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À cause du fer, le cheval fut perdu (Part 1)


À cause du clou, le fer fut perdu.
À cause du fer, le cheval fut perdu.
À cause du cheval, le cavalier fut perdu.
À cause du cavalier, le message fut perdu.
À cause du message, la bataille fut perdue.
À cause de la bataille, la guerre fut perdue.
À cause de la guerre, la liberté fut perdue.

Tout cela pour un simple clou.

Benjamin Franklin.

Résumé de l'Acte 1:
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Acte 2 : À cause du fer, le cheval fut perdu.
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Logue Town


- Vous en avez mis du temps !
- Excuse-nous. Le cadavre ne voulait pas rentrer en tombe, ironise Émeline en se laissant tomber dans un canapé.
- Donc plus sérieusement ? Les obsèques de Cathia étaient censées s'achever depuis deux jours. J'ai fini par penser que vous aviez peut-être essuyé une attaque des hommes du prince.
- Non, rien de tel. Juste que les rituels de la peuplade qui l'a adoptée furent plus longs que prévu. Elle souhaitait reposer là-bas, sous le ciel étoilé. Elle y est désormais, répondis-je avec la désagréable sensation d'avoir un nœud coulant à la gorge.
- Tiens, c'est le bon moment pour ouvrir ce millésime vieilli de trente ans. Vas-y, porte un toast.  
- A Cathia ! Une spécialiste des départs sur les chapeaux de roue et une amie du mauvais temps. Tu me manqueras !
- Elle nous manquera.  

Nous dégustons cet élixir en silence. J'ai beau m'être préparé à mourir ou à perdre des proches dans cette ascension au pouvoir, c'est toujours difficile. Encore plus quand ça arrive d'une manière si soudaine. Dire qu'il y a juste trois semaines, elle plaisantait de tout et de rien dans cette même cabine ! Nous devons continuer son œuvre à elle et au professeur Daniel Jackson. De leurs vies, ils ont payé notre engagement de ne pas laisser la Confrérie arriver à ses fins. Au moins nous avons l'Œil de Râ.

- Tu dois définir la marche à suivre maintenant.
- Moi j'penche pour retrouver c'prince d'mes deux et de le buter pour d'bon !
- J'aurais dit quelque chose de semblable aussi, renchérit Émeline. Nous savons qu'il prépare un coup de force dans la principauté où nous avons de nombreux amis et clients, le prince souverain y compris. Tu dois l'avertir de ce qui se trame, Loth.
- Vous êtes bien naïfs tous les deux ! Les rois n'ont pas d'amis, juste des intérêts. Qui plus est, Médrick Greengrass III n'est pas un intime de Loth. Ce sera sa parole contre celle d'Ashenbrenner si jamais il venait à l'accuser de quelque chose. Nous n'avons aucune preuve de ce que nous avançons.
- Tu m’ôtes les mots de la bouche, Aella. Et si vous avez encore des doutes, considérez ceci. Kurt Ashenbrenner n'est que le troisième dans l'ordre de succession à la principauté de Myranah. Avant lui, il y a prince héritier et le frère cadet de Médrick. Ça va lui sembler invraisemblable qu'Ashenbrenner puisse fomenter quelque chose, d'habitude ce sont les dauphins qui préparent les putschs.
- Et si on lui montre l'bras d'Ashenbrenner que t'as coupé ?
- Ça prouvera juste que j'ai mutilé un membre d'une famille royale ! Fais un effort, Nox, dis-je en souriant.
- On est encore seuls donc ?  
- Jusqu'à ce qu'on trouve de quoi l'accuser formellement, oui.
- Le coup d'état, ce n'est sûrement pas pour tout de suite. N'oubliez pas que nous avons l'Œil de Râ. Même si Ashenbrenner venait à récupérer l'Œil de Tiamat, il ne pourra toujours pas trouver la Clava Thessara Infinitas.
- La quoi ?! demande Abigail, mon médecin personnel.
- Fallait suivre le briefing des débuts et pas rester à l'écart.
- J'suis là maintenant, expliquez, faites pas vos putes ! Alors, l'Œil, ça ouvre quoi ? Et j'te connais Loth, sers moi juste la version courte hein.
- Il n'y a pas de version courte qui tienne. Je te raconte tout ou rien. Nul n'a le droit d'occulter une page de l'histoire car un peuple sans histoire est un peuple sans âme.
- Ouais tu parles. Va dire ça au siècle oublié. Allez vas-y, raconte ton histoire.
- Je suppose que tu connais les grandes époques de l'histoire ?
- Ouais. La préhistoire, l'antiquité, le moyen-âge, le siècle perdu, l'Union Sacrée.
- Parfait. Alors ton cours d'histoire peut commencer.
- Mon dieu, j'aurais dû la fermer...

J'ai toujours été un amoureux de l'histoire, j'ai toujours adoré relater les épopées fantastiques de ces gens qui ont marqué de leurs empreintes le destin de l'humanité. C'est grâce à eux que j'ai très tôt su trouver ma voie dans ce monde. Je veux que dans un millénaire, un gamin se dresse devant sa classe et raconte la vie de Loth Reich. Tel est mon rêve. La clé de mon immortalité.
Pour expliquer ce que sont ces "Œil", je dois parler à Abi' de l'antiquité. Ma période préférée de l'histoire qui a vu naitre l'écriture, l'agriculture, les maths, l’architecture et l'astronomie. Cette époque glorieuse a pris fin il y a cinq milles ans avec le déclin du super-empire de Dakara. Ensuite, ce fut le moyen-âge, une période de sénescence, de guerres et d'obscurantisme. Englobant plus de la moitié des royaumes des quatre Blues, Dakara fut le premier super-empire au monde et servit de modèle au Gouvernement Mondial. Mais bien avant son avènement, il y a quelques neuf milles ans, quatre puissants empires -qualifiés de pré-Dakaranéens- dominaient les Blues : Valantis, Rœhnis, Magmatis et Thétis.

Valantis -où nous étions dernièrement- était habité par des humains "normaux". Rœhnis fut le premier empire Longs-bras bien avant Hungeria. Magmatis était la terre natale des Cornus et Thétis fut le premier royaume d'hommes-poissons des Blues. Ces quatre mastodontes vécurent en paix et développèrent de profondes relations commerciales mais surtout scientifiques. « Ça ce sont les faits, vérifiés et authentiques. » lui dis-je.
Selon un mythe, une société secrète appelée "L'alliance des Quatre Races" serait née de la collaboration entre les scientifiques des quatre royaumes. Cette Alliance aurait eu pour but de sauvegarder tout le savoir accumulé à l'époque en plus de nombreux trésors. «Tiens, regarde. Un marchand d'antiquité m'a vendu cette carte il y a bien des années et je n'y avais jamais prêté attention jusqu'à ces derniers temps. » fis-je en tendant à Abi un vieux parchemin tout fripé. Dessus, il n'y a pas une carte à proprement parler, pas de zone géographique reconnaissable, juste un simple dessin ressemblant vaguement à une grande table ronde divisée en quatre quartiers. Chaque quartier est pourvu d'une cavité formant une figure. Le pentagone d'une de cavités attire directement son attention.

- Hey ! L'Œil d'Râ peut très bien s'insérer dans c'trou là ! C'est quoi cette... c'est une table ronde ?
- Je dirais plutôt que c'est peut-être le premier coffre de l'humanité.
- Aella est plus proche de la vérité. C'est une sorte de coffre et c'est ça que la légende a appelé la Clava Thessara Infinitas. La clé des trésors infinis.
- Ça claque et ça sonne vachement aguicheur.
- C'est le but. Pour ouvrir la Clava, il faut d'abord la trouver. Et ensuite, il faut posséder les quatre Œil des quatre grandes civilisations pré-Dakaranéennes. L’œil de Râ, de Tiamat, de Susanoo et d'Olokun.
- Selon le message posthume de Daniel Jackson qui était le précédent propriétaire de l'Œil de Râ, le prince Kurt Ashenbrenner et la Confrérie possèderaient déjà l'Œil de Susanoo et d'Olokun.  
- D'accord, d'acc. On y vient, j'vais comprendre. En quoi un trésor vieux d'plusieurs millénaires va l'aider à prendre l'pouvoir ? Il veut financer l'effort d'guerre ?
- Il ne veut pas de guerre, il veut une opération chirurgicale. Mais surtout, il veut détenir une arme de dissuasion massive quand il prendra le pouvoir, une arme susceptible de faire reculer le Gouvernement Mondial.  
- Euh... Est-ce qu'on est en train d’parler d'une d'ces satanées Armes Antiques liées au ponéglyphe et toute c'te merdasse ?
- Non. La Clava, c'est sept mille ans avant le siècle perdu. Selon Jackson, la Confrérie veut apprivoiser le feu grégeois.
- Moi aussi j'le veux !
- L'feu grégeois des mythes ? L'feu capable d'bruler pendant des semaines ? Que rien n'peut éteindre, même pas l'eau, même pas l'manque d'oxygène ?
- C'est ça. Ce feu aurait vu le jour à l'époque de l'apogée scientifique des Quatre Races. Après notre dernière aventure, je ne suis plus enclin à classer ça en légende. Le feu grégeois a sans doute réellement existé et après en avoir testé la puissance, l'Alliance a craint sa propre invention, le carnage qu'elle pourrait faire si elle était vulgarisée. C'est ainsi qu'ils ont décidé d'en sceller la formule dans la Clava Thessara Infinitas.
- Myranah est une île des rares îles autosuffisantes des Blues. Ils exportent beaucoup et n'importent presque rien. Avec cette arme à sa disposition, Ashenbrenner peut par exemple enflammer la mer autour de l'ile pour en interdire l'accès aux cuirassés de la Marine. Enfin, théoriquement. Myranah n'est pas membre du Gouvernement.
- Tu es optimiste en pensant qu'il restera dans une position défensive. N'oublie pas qu'il n'est pas seul dans cette Confrérie.  
- Y a qui d'autres ?
- Si on savait...

La nef tangue sous les micros houles du port de Logue Town. Tous les cinq restons silencieux, réfléchissant sur la suite des évènements. Le prochain mouvement semble évident, il faut trouver l'Œil de Tiamat avant eux tout en considérant très imminente une confrontation directe avec des membres plus hauts placés de cette Confrérie. Déjà que nous ignorons à quel échelon se situe Ashenbrenner. Mais je ne me fais aucun souci pour l'Œil de Râ, je l'ai placé dans le lieu le plus sûr au monde.
Comment et où trouver l'Œil de Tiamat ? L'Alliance des Quatre Races étant supposément formée de chacun des plus hauts scientifiques des quatre empires, ils se partagèrent à l'époque les Œil. Râ à Valantis, Susanoo à Magmatis, Olokun à Rœhnis et Tiamat à Thétis.
Thétis, une légende parmi les cités disparues.

- Le message posthume de Jackson nous renseigne-t-il sur la manière dont la Confrérie est entrée en possession de l'Œil de Susanoo et d'Olokun ?
- Non, il dit juste "ils ont S et O". C'est Cathia qui a décrypté le message. Mais j'ai farfouillé et j'ai une théorie. Les deux semaines précédant la mort de Jackson, deux personnalités sont également mortes dans d'étranges circonstances sur North et West Blue. Oleg Koff, un célèbre antiquaire et Martha Kens professeur retraitée de l'Institut d’Histoire et d’Archéologie des Sables d'Hinu Town. Tous les trois se connaissaient et je pense qu'ils faisaient partie de ce que j'ai appelé l'Ordre de l'Œil.
- C'que t'as appelé ?
- Oui, dans plusieurs correspondances secrètes de Jackson trouvées à son domicile par Cathia, il fait plusieurs fois référence à un Ordre dont il serait le Grand Maître. Bref, je pense que lui et les autres savaient ce que contenait la Clava et ont formé cet Ordre pour en sauvegarder le secret. Dans une des lettres, il parlait de "la terrible responsabilité de Trois Héritages".
- Trois. Ça veut dire qu'il n'y avait pas de quatrième membre ? Que personne ne détient l'Œil de Tiamat ?  
- Ça tomberait sous le sens. Tout comme Jackson a trouvé l'Œil de Râ dans les vestiges de Valantis, celui de Tiamat doit être quelque part dans ceux de Thétis. Et c'est là qu'est l'os. Des quatre empires, seul Thétis n'a jamais été retrouvé. Ni ruines, ni artefacts, rien.
- Alors on fait quoi ? J'suppose qu'il doit avoir des centaines d'archéologues qu'ont penché sur c'cas non ? On peut juste retourner à nos affaires d'avant ?
- Quoi, tu veux qu'on laisse tomber ?  
- On a déjà d'quoi les empêcher d'ouvrir la Clava même s'ils la trouvaient. Si en plus un second Œil est perdu, ils sont pas prêts d'avoir leur feu grégeois quoi.
- C'est une réflexion sensée. Nous économiserons ainsi de l'énergie et de l'argent. Laissons-les se déhancher pour trouver l'Œil de Tiamat. De toute façon, ils viendront à nous alors pourquoi courir après des gens qui nous cherchent ?
- Parce que Loth se porte toujours à l'attaque ! Ces gens-là ont tué Cathia et son maître ! Hors de question de passer le savon ! Si nous ne pouvons pas trouver Tiamat alors on les attaquera pour leur arracher Olokun et Susanoo !  
- Je n'aurais pas mieux dit. C'est inenvisageable pour moi de demeurer dans l'immobilisme et dans l'expectative d'une attaque ennemie. Mais, Eme', laissons la confrontation directe à plus tard. Trouvons d'abord les ruines de Thétis et pour cela, Cathia avait une piste. Elle avait contacté un vieil ami commun qui doit d'ailleurs arriver dans...

Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! Toc !

- Frimeur. Tu avais prévu son entrée en scène.  
- Non, Shakran ne doit pas arriver avant dix-neuf heures. Qu'est-ce que c'est ?
- 'xcusez m'sieur. C'est Paul. Y a des gens pour vous ! dit la voix d'un des matelots derrière la porte.
- C'est ouvert, fais les rentrer, dis-je perplexe après avoir silencieusement demandé à Nox et Émeline de s’éclipser par une porte cachée. Le premier est primé et la seconde ne tient pas à être connue comme une de mes proches, pour la bonne marche de nos affaires.

La porte s'ouvre doucement. Le nouvel arrivant accapare toute mon attention. Il a légèrement rajeuni depuis la dernière fois que je l'ai vu et ses yeux bien plus alertes aussi. Il se fige dans l’entrebâillement et pendant ce qui me semble être des siècles, nous nous observons, dans le blanc de l'œil. Puis il s'avance et m'enlace comme un frère. Je lui réponds avec le même enthousiasme, je me rappelle comment ma conscience -oui j'en ai une parfois- m'a torturé quand il partit en coup de vent la dernière fois.  

- Aella, Abigail, je vous présente...
- L'ex-Colonel de la 19e Division des Marines de Bliss, Arsène Dickson alias La Truffe, marmonne Aella en lui tendant une main qu'il s'empresse de baiser. Loth parle souvent de vous comme du meilleur enquêteur qu'il n'eut jamais croisé.  
- Ah bon ? Que dit-il exactement ? Je suis tout-ouïe ! répondit-il avec cette joie de vivre, cette chaleur enfantine qui le caractérise tant.
- Je n'ai pas dit qu'il était le meilleur, juste le deuxième meilleur.
- Mais il est plus bon que toi ?

Oh oui ! Sacrément meilleur.
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- Dois-je vous demander comment vous vous portez depuis Bliss ?
- Je pense qu'on devrait commencer par se tutoyer, on a fait les quatre cent coups ensemble.
- Non, nous avons démantelé Ashura et Prometheus ensemble. Les quatre cent coups, c'est avec le prince régent Gaiden Grantz II de Bliss que je les ai faits. Tu es étais en désaccord et tu as préféré démissionner pour ne pas avoir les mains sales. Et ensuite tu es parti de Bliss.
- C'était une étrange époque de ma vie ou un conflit intérieur me tiraillait. J'étais tourmenté et vous prévoyiez de ruiner une partie de l'économie Blissoise pour les besoins de votre plan. La victoire à tout prix était un concept qui torturait ma conscience, je voulais sauver tout le monde. Le syndrome du héros comme tu l'appelé.
- Et maintenant, tu as solutionné ça ?
- Disons que le fait de quitter cette institution qu'est la Marine m'a épargné de douloureuses réflexions sur le bien ou le mal vu qu'il ne m'appartient plus d'appliquer la loi. Autrement, je t'aurais arrêté sur-le-champ.
- Pour quel motif ?
- Oh je t'en prie. Déjà, y a Zéro en ta compagnie, fit-il en désignant Aella. Ensemble, nous avons passé quatre mois à déjouer les montagnes financiers de cette femme et même si je suis parti avant que tu ne perces son identité, j'avais de quoi trouver tout seul. Miss, vous êtes une artiste et une mathématicienne de génie.
- Merci ! Ça fait plaisir de voir son travail reconnu et apprécié !
- Inquiète-toi plutôt...
- Il n'y aucune raison pour cela, je dis. Je suis venu t'entretenir de ton affaire actuelle.
- Naturellement, tu es au courant.
- Naturellement. Je t'exhortes à te rendre à Bliss.
- A Bliss ? Pourquoi faire ?
- La Confrérie y prépare un coup d'envergure.
- Vous savez quoi sur la Confrérie ?
- Pas grand chose. Je sais qu'ils sont au nombre de cinq et qu'ils sont très puissants. C'est un pot-pourri de gens avares de pouvoirs qui feront tous pour en accumuler la moindre parcelle supplémentaire. Depuis longtemps, je suis sur la trace d'un de leur membre qui se fait surnommer le "Cromagnon".
- LE Cromagnon ? Le seul l'unique ? Le fantôme révolutionnaire que tous les Marines des blues cherchent depuis dix ans ?
- Celui-là même.
- Que préparent-ils à Bliss ?
- J'ai de solides raisons de penser qu'il existe un complot visant la princesse Mirabella Greengrass.
- N'est-ce pas la dernière-née du prince souverain de Myranah ?
- Oui c'est la benjamine de Médrick Greengrass III. Les filles ne sont pas dans la lignée de succession selon les lois de Myranah, quel intérêt auraient-ils à s'en prendre à elle ?
- Depuis presque deux ans, Myranah négocie secrètement pour intégrer le Gouvernement Mondial. C'était un secret de polichinelle qui a fuité y a peu.
- Voilà qui explique que la Confrérie soit passée à la vitesse supérieure ! C'est une course contre la montre !
- C'est ça. Mirabella Greengrass étudie à Santa Maria, un célèbre pensionnat pour jeunes filles de la haute société situé sur l'île du Havre, dans les eaux territoriales de Bliss. Après les congés d'automne, le pensionnat s'apprête à rouvrir et selon ma source, la Confrérie planifierait de tuer la princesse tant qu'elle se trouve encore sur le territoire Blissois de sorte à déclencher un conflit diplomatique.
- Ouais ! Bliss c'est un des piliers du GM ! Leur plus grand soutien sur South Blue !
- L'idée est assez rudimentaire mais peut se révéler terriblement efficace s'il est mené à bien. Myranah est sur East Blue, donc une guerre est difficilement envisageable ; mais s'ils arrivent à monter le prince souverain contre Bliss en tuant sa fille, ce dernier ne voudra surement pas s’asseoir à la même table que les dirigeants Blissois, au conseil des rois par exemple. Ils saboteront irrémédiablement le processus d'intégration.
- Je suppose que le pensionnat où elle étudie est protégé non ?
- L'école possède un service de sécurité et la 19e Division a constamment quelques bâtiments dans les eaux alentours. Mais c'est d'une protection très rapprochée dont elle a besoin.
- Tu as toujours des contacts dans la Marine, non ? Avertis tes gens, le Cipher Pol où les gardes royaux de Myranah quoi. Moi j'ai autre chose à faire.
- Par exemple, trouver l'Œil de Tiamat ?
- Il est devin, Loth, c'pas possible.
- Nan, rien de tel, mademoiselle. Jusque que je connais des gens, qui connaissent des gens, ainsi de suite. Loth, connais-tu l'histoire du miséreux qui trébucha sur une pierre et découvrit un gisement d'or ? Crois-moi quand je te dis que protéger Mirabella Greengrass jusqu'à ce que tu élimines toute menace contre elle est la meilleure chose que tu aies à faire.

Et bien sûr, il a ce regard brillant de malice et pénétrant qui me fait dire qu'il sait ce qu'il fait mais aussi qu'il a une idée derrière la tête. On ne le surnomme pas La Truffe par hasard, il a un flair à nul autre pareil et je ne l'ai jamais vu se tromper. Je sais que je peux m'estimer heureux qu'il ait quitté la Marine, autrement, s'il y a quelqu'un susceptible de trouver d'accablantes preuves contre moi, c'est bien lui. Enfin, lui et l'autre femme-là, Plume Vagabonde. D'ailleurs, pour la première fois, je suis estomaqué de remarquer la ressemblance entre leur modus operandi. Durant ma toute première enquête sur le Réseau Ashura à Boréa, elle m'avait aiguillé vers le charnier qui m'a ensuite permis de confondre la génocidaire Marie-Curie. Sans me surcharger d'indices, elle m'a lentement poussé dans cette direction. Et mon instinct me dit que c'est ce que tente de faire Dickson en ce moment.

- Tu connais Plume Vagabonde, non ?
- La duchesse Anastasia Miroslava Féodorovna ? Oui, c'est sans doute la meilleure journaliste d'investigation au monde. Pourquoi ?
- Ne me la fait pas. Je te demande si tu as genre déjeuné avec elle avant de venir me voir ici. Avez-vous tenu une rencontre quelconque à mon sujet dans une cave sombre ? Tout comme toi maintenant, elle est apparue à un moment angulaire de ma vie, m'a fait le coup du vieux maître mystérieux puis a disparu. Et depuis, elle n'a cessé d'écrire sur mes "exploits" tout en déclinant toutes mes demandes de rencontre. Et plus globalement, depuis le début de l'année passée, j'ai eu l'impression qu'on me suivait, qu'on m'observait dans l'ombre. Et c'est maintenant que je me rends compte que cette impression fugace ne s'est évanouie qu'en trois occasions : quand je questionnais Plume Vagabonde sur son enquête à propos de la corruption à Boréa, durant les mois que toi et moi avons passé sur Bliss et durant les deux semaines où j'ai enquêté sur le Réplicateur de Boréa. Et le point commun de ces trois cas c'est que j'étais en présence de Limiers de génie, bien au-dessus de mon niveau.
- C'est toi qu'a tué le Réplicateur non ?
- Tué, oui, mais pour le retrouver et percer son identité, ce fut un travail d'équipe. Il y avait dans le groupe d'enquêteurs, un certain Kindaichi Doyle, le meilleur Limier qu'il m'ait été donné de rencontrer. Alors, tu n'as rien à dire, Arsène ? Ce n'est pas une coïncidence si à chaque fois que je suis avec l'un d'entre vous, je ne me sens plus épié. Parce que les gens qui m'épient n'y trouvent plus intérêt, parce qu'ils savent que vous leur ferez votre rapport, je me trompe ?  Pourquoi m'observez-vous ? Et surtout qui êtes-vous ?
- Z avait raison. Tu as rapidement mûri en un an.
- Z ?
- Ne t'inquiètes pas, ceux qui t'ont observé de loin ne te veulent aucun mal. Pas plus que Plume ou moi. Tels des diamantaires, quand nous dénichons une pierre brute et sans éclat, nous essayons de la polir jusqu'à ce qu'elle brille de mille feux. Tu avais déjà belle allure mais il fallait te tailler, arrondir les angles et te faire mûrir.
- Et "nous" c'est qui ?
- C'est une longue histoire que je te raconterai un autre jour. Pour l'instant, tu as rendez-vous au Havre et tu as une fille à protéger.
- Je ne suis pas un pion que vous déplacerez selon vos envies !
- Loin de moi cette idée. Cela dit, tant qu’on n’atteint pas le sommet, on est tous voué à être des pions de quelqu'un. C'est une chaîne alimentaire dont tu as conscience. Je n'ai pas d'ordre à te donner, tu n'as aucune obligation envers moi. Si je pouvais y aller, je l'aurais fait. Comme toujours, c'est à toi de choisir. Je laisse ce dossier ici au cas où tu changerais d'avis. Ne tarde pas trop, le recrutement est dans une semaine. On se reverra, cher frère.

[...]

- Ah ouais, tu as raison, ils se la jouent vraiment vieux maître avec toi ! Ils se prennent pour qui ?!
- Pour des gens plus intelligents. Ce qu'ils ont l'air d'être, visiblement. Je ne pense pas qu'on ait à craindre d'eux, ils ont plus l'air d'être des chasseurs de talent. Et puis, tu le reconnais toi-même que collaborer avec ces trois-là t'as fait évoluer.
- Sans aucun doute. Mais je n'aime pas l'idée qu'une organisation inconnue me surveille.
- Tu t'en doutais d'jà, ça fait pas grande différence maint'nant. La Confrérie, ça c'est dang'reux. Tu vas aller à Bliss ?
- Ai-je le choix ? Visiblement, Dickson semble penser que seule une surveillance discrète pourrait protéger la princesse et il ne fait pas confiance à la Marine ou aux gardes royaux qui ont peut-être été infiltrés par des hommes de la Confrérie. Si Mirabella meurt, son père tournera le dos au Gouvernement, s'isolant ainsi, ce qui fera le jeu d'Ashenbrenner. Nous aurons perdu.
- Pffff, c'est un manipulateur cet Arsène Dickson ! Il sait comment mettre les gens au pied du mur. Qu'y-a-t-il dans la chemise qu'il a laissée ?
- Une couverture. Le professeur d'histoire du pensionnat Santa Maria est parti à la retraire et ils cherchent quelqu'un pour le remplacer. Dickson veut que je m'y présente sous l'identité de Randolph Lang, petit-fils de James Lang.
- Jamais entendu parler.
- James Lang -Longs bras, bien sûr- est l'un des plus grands historiens contemporains. Vous devriez lire souvent...
- Pourquoi faire ? Il suffit d'te d'mander vu que tu sais déjà tout.
- Randolph Lang n'est pas une identité fictive et si Dickson veut que je l'endosse c'est qu'il sait que je ne serai pas dérangé.
- D'après la photo de l'individu, il faudrait que tu te laisses pousser la barbe. Et que tu portes des lunettes un peu plus fumées que les tiennes.
- Ah mais, c'est un aveugle le Randolph en fait !
- Ouh, tu vas devoir jouer le rôle d'un professeur aveugle dans un pensionnat de filles ? Attends, y-a-t-il moyen qu'on me déniche un poste de prof de maths aussi ? Je meurs d'impatience de voir ça. En plus, il est drôlement sexy avec sa barbe, Randolph.
- Ouais, tu vas t'faire dévorer tout cru par des pucelles en chaleur. Émeline, ton mec s'ra en perdition ! Si j'étais toi, j'l'attach'rais là pour qu'il bouge pas !
- Ben non, c'est Loth, tu le connais. Il fera juste "rangez ce string dans son tiroir et allez-vous en". Tu n'as aucun souci à te faire Émeline. Enfin, si parce qu'il semble asexué ton prince charmant.
- Arrêtez de raconter des âneries, Nox est revenu avec Shakran.
- Ooooouh la cinglante réplique bardée de jalousie de la mort qui tue !
- Pourquoi j'ai l'impression de surveiller une garderie d'enfants...
- Tu en surveilleras une vraie, très bientôt.

