- Tutututu. ♫ Votre attention je vous prie. Le train en provenance de Marie-Joie à destination de Water Seven va entrer en gare.
- Bon sang Sweetsong, je préférais lorsque tu te trimbalais pas avec trois valises. Grouille-toi.
Peinant à me déplacer dans l'étroit corridor avec mes trois gros sacs de fringues et d'autres trucs chinés dans les boutiques de St Poplar, j'endure en silence les grondements de mon supérieur qui est déjà rendu à l'extérieur du train et semble m'attendre impatiemment.
- C'est bon, c'est bon. On a trois jours de pied à terre à Water Seven, c'est pas comme si on était pressés, non ?
Non, évidemment, la raison de l'empressement du chef d'équipe est toute autre. Pourtant cette fois-ci il ne s'agit pas de l'alcool, mais d'un rendez-vous personnel. Un truc qu'il m'avait caché pendant le reste du trajet et venait tout juste de me balancer à la face. Certes, je ne l'imaginais absolument pas avoir une vie sociale en dehors du boulot et de l'alcool qui occupaient au moins quatre-vingt-dix-neuf pourcents de son temps, ce qui avait eu l'effet de me surprendre et de me pétrifier sur place.
- Faut qu'on trouve un hôtel.
Chaque chose en son temps. D'abord nous sortons de l'immense hall de gare par l'une des épaisses portes bien renforcées pour lutter contre ce que les habitants du coin appelaient "l'Aqua Laguna". Une espèce de gros tsunami qui venait régulièrement frapper la cité. Pas de trace de Salem, bien qu'une grande partie des passagers soit amenée à retrouver de la famille, des amis ou bien même un ou une amante attendant sur les quais, parfois avec un panneau gravé d'un nom à l'effigie de la personne attendue dans les mains. Toujours est-il qu'une fois la grande porte passée, nous débouchons brusquement sur un large canal peuplé de barques pour la plupart trainées par de drôles d'animaux que je découvre pour la première fois. Des espèces de chevaux, mais en version poisson.
- C'est quoi ces trucs ?
- Des Yagara Bulls ma p'tite dame. saisit automatiquement un marchand à ma droite qui voit l'occasion de nous refiler l'une de ses montures.
Larson ne semble pas aussi dupe que moi. Avec sa mine renfrognée, il vient se placer devant le vendeur et darde un regard soupçonneux sur ce qu'il propose.
- Combien pour celui-ci avec une barque pour deux personnes ? Juste pour la semaine ? grogne-t-il déjà tout en sortant son porte-feuille.
- Dix mille berries, mon bon monsieur. répond l'homme d'affaire tout en se frottant mécaniquement les mains, réflexe qui trahit aussitôt sa supercherie à mes yeux et ne semble même pas étonner mon supérieur.
- Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi, je suis né ici, je connais les prix. Deux mille berries, à prendre ou à laisser.
Brusquement embarrassé par le ton peu cordial de mon camarade et par sa connaissance de la ville, l'homme ne sait plus où se mettre. Balbutiant suite à son échec, ce-dernier parvient finalement à nous bégayer un :
- I-il est à v-vous.
***
- Alors tu as grandi ici, hein ? C'est plutôt pas mal comme ville. Plus propre que Logue Town, j'aime bien le système de canaux et ces drôles de chevaux. fais-je tout en caressant le col de la monture qui hennit en réaction.
Placide, l'homme ne me répond pas. Je commence progressivement à mettre le doigt sur ce qui l'empresse de nous trouver un hôtel. Tremblant légèrement et regardant de façon chronique sa montre toutes les cinq minutes, le gaillard ne cesse de montrer à quel point son rendez-vous le stresse et l'anime d'une peur maladive bien reconnaissable.
- C'est une femme, c'est ça ?
- Ce ne sont pas tes oignons, Sweetsong, bon sang ! s'anime brusquement mon partenaire, me foudroyant aussitôt d'un regard mauvais qui termine de me convaincre de ne plus se mêler de ses affaires.
Cinq bonnes minutes supplémentaires passent dans un silence inconfortable avant que le vieillard n'indique au Yagara la proximité de la bâtisse dans laquelle nous comptons réserver de quoi dormir. A l'instar des autres grandes villes, pour leur plus grande majorité, il existait ici aussi des hôtels spécifiquement attribués à la Marine et au Gouvernement Mondial. Les frais de résidence étaient directement pompés dans les caisses des instances responsables, sous condition de se présenter avec une carte figurant le nom de l'établissement. Abordant à la rame près de ce qui s'avère être un enclos à Yagara Bulls, nous descendons alors de notre embarcation pour pénétrer dans un immeuble avec de lourdes colonnades détaillées de sculptures en guise de façade. Grande ouverte, la porte d'entrée donne presque aussitôt sur un guichet occupé par un homme arborant un drôle de képi rouge et un uniforme adapté.
- Deux chambres s'il-vous-plaît. Au nom de James Larson.
L'endroit est luxueux, avec un style vénitien à peine dissimulé. Un sol marbré et recouvert d'un épais tapis rouge moelleux qui grimpe les degrés de pierre et semble se poursuivre à chaque étage dans les couloirs correspondants. Le hall est relativement carré avec des escaliers de chaque côté, permettant de se rendre aux paliers supérieurs accueillant chacun un large balconnet faisant le tour du périmètre de la salle sur tous les étages.
- Classe, un vrai palais.
- Et comment comptez-vous procéder au paiement ?
- Envoyez la note au SAFER je vous prie. Voici la carte. exprime mon collègue tout en retirant le carton blanc de l'une des encoches de son porte-feuille et en la présentant au réceptionniste.
Un acquiescement suffit pour que l'homme termine son enregistrement sur son épais carnet et nous tende à chacun les clés de nos deux chambres.
- J'espère que vous apprécierez votre séjour à l'hôtel du Palace. Passez une bonne journée.
Grimpant les marches deux par deux pour accéder au troisième étage accueillant nos deux chambres, je ne peux m'empêcher de faire le tour de la balustrade et apprécier la hauteur de l'édifice. Levant les yeux au ciel, j'estime que l'endroit faire encore deux ou trois étages de plus. Cessant mes enfantillages, je viens finalement récupérer mes affaires et déverrouiller la porte de ma chambre.
- Magnifique. laissé-je échappée.
Enfin le confort, je demeure subjuguée par ce changement drastique entre ce à quoi m'avait habitué le CP8 et la richesse dans laquelle se vautre littéralement le CP9. Des rideaux brodés à l'or fin, des draps de soie, des tapisseries finement peintes : l'endroit est digne d'une suite royale et me rappelle étonnamment l'appartement où Fenyang m'avait invitée à Nanohana. Dans ce même style princier. Sans réfléchir je pose les sacs de vêtements sur le lit et me précipite dans la salle de bain pour découvrir...
- UNE BAIGNOIRE !
A peine ai-je donc fermé la porte à clé que je me dénude sans plus attendre et fais couler l'eau du bain tout en y ajoutant diverses poudres huiles laissées à ma disposition. Puis une fois le récipient rempli à sa moitié, je viens enfin goûter à la chaleur de l'eau du bout des orteils non-prothétiques. Satisfaite, j'entre alors progressivement dans la mousse et finis par plonger mon corps tout entier, restant quelques secondes en apnée avant de resurgir à la surface.
J'adore cette ville.