L’escargophone s’éteint et j’lui lance un air dépité. Certes, j’me faisais juste l’avocat du diable en proposant l’abandon des poursuites, mais la traque nocturne, ça réjouit personne. D’ailleurs, quand j’vais voir mes hommes et que j’les regroupe, y’en a aucun qui saute de joie, sans la moindre surprise. Résultat, on finit de gambader jusqu’au crépuscule avant d’établir le campement.

Et ben, déjà on y voyait pas terrible de jour, bah là avec la nuit, c’est pas pire, c’est juste atroce.

C’en est au point où j’lance mon haki de l’empathie juste pour pouvoir me repérer par rapport aux autres. Les quelques lampiottes allumées avec des feux de camps suffisent pas à écarter les lambeaux de brume qui viennent jusqu’au milieu des soldats. En plus, les foyers en eux-mêmes dégagent une quantité scandaleuse de fumée, vu que tout le bois est pourri jusqu’à la moelle par l’humidité.

On est véritablement dans un endroit de rêve.

Le programme est simple. A part quelques élus qui écopent de la courte première veillée, à savoir des gens qui m’ont gonflé pour une raison futile ou une autre dans la journée –faire tomber un caillou dans ma direction ou ne pas retenir une branche et faire une blague pas drôle, par exemple, tout le monde se pieute direct.

Au final, on aura que quelques heures de sommeil avant de se lever au milieu de la nuit pour continuer la traque à la lueur tremblotante des torches. Donc j’fais comme les autres, et j’pose la tête sur mon barda pour m’endormir aussitôt, un talent que j’ai appris très tôt à cultiver pendant les interminables veilles quand j’étais qu’un petit agent en formation qui remplissait des missions de sbire.

Puis j’suis réveillé en sursaut par des cris et des gens qui courent dans tous les sens. L’habituelle embuscade. Les feux sont bas, tout fumants et éclairent que dalle. Les torches sont pour la moitié tombées par terre. Et des formes plus sombres que la nuit sautent dans tous les sens avec des cris à moitié étouffés et une cacophonie qui ferait croire que Red vient de nous attaquer.

Alors que c’est juste les cramblax qui se retournent contre nous.

Chiasserie.


Dernière édition par Alric Rinwald le Mer 20 Juil 2016, 21:25, édité 1 fois
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Repli ? Contre-attaque ? Fuite ? Charge ? On fait quoi ?!

Dans la nuit noire, il n'y avait pas un bruit. Le brouillard flottait langoustement langoureusement et les sentinelles sentinaient. Puis des ombres noires, vachement discrètes donc, semblèrent passer à côté. Nerveuses, les sentinelles raffermissent leur prise sur leurs armes.
Soudain, un cri. Un cramblax qui surgit de nul part, et attrape un soldat dans son immense gueule. Le broie entre ses dents. Le camp s'éveille.
Panique. Parait-il, je dormais à ce moment-là.

Moi aussi, je me réveille. C'est qu'ils font plein de boucan. Et après le premier, d'autres cramblax déboulent, chargent et mettent le chaos. Renversent le matériel. Poursuivent les fuyards. Mordent, dans l'idée de tuer.
Le contraste avec le sort réservé aux scientifiques est flagrant. Ils veulent nous massacrer, pas nous emprisonner pour nous amener dans une grotte pour nous engraisser pour nous manger pendant l'hiver. Ou je ne sais ce qu'ils veulent en faire exactement. C'est pas le moment de se poser des questions de toute façon.
Je retiens à grand peine un bâillement en me levant et ... non en fait je le retiens pas du tout, je mets juste une main devant la bouche. Qu'est-ce que je devrais faire ? Aider les autres ? Attaquer les cramblax un par un ? Organiser la résistance ? Organiser la fuite ?
Je sais pas. Et pendant que j'hésite, ça s'arrête pas.

Je vois que le Lieutenant part à l'attaque. Facile pour lui, avec ses couteaux et son soru et tout. Il a pas peur, mais pour se débarrasser d'un cramblax .. je pense pas qu'un couteau puisse percer le crâne sans casser, pas facilement en tout cas. C'est que c'est résistant comme bête. Grosse bête, grosse tête.

Je suis en train de tenter de rassembler quelques soldats, je vois Salengro, Ranne, deux gars de Jadieu, ce gars est de ma section aussi même si je sais plus son nom. Bref, quand voilà un cramblax arrive sur nous. Chargeant droit, tête baissée, il m'est possible de le faire trébucher. Et en faisant apparaître suffisamment de bras et en les groupant et .. houf, c'est lourd. Mais en s'y prenant assez fort, en accompagnant son mouvement rapide et en profitant de sa vitesse, on doit pouvoir .. balan..cer ce cramblax loin d'ici ! Han !!
Il reviendra bientôt. C'est trop résistant pour finir hors-jeu après le petit vol que je lui offre, mais ça gagne un peu de temps.
Malheureusement, il est pas seul. Et si j'arrive à me débarrasser d'un autre comme ça, je suis obligée de faire disparaître mes bras en plein jet quand j'allais projeter un troisième. Un cramblax a chargé mon tas de bras. Bon sang, ils sont intelligents en plus ! Je veux dire, on se doutait qu'ils étaient intelligents, mais ça aurait pu être de l'évolution ou je sais pas quoi. Là c'est carrément qu'ils ont compris la situation très vite et s'y adaptent.
Une nouvelle tentative se voit abandonnée encore plus tôt. Même pas le temps de former toute la masse.

Et quand un cramblax attaque mon groupe alors que j'ai le dos tourné, la solution la plus rapide que je trouve c'est de me servir du cramblax en charge comme plateforme pour des bras qui nous soulèvent et nous mettent aux abris de la tête. C'est à dire au-dessus d'un sanglier géant déjà bien énervé.
Qui se dit que la meilleure chose à faire pour se débarrasser de nous, c'est de se rouler sur le dos. Pas bête l'animal. Je balance, un peu brutalement parce que j'ai dû faire vite, les autres marines vers Jadieu. Il a l'air d'avoir récupéré d'autres soldats, mais je suis pas bien sûre, avec le brouillard et le bazar et les cramblax et tout. En tout cas ils sont pas au milieu du chemin.

Maintenant seule et suspendue au-dessus du cramblax qui fait un roulé-boulé, je fais disparaître mes créations et me laisse tomber sur la bête. Au final je crois que je me fais plus de mal que je lui en fais. Trébuchant et finissant à terre, j'ai le temps de réaliser qu'une bestiole pleine de muscle en train de rouler n'est pas la place la plus stable où poser ses pieds. J'ai juste le temps de me relever et pas celui de virer la terre à moitié boueuse de mon pantalon, que le cramblax s'éloigne. Pour une nouvelle charge sûrement.

- Ah non !

J'étends une masse de bras vers lui et l'écrase contre le sol. Le laisse se relever, fais réapparaître les bras et recommence. Quand un autre cramblax arrive, je suis obligée de les laisser partir. Je pense pas que je pourrais contrôler deux fois plus de ...
Pfff.
Non. Là j'en suis déjà ..
Calme. Trouver une solution. Les faire fuir. Est-ce qu'ils craignent le feu ? Sais pas, de toute façon les feux sont tous éteints, noyés dans la boue, piétinés dans ce grand bazar. On va tenter autre chose. Je sors mes couteaux. Disons qu'on va faire comme le Lieutenant, qui est passé .. je sais pas où. Disons qu'un couteau suffit. Alors où est-ce que je peux taper ? Je vois trois endroits pour les éliminer. Dans la gorge, à l'intérieur de la bouche côté cerveau, ou alors dans la colonne vertébrale, au niveau du cou. La gorge, ça les ferait saigner lentement. Trop long. La colonne, je pense pas l'atteindre, trop de muscles et de graisse. Alors ça va être ... va falloir faire apparaître des bras dans la gueule de l'un et réussir à passer un couteau à l'intérieur et ...
Trop, trop compliqué. Je vais leur couper les tendons, ça sera plus simple.
Et sans tendons, ils pourront plus courir.