[...]

Sur le pont du bateau, quelques matelots s'affairent à des corvées de récurage mais la plupart lambinent ou dorment dans les hamacs sous le ciel crépusculaire de Logue Town. Accoudé au bastingage, Nox discute contrebande avec un homme-poisson qui semble accumuler à lui tout seul l'horreur et la crainte que l'humanité a envers sa race. « Loth, vieille fripouille, viens voir tonton ! » mâchonne-t-il de sa voix rauque et râpée. Il m'enlace par la taille et me soulève du parquet. Un peu trop démonstratif pour un type qui semble aussi sauvage. Mais tous ceux qui le connaissent bien savent qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

Spoiler:

- J'ai reçu l'message de Cat'. Chui venu aussi vite que possible ! Elle est où ?
- Prends place, on va te servir du saké vieilli en fut de noisetier ballotté par les vagues. Comme tu les aimes. Le meilleur de West Blue, tu en auras besoin pour digérer l'explication qui va suivre...
- Quoi ? Cat morte ? Nooooooooooooooooannnn ! Nooooooooooooooooooooon ! C'pas possssssssssssible ! Elle avait tant et tant à faireeeeeee ! Hinhinhinhinhinhinhinhinhin ! Nooooooooooooooooooooooooooooooooooooooon !
- Un peu trop émotif là non ?
- Trop de larmes également. Hey toi, viens m'essuyer ce torrent qui coule de ses yeux, on va avoir les chevilles dans la flotte à ce train-là, dit-elle à un larbin.
- Et maintenant il s'lamente par terre, super...
- Vous deux, avez-vous un cœur ?
- Non, j'ai vendu le mien.
- L'mien est dans mon cerveau.
- Tsé. Allez, relève-toi Shakran, elle est en paix maintenant. On lui a fait de belles funérailles, on a tout filmé, rien que pour toi. Elle est morte comme elle a vécu, en brave. Allez, relève-toi. Voilà. Non, non, éloignez cette bouteille, plus de saké pour lui, on a besoin de lui lucide.
- Mec, c'est la femme parfaite pour toi. Elle pourra t'bichonner quand tu s'ras vieux et croulant. J'sais pas c'que t'attends.
- Que tu te taises.
- Rêve toujours.
- Comprends-tu pourquoi j'ai besoin de toi, Shakran ? Il nous faut retrouver les vestiges de Thétis. La cité est peut-être engloutie par deux, trois milles mètres de fond, c'est ce que prétendent la plupart des spécialistes qui ont étudié la question. Beaucoup ont fait ces recherches en association avec des hommes-poissons mais ont échoué.
- Et qu'a-t-il de spécial notre Shakran ?
- C't'un coursier qui fait l'lien entre les guildes d'contrebandiers homme-poissons sur North Blue, répond Nox. Une cité perdue, c'est l'lieu idéal pour asseoir son trafic.
- Cathia pensait que Thétis a sûrement été déjà découverte par des contrebandiers qui se sont gardés d'en divulguer le secret parce qu'elle constitue la meilleure des planques pour eux. Sans compter l'or et les pierreries qu'ils auraient eu à piller. Malgré mon influence dans la mafia de North Blue, je n'ai jamais su trouver quelqu'un qui ait vu quelque chose ressemblant à une cité antique, immergée de surcroît. A part Shakran, je n'ai aucun contact dans les guildes disséminées d'hommes-poissons qui forment une puissante organisation indépendante de la mafia de North Blue. Et même lui en tant que coursier n'a jamais vu Thétis. Mais bon, maintenant qu'il sait ce qu'il cherche, il va se charger de secouer cette toile, on verra bien. Vous allez l'accompagner et retournerez sur North Blue.
- Ouais ! Home Sweet Home !
- 'ferait d'mon mieux. Pour Cat'. Hanhanhanhanhanhanhanahan ! Pou'quoi les meilleures... snif... snif... partent en premier.... nooooooooon !
- Mes sous-marins seront à votre disposition si d'aventure vous devrez suivre Shakran dans les profondeurs. Moi, je me rends sur South pour régler vite fait cette histoire et vous rejoindre. Nox, je te confie leur protection. Appelle Avada si besoin en est.
- On va essayer d'faire ça sans elle...
- Je t'accompagne sur South Blue, Loth, dit résolument Émeline.
- Ouuuuuuuuuh, final'ment, t'es pas sereine à l'idée d'Loth dans une basse-cour d'jouvencelles facilement impressionnables hein !
- Tu ne connais pas la nature de la menace, y aller seul est une mauvaise idée. Mon pouvoir pourrait t'être utile.
- Très bien mais tu ne traîneras pas dans mes pattes. Tu seras à Portgentil et je t'appellerais quand j'aurais besoin de toi.
- Ce que je comptais faire.  
- J'ai pitié de vous.
- Tu parles d'un amour vache.
- La ferme !
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Eaux territoriales de Bliss
Île du Havre
Jour 1

___________________________

- Non, non. Laissez les boys vous décharger. Vos affaires seront directement transférées dans votre chambre. Je suis enchantée de vous voir enfin, Professeur Lang, claironna une vieille femme à l'allure très sévère. Ses cheveux sèchement tirés en un parfait chignon lui donne un air d'autant plus intraitable. Je suis le Professeur Alice Cooks, directrice de ce pensionnat.
- Ravi aussi de vous voir enfin dans le monde physique, répondis-je en brandissant une main. Cooks la saisit avec enjouement. Il fait frisquet.
- C'est la mousson actuellement sur South Blue. Beaucoup de pluies, peu d'éclaircis. Mais ça pourrait être pire.
- Ah bon ?
- Le Havre est sur l'Allée des Tornades. Ça commence à partir d'août mais tous seront en vacances avant. Comme vous le voyez, nous avons calqué l'année scolaire sur les aléas climatiques.
- Non, je ne vois pas.
- Oh milles excuses, Professeur ! Je suis confuse, c'était juste une manière de parler. Encore navrée et...
- Blind Joke ! Ha ! Ha ! Ha ! Je vous taquine, Docteur. C'était juste une plaisanterie. J'adore les blagues ! Et rien n'est plus tordant que d'embarrasser quelqu'un à propos de son handicap. Ha ! Ha ! Ha !
- Ah ! Je suis soulagée, fit-elle en essuyant une perle de sueur tout en renfrognant la mine. Elle n'est pas du genre à goûter aux blagues et moi non plus -la plupart du temps- mais pour se fondre dans le personnage c'est nécessaire. Apparemment, le vrai Randolph Lang est un sacré farceur.
- Enseignez-vous, directrice ?
- Oui, je donne des cours de développement personnel.
- Du coaching donc ? A l'université de Jalabert de Boréa, c'est encore considéré comme une pseudo-science. Sans offense.
- Non, c'est rien, je suis habituée au scepticisme. Beaucoup de sciences ont ainsi commencé, j'espère qu'en faisant des preuves dans ce domaine, le développement personnel ne sera plus considéré comme un mensonge. Ça me rappelle les efforts de ce détective, c'est quoi son nom déjà ? Loth Reich, voilà.

Oh merde ! Je devrais trop la fermer moi...

- C'est un Long-bras comme vous. Vous en avez déjà entendu parler ?
- Oui, une fois ou deux.
- Pour résoudre ses enquêtes, ce jeune homme utilise le profilage psychologique, une branche balbutiante des sciences du comportement humain. Il se bat, de conférences en conférences pour faire découvrir ce procédé et le vulgariser, avec résultats à l'appui vu que c'est l'un des tous meilleurs détectives des Blues. Je fais de même avec le développement personnel. La connaissance et la transformation de soi, la valorisation des talents, ce n'est pas du flan quoiqu'en disent les plus septiques. J'aide nos pensionnaires à trouver leur propre voie en ce monde, ce qui n'est pas toujours facile quand on est destiné à être une héritière royale ou une princesse de palais.
- Vous prêchez un convaincu, directrice. Il m'a fallu puiser au fond de moi des forces dont je ne connaissais pas l'existence pour surmonter ma cécité à quinze ans.
- Je me disais aussi. Dans ce cas, je vous inviterais à un de mes cours pour que vous partagiez votre expérience avec mes étudiantes.
- Avec plaisir.
- Wouf ! Wouf !
- Quoi toi aussi tu as envie de trouver ta voie, Sinistros ?
- Mon dieu ! s'exclame-t-elle, une main sur le cœur, choquée. Est-ce bien un Canis lupus majoris cornibus ?
- Vous avez l’œil expert. Il s'appelle Sinistros et c'est mon partenaire depuis dix ans.
- J'ignorais que cette race était utilisée comme chien pour non-voyants. J'ignorais même que cette race existait encore.
- Ils sont classés quasi-éteints mais il en demeure quelques meutes éparses dans les Daemon Hills. Dis bonjour au Docteur, Sinistros.
- Wouf !
- C'est un bon chien. ATCHOUM ! ATCHOUM !
- Vous êtes enrhumé ?
- Allergique à la lavande contenue dans le shampoing dont ma servante s'est servie pour laver Sinistros.
- Wouf ! Wouf !
- C'est un bon chien vous voyez ? Il dit qu'il est désol... ATCHOUM !
- Oui. Oui. Il faut y aller, le carrosse n'attend que nous.

Elle n'aurait pas affiché son dégout si elle savait que j'y voyais aussi bien qu'elle. Elle s'éloigne rapidement de Sinistros avec une moue écœurée. C'est toujours la première réaction qu'ont les gens qui pensent connaitre cette espèce et je ne m'en lasse jamais. Sinistros non plus. Je tire sur sa laisse et me laisse guider par lui. En vrai, nous sommes partenaires depuis quatre ans et c'est dans les Daemon Hills, à quelques trois cent kilomètres d'ici que je le trouvai, tétant le sein de sa mère massacrée. Depuis, je le recueillis et le fis entrainer par le maître-chien de mon maître, le Gila. Sinistros est rompu à la recherche et détection d'engins explosifs, de drogues et bien sûr de personnes. Le cocher m'aide à monter dans la voiture qui s'ébranle du port.

Loin à l'horizon, on peut apercevoir les silhouettes floues des croiseurs de la 19e Division des Marines de Bliss patrouillant dans les eaux. La zone est très sécurisée, aucune chance pour des pirates de venir razzier le coin. Pour atteindre la princesse Mirabella, seule une infiltration aurait une chance de fonctionner. Le tueur du Cromagnon est-il déjà sur l'ile à attendre une opportunité, ou accostera-t-il après moi ? Il peut être n'importe où et n'importe qui. Pensionnaire comme professeur ou domestique. Le travail qui m'attend s'annonce déjà de longue haleine mais j'ai au moins un acquis certain. Si un tueur doit s'infiltrer sur l'ile, il passera forcément par le port, le seul de l'ile, le seul endroit où il est possible d'accoster. Et pour cause, l'intégralité du littoral du Havre est entourée d’une chaine de collines et de montagnes. La Ceinturière.

- Parlez-moi un peu de la géographie de l'île, s'il vous plait. J'ai lu un bout sur la Ceinturière.
- Ah oui. On l'appelle ainsi parce que la chaine montagneuse ceinture l'ile.
- C'est d'un génie ! Ha ! Ha !
- Oui, le colon qui a découvert l'île le premier n'était pas des plus éclairés. Bref, que dire d'autres. Au nord de l'ile, on trouve le seul lac, le Lac Rose.
- Parce que ses eaux sont rose ?
- Oui. La version scientifique veut que la teinte soit due à un champignon, le même qui donne la teinte rose aux flamands. D'ailleurs, on peut trouver une colonie de flamands roses sur ses berges.
- Ça doit être sacrément magnifique à voir.
- Oh oui !
- Et que dit la version populaire ?
- Elle parle d'une fille de basse naissance, tellement amoureuse de son prince qu'elle partit se suicider dans le lac quand son bien aimé fut forcé d'épouser une fille de son rang pour préserver l'intégrité de son royaume. Depuis, le lac se serait teinté en rose, contaminé par l'amour inconditionnel de cette pauvre fille. Une autre légende prétend qu'elle se serait réincarnée en flamand rose.
- Trop rosé à mon goût.
- Au mien également. La Roseraie est une rivière qui prend sa source dans le lac, serpente dans les terres pour se jeter au sud, dans la Ceinturière en formant une cascade rosée de toute beauté également. D'ailleurs, nous arrivons sur les berges là, la Roseraie divise l'ile en deux parties Ouest et Est et seul ce pont-levis permet de l'enjamber.

Le Havre

C'est assez bluffant comme spectacle, de voir cette rivière aux eaux roses ruisseler. La puissance qu'est la sienne est encore plus stupéfiante. La Roseraie s'écoule avec un fort débit rendant très périlleux une traversée à la barque. La nage semble du domaine de l'impossible tant ses eaux bouillent avec violence et vrombissement. La seule structure humaine dans la rivière, c'est l'ilot -ressemblant vaguement à un château d'eau- où se rejoignent les tabliers Ouest et Est du pont-levis. Je devine que c'est de là que sont actionnés leurs levées et replis. L'ilot est inaccessible depuis les deux rives, quasi-imprenable à moins de brasser l'élément eau. Celui qui a construit les lieux a pensé forteresse et sécurité. Le b.a.-ba quand on se propose d'accueillir les princesses et héritières des plus grandes noblesses et fortunes des Blues.

- Nous traversons le pont-levis, dit Cooks en bon guide. C'est l'un des premiers édifices à avoir été construits sur l'ile, ce qui a nécessité des travaux colossaux. Vous entendez ce boucan ? C'est que la Roseraie a un débit de 100 000 m3/s. ELLE EST DANS LE TOP 3 DES COURS D’EAU LES PLUS PUISSANTS DE SOUTH BLUE ! crie-t-elle pour couvrir le bruit de la déferlante plus bas.
- POURQUOI UN PONT LEVIS AU FAIT ? hurlai-je à mon tour.
- QUESTION DE SÉCURITÉ ! DE 18H à 6H DU MATIN, LE PONT EST LEVÉ ET PLUS PERSONNE NE PASSE SAUF PERMISSION EXPRESSE DE MA PART ! C'EST QUE NOMBRE DE NOS PENSIONNAIRES NE SONT PAS LÀ DE LEUR PLEIN GRÉ ALORS LA SÉCURITÉ EST DRASTIQUE POUR ÉVITER TOUTE FUGUE QUI LES METTRAIT EN DANGER. SANS COMPTER QUE DE PART LEUR ASCENDANCE, CERTAINES SONT DES CIBLES IDÉALES !
- DES CIBLES ? Y-A-T-IL UN RISQUE SÉCURITAIRE ? VOS PENSIONNAIRES ONT-ELLES DÉJÀ ÉTÉ KIDNAPPÉES OU QUELQUE CHOSE DU GENRE ?
- NON, NON, IL N'Y A JAMAIS EU AUCUN CAS DE DISPARITION, PAS UN SEUL EN DEUX SIÈCLES DE PRESTIGE. SINON, VOUS VOUS DOUTEZ QUE NOUS SERIONS FERMÉS DEPUIS LONGTEMPS !
- JE SUIS RASSURÉ !
- Et moi donc ! C'est toujours usant de parler en vociférant de la sorte. Nous sommes de l'autre côté maintenant. Il y a une forêt devant nous, on l'appelle la forêt interdite.
- Pourquoi ?
- Les pensionnaires n'ont pas le droit d'y aller sans escorte. C'est une forêt tropicale, touffue, qui regorge d’essences végétales très rares et utilisées par nos étudiantes en pharmacologie. Elle est aussi pleine de moustiques.
- Et de prédateurs ?
- Bien sûr que non, quelle idée saugrenue ! dit-elle sèchement. Enfin, il y a quelques serpents forcément mais la majorité du règne animal est composé d'herbivores et de petits carnivores. Chacals, renards, opossums...
- Je vois. Serai-je le petit nouveau dans le coin ?
- Comment ça ?
- Je veux dire, dans le corps professoral, y a-t-il des nouveaux à part moi ?
- Non, vous êtes bien le seul nouveau. Sinon, nous avons recruté un certain nombre de nouvelles têtes dans le personnel de soutien. Plusieurs ménagères, quelques jardiniers et j'en passe.
- Je vois, fis-je vivement intéressé. De nouveaux venus, des infiltrés. Et pour en revenir à la sécurité qui me tient tant à cœur, avons-nous des vigiles en cas de pépin ?
- Nous passons justement devant. Il y a une petite force exclusivement féminine de cinquante agentes de sécurité. Elles sont entrainées comme des Marines d’Élites et sont communément surnommées "Amazones" en référence au peuple Amazone de Grand Line.

La garnison qui abrite les Amazones du Havre a une forme d'accent circonflexe. Sa localisation non loin de la berge en fait une seconde place forte si le pont venait à défaillir. Cela dit, cinquante éléments seulement, j'espère qu’elles sont d'un bon niveau, un Marine d’Élite lambda n'étant impressionnant que pour le commun des mortels. J'en vois une en faction à la devanture, droite comme un "i", habillée d'un treillis aux teneurs rosées et coiffée d'un képi. Nous empruntons une large route pavée. A notre droite, il y la forêt interdite et ses arbres géants mais si resserrés qu'on se demanderait si un homme pourrait s'y faufiler. Elle est bien vivante en tout cas, toutes sortes de piaillements d'oiseaux nous parviennent. Puis tout à coup, un son qu’on dirait sorti d’une trompette. « Ça c’était un barrissement d’éléphant où je ne m’y connais pas ! » dis-je en faisant semblant de sursauter.

- En effet, il y a un troupeau d'éléphants nains dans les bois.
- Je ne suis pas le seul à posséder un animal en voie de disparition alors.
- Nous essayons de les réhabiliter pour l'Institut Blissois de la Nature. Nous arrivons maintenant au niveau du dortoir de nos chères pensionnaires.
- Combien sont-elles actuellement ?
- Milles cinq cent. Âgées de six à vingt-cinq ans.
- Ça fait beaucoup.

Encore une fois, nous passons sans nous arrêter. Je sens que je viendrais fouiner ici très bientôt. Je note que de la berge, il faut environ un quart d'heure à petit trop pour gagner ce dortoir. Deux minutes à tout casser pour quelqu'un de mon niveau. Un magnifique jardin étale ses couleurs, juste devant le dortoir. Les filles de tous âges s'y promènent, jouent à cachecache sous des bosquets pour les plus petites ; les plus grandes s’allongent sous les arbres, un bouquin à la main. Beaucoup nous suivent des yeux à notre passage et semblent concentrer leurs intérêts sur le barbu que je suis. Ça me rappelle une pique de Zéro deux jours plus tôt. « Le fait que les agents de sécurité soient des femmes répond-il à un besoin précis ? » demandai-je en me doutant déjà de la réponse.

- Oui, les parents sont bien sûr plus tranquilles quand le personnel est uniquement féminin.
- Mais je ne suis pas le seul homme tout de même ?
- Non, il y a dix hommes au total sur l'ile, essentiellement dans le personnel de soutien. Les cochers, les portefaix, les garçons d'écuries, des tâches d'hommes en gros. Dans le staff professoral, avec mon adjoint le vice-directeur Jordi Espéranto, vous serez deux hommes.
- Tant mieux. J'ai feuilleté le manuel de présentation de votre institut -merci de l'avoir édité en braille rien que pour moi- et j'aime beaucoup le système de maisons dans lesquelles vous répartissez vos étudiantes.
- C'est une tradition propre à notre enseigne. Quand elles sont en âge d’entrer au collège, elles passent un entretien avec un comité à l’issue duquel elles sont réparties entre quatre maisons qui ont chacune leurs particularités et leurs noblesses. Celles qui font preuve de minutie, d’obéissance à l'ordre préétabli, d'une volonté de fer et sans faille sont envoyées chez les Akainu. Nos pensionnaires les plus introverties, les incertaines et les moins sures de leur choix d'avenir tout en étant parfois capable d'une certaine témérité voir impulsivité font leurs études chez Kizaru. Entre parenthèses, c'est avec les Kizaru que j'ai les plus grosses heures de cours.
- J'imagine bien. Elles ont l'air de nécessiter du développement personnel.
- Oh oui ! Les plus retorses, celles qui justifient la fin par les moyens et font preuve d'un esprit tactique et planificateur sont envoyées chez Kurohige. Les libres penseurs servent chez Roger. Celles-là ont l'esprit d'initiative, une volonté de vivre leur vie comme elles l'entendent et plus que tout, en profiter. Les personnalités les plus extraverties et naturellement leaders se retrouvent dans cette maison.
- Très intéressant. Je pense que je serai chez Kurohige si j'étais un pensionnaire. Mais quid du politiquement correct ? Bliss est le plus grand soutien du GM sur South Blue, les autorités vous ont vraiment laissé nommer deux de vos maisons aux noms du premier roi des pirates et de Marshall D. Teach, un ancien Empereur Pirate qui a bien failli être le second roi ?
- Cent ans après, qu'on les maudisse ou les bénisse, ce sont des personnages appartenant à notre histoire. Bien sûr, nous n'en faisons pas l'apologie et nous n'enseignons pas à nos filles à être pirate mais nous ne les endoctrinons pas non plus dans le strict respect du Gouvernement Mondial. Beaucoup d'entre elles viennent de nations qui rejettent ledit Gouvernement. Santa Maria est un institut neutre qui ne prône que des valeurs générales. Nos pensionnaires ont toute la largesse de se faire leurs propres idées sur le monde.
A notre droite, nous longeons à présent le Bloc A.


Ledit Bloc s'étend sur plus de deux kilomètres. D'après les explications de Cooks, il comprend salles de cours, amphi, cantines, différents terrains de sports et les bureaux de l'administration. Plus loin vers l'Est, nous arrivons au Bloc B qui abrite les appartements du corps professoral, les dortoirs du personnel de soutien et les cuisines. Mon point de chute. La géographie des lieux ne m'est pas du tout favorable. Chaque soir quatre kilomètres me sépareront de celle que je dois protéger alors que le tueur est peut-être plus proche. Comment la suivre tout en donnant des cours ? Voilà une question qui mériterait d'être résolue par un Kurohige.
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Selon les informations qui m'ont été transmises par Dickson, Mirabella Greengrass est une jeune femme de vingt-et-un ans, en troisième année d'histoire ce qui faisait de moi son professeur principal. Trois heures après mon arrivée, j'ai mon premier baptême du feu avec les étudiantes en première année de médecine. Ici, l'histoire est tournée vers les épidémies, pandémies et recherches qui ont révolutionné la médecine jusqu'à notre ère. Au fond de la classe, Cooks prend note et veille au grain. Ce n'est pas la première fois que je divulgue mon savoir, j'ai maintes fois donné des cours de profilage et de criminologie dans plusieurs académies de Marines mais aussi aux universités de Bliss et de Boréa. Mais c'est mon tout premier cours d'histoire et j'ai eu une semaine pleine pour préparer chacun des modules en me servant des milliers d'ouvrages que ma mémoire eidétique a flashé dans le passé.

- Très bon cours, Professeur, je n'en attendais pas moins de vous ! J'aime la passion qui suinte de vos exposés.
- Il faut aimer et adorer transmettre son savoir. Les élèves sont très disciplinées aussi.
- Ce sont des Akainu, elles respectent l'ordre établi. Demain vous avez cours commun d'histoire avec les troisièmes de Roger et Kurohige. Attendez-vous à du chahut.
- Ah. Viendrez-vous ?
- Non, ma tournée d'inspection est terminée, je suis conquise. Vous assurerez, dit-elle avec un sourire avant de s'en aller.

Faire semblant d'être aveugle vous donne l'opportunité d'observer les véritables réactions des gens quand ils sont convaincus que vous ne les regardez pas. Dans l'immense salle des professeurs, je me familiarise avec mes collègues de tout bord ; des pointures à l'instar de la vénérable Miyuki Aso, quatre-vingt étés et toujours pas d’Alzheimer ; d'illustres inconnues comme Jeanne Finley, monitrice, qui est revenue de son cours totalement barbouillée de sauce tomates dont l'ont aspergée les terribles garnements de CP1. Nous sommes soixante en tout dans le corps professoral, m'a-t-on appris. Et tous ont plus de deux ans d'ancienneté entre ces murs. La logique me force à chercher mon tueur ailleurs mais rarement la logique m'a aidé à dénouer une affaire.

Dans l'après-midi, je donne un second cours aux pensionnaires de Kizaru en dernière année. Cooks n'exagéraient pas quand elle déclarait que les étudiantes de cette maison étaient des incertaines pathologiques. En fait, il serait plus judicieux de dire que c'est la maison des extrêmes. Quand elles sont incertaines, ça va jusqu'au catastrophisme voire l'hypocondrie ; quand elles ont confiance en leurs choix, elles font preuve d'une arrogance démesurée. Très fidèle image de l'Amiral Kizaru, dont le singe jaune blasonne leurs écharpes. Rapidement, mon cours d'histoire se transforme en une sorte de séance de psychiatrie ou chaque étudiante me confie ses peurs de l'avenir, ou sa confiance inébranlable en ses choix même si toute la famille derrière doit en mourir. J'étais content d'entendre sonner la cloche indiquant la fin des cours. Il est alors dix-huit heures et j'image que le pont-levis doit être relevé à présent. Il est temps d'aller faire une promenade.

Sinistros en laisse, ma canne blanche à la main, je me laisse apparemment guider par mon compagnon canin. Après m'être changé dans mes appartements, nous prenons la direction de l'ouest, vers le dortoir des pensionnaires. A cette heure, le soleil a déjà disparu derrière de lourds nuages qui annoncent l'arrivée d'un orage. Il y a encore beaucoup de filles dans le Bloc A, étudiant en groupes dans les salles de classes. Un troupeau de Kizaru me saluent joyeusement et d'autres que je devine de Kurohige s'empressent de parler à messe basse quand je passe. J'aperçois quelques Amazones se déplaçant par duo, patrouillant ci et là. Le dortoir arbore une forme d'étoile à quatre branches où chaque branche est allouée à une maison. Pour y rentrer, on tape un mot de passe changeant sur un clavier. Le mot secret est censé n'être connu que des pensionnaires des maisons mais aussi l'Amazone qui garde la porte de chaque branche. Elle veille à faire entrer les toutes petites. Les étudiants de Roger logent dans la branche Ouest, donc Mirabella également.

- On fait un petit repérage ? On inspecte la marchandise ? dit une voix courroucée.

Adossée à un arbre à ma droite, une blonde, cigarette au bec. Son regard en dit long, elle me connait et a un sérieux grief contre moi. Enfin, contre mon personnage, le risque habituel quand on se glisse dans la peau d'un inconnu. Je reste impassible, attendant de savoir ce qu'elle reproche à Randolph Lang. Et je tombe des nues. « J’ai dit à Cooks que c’est une connerie d’inviter le loup dans la bergerie ! Elle a balayé de la main mes accusations, disant que t’as été blanchi. Mais moi je t’ai à l’œil, gros obsédé ! Je sais que tu les aimes jeunes ! T’avises pas d’en approcher où tu t’en sortiras pas aussi indemne cette fois ci ! » assène-t-elle dans un murmure avant de s'éloigner en laissant une forte odeur de tabac dans son sillage.

