En piste!

On raconte qu’une jolie jeune femme vit dans ton cirque, c’est vrai ?

Ouais mon gars, Lys Grief, 23 ans, 1 mètre 86, grosse poitrine, une vraie perle.

Je suis déjà tous venu vous voir en coulisse, je l’ai peut-être déjà vu, à quoi elle ressemble ?

Elle est toujours vêtue de drôles de costumes avec des nœuds papillon, des vêtements bourgeois très colorés et bariolés de partout. Ah oui et elle porte toujours un chapeau haut de forme du même style que ses habits.

Ah oui ! Je l’ai vu ! Elle a des yeux rouges non ? Un visage assez clair et de jolies pommettes roses ?

C’est elle. Elle est incroyable cette fille, elle est tellement douée qu’elle serait capable de tous nous remplacer !

Ils sont bizarres ses cheveux non ?

C’est elle qui est bizarre. Tous les matins elle les trempe dans un pot de peinture, je suis sûr que ses cheveux resteront multicolores toute sa vie.

Elle est spéciale ? Elle avait l’aire heureuse aussi…

Heureuse ? C’est sûr qu’elle est ! Elle sourit tout le temps tous les jours ! On dirait que sa bouche est déformée ! Après, c’est loin d’être une imbécile…

Elle me semblait vraiment belle, du peu que je l’ai vue.

Ça c’est sûr ! Et tu peux me faire confiance, je l’ai vue nue.

Quoi ? Vous avez…

Non, tout le monde la voit nue, elle n’est pas pudique pour deux sous cette nana. Je me demande d’où elle sort…

C’est la seule chose étrange qu’elle fait ?

Tu rêves, des choses louches chez elles, il y a à la pelle. Il lui arrive de peindre des fois, elle fait de belles choses, mais ça n’a vraiment aucun sens, encore du surréalisme, voire pire. L’artiste exerce aussi son art avec les doigts ! Et ce n’est alors même pas la peine de lui parler. Quand tu lui pose une question, quelle qu’elle soit, elle te répondra un truc du genre : « Je marche sur des éléphants qui font du tapis roulant ! » Elle vit vraiment ailleurs des fois !

Tu plaisantes là ?

Non, non, je suis sérieux. Parfois elle sautille pour aller d’un point à un autre, sans aucune raison et elle déblatère des bêtises du genre : « La duchesse vous demande sieur cheval ! »

Mais elle est tarée !

Des fois on se demande, mais il ne faut pas croire ! Ça lui arrive d’être normal ! Lys est alors complètement à l’opposé, calme, lucide et séductrice même !

Tu l’as déjà vu pleurer ou de mauvaise humeur ?

Elle n’est jamais de mauvaise humeur ! Elle n’est jamais gênée ou mal à l’aise. Tu sais, on a ce que l’on appelle un… Un monstre de foire quoi… Enfin tu vois…

Oui oui je comprends.

Eh bien, il est vachement glauque, personne ne s’approche trop lui… Et elle, je l’ai déjà vu l’embrasser sur la joue et lui parler de tout et de rien pendant des heures… Comme si elle voulait lui redonner le sourire.

Le handicap physique et mental de votre fameux monstre ne la gêne pas ? Je veux dire… Vous l’avez pris pour donner des sensations fortes aux gens pourtant…

Oui, mais elle non. Lys s’en contrefiche, comme s’il était normal. Elle aime tout le monde, les animaux aussi. Je t’en avais parlé de cet immense tigre blanc que l’on a payé une fortune ?

Ouais, tu m’as dit qu’il est super dangereux et que votre dresseur a failli perdre un bras en essayant de l’approcher.

C’est ça… Figure toi que elle, dès qu’elle l’a vue, elle a pris la clef de la cage et s’est enfermée avec le fauve !

Quoi ? Mais c’est qui celle-là ?

Attends ce n’est pas tout ! Sans broncher, la gamine lui a parlé, a réussi à l’approcher et l’a même caressé !

Comment-a-t-elle fait ?

Je n’en sais rien, quand on lui a demandé, elle nous a répondu qu’elle a toujours vécu près des félins et qu’un tigre n’est d’autre qu’un gros chat « trop beau ». Depuis, elle lui donne à manger, va le caresser tous les jours. Elle l’a même dressé. Elle dort peu, mais quand elle dort, c’est avec le tigre.