Bon sang, j'espère que les autres s'en sortent.
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Ces saloperies tiennent effectivement pas mal du sanglier. Elles ont une peau relativement solide, mais surtout putain d’épaisse. J’ai beau planté mon surin jusqu’au manche, le cramblax bronche à peine, et me repousse d’un haussement d’épaule avant d’aller vagabonder un peu plus loin. Vu la taille du bestiau, j’aurais dû m’en douter. J’roule sur le côté quand mon empathie m’prévient de la charge d’une des créatures dans mon dos.

J’me relève couvert de bouillasse, mais c’est bien le cadet de mes soucis. Un mouvement brusque du poignet m’suffit à produire un autre couteau, et j’bondis à la poursuite de la dernière bestiole que j’ai vue. Il reste les points sensibles habituels, et ça doit se rapprocher assez du mammifère pour que lui découper le cerveau façon sashimi lui fasse un effet du tonnerre.

Un Soru m’amène au niveau de la tête, et mon planteur trouve l’œil au milieu des bourrelets de peau rêche. J’ai du liquide occulaire plein les pognes, mais le cramblax gronde, grogne, hurle à la mort, puis se met à ruer dans tous les sens avant de partir en courant au milieu du campement. Merde. J’choppe la queue au passage, en m’laissant trainer au sol sur plusieurs dizaines de mètres.

J’rebondis difficilement, dégueulassant encore plus mes fringues, mais choppant surtout pleins de coupures, éraflures et bosses. Un Tekkai Kenpo bloque les blessures superficielles suivantes, mais j’ressens toujours le choc dans mes os. Une main après l’autre, j’me hisse jusqu’au dos du cramblax, puis juste derrière la tête. Le couteau devait pas être assez long pour transpercer correctement le cerveau, et le bête agite frénétiquement la gueule.

Une suite de Shigan ouvrent la peau à l’arrière du crâne. Pas assez profond, évidemment, mais j’m’y attendais. La série de Shigan Bacchi vient s’insérer précisément dans les orifices précédemment pratiqués pour effectuer une lobotomie de toute beauté qui achève ma douce monture. D’un salto avant, j’saute devant la bestiole qui s’écrase au sol en renversant une tente au passage, et déclenchant des jurons d’au moins trois voix différentes.

« Sonne la corne, putain ! »

Ma voix résonne par-dessus le tumulte nocturne, encore un peu jugulé par l’entrainement. D’ailleurs, les Marines se sont rapidement repris, et sont massés en groupes de trois à une dizaine de soldats pour maintenir les cramblax à l’extérieur. Normal, au centre des cercles, c’est les blessés qui souffrent en silence ou agonisent doucement.

Mais la résistance s’organise petit à petit, pilotée par des caporaux gueulards qui foutent de l’ordre dans tout ce merdier. Des flammes voient le jour, aussi, au bout de torches. Ça éloigne pas vraiment les cramblax, mais ça nous permet quand même d’y voir enfin quelque chose. Mon Rankyaku rase le sol et tranche une patte griffue qui prenait à peine appui par terre. Son propriétaire tombe, glisse, tente de se relever mais les Marines qui lui tombent dessus la hachent menue.

C’est sûr, y’a moins de souci d’épaisseur quand tu vires les couches une par une.

J’laisse la boucherie derrière moi et j’saute à nouveau sur un cramblax, mais il se roule par terre et contre les arbres pour me déloger, résultat j’passe plus de temps à survivre qu’à le buter. La course effrénée m’amène finalement hors des limites du camp alors que le cor se met enfin à sonner la note d’alerte. Mais ça aidera pas beaucoup si les autres sont aussi sous assaut, genre Blondie. Pas sûr qu’il ait les capacités pour se dépatouiller, encore que Funeste doit pas être bien loin.

En quelques minutes à peine, avec le brouillard qui tourbillonne autour de nous, j’suis totalement paumé. J’essaie de faire appel à mon empathie, mais pas moyen de me concentrer assez. J’tape de manière répétée dans le flanc de la créature, à coups de Shigan, mais elle accuse à peine. Ca doit être l’emplacement des réserves de graisse. En tout cas, c’est ni douleureux plus que ça, ni gênant pour se déplacer. Et cette saloperie me déporte de plus en plus loin du camp, pour ce que j’en sais.

J’saute à terre, finalement, à l’orée d’une clairière où le cramblax s’arrête. Il remue quelques temps sur lui-même, tente de se lécher là où il saigne. Puis deux formes sortent de l’ombre. J’écarquille les mirettes pour mieux les distinguer, parce qu’on fait difficilement plus humain que ça. Des mots indistincts arrivent jusqu’à moi, mais c’est des voix à coup sûr.

Putain, et dire qu’on croyait que les cramblax agissaient uniquement par instinct de meute.

D’ailleurs, celui qui m’a amené là geint dans ma direction, pousse un humain du museau. Tout de suite, ça les met en alerte. Ils doivent y voir que dalle non plus, cela dit. Avec une inspiration profonde, j’rappelle mon haki de l’empathie, et j’isole les deux ombres. Elles avancent d’un pas méfiant vers moi, avec des gourdins prêts à frapper.

Une branche craque, l’un tressaille.

M’en faut pas plus pour être au milieu d’eux, mon coude s’écrase sur une pommette et la brise. Il a pas fini de tomber au sol que mon talon frappe l’arrière d’un genou, puis une manchette l’arrière de la tête. J’me retourne vers celui que j’ai fracassé en premier, et qui pousse des petits cris aigus, allongé par terre. Un coup de pied dans les côtes le… la calme direct. Ou, en tout cas, le troisième y parvient.

Le cramblax se décide enfin à protéger ses maîtres, mais mon empathie m’en prévient largement à temps. Un bras renforcé au Tekkai s’enfonce sans peur dans la gueule hérissée de pointes et envoie une dizaine de Shigan droit dans le cerveau et la moelle épinière. Ca l’arrête pour de bon, modulo quelques spasmes réflexes.

Une bonne chose de faite.

Reste à retrouver les autres, ou qu’ils me retrouvent, et interroger nos nouveaux petits copains, hein ?

Enfin on avance.
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Tchak. Le dernier cramblax s'effondre et on l'achève à trois. Ça continue de crier pendant encore quelques temps, mais le camp se calme. On a gagné. On a des blessés. Des morts. On s'est fait avoir. Je compte cinq ... sept cramblax. Pas la meute entière, je pense. Mais une bonne partie. J'espère.

J'entends Jadieu qui ordonne à quelqu'un de sonner le cor. Un long, pour signaler que "Tout va bien". Pourquoi pas. C'est fini après tout. Je dirais pas que tout va bien, mais ça va mieux qu'il y a quelques minutes. "Tout va mieux", mais on a pas de signal pour ça. J'essaye de voir qui a besoin d'aide, je participe à dégager les cramblax pour qu'on ait de nouveau de la place. L'avantage c'est qu'ils sont tellement gros, ils peuvent limiter servir de fortifications maintenant qu'ils sont morts. Avant quand ils étaient vivants, c'était plus dur parce qu'ils se déplaçaient. Et aussi parce qu'ils voulaient nous tuer.

Je suis en train de bander la jambe de .. comment il s'appelle lui déjà ? Kaiso ? C'est pas important de toute façon. Bref, le Lieutenant Angus revient. Sans doute guidé par la corne de brume. Il est pas seul, il traine deux personnes avec lui. Vu qu'il les traîne et qu'ils marchent pas d'eux-même, ça doit pas être des scientifiques. Plutôt des prisonniers. Pourquoi il a fait des prisonniers ?

Je finis de m'occuper de Kaiso avant de rejoindre le Lieutenant. Il est déjà en train de parler avec Jadieu, lequel fait ligoter les prisonniers à un rocher. Ça aurait été mieux un arbre, je pense, parce que trouver un rocher qui permet pas de se libérer juste en se levant, c'est pas évident .. de toute façon y a pas d'arbres ici, on est revenus trop dans le brouillard.