- Wouf ! Wouf !
- T'inquiètes, moi aussi je me demande ce que c'était que ça. Mais au moins, j'ai pris sa photo avec l'escarpolaroid.

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Allô ? Ça se passe ton premier jour ?
- Oui plutôt bien, je me promène et chemin faisant, j'ai fait une drôle de rencontre. Une femme, blonde, la trentaine, yeux bleus, un tatouage d'hirondelle dans le cou. J'ai questionné une pensionnaire juste après, la femme s'appelle Nolande Shearer.
- Noté. Qu'a-t-elle fait ?
- Je crois qu'elle a accusé Lang d'être un pédophile.
- Quoi ?
- Elle a dit, je cite : "je sais que tu les aimes jeunes" et m'a traité de "gros obsédé". Apparemment, elle a milité contre la venue de Lang ici, donc ils ont un passif. Appelle Dena, fais secouer nos toiles, je veux tout apprendre sur elle et sur Lang ; je ne le connais qu'en tant qu'historien. S'il y a des dossiers sales dont je dois être au fait, je veux le savoir. Maintenant, je vais me retrouver fliqué par une femme convaincue que je suis un prédateur sexuel, ça ne va pas me faciliter la mission.
- Tu connais notre adage. La seule journée facile, c'était hier.
- Je sais. Elle vient de moi, cette devise.

[...]
22h

Le vent claque et fouette. La pluie tombe drue et une myriade d'éclairs zèbrent le ciel. L'orage est au rendez-vous et c'est le moment que je choisis pour éprouver la sécurité des dortoirs. Laissant Sinistros dans l'appartement, je me faufile au dehors puis choisis de m'élever pour plus de discrétion. J'utilise la technique de la Rencontre du Troisième Type qui me permet littéralement "d'agripper l'air" comme s'il s'agissait d'un élément solide. C'est une technique analogue au Geppou du Cipher Pol à cette différence qu'au lieu de bondir sur mes pieds, j'utilise mes mains. Un bond après l'autre, je me propulse tel un singe qui voltige d'arbre en arbre en arbre. Au sol, je prends le risque d'être vu alors que par ce temps exécrable, je suis totalement furtif dans les airs.

Je passe au-dessus du terrain de volley sis dans le Bloc A et poursuis ma progression vers l'occident. Les lampadaires alimentés aux flash-dials projettent toujours une timide lumière dans la cour baignant sous une trompe d'eau. Le dortoir est en vue, des lueurs filtrent des fenêtres. Bien que les pensionnaires soient interdites de sortie après vingt-heures, les plus âgées restent éveillées à l'intérieur aussi longtemps qu'elles le désirent. Comment suis-je supposer protéger Mirabella, je me le demande toujours. Elle pourrait très bien être à la merci de son bourreau là maintenant, alors que moi je me balance à cent pieds du sol. Elle pourrait dormir à côté de son bourreau et moi je serai à quatre kilomètres plus loin. A moins que je ne trouve, tue et dépossède Ludwig Van Ghost de son pouvoir, je n'aurais pas le don d'ubiquité. La seule manière efficace de la protéger c'est de trouver la menace et de l'éliminer.

- Tiens, tiens, ce n'est pas du tout étrange, marmonnai-je.

A mes douze heures, j’aperçois une silhouette encapuchonnée se déplaçant vivement. Elle se dirige vers la forêt. Je change de direction et accélère la cadence. L'ombre disparait dans les premiers arbres de la jungle et moi j'en suis encore loin. Dix minutes plus tard, je survole la canopée mais j'en ai perdu la trace. Je jure et me mets à errer dans l'espoir de la retrouver. Chose faite un quart d'heure plus tard alors que j'allais renoncer, frigorifié par la morsure du vent. Ils sont deux maintenant, à se tenir face à face dans une clairière. Que faire ? Le vent siffle tel un monstrueux serpent et m’empêche d'entendre ce qu'ils disent alors je me laisse doucement descendre sous la frondaison et atterris dans un teck.

- Conclut. Cent millions.

C'est une voix d'homme. Elle vient de l'encapuchonné à ma gauche. Ils se serrent les mains pour sceller leur accord puis un grondement infernal survint, suivi d'un bruit de cassure. Je regarde dans la direction du son et voit un arbre prendre feu avant de tomber de biais. Frappé par la foudre, sûrement. Je reporte mon attention sur mes sujets et... plus rien. Disparus. Sans déconner, j'ai tourné la tête l'espace d'une seconde seulement ! Précipitamment, je porte mon regard à trois cent soixante degré mais je ne distingue aucun mouvement particulier aux alentours. Il pleut toujours à verse, le vent vrombit toujours autant. Une seconde fois, je prends de la hauteur ; au moins, me dis-je, je devrais apercevoir l'ombre que j'ai suivie. Rien. J'hallucine, ils ne peuvent être aussi rapides ! Je continue mon ascension vertigineuse jusqu'à planer à quelques deux cent pieds. De là, j'ai un panorama sur tous les blocs mais aussi sur la Roseraie et le pont-levis. Ses tabliers sont bien levés, mais aucun signe de ma cible qui semble s'être proprement volatilisée.

[...]
Jour 2
___________________________

Après ma déconvenue de la veille, je retournai à mes appartements, obnubilé par la scène dont j'avais été témoin. Un accord valant cent millions passé entre deux individus au plus profond de la forêt interdite. Était-ce la tête de Mirabella qui était mise à prix ? Et qui sont ces individus ? Je m'en voulais d'avoir détourné l'attention d'eux ne serait-ce qu'une petite seconde. Malgré l'heure tardive, j'appelai Émeline et la mis au courant de cette nouvelle donne.
Le lendemain, alors que je me prépare à aller en cours sous les coups de six heures, je rumine toujours cette rencontre et milles questions éclosent dans ma tête.

Toc ! Toc ! Toc !

- C'est la femme de chambre !
- Non, tu déconnes...

La porte de ma chambre s'ouvre laissant entrer Émeline habillée d'un bleu de travail, tirant un sceau monté sur roulette où étaient entreposés des balais et autres nécessaires à nettoyage. L'exaspération résiduelle due à mon échec de la veille se retrouve revigorée et portée à son comble. « J’ai un double des clés, vous pouvez rester et me voir faire ou aller travailler, monsieur » fit elle avec sourire en fermant la porte derrière elle après avoir vérifié que le couloir était vide.

- Même si ça va à l'encontre de tous mes principes, je brûle d'envie de t'en coller une.
- Parce que je fais mon boulot ?
- Je t'avais dit de rester à Portgentil !
- Oui sauf que deux infiltrés valent mieux qu'un ! Et après t'avoir observé toute la journée d'hier, force est de constater que ma couverture est plus efficace que la tienne, répondit-elle avec un air dédaigneux que je ne lui connaissais pas. Moi, je peux rentrer et sortir du dortoir des filles. Hier, j'ai fait le ménage chez les Roger et j'ai vu Mirabella. Tu l'as déjà aperçue, toi ?
- Non.
- Bah voilà ! Maintenant dehors, je dois laisser la porte ouverte quand je fais le ménage, c'est la procédure.
- Ce n'était pas toi hier dans la forêt ?
- Bien sûr que non ! Qu'est-ce que j'irai faire là-dedans ?
- Je l'ignore, tu m'as déjà désobéi une fois, dieu sait ce que tu me caches d'autres.
- Haha, très drôle ! J'ai mis Dena' sur le coup pour la blondasse et le vrai Randolph Lang, on devrait avoir les résultats dans la journée. Sinon, j'ai déjà rassemblé des informations sur certaines de tes élèves d'aujourd'hui. Un début de profilage comme tu me l'as appris, dit-elle en sortant un dossier de son tonneau.
- C'est en braille.
- Tu es censé être aveugle ! J'ai caché une embosseuse dans mes affaires pour pouvoir t'imprimer plein de trucs en braille. Ça va être super !
- C'est ça, prend ton pied. Maintenant que tu es là, n'oublies pas de cartographier les lieux.
- Dès demain, on devrait avoir un plan complet. Finalement, ça t'a traversé l'esprit que mon pouvoir serait utile, n'est-ce pas ?
- Il est toujours utile. Je voulais juste te garder en sécurité. Il se trame des choses ici, en rapport avec notre mission ou pas. Quand une affaire de l'ombre coute cent millions, il faut s'attendre à du grabuge. Regarde où tu mets les pieds.
- Hier, c'était facile.
- Voyons ce que donnera aujourd'hui.

[...]
Loth Aka Pr. Randolph Lang

- Bonjour, je suis Randolph Lang, votre nouveau titulaire en histoire.
- Woauf !
- Et lui, c'est Sinistros, mes yeux. ATCHOUM ! Et accessoirement, il me cause aussi des allergies...

Mouvement de recul de la majorité de la classe puis elle s'emplit de murmures tout azimut. Je réclame le silence une fois puis deux sans qu'on ne me prête d'avantage attention. La salle comporte quatre rangées, les deux de droites sont occupées par les étudiantes de Kurohige dans leurs uniformes noirs et les deux de gauches sont dédiées aux Roger habillées d'orange. La directrice Cooks ne se foutait finalement pas de moi. « Silence ! » que je crie sans résultat. Bon, aux grands maux, les grands remèdes. « J'ai. dit. Si-len-ce ! » L'explosion du mur, éventré par mon poing recentre leurs attentions sur moi. Elles se taisent, bouches bées pour certaines, émerveillées pour d'autres. Là, je viens de griller mon apparence de professeur aveugle inoffensif mais ce n'est peut-être pas un mal qu'on ne me prenne pas pour une quiche.

- Si vous avez des questions, vous levez la main, ensuite je vous donnerai la parole. Vous vous lèverez, vous vous présenterez, et poserez votre question. Autrement, le seul qui parlera sera moi. Il est peu de choses que j'abhorre autant que le bavardage.
- Sans vous offenser, vous êtes aveugle Professeur, répond d'une voix goguenarde une Kurohige assise au troisième rang de la première rangée. Comment le sauriez-vous si quelqu'un lève la main ?
- De la même manière que je sais que vous vous appelez, Mashalla Ali, dixième fille de Dellé Ali, Grand Vizir de Yallabah. Votre shampoing préféré c'est Flame Dancing ; votre animal préféré, le cygne, même si vous faites croire à vos amis que c'est le scorpion ; votre couleur préférée le rose mais à vos amies vous dites que c'est le noir. Ah oui, le piercing du nez, très mauvaise idée, ne cédez pas à l'influence de Mlle Webb qui est assise au fond. Elle n'est pas plus gothique que vous.

Merci Eme' pour ce profilage élémentaire. En divulguer plus que de nécessaire sur des gens a toujours le don de leur clouer le bec en public. Mashalla se tasse sur elle-même et fixe son livre comme s'il était devenu très intéressant tout à coup. Toutes se regardent gênées, se demandant sûrement ce que je sais d'autre sur leur vie privée. « Vos maisons portent le nom d'illustres pirates mais les deux autres portent ceux d’amiraux ayant officié durant la grande vague de piraterie. Durant cette ère, il y eut trois autres amiraux dont un aveugle. Issho alias Fujitora. Être incapable de voir, n'est pas la fin de toute chose. Et quand un sens disparait, les autres sont amplifiés. Oui, Mlle ? »

- Joliflocon. Carolina Joliflocon.
- Êtes-vous apparentée à Lady Arabella Joliflocon, Marquise de Black-Ice ? m'enquis-je en me souvenant d'une femme sèche coiffée d'un chapeau orné d'un vautour empaillé que je rencontrai quelques mois plutôt à Boréa.
- C'est ma tantine.
- Votre question ?
- Je crois qu'on murmurait toutes à cause de votre... chien. On dit qu'ils portent malheur.
- C'est un mythe. Les chiens cornus de l'espèce Canis lupus majoris cornibus ont été chassés jusqu'à la quasi-extermination à cause de ce préjugé obscurantiste. Si vous voulez savoir ce qu'est une malédiction, mangez un fruit du démon. Sinistros est mon partenaire depuis dix ans et il ne m'est jamais arrivé de pépin à cause de lui. Quelques diarrhées, de gros râteaux, mais il n'est ni responsable de ce que j'ingurgite, ni de ma maladresse avec la gente féminine, n'est-ce pas ?
- Sûrement, répondit-elle en pouffant de rire.
- Haha ! Allez, présentez-vous une à une, je vous prie.
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- Il m'a été signifié qu'au semestre passé, vous êtes arrêtées au chapitre 16 du programme. Nous allons donc commencer avec le 17, les grandes croisades. Cela dit, votre ancien prof vous a fait lire Gibbs, Shavy et Kanté, des auteurs dont je trouve l'interprétation du moyen âge trop simpliste. Vous pouvez donc ranger vos bouquins, nous allons étudier cette période à travers les œuvres de Génaro Guynée. Oui, Mlle Dupuit ?
- Guynée était sacrément dérangé, sans compter qu'il fut le gourou d'une secte qui encourageait l'inceste ! Il a poussé le bouchon jusqu'à épouser sa jumelle ! dit cette Kurohige avec incrédulité.
- La folie est une définition qui varie selon les époques et les gens. En tant que grand historien spécialiste du moyen-âge et gourou de surcroit, je lui accorde plus de crédit qu'à un Kanté qui n'a jamais quitté son Ohara natal et s'est contenté d'étudier l'histoire à travers d'autres auteurs. Mlle Greengrass, que savez-vous des grandes croisades qui ébranlèrent East Blue quatre mille ans avant notre ère ? demandai-je à la princesse aux cheveux de feu.
- C'est une question piège. East Blue n'a jamais souffert de ce fléau au moyen-âge.
- Vraiment ? Que faites-vous des écrits de Yannick Hound sur les Trois Guerres Malignes ?
- Les Guerres Malignes ont confronté Salazarhéens et Godriciens au royaume de Lardonys. Mais comme l'a prouvé le Pr. Achille en 1405, Lardonys se situait sur Calm Belt, pas sur East Blue comme l'avait cru Hound.
- Et pourquoi Hound croyait-il que Lardonys était sur East Blue ?
- Il en a étudié les vestiges via une petite ile d’East Blue colonisée par des scribes Lardonyens et dès lors, il a pensé qu'il s'agissait là de l'ile mère. Il a ensuite développée une hypothèse comme quoi le reste de l'ile aurait sans doute été enfoui par un raz marée, ce qui justifierait sa taille.
- Impressionnant. Vingt-cinq point pour Roger.

Le reste de la classe n'est pas en reste, elles ont toutes un bon niveau. Ce pensionnat n'est pas un havre pour filles pourries gâtées comme je l'avais pensé. L'éducation est d'un très haut niveau, et toutes en sortent bien armées. Je continue de dispenser le cours pendant deux heures, échangeant avec elle, débattant la plupart du temps. Là où les Akainu se contentaient de boire mes paroles, les Roger et les Kurohige ne s'en laissent pas compter, argumentent et exposent leurs points de vue. La cloche nous surprend en plein débat houleux le bienfondé de la croisade des Justes Fils contre le peuple barbare de Tazco. « Pour demain, vous me préparerez une dissertation sur la mort de Conan le Barbare durant la bataille des Aînés. »

- Pardon professeur, mais... comment on fera la disserte ? J’veux dire, on n'a pas d'embosseuse à braille et j’ne connais ce langage moi. Donc on l'écrit ou ce sera sous forme d'exposé ?
- Bonne question Mlle Ali. Approchez donc et prenez la boite sur la table. Elle contient des audio-dials. Si vous ne savez pas vous en servir, ils sont accompagnés du mode d'emploi. Votre dissertation sera orale. Vous enregistrerez votre travail, je le ramasserai demain. Que vous vous spécialisiez en histoire ou en archéologie, vous aurez à utiliser ce genre de procédé pour noter vos trouvailles, autant s'y mettre maintenant. A demain.
- Vous n'avez pas fini professeur. Nous sommes au début d'un nouveau trimestre et vous êtes notre professeur titulaire. Vous devez nommer une préfète pour chaque maison en plus de votre assistante.
- Je n'étais pas au courant de ça. Hmm, entre les cours à préparer, j'avoue que je n'ai pas jeté un œil au règlement intérieur.
- Les préfètes maintiennent l'ordre et répriment les abus; votre assistante vous... assistera quoi. Elle sera votre élève attitrée et vous secondera en dehors de ses autres cours.
- D'accord. Bon, comme préfète de Kurohige, je choisis Mashalla Ali ; pour Roger, ce sera... Terra Hangleton, dis-je après réflexion en désignant une fille au teint pâle coiffée de Dreadlocks qui s'est illustrée durant le cours par sa conviction que l'anarchie est le meilleur des systèmes. En tant qu'assistante, je prendrai Mirabella Greengrass.

Tu parles d'une surprise. Si j'avais su qu'il y avait une telle nomination qui m'était échue, je l'aurais faite depuis hier pour l'avoir près de moi. Maintenant, c'est chose faite, elle sera en ma compagnie au moins la moitié de la journée et durant la nuit, Émeline devrait pouvoir garder un œil sur elle en prétendant faire le ménage. La concernée semble satisfaite du choix, a contrario de Mashalla Ali qui n'a visiblement aucune envie de diriger les siens. Les préfètes se positionnent devant la porte et veillent à ce que les membres de leur maison sortent en rang bien discipliné. Mirabella est la seule qui demeure après le départ des autres.

- Vous n'avez pas cours ?
- A quatorze heures seulement. Et vous ?
- J'en ai un dans quinze minutes. Histoire de l'architecture à divulguer à nos apprenties architectes.
- J'ignorais que vous couvriez aussi l'histoire de l'architecture, professeur.
- Je suis spécialiste en histoire de l'art, de la médecine, et des langues également.
- C'est très surprenant.
- Pour un aveugle ?
- Non, non ! C'est pas ce que je voulais...
- Blind Joke ! Ha ! Ha ! Ha ! Détendez-vous, je plaisante. Je ne suis pas né aveugle, je l'ai été à quinze ans. Avec la mémoire eidétique, il me fut assez facile de me spécialiser dans des branches complémentaires voire carrément opposées.
- J'aimerais bien avoir une telle mémoire ! dit-elle, passionnée. Laissez-moi vous tenir votre sac, ça fait partie de mes attributions à présent.
- Ironique. Chez-vous, j’aurais été le roturier qui n'aurait même pas eu le droit de se respirer le même air que vous, non ?
- Non, la monarchie de Myranah n'est pas du tout coupée du peuple, père y veille. Et puis, dès qu'on arrive ici, la première règle c'est d'oublier d'où nous venons.

[...]

Durant mon cours aux architectes, elle s'assit en silence à mes côtés, prenant des notes. Quand s'achève la leçon, nous regagnons le bureau qui m'a été alloué dans l'aile des professeurs. Chemin faisant, mon escargophone sonne. Je mets le kit casque audio.

- Yo mec !
- Je vais bien mais Le temps est exécrable ici.
- T'as quelqu'un à côté, t'as mis l’casque mais tu dois rester cool ? Pigé. Bon, sur la meuf et ton aveugle là, j'en ai trouvé des belles. Déjà, y a dix ans, Randolph a été accusé d'avoir abusé d'élèves quand il enseignait sur West Blue.
- Quels âges ont mes nièces aujourd'hui ?
- Les filles avaient 15 et 10 ans. Dégueux.
- Et elles ne commencent pas déjà à sortir ?
- Il s'est sorti d'là grâce à ses contacts avec un roi qu'a plaidé pour lui. Faut dire qu'il a été coffré par la Marine et que les parents ont porté plainte.
- Ont-elles réussi leurs examens ?
- Nan, l'dossier n'est pas allé jusqu'à un examen gynéco ou quoi qu'ce soit. Randolph accusé, Randolph coffré, roi venu, Randolph libéré. Les familles ont étrang'ment fermé leurs gueules après ça. Soit les Berry ont coulé sur eux, soit les menaces d'mort ont marché. Après c’te histoire, Randolph a plus enseigné, jusqu'à c'qu'il accepte l'poste que t'occupes. Où est l'vrai au fait ?
- Il doit être chez Tonton Arsène.
- Ah ! La Truffe.
- Du coup, elle veut teindre ses cheveux en blond ? Ah l'adolescence !
- Ah ouais, la blonde ! C'est elle qu'a lancé les accusations contre lui. Nolande Shearer était prof aussi dans l'pensionnat où ça s'est passé. L'a été virée après ça, j'suppose que c'pour ça qu'elle a gardé la haine. J'pense aussi qu'elle baisait avec Randolph.
- La science se base sur des faits, il faut lui inculquer cette valeur.
- Bah, c'est des "on dit" hein. Mais bon, Eme' m'a rapporté qu'elle était vraiment furax contre toi alors, ça doit être vrai. Imagine, ils sont ensembles ou juste sex friend et elle découvre que l'mec aime pointer des fifilles. Là elle pète un câble et l’balance aux Mouettes.
- Je vois. Merci pour l'appel cousin. Bisous à Bérénice et Bérengère.
- J’continue d'fouiller, ouais. A plus.

Je mets l'appel sur le compte d'un cousin imaginaire puis regagnons le bureau. Je l'interroge pour mieux la connaitre mais aussi pour me familiariser avec son environnement, ses habitudes. Un adage dit qu'il est plus aisé de capturer un animal dont on connait le terrier. Et ça marche aussi avec les humains, notre horloge comportemental est un vivier pour ceux qui essaient de nous nuire. Mirabella ressemble beaucoup à sa mère avec sa tignasse rousse, ses prunelles rubis et son nez fin. Elle porte sur ses joues, les doubles scarifications tribales en "G", symboles des princes Greengrass. C'est une jeune femme ouverte d'esprit qui veut vivre de folles aventures en dehors du cocon familial.

- Tiens en parlant de famille, j'ai déjà rencontré un de vos oncles. Le prince Kurt Ashenbrenner.
- Ah, ce gars-là.
- C’est l’amour on dirait.
- Je ne l'aime pas, ce n'est un secret pour personne à la cour. D'ailleurs, je n'en aime aucun. Mon père, ma mère, mon frère, c'est ça ma famille. Le reste ce sont des faux culs, excusez mon langage professeur. C'est horrible de grandir dans un environnement où tout le monde ne cherche qu'à profiter de vous !
- J'ignore de quoi ça peut avoir l'air.
- Je stresse déjà à l'idée qu'aout arrive.
- Les vacances ?
- Oui, la pire période de l'année pour moi. Je vais me retrouver à nouveau dans les dédales du palais de Heavenest, avec une horde de serviteurs minaudant, un emploi du temps chargé pour prendre le thé avec ces dames de la noblesse, sans compter des visites dans des orphelinats pour faire genre. Bref, pardon, je ne dois pas vous ennuyer avec mes problèmes.
- Je dois parfaire votre éducation, mais pas forcément en histoire. Et puis, si vous vous contentiez de l'ordre, vous seriez une Akainu, non ?
- Que les dieux m'en gardent !
- Pourquoi n'aimez donc vous pas vos visites aux orphelinats ?
- Parce que c'est de façade ! Myranah est une terre d'abondance, la seule nation d'East Blue totalement autosuffisante en tout. Nos terres sont fertiles et irriguées par une dizaine de fleuves ; nos eaux sont poissonneuses ; nos sous-sols extrêmement riches et notre air, pur. Et tout ça pour une population d'à peine deux millions d'habitants. Ce n'est pas une utopie, il n'y a pas de pauvres à Myranah, pas plus qu'il n'y a de chômeurs. Les orphelins devant lesquels je me pavanerai en offrant des cadeaux ne manquent de rien, sinon de parents. Les vrais pauvres sont à l’extérieur de nos eaux, à Goa par exemple, Las Camp, le Cimetière d’Épave ! Tiens, à Bliss tout près, les Everglades. Je veux faire du vrai humanitaire et ne recevoir aucune reconnaissance en retour, pas poser pour des clichés.
- Vous me semblez avoir assez de force de caractère pour dire non à votre famille. Qu'est-ce qui vous en empêche ?
- Les lamentations d'une mère ? Je suis sa seule fille et à chaque fois que je parle de m'en aller, elle me fait le coup de la dépression.
- J'aimerais avoir une mère qui tienne à moi.
- Oh. Pardon. Elle est décédée depuis longtemps ?
- Aucune idée, je ne l'ai jamais connue, dis-je en parlant plus de moi que de Randolph Lang. J’espère que Mirabella n’ira pas vérifier. Sinon, quid de votre formation martiale ? Les princes et les princesses de Myranah sont-ils entrainés ?
- Non. A Myranah, le maître d'armes de Heavenest a trop peur de mon père pour m'enseigner quoi que ce soit, mais j'aimerais bien apprendre ! Il n'y a aucun cours de ce genre ici.
- Je n'ai pas à obéir à votre père moi, je peux vous apprendre à vous défendre. Sait-on jamais.
- Sérieusement ?! Vous feriez ça ?! dit-elle, les yeux brillants d'excitation.
- Oui mais il faudrait trouver un endroit tranquille et assez espacé. Ce bureau est trop petit.
- Pourquoi pas l'ancienne cantine ? Elle est abandonnée depuis l'incendie d'il y a trois ans. Comment dois-je...
- Il suffira à Sinistros d'y aller une fois pour m'y conduire à nouveau.
- On peut commencer aujourd'hui ? De 18h à 20h, c'est parfait, il n'y a plus beaucoup de personnes au Bloc A.
- Ce sera limite pour rentrer avant la fermeture du dortoir.
- Je cours vite.
- Euh...
- Soyez sympa, c'est vous qui l'avez proposé !
- D'accord. Commençons ce soir à 18h. Mais pas un mot à quiconque, même pas à votre meilleure amie.
- Oups ! En parlant d'elle ! Je dois l'aider à finir un devoir ! Puis-je ?
- Bien sûr. Et n'oubliez pas que vous aussi avez un devoir à rendre.
- Oui. A ce soir monsieur !

[...]

Toc ! Toc ! Toc !

- C'est la ménagère !
- Entrez.
- Tu t'amuses bien ? dit-elle après avoir fermé la porte.
- Pardon ?
- Je viens de croiser la princesse. Tu ne perds pas de temps.
- Elle est mon assistante maintenant et à partir de 18h, je lui apprendrai à se battre dans l'ancienne cantine. De ton côté, si tu veilles sur elle la nuit, nous devrions pouvoir tenir le tueur du Cromagnon à distance et l'obliger à se découvrir.
- Protection très rapprochée donc.
- N'était-ce pas ça le but ? Quel est le problème ?
- Aucun, répondit-elle d'un air peu convaincant.
- Aaaah, ce sont les paroles d'Abi et d'aella qui te trottent dans la tête hein.
- Quoi ? Mais non, tu dis n'importe quoi !
- Je ne suis pas Randolph Lang. Si l'envie m'en prenait de tirer la bagatelle, j'irai le faire ailleurs et surtout pas durant une mission. Donc, archive ta jalousie très chère, nous avons du pain sur la planche.
- Je ne suis pas jalouse !
- C'est ça. As-tu fini la cartographie des lieux ?
- J'ai plutôt séparément cartographié l'aile des Roger du dortoir, le Bloc A, le B. La forêt, les terrains, c'est trop grand et trop épuisant de les garder en mémoire. Si je trouve une occasion de cartographier la garnison des Amazones, je le ferai.