Oh mon vieux ! Tu as des autres anecdotes sur elle ?

Oui et des moins sages si tu vois ce que je veux dire. Elle ne se repose presque jamais, une vraie pile cette fille. Je ne l’ai pas vu faire, mais on m’a dit que la nuit, elle aide le directeur à vendre de l’alcool et touche même à la drogue. Je ne sais pas comment elle en obtient, mais elle en vend et doit en consommer aussi. Elle traîne toujours une odeur étrange sur elle.

Pas si innocente que ça à ce que je vois…

Le directeur est même allé plus loin… Il l’a emmenée dans les bordels et maintenant elle vend son corps de son plein gré à des riches clients.

Elle doit se faire de l’argent celle-là…

Oui et pas qu’un peu, mais même en sachant cela, à mes yeux, ça reste une bonne gamine.

Il y a vraiment des moments où elle est ordinaire ?

On ne croirait pas dit comme ça, mais oui. Quand il y a beaucoup de monde autour d’elle Lys se comporte normalement. D’ordinaire elle paraît d’être une femme avec beaucoup d’humour, qui est très sûr d’elle et particulièrement sociable.

Elle est schizophrène ? Parce qu’on dirait…

Non, tu es fou ! Quand même pas !

Chers lecteurs… Afin de pouvoir être clair tout au long de la description à venir, je me dois d’adopter une narration plus classique. Désolé, pour ce manque d’originalité.

Lys Grief est née avec un léger trouble mentale que j’expliquerai ainsi : elle vit dans un autre monde. Sa capacité à former des images, des voix et du mouvement dans sa pensée est impressionnante, en contrepartie, elle ne fait pas la différence entre son monde à elle et la réalité, donc si un monde est plus amusant que l’autre, elle s’y rend. Etant petite, ce syndrome était assez problématique, mais en grandissant, elle a gagné en maturité et a fini par réussir à faire la différence. Elle est donc parfaitement capable de s’intégrer à la société. Cependant, elle n’en est pas moins une hurluberlue.

Quand elle est seule ou ennuyée par l’instant présent, elle s’échappe dans cet univers personnel. Si c’est le cas, elle s’en va et n’écoute plus personne. Elle n’est pas dangereuse, mais débite des flots d’absurdités et peut se mettre à courir, sauter dans tous les sens, peindre et chanter n’importe quoi. Elle a toujours conscience d’être ailleurs que sur Terre, de ce fait seule elle décide de redevenir lucide ou non. On ne peut rien faire de l’extérieure. Ayant toujours vécu avec ce handicap, Lys est parfaitement capable de le gérer. La plupart du temps, cela effraye les autres. Celle-ci n’est plus vraiment capable de faire attention à quoi que ce soit quand elle divague. J’avertis qu’il est impossible de jouer sur ceci pour prendre l’avantage sur Lys, elle seule en est la maîtresse absolue.

Autrement, une fois la tête sur les épaules, elle est calme, douce, souriante et joviale. Elle a une très bonne analyse des autres et fait partie de ces magiciens qui exploitent les faiblesses du cerveau humain. On pourrait ne jamais lui faire confiance avec une telle capacité, on aurait pourtant tort. Lys n’a qu’un seul but dans la vie : ressentir du plaisir et le partager. Pour elle, le monde réel est un terrain de jeu, une grande fête. Lorsqu’elle voit une personne triste, elle va tout faire pour le réconforter. Tous les plaisirs sont égaux : celui de manger un bonbon comme celui de la chaire. Certes tout le monde n’a pas les mêmes besoins, mais elle saura trouver le bon. Notre fêtarde ne voit aucun mal à passer sa vie à se faire plaisir, ce qui explique sa dépravation. Le sourire des gens est un son agréable à ses oreilles et mademoiselle Grief est prête à tout pour l’entendre. La jeune fille déteste la routine et les lois, elle ne désire que le chaos complet, l’imprévu et l’ivresse de vivre.

Au niveau de sa morale… Elle n’en a pas et elle le sait. Cette dernière a compris que l’extérieur de sa tête est régi par des règles strictes qui lui sont absolument nécessaires. Même si elle ne les comprend pas, elle ne les critique pas et trouve bien triste celui qui veut imposer ses idées aux autres.