- Alors Lieutenant ? que je demande en guise d'introduction.
- J'ai trouvé ça dans la Brume, quand un cramblax m'a emmené faire une promenade. Ils sont de méche, c'est ces raclures qui les ont envoyé sur nous. On croyait avoir affaire qu'à des bêtes, mais finalement il y a aussi des pécores.
- C'est quoi un pécore ?
- Cherchez pas, vous allez encore vous faire mal à réfléchir.
- Des bredis, Scorone. C'est une insulte, explique Jadieu.
- Bon Jadieu réveillez-moi ces guignols au lieu de nous donner un cours de zoologie.

Économe de parole, Jadieu répond par une claque. Sur la joue d'un des prisonniers, pas du Lieutenant. Moi je pense que le Lieutenant en mérite aussi, mais si il dit vrai, ces gens en méritent plus que lui. Il y a peu de chance qu'il soit tombé sur deux personnes qui passaient par là par hasard et qu'il ait décidé de leur faire porter le chapeau, non ?
.. Vu qu'il n'a pas de chapeau, que le coin n'est pas très touristique et qu'il n'a pas de raison de mentir sur le sujet, ça doit être vrai.
La femme que Jadieu a baffé grogne et cligne des yeux, tente de se sortir des cordes avant de comprendre tout à fait ce qu'il lui est arrivé. Ce qui lui arrivé, c'est qu'elle a été ligotée après avoir été capturée. Ca peut arriver à n'importe qui. Est-ce que ça m'est déjà arrivé ? Je ne crois pas. J'ai oublié peut-être mais je pense pas. Au BAN peut-être ? Je sais plus. Je me rappelle de pas mal de chose, mais j'ai pas le souvenir de cours pour se sortir de cordes quand on est ligotés. Pas que j'en ai besoin, avec mon pouvoir, mais .. il faut un caillou pointu ou quelque chose comme ça non ? Caillou, rocher, arbre ... dans tous les cas ... bon, va falloir poster des sentinelles en plus pour les prisonniers. Et puis du coup on aura pas dormi autant qu'il faudrait. On va être crevés. Surtout ceux qui sont déjà morts.

- Alors ?
- Gnai mal, gnèspèce de salaud.
- Pardon, je m'en fiche. Les cramblax, comment les dirigez-vous ? Où sont les scientifiques ?
- Gne dirais gnien.

Angus lui donne un coup de pied dans les côtes. Ca a l'air de faire bien mal, vu la grimace qu'elle tire.

- Je peux continuer. Ensuite, je demanderais à ton pote. L'un de vous finira par parler. La seule question, c'est à quel point je vais devoir vous faire mal et si vous pourrez encore marcher quand on en aura fini.

Elle écarquille les yeux. Elle hésite. Finit par se rendre à l'évidence. Grogne. Et répond.
- Gnés hégnétiques seront sacrifiés. Gnils ont profagné la Brume, avec leurs machines et leurs gné .. gnexpériences.
- Sacrifiés hein ? Quand ?
- Gneu midi, gnand la lumière entrera le temple sacré.
- Midi hein ? Il est quelle heure Jadieu ?
- Pas encore minuit Lieutenant. On a une douzaine d'heure.
- Bon. Et il est loin, ce temple sacré ?
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Le regard qu’elle lance sur notre petit groupe est calculateur. On n’a pas spécialement fière allure, faut dire aussi. Entre la poignée de morts, et la grande quantité de blessés, on doit pas être trop menaçants. Puis les blessures, qui vont de la morsure ou du coup de griffes un peu sale, à la mauvaise chute, aux tentes qui se sont effondrées ou au type qui a glissé dans les braises du feu de camp…

J’fais claquer ma langue de dépit.

« Gnerez sacrifiés à gna Brume !
- D’accord. C’est par où ?
- Par gnà ! »
J’lui refous un coup de pied au même endroit qu’avant, juste sous le sein. Un filet de bave s’échappe dans le hoquet de douleur.
« T’es sûre ?
- Gnoui ! »
J’en remets un pour faire bonne mesure, puis j’m’écarte. Jadieu et Scorone me suivent.

« Bon, j’lui fais pas confiance. On sépare les deux prisonniers. Jadieu, vous en prenez un avec vous et votre section, et vous vous déplacez cent mètres sur notre gauche. J’veux aussi un cordon des fois que Blondie arrive. P’tet qu’elle nous guide vers le bon coin, mais p’tet aussi qu’elle nous enfume.
- Oui mais ça on ne pourra jamais le savoir, si ?
- Guider deux sections de Marines vers le grand autel divin du sacrifice et les tuer sur place, c’est une chose. Rameuter une division entière, surarmée et prête à casser du fanatique, c’en est une autre. J’veux pas qu’une autre section nous traine dans les pattes et file des remords à Bidule.
- Ils doivent savoir que nous sommes plusieurs centaines, argue Jadieu.
- Ouais, mais ils peuvent nous croire séparés, ou perdus. »

Y’a un silence. On a aussi la trace des Cramblax à suivre, mais pour peu que les deux prisonniers soient les seuls dresseurs, ils auront pu s’égayer dans la nature ou alors tous retourner au quartier général, qui n’est ça s’trouve même pas le temple sacré. Y’a rarement des écuries directement à côté de ce genre de coins.
« Pour le moment on part là-dessus. Faites fouiller les prisonniers, quand même, au cas où. M’étonnerait qu’ils aient une carte ou une saloperie du genre, mais on sait jamais. »

Evidemment, les prisonniers n’ont rien sur eux, mais on suit l’ébauche d’idée qu’on a pour le moment. Pendant que la formation se sépare, que la nana nous nargue, les Marines se remettent sur pied, le visage dur. Même sur ceux qui échangent des vannes. Surtout sur ceux qui échangent des vannes. J’profite du temps de préparation, celui pendant lequel des soldats rangent mes affaires à ma place, pour appeler le Commandant et les autres lieutenants.

D’après les nouvelles, Charme aussi a subi une attaque dans la nuit. Elle se trouve à l’autre extrémité de la ligne vague qu’on forme en théorie. Dans la pratique, avec le brouillard et la nuit, pas facile de savoir si notre formation ressemble vraiment à quelque chose ou si c’est un zigouigoui immonde. Mais ça n’a pas beaucoup d’importance. Elle a essuyé quelques pertes aussi, une poignée.

Thorn ordonne le resserrement de notre procession, avec Jadieu et moi en double pointe. Les autres doivent nous suivre et nous couvrir. Ca tiendra jamais face à de vrais éclaireurs, s’ils surveillent bien leur territoire, mais si on a du bol, il s’agit simplement d’une poignée de débiles qui se font des scarifications dans les bois.

Le souci, c’est qu’ils veulent sacrifier les autres, maintenant, ce qu’est pas très urbain. Faut que j’protège les contribuables. J’explique le souci à Thorn. Il est d’accord qu’on peut pas leur faire confiance pour nous guider directement là où il faut. Mais il a la solution, qu’il dit. Et même qu’il arrive, tout seul. En l’attendant, on s’met en route, pas trop vite.

J’surveille ma copine. Mais elle a un peu trop tendance à ouvrir sa gueule. Avec les quelques heures, les hématomes ont eu le temps d’enfler joliment pendant qu’elle nous indique le chemin. Quand elle se met à trop baragouiner, j’lui colle un taquet dans la gueule, ou une tape dans les cotes. Ca la calme quelques instants qu’elle passe à prier son dieu et attirer son ire sur les infidèles que nous sommes.