Elle touche mon bureau et y projette la carte du Bloc A sous forme d'hologramme. D'abord, je vois l’entièreté du bloc dans sa forme rectangulaire aux bords arrondis puis, Eme' y applique un effet de zoom de plus en plus grand jusqu'à se concentrer sur une petite salle annexe où un point vert clignote. « C’est Mirabella Greengrass. Je l’ai touchée et marquée. »

- C'est parfait. Tu vas pouvoir la suivre si elle est dans un bâtiment. Elle m'a dit aider sa meilleure amie à faire ses devoirs. Tu sais qui c'est ?
- Hier, je l'ai plusieurs fois vue avec une étudiante de Kizaru dotée d'une jambe droite cybernétique.
- Tâche d'en savoir plus sur elle et au mieux marque toutes ses amies proches. Deux précautions valent mieux qu'une.

[...]


A dix-huit heures, la princesse est bien présente dans l'ex-cantine aux murs noircis par la suie de jadis. Elle se débarrasse de sa robe et revêt un kimono plus approprié aux exercices. Devant moi. Ces choses que les gens font quand ils pensent que vous êtres enténébrés. Fugacement, je me demande si le vrai Randolph Lang ne ferait pas semblant d'être aveugle pour mieux profiter de son handicap...

- Bienvenue à ton premier cours. Les arts martiaux englobent une quantité d'écoles et de styles qui n'est finalement limitée que par le nombre d'humains dans ce monde. Karaté de l'homme soûl, karaté de l'aveugle, karaté Aérien, karaté Aquatique, karaté Interne, Style à un sabre, à deux, à trois, à six, Style du concombre… Les hommes ont toujours excellé dans l’art de tuer leurs congénères. Il n'y a pas de style absolu, certains sont certes plus puissants que d'autres, mais selon moi, le meilleur style est celui qui te sied comme un gant et qui évolue avec toi.
- Ossu !
- Pardon ?
- Les élèves du maitre d'armes de père disent ça quand ils acquiescent à un discours du maitre. Ossu !
- On va éviter, dis-je en souriant.
- D'accord.
- Tu as l'air en bonne forme physique mais je ne t'apprendrais aucun style qui nécessite une immersion prolongée. Je vais plutôt t'apprendre un style de close combat rassemblant un peu de ci et ça de différentes écoles.
- Ce serait du self défense ?
- Dans le besoin, un bouclier peut servir d’arme offensive.

Deux heures après, elle transpire et halète abondamment. La séance fut intéressante et Mirabella montra de bonnes dispositions au combat. Son père gâche ses talents à la confinant à un rôle de princesse de palais. Je lui enseignai les positions élémentaires de défense, la garde neutre et terminai par une série de Kick-and-forget qu'elle apprécia particulièrement. Le principe de ce genre de coups étant d'atteindre le point vital d'un adversaire avant de s'enfuir. Elle aimait l'idée de toucher un adversaire dans une zone mortelle mais moins la perspective de s'enfuir. Elle parla de lâcheté et me fit tellement penser à un samurai que j’en rigolai. L’honneur m’importait peu, ma seule préoccupation étant de l'armer un minimum dans un laps de temps incertain pour qu'elle puisse faire face à l'inconnu si jamais aucune main secourable n'était dans les parages.

- Allez, filez avant qu'ils ne ferment le dortoir. Demain, nous réviserons les acquis d'aujourd'hui et étudierons plus amplement les points vitaux et de pressions. Et si nous avons du temps, je vous monterai des prises de soumission pour dompter votre adversaire.
- Merci professeur ! Mais, je peux vous demander comment vous faites pour connaitre ma position dans l'espace ? D'ailleurs, comment faisait l'amiral Fujitora ? C’est le Karaté de l’aveugle que vous avez mentionné ?
- Ne livrons pas tous nos secrets le premier jour. Je vous le dirai en temps et en heure. Bonne nuit Mlle Greengrass.
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Jour 3
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- J'étais de l'équipe de nuit qui fait discrètement le ménage pendant que les filles dorment et j'ai trouvé le moyen de me faire oublier jusqu'à l'aube, me dit une Émeline au teint cireux le lendemain. Elle partage son dortoir avec deux camarades de chambres que j'ai marquées. Ouuuuuuuh, je suis crevée, je vais dormir, marmonne-t-elle en baillant.
- Je prends la suite.

Je commence la journée avec les troisièmes années d'histoire. Après une seule séance, c'est devenu ma classe préférée. Alors que je suis impatient que le cours d'aujourd'hui soit aussi riche en débat que celui de la veille, je vois des visages sombres et inquiets, surtout chez les Kurohige. Elles font toutes une tête d'enterrement et certaines se font soutenir par quelques Roger aux yeux bouffis et rougis.

- Que se passe-t-il ?
- C'est Mashalla Ali, répondit Terra Hangleton, la préfète de Roger.
- Qu'a-t-elle ?
- Évacuée à l'aube ! Vers on n'sait où ! La direction r'fuse d'nous dire ! pleure une étudiante de Kurohige.
- Apparemment, vers vingt-deux heures hier, il y a eu un coup d'état dans le Vizirat de Yallabah. Le Grand Vizir Dellé Ali, le père de Mashalla a... été tué, explicite Mirabella, la mine sombre.
- Bon sang ! Et qui est venue la chercher ici ?
- Des Amazones !
- Pourquoi ne m'a-t-on pas averti, je suis son professeur titulaire. Attendez-moi, je vais chercher des informations. Sinistros, viens ! Hangleton, Greengrass, maintenez l'ordre.

Bizarre cette affaire et même si elle n'a a priori aucun lien avec ma mission, ma curiosité a été titillée. Je me rends donc à la direction où je trouve une dizaine de professeurs autour de la directrice Alice Cooks et de Jordi Espéranto, le vice-directeur du pensionnat. Les mines sont graves et les détails foisonnent. Une heure après, je suis de retour dans ma classe où les filles, suspendues à mes lèvres, désirent en savoir plus.

- Bon. Certaines d'entre vous étant enfants de souverains, je suppose que vous vous doutez que vos parents ont pris le soin d'assurer votre sécurité si jamais quelque chose leur arrivait. C'est le même processus qui a eu cours ici. Selon les informations dans la presse et transmises à la direction, le Grand Vizir Ali a bel et bien trouvé la mort mais le reste de la famille de Mashalla, sa mère et ses frères ont pu s'enfuir. Mashalla est en route pour les retrouver dans leur cachette, escortée par des hommes de confiance de feu son père.
- Et il va s'passer quoi maint'nant ?!
- Le Vizirat de Yallabah fait partie du Gouvernement Mondial donc ça m'étonnerait que le QG des Marines de North Blue ne soit pas déjà en train de préparer une invasion pour reprendre le trône aux putschistes.
- Encore ces maudits révolutionnaires ! s'exclame avec hargne Davina Grantz, princesse de Bliss. Son frère est un très bon ami. En fait, je m'attendais à trouver tous les Grantz chez Akainu. Tu vois ce qu'apporte l'anarchie qui t'es si chère, Hangleton ?
- L'armée Révolutionnaire cherche à imposer sa propre version du Gouvernement Mondial, ça n'a rien à voir avec l'anarchie ! se défendit la préfète.
- Ah bon ? Va dire ça aux gens qui sont morts dans ce putsch, à la loi martiale actuellement en cours à Yallabah, aux exactions. Désordre et anarchie que tout cela ! Et toi tu cautionnes, sales-ongles ! clame la Blissoise, ce qui me conduit à scruter Hangleton pour rechercher l'origine de ce quolibet. Et en effet, à la différence de ces camarades parfaitement manucurées, ses ongles à elles sont incrustés de terre et de boue.
- Teteteee ! Je travaille la terre moi, je plante dans les serres en espérant qu'un jour mes jeunes plants contribueront à verdoyer le monde. A rapprocher les hommes de la nature et de la jungle de nos ancêtres. Je préfère avoir les ongles sales qu'être une robotomisée comme toi ! rétorque-t-elle. "Robotomisée" ? Je suppose que c'est un néologisme né de la fusion de "robot" et de "lobotomisé". Tu ne devrais pas être dans la maison Akainu, toi ? A rester avec toutes celles qui se tripotent le bouton en fantasmant sur le Gouvernement Mondial et qui se fanatisent avec ses lois qu'elles pensent d'essence divine ? Ouvre un peu les yeux bordel, La loi du plus fort domine le monde ! C'est parce que le GM est le plus puissant qu'il impose sa vision ! Parce qu'ils font ce qu'ils veulent, ils ont instauré des lois pour que tout le monde reste droit. Cet ordre, Grantz, est né du désordre, de la guerre, de l'anarchie ! Que le système s'effondre et retourne à l'anarchie qui l'a vu naitre n'est qu'un juste retour des choses ! C'est malheureux pour les Ali, mais aujourd'hui, les révolutionnaires ont été les plus forts. Et non, je ne cautionne pas ! Mais l'anarchie est un organisme vivant qui s'entretient par ses propres moyens, que ce soit au travers des actes de la Révolution ou même d'un Marine aussi sanglant qu'Edwin Morneplume !
- Tsss. Dans quelques jours seulement, ils seront kickés hors du Vizirat ! La réponse du GM sera ferme et absolue ! J'ai soumis mon nom au cas où les Marines auraient besoin de réservistes !
- Oh que c'est courageux de ta part ! railla Hangleton. Les humains seraient plus libres sans les chaines des lois, qu'elles viennent d'eux-mêmes ou des dieux qu'ils se sont créés ! Aucun système n'est éternel et tout comme les grands empires dont on étudie l'histoire, un jour le GM s'effondrera et fera place à l'anarchie ! Ce n'est qu'une question de temps !
- Il ne s'effondrera pas tant qu'il y aura un Grantz vivant pour le soutenir ! Nous sommes les racines de cet arbre appelé Gouvernement Mondial ! réplique Davina avec passion. Et j'ai un scoop pour toi, Mlle Chaos Theory, ce n'est pas du QG de North Blue d'où viendra la réponse du GM mais bien directement de Marijoa. Une flotte dirigée par l'Amiral Green Wolf a appareillé et a mis le cap sur Yallabah. Combien de temps penses-tu que tes petits chaotiseurs tiendront face à l'utilisateur du fruit de l’acide ? D'un autre côté, je trouve ça presque poétique parce la Révolution nous empoisonne depuis des siècles. Depuis la mort de Monkey D. Dragon et la venue de Freeman, nous avons purgé grand nombre de ses partisans, mais le reste demeure d'autant plus insidieux. Ils sont tel l'acide, un mal qui ronge nos royaumes !
- Ooookey ! Nous allons nous en arrêter là, jeunes femmes. Vous avez des visions tranchées toutes les deux mais mettons les à profit sur des sujets qui nous concernent plus dans l'immédiat. Genre les grandes croisades au moyen-âge. Tiens, je vais devoir nommer une autre préfète à Kurohige maintenant. Mlle Davina Grantz, bienvenue dans la barque. Veuillez ramasser les audio-dials de vos camarades et me les apporter, s'il vous plait. Idem pour vous, Hangleton. Et en silence.

J'adore ces filles qui débattent comme si leurs vies en dépendaient. Terra Hangleton descend d'une longue famille de Barons d'une petite île de South Blue qui a toujours prôné la liberté la plus totale et le retour à la jungle. La position de Davina ne me surprend pas davantage, les Grantz sont des amoureux congénitaux du GM. Moi aussi je m'interroge par rapport à cette histoire. Le célèbre Cromagnon est-il une nouvelle fois impliqué dans ce coup de force ? Est-ce réellement une coïncidence si ça arrive maintenant ? A une élève de la même classe que Mirabella ? A une élève dont je suis le titulaire ? Sans réponse, je retourne à mon cours qui est beaucoup moins houleux que la veille, la majorité des étudiantes n'étant pas d'humeur à parlementer. Normal, le destin de Mashalla leur rappelle celui qui pourrait être le leur un jour.

Midi tapante, je mets fin au cours. Mirabella me confie qu'une fois rentrée au dortoir, elle a continué à s'exercer pendant trois heures dans le gymnase privé des assistantes et préfètes. Et c’est pour cela qu’elle fatiguée et a envie d'aller dormir mais je lui refuse cette permission sous prétexte de lui donner un cours privé d'histoire. Pas question de la laisser seule à la merci de je-ne-sais-qui. A la recherche du moindre morceau de soleil, nous nous ancrons sur un banc aux abords du terrain de volley où se dispute un match. J'en profite pour l'entretenir à propos des quatre grandes civilisations pré-Dakaranéennes et lui glisse même les rumeurs supposément infondées sur l'Alliance des Quatre Races. Elle manifeste une curiosité sincère qui me confirme qu'elle n'est pas au fait de toute cette histoire.

- Vous savez, professeur, on s'est toutes dites que ça pouvait être nous.
- Je sais. Comment réagiriez-vous si ça arrivait à Myranah ? Que votre père soit déchu de son trône ?
- Franchement, ça dépend de quelle manière.
- Vous ne verriez pas d'inconvénient à ce qu'il ne soit plus prince souverain ?
- Ça me faciliterait la vie, c'est sûr. Mais d'un autre côté, ce serait la porte ouverte à l'enfer. S'il venait à perdre son pouvoir sans y perdre la vie, il passerait le reste de son existence à essayer de retrouver son dû et je ne parle même pas de mon frère. Et le pire c'est que je les aiderais surement dans cette voie, même si je préférerais renoncer à tous mes titres et vivre simplement.
- La loyauté peut nous faire faire des choses qui nous écœurent.
- Tiens, voilà Henrie.
- Henrie ?
- Henrietta Stemper, c'est ma meilleure amie.
- Ah, celle que vous avez aidé hier à finir son devoir.
- Oui et elle a la tête des mauvais jours. Je me demande ce qui lui arrive encore... susurre-t-elle en voyant son amie fondre sur elle. Émeline avait raison, la fille Stemper a bien une jambe cybernétique.
- SALOPE !

La main de Stemper décrit un arc de cercle et j'ai l'occasion de voir les premiers résultats de notre séance. D'un revers, Mirabella détourne la main de son amie qui n'en démord pas et envoie l'autre à l'attaque. Totalement déconcertée, la Myrananne gratifie Stemper d'un coup de paume au plexus qui l'envoie par terre. « Non mais t’es folle ? Qu’est-ce qui te prend ? » demande-t-elle pendant que je me pose entre les deux tout en sachant que je dois être bien ridicule. Un aveugle qui essaie d’arrêter une bagarre. Henrietta Stemper s'est déjà relevée et se débat pour atteindre n'importe quelle partie de son amie. Autour de nous, Sinistros aboie bruyamment. Le match de Volley s'interrompt d'un coup et spectateurs comme joueurs se tournent vers notre scène. « PÉTASSE, T’AS DIT QU’IL NE T'INTÉRESSAIT PAS ! NON ? » répondit la démente avec une voix si aiguë que j'étais certain que bientôt, elle briserait du verre avec. « ALORS C'EST QUOI CA ? HEIN ? IL T’A ÉCRIT, EN DISANT QU'IL T'AIMAIT ! »

- Quoi ? C'est quoi cette lettre ? Je ne l'ai jamais vue !
- PARCE QUE CA VIENT D'ARRIVER !
- ET TU LIS MES LETTRES PRIVÉES MAINTENANT ?
- BIEN SUR QUE JE VAIS LIRE QUAND JE VOIS LE NOM DE MON COPAIN EN EXPÉDITEUR SUR UNE LETTRE QUI T'ES DESTINÉE ! hurle-t-elle. Quelques Amazones sont venues à mon aide mais Henrietta se démène toujours comme une belle diablesse totalement enragée.
- IL EST TON COPAIN UNIQUEMENT DANS TON IMAGINATION MA VIEILLE ! MAIS PEU IMPORTE, IL NE M’INTÉRESSE PAS ! GARDE-LE ! CE N'EST PAS DE MA FAUTE S'IL M'A ÉCRIT !
- TU LUI AS SUREMENT FAIT LES YEUX DOUX ! TRAINÉE ! PUTE !
- Miss Stemper ! Miss Greengrass ! Comment osez-vous vous donner en spectacle ?! Cent points de moins pour Kizaru ! Cent points de moins pour Roger ! vocifère la directrice arrivant à son tour sur les lieux, totalement hors d'elle. Derrière ses lunettes, ses yeux sont de braises. Maintenant, vous allez me faire le plaisir de vous calmer et me suivre dans mon bureau !
N'avez-vous rien de mieux à faire vous autres ?
aboya-t-elle à l'attention de la foule qui se dispersa aussitôt après.

Escortés par deux Amazones, nous suivons la maitresse des lieux jusqu'à son bureau où se trouve déjà le vice-directeur Jordi Espéranto, un petit homme grassouillet à la calvitie avancée. Assis les jambes croisées, la main sous le menton, il ne pipe mot pendant que la froide colère de Cooks explose de plus belle. Elle est monstrueusement scandalisée par le comportement des filles. Je viens à la rescousse de Mirabella en exposant le déroulement des faits, de mon point de vue aveugle, ce que confirment les Amazones. Stemper, toujours en colère, expose alors sa version et nous relate les derniers congés d'automne que Mirabella et elles passèrent ensemble à Myranah où elles rencontrèrent un dénommé Félix dont elle tomba amoureuse.

- Je lui ai dit que je l'aimais ! Elle le savait ! Et pourtant, dès que j'ai le dos tourné, elle fricote avec lui !
- Non mais, êtes-vous folle, Miss Stemper ? En quoi votre amie est-elle responsable des sentiments de ce garçon ?! Je ne vois rien dans cette lettre indiquant que Miss Greengrass l'ait approché. Et secundo, comment êtes-vous entrée en possession de la correspondance privée de Miss Greengrass ?
- La factrice me l'a remise, comme je suis sa meilleure amie... marmonne-t-elle. Maintenant, elle semble dégonfler à mesure que Cooks enfle comme un crapaud-buffle.
- Cinquante autres points de moins pour Kizaru pour votre comportement indigne ! Trahir la confiance de votre amie et de la factrice, lire une lettre qui ne vous est pas adressée ! Comment osez-vous ! Et ensuite en venir au pugilat ? Au pugilat ! Ici ! A Santa Maria ! Comment avez-vous pu ! Chaque soir à partir d'aujourd'hui, vous aurez une retenue d'une heure aux cuisines où vous ferez la vaisselle ! Ça vous apprendra à mourir de jalousie !
- Miss Stemper pourrait commencer ses retenues après-demain, Alice, fit Espéranto. Les filles sursautent, tout le monde a oublié sa présence. Il était prévu que Fridluva aille demain au cœur de la forêt chercher des plants d'attiers pour le Pr. Aso. Ces pommiers cannelles sauvages possèdent de puissantes propriétés antiseptiques. Je propose que les filles accompagnent notre chère garde-chasse, en retenue commune.
- Commune ? fit Mirabella ahurie. Mais je n'ai rien fait !
- Oh si, je vous ai vu la pousser. D'ailleurs, où avez-vous appris à vous battre ainsi ?
- C'était de la légitime défense ! Et c'était juste un réflexe, pas besoin d'être une ceinture noire pour faire ça !
- Baissez d'un ton, Miss ! Si vous étiez vraiment les meilleures amies au monde, il ne serait rien arrivé de tel ! Donc retenue demain soir à vingt-et-une heure pour toutes les deux !
- Il n'y a peut-être pas de carnivores dans ces bois mais ça peut être dangereux pour des princesses, dis-je en prenant leurs parties. Et puis, Mlle Greengrass n'est pas fautive.

Espéranto est complètement fou, il est en train de saboter mon plan de protection ! Et je suis encore moins serein à l’idée que deux jours auparavant, j'ai vu deux personnes négocier une transaction à cent millions en ces lieux. L'exécutant est peut-être toujours dans ces bois, à attendre... que sa cible vienne à lui ? Est-ce possible ? Une bouffée de colère irrigue mes veines à la vue de la tête dégarnie, des joues charnues et du mono sourcil de Jordi Espéranto. Sa voix n’est indubitablement pas celle qui a acquiescé sur le prix mais c'était peut-être lui l’autre personne encapuchonnée ! De quel côté du complot est-il ? A-t-il perçu cent millions pour trouver une raison d’envoyer la fille Greengrass dans les bois où a-t-il payé cent millions pour qu'un tueur s'en débarrasse ? Est-il un homme du Cromagnon ?

- Certes, Pr. Lang. Mais nous devons faire un exemple, que ce genre de comportement est inacceptable à Santa Maria. J'approuve l'idée du Pr. Espéranto. Il faut être deux pour se battre, donc elles seront deux en retenue.

Vielle peau.

- Il y a des tas d-de moustiques et de b-b-bêtes ! Des r-reptiles ! baragouine-t-elle, les yeux embuées de larmes. Sa terreur était franche. N-non, s-s'il vous plait ! Un tr-trimestre dans les c-cuisines, j-je préfère ! P-p-pitié !
- Ce n'est pas négociable et il fallait y penser avant de faire des bêtises ! Méditez là-dessus.

[...]

- C'est complètement insensé ! C'est elle qui m'a agressée et je me retrouve punie ! tempête Mirabella dans les gradins du terrain de foot où nous trouvâmes finalement un coin de quiétude. Cette bagarre très inhabituelle à Santa Maria avait fait le tour du patelin en quelques secondes et partout où nous allâmes, on montrait Mirabella du doigt et on parlait d'elle à messe basse. Cette espèce de petit chauve dégoutant ! Je l'ai jamais aimé !
- Je suis on ne peut plus d'accord. Qu'enseigne donc Jordi Espéranto ?
- Psychologie. C'est le psychologue de tout le monde.
- Vous avez des séances avec lui ?
- Tout le monde en a, c’est obligatoire une fois par mois pour évaluer l’état d’esprit des pensionnaires. Mais certaines le consultent plus régulièrement. Henrie le voit au moins deux fois par semaine.
- Tiens, parlons d'elle. A-t-elle un lien avec Henry Stemper ?
- Rien ne vous échappe on dirait. C'est sa fille, mais ils ne se voient pas très souvent. Henrietta vit avec son oncle maternel, Ted, un des plus gros exportateurs de tapisseries de Myranah. On est amies depuis qu'on a cinq ans.
- Hmm, j'imagine que quand vous êtes le meilleur cartographe doublé du plus célèbre explorateur au monde et que vous avez découvert plus d'iles que n'importe quel être vivant, on n'a pas forcément le temps pour sa progéniture.
- Vous avez tout compris.
- Comme vous la connaissez depuis presque toujours, c'est normal qu'elle réagisse de cette manière ?
- Très normal, dit-elle blasée en se laissant tomber sur un siège. Par contre, c'est bien la première fois qu'elle essaie de m'en coller une. C'est une fille qui... Il ne faut pas la juger avec précipitation, ajoute-elle avec tendresse.
- Vous lui avez déjà pardonné à ce que je vois.
- Elle et moi, c'est une très longue histoire. La vie n'a pas été facile pour Henrie, elle a perdu sa mère si jeune qu'elle n'en a aucun souvenir. Ne parlons pas de son père dont vous venez de brosser les traits. Son oncle l'a gâtée et cède à tous ses caprices. Et en tant que princesse, si ça me choque, vous imaginez bien que ça doit être vraiment énorme ! Puis il y a eu cette tragédie qui l’a laissée complètement brisée.
- C'est là où elle a perdu sa jambe ? Que s'est-il passé ?
- Durant son dixième anniversaire, elle a été attaquée dans sa piscine par un alligator qui lui a arraché cette jambe.
- Pardon ?
- Oui, je sais. Même onze ans après, ça semble toujours aussi dingue quand j'en parle. Nul n'a jamais exactement su d'où ce reptile est venu. Mais il y avait une zone marécageuse près de leur résidence à l'époque. Enfin, bref, depuis ce jour, la pauvre alterne les phases de dépressions nerveuses et les éclaircis. Elle est hyper stressée, hypocondriaque ; elle est très possessive d’où sa réaction ; elle a la phobie de l'eau et des reptiles. Et en général, elle déteste tous les animaux.
- Je comprends mieux sa terreur.
- Et c'est pour ça que je hais ce vieux connard d'Espéranto ! Pardonnez mon langage, monsieur. Mais ce type, c'est son psychologue, il sait qu'elle est phobique et l'envoie dans la forêt, en pleine nuit !

Je ne serai pas si préoccupé, si vous punir est seulement son vœux.

- Et qui est ce garde-chasse nommé Fridluva ? Je ne l'ai jamais rencontré.
- Oh, c’est une femme, très sympa. C'est mon amie.
- Vraiment ?
- Oui, avec elle, on ne craint rien. Elle est vraiment super et personne ne connait mieux la forêt qu'elle. Elle vit dans les bois et en sort rarement, sauf la nuit pour faire son travail. Elle est assez timide et évite la foule.
- Une sorte de version féminine du Tarzan des livres pour enfant ?
- Une Tarzan de dix mètres de haut alors. Fridluva est une géante.

De mieux en mieux.
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Jour 4
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- Rien à signaler du côté d'Espéranto. Je l'ai surveillé toute la nuit, il n'a pas bougé de sa chambre. Mirabella non plus. Pas plus qu'Henrietta.
- Tant mieux, mais le réel danger, c'est aujourd'hui et cette retenue dans la forêt.

Je prends le petit-déjeuner dans mon bureau où s'est glissé Émeline.
La vielle, je lui fis part en détail des évènements et ensemble, nous mîmes un plan d'espionnage en place. Avec son pouvoir, elle pouvait surveiller plusieurs personnes à la fois en projetant simplement la carte du bâtiment où se trouve la cible marquée à l'avance. Gardant un œil sur Mirabella dans le dortoir des Roger, elle surveilla également le vice-directeur et Henrietta Stemper. Le premier parce que je pense qu'il trempe dans le complot ou l'exécute carrément et la seconde parce que je ne veux pas qu'elle revienne à la charge, bardée de jalousie.

Prétextant faire le ménage chez le vice-directeur, elle plaça dans son bureau et dans sa chambre, un "Pack Espion en herbe" composé d'un den den mushi intercepteur noir relié à mon bébé den den. Ainsi, je captai tous ses appels mais ceux que j'écoutai jusque lors étaient dénués d'intérêt. Malgré toutes les péripéties de cette journée riche en évènement, Mirabella tint à recevoir son deuxième cours de self-défense où je mis l'accent sur les points vitaux des humains tout en insistant fortement sur le Kick-and-forget. Plus que jamais, elle aurait besoin de mettre la distance entre elle et un éventuel agresseur. C'est une fille très intelligente et naturellement, elle commence à se poser des questions silencieuses sur mon engagement à lui apprendre à se défendre.