Il faut de tout pour faire un monde. La vie est comme une pièce de théâtre dont nous sommes tous acteurs. Mon rôle est celui du bouffon qui fait rire de ses pitreries… Et toi ? Quel est le tien ?

Elle n’insulte et ne prends de haut personne, au même titre qu’elle ne loue aucun être sur cette planète. Pour elle, les personnes qui font du mal à autrui sont tristes et celles qui font le contraire heureuses. Pour le premier type de personnes, elle a tout essayé pour les rendre joyeux, sans succès. Pour l’instant, le seul moyen infaillible de trouver un vrai sourire sur leur visage, est de le dessiner sur la bouche avec un couteau. Quelqu’un est mort ? Ce n’est pas grave, ce n’est qu’un camarade de fête qui s’est endormi, il faut le laisser se reposer et en trouver un autre. Elle le monde, les vivants, mais n’a jamais ressenti d’affection particulière pour personne. Ce que l’on nomme amitié et amour lui sont pour l’instant inconnus.

Lys adore les couleurs, la musique qui explose les oreilles et tout ce qui est épileptique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser d’elle, elle ne consomme pas de substance dangereuse, mais adore à l’herbe à chat qui, contrairement aux drogues et alcools, ont un effet significatif sur elle. Notre petite femme en renifle beaucoup et en a toujours sur elle, ce qui explique l’odeur étrange qu’elle traîne. En plus de cela, elle est lubrique et cherche à séduire les hommes comme les femmes, toujours à la recherche de nouvelles expérience. Quand elle prend trop de plaisir, ses yeux se révulsent.

Elle a pour habitude d’être très gentille et accueillante et ne se fâche jamais. Quand elle est en situation de conflit avec quelqu’un, elle tente de l’adoucir. Si elle échoue, elle rigole et le tourne en bourrique en espérant que cela va le faire rire. Insouciante et joueuse, Lys n’est pourtant pas du tout dupe ou manipulable. Elle joue sur la légère dualité de sa personnalité, dont elle bien consciente, pour tromper ceux qui lui veulent du mal, elle les titille, les chahute et cela dans l’idée de leur faire perdre leur sang-froid afin qu’il commette une erreur.

Ne sois pas triste voyons ! Une vie triste n’en vaut pas la peine ! Viens t’amuser avec moi !
… Tu ne veux pas ? Tu as assez joué comme ça ? Bon alors repose toi bien…

Pour faire simple, Lys est une enfant joueuse et chapardeuse qui peut prendre soit l’apparence d’une femme manipulatrice et mystérieuse, soit celle d’une folle effrayant vivant dans un autre monde. Elle révèle son côté malsain et dangereux lors de situations critiques. Cette part d’elle-même n’est pas naturelle, il tient son origine d’une partie de son histoire… Je vous laisse découvrir laquelle …

La famille De La Rose Sacrée est une famille de nobles résidant sur le continent de Red Line. Cette dynastie perpètre depuis son avènement dans les rangs de l'aristocratie dans la ville que l'on nomme Lily-Rose. Cette dernière est particulièrement admirée par les habitants de la région, car reconnue pour sa bravoure et sa sagesse. En 1604, naît la sixième fille portant le nom De La Rose Sacrée, Lys. Les ancêtres de cette dernière ont toujours eu pour réputation de soutenir la Révolution. Cette rumeur n'a bien sûr jamais traversé les murs de la ville, qui ne n'abrite aucune autorité gouvernementale. Lily-Rose étant très éloignée des côtes, le gouvernement ne s'y est jamais intéressé, d'autant plus que la cité abritait sa propre garnison de mercenaires sous le contrôle de ses grandes familles. C'est dans cette atmosphère renfermée et quelque peu brigande, que Lys vécut les cinq premières années de sa vie.