Mais j’ai beau faire gaffe aux alentours, pour pas qu’on retombe dans une embuscade, j’sursaute quand même quand Thorn sort des fourrés juste à côté de moi. Il a une mallette à la main, et m’salue d’un signe de tête.
« Commandant.
- Continuez à marcher, Lieutenant.
- A vos ordres.
- Alors, cette mission ?
- Toujours dans la brume.
- Pas trouvé nos clients ?
- On élimine pour le moment.
- D’accord. »
Evidemment, on parle pas de la mission actuelle. Dans le pire des cas, si le scientifique meurt, y’aura bien une tête à Mégavéga pour comprendre quand même son moteur révolutionnaire. En tout cas suffisamment pour le reproduire et s’en servir. Ca sera juste une perte de temps qu’aurait pu être mieux utilisé. Nan, on parle de la mission qui nous a conduits là avec Krueger. Trouver les révolutionnaires qui se terrent dans la Vingtième et empêchent répétitivement cette unité d’élite de retrouver le chemin de la Gloire. Ouais, les chefs réfléchissent avec des mots de chefs, toujours prêts à faire un discours.

« C’est notre prisonnière ?
- Ouais.
- Bon, au travail.
- Gnes hérétiques seront gnétruits gnau jugement dernier !
- Passionnant. Vous pouvez m’en dire plus ? Demande Thorn en ouvrant sa mallette. »
J’jette un coup d’œil dedans. Un ensemble de petits pots fermés hermétiquement, avec juste une pastille de couleur dessus, et des pinceaux accrochés un peu partout. Mon commandant et chef d’équipe du CP3 en sélectionne un, le trempe et dessine deux cercles sur la prisonnière. Son geste est tellement vif et surprenant qu’elle ne fait que tressaillir, puis un large sourire éclaire son visage.

Et montre les dents qui lui manquent. Charmant.

« Mes amis ! C’est par gnà en fait ! »

Thorn acquiesce avec un sourire complice puis me fait un clin d’œil.

Color Trap, putain.
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J'aime pas ça. J'aime pas cette histoire. J'aime pas ce qui se passe ici. Les combats, l'embuscade, l'interrogatoire, le commandant qui surgit de nul part, la prisonnière qui nous guide bien mieux d'un coup, est-ce que c'est vraiment le commandant en fait ? On dirait sa voix mais avec la brume je vais quand même pas aller me coller sous son nom pour vérifier, si c'est vraiment lui il va faire la gueule et si c'est pas lui je serais pas aux abris en cas de mauvais coup et donc c'est une mauvaise chose.
Vu l'état dans lequel est tout le monde, je me dis que j'ai eu bien de la chance. Je suis fatiguée comme tout le monde, voire un peu plus que certains, mais j'ai rien de plus grave que des égranitures. Je saigne pas, je suis pas morte. Gallena 1, autres 0. .. Je vais éviter de la répéter trop fort, c'est un peu de mauvais goût quand même.

L'important c'est qu'on avance. Douze heures, c'est tout à fait bon. Ils doivent pas être si loin de là où on a capturé les prisonniers. Deux heures, peut-être trois. Sans doute pas plus. Ils avaient pas de den-den sur eux, donc leurs communications ne sont pas assez étendues pour réagir sur une longue distance. Sauf s'ils ont des relais, mais dans ce cas ils sont bien plus nombreux que ce que je crois. Ou s'ils agissent au hasard comme des imbéciles pas formés par une armée, ce qui ... est tout à fait possible en fait. Ah zut.
J'y pense, ils se sont peut-être fait portés par des sangliers géants. Du coup ils seraient allés plus vite et tout. Tout comme les prisonniers, ils ont pu les transporter à dos de cramblax. En fait ils sont peut-être plus loin que prévu.

Je devrais peut-être me rapprocher et poser la question directement à la prisonnière. Mais bon, je suis à l'arrière de la section, le lieutenant est devant.

- Eh ! Lieutenant ! Demandez-lui si c'est loin et s'ils sont venus à pied ou en cramblax ! Qu'on sache si on est pressés ou si on aura du temps.
- C'est quoi cte façon de parler à son supérieur Scorone ?!

N'empêche qu'il pose la question. Ou l'autre lui répond sans qu'il ait besoin. Je suis pas sûre, je suis un peu loin pour bien les entendre.
Et je reçois pas la réponse. Tant pis. L'important c'est que la question soit posée et qu'ils aient une réponse. Puis on prend l'inverse, parce qu'elle doit sûrement mentir.
Je devrais demander à ce qu'on m'indique la direction tout droit pour aller là où on va, comme ça je pourrais partir en éclaireur en avance et observer. Mais c'est peut-être caché et de toute façon je dois quand même rester avec ma section là. Quand Jadieu était avec nous, je pouvais m'absenter. Il est moins fort à la bagarre, mais il a clairement plus d'expérience que moi. Un bon soldat.

Si on a besoin d'un éclaireur, le Lieutenant s'en chargera. Je suis censée m'occuper de ma section et c'est tout, après tout.
Bon, et le Commandant semble rester avec nous. De temps en temps il fait des trucs et agite les mains devant la prisonnière, mais j'arrive pas à voir ou savoir quoi.


Le soleil commence à se lever et on est arrivé dans les contreforts des montagnes, quand on s'arrête pour se reposer. Le groupe de Jadieu nous rejoint, ils ont envoyé quelques éclaireurs. On passe une pente et on arrive sur une petite vallée où se trouve l'entrée du lieu où ils ont emmené les scientifiques. Enfin c'est ce qu'il parait. Si la prisonnière a pas menti. Je me demande pourquoi des gens voudraient tuer des gens pour la brume. C'est un genre de révolutionnaire bizarre, ces gens ? Ou c'est des pirates de terre mais qui veulent pas les bateaux et les butins, juste tuer des gens ? Comme la vieille et son lézard géant, à Shell Town. D'ailleurs en y repensant, elle était vachement bizarre cette vieille.
Et puis à Shell Town, il y avait .. héhé. Je me demande quand je vais le revoir, lui.

Bon. C'est pas important maintenant. On attend le rapport des éclaireurs, on établit un plan, on voit si d'autres lieutenants nous rejoignent à temps et on y va quand on peut. Il doit rester ... quatre heures ? Peut-être moins.

On peut pas attendre trop longtemps. Un des éclaireurs revient. Thorn, Angus et Jadieu l'entourent. Je suppose que je devrais moi aussi. Aaaahh. Le temps de m'étirer et j'arrive. Je commence à attraper des courbatures après tout ce sport imprévu de la nuit.

Alors, ça se présente comment ? On charge dans le tas, on essaye de les prendre en tenaille, on glisse des gens en tête ? J'ai en mémoire les leçons d'infiltration du BAN, mais on risque de pas avoir le temps ou l'espace pour la méthode discrète. Quand à la méthode déguisée, j'ai pas de matériel et s'ils sont pas très nombreux ils se feront pas avoir de toute façon.
Bon, après, si y a des gardes, je peux sans doute passer la tête par-dessus la crête, les voir et les assommer à coup de poings. Faut voir. On a pas mal de possibilités je dirais.

Reste à se décider lesquelles on utilise. L'important, c'est de sauver les scientifiques. Puis de neutraliser ces gens. Et ensuite, récupérer le moteur et retourner au port.
Peut-être casser la gueule aux cramblax, aussi. Ça serait bien ça.
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Grâce à l’influence de Thorn, qui envoie à intervalles réguliers un jet de peinture sur notre prisonnière, et qui a même vérifié auprès de l’autre qu’on allait dans la bonne direction, notre victime nous a décrit en détail toute la topographie et les accès du temple sacré de la brume, ainsi que les effectifs des fanatiques qu’on peut s’attendre à y trouver. Après, ils se connaissent pas tous et la quasi-totalité d’entre eux continue à vivre avec les vrais humains. Seuls leurs prêtres et quelques ermites font véritablement rupture avec le monde extérieur et vivent sans jamais sortir du brouillard.

J’ai hâte de voir leurs gueules pâlichonnes.