- Du coup, on fait quoi pour Espéranto ? Je le refroidis ?
- Ne parle pas comme Avada.
- Il est sur notre chemin et tous ceux qui le sont, on les écarte, il n'y a pas de scoop.
- La situation n'est pas encore assez désespérée pour s'adonner au tir au pigeon. Amassons d'abord des preuves, ensuite nous agirons en conséquence.
- Et comment tu appelles ça ? dit-elle en agitant la première page du Bliss News son mon nez.

Le journal date de ce matin.

Primé à Cinquante millions de Berry mais toujours sans visage !

Mais qui es-tu Cromagnon ?

Depuis dix ans, son nom emplit d'effroi les monarchies des Blues. Qui est exactement ce surnommé "Cromagnon" qui reste insaisissable ? Notre rédaction a fait l'enquête.

Le Cromagnon, c'est l'histoire de l'un des révolutionnaires les plus prolifiques de cette décennie. On entendit parler pour la première fois en 1617 durant la sanglante rébellion des Bushmens au pays de Dory. On parla de lui comme du stratège derrière cette révolution. Après ces évènements, il fut primé à trois millions de Berry. Son nom fit la une trois années plus tard, en 1620, une année riche pour les révolutionnaires des Blues qui s'emparèrent successivement du Baronnet de Modriç, du royaume de Caïn, du Protectorat des Sables et de la Fédération Insulaire de Kheb. Et partout, on murmura le nom du Cromagnon, on vit sa main invisible dans les insurrections. Et sa marque de fabrique restait toujours la même, la stratégie. Sans que nul, jamais, ne le vît sur les théâtres d'opérations, il aiguilla les forces révolutionnaires qui semblaient toujours avoir deux coups d'avance sur les loyalistes. Maintes fois, il fallut l'intervention sèche de la Marine pour bouter la Révolution hors des territoires conquis.

Plusieurs fois, des pontes révolutionnaires furent arrêtés et accusés tour à tour d'être le Cromagnon. Et à chaque fois, sa marque ressortait dans un autre coup de force. A tel point que plusieurs officiers qui souhaitent garder l'anonymat pensent aujourd'hui que le Cromagnon n'est pas une personne mais une idée, une marque de fabrique, une certaine enseigne stratégique autour de laquelle se rassemblent les révolutionnaires de tous poils.

Le Cromagnon, puisque c'est de lui qu'on parle, s'est fait oublier depuis qu'il a été primé à 40 millions pour son implication dans la Révolution des Enchainés qui vit le massacre de toutes les familles esclavagistes au pays de Ghist. Aujourd'hui, celui à qui la Marine prête le grade d'As de la Révolution revient de manière fracassante sur la scène internationale en s'emparant du Vizirat de Yallabah, l'un des principaux membres du Gouvernement Mondial sur North Blue. La réponse des autorités mondiales ne s'est pas faite attendre, l'Amiral Kindachi Tetsuda s'est vu confier la mission de libérer la nation des Ali. Avant que la flotte du Loup Vert n'arrive dans les eaux territoriales de Yallabah, le Vice-amiral Jared "L'étau" commandant du QG de North Blue impose déjà un blocus au Vizirat.

En attendant de savoir si le Loup Vert aura plus de succès en capturant enfin le Cromagnon, la prime de l'As a subi une augmentation de dix millions.

- Ce torchon n'est pas une enquête, ils ont juste relaté son CV.
- Ils ne parlent pas de la Confrérie. 'fin, personne ne semble au courant de leur existence. Mais si le Cromagnon en fait vraiment partie comme le soupçonne Dickson, ça veut dire que toute la Confrérie a prêté allégeance à la Révolution ? Donc Ashenbrenner peut ne pas désirer s'emparer de Myranah pour son propre compte mais pour que la Révolution en fasse un vivier.
- Possible, ou il veut juste s'en emparer, peu importe s'il vend son âme à la Révolution. Quoique, si ce mouvement pouvait mettre la main sur une arme comme le feu grégeois, le GM aura vraiment fort à faire.
- On ne les laissera pas faire !
- Ne dis pas ça avec autant de hargne, nous ne sommes pas des amoureux du Gouvernement non plus.
- Non mais on aime nos amis et eux en ont tué une. Pour Cathia, ils mordront tous la poussière !
- Qu'il en soit ainsi.

[...]

A la faveur de trois heures de libres et profitant du fait que Mirabella suive son cours de Langues Mortes, je me faufile jusqu'à la forêt interdite. Impossible de prendre de l’ascension alors que le soleil a décidé de me narguer en brillant très fort. Tenter de passer inaperçu est tout aussi vain. Résigné, je m'outille d'une corbeille et d'une pelle puis me laisse guider par Sinistros jusque dans les bois. Pensionnaires comme professeurs sont très intrigués et plusieurs fois, je dois répondre aux questions de mes collègues. Et toujours je vends la même rengaine ; Sinistros est un chien spécialement entrainé pour repérer la délicate odeur des fossiles et depuis que la directrice Cooks m'a informé que cette forêt regorgeait autrefois d'espèces uniques, je meurs d'envie de partir à la recherche des os fossilisés.

- Et tel un chien de chasse, Sinistros aboie quand il détecte un fossile. Il commence à creuser puis je prends le relais. A tâtons bien sûr, mais je fais ça mieux avec des étudiants. Du coup, je vais explorer le terrain, voir si je déniche un site riche en ossements puis je programmerai un cours d'excavation à mes étudiantes. Ce sera un avant-goût pour celles qui choisiront de se spécialiser en archéologie. Voulez-vous venir, Pr. Espéranto ? demandai-je au petit chauve qui me bombarda de question à l'orée de la forêt. Comme s'il en était le gardien.
- Non merci, Professeur. Mes outils à moi, c'est juste un stylo, un canapé et un audio-dial.
- J'utilise également un audio-dial pour prendre des notes. Vous êtes sûr de ne pas vouloir vous balader au grand air ? Retournez à la nature éveille les sens et ouvre le sixième chakra.
- Jojojojo ! Mon chakra va très bien. Merci pour l'invitation Lang, amusez-vous bien.
- Wouf ! Grrrrrrr !
- Tout à fait. Je ne le sens pas. Il m'épie, j'ai l'impression.
- Wouaf !
- Ce n'est pas plus mal qu'il me soupçonne, je veux que le tueur du Cromagon se sente acculé et fasse une erreur.
- Whouaf !
- Tu as tout compris. A malin malin et demi.
- Ouaf !
- Hahaha ! Moi aussi je me demande si tu me comprends. Allez viens mon pote.

Selon mes renseignements, Fridluva habiterait dans une grotte adossée à la montagne, du côté ouest de la forêt. Je m'y donc enfonce pour la rencontrer, slalomant entre des saules aux troncs aussi gros que dix hommes côte à côte. La forêt est vraiment dense et je m'étonne qu'une géante puisse s'y déplacer aisément. Je croise toutes sortes d'essences différentes, des noisetiers effilés dont les sommets culminent à soixante-cinq pieds aux arbustes nains qui foisonnent sous la canopée. La flore, c'est aussi les lianes que je dois parfois élaguer d'un tranchant de la main pour me frayer un passage. Les moustiques sont légions et au sol, les insectes sont rois. Les cimes sont quant à elles sous la coupe d'une dizaine d'espèces différentes de primates qui saluent mon intrusion sur leurs territoires en caquetant, jasant, babillant. Si j'étais susceptible, j'aurais affirmé qu'ils se payaient ma tête.

- Ouaf !

Sinistros bondit en arrière au moment où saillit d'un buisson un épais corps écaillé. Anaconda. Sinistros dresse l'échine et découvre ses longues canines et ses griffes rétractables de trente centimètres. Face à lui, le constrictor s'enroule sur lui-même et ouvre la gueule en sifflant furieusement. « Désolé mon vieux mais nous te servirons de diner une autrefois. Là, nous sommes un peu pressés par le temps. Dégage ! » Je fends l'air d'un pied, prêt à trancher la tête du reptile quand je perds appui, flanche et me retrouve au sol. La terre vient de trembler localement, comme si un géant était en marche. En une seconde, la masse tout en muscle du serpent commence à s'enrouler autour de mes pieds. Il déconne ? Chevelure de Bérénice !

- Y suffit y'ai dit ! Salop'rie, va t'bouffer ton déyeuner ailleurs !

Une main colossale s'empare du serpent et le jette dans les feuillaisons. « Ayez ptit d’homme, debout ! » Juste avec l'index et le pouce, la géante me remet sur mes pieds. Sinistros aboie de crainte mais moi je suis très intéressé. Trop grande pour cet espace, Fridluva est obligée de s'accroupir. Elle ne porte aucun ornement distinctif des géants d'Elbaf ou des mangeurs d'hommes de Châteaugéant. Je m'attendais à voir une sorte de sauvage mais n'eût été sa taille, Fridluva aurait très bien pu se faire passer pour une dame d'une cour royale. Ses cheveux noirs sont si luisants qu'ils reflètent les rares rayons de soleil qui percent la frondaison. Sa peau d'ébène est lisse et ses ongles tout propres comme si elle sortait d'un salon de manucure. Elle habillée d'un pantalon, d'un haut et de bottes à talons cousus en peaux de bêtes.

- Salut. Je suis le Professeur Lang.
- Yang ? 'chantée.
- Idem.
- Tu t'cherches que'que chose ?
- Vous. Il y a un endroit tranquille où nous pouvons parler ?
- Ya. Yiens.

Son incapacité à prononcer la lettre "j" m'éclaire sur ses origines. C'est une géante du peuple Trèflon du Fondement du Monde, un continent sis sur Calm Belt. Elle m'aiguille vers l'occident et peu à peu, les arbres se font épars et la végétation plus clairsemée. Nous en émergeons là où la forêt laisse place à une terre rocailleuse, au plus près de la Ceinturière. Sa grotte a été creusée à un flanc de colline. Plusieurs chaises de pierre sculptée ornent la devanture ; à ma droite, un doux feu cuit lentement une dinde à la broche. D'autres gibiers accrochés à des fils tendus tels du linge faisandent lentement. Je tâtonne et me pose sur une chaise de grès puis Fridluva dépose à mes pieds un tonneau entier de gnôle. A Sinistros, elle donne une saucisse de la taille de ma cuisse.

- T'es n'veau ?
- Oui j'ai commencé à la rentrée de ce trimestre. On m'a parlé du garde-chasse que vous êtes alors j'étais curieux.
- P'tit d'homme aveugle mais courageux.
- Merci. Vous faites ce boulot depuis longtemps, il parait.
- Y ai v'cu dans les monts du Fondement. Forêt, animaux, ye connais.
- Je suis déjà allé au Fondement du Monde. J'espère y retourner un jour.
- Où ?
- J'y ai visité le pays du fier peuple Cœurois et j'ai appris le Style de l’Éventail avec le peuple Aspic. J'ai rencontré quelques Trèflons mais je n'ai pas eu la chance de visiter Trèfle. Votre nation.
- Grande nation.
- Tout à fait. Quelqu'un d'autre que vous vit-il dans cette jungle ?
- Nan.
- Vous n'y avez vu personne récemment ? Aucun campeur, aucun amazone, aucun prof ?
- Si, un.
- Qui ?
- Bah toi.
- Et à part moi ?
- Personne, y a que Fridluva ici.
- Succulente cette dinde, vous les chassez dans la forêt ?
- Nan. Là-bas ! Ah bougre t'y peux pas y voir ! grogne-t-elle après avoir levé la main vers une étrange colline au sommet aplatit. Ye grimpe à colline là. Yuste avant sommet, y a plateau. Dindes et d'autres zoiseaux picorent là. Là-bas t'y peux voir toute l'ile !
- Je n'ai pas de bol, je suis aveugle. Ha ! Ha ! Ha !
- Esprit plus puissant que yeux.
- Pas faux. L'esprit peut tout imaginer. Sinon, ce soir tu dois conduire deux pensionnaires pour chercher des attiers sauvages. L'une d'entre-elle, Mirabella Greengrass est mon assistante.
- Aaah, Mira et Fridluva, amies. Chercher plants va être marrant ! Fiafiafiafiafia !
- Je n'aimerais pas que quelque chose arrive à Mira.
- Han ? Rien va lui arriver ! Amie n'laisse pas amie s'blesser ! dit-elle avec un gros sourire toutes dents dehors.
- Dans ce cas, moi aussi, je suis ton ami.
- Fridluva aime avoir p'tit d'homme courageux comme ami.

[...]

PULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Oh toi tu veux me demander un service.
- Pfff, je ne peux pas t'appeler pour te dire bonjour ?
- Bien le bonjour Loth. Comment ça va depuis le temps ?
- Ça fait juste trois mois, tout baigne et toi ?
- Ça peut aussi aller. Les mineurs sont en grève et j'ai une pléthore de réunions pour désamorcer la crise sociale qui se profile. Et dans ces cas là, j'aurais bien besoin de mon acolyte.
- Je te l'ai déjà dit. Si tu as des méchants à dégager, des comploteurs à envoyer au fer, je suis ton homme. Mais les petites gestions de tous les jours, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé. C'est pour ça que tu es roi et que moi je suis un freelance. Qui a besoin de ton aide.
- Aaah, on y vient !
- S'il vous plait, votre majesté ?
- Ça suffit. Tu as vissé mon cul sur le trône du givre alors je t'en dois une renouvelable à chaque fois. Que puis-je faire pour toi ?
- Je suis sur une affaire qui te concerne en fait.
- Tu m'intéresses.
- Le Cromagnon.
- Ne parle pas de malheur. Ce fumier veut jeter son dévolu sur Boréa ?
- Selon mes indics, il préparerait une opération, mentis-je. Ce n'était tellement pas nécessaire, mais j'adore mentir juste pour le plaisir.
- Où es-tu là ?
- Pas à North Blue. J'ai besoin d'informations en fait, sur ce qui s'est réellement passé à Yallabah.
- Ah, la chute des Ali. Green Wolf va reprendre le Vizirat en moins de deux.
- Nul n'en doute. Je veux tous les dessous de la bataille qui a eu lieu, les forces en présences, tout. J'ai une piste très sérieuse sur lui et je veux le stopper le plus rapidement possible. Yallabah n'est qu'à trois cent kilomètres des côtes de Boréa.
- Ne m'en parle pas. Je secoue les bureaucrates de Marijoa et je te reviens.
- J'ai également besoin de la liste de tous les royaumes renversés par le Cromagnon. Des plus riches aux plus insignifiants.
- Considère que c'est fait.
- Merci Max.
- Loth ?
- Hmmm ?
- Ne fais pas de folies, il est dangereux.
- Les Lunes aussi l'étaient. Et puis, où est le fun quand c'est facile ?

[...]
20h45

PULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!

- Alors ?
- On s'en tient au plan. Tu surveilles Espéranto et moi je me charge des filles. Nous sommes au quatrième jour après la rentrée, la Confrérie n'a pas toute la vie devant elle non plus. Il y a de fortes chances qu'ils agissent ce soir.
- Je ne serais pas mieux avec toi en support ?
- Non, c'est bon, nous devons couvrir le maximum de terrain. Tu dois être proche d'Espéranto s'il bouge. Et puis, il y aura Fridluva avec les filles.
- Tu as confiance en cette géante ?
- Elle ne m'inspire aucune méfiance en tout cas et elle a l'esprit simple, comme tous les Trèflons que j'ai rencontrés. Je doute qu'elle soit une tueuse à gage. Mais je suis prêt à toutes les éventualités. Allez, j'y vais, je dois être dans les bois avant elles pour les suivre efficacement.
- Bonne chance.

Il est vingt-heures quarante-cinq, dans quinze minutes, Fridluva viendra chercher les filles à l'orée de la forêt interdite. Par la fenêtre, j'aperçois un ciel d'encre illuminé de temps à autre par des éclairs fourchus. Le tonnerre tonne. Une belle nuit d'orage en perspective. Sinistros grogne et montre des dents alors que nous nous apprêtons à sortir. Quelqu'un est derrière la porte, assurément. Je vais ouvrir et tombe sur Nolande Shearer. Elle est totalement éméchée et diffuse une puissante odeur de xérès bon marché dans le couloir.

- Hic ! Tu hic ! sors quelque part ? hic !
- J'adore les promenades au clair d'éclairs. Et vous, vous préparez votre coma éthylique ?
- Moi hic ! j'dirais hic ! que tu va hip ! voir c'te fille !
- Vous êtes soûle, même un aveugle saurait le voir. Retournez donc dormir dans votre chambre.
- Me hic ! dit pas c'que j'dois faire hic ! hic ! s'énerva-t-elle. Elle enfonce son long index tremblant dans ma poitrine. Hip ! J'tai dit que hic ! t'allais pas hip ! r'commencer ici ! C'te fille, Mira, hic ! j'ai vu ! votre cinéma !
- Ce n'est pas tout ça mais je dois y aller. Sinistros.
- Hic ! TU hic ! VAS NULLE hic ! PART ! rage-t-elle. Elle laisse tomber ses bouteilles et me plaque contre le mur avec une force qui me surprend. Tout sur elle empeste le xérès. Hic ! T'AS GÂCHÉ MA VIE !
- Je ne vois pas de quoi vous parlez et si vous ne me lâchez pas, mon chien vous attaquera !
- Tu t'en es bien tiré hein ? hic ! hic ! L'roi t'a sauvé ! hic ! Mais tu penses aux filles ?! Nadia, Sonia ! Hic ! T'as tué leur innocence ! Hic ! Plus jamais elle s'ront les mêmes ! Hic ! Pourriture !

La pluie qui commence à tomber à l'extérieur semble avoir assourdi les professeurs de mon palier. Tant mieux parce Shearer commence à s'adonner à la folie furieuse. Ses imprécations nées de la rage se mêlent rapidement aux larmes et au fur et à mesure qu'elle m'invective, elle essaie de m'étrangler. Je me défais de son emprise et d'un bras, enserre son cou dans une clé articulaire. Quelques secondes plus tard, elle dort tranquillement. Personne à l'horizon, je la transporte jusqu'au hall où je la dépose, entourée de ses bouteilles. Avec un peu de chance, un autre prof' la verra et signalera son ébriété à Cooks. J'ai hâte de la voir enfler à nouveau.

Quoiqu'il ait pu se passer entre Lang et elle, ça la ronge énormément. J'aurai tendance à croire ses accusations et si je n'étais pas aussi empêtré avec la Confrérie, j'aurais enquêté dessus. Peut-être ce fumier de Lang fait-il subir d'autres atrocités à d'autres filles, poussé par ses pulsions maladives. Mais l'heure n'est à ce genre de réflexion, à cause de cette femme, je viens de rater le coche. Les filles sont surement au plus profond dans la forêt. Ce n'est pas le moment de jouer aux bipèdes, je m'empare de Sinistros d'une main et de l'autre, je frappe un point de solidité ce qui me propulse dans le ciel orageux.

Dans le lointain, un hurlement épouvanté se mêle au tonnerre qui gronde.
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Que se passe-t-il ?
Par-delà le vacarme de l'orage, j'ai perçu un cri désespéré. Est-ce que je m'attends tellement au pire que mon imagination crée les évènements ? Mes bonds sont puissants et espacés. Là, c'est le pouvoir de la sauterelle que j'aimerais détenir. Avaler trois cent mètres en un coup. Je suis bien moins efficace et forcément, je rage de cette impuissance. La forêt interdite est encore à plus de trois kilomètres de moi.
« AaaaaAAaaaAAaaaaAAAAaaaaaaaaaaaaah !!! »
Alors que je sautille au-dessus du Bloc A, je l'entends très distinctement à travers le bourdonnement du vent. Une voix aigüe, féminine mais trop altérée par les rafales et le déluge pour permettre une identification. Mon sang ne fait qu'un tour et mon cœur bat à tout rompre. Ça y est, il est passé à l'action, le Cromagnon.

- Putain ! Style de la Pieuvre !

J'invoque le Retour à la Vie dont je puise l'essence dans mon passé d'esclave. Mes muscles sont vivifiés et je sens chaque cellule de mon corps. De cette fontaine de vigueur, j'irrigue mon bras droit qui se tonifie, se muscle en une seconde et devient aussi épais que deux cuisses. A l'aide de cette force soudaine, je frappe plus fermement que jamais l'air et avale deux fois plus de distance. En deux minutes à peine, je survole la forêt et essaie de localiser la source des cris. Le vent gronde et emporte les échos dans des directions trompeuses.
« OOOOOURRRRMPHHHHHHHHHHHHHH !!! »

Barrissement de plusieurs éléphants à mes trois heures. Les arbres sont secoués dans tous les sens et certains sont déracinés sans ménagement sur le passage de la horde de pachydermes affolés. Sous mon aisselle, Sinistros aboie à s'en rompre les poumons. Il a peur de ce qui effraie les éléphants. Moi, j'ai peur de ce que cette chose aurait pu faire à Mirabella. La créature qui poursuit les éléphants apparait. Monstrueuse. Suis-je fasciné ou interloqué ? Elle est aussi grande que Fridluva, sauf qu'elle a des crocs et griffes en plus. Sans oublier sa mortelle queue de scorpion. Le sphinx des légendes.


Sans réfléchir, je plonge et m'interpose entre la créature et la horde qui a détalé. « Va et trouve les filles ! » dis-je à Sinistros qui se faufile et disparait entre les arbres. Le rugissement du monstre déclenche des envolées de chauve-souris. Il pleut toujours à verse et la nuit est noire, timidement illuminée par le flash-dial fixé à mon casque de mineur. La bête saigne du flanc, plusieurs carreaux se sont profondément figés entre ses côtes.
« Qu’es-tu es exactement ? Un Zoan mythique ? »

- Zoan.
- Vraiment ? Et tu es là pour vacances ou affaires ?
- Affaire.
- Et ton affaire implique-t-elle tuer une jeune femme ?
- Affaire ! Affaire ! Affaire ! Affaire ! Affaire ! Affaire ! Affaire !

Quand il charge, c'est la terre qui tremble sous sa masse. Il balaie horizontalement l'espace d'une patte et arrache tout ce qui est debout. Je me couche dans la gadoue et roule. Un autre coup de patte, encore un autre et je continue de rouler tel un tonneau. Un salto arrière m'aide à de relever. Lordly Tiger, Poing du Messie !
Mon bras à double articulation fend l'air et génère une onde de choc qui fuse et percute la créature à la tête. Elle est stoppée net dans son avancée pendant deux secondes. Puis elle rugit de plus belle, plus furieuse que jamais. Je réitère le Poing du Messie, je multiplie les coups dans le vide si rapidement que mes bras en deviennent flous. C'est une rafale d'ondes de choc qui s'abat sur le sphinx. Je vise son flanc déjà perforé, il glapit de douleur, recule un moment avant de se ruer à nouveau malgré sa cage thoracique ensanglantée par mon attaque.

Merde !
Sa vitesse me surprend. Énormément. En un bond, il m'obombre. La seconde suivante, je vole à travers les feuillages. Le Retour à la Vie m'a permis de me muscler et d'encaisser le choc. Malgré cela, j'ai le souffle coupé et un goût de sang dans la bouche. Mes bras sont couverts de profondes griffures qui me brulent. J'évite de m'écraser contre un arbre en rebondissant dans l'air grâce à mon "Geppou manuel".
« GRRRROOROOOOOOOOOOOOAAAAAAAAAAAAAAAARRRRRRRRR !!!!! »
J'hallucine. Son souffle déclenche une tempête qui n'a rien à voir avec l'orage en cours. Du vent à grande vitesse, plutôt une onde de choc semblable aux miennes. Je ne n'imaginais pas qu'il puisse être aussi puissant ! Une nouvelle fois, je voltige contre mon gré et ne rate pas le rendez-vous avec un tronc cette fois-ci. J'y esquinte mon épaule gauche, la douleur fulgure et foudroie tout mon être me laissant groggy au pied de l'arbre.

- Saloperie ! Fracture... marmonnai-je. La douleur est intense et m'aveugle presque.

Je pantelle, souffle et jure. Je n'ai jamais été un gros fan de la douleur. Je sens la silhouette du monstre sur moi. Ne me pousse pas à bout gros chat ou tu goutteras de Shawn ! La queue de scorpion fouette l'air, droit sur moi. C'est le bon moment pour appeler mon alter-ego sanguinaire à la rescousse. Ou pas. La terre recommence à trembler et de mes neufs heures déboule Fridluva tête baissée. Elle plaque la bête et la gadoue vole dans tous les sens quand les deux mastodontes tombent au sol.
« ATTENTION FRIDULVA ! NOOOOOOON !!! »
Merde, non ! Trop tard, la queue du sphinx se plante dans la cuisse de la géante qui lâche un râle. Du venin de sphinx bordel ! J'en frémis d'horreur. Pas la Trèflonne toujours enlacée dans une lutte à mort avec la bête dont elle maintient la tête dans la vase. De l'autre main, elle extrait le dard de sa cuisse puis tire et élongue la queue du sphinx jusqu'à l'arracher. Je suis sidéré par la force brute requise par cet acte. Toujours animée d'impulsions électriques, la queue esseulée bouge frénétiquement par terre.

Fridluva flanche et s'étale au sol, faute au venin qui agit. Blessée mais libre de bouger à nouveau, la chimère ailée se rue sur la géante. « Dégage sale bête ! » Je trouve la force de me relever et de scinder l'air d'un coup de pied tonifié au Retour à la Vie. L'onde de choc tranchante lacère la bête au cou. Une saccade de sang se mêle à la pluie. Je renchéris encore mais le sphinx se dérobe et s'enfuit. Reste-là, nous n'avons pas fini de parler ! J'essaie de me lancer à ses trousses mais la douleur est écœurante. A la place, je m'effondre à mon tour. Il faut faire quelque chose pour Fridluva alors je rampe sur mon bras valide et finis par atteindre la cuisse envenimée de la géante. Tout autour de la piqure, la chair est devenue violacée et se couvre de pustules plus grosses que mon poing. Un venin cytotoxique qui digère la chair. Plus de trois deux minutes se sont écoulées depuis la piqure, un garrot est inutile. J'espère que les secours arriveront à temps pour elle.

Dans tout ça j'ai oublié Mirabella. Je me sens tout engourdi. J'espère que ce monstre ne l'a pas...
Émeline, Sinistros, retrouvez la...