Le nouveau-né fut le dernier enfant de la famille. Au début Ernestine De La Rose Sacrée s'occupa beaucoup de celle-ci, si bien que ses trois autres filles se sont mises à rejeter la faute sur leur petite sœur. Wild, le père, l'eût bien compris. Lorsque Lys eut deux ans, il insista alors pour qu'elles s'occupent d’elle à tour de rôle afin que lui et sa femme puisse retourner à leurs activités mondaines. A partir de ce moment-là, il commença à entendre des choses gênantes de la part des nounous désignées:

Elle est étrange, quand je lui parle, elle me fixe avec des yeux ronds pendant dix secondes, puis elle tourne la tête, comme si elle voulait m'oublier !

se plaignait Holly, la plus jeune grande-sœur de notre protagoniste.

Père, Lys me fait peur... Parfois elle a des moments d'absence, on dirait qu'elle est évanouie les yeux fermés !

rapportait Kaith, l'ainée de Holly.

Je n'arrive pas à la comprendre ! Elle déblatère pleins de choses incohérentes ! On dirait qu'elle essaye de faire des phrases avec tous les mots qu'elle connaît...

répétait Elsa, l’aînée des quatre sœurs.

Wild était certes perturbé par les racontars de ses filles, mais il était persuadé que ce n'était que de la jalousie qui s'éternisait. Ses deux plus vieux enfants, Vercin et Guarek, les deux frères jumeaux de la famille, rentrèrent au foyer après avoir achevé un très long voyage d'affaire qui les avait éloignés de la ville pendant cinq longues années. Lys avait alors trois ans. Les deux frères étaient ravis de revoir leurs parents et petites sœurs, et encore plus de découvrir la petite dernière. Pendant les quelques semaines où ils sont restés au manoir, ils constatèrent qu'effectivement, Lys était... atypique.

Père, êtes-vous sûr qu'elle va bien ? Elle est adorable, mais elle raconte des choses étranges...

confiait Vercin.

Elle déambule souvent dans le jardin, parfois elle se met à sauter et à courir partout sans aucune raison puis tout à coup elle s'arrête en plein mouvement et ne bouge plus jusqu'à ce qu'elle aperçoive quelqu'un.

insistait Guarek.

Wild était perplexe, qu'est-ce qui cloche avec sa fille ? Surtout que récemment, les domestiques racontaient des récits similaires. Le couple décida alors d'abandonner temporairement des prérogatives de leur rang pour s'occuper de leur fille. Ils se rendirent bien compte que, malheureusement, Lys n'était pas normal. Souvent elle n'écoutait pas ce qu'ils disaient, parlaient et agissaient de manière saugrenue, comme si elle vivait dans un monde différent...

Ernestine contacta les docteurs experts en psychiatrie de la ville, ces derniers ont passé de longues et nombreuses séances à poser des questions à Lys. Ils ne parvinrent pas à définir son trouble, la seule chose dont ils étaient certains, c'est qu'elle était victime d'une forme d'anomalie cérébrale et qu'elle avait besoin d'enseignants spécialisés.

Bien que les médecins aient insisté sur la légèreté de ce défaut, les parents étaient sous le choc d'apprendre que leur fille souffrait d'un problème psychique. De La Rose Sacrée était un nom prestigieux, il symbolisait la pureté et la raison, tout ce que n'était pas Lys. Cela ne devait pas se savoir, personne ne devait penser que leur famille comportait un membre décérébré. Les experts étaient persuadés qu'elle pouvait s'intégrer dans la société si elle était prise en charge, mais Wild savait que si les gens apprenaient que l'un d'entre eux avait besoin de tels soins, l'honneur De La Rose Sacrée allait être souillé. Le couple prit alors une décision drastique, plutôt que de faire venir des enseignants spécialisés pour aider leur fille, ils envoyèrent Lys, en toute discrétion, dans l'hôpital psychiatrique le plus proche. Ils la firent passée pour morte à la presse, son acte de naissance fut brûlé et son nom changé. Désormais, elle n'était plus qu'une orpheline du nom de Grief.

Journal de bord d'Encloud, chef infirmier à l'hôpital Darwon :

A trois heures du matin, un carrosse nous a apporté une nouvelle patiente, une petite fille de cinq ans. Les gardes qui l'accompagnaient semblaient pressés de partir, ils nous ont donné son nom, son prénom et sont partis aussi vite qu'ils sont arrivés. On ne connaît pas le syndrome de la gamine, mais peu importe. Ce n'est pas comme si on pouvait soigner les malades ici… Plutôt que des infirmiers dans un hôpital, nous sommes des matons dans une prison d'erreurs de la nature et encore… si les gens savaient... La petite avait l'air épuisée, on lui a donné une chambre et un lit puis elle s'est endormie sans faire d'histoire. On verra bien ce qu'elle a demain.