En tout cas, j’suis content que Thorn maîtrise le Color Trap. C’est vrai qu’une technique d’hypnose, c’est hyper pratique pour des missions de Cipher Pol, mais ça n’a jamais trop été mon truc. Pas eu l’occasion, ou l’obligation, de connaître ce bouzin. Mais c’est rudement utile quand t’as pas le temps de briser psychologiquement ou physiquement quelqu’un en détail. Ouais, tout ça, c’est qu’une question de temps. J’me note mentalement de m’renseigner sur la question.

Finalement, notre grand patron décide de continuer à tracer sans attendre les autres. Au final, on va pas être tant en avance que ça, donc faut en profiter pour se ménager un peu d’espace. Le temps, encore, qui fait qu’on va devoir sauter dans le tas à une trentaine au lieu du quintuple. Heureusement que les autres sont pas loin derrière, de l’ordre de la vingtaine de minutes à tout casser.

On s’rapproche enfin de la vallée dans laquelle se trouve le temple. C’est un coin à la jonction de trois montagnes, un lac asséché par un glissement de terrain y’a plusieurs dizaines ou centaines d’années, d’après notre zélote. La main de leur dieu ou déesse qui leur a ainsi fourni un lieu de culte. La particularité de l’endroit, c’est que d’une, il est super profond, donc la brume s’y accumule vachement bien et densément, et de deux, le lac était blindé de cavités souterraines.

C’est pas un labyrinthe, c’qui tombe bien vu que j’ai l’impression d’y passer ma vie, mais ça reste quelque chose de sacrément bien planqué, le genre sur lequel personne tombe par hasard.

« Angus.
- Oui, Commandant ?
- Nous prendrons une section en pointe pendant que la seconde sécurisera petit à petit notre route derrière nous. Cela nous permettra une voie de retraite et que les renforts nous rejoignent plus vite.
- Okay. Jadieu fera la sécurisation et Scorone viendra avec nous. »
Il acquiesce. Puis reprend.
« Nous appliquerons la procédure Kenpachi. »
Je hoche la tête en me râclant la soupière pour essayer de me rappeler en quoi elle consiste. C’est une des manœuvres relativement basique dans l’idée mais considérablement plus complexe à mettre en œuvre, c’est… c’est…

Voilà ! Elle consiste à éliminer sommairement toute opposition en continuant d’avancer, et à permettre à de petits sous-groupes de se séparer pour assassiner un éclaireur ou quelqu’un qui pourrait donner l’alerte. Nom qui vient évidemment de l’ex-amiral en chef qui a exécuté plusieurs fois cette tactique au cours de sa carrière et qui figure depuis dans les manuels.

Le point délicat, c’est de gérer l’amoindrissement progressif du groupe d’assaut pour atteindre au plus vite l’objectif, que ce soit pour exfiltrer quelqu’un, récupérer un objet important, ou empêcher une fuite. Pour ça que la présence de Jadieu est capitale, qui sert à la fois de serre-file et de repère, j’suppose.

Quelques heures avant le début de la cérémonie qui doit voir les sacrifices humains. C’est à nous de jouer. Et les gars l’ont mauvaise à cause des cramblax.

On dévale le flanc de la montagne au pas de course, en sautant par-dessus les racines et les troncs morts. Thorn est en tête, qui court au niveau de notre prisonnière enthousiaste à l’idée de nous présenter ses autres amis. C’est sûr, ils vont être ravis de nous voir, j’en doute pas un seul instant. J’suis juste derrière eux, avec Scorone qui mène sa troupe. Jadieu est juste après, mais de là où j’suis il se perd déjà dans la brume pour moi.

Les premiers éclaireurs ou types qu’on croise fortuitement sur notre chemin font pas long feu. On surgit du brouillard comme des beaux diables en uniformes tachés de boue et un coup de sabre ou de baïonnette les fige avec un air surpris un peu ridicule sur le visage. Pas de coup de feu tant qu’on n’est pas officiellement détectés. Ou qu’on est dans la place.

L’un d’eux essaie de s’enfuir, à une dizaine de mètres. Avant même qu’un Soru me projette à ses côtés, un poing jaillit de l’arbre le plus proche et l’assomme, avant qu’un Marine l’achève sans même ralentir. Scorone est attentive, au moins, même si elle doit pas trop aimer les meurtres sommaires. Mais on peut pas se permettre que le scientifique clamse, surtout pas après être venu jusqu’ici.

On laisse là le coin asséché et on s’jette dans les grottes. Normalement, notre copine nous a mijoté un chemin aux oignons, rapide mais pas dans les artères principales. Plus qu’à compter là-dessus. Un peu derrière moi, j’entends trois Marines se ruer dans une gallerie proche pour éliminer un barbu qui s’est retourné précipitamment en nous voyant.

Hé, enfin un peu d’action contre un truc tangible.
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Au début ça se passe bien. On entre dans les tunnels, élimine les sentinelles, s'enfonce sous terre. On progresse rapidement, des groupes se déplacent quand on se fait repérer et que l'ennemi s'enfuit avant que je puisse le stopper, par un poing dans la tronche ou en lui chopant les pieds. Pour ce qui est de se regrouper, c'est plus lent. Il faut que les marines rattrapent leur cible, l'attrapent, le .. tuent, retrouvent l'équipe centrale. Sans compter que si en courant ils se font repérer, ils doivent se séparer encore et ... ouaip, je suis pas mécontente d'être avec Angus et Thorn pour le moment. La section centrale diminue de plus en plus, il faut se séparer et ceux qui reviennent sont plus lents à revenir que ceux qui s'écartent s'écartent. C'est pas clair mais on voit l'idée.

L'important, c'est qu'on finit par arriver dans une grande salle, là où ils sont censés faire les sacrifices et tout. C'est plutôt joli, dans un sens temple maléfique rempli d’ermites fous et de vénérateurs de la brume. Sauf que pour l'instant les ermites et les vénérateurs ne sont pas là. Ça se dit vénérateur au moins ? Oh, j'en sais rien et c'est pas important. Y a d'autres priorités. On s'étend rapidement mais prudemment dans la salle, on se met prêts à tenir les entrées. Si ils veulent tuer les scientifiques, ils sont censés être obligés de le faire ici. Tant qu'on les en empêche, on a plus de limite de temps. En théorie.

Le Lieutenant et le Commandant nous laissent vite et partent de leur côté. Ils vont essayer de sauver les prisonniers et les ramener ici. Des marines, par groupes de trois ou moins, nous rejoignent. Ils ont attrapé leur cible, leurs cibles, les ont éliminées, nous ont rejoint.
Jadieu arrive avec les derniers de ma section et l'ensemble de la sienne. On est en train de mettre une statue sur le côté pour pouvoir s'en servir comme barricade. Pourquoi ils avaient besoin de statues géantes, vraiment ? Pour l'ambiance ? Franchement elles étaient tellement moches que ça valait pas la peine. Ou alors ils ont fait exprès de les avoir aussi moches ? Stop ! Gallena, stop ! Concentration. Combat.

- Vous avez été repéré Jadieu ?
- Pas plus que ça. Ils sont morts.
- Tous ?
- Bien sûr. Ça se présente comment ici ?
- Comme vous pouvez voir. On suit le plan, on se retranche et on attend les officiers.
- Bien. Pas trop mal Scorone. Faudrait peut-être essayer de pousser jusqu'au premier croisement là où ils sont partis, histoire de faciliter leur retour ici.
- Bonne idée, mais ça veut dire que ceux dans ce croisement peuvent se faire attaquer de deux côtés, au lieu d'un seul comme ceux qui bloquent les autres passages.
- Il y a que trois accès. Ce grand couloir où vous avez mis cette statue, deux petits sur les côtés. On peut se permettre de prendre ce risque. Si ils sont débordés, nous enverrons des renforts pour les dégager et le groupe avancé se repliera dans la salle avec nous autres.
- Je vois ... faisons comme vous proposez Sergent.