[...]
Jour 5
___________________________

- J'en ai marre de finir à l’hôpital à chaque fois.
- Chuuuuut ! Ne remue même pas les lèvres ! susurre Émeline.
- Où suis-je ?
- A l'infirmerie. Où veux-tu être ? Tu t'es salement luxé l'épaule, ton humérus a été remis à sa place mais tu vas être affublé de cette écharpe pendant un moment.
- Arrête de radoter !
- Ookey, okey, monsieur grincheux. Mirabella va bien, plus ou moins. Elle a de grosses ecchymoses principalement à un bras et au dos. Moins de chance pour sa copine dont la jambe robotique a été complètement écrabouillée par la créature. Je l'ai vue la pauvre, elle est complètement gaga, ils ont dû l'endormir avec un somnifère pour l'empêcher de s'automutiler dans ses phases de dépression. Selon l'histoire qui court, elle a déjà été attaquée par un animal qui lui a croqué la jambe.
- Henrietta Stemper a revécu son pire cauchemar, c'est suffisant pour briser un équilibre émotionnel déjà précaire. Fridluva ? Sinistros ?
- La géante est dans le coma, apparemment le venin de la chose qui vous a attaqué n'est pas commode. Sinistros est avec Mirabella qu'il refuse de lâcher. La princesse a parlé d'un monstre chimérique lion-scorpion-chauve-souris. Tout le monde pensait qu'elle délirait jusqu'à ce qu'on voie les dégâts dans la forêt, le flot de sang et l'état de la géante. Loth, qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ce que la princesse a dit. On a eu affaire à un sphinx grandeur nature.
- Attends, c'était un zoan mythique ?
- C'est ce qu'il m'a dit quand je lui ai demandé.
- Vous l'avez eu ? C'était le tueur du Cromagnon ?
- Ce n'était pas un zoan.
- Tu viens de dire...
- Je lui ai demandé s'il était un zoan mythique, il m'a répondu "zoan". Je lui ai demandé s'il était dans le coin pour vacances ou affaires, il m'a répondu "affaire". Et quand je l'ai questionné sur les détails de cette affaire, il a continué à baragouiner "affaire, affaire, affaire". Ce que nous avons affronté n'était ni doué d'une intelligence humaine, encore moins de parole. A l'instar des perroquets, il disposait juste d'un certain talent d’imitation de la voix humaine.
- Je crains le pire mais je dois demander. Les sphinx existent-ils ?
- Malheureusement, si. Il y a cent trois ans se déroulait la bataille de Marine Ford, mais juste avant, une autre bataille eut lieu à Impel Down et vit la plus grande évasion de l'histoire de la prison. Certains de ces évadés se sont convertis à l'écriture et ont relaté en détail le récit de leur rocambolesque évasion. Et tous mentionnent le niveau 2 de la prison, "le Bestiaire", où des créatures quasi-uniques étaient détenues. Le patron de ce niveau était justement un sphinx.
- Merde alors. Mais... cette chose est venue seule ? Personne ne la commandait ?
- Je n'ai vu aucun humain mais bon, il faisait nuit et il pleuvait alors... Vous n'avez pas trouvé le corps de la bête ? Je lui ai sectionné la trachée, elle n'a pas pu aller bien loin.
- Il est cinq heures du matin, Loth. Regarde, le soleil commence à poindre. Ce que moi j'ai entendu hier, c'étaient d'abord les cris de la géante et des éléphants. Je suis sortie sous la pluie et j'ai vu sous les lueurs des lampadaires que les oiseaux s’enfuyaient donc j'ai su que ça bardait. Quand je suis arrivée, il y avait plein d'Amazones armées, la fille Stemper en pleine crise de panique, Mirabella par terre et Sinistros à ses côtés. C'est un super chien, il les a sorties de la jungle en les portant sur son dos une à une.
- Normal, les Canis Cornibus sont des chiens montagnards, ils sont aussi musclés que des tigres. Qu'as-tu fait après ?
- J'ai profité de la confusion pour me glisser dans la forêt à ta recherche mais un groupe d'Amazones vous avaient déjà trouvés. Je les ai laissées faire, je ne pouvais pas t'approcher et trahir ma couverture ; en plus, tu ne semblais pas blessé. Il a fallu des chevaux pour tracter Fridluva de là. Donc pour répondre à ta question, non. Il y a eu une battue le reste de la nuit pour retrouver ce qui vous a attaqué, mais en vain.
- M'enfin, il allait mourir d'un moment à l'autre !
- Il s'est peut-être envolé puis est tombé dans la mer.
- Et sa queue ? Fridluva la lui a arraché.
- Je n'ai pas vu de queue et nul n'en a parlé.
- C'est bizarre.
- Sur quel pied danserons-nous maintenant ? Si ce n'était pas un zoan alors c'était un animal bien vivant. Et vu qu'il peut voler, on peut se demander si c'est juste un monstre de passage où l’œuvre du Cromagnon.
- Un sphinx migrateur ? Tu y crois toi ?
- Pas le moins du monde, surtout pas le soir où la princesse était bien vulnérable.
- C'était un monstre dans tous les sens du terme, si quelqu'un le contrôlait dans l'ombre alors nous aurons fort à faire.
- En tout cas, ce n'était pas Jordy Espéranto. Il était chez lui jusqu'à ce que je rompe ma surveillance pour me précipiter vers la forêt. A moins qu'il n'ait un moyen de le contrôler à distance.
- Je suis largué aussi et n'arrive pas à bien réfléchir à cause de la douleur. Mais, je me dis que si la Confrérie engage un moyen aussi radical d'emblée pour tuer une princesse presque sans défense, je n'ai pas trop envie de savoir ce qu'ils vont inventer maintenant que leur plan A est un échec.
- Bon, je dois y aller, je suis entrée par la fenêtre à la faveur de la nuit. Tout le monde s'interroge sur la présence d'un aveugle dans cet imbroglio. Prépare-toi à un débriefing.

Elle hésite puis dépose un baiser sur mon front avant de s'éclipser.
Moi aussi j'ai envie d'un débriefing, je n'ai pas tous les morceaux du puzzle.
Et dire que la seule journée facile, c'était hier.

[...]

Après Émeline, c'est autour du médecin en chef de l'infirmerie. Ma fausse barbe a tenu les chocs, reste à savoir si la doctoresse a percé ma fausse cécité à jour en testant mes réflexes pupillaires pendant que j'étais dans les vapes. Il semblerait que non. Elle m'interroge sur mes sensations et j'embellis le tableau pour pouvoir être libre le plus rapidement possible. Il me tarde de retourner dans la forêt et d'examiner les différentes scènes. Je la questionne aussi sur l'état de Fridluva qui m'inquiète. Elle m'a sorti du pétrin. Le Docteur Joëlle m'informe avec regret que la géante est dans un état comateux et que son pronostic vital est réservé, le poison étant d'une rare virulence. « Il est neurotoxique et cytotoxique. Nous avons pu arrêter la nécrose de la chair mais nous cherchons toujours un remède aux neurotoxines. Une équipe devrait arriver de Bliss dans la journée, nous avons bon espoir de la sauver. »
Après elle vient Mirabella qui se jette à mon cou, partagée entre remerciement et sanglotement. Sinistros se joint à elle et me recouvre de bave.

- Du calme tous les deux, nous devons parler. Enfin, vous et moi, Mlle.
- Merci encore, sans Sinistros, j'ignore ce qui nous serait arrivé !
- Rien à priori vu que le Sphinx s'amusait déjà bien avec nous, répondis-je tout en me demandant si ce n'était pas une diversion. Sinistros leur a peut-être bel et bien sauvé la vie de celui qui contrôlait la bête. Qu'est-ce qui s'est réellement passé ? Racontez-moi tout en détail.
- J'ai toujours l'impression que c'est un cauchemar, je me demande quand je vais me réveiller, marmonne-t-elle rapidement en se tenant les cheveux. Elle fait les cents pas dans la pièce. Tout comme moi, elle arbore plusieurs bandages. Fridluva est venue nous chercher mais Henrie paniquait. Normal quoi. Frid’ lui a proposé de la porter sur son épaule mais elle a refusé. On est entrée dans la forêt quand il a commencé à pleuvoir mais on avait nos imper' et tout. Le truc c'est que même avec nos torches, on n’y voyait pas à deux mètres, donc on se contentait de marcher dans les pas de Frid’. On est allée vers l'est en se rapprochant de la rivière et plus on s'enfonçait, plus Henrie paniquait. Puis on a vu un gros anaconda.
- Mouais, je le connais celui-là, pensai-je.
- Du coup, avec son herpétophobie, elle a détalé en hurlant.
- Normal, non ?
- D'habitude quand elle croise un reptile, même un simple lézard, elle est tétanisée, elle n'arrive pas à bouger jusqu'à ce que l'animal sorte de son champ de vision. Donc quand elle s'est enfuie, ça m'a vraiment inquiétée. Euh, oui, on a recommencé à se parler, elle s'est excusée. Bref, depuis qu'on a appris pour la retenue, elle n'a cessé de se faire du sang d'encre et moi d'essayer de la rassurer. Donc j'ai pensé qu'elle avait complètement craqué et j'ai couru après elle aussi. Mais je l'ai perdue de vue. Frid' et moi l'avons cherchée dans les bois pendant quoi... j'ai perdu le compte. Peut-être dix minutes ou plus puis on a entendu un "pop".
- Un "pop" ?
- Ouais je m'en rappelle parce que j'ai pensé qu'on nous tirait dessus.
- Un coup de feu ne fait pas ce bruit-là.
- Sauf avec un silencieux. J'ai vu mon frère s'essayer au tir avec ce dispositif pour atténuer le son.
- Intéressant. Mais s'il était assez fort pour que vous l'entendiez même avec l'averse alors ce n'était surement pas un modérateur de son. Mais continuez.
- En tout cas, personne n'a été blessé par balle. Bref, après le "pop", j'ai entendu les sanglots d'Henrie donc j'ai pénétré dans les bosquets pour la chercher et ça là qu'on le vit.
- Le sphinx.
- Ouais. Ce monstre. A partir de là, je ne sais plus ce qui s'est passé pour être franche. Le sphinx nous a attaqué, j'ai réussi à pousser Henrie de son chemin mais je me suis prise un coup de griffe. Il est revenu à la charge et d'un coup de patte, il a complètement émietté la jambe cybernétique de Henrie. Fridluva est intervenue à ce moment là en criblant la bête de flèches. Elle nous a hurlé de nous enfuir pendant que le sphinx se jetait sur elle et qu'ils roulaient vers la Roseraie. Forcément, avec Henrie devenue unijambiste tout en perdant la boule, ça n'a pas été du gâteau. On a entendu un gros "splash" et là, je me suis dite qu'ils sont tombés dans le fleuve tous les deux.

Je comprends mieux le déroulement des évènements. Après le bain forcé, le sphinx a dû s'extirper de la Roseraie plus aisément que la géante. Il est retourné dans la jungle et a poursuivi la horde de pachydermes ce qui l'aura conduit à moi. Savoir comment les choses se sont passées ne m'aide pas à les éclaircir, au contraire. Ma certitude que le sphinx fût forcément sous contrôle de quelqu'un est un peu ébranlée parce qu'au final, je me rends compte qu'il n'a attaqué que ce qu'il avait sous yeux. Les filles, Fridluva, les éléphants, moi. S'il fut vraiment conditionné pour s'en prendre à la princesse, alors c'est un échec cuisant. Mirabella n'était pas si dur à retrouver et si Sinistros avait pu suivre sa trace olfactive, ce sphinx aurait dû en être capable. Quelle conclusion tirer de tout ça ? Que la présence de cet animal rarissime était un pur fait du hasard ? Que le Cromagnon a eu les yeux plus gros que le ventre en déployant un moyen aussi incontrôlable pour arriver à ses fins ?
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La directrice Cooks est accompagnée du vice-directeur Espéranto et d'une femme musclée portant un treillis aux motifs roses. Cooks me la présente comme Marpessa, Commandante de la garnison Amazone. N’eussent été l'anneau qui transperçait son nez et l'estafilade qui l'entailla des lèvres supérieures jusqu'au menton, elle aurait été belle.

- Professeur, nous essayons de comprendre les évènements de la nuit dernière.
- Mais avant... L'amazone extrait de sa poche une balle de tennis qu'elle me lance. Et que je rattrape.
- Beau lancer. On se fait un baseball ?
- Comment faites-vous ça ?! demande Espéranto.

Vieux fumier, il y a encore des chances que tu sois celui que je recherche.

- Comme je l'ai expliqué à mes élèves, la cécité signifie juste ne pas percevoir le monde grâce au sens de la vue. Ça ne signifie ni la paralysie musculaire, ni l'incapacité à se mouvoir dans l'espace. Chauves-souris, dauphins et j'en passe, il y a des milliers d'espèces dans le monde qui ne font pas confiance à leurs vues et ont développé des moyens alternatifs.
- Vous n'êtes aucune de ces créatures.
- Et si j'avais leur pouvoir ?
- Vous avez un pouvoir du démon ?
- Non mais après avoir été privé de lumière à mes quinze ans, je suis tombé en grave dépression. Dans un sursaut, je me suis rappelé tous ces grands hommes qui laissèrent une trace indélébile dans l'histoire malgré leur cécité. Alors je suis parti sur leurs traces, j'ai voyagé loin, visité des contrées que vous aurez peine à imaginer, fréquenté des peuplades qui ne figurent dans aucun livre d’anthropologie. De la tribu des hommes-taupes de l'ile de Submundo aux fils de la nuit des îles célestes de Pangaris, j'ai côtoyé des gens vivant perpétuellement dans le noir. Avec eux j'ai appris à des techniques qui me permettent de me déplacer presque aussi aisément que vous autres. Ou sinon, pensez juste à l'amiral Fujitora et dites-vous qu'il n'est pas seul dans son cas.
- Donc à quoi vous sert votre chien ?
- Ces techniques requièrent un important effort de perpétuelle concentration. Je n'en use que lorsque je suis séparé de Sinistros. Pouvons-nous en venir au sujet ?
- Que s'est-il passé et que faisiez-vous dans la forêt ?
- Je m'inquiétais pour les filles et pour Miss Sempter en particulier. Pour ce qui s'est passé, je l'ignore, ne comptez pas sur un aveugle pour vous faire une description. Je sais juste qu'on a été attaqué par un monstre aussi colossal que Fridluva et qu'on s'est démené pour ne pas figurer à son menu.
- Comment ?
- Sérieusement ? Vous voulez que je vous refasse le topo des styles martiaux que j'ai appris de X ou Y ? Sur un autre registre, sachez que je vous tiens personnellement pour responsable de ce qui s'est passé hier Pr. Espéranto !
- Moi ?
- En tant que psychologue, vous connaissiez mieux que personne les phobies de Stemper et pourtant, c'est vous qui avez proposé cette retenue en forêt !
- C'était une thérapie de choc ! Elle devait se confronter à ses peurs !
- Félicitation dans ce cas. Elle s'y est tellement frottée qu'elle doit marcher avec des béquilles maintenant sans parler de la possibilité qu'elle ait complètement perdu pied avec la réalité ! C'était bien merdique comme idée ! N'excusez pas mon langage !
- Pardon ? A vous entendre on dirait que vous m'accusez d'avoir lâché sur vous ce... monstre que personne n'a vu d'ailleurs !
- Bah, si les pensionnaires étaient tranquillement en retenue dans les cuisines, je doute qu'on eût explosé la jambe de Stemper ou salement amoché Greengrass. Et que sous-entendiez-vous ? Vous pensez que nous fûmes agressés par des peluches venimeuses ?  
- Messieurs, nous nous éloignons du sujet. J'ai promis au docteur Joëlle que nous respecterons le silence alors reprenez-vous.  
- On a retourné toute l'ile, mes filles n'ont trouvé aucune carcasse, sauf celles de deux éléphants probablement tués par le monstre que Miss Greengrass a décrit. Autrement, y a aucun morceau de ce monstre. Par contre, y avait du sang à gogo, du sang violet mêlé au rouge.
- Les couleurs et moi... Je sais que Fridluva lui a coupé la queue, elle l'a crié avant de s'effondrer.
- On a trouvé aucune queue. Avant qu'on arrive, le sang a attiré des vautours mais surtout des meutes de chacals. Ils ont sans doute bouffé la queue ou l'ont trainée vers leurs terriers.  

Ces maudits charognards ont donc pollué ma scène de crime.
Soudain, la porte s'ouvre la volée et dans l’entrebâillement se décalque la silhouette de Nolande Shearer. Si d'habitude son regard me reproche la mise à mal de sa carrière et l’agression de mineures, aujourd'hui, c'est différent. Je peux voir des veinures saillir de sa sclère ; quant à ses prunelles, elles lancent des éclairs de haine. Elle a l'air de me reprocher ma naissance et tous les maux du monde. Sinistros se lève et découvre ses crocs. Quelque chose dans son apparence de folle furieuse est inquiétant.

« C’EST TOI, JE SAIS QUE C’EST TOI ! ORDURE ! VIOLEUR ! »
Elle esquisse un pas vers moi. Sinistros se jette sur elle en aboyant férocement. Les directeurs sursautent, la princesse rote de stupeur et moi j'observe la scène, intrigué. Amusé, aussi. Par terre, Shearer continue de m'insulter et essaie de se relever sans succès. Il a suffi que Sinistros couche ses deux cent kilos de pur muscle sur sa poitrine pour totalement l'immobiliser. Veille à ne pas l'étouffer mon pote.

- Vous vous êtes crue où Shearer ?! aboie Cooks, hébétée.
- Debout Sinistros.
- Maudit clébard dégage ! C'EST LUI MADAME, LUI QUI M'A DROGUÉE ! crie-t-elle en tendant un doigt vers moi.
- Soyez pas ridicule Shearer ! On vous a trouvé dehors au milieu de bouteilles de xérès !
- C'EST LUI J'DIS ! C'EST SA MANIÈRE DE PROCÉDER ! MÊME SUR DE PAUVRES FILLETTES IL A BESOIN DE LES DROGUER POUR ABUSER D'ELLES ! C'EST UNE POURRITURE DE LA PIRE ESPÈCE !  
- Non mais qu'est-ce qui se passe ? J'ai des patients qui essaient de dormir ! Sortez professeur Shearer ! Sortez de mon infirmerie ! intime la doctoresse qui vient voir la source du boucan, toute aussi scandalisée que Cooks.
- C'EST PAS MOI L'ENNEMIE, C'EST LUI ! VOUS SAVEZ PAS A QUOI VOUS EXPOSEZ LES FILLES ! Et vous à trainer avec lui ! Vous n'avez pas de trou noir princesse ? Pas la sensation d'avoir oublié une partie de votre journée ? Si c'est le cas, sachez qu'il vous a déjà drogué et abusé de vous ! C'EST UN PRÉDATEUR SEXUEL ! TOTALEMENT DÉTRAQUÉ ! LÂCHEZ-MOI ! DE QUEL DROIT OSEZ-VOUS ME TOUCHER ! LÂCHEZ-MOI OU VOUS LE PAIEREZ CHER ! continue-t-elle de vociférer alors qu'elle est trainée dehors par une Amazone.  

Folle, elle plante ses dents dans les mains qui la retiennent. La soldate lâche sa prise et j'ai tout juste le temps de voir Shearer se tourner vers moi, un révolver à la main. Tout le monde s'écarte de sa trajectoire et quand le premier coup part, je tombe déjà du lit. La balle se loge dans l'oreiller où ma tête se trouvait une seconde auparavant. Je crois rêver. C'est d'un insensé ! Elle veut vraiment me tuer pour cette histoire de pédophilie ? Sinistros grogne puis bondit avant que je ne puis l'arrêter. Je vis un mauvais ralenti. Je vois mon chien suspendu entre ciel et terre, gueule grande ouverte, griffes en avant. Il se jette sur la démente. Elle le tient en joue. J'ai deux secondes de retard. Je suis impuissant. La balle fuse. Une gerbe de sang éclabousse le mur. Le glapissement aigu de douleur me sidère. Puis le temps reprend son cours normal. Marpessa désarme Shearer puis l'immobilise au sol. Je n'ai d'yeux que pour mon chien.

- Oh putain ! Tiens bon !  
- Wouoooouf !
- Écartez-vous, professeur !

La doctoresse est déjà au chevet de Sinistros. La balle l'a touché à la patte droite, il saigne abondamment et elle maintient une pression pour stopper l'hémorragie. Mirabella, Espéranto, Cooks se relèvent, complètement hagards et stupéfaits. Shearer est menottée. Ses yeux sont emplis de rage, de démence. Elle continue de m'injurier en postillonnant abondamment, essayant de m'atteindre avec ses jambes. Elle fait preuve d'une telle force qu'il faut trois autres Amazones supplémentaires pour la sortir de la salle. Une foule composée d'infirmières et de patients commence à s'agglutiner devant la salle. C'est étrange, je ne ressens ni colère, ni haine envers cette femme, bien qu'elle ait failli tuer un de mes amis.  

- La balle lui a profondément entaillé la chair sans s'y figer. Mais faut le recoudre. Tina, une civière ! Il est trop lourd, infirmiers !

Sinistros est emmené ailleurs ; d'un regard, je charge Émeline présente dans les badauds de le suivre. Plus que jamais, je dois rester avec la princesse. L'attroupement est chassé par la voix sèche de la directrice qui referme la porte sur nous puis s'écroule, la tête entre les mains. Dans un coin de la pièce, je scrute Espéranto qui respire bruyamment tout en s'épongeant le front. Des larmes silencieuses coulent sur les joues de Mirabella. Elle a beau être forte, croiser la mort deux fois en moins de dix heures, c'est trop. Seuls Marpessa et moi sommes maîtres de nos sentiments.  

- Non mais c'était quoi ça ?! tonne Mirabella avec un air autoritaire et hautain qui pour la première fois, me rappelle son ascendance royale. Elle avait le même regard qu'Henrie quand elle m'a attaquée ! Il y a une épidémie de folie furieuse qui souffle ou quoi ? Professeur Lang, elle vous a accusé de...
- Elle est folle, tranche Cooks qui se relève pour plus de dignité. J'ai renvoyé le professeur Shearer ce matin même, parce qu'elle a été trouvée en état d'ébriété si avancé qu'elle a dormi sous la pluie sans se réveiller ! Elle était plus proche du coma éthylique !
- Oui, elle empestait l'alcool.
- Pour se défendre, elle a porté des accusations outrageuses sur le professeur Lang.
- Elle n'en est pas à son coup d'essai, on a déjà passé le chiffon de trop nombreuses fois sur ses problèmes d'alcoolisme.  
- C'est pour ça que je l'ai définitivement renvoyée. Jamais je n'aurais cru qu'elle... Oh mon dieu.
- L'attaque de la nuit dernière et maintenant ça. Je suggère de suspendre les cours de la journée et confiner les pensionnaires dans leur dortoir le temps de faire une enquête.
- Je m'y oppose ! Les deux affaires ne sont pas liées !  
- Les pensionnaires auront besoin d'explication. Les plus jeunes, d'encadrement.
- Ça c'est mon boulot de psy et je déconseille fortement un confinement, directrice. Même si ces évènements sont d'une gravité sans précédent dans l'histoire de notre école, on doit rester ouvert et si possible maintenir un semblant de normalité ! Sinon, les filles stresseront, les rumeurs iront bon train et la panique s'installera. Je propose de rassembler les professeurs, de tout leur expliquer puis de définir la meilleure manière d'annoncer ça aux filles. Sans nous appesantir sur les détails.  
- Vous voulez leur mentir ?
- Atténuer le choc, arrondir les angles, Commandante. Vous n'allez pas détailler une tentative de meurtre à une enfant de cinq ans ?! Comme dit, c'est mon boulot, la psychologie. Le vôtre c'est de vous assurer que ce genre de chose n'arrive pas ! Et si j'étais vous, j'irais tout de suite sermonner cette soldate qui s'est faite déborder par une femme totalement éméchée ! Si elle avait maintenue sa prise, on aurait pas eu affaire à ce révolver !
- Assez vous deux ! Professeur Lang, qu'en pensez-vous ?
- Je suis de l'avis du vice-directeur. Plus vite nous reviendrons à la normale, plus vite toute le monde passera à autre chose. Nul besoin d'épiloguer dessus pendant une semaine.
- Vous avez vos ordres, Commandante. Maintenez les patrouilles à la normale, je ne veux aucune présence à outrance des Amazones sauf pour le cordon de sécurité autour de la forêt pour qu'aucune curieuse n'essaie d'aller voir.
- A vos ordres, fit l'Amazone, très déconfite. Et pour Shearer ?
- J'avais déjà contacté Bliss pour leur faire part de l'incident dans la forêt. Le prince régent est en route, donc je confierai surement le professeur Shearer à la 19e de Bliss.

[...]

Je demeure avec Mirabella à me ressasser les indices à ma disposition. Beaucoup trop de zones d'ombres subsistent même si je commence à élaborer une hypothèse sur ce qui se trame exactement. Après plusieurs minutes de vaines conjectures, nous nous rendons au chevet de Sinistros dont la patte a été recousue et bandée par la doctoresse. Elle nous donne des cachets d'antidouleurs et nous prescrit la tranquillité à tous les deux. Pas de mouvements brusques pendant une semaine sous peine de sectionner les sutures pour lui. Un jour ou deux et moi je devrais être d'aplomb. En attendant, j'ai toujours un bras en écharpe. Nous passons ensuite saluer Henrietta toujours sous somnifère et présentons nos hommages à Fridluva. La géante est vraiment dans un sale état, j'espère que les médecins de Bliss pourront la sauver.

Je suis libérable mais pas Mirabella qui est consignée. Elle ne désire d'ailleurs pas en partir et affronter les questions de ses camarades. Perspicace comme est elle, elle a déjà compris que quelqu'un en veut à sa vie mais se retient de m'en faire part. Le hasard est capable de beaucoup de choses, mais se faire attaquer par un sphinx sur South Blue n'est pas dans ses cordes. Mirabella n'est probablement pas prête à encaisser le choc de la vérité, elle passera ses journées à regarder par-dessus ses épaules à la recherche d'un éventuel tueur. Maintenant que sa première tentative a échoué, le Cromagnon réessaiera de plus belle. Je laisse Sinistros avec la princesse puis la confie provisoirement à Émeline qui a trouvé le moyen de se faire muter à l'entretien des locaux de l'infirmerie. Tout comme moi, Eme' a une couverture qui implique des tâches, aussi, elle ne pourra pas maintenir cette protection rapprochée bien longtemps. Nous avons besoin d'aide et je sais exactement où en trouver.

Dans le courant de la journée, l’atmosphère à Santa Maria devint pesante et la crainte omniprésente dans l'air. Les rumeurs se répandirent comme une trainée de poudre et aucune ne tutoyait la réalité. Il était plus question d'un enlèvement de deux étudiantes dans la forêt par un monstre à plusieurs têtes qui fut combattu par la géante puis par le professeur Lang. Lang ? L'aveugle ? Oui celui-là même. On disait qu'il était un lointain descendant de l'Amiral Fujitora qui lui-même était originaire du lointain pays des aveugles. Être dans les ténèbres n'était pas un souci pour ces gens-là. Donc, il affronta la créature puis lui coupa les têtes avant de la jeter dans la Roseraie. Jusqu'à sept heure du matin, affirmait-on, le fleuve était rouge du sang du monstre. Et concernant le renvoi de Shearer le professeur de chimie ? Elle aurait été surprise en train de coïter sous la pluie avec un garçon d'écurie qu'elle a essayé d'assassiner pour cacher sa nymphomanie.  