Le lendemain.

Alors, c'est quoi cette fois ?

Rien, elle n'a rien d'une malade, ce n'est qu'une hurluberlue, rien à voir avec nos patients.

Elle a bien quelque chose quand même ?

Oui, elle complètement détachée de la réalité, on dirait qu'elle vit dans un autre monde, mais tout cela aurait pu être pris en charge par des experts. Elle pourrait s'en sortir, à condition de partir d'ici !

On a reçu une lettre qui stipule que l'on doit absolument la garder…

Signé par qui ?

Il lui montre la lettre.

Ah oui… Mais qu'est-ce qu'un noble comme lui à avoir avec cette orpheline ?

On ferait mieux de ne pas chercher… Cette histoire a l'air louche.

C'est ainsi que Lys commença sa vie dans cet hôpital. Ce qu'ignoraient les parents de notre protagoniste, c'est que c'est hôpital n'est pas qu'un simple garde-fou, mais un centre d'expérimentation de la plus haute instance médicinale gouvernementale. A Darwon, des chercheurs essayaient différentes drogues et substances pour soulager ou calmer les malades. Bien entendu, le succès n'était pas toujours aux rendez-vous. Lys était « trop folle pour les gens ordinaires et trop ordinaire pour les fous » disait le directeur. Ce dernier l'a alors protégée des traitements les plus lourds et les plus dangereux. On ne testait sur elle que les médicaments les plus légers, pour éviter de la détraquer davantage.

Mademoiselle Grief ne souffrait pas du tout de sa nouvelle vie. Elle a très vite oublié sa famille et a commencé à observer ce qui se passait autour d'elle. Lys trouvait un intérêt dans la vie de tous les jours, elle s'amusait même. Plus besoin de fuir la réalité pour un monde rigolo, la réalité a changé pour elle. Les attitudes on ne peut plus particulières des malades drogués la fascinait, les vas et viens et les discussions des hommes et femmes en blanc l'intéressait. On lui montrait pleins de bonbons tout en couleur… Elle aime les couleurs. Personne ne souffrait à Darwon, les traitements avaient deux effets : soit les patients devenaient béats, soit ils mourraient. Pas de souffrance… Tout allait bien pour Lys. Un clown ou un magicien venait de temps à autre divertir les moins atteints. C'était très drôle, alors l'orpheline voulait faire pareil. Les gens en blanc lui donnaient tout ce qu'elle voulait : elle pouvait faire des tours de magie et jongler toute la journée. Un jour, elle vit un joueur de flûte arriver à Darwon. Il la fascina, ces mélodie merveilleuses captaient toute son attention et endormait les autres. Lys voulait faire pareil.

Tu as vu ce qu'elle fait la gamine ?

Elle m'impressionne, elle est même devenue une excellente joueuse de flûte, j’adore l’entendre jouer…

Je ne savais que ce genre de truc pouvait marcher, mais tant mieux, on arrive à adoucir quelques crises.

On devrait quand même faire gaffe, si on est tous à l’écouter on ne surveille pas les autres.

Oui, tu as raison !

La jeune fille s'amusait tous les jours, en plus, de temps en temps, elle voyait un visage familier :

Lys, te souviens-tu de moi ? C'est Vercin, ton grand-frère ?

Grand-frère… Non… Pas souvenir… Mais je t'aime quand même… Tu es gentil…

Petite sœur… Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

Vercin était le seul de la famille à ne pas avoir supporté la décision de ses parents. Il avait déjà du mal avec leurs opinions politiques, mais là, c'en était trop. Le jeune noble tenait beaucoup à sa sœur. Il allait lui rendre visite toutes les semaines, sans dire qui il était réellement aux infirmiers. Le jumeau donnait toujours de beaux habits à la petite dernière, des vêtements que cette dernière appréciait beaucoup. Il l'écoutait parler… Elle divaguait toujours autant, mais ce n'était pas grave, elle était heureuse.