L'habitude d'obéir aux sergents ne part pas vite, ou plutôt revient rapidement quand on n'y fait pas gaffe. Je .. il a plus d'expérience que moi, comme je disais. Moi je sais me battre, mais je stratégise pas aussi bien que lui. Ou je tactique ? C'est lequel des deux déjà qui est censé s'appliquer ? On est dans une petite bataille, donc peut-être que je devrais dire que j'escarmouche moins bien ? Oh, c'est compliqué toutes ces questions de vocabulaire.

Plusieurs fois, on se fait repérer. On arrive à en choper trois avant qu'ils sonnent l'alarme. Mais le quatrième hurle tellement fort ... s'ils ne se doutaient de rien avant ça, ils vont s'en douter maintenant. Ils risquent de venir voir, et pas en se baladant un par un, maintenant.
Nous sortons les fusils et on les charge. Les marines ont interdiction de tirer si c'est un seul type, mais s'il y en a plusieurs ... alors on pourra plus prendre de gants, on va tirer, les tuer, puis leurs copains vont venir en nombre pour s'en prendre à nous. A moins qu'ils ne s'enfuient, auquel cas ils ne vont pas tarder à tomber sur les autres Lieutenants et leurs sections.
Inutile de trop se presser. Une chose à la fois. On va se débrouiller.

Une tête passe, trois marines s'élancent à sa poursuite. Ils passent le coin et .. se mettent à tirer ? Après avoir vidé leurs fusils, ils reviennent en courant vers nous. Poursuivis par plusieurs bonhommes armés de couteaux courbés, d'épées courbées, de fusils (pas courbés, eux). D'autres tirs les repoussent, les vénérateurs de brume laissent deux d'entre eux sur le terrain, blessés, à terre, mais pas encore morts. Un ennemi tente d'aller les aider, mais plusieurs tirs frappent et le décourage de jouer au sauveur. C'est un peu une erreur. La meilleure méthode, c'était de le laisser venir, puis lui tirer dessus pendant qu'il .. qu'il ... tentait de sauver ses potes. Mais les marines ont le doigt sur la détente et le soldat de base ne pense pas aussi loin. Il se contente de l'immédiat.
De toute façon, j'aurais pas le cœur à le leur dire. Que Jadieu s'en charge s'il veut.
Bon, du coup c'est confirmé qu'ils sont au courant de notre présence, maintenant.

La prochaine tentative, ils essayent d'attaquer par les trois côtés. Apparemment le groupe avancé n'est attaqué que par un des couloirs, donc ça va. Ça va. On va tenir. Pas que j'ai aucun doute, de toute façon. On a des soldats d'élite ici, contre des civils peu civils mais qui n'y connaissent rien au combat. Ils ont le nombre pour le moment, on est meilleurs. Et nos renforts arrivent bientôt. On va le faire. Purée, je deviens nerveuse moi. Trop nerveuse. Faut que je me calme. C'est à cause de la déco. Je suis pas nerveuse comme ça d'habitude. Oui, c'est la déco. Pas le fait de devoir tenir une zone alors qu'on dépend d'autres ou quoi. On peut tenir le coin, oui. Ça va aller.

N'empêche, j'aime pas cette cave large qui mène jusqu'ici, et qui tourne pas loin. On voit pas ce qu'il y a dedans, mais .. justement, on sait pas. Et elle est clairement assez large pour des cramblax, dont il manquait près de la moitié cette nuit. Mais ils vont pas les envoyer dans leur temple de sacrifice, si ? Ils auront même pas la place de bien manœuvrer ..

Les fanatiques locaux se replient en désordre, repoussés un par un. D'abord la gauche, trop étroite, où ils se gênaient mutuellement. Puis la droite. Et ensuite au centre.
On a quelques minutes pour se reposer, avant que la terre se mette à trembler un peu et à résonner beaucoup.
J'espère que ce grondement n'est pas là pour nous dire que j'ai tort.

hhhhhhhhhhhHHHHHHSSQUEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE !!!

Et zut !
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Le plan prisonnier est enclenché. J’pensais pas qu’on serait si peu nombreux pour l’accomplir, mais Thorn l’a demandé, et il s’trouve que c’est lui le patron. Un regard derrière moi me confirme qu’on est plus que tous les trois, avec notre copine. Du manche de son pinceau, il tranche la gorge d’un fanatique qui passait un peu trop près et voyait une cible facile en la personne d’un peintre avec son larbin.

« On accélère ? Qu’il propose.
- Sûr, patron. »

On laisse le rythme pépère qu’on menait jusqu’à présent pour partir à fond en direction des geôles de luxe dans lesquelles ils stockent les prisonniers en attente de subir l’honneur suprême du sacrifice humain. Si c’est si honorable, c’est à se demander comment ça se fait que les cinglés soient pas volontaires eux-mêmes. Mais c’est sûr, c’est plus facile quand c’est les autres qui se sacrifient pendant que tu te la coules douce.

Pas comme nous. Deux agents du Cipher Pol déguisés en Marines d’élite en train d’aller sauver un Scientos. D’un Soru, Thorn se propulse à l’autre bout du couloir et un geste de la main lui suffit pour tuer trois gardes rameutés par les bruits. La prisonnière court jusqu’à lui, pendant que j’reste quelques pas derrière à mater les allées transversales. Pas un chat, pour le moment.

Ca fait un moment qu’on avance toujours plus dans les profondeurs des cavernes quand un grondement retentit, résonne, et fait un peu se décoller des gravats du plafond. Pas un chat, mais probablement du cramblax. Notre copine lève la tête, écoute quelques instants avec la mine concentrée. C’est clair que là, elle va immédiatement savoir d’où ils viennent.

« Ils vont probablement rester en haut et s’attaquer au gros de la division. Peut-être que des sous-équipes vont partir à la recherche des éléments séparés du reste pour empêcher le regroupement, aussi.
- Combien de cramblax ?
- Une centaine maximum, je dirais ? »
J’déglutis imperceptiblement. Quand j’pense au bordel qu’une poignée a pu mettre dans notre campement, ça inquiète forcément, de savoir que y’en a autant.
« Mais ils seront dans des couloirs, à la file, non ?
- Tout à fait, abonde-t-elle. Sensiblement moins utiles que dans la nature et la Brume.
- Bon, nous verrons quand nous les croiserons. Nous sommes bientôt arrivés ?
- Oui, il suffit de prendre à droite puis de continuer tout droit. »

Thorn pondère.
« Rattrape-nous quand tu peux, ordonne-t-il dans un jet de couleur. »
Sans même me regarder, il part devant à coups de Soru. Finie, la glande au rythme de la prisonnière faut croire. J’tape le pied au sol pour rattraper mon collègue, et on s’enfonce à toute berzingue vers les prisons. Tous les pauvres types qui ont leur malheur de croiser notre chemin sont pas déçus. Un vrai spectacle de magie, ils meurent pour la grande majorité sans même savoir ce qui les a tués.

Deux agents de qualité du Cipher Pol, lâchés au milieu d’une bande qui vaut à peine mieux que des civils ? Fallait s’attendre à l’hécatombe et, s’il s’agissait pas de dangereux fanatiques, j’aurais des remords à les massacrer comme ça. A cause, surtout, de la simplicité avec laquelle on nettoie tout le monde.

Vrai que j’ai vécu des trucs depuis que j’étais un civil comme les autres et… J’évacue toutes ces pensées inutiles. Faut pas que j’relâche ma garde. C’est pas parce que pour le moment on élimine le bas de la gamme que y’aura pas un type balèze qui sortira de nulle part pour nous tomber sur le râble. Mais nan, que du menu fretin. Les vrais adversaires doivent être les cramblax, ou se masser du côté de mes sections, j’suppose.

Les Rankyaku et les Shigan Bachi volent dans tous les sens alors qu’on passe en coup de vent dans les couloirs, en laissant derrière nous que des cadavres encore chauds. Puis on arrive enfin dans la zone qui sert de prison, en fait juste des cavités plus petites taillées dans la roche et bloquées par des portes en bois. D’un coup de pied, Thorn en fracasse une et regarde à l’intérieur.