Sans Sinistros, aidé de ma canne blanche, je traverse la cour et remarque le regard plein de respect et d'admiration des pensionnaires qui me fait doucement rigoler. « Il tue un monstre à l’aube et va déjà en cours ! Trop sex ! » commenta une Akainu de dernière année aux yeux bouffis. Chemin faisant, je trouve systématiquement quelqu'un qui se propose de me tenir le bras tout en essayant d'avoir une version première main des incidents. A la réunion des professeurs, tout le monde tombe d'accord que les rumeurs sont finalement plus alléchantes que la réalité. Tous les cours sont maintenus à l'exception de ceux des troisièmes années dont je suis titulaire. Ils reprendront le lendemain. Chaque professeur est encouragé à soutenir les versions les plus loufoques des évènements. Tous auraient sans doute explosé de rire si la situation n'était pas aussi préoccupante. Sauf que nous ne nous inquiétons pas pour les mêmes raisons.
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Gaiden Grantz II et moi sommes amis. Si d'aventure ce mot a une quelconque signification pour un roi en devenir. Durant mon enquête conjointe avec Dickson sur le démantèlement d'Ashura à Bliss, le prince régent fut d'une aide vitale au moment où devait s'opérer un choix crucial dont la Truffe ne voulait pas prendre la responsabilité. Et ce choix impliquait de sacrifier quelques personnes pour en sauver des centaines de milliers. La Justice Absolue requiert une Victoire à tout prix.

Le galion du prince accosta aux alentours de midi. Accueilli par la directrice et le vice-directeur, l'héritier des Grantz parada devant toutes les pensionnaires, professeurs et domestiques sortis pour l'occasion. On en oublierait presque que sa visite forcée était consécutive à un drame. Bel homme et célibataire endurci, il déclencha des gloussements sur son trajet qui s’acheva au Bloc A où une rencontre avec le corps professoral fut organisée. Je ne pus éviter sa conversation en tant qu'un des principaux témoins des évènements. Il emmena avec lui un Lieutenant-colonel de la 19e de Bliss qui enregistra nos dépositions à Mirabella et à moi.

Tel un Père Samaritain, Jay-jay distribua quelques bonnes nouvelles tirées de sa hotte. Le sérum antivenimeux de la Brigade Scientifique de Bliss eut plus d'effet que les bricolages du Dr. Joëlle. On avait très bon espoir que la géante se rétablisse vite. Une équipe d'ingénieurs se mit à l’œuvre pour doter le plus rapidement possible Stemper d'une nouvelle jambe mécanique. Jay-jay et les enquêteurs exprimèrent le besoin de voir la forêt. Mirabella et moi fûmes obligés d'y retourner pour expliquer le déroulement des faits.  

La forêt est calme, inhabituellement silencieuse comme si ses habitants sont encore sous le choc du monstre qui visita leur royaume. Il est facile de suivre les affres des combats et de la course poursuite. Arbres déracinés, cassés et piétinées essaiment la voie. Nous nous enfonçons plein Est et retrouvons le lieu où les filles ont aperçu le sphinx la première fois, près des berges de la Roseraie. Jay-jay fait remarquer que la canopée complètement arrachée peut indiquer que l'animal ait atterri là. Il est partisan de la thèse du monstre migrateur. Il ne doute de rien. La Brigade Scientifique prend des clichés et des échantillons de terre. A quatre pattes dans le limon, un Marine zélé en extrait quelque chose qui se révèle être un obus dans un état avancé d'oxydation.

- Colonel, c'est un obus de forme cylindrique terminée par un cône.
- Qu'est-ce que ça fait là ? fis-je en jouant à l'aveugle.
- C't'un obus expérimental d'50mm, déclare une des amazones qui nous escortent. Vous fatiguez pas, y en a plein là. Z'ont seul'ement été couverts par la boue.  
- Pourquoi y-a-t-il plein d'obus ici ?
- Y avait pas qu'les obus, y avait aussi un gros canon rouillé, juste là.  
- Avant que l'ile ne soit utilisée comme pensionnat, il y avait une division de la Brigade Scientifique là, explique Jay-jay en se tournant vers moi. Je n'ai aucun doute, il m'a reconnu. J'esquisse le sourire de celui qui accepte sa défaite. Ces petits génies ont testé beaucoup de machineries, 'fin, des gouffres financiers surtout. Puis quand Père a décidé d'allouer l'ile à Santa Maria, la Brigade a remballé ses affaires mais certains bidules ont été laissés derrière. Donc ce sont pas des pièces à conviction, ces obus rouillent là depuis cinquante ans.
- S'il y avait un canon non fonctionnel ici. Où est-il maintenant ?
- Peut-être que le combat de Frid et de la géante l'a envoyé dans le fleuve.
- Nan, il est plus loin vers l'nord. On l'a trouvé en morceau, la géante a dû l'utiliser pour cogner l'monstre, ou l'inverse.
- Montrez-nous.  

Avant d'atteindre cet endroit, nous passons par la clairière où le combat s'est achevé. C'est ici que Fridluva lui a arraché la queue, ici que je lui tranché la gorge. Plus de trace de sang, lapé par les animaux ou séché par ce mince soleil. Il y a une forte odeur de décomposition dans l'air. Éventuellement les carcasses d'éléphants ou la queue du monstre qui pourrit quelque part. La terre a été retournée par les Amazones durant leurs battues. Dans la gadoue, je trouve également des morceaux de ferrailles rouillés et cassés. Je suis certain que Fridluva n'a utilisé aucune arme en ma présence mais comme le combat avait déjà vécu avant mon arrivée, aucune option n'est à exclure. D'ailleurs, le sphinx avait des carreaux plantés dans le flanc et Mirabella confirma que la géante possédait une arbalète. Alors qu'elle utilisât un vieux canon comme massue n'était pas déconnant. On le trouva non loin de la clairière, brisé en plusieurs morceaux.  

Après cette visite guidée qui fut très instructive, le prince part s'entretenir seul avec la directrice et moi, je m'exile sur le toit du Bloc A. Toujours à cogiter, toujours à essayer de trouver les pièces du puzzle qu'il me manque. La forêt m'en a livré quelques-unes qui ont généré plus de questions que de réponses. Mon escargophone sonne, à l'autre bout du fil, Maximilian Nordin le roi de Boréa. L'avantage des rois, surtout quand ils pèsent au conseil des nations, c'est qu'ils ont toujours les informations de premières mains. Il me relate les événements qui ont entraîné la mort de Dellé Ali et mon postulat est confirmé à cinquante pour cent. Max me communique aussi la liste que j'ai demandée. Après avoir raccroché avec lui, je contacte Émeline pour de lui détailler mes hypothèses. J'en profite pour lui donner des directives, quelques recherches qu'elle devra faire afin de définitivement confirmer ce que je suppose.  

Mon étau se resserre autour du Cromagnon. Yallabah était le royaume de trop, tu n'aurais jamais dû le renverser alors que je suis dans les parages. M'enfin, marcher sur mes plates-bandes est la véritable erreur qui causera ta perte. Quand je te capturerai, tu me livreras les noms de tous ceux qui constituent la Confrérie avec toi. « Puis-je savoir ce que je fais là, Professeur ? » s'enquit Davina Grantz que je fais patienter depuis une demi-heure. « J’attends Jay-jay. Je n’ai pas envie de me répéter. » Elle me dévisage avec suspicion, s'interroge sur cette familiarité. Blonde aux cheveux ondulés cascadant nonchalamment sur ses épaules, Davina a la morphologie naturelle des Grantz. Costaude, grande, yeux gris métallisés et bien sûr la cicatrice qui prouve qu'on est déjà allé au combat. Trois estafilades parallèles lui barrent l'avant-bras droit.

- Je me demandais où t'étais passé. Tu fais quoi avec ma sœur ici ?
- Tu nous donnerais ta bénédiction si je te dis que nous sommes ensembles ?
- Wut ?
- Tu es un bon ami mais elle peut trouver mieux. Haha !
- Sans doute.
- Vous voulez vraiment me pousser à poser cette question ?
- C'est Loth Reich, sœurette.    
- Quoi le bigleux ?
- C'est ça, ce bigleux-là. C'est là où je t'explique que même robotisé, je parviendrai à reconnaitre tes yeux entre milles ?  
- Qu'ont-ils ?
- Je l'ignore. Un brin de quelque chose qui les rend unique. Un brin de machiavélisme.  
- Sapristi, je ne l'ai même pas reconnu ! Belle barbe au passage.
- C'est là où il va nous expliquer ce qu'il fait déguisé comme ça et ce qui se cache sous cette histoire folle de sphinx.  
- Donc tu n'as pas tué un monstre à plusieurs têtes ? Les rumeurs sont plus éloquentes que la réalité, c'est triste.
- Écoutez attentivement [...]
- Sérieusement ? Hahahaha ! aboie-t-il de rire. T'es sûr que tu vas bien ? Dickson aussi va bien ?  
- Ai-je dit quelque chose de drôle ?
- Si si. Je ne pensais pas te dire un jour que tu te trompes, à Dickson non plus. C'est pas étonnant que tu comprennes pas la logique des enchainements puisque tu as complètement faux depuis le début.  
- A quel propos ?
- Sur votre postulat de base, le bigleux. Le Havre est certes une île Blissoise, la mer alentour fait partie des eaux Blissoises mais le pensionnat Santa Maria a un statut très particulier.  
- Ce n'est pas un institut Blissois ?
- Ben non, c'est une marque originaire de Grand Line où elle est présente sur toutes ses voies.    

Et tout à coup, je me rappelle que la directrice Cooks m'a parlé d'une tradition propre à leur "enseigne" en parlant des répartitions en maisons.

- Je t'explique. Tout ce qui se passe à l'intérieur de cette île ne dépend aucunement de Bliss. Je suis venu avec des enquêteurs de la Marine parce que Cooks a requis notre présence, autrement, je serai venu seul. Je suis venu en tant que parent d'une pensionnaire et ami du pensionnat. Santa Maria jouit du même statut qu'une ambassade en fait. Ici, on n'est pas à Bliss mais dans un territoire étranger. C'est pour ça que l'école a son propre service de sécurité. Mais la souveraineté de l'enseigne s'arrête à la côte, ce qui explique la présence des bateaux de la 19e dans la mer environnante.  
- Donc tuer en catimini la princesse ici ne rimerait à rien du tout.  
- En fait ça dépend de la manière dont elle viendrait à trouver la mort. Imaginons que ce sphinx ait réussi à la tuer hier. Incident diplomatique international ? Non. Parce l'intérieur de l'ile est sous juridiction du pensionnat Santa Maria. Myranah se fâcherait avec l'institut mais ses relations avec Bliss seraient sauves.  
- Dans quel cas Myranah pourrait reprocher à Bliss l'éventuelle mort de la princesse ? demandai-je en connaissant déjà la réponse. Mes zones d'ombres commencent enfin à s'éclairer.
- Uniquement si l'ile est envahie. La sécurité des eaux, c'est de notre ressort donc j'imagine que si une bande d'affreux venait à débarquer en brisant la ligne de défense formée par nos bateaux ça ne plairait pas du tout à Myranah et aux dizaines de royaumes représentés ici. Mais aucune inquiétude à ce niveau-là, on a mis le paquet pour les protéger. Plusieurs patrouilleurs, des croiseurs et un cuirassé. Rien ne passe. Beaucoup de hors la loi ont pensé razzier l'ile pour prendre en otage des princesses et demander des rançons mirobolantes. Ils gisent tous au fond.  
- Rien n'est impossible et on finit toujours par tomber sur plus fort que soi. Navaronne aussi se croyait imprenable. Aujourd'hui, elle n'est que ruines.
- Certes. Tu penses que les Gris préparent une invasion de l'ile ? Je dois demander à la 19e de renforcer le dispositif ?  
- Non. Cela dit, je ne pense pas que Dickson et moi ayons tort. Le Cromagnon veut se débarrasser de la princesse sans en arriver à l'invasion de masse.
- Dans ce cas, ça veut juste dire que comme vous, il n'est pas informé des subtilités juridictionnelles du Havre.  
- Au contraire, je pense qu'il l'est et c'est le principal avantage qu'il détenait sur nous. Si j'étais au fait de ces subtilités, j'aurais depuis longtemps compris ce qui s'est tramé, fis-je en souriant. Depuis hier cette question me turlupine. Pourquoi ce sphinx ? Pourquoi le Cromagon se complique-t-il la tâche ? Mirabella n'est pas une princesse Grantz, elle n'est pas entrainée, il n'y aucun besoin de prendre des pincettes avec elle.  
- Ouais, je suis d'accord. L'égorger dans son sommeil, la poignarder quand elle prend sa douche, il y a un million de moyens de la tuer simplement. Si l'objectif est seulement qu'elle meure. Mais agir comme ça n'aurait rien rapporté au Cromagnon, non ?
- Tout à fait. J'en suis arrivé à la conclusion que son objectif c'est de tuer la princesse sans faire de vague tout en créant une grave embrouille diplomatique.  
- C'est impossible, j'ai dit.  
- Justement, tu te trompes. Il y a un moyen d'utiliser le meurtre de la princesse en territoire Santa Maria pour saboter le processus d'intégration et tout ça sans faire envahir le Havre.  
- Je ne vois pas lequel, marmonne-t-il après une minute à réfléchir.
- Prenons un exemple. Sachant que l'émirat de Moldanie ne fait pas partie du GM, comment réagirais-tu si Davina était poignardée à mort par l'émir héritier Moldane sur ce sol ? Te soucierais-tu encore des découpages juridictionnels ?
- Rien à foutre. C'est une déclaration de guerre que je vengerais immédiatement en marchant sur la Moldanie ! répondit-il sans réfléchir.
- Merci grand frère. Tu es un amour.
- Maintenant mets-toi à la place de Médrick Greengrass III. Tu es le souverain de Myranah et ta fille a été tuée par une princesse Blissoise. La séparation des mers empêche logiquement une guerre mais de toute façon, s'attaquer à Bliss, c'est s'attaquer au GM. Myranah n'en a pas les moyens. Ajoute à ça le fait que tu es en plein processus pour faire intégrer ton île à cette fédération. Que ferais-tu ?  
- J'attaquerai quand même ! Mais avant, je ne voudrais plus jamais entendre parler de cette fédération mondiale, c'est logique.
- Donc tu vois ? Plusieurs chemins mènent au séparatisme. La question que j'aurais dû me poser ce n'est "comment" les Gris prévoyaient la mort de la princesse mais "par qui".  
- C'est abominable ! Le Cromagnon planifierait de contraindre une étudiante affiliée au GM à tuer Mira' pour déclencher un cauchemar diplomatique ? Nan, le bigleux, je ne comprends pas. Pourquoi s'impose-t-il de telles barrières ? Forcer quelqu'un -surtout une princesse- à en tuer une autre nécessite une longue préparation. Aux moins deux équipes disséminées. Ce que j'imagine c'est qu'il peut prendre en otage la famille d'une pensionnaire et par le chantage, l'obliger à lui obéir. Mais prendre en otage un membre d'une famille royale requiert un autre genre de préparatifs. Et si la princesse qu'il fait chanter venait à échouer dans sa tentative de meurtre, il serait obligé de tout recommencer avec une autre. Nan, c'est définitivement trop compliqué. J'aurais été à sa place, j'aurais tenté une invasion de l'ile. A t'entendre, on dirait presque que le Cromagnon tient à préserver le Havre. Pourquoi ? Oh non...
- C'est ça, tu as enfin compris. Il n'est ni à Yallabah, ni à North Blue et il n'a pas de mandataire ici. Le célèbre révolutionnaire que la Marine cherche depuis dix ans est au Havre, au cœur même d'une horde d'héritières des plus grandes monarchies des Blues.  
- C'est pas possible ! Tu sais qui c'est ? Que je lui démonte la gueule pour ce qu'il a fait au Grand Vizir Ali !
- Non, je n'en ai aucune idée, mentis-je.
- Mais attends ! La bagarre entre Stemper et Greengrass, tu étais aux premières loges. Elle n'a pas tenté de la tuer ?
- Non, rien de tel. Elle voulait juste lui coller une gifle, poussée par la jalousie. Certes le père de Stemper est le plus grand cartographe au monde et président de la NGES mais ce n'est pas un chef d'état, donc d'aucun intérêt pour le Cromagnon.
- Et la folle qui a tiré sur toi ? Elle a peut-être cédé au chantage du Cromagnon ? Il faut interroger Shearer.
- L'enquête de la 19e nous le dira mais je doute que ça soit concluant. Shearer en a après Randolph Lang avec qui elle a un passif douloureux.  
- Et le sphinx, c'était quoi alors ? Je crois plus à la théorie du monstre qui vole d'ile en ile.
- Bienvenue au club. J'ai des hypothèses et j'ai besoin d'un certain nombre de choses pour réussir à les prouver et pour ça, j'ai besoin de toi, Jay-jay.

Je lui détaille ce que je requiers. Il est le seul à pouvoir me les fournir dans un laps de temps très court. J'ai également besoin de Davina que j'assigne à la protection de la Myrananne. Assurément elle trouvera ça bizarre, elles ne sont pas amies, juste des camarades de classe. Mais j'ai un argument qui devrait plaire à Mirabella et lui faire oublier ses soupçons.

- Ouais, sans souci. Je devrais pouvoir te fournir tout ça. Mais l'objet est très rare...
- Je te le rendrais. Il me permettra juste d'éclaircir la nature du sphinx.  
- Tu les auras demain, ce n'est pas trop tard ?
- A cheval offert, on ne regarde pas la denture. Jusqu'à ce que j'aie de tes nouvelles, nous allons essayer de garder la princesse en vie.
- Les princesses, Loth. S'il arrive quelque chose à Davina, je serai ton pire cauchemar.
- De quoi tu parles, elle voulait se battre pour libérer Yallabah.
- C'est pas une raison. Bon, en tout cas, je veux assister à la capture du Cromagnon ! Un membre du GM doit être présent quand il chutera, en hommage à tous les rois qu'il a tué. Beaucoup de monarques dormiront mieux en le sachant raide mort.
- Ben Jay, ton galion peut partir pendant que toi, tu te dissimuleras sur un patrouilleur de la Marine, par exemple. Tu ne seras jamais à plus de dix minutes de voile du Havre.  
- Parfait, on fait ça. Loth, ça va devenir récurent si à chaque fois qu'on collabore, de grosses têtes tombent, dit-il enjoué.
- Si le Cromagnon chute, et il chutera, les Grantz seront encore plus honorés qu'ils ne le sont actuellement.
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J'explique à Mirabella qu'à cause de mon épaule fêlée, Davina lui donnera les cours de self-défense. Elle est moyennement chaude à cette idée, voyant en la princesse Blissoise une brute trop belliqueuse à son goût. Et comme je m'y attendais, j'entraperçois la lueur de la suspicion dans ses yeux, elle se doute que la présence de Davina est motivée par un besoin de la protéger. Je sens venir la question et m'esquive avant de l'entendre. Mirabella dormira à l’hôpital ce soir et j'inventerai bien une douleur imaginaire pour dormir dans la chambre à côté. En attendant, je rejoins Émeline dans la cantine incendiée sous le soleil crépusculaire qui teinte le ciel d'une couleur sanguine. Elle est déjà au travail et fugacement, je me dis que j'étais bien prétentieux de penser m'en sortir tout seul ici.

Rarement Émeline a la tête du poste qu'elle occupe à mes côtés. Aujourd'hui pourtant, assise à cette table presque carbonisée, entourée de feuilles, un crayon à la main, elle a l'air de la parfaite chargée de clientèle qu'elle est supposée être. Suivant mes directives, elle cartographia puis s'est infiltra dans le bâtiment des archives pour en sortir une série de documentations militaires déclassifiées datant de la période où le Havre était une base de la Brigade Scientifique. Elle visita également les archives de l'administration se servant de son pouvoir pour localiser un égout dont nul ne connaissait l'existence. Là-bas, elle exfiltra les listes d'inscriptions de ces dix dernières années.

- Où en es-tu ?
- Je crois j'ai trouvé ce que tu cherches. Regarde, ce modèle est le seul pouvant tirer des canons de 50mm.


- Parfait. C'est exactement ce que nous avons vu en pièces dans la forêt. Enfin, en plus rouillé et couvert de mousse.
- Selon ces documents, c'est un projet de canons mobiles qui n'a jamais abouti. Il coutait trop cher pour une efficacité pas très significative. Donc, ça a été abandonné et ils ont été démontés. Un spécimen a été laissé en place dans la forêt. Si ton hypothèse est vérifiée, ce serait fou quand même, dit-elle en souriant.
- Ce ne serait pas le truc le plus fou qu'on ait vu. Et pour l'autre recoupage ?
- Je viens juste de feuilleter trois cartons remplis de papiers poussiéreux alors à toi celui-là, fit-elle en me tendant une liasses de feuilles.
- Miam.

J'aurais dû emmener Aella aussi tiens. Le recoupage, c'est son domaine même si là, il ne s'agit pas de mathématiques. Détailler point par point la centaine d'inscriptions qui a lieu chaque année depuis une décennie est un travail de minutie qui me sied bien. Ma mémoire eidétique me facilite grandement le boulot. A mes côtés, j'ai la liste-témoin que m'a transmis Max. Mon sourire s’agrandit au fur et à mesure que j'avance dans la vérification. « C’est une chose de supposer que le Cromagnon est entre ces murs, c’en est une autre d’avoir la preuve de sa présence ! » dis-je bien content de mes trouvailles.

- Tu les as trouvées ?
- Elles sont toutes là ! Erica Ryall, Barbara et Breane Tuite, Daisy Dennehy, Azad Serbedzija, Li Shinwen, Sorgaqtani Qaïmich, Eunice Crowther, Daphné O'dee, Mayuka Nishihori, Miraphora Scrivener, Mariama El Mustakri. Sans oublier la dernière en date, Mashalla Ali. Toutes des princesses royales dont les familles ont été renversées par un soulèvement révolutionnaire attribué au Cromagnon. Toutes inscrites ici.
- C'est démentiel. Qu'est-ce qui t'a mis sur la piste ?
- La "signature" du Cromagnon. Le journal que tu m'as montré la dernière fois. Ils y disaient qu'à chaque coup d'éclat où est impliqué le Cromagon, les Révolutionnaires avaient une note d'avance sur les forces loyalistes. Une information cruciale dont ils n'auraient pas dû être au fait. Par exemple, une route secrète d'approvisionnement de l'armée qu'ils réussissent à attaquer et cetera. Ce qui m'intriguait -et a intrigué tous ceux qui ont cherché à le capturer- c'est comment le Cromagnon parvenait systématiquement à connaitre une information si capitale qu'elle faisait basculer le cours des affrontements.
- En soi, c'est la preuve que leurs réseaux de renseignement sont efficaces.
- D'une insolente efficacité en fait. Et ça me travaillait. Donc j'ai appelé Max' et selon ses informations, à Yallabah, les rebelles ont réussi à prendre d'assaut et à faire tomber la puissante forteresse du Grand Vizir grâce à un tunnel secret utilisé depuis des siècles par les Ali pour s'extirper du palais. Et là, j'ai su que le Cromagnon était ici, j'ai su qu'il tenait cette information de la propre fille du Vizir.
- Mashalla.
- Pour confirmer ça, je lui ai demandé la liste des royaumes qui sont tombés des mains du Cromagnon. Et comme le recoupage vient de le monter, leurs familles royales avaient au moins une fille inscrite ici.
- Dickson le traque depuis longtemps, s'il est aussi brillant que tu le dis, je suis étonnée qu'il n'ait pas trouvé ce point commun.
- Forcément il l'a trouvé, je l'ai vu faire des déductions complètement insensées mais véridiques à partir de presque rien. Il m'a envoyé là pour confirmer son hypothèse et capturer le Cromagnon à sa place. Il ne désire aucune gloire mais il a un intérêt certain dans cette affaire et pour l'instant, je ne sais pas ce que c'est.
- Mais... Un tunnel secret, c'est super vital ! Mashalla n'était pas stupide. Elle n'aurait jamais révélé une telle information à quelqu'un. Sauf à une personne à qui elle pouvait parler de tout et de rien. Quelqu'un en qui elle avait confiance, parce que son métier l'y oblige ? Genre, un psy. Donc, comme tu le soupçonnais depuis l'affaire de la retenue, le vice-directeur est le Cromagnon.
- En tout cas, ça tombe sous le sens. Il connait la nature et l'esprit humain, il sait quelles filles seront plus faciles à manœuvrer que d'autres. Et la plupart arrive ici à six ans, il a le temps de bâtir une vraie relation de confiance. Tout comme les autres et sans en avoir jamais conscience, Mashalla Ali lui a sans doute révélé cette particularité de leur forteresse dans un moment anodin.
- Elle ignorait qu'elle parlait à l'As de la Révolution le plus prolifique de cette décennie.
- Ah oui, il est nécessaire de clarifier ce point. Pour moi, la Marine se trompe. Le Cromagnon est un vendeur d'informations dont la Révolution utilise le surnom comme symbole de ralliement, c'est tout. Telle la pie qui chaparde et stocke les objets brillants, le Cromagnon collectionne les informations. Il a peut-être tiré ce renseignement de Mashalla il y a un ou deux ans. Mais quand la Révolution a été en position de profiter de cette donne, le Cromagnon a su être utile. L'argent est sans doute ce qui le lie aux gris, je doute qu'il ait une quelconque forme de loyauté envers le mouvement.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Tu te souviens, la transaction à cent millions dans la forêt ? Au début, j'ai pensé que c'était le contrat sur la tête de Mirabella.
- Et c'est pas le cas ?
- Je ne pense pas. J'attends toujours Jay-jay pour le prouver mais je sais comment il prévoyait de tuer Mirabella et ça ne colle pas du tout avec ce marchandage. Je suis convaincu que j'ai assisté à une vente d'informations. Deux jours plus tard, le Vizirat de Yallabah tombait.
- C'est mince.
- J'ai aussi pour preuves de petits scandales, de sexe, de drogues, de malversations financières qui ont touché des familles royales, nobles ou juste richissimes sans entrainer leurs chutes. La plupart ont été révélés par des journalistes que nul ne connaissait avant. Par exemple, l'infidélité de la reine Herimalala de Tanaah qui a fait le tour de West Blue l'année passée. Surprise avec son amant dans une villa en campagne alors qu'elle entretenait cette relation depuis six ans sans que rien ne filtre. Bah sa fille Heriniony est en dernière année. Si on creuse, on trouvera que c'est elle qui a raconté l'histoire de sa mère à Espéranto pour évacuer un trop plein sur le cœur. Ensuite, il l'aura vendue à une journaliste débutante via le marché noir tout en faisant attention à ne pas susciter la méfiance de Heriniony.
- D'accord, ça tient. Attends que j'ordonne mes idées, trop de données à la fois. Admettons que le Cromagnon ne soit pas un Révo mais juste un receleur d'informations. Et la Confrérie dans tout ça ?
- La Confrérie est un groupe composé de gens influents d'horizons divers réunis pour engranger encore plus de pouvoirs. Ils ne servent que leurs intérêts. Le Cromagnon est des leurs et œuvre pour que Myranah ne rejoigne pas le GM pour servir les intérêts de Kurt Ashenbrenner et de facto, les siens.
- Mais Loth, si tu as raison, nous avons un autre problème. Celui que Espéranto rencontrait dans la forêt. A moins qu'il ne soit parti.
- Je ne crois pas. Je pense qu'il y a sur l'ile un agent de la Révolution qui sert de liaison entre le Cromagnon et le mouvement insurrectionnel.