La reniée a réussi à grandir dans cet environnement malsain. En discutant avec les infirmiers, elle arrivait petit à petit à faire des phrases construites et à tenir une conversation… Mais pas trop longtemps, sinon c'était fade…

Un beau jour, Guarek décida de s'engager concrètement dans la Révolution, ce qui ne plut guère à son frère qui contrairement à la tradition familiale, était très pro gouvernemental. La tension monta entre les deux jumeaux. Neuf ans après l'internement de sa sœur, Guarek mena une opération armée à Lily-Rose avec les révolutionnaires. Cela mit Vercin en rage, il dénonça les affinités de son frère aux autorités, rompant ainsi tout lien avec son foyer. En 1618 eût alors lieu une bataille entre les deux camps, entre les deux frères, dans la région de la cité. Les hommes en noir l'emportèrent finalement, les membres inféodés de la famille De La Rose Sacrée furent arrêtés et emprisonnés. Vercin pris alors la décision de retirer sa sœur de Darwon, en tant que seul représentant de son nom.

L'épouse du nouveau maître De La Rose Sacrée ne voulait pas que « la folle » vive auprès d'eux. Celui-ci, connaissant les aptitudes de sa sœur et son amour pour les couleurs et le spectacle acquis à Darwon, soudoya un ami directeur d'un grand cirque pour qu'il s'occupe de sa protégée. Il connaissait très bien le forain et lui promit de lui verser une certaine somme d'argent s'il prenait soin de sa sœur encore très incapable dans les relations sociales.C'est dans ce cirque que naquit la Lys que l'on peut reconnaître aujourd'hui.

Notre protagoniste adorait voir et revoir les numéros de ses nouveaux compagnons et comme toutes les choses qui l'attiraient, elle voulait les reproduire. On lui découvrit alors un incroyable talent pour l'art du spectacle. Elle a su apprendre à réaliser de très dangereuses acrobaties, passa maîtresse au lancer de couteaux, émerveillait par son chant, charmait par sa danse, dressait les fauves mieux que quiconque et éblouissait les foules de ses tours de passe-passe. Les gens du cirque commencèrent alors à la considérer comme un membre à part entière du groupe. Petit à petit, elle apprit à discuter avec des gens ordinaires, à comprendre certaines règles de société et à les appliquer. Celle que l'on appelait « la folle » fit d'énormes progrès et apprit à s'intégrer complètement dans la société. Cependant, elle faisait plus que comprendre les autres, elle les analysait et les jaugeait dans les moindres détails. En spectacle, mademoiselle Grief manipulait les foules avec une habilité hors du commun. L'orpheline savait comment manipuler ses nouveaux semblables.

Mais elle restait toujours Lys Grief. Une jeune fille cherchant la joie et la bonne humeur, le voyage et les couleurs, la fête et l'ivresse. A 21 ans, elle commença à plonger dans une face plus sombre du divertissement. La foraine avait été habituée aux drogues pendant son enfance à Darwon, si bien, qu'elle en faisait le commerce. La journée, c'était le spectacle de cirque et la nuit, on parlait de vente de drogues et d'alcools en tout genre. Elle alla même plus loin. On lui fit savoir qu'une jeune et jolie femme comme elle pouvait faire plaisir à beaucoup d'hommes grâce à son corps. Tout cela, elle le comprit très vite et quand elle goûta pour la première fois aux plaisirs de la chair, elle découvrit une nouvelle et puissante forme de plaisir. La dépravée devint alors une terrible séductrice et prit part à de nombreuses soirées mondaines et… malsaines.
Ainsi, Lys Grief devint un symbole de la fête, de la joie et de la débauche.
Lys avait 23 ans quand elle eut la discussion suivante :

Lys ! Viens voir, il faut que je te parle !

Que se passe-t-il directeur ?

Viens dans ma roulotte, nous serons plus tranquilles.

Oh…

Une fois tous les deux seuls et isolés.

Tiens, lis ce journal.

"Le jeune noble Vercin De La Rose Sacrée et se femme ont été assassinés hier soir par un traître révolutionnaire. La ville de Lily-Rose et ses alentours sont en paniques…"

Tu te souviens de cet homme ?