Un pauvre vieux façon clodo dégueulasse tremble comme une feuille au milieu des débris d’échardes.
« Me sacrifiez pas, me sacrifiez pas, qu’il marmonne dans sa barbe.
- Vous êtes libre, vieil homme, proclame Thorn.
- Dites, patron, faudrait pas mieux trouver nos gars ?
- Oui, allez-y, Angus. Je vais essayer de convaincre ce pauvre hère de nous suivre. »
Intérieurement, j’espère qu’il y arrivera pas. Le type va nous refiler des puces ou des morpions, et en tout cas il va probablement nous ralentir. J’fais quelques piaules jusqu’à sortir nos cinq Marines, vachement plus émaciés que sur la photo d’identification qu’on nous avait filée au départ. Pendant ce temps, mon glorieux Commandant libère les autres vagabonds qui trainent et se recoiffe en passant la main dans ses cheveux.

« Haut les cœurs ! Nous allons vous sortir de là et vous permettre de retrouver la civilisation.
- Et un bain.
- Pour cela, vous devez nous suivre et nous faire confiance. Une division entière de la Marine est en route et devrait purger ces cavernes de tous les fanatiques qui s’y terrent à l’occasion du sacrifice. Une fois que nous aurons retrouvé mes hommes, tout ira bien. »

On commence doucement à bouger vers la salle dans laquelle on a laissé Scorone et les autres. Heureusement, les scientos sont moins inutiles que les clochards, déjà… Et les guident à notre suite. C’est qu’on va bientôt retrouver les autres. Resteront que les bestioles, finalement.

Chiasserie.
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- Yaaa !!

Un cramblax à terre, au suivant. C'est le cinquième. Ils arrivent un par un, mais ils arrivent en masse et on arrive pas à s'en débarrasser assez vite. Pendant ce temps, les locaux essayent de nous déborder par les côtés. Les balles blessent les monstrueux animaux, mais pas assez, trop lentement. Ils saignent, mais ne s'effondrent pas tout de suite. Si j'avais mon bazooka ! Je l'ai, mais je pourrais juste m'en servir pour cogner, pas pour tirer avec. J'ai pas fini de le réparer.

J'ai mal aux mains. J'ai tenté de faire trébucher le premier en l'attrapant par le sol. Il allait trop vite, ça m'a presque arraché la paume des mains. La peau des paumes des mains. On l'a eu, mais pas tellement grâce à moi. C'est surtout qu'on a concentré un maximum de tirs sur lui. Son cavalier est tombé. Le cramblax a flanché. Puis il s'est effondré. A pu le cramblax.
Oui, cavalier j'ai dit. Pour les guider dans les couloirs, peut-être ? En tout cas ils, les cramblax en avaient tous un, de cavalier, ce qu'ils avaient pas cette nuit.
J'ai aussi mal aux bras, aux poings. J'ai tenté de cogner le second de face. J'ai fait pousser un grand tas de bras, pour faire comme un super bras. Bilan, je me suis pris une bestiole géante en pleine charge dans les poings. Et vu comme ça a le crâne solide ces vilains-là, j'ai ...
Pas mon jour. Mais c'est bon. C'est bon. J'ai encore .. pas cassé mes bras. Je peux me battre. Faudra juste que je .. tienne le choc.
Encore un. On a pas fini de se débarrasser du précédent ! Plus ça va, plus ils avancent loin avant qu'on les abatte. Les autres .. mourants et cadavres devraient les ralentir, mais ils se contentent de les bousculer, les projeter et au final c'est pour nous que ça complique la tâche. Essayez de viser des cramblax quand des corps volent dans les autres. Pas facile. Vraiment pas facile.
En parlant de cramblax mort volant, j'en repousse un sur le nouvel arrivant, dans .. un peu comme dans un sport où on se renvoie la balle à coup de poings. De nombreux poings, parce que je triche. L'important c'est que le corps s'écrase sur le cramblax vivant, éliminant son cavalier et stoppant la course de l'autre. Se prendre un truc aussi lourd sur le dos, même pour un autre cramblax, ça coupe. Il a pas le temps de se relever et de reprendre sa charge. Il fait à peine deux mètres de plus, peut-être trois, avant de s'effondrer.
Mais y en avait un autre qui est passé. Jadieu tient la ligne, avant d'être bousculé, lui, la statue couchée et les marines abrités derrière. J'arrache le cavalier du dos du cramblax de loin, pourquoi je l'ai pas fait avant zut ? et l'envoie se cogner au plafond. En même temps, je tente de bloquer la vision du cramblax, et ça marche. Je dois écarter un peu brutalement deux marines qui sont dans le passage, mais le cramblax part renverser la table à sacrifice et s'écraser contre le mur en face. Bam !
On l'achève, comme d'autres.

On entend d'autres hsquees qui viennent de plus loin, en plus de ceux qui se dirigent vers nous. Soit les autres lieutenants et leurs sections sont entrés en action, soit l'ennemi s'est mis à prendre vachement beaucoup d'élan pour faire charger ses cramblax jusqu'à nous.

Je prends deux secondes pour souffler. Je commence vraiment à être fatiguée. En plus on a pas dormi assez.
Huf.
Huf.
Huf.
Huuf.
C'est bon .. c'est bon, je reprend. Ils attendent pas en face. Ils attendent pas.
On doit tenir. On peut. Faut que je ... on manque de place ici. Je ... mal aux poumons. Pour un si petit effort ? Tu ramollis Gallena, tu peux faire mieux. Faut que je fasse mieux.
Attaque. Enfin défense.

Encore un cramblax. C'est bon, les autres gèrent, une fois le cavalier retiré de l'affrontement. J'essaye d'en empiler, des cramblax morts, pour faire une nouvelle barricade. C'est pas .. c'est pas si lourd, quand on autant de bras que .. quand on a autant de bras que moi.

Je dois m'interrompre, encore un nouveau. Virer le cavalier. Essayer d'attraper une jambe par la cuisse et le tibia, gêner sa course, tenir .. c'est tellement costaud ces bestioles. Ou alors c'est moi qui fatigue vraiment.
J'vais pas encore finir un combat sur le côté à regarder ou à dormir ? Quand même pas. J'suis plus .. qu'avant quand j'étais moins forte. Puis faut que j'arrête de réfléchir. Je suis déjà assez fatiguée, j'ai pas besoin de plus de fatigue !

A l'attaque !


Le combat se prolonge, se répéte. Un cramblax arrive, suivi d'un autre, puis d'un autre, et encore un autre et ainsi de suite. Mais le passage devient de plus en plus encombré, le sol de plus en plus glissant .. à cause du sang surtout. Et ça complique aussi la durée des fusiliers. La visée ! La visée ! Je sais même plus ce que je dis.
On arrive à faire tourner, un peu, au centre. Les deux ailes, ils sont attaqués par vagues, donc ils peuvent se reposer entre-temps. Ils arrivent pas souvent à éliminer d'ennemis, parce que les ennemis à peine arrivés s'enfuient déjà. Trouillards. Mais ça nous permet de faire se reposer les troupes en les envoyant en danger tranquille. Au lieu du danger constant des cramblax. A un moment, un qu'on croyait mort se relève et nous fiche une sacrée surprise. On l'a eu, mais ça a désorganisé la défense et un autre qui arrivait par le couloir principal a débarqué et ..
C'est vraiment pas cool.

Au bout de .. . j'sais pas. Trois ou quatre jours, sans doute pas, mais quand même longtemps, j'entends des cris de joie qui viennent de la droite. Ou c'est la gauche ? Ça dépend d'où on se place ... c'est pas important ! Des encouragements aussi.
Je tourne la tête, profitant d'un moment de répit. Les cramblax arrivent plus à charger dans la salle. Ils s'écrasent et leur choc est .. presque absorbé par la masse des précédents qui traînent au sol. J'aimerais pas être celle qui va nettoyer les caves quand tout sera fini. Ou un archéologue dans quelques centaines d'années, si c'est pas nettoyé avant pour en faire ... j'sais pas. Un musée, une fête foraine ? C'est un peu loin des coins touristiques de l'île, mais pourquoi pas ?
Au sujet ! Concentre, concentre. C'est les officiers qui reviennent. Le Lieutenant et le Commandant. Super. J'espère qu'ils sont encore un peu en forme, même s'ils sont au moins aussi sales que nous.
Depuis tout à l'heure, les bruits d'une autre bataille nous proviennent. On devrait plus avoir .. trop longtemps à attendre. J'espère.

Me faut une autre pause bientôt. Pas long. Juste .. pouce.
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J’cligne des yeux. Dans la légère pente qu’on remonte avec nos types sauvés, y’a un truc qui coule le long du sol, le genre un peu poisseux. Thorn s’écarte d’un pas pour ne pas salir ses chaussures et les vagabonds ont un air horrifié sur la gueule. L’odeur assez caractéristique suffit largement, avec le fracas des combats pour comprendre de quoi il s’agit.

Dans leurs textes sacrés, ils ont sûrement un passage sur les rivières de sang. Ils s’attendent juste probablement pas à ce que ça soit le leur. J’ricane tout seul, m’attirant des regards louches des autres. Parce que c’est moi qui ai l’air louche. Avec un soupir, le commandant pose le pied dans le raisin et continue vers la grande salle dans laquelle Scorone et Jadieu doivent se terrer. Depuis le temps, les autres doivent être arrivés, aussi, ou presque.

Juste devant nous, on voit le cul des cramblax qui sont envoyés au combat, chevauchés ou non, par des gens en robe de bure. C’est pas exagérer de dire qu’on leur tombe dessus comme la misère sur le pauvre monde. Comme le Cipher Pol sur les révolutionnaires, comme on dit par chez moi. Entre leurs expressions de surprise et leurs gestes fouillis, ils opposent pas grande résistance, et on est légitimement plus inquiet par les cramblax qui devraient pas tarder à arriver par un couloir proche.

Le Commandant fait passer deux pinceaux, un dans chaque main, le long du sol recouvert de sang, et dessine des symboles sur les murs, sur les bestioles qui passent à sa portée. Une fureur les prend toutes, les obsède, les aveugle. Certains se jettent contre les murs marqués, tentent de les mordre, de les griffer, et se blessent entre elles en essayant d’attaquer avant les autres.

Les autres s’entretuent purement et simplement.

Tout le monde a un autre regard sur Thorn, moi le premier. J’sais pas si c’est lui ou le Color Trap, mais en terme martial pur, j’pense pouvoir le gérer. Probablement pas avec cette hypnose par-dessus. Il range un des pinceaux et se recoiffe en souriant. Puis d’un signe de la tête nous ordonne de rejoindre les autres.

L’avancée est fastidieuse. Le sol est recouvert de cadavres de cramblax qui prennent la quasi-totalité du passage. Et on est p’tits, par rapport à la créature qui rampe sur ses collègues pour attendre sa cible. J’la découpe petit à petit par derrière, hors de portée de ruade.
« C’est malin, elle va boucher le chemin, maintenant, observe un scientfique.
- Ouais, j’aurais dû y penser avant. »
Mais j’me rattrape à coups de Rankyaku qui continuent la boucherie déjà commencée. Tout derrière, Thorn arrête les nouvelles créatures qui arrivent avec une autre couleur, qui les terrifie et les fait s’enfuir en couinant. On sera tranquille de ce côté-là, j’suppose.

Au bout du tunnel, là où ça s’évase un peu, là où y’a des statues renversées pour canaliser le chemin, j’lève la main et j’gueule un coup.
« Ohé ! C’est l’lieutenant Angus et le Commandant Thorn ! »
Seuls des coups de feu répondent à mon appel.
« Putain, bande de sombres merdes ! Attendez un peu que j’arrive, vous allez passer votre prochaine permission à récurer des chiottes !
- C’est bon, c’est bien le Lieutenant, s’exclame un type. »

J’lui jette un regard mauvais. Ce plaisantin de Surin, retourné dans le rang avec le retour de Scorone, qui m’adresse un grand sourire, bien content de sa vanne.
« Situation, Scorone ?
- Hein ? Ah… »
Elle cligne deux fois des yeux pour concentrer son regard sur moi. Les cernes sous les mirettes, elle étouffe un baillement.
« On les bloque dans les trois entrées. Jadieu doit mieux pouvoir vous di…
- C’est à vous que j’demande, Scorone.
- Ils arrivent plus que par deux coins, puisque vous bloquez celui-là, je suppose.
- Les renforts ?
- Ils doivent pas être bien loin, on entend le bruit des combats par où on est venu.
- Bon boulot, continuez comme ça. »

Les prisonniers libérés se posent au sol. Rien que la marche a l’air de les avoir épuisés. Ils ont pas d’avoir mangé depuis un moment, aussi, donc j’ordonne à Salengro-Krueger pas loin de là de leur filer un truc qui donne un coup d’fouet. Moi non plus, j’perdrais pas de ressources à nourrir des types que j’vais de toute façon sacrifier. J’reporte la situation au Commandant, qui pondère.

Tout d’un coup, y’a un genre de flash lumineux. J’arrive qu’à penser à une attaque par dial, donc j’beugle des ordres repris par les sergents et caporaux. A couvert. Attention. Armes prêtes. Tout ça. Mais rien autour de nous. Même les cramblax sont plus trop là, sauf ceux chevauchés par des fanatiques. Qui répètent des signes cabalistiques complexes sans discontinuer. Le marmottement de leurs prières se mêle tandis qu’ils ont les yeux fixés vers le centre de la salle.

Sur un autel, un rayon de soleil vient de taper dans un cristal, d’où l’éblouissement soudain. Par un miracle mécanique, des fenêtres s’ouvrent et laissent entrer la Brume, qui couvre petit à petit les bords de la salle en se déversant à l’intérieur. Elle disparaît petit à petit à cause de la différence de température, mais le sang qui couvre le sol l’empêche pas de prendre une nuance pourpre.

C’est sur ces entrefaites, alors que tout le monde est à peu près figé, que Charme émerge d’un des couloirs et exécute sommairement les cramblax et humains qui bloquaient son passage. Sa manche est déchirée et un filet de sang coule de son bras. Trois fois rien. Elle repère tous les gradés, la position. Puis tombe à revers sur ceux qui restent, puis se dispersent immédiatement.

Thorn secoue la tête.
« On sort de là tout de suite ! Nous avons ce que nous voulons, inutile de rester ! »
Branle-bas de combat, les Marines épuisés se préparent à aller chercher leurs dernières forces pour qu’on se tire de cet endroit pourri. Bizarrement, sur le chemin du retour, on croise pas grand-monde, alors on en profite pour ramasser les quelques cadavres de nos copains quand on peut. Derrière, progressivement, la brume envahit le complexe souterrain, ce qui fait qu’on y voit pas à trois pas dans notre dos.

J’me retrouve à courir de concert avec Funeste, la mine studieuse et morne, et Prudence, qu’a l’air déçue que la fête soit déjà finie.
« Z’êtes venus comment ?
- Par la porte, rétorque Funeste.
- Charme a voulu établir des roulements pour qu’aucun marine ne soit trop fatigué. »
Elle fait la moue. Elle aurait sûrement voulu rester en première ligne tout du long. Moi, j’suis bien content que ça soit fini.

On sort enfin de la vallée, avec nos blessés, nos prisonniers, que j’me rappelle de la pote fanatique de Thorn. Elle a dû disparaître dans le bordel généralisé, quand l’influence du Color Trap s’est estompée. Brusquement, y’a une grosse explosion en chaîne, vers le lac. Des éboulis suivent, mais on est déjà trop loin.

Thorn lève un sourcil interrogateur.

Funeste a une ébauche de sourire sur les lèvres, le genre content de lui.

Une bonne chose de faite.
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