Mon frère…

Oui, tu es la seule de ta lignée à présent. Ta famille a toujours été admirée dans la région. Après la révélation aux autorités des penchants politiques de ton père, la trahison de Vercin, puis maintenant sa mort, la population est divisée.

Je m'en moque.

Cela te concerne directement ! Le testament de ton frère te citait comme seule héritière de sa fortune.  Le peuple a été mis au courant que la lignée De La Rose Sacrée n'est pas éteinte, cependant il ignore ton… passif. Continue à lire l'article.

"… Le peuple réclame le retour de la fille oubliée De La Rose Sacrée…" Ces personnes ne se posent-ils aucune question? La presse m'a fait passer pour morte…

Une manipulation du gouvernement et de la Révolution. Les deux camps connaissent le pouvoir de ton sang sur les habitants de la région. Ces derniers désirent une nouvelle figure de noblesse et cette figure, c'est toi. Ils te rejoindront quelle que soit ta décision.

Tu es en train de me dire que les hommes en noir et ceux qui râlent tout le temps vont me poursuivre pour me persuader de les rejoindre et ainsi s'assurer le contrôle de la région ?

Tu as tout compris… Désolé, mais tu mets en danger tout le monde… Tu ne peux plus rester ici…

Lys prit alors la fuite le soir même. C'est ainsi qu'elle commença son long voyage. Tout cela n'était rien de grave pour elle. Depuis son vingtième anniversaire, elle désirait quitter le cirque pour voyager à travers le monde et peindre un sourire sur chacun des visages qu'elle rencontrerait. Cette course poursuite servait donc plutôt bien sa cause.

Attends-moi le monde ! J'arrive ! Rien de m'empêchera de te teinter de toutes les couleurs ! Que la fête commence ! AH AH AH AH AH !

« Un jour, il y eut une épidémie de grippe dans le cirque de notre protagoniste. Malheureusement, les malades devaient produire une exhibition le soir même. Notre héroïne n’ayant pas été touchée et possédant toutes les capacités requises, le directeur donna la responsabilité de la soirée à elle seule. La comédienne vous raconte alors son premier spectacle au cirque »

Alors Lys, tu te sens prête ?

Oui, oui, oui, oui ! C’est quand je rentre ? Quand ? Quand ? Quand ?

Oh du calme ! C’est à toi dans cinq minutes, il n’y a plus une place de libre et les gens sont impatients. On compte sur toi !

Ah j’ai hâte !

Enfin, ça y est, mon premier numéro, je vais pouvoir faire ce qui me plaît et devant tout le monde. Ils sont là pour s’amuser, pour voir des trucs dingues et quitter leur quotidien morose. Je ne peux pas les décevoir.

…

Ah, je les entends bavasser, ils s’impatientent, je suis sûre et certaine que je vais leur plaire. Je fixe la fine lumière qui passe par la petite ouverture laissée par les épais rideaux bordeaux qui me séparent de mon public adoré. Je ne les ai jamais vu et ne les verrai sûrement plus jamais… Mais je les aime quand même ! J’ai plusieurs tours dans mon sac : Jonglerie, magie, tour d’équilibriste, le petit passage du clown et enfin Weed ! Mon tigre !

Mesdames et messieurs, préparez-vous ce soir à assister au spectacle de votre vie. Exceptionnellement, la vedette de notre cirque vous accompagnera toute la soirée ! Mesdames et messieurs voici la charmante Lys !

Tout à coup, les imposants rideaux s’ouvrent brusquement. Je réalise quelques pirouettes avant pour atterrir au centre de la piste les bras en l’air. Les gens m’applaudissent, je suis tellement heureuse !
La plupart sont des parents venus avec leurs enfants et au fond des gradins, on peut voir quelques mecs louches qui viennent certainement, en toute connaissance de cause, pour « l’après spectacle ».

Lys, veux-tu bien montrer aux gens à quel point tu sais bien jongler ?

Depuis les coulisses, on me lance des jolis bâtons de couleur… 3, puis 5, puis 7 et même 9 ! Trop simple, les gens ne vont pas s’amuser comme ça ! Je me retourne vers mon assistant dans les coulisses et lui fait un petit clin d’œil. En me répondant par un sourire, il me fait signe qu’il a compris. Il me lance des sabres un par un, je remplace donc mes jouets petit à petit avec ces armes. Les spectateurs produisent un son d’étonnement. Le directeur reste muet, ce n’était pas prévu dans le programme.

Je balance un par un mes sabres et lorsqu’ils sont tous plantés dans le sol, je m’accroupis.

WHOUA !!!

Comme prévu, ils forment un cœur autour de moi. Les gens m’acclament.
Et… Maintenant votre jongleuse va s’adonner à un tour d’équilibriste !
Je monte en haut de l’échelle et me bande les yeux. Inutile de prendre le bâton d’équilibre, ça ne sert rien. Je commence à avancer sur le fil. Doucement… Doucement… Cela reste un exercice très périlleux, mais ça, le public ne doit pas s’en rendre compte. Je reste calme, siffle comme si rien n’était et fait mine d’avoir perdu quelque chose en bas. Je sens les enfants stressés et les adultes perplexes. Je me mets accroupi et me penche un peu trop en avant. Je glisse, comme prévu.

J’entends les gens pousser un cri d’effroi, et hop ! Je fais un tour rapide du fil en restant en position accroupi et m’accrochant avec ma main gauche pour retourner dans ma position initiale. Je me relève, hausse les épaules d’un air de dire : « Non, je n’ai rien trouvé » et continue nonchalamment mon chemin. Le public souffle, soulagé. Je parviens sans peine au bout du fil, enlève mon bandeau et prend la pose. On m’applaudit bien fort.  

La fête continue. Je réalise mes numéros les uns après les autres. Un odieux tour de passe-passe devient un sort de magie lorsqu’il est bien réalisé. Qu’il y a-t-il de mal à exploiter les faiblesses du cerveau humain quand il s’agit de faire plaisir aux autres ? Les enfants s’émerveillent quand je fais sortir un lapin de mon chapeau tandis que les parents s’étonnent de n’y avoir rien compris. Je réalise quelques pitreries par ci par là accompagnées d’acrobaties pour faire redescendre l’adrénaline. Il faut que les gens profitent au maximum du clou de ce festival de joie.

…

Et maintenant mesdames et messieurs, pour notre dernier mais non pas des moindres, numéros que vous allez voir ce soir, Lys va faire appel à son fidèle compagnon ! Veuillez accueillir dès à présent le tigre blanc !

Weed saute d’un petit espace en hauteur spécialement prévu pour lui. Le public pousse un cri mélangeant peur et fascination. Des assistants arrivent au même moment pour mettre rapidement en place des plots et les cercles enflammés. Je décide alors de m’adresser à mes amis des gradins.

Regardez tout le monde ! Voici Weed mon tigre à moi ! Je l’adore et vous allez l’adorer aussi ! Et comme je l’aime, je ne vais pas le frapper !

En disant cela, je me débarrasse de mon fouet et câline mon petit chaton. Les gens semblent étonnés, ils ont l’habitude de voir des animaux forcés et en cage. Mais ils seront obligés d’admettre que le mien est mieux que les autres quand ils verront de quoi Weed est capable. J’emmène le félin sur le plot de départ puis revient au centre de la piste.

Je tape deux fois dans mes mains, le tigre saute à travers les flammes. Le directeur comme ses clients en restent bouche-bé. Moi et ce tigre avons établi un langage à nous que personne d’autre ne peut comprendre. Ils pourront juste remarquer que je le caresse ou que je lui donne un bisou après chaque action.

Je continue mon manège jusqu’à la fin du spectacle. Mes amis d’un soir sont cloués sur leur siège et ne prononcent pas un son, absorbés par les gestes gracieux de mon chat et mes incantations qui semblent faire mouvoir le tigre.

…

Ca y est, c’est la fin. Je saute sur mon compagnon et nous nous inclinons tous les deux. Les cris se propagent alors comme un coup de canon. Le public se lève et m’offre un tonnerre d’applaudissement tandis que les agents pyrotechniques me remercient en faisant cracher tout ce qui leur reste de feu d’artifice. Des confettis se mettent à tomber du ciel comme des cendres d’une nuée ardente. Une véritable apocalypse de bonheur…

Du rouge, des cris, du feu… C’est la fin de notre monde de rêve cher public d’un soir…