Cling ! Cling !
Nous nous levons d'un bond et fusons vers la source des tintements. Par soucis de sécurité, Émeline avait tendu des fils noirs ornés de clochettes de même couleur devant la seule entrée de la cantine. Ils étaient parfaitement invisibles dans la suie et constituaient donc une excellente alarme. Qui vient de se déclencher. Personne dans le couloir d'entrée. Nous nous ruons sur la pelouse qui donne sur le terrain délaissé de hockey sur gazon. Rien là non plus à part des herbes folles. Rapide l'énergumène. Comme durant cette nuit-là où il me fallut une seconde de distraction pour les perdre. « Cromagnon ou Révolutionnaire ? »
Émeline touche le sol de l'index et projette en simultanée les cartes des principaux blocs. Le point jaune indiquant le vice-directeur se trouve dans son bureau au deuxième étage de l'aile Ouest du Bloc A.

- Celui qui nous épiait devait être l'agent de la révolution. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'il a pu entendre ?
- A moins qu'il n'ait une ouïe super fine, il n'a dû rien capter de nos murmures. Mais soit, considérons que ta couverture est foutue, la mienne l'est depuis belle lurette. Fais davantage attention, tu es une cible à présent. Pour le reste, nous n'allons rien changer. Il se fait tard, je vais relever Davina de l'infirmerie. Demain sera surement notre dernière journée ici. Ça passera ou ça cassera.
- Demain on se souviendra que la journée facile, c'était aujourd'hui.

[...]
Jour 6
___________________________

Calme plat durant la nuit où je restai éveillé pour veiller au grain.
Concernant la santé des chers patients, Sinistros continuerait de boitiller pendant plusieurs jours ; quant à Henrietta Stemper, elle n'était plus sous somnifères. Toujours craintive, prête à fondre en larme à chaque instant, elle se blottit sous les couvertures quand nous lui rendîmes visite au saut du lit. Bonne nouvelle pour Fridluva aussi qui sortit du coma mais demeurait trop droguée aux médicaments pour tenir une quelconque conversation. Davina Grantz débarqua à l'infirmerie avant le lever du jour ce qui me fit sourire. Elle carburait à la passion celle-là, la passion de démolir des révolutionnaires très bientôt. Mirabella finit par me coincer et poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Je suis une princesse ! » déclara-t-elle d’une voix hautaine quant je lui révélai mon identité et une partie de l'histoire. « Je ne suis entourée que par des gens intéressés et je regarde toujours au-dessus de mon épaule à la recherche d’un porte-couteau ou dans mes plats en soupçonnant un empoisonneur au service d’un rival de mon père. C’est dans notre nature ! » Elle se tourna vers Davina en cherchant un soutien qu'elle n'eut que moyennement. Les Grantz ne regardaient pas "au-dessus de leurs épaules". C'étaient des bourrins qui fonçaient dans le tas. « Vous avez eu tort de me cacher ça pendant six jours en supposant que je serai terrorisée ! » ajouta-telle avant de demander à la Blissoise de commencer leur entrainement toute affaire cessante dans l'arrière-cour de l'infirmerie. Elle se moquait à présent que quiconque les vît faire. Bien sûr, je me gardai de leur parler de l'identité du Cromagnon. La Grantz se serait ruée sur Espéranto. Par contre, je les informai à propos d'un "second révolutionnaire" planqué et de l'espionnage dont nous fûmes victimes.

- Le Cromagnon et son complice. J'adore cette idée ! Deux fois plus de gueules à casser. Mais, il y a une chose que je me demande depuis hier le bigleux. Qu'est-ce que le Cromagnon fait ici ? Et puis, ça ne peut pas être une coïncidence qu'il travaille sur l'ile et que tant de familles d'étudiantes se soient faites renverser.
- Quoi y en a eu d'autres à part les Ali ? s'enquit Mirabella étonnée.
- C'est vrai que c'est seulement ta deuxième année ici. En 1621, ça a été super sauvage. Voyons que je me souvienne. Y a eu Li Shinwen dont le frère a été renversé, les jumelles Tuite qui ont été exécutées avec leur père durant les vacances d'hiver et Mariama El Mustakri qui est devenue pupille du roi de Luvneel après que sa mère ait trouvé la mort dans un putsch. Je me souviens que cette année-là, tout le monde se regardait en se demandant qui serait la prochaine à partir, il y avait même des paris morbides à ce sujet.
- Dégueux. Mais ça ne peut pas être une coïncidence !
- C'est une des bizarreries qui m'a confirmé qu'il était bien là. Il peut être un prof' ou même une étudiante, dis-je en essayant de brouiller les pistes. Maintenant qu'on est sûr qu'il n'est jamais présent sur les champs de bataille, le Cromagnon peut être une ado' de quinze ans que ça ne serait pas déconnant. Il suffit qu'il transmette les bonnes informations, et c'est sans doute pour ça qu'il y a un autre révolutionnaire, plus mature, plus adulte pour la baby-sitter.
- Une pensionnaire qui se charge de tirer les vers du nez de ses amies et un prof' qui le coach ? Le Cromagnon serait en fait un tandem ? Personne n'y a jamais pensé.

Ça pourrait me nuire de les orienter sur cette vérité approximative mais ça me serait encore plus préjudiciable de leur divulguer la vérité. Quand il s'agit d'une atteinte à la sureté du GM, les Grantz sont complètement irrationnels, Davina et son frère bousilleraient mon travail en un rien de temps. Même si j'ai largement de quoi arrêter Espéranto pour un interrogatoire musclé, il me reste encore une zone d'ombre à éclaircir et pour ça, j'attends le concours de Jay-jay. Je reconnais volontiers que le limier en moi m'entrave beaucoup par sa manie procédurière de conclure les enquêtes en élucidant tout de lui-même et sans recourir à la torture pour extraire de force les vérités aux suspects. Comme le dirait Dickson, "la violence est l'apanage des incapables". J'applique cet adage dans certaines intrigues spécifiques même si au fond, je suis en fort désaccord avec.

J'oriente la conversation sur les moyens que j'ai mis en œuvre pour localiser le partenaire révolutionnaire du Cromagnon. Et encore une fois, j'ai mis Émeline au fourneau. La voix masculine que j'entendis cette nuit-là est un début de piste à explorer. Ce n'était pas celle d'Espéranto, j'en suis certain (mais ça j'évite de le leur dire). Selon Cooks, nous sommes dix hommes en tout sur l'ile. Plus que huit suspects alors, tous du personnel de soutien. Tout ce qu'Eme' a à faire, c'est de les approcher et de converser innocemment avec eux, tout en enregistrant leurs voix sur un audio-dial, sans oublier de les marquer de son pouvoir. Heureusement que Santa Maria dispose d'un aussi grand nombre de ces coquillages pour la filière histoire-archéologie.

- Le pouvoir de ta copine est trop super ! T'imagines tout ce qu'on peut faire avec ? Ces sales rats de Révo qui se terrent comme la vermine qu'ils sont. Une carte des lieux et puis BOUM ! Effacés ! Pourquoi tu n'es pas dans la Marine ou le Ciper Pol, le bigleux ?
- Parce que le GM paye mal.
- Chasseur de prime alors ?
- Il n'y a pas que l'argent dans la vie voyons.
- Toi tu ne sais pas ce que tu veux.
- Si, je veux être libre comme ce nuage là-haut, libre de choisir mes combats. En attendant qu’Émeline revienne... vous n'avez pas cours aujourd'hui ?
- Si avec toi, de huit à dix heures puis plus rien.
- Allez vous préparer et ne venez pas en retard, sinon des points de moins pour Roger et Kurohige. Mirabella, gardez Sinistros.
- Maintenant je trouve totalement ridicule de t'appeler "professeur". Hmmm, elle veut quoi celle-là ?

Une Kizaru fonce sur nous en sprintant, s'arrête, marmonne quelque chose d'instinct à propos du professeur Cooks, me tend une enveloppe puis repart aussitôt. Je suis intrigué, elle a tapé une lettre en braille rien que pour moi. Tel l'aveugle que je suis censé être, je passe les doigts sur les aspérités du papier et décode la missive. C'est juste un invitation de la directrice à la rejoindre pour son cours de quinze heures. « Mais elle donne des cours de développement personnel. » s'étonne Mirabella.

- Il y a cinq jours quand je suis arrivé, nous avons un peu abordé le sujet et je lui ai promis de venir partager ma propre expérience de dépassement de soi avec ses étudiantes. Bon, ce sera bien après votre cours, je n'ai rien à faire de toute façon.
- Sinon, j'ai une question. Si le second révolutionnaire vous épiait, il sait donc que vous êtes là pour me protéger ?
- Il l'a compris depuis, je pense.
- Donc pourquoi il n'a pas essayé de se débarrasser de vous ?
- Peut-être qu'il y travaille en ce moment même. Le Cromagon est un individu très patient qui sait attendre son heure. Il ne va surement pas se précipiter et griller sa couverture.

[...]

Le retour en classe est plus agité que ce que j'escomptais. Si les rumeurs concernant les évènements de la nuit dernière ont fait fureur par leurs excentricités, aucune des étudiantes de ma classe n'y accorde le moindre crédit. Donc en guise de bonjour, je me fais attaquer par une cinquantaine de questions tout azimut. Je recadre tout le monde d'un ton sec et impose une lecture silencieuse pendant une heure. Je ne suis pas le seul ciblé, Mirabella également mais elle reste totalement de marbre. Elles auraient très bien pu s'adresser au mur avec plus de résultat. Le tumulte reprend dès que nous passons aux débats. Aucune d'entre elle n'en a rien à faire de la croisade des Bâtards du Kraken contre les peuples des marais dans les Archipels Flétries. Les questions ne concernent pas des détails croustillants mais plutôt leur sécurité. J'ai envie d'exiger une nouvelle fois le silence mais mon moi raisonné se félicite du premier accès de bon sens de ces pensionnaires. Et la première au front c'est Terra Hangleton.

- La direction nous cache des faits, monsieur. Le règlement interdit de posséder des escargophones dont nous ne pouvons même pas appeler nos familles ! Et ne nous dites pas que vous avez combattu une hydre à je-ne-sais-combien de têtes !
- Je n'ai jamais dit ça. Mais la vérité est toute aussi invraisemblable. C'était un sphinx.
- Tsssss. N'insultez pas notre intelligence, ne nous prenez pas pour des enfants !
- Un sphinx et puis quoi encore ! renchérit une autre étudiante de Roger.
- Il vous dit la vérité et si vous ne le croyez pas, c'est la même chose, intervint Davina.
- Haha ! Vous voyez la robotomisée ? On n'a pas toutes nos foyers à un jet de pierre d'ici ! On n'a pas notre frère qui vient nous rendre visite au moindre cri !
- Il est venu sous demande de la directrice, sois plus informée avant de critiquer, sales-ongles.
- Plus informée alors qu'on nous cache des infos ? Tu te foutrais pas du monde, Grantz ? réplique une étudiante de Kurohige. Nos familles paient une fortune, nous ne sommes pas des prisonnières ni des domestiques ici ! On exige de savoir ce qui se passe !
- Et je ne parle pas de la tentative d'assassinat du professeur Shearer contre vous, professeur Lang. On l'a toutes vue se faire emmener par les Amazones, ferrée. Qu'est-ce qui se passe ? Et pourquoi tu fais mine de ne pas nous entendre, Greengrass ?
- Je vous entends. Je n'ai juste pas envie de vous répondre, parce que ça ne vous concerne pas.
- Notre sécurité ne nous concerne pas ?!
- C'est moi qui étais dans la forêt, moi en retenue, moi qui ai été attaquée. Ça n'a rien à voir avec vous !
- Et tu peux nous dire ce qui empêche ce qui t'as attaqué de nous attaquer aussi ? Oh, vous l'avez tué et jeté sa tête dans le fleuve ?
- On dirait que tu as peur, Hangleton, qu'est-ce qui t'arrive ? ironisa Davina. Avec un peu de chance, on va se faire attaquer par un troupeau de monstres et on retournera à la jungle comme tu le prônes non ? L'anarchie, ce n'est pas ça ton modèle préféré de société ? Pourquoi tu as si peur ?
- Je n'ai peur de rien, répondit la préfète avec mépris. Je trouve juste inacceptable qu'on nous traite comme si on était du bétail ! On est de hauts dignitaires de nations entières ! Santa Maria n'est pas une dictature et on n’est pas prisonnières ! On a le droit de savoir ce qui pèse sur nous comme menace et surtout, on a le droit de contacter nos proches qui ne sont pas du tout au courant des évènements passés ! La direction aidée de Bliss veut étouffer l'affaire.
- N'exagérons rien. Ce que tu appelles ton pays n'est qu'un caillou habité par une bande de sauvages dirigée par une autre bande de sauvages qui n'y impose que la loi du plus fort. Regarde toi, regarde tes ongles maculés de saletés. Tu ne te laves pas ? Cela dit, tu fais bien de te comparer au bétail, la lignée des chevaux de mon père est plus pure que le sang qui coule dans tes veines, cingla la Blissoise ce qui déclencha un tollé général.

Je me précipite pour séparer les filles qui s'apprêtent à en venir aux mains. Autant les traditions guerrières font parties intégrantes des us des Grantz, autant les Hangleton ne sont pas en reste. La classe est partagée entre celles qui estiment qu'elles ont le droit de savoir et celles qui pensent que la direction ne saurait leur cacher quelque chose de grave. Et dans cette ambiance houleuse, toutes s'invectivent, se jettent des trousses et autres fournitures. Il fallut un grognement si monstrueux de Sinistros qu'on dût l'entendre jusqu'à Bliss, pour ramener le calme. La cloche sonne et jette le rideau sur ce cours qui, en l'espace de deux minutes, a viré au pugilat. N'en démordant pas, Terra Hangleton emmène les trois-quarts de la classe dans sa suite avec le projet d'aller solliciter d'autres pensionnaires, d'autres préfètes et demander des comptes à la directrice.

- On dirait qu'elle prépare une rébellion. Maudite anarchiste !
- Sérieux ? "La lignée des chevaux de mon père est plus pure que le sang qui coule dans tes veines" ? Tu as d'autres accroches comme ça dans ta manche ? dis-je froidement. Cette phrase m'a rappelée les heures les plus noires de mon histoire.
- Désolée, je ne le pensais pas. Mais cette fille me sort part les yeux depuis six ans avec ses propagandes, sa conviction que les hommes doivent être déliés des lois. Et puis, c'est vraiment une bande de sauvages sur leur île donc y a une part de vérité dans ce que j'ai dit, déclare-t-elle en baillant, pas le moins du monde désolée.
- Je me sens mal. Elles ont le droit de savoir.
- Oui. D'ailleurs, joignez-vous à la délégation qui ira voir la directrice.
- Pourquoi ? On ferait mieux d'entrainer Mira, non ?
- Ces filles sont inquiètes et s'il y a un point sur lequel elles ont plus que raison, c'est qu'elles ne sont pas prisonnières ici. De mon point de vue, la directrice va se faire manger toute crue. Votre rôle là-bas sera de tempérer leurs ardeurs et d'adoucir le truc. Je répète, princesse Davina, dulcifier leur colère, pas ajouter de l'huile sur le feu. Imaginez ce qui se passera si trois cents princesses et nobles paniquées appellent leurs proches pour les informer qu'elles sont attaquées par des monstres ou des professeurs cinglés ? En deux jours, il n'y aura plus personne, l'école fermera et le Cromagnon mettra les voiles.
- J'avoue, je n'avais pas pensé à ça. Tu te serais entendu avec feu mon second grand frère. Un Grantz très atypique qui réfléchissait beaucoup trop. Tu lui ressembles.
- Et certaines personnes ressemblent à leur chevaux. C'est à force de trop les fréquenter, ils finissent par hennir.
- Roooh, tu sais que Bliss milite pour l'interdiction de l'esclavage ! Et j'ai dit que j'étais navrée, le bigleux !
- J'ai entendu. Seulement, mets-y plus de sentiments et entraine-toi à le dire comme si c'était ton premier jour en tant qu'être humain.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t12978-fiche-technique-de-loth
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10961-loth-reich-le-marchand-heretique

La cantine ayant été compromise, je retrouve Émeline sur le toit du Bloc A. Elle a les enregistrements. Huit escargophones minutieusement étiquetés. L'un après l'autre, j'écoute les brins de conversations qu'elle a entamées avec chacun des huit hommes restants de l'ile. La mémoire eidétique peut être une malédiction dans bien des cas mais savamment exploitée, on devient une sorte d’encyclopédie vivante, ou de moteur de recherche. Je me remémore cette nuit venteuse et orageuse, je me souviens du timbre de cet homme, je le passe en boucle dans ma tête comme si j'y étais encore. Et le résultat est sans appel.

- Ce n'est aucun d'entre eux.
- Merde alors ! J'avais bon espoir. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il y a un autre homme sur l'ile ?
- Je ne pense pas. Le révolutionnaire que nous chassons est sûrement implanté ici et sert de pont entre le Cromagnon et le haut commandement Gris. Il ne peut pas faire des allers-retours, les procédures de sécurité sont trop drastiques pour permettre ça. Sauf s'il a un pouvoir aérien.
- Ou c'est juste quelqu'un qui a changé sa voix. Tu es en le parfait exemple.

Émeline fait référence à ma "réelle" voix qui est une "voix de chorale", comme si quatre personnes parlaient en même temps. C'est surtout cette particularité en plus de ma condition de Long-bras qui m'a valu de finir dans les geôles du Conclave pour cinq longues années. Depuis, je me suis efforcé et ai maitrisé "l'art" de parler d'une voix "mono personae". Enfin, comme tout le monde quoi. Le révolutionnaire peut donc être n'importe qui, femme, homme ayant pris le soin de déguiser sa voix. Rusé et prévoyant, j'aime ça. Émeline soulève ensuite un point intéressant. Le fait qu'ils se rencontrèrent au plus fort de la nuit et dans la forêt pourrait indiquer que le vice-directeur et le révolutionnaire ne sont pas censés de croiser "naturellement". Qui Espéranto n'est-il donc pas censé fréquenter ? Une amazone ? Un garçon d'écurie ?

- Si c'est une étudiante, il aurait fallu qu'elle sorte du dortoir et ça c'est pas possible sans la complicité d'au moins cinq Amazones. D'abord de celle qui garde la porte du dortoir, ensuite faut passer par celles qui gardent les sections... J'y ai fait le ménage, crois-moi le dispositif est de béton. Ou alors, faut être invisible.
- Je doute qu'on ait de quoi coincer l'agent révo' avant le Cromagnon.
- Donc on attend le prince ?
- On attend Jay-jay. Prépare-toi, les choses vont s’accélérer dès que j'aurais les preuves que j'escompte.
- Certains diront que tu as déjà de quoi agir et que tu fais juste ton perfectionniste.

[...]

D'invité, je me transforme en professeur principal. A peine Alice Cooks me reçoit-elle qu'un troupeau de filles dirigée par Terra Hangleton s'attroupe devant la classe. De visu, ce sont toutes des préfètes et des assistantes, de première en dernière année. Elle a préféré sélectionner des étudiantes à responsabilité pour porter leur message commun plutôt que de militer avec la populace. Choix judicieux. Un peu à l'écart du groupe, je repère Mirabella anxieuse et Davina dont l'expression ne laisse aucun doute sur ses pensées. Cooks est obligée de les recevoir et d'écouter leurs doléances. Elle s'éloigne avec elles vers un amphithéâtre, et moi je me retrouve avec cette classe de dernière année -toutes des Kizaru- à ma charge. Pendant deux heures, je leur relate l'histoire de mon "sursaut" personnel, un mélange entre ce que j'ai réellement vécu étant esclave et un peu de sensationnel. Avec effets spéciaux. La directrice revient juste avant la fin de mon allocution.

- Qu'est-ce qui vous poussait à ne jamais abandonner, professeur ? J'veux dire, un beau jour vous avez perdu la vue mais quand vous décidez d'ne pas vous apitoyer sur votre sort et d'prendre votre destin à deux mains, d'voyager, vous vous retrouvez prisonnier d'un groupe suprématiste humain. Pourquoi vous accrochiez-vous à la vie ?

Je considère la question, la médite en faisant les cents pas entre les poufs. Le développement personnel n'est pas un cours conventionnel, de même que la matière n'est pas une science "conventionnelle". Au lieu de bancs, d'un tableau et des marqueurs, la directrice a opté pour une ambiance tamisée dans une classe presque transformée en serre. Le sol est en terre battue et les murs colonisés par une plante grimpante. Dans chaque coin est disposé un brûleur à encens qui fumige la salle d'un parfum de myrrhe.

- Mourir n'a jamais été une option pour moi. Mon grand-père était l'un des plus grands historiens des temps modernes. Mon père est sans aucun doute le plus grand sismologue de ces cents dernières années tant ses recherches ont révolutionné notre compréhension de la mécanique des roches et de la propagation des ondes à l'intérieur de la terre. Tout ça pour dire que depuis enfant, j'avais besoin d'exister, de voler de mes propres ailes. Ne confondez pas ça avec un besoin maladif d'attention, non. Bien sûr, je voulais être célèbre, que mon nom soit associé à quelque chose, qu'on ne me connaisse pas seulement en tant que "fils de" ou "petit fils de" mais en vérité je voulais juste me prouver que je pouvais être à la hauteur de mon ascendance. Que moi aussi j'avais en moi cette abnégation, ce génie qui a fait d'eux les hommes exceptionnels qu'ils furent. Donc même aveugle, même prisonnier, humilié, torturé, affamé, cette envie de vivre, de briller par ma propre lumière n'a jamais vacillé. Au plus profond de mon cœur, il a agi comme un talisman qui m'a protégé de mes longues années de brimades. Et si j'en suis capable alors vous aussi.

La plupart de ces filles croule sous les pressions familiales diverses. On attend à ce que celle-là épouse quelqu'un qu'elle n'a jamais vu pour assurer le devenir d'un royaume moribond, on attend de celle-ci qu'elle s'illustre sur les champs de bataille et conduise son royaume à l'indépendance à laquelle aspire tout un peuple. Certaines avouent sans détour penser au suicide tant elles ont l'impression de porter le poids du monde sur les épaules. Sans les encourager à fuir leurs responsabilités, le développement personnel leur montre que même dans le devoir, on peut trouver de l'épanouissement. Le dépassement de soi, c'est aussi savoir souffrir pour la multitude et ne jamais avoir un merci en récompense.

- Nous avons tous nos lots de souffrance à porter. Naitre avec une cuillère en or dans la bouche ne signifie en aucun cas qu'on est heureux. Pleins d'enfants miséreux le sont sans doute plus que vous, princesses. Mais le bonheur n'est pas un concept mathématique. Il est dans le sourire de vos proches, il est dans ce nuage que vous regardez passer, il est dans ces moments que vous passez avec vos amies, dans les solides liens que vous nouez ici. Et même si vous ne voyez pas le bout du tunnel, continuez à marcher et rendez-vous compte que si la girouette bouge, c'est que le vent tourne. Tôt ou tard, il tournera en votre faveur et ce jour-là, vous vous étonnerez des forces insoupçonnées qui sommeillent en vous.
- Un tonnerre d'applaudissement pour le professeur Lang, je vous prie !
- Merci. Merci.
- C'était magnifique et vivant ! Vous serez toujours le bienvenu dans ma classe, professeur. Navrée de n'avoir pas pu assister à l'intégralité du cours.
- Pas grave, j'étais en bonne compagnie. Ça a été avec les filles ?
- Elles étaient venues pour se bagarrer, dit-elle, lasse.
- Hangleton a bien su motiver ses camarades.
- Oui, elles pensaient que la direction essayait d'étouffer l'affaire. Je leur ai montré le rapport fait par les Amazones et la 19e, que j'ai envoyé à leurs familles d'ailleurs avec un mot pour les rassurer. Puis devant elles, j'ai appelé le prince Médrick Greengrass III pour que Mlle Mirabella lui explique les faits de vive voix. Le prince s'est fait rassurant et entendre un parent renouveler sa confiance en l'école a immédiatement dissipé leurs inquiétudes à toutes.
- Belle manœuvre. Vous savez les gérer.
- Oh, j'ai passé assez de temps à la tête de cet institut pour savoir comment désamorcer les crises.
- Le vice-directeur était-il avec vous ?
- Non. Pourquoi ?
- J'ai pensé que vous auriez demandé son soutien. En tant que psy, c'est sûrement celui qui les connait le mieux.
- Je ne prétends pas être psychologue mais le développement personnel nécessite des prédispositions à la compréhension de la nature humaine et à l'analyse de la psychologie. C'est une phrase du détective Loth Reich que je viens de plagier. J'ai juste remplacé "profilage" par "développement personnel". Bref, je veux dire que je connais ces enfants, ce sont mes filles. Je sais les tranquilliser.
- Puissiez-vous diriger cet institut pendant encore longtemps !
- Merci professeur. Bonne soirée.
- Professeur ! S'il vous plait attendez !

Elle court après moi, cette fille aux nattes blanches. Durant tout le cours, elle but mes paroles avec des yeux émerveillés. Freja Ylvadóttir, qu'elle se nomme ; originaire de Sanderr, héritière de l'empire financier Ylvagrease, elle est. Cette entreprise est le premier producteur d'huile d'origine animale des Blues. A l'instar de tous les peuples nordiques de North Blue, elle a un teint exsangue qu'elle complète avec ses cheveux d'une blancheur de craie. Autour du cou, elle porte une écharpe qui dissimule une ecchymose en forme de collier, faute à la corde au bout de laquelle elle s'était balancée un mois plus tôt avant d'être sauvée par le major d'homme de sa famille.

- Que puis-je pour vous, mademoiselle ?
- J'suis confuse, j'ai un truc à vous d'mander, marmonne-t-telle tête baissée. Son teint a tourné au cramoisi. Oh non... pas une groupie.
- Demandez toujours.
- Vous donnez des cours privés ?
- D'histoire ?
- Non, de dévélopp'ment perso.
- Non. J'ai juste été invité, je n'enseigne pas cette matière. J'ignorais que les professeurs pouvaient donner des cours privés en fait. Enfin, à part à leurs assistants.
- Si, si. Il suffit d'le signaler.
- Pourquoi ne demandez-vous donc pas à la directrice ?
- J'suis déjà ses cours privés.
- Que voulez-vous de plus alors ?
- Vous. Pardon, j'veux dire, vos méthodes sont plus efficaces qu'les siennes. Votre verve est puissante et Cooks dit vrai, c'est vivant. J'me suis sentie pénétrée... Euh, j'veux dire, touchée.
- Merci pour le compliment mais c'est toujours non. Je n'ai pas de temps à vous consacrer.
- Oh...
- Et de quelles méthodes use le professeur Cooks ? Quels sont les objectifs d'un cours privé de développement personnel ?
- L'avantage c'est qu'on est seule à seule. Elle s'concentre sur nos problèmes indivuduels par sur ceux d'la masse quoi.
- Et vous avez constaté des progrès ?
- Pas vraiment... susurre-t-elle en se tâtant machinalement le cou. Un message sibyllin comme pour dire "si ça marchait, je ne me serais pas pendue."
- Peut-être est-ce un psychologue qu'il vous faut ? dis-je tout en me demandant pourquoi je l'envoie chez le Cromagnon. Ou un psychiatre. Vous voyez le professeur Espéranto ?
- Oui, lui aussi j'le vois. Mais j'trouve la directrice encore plus efficace que lui à vrai dire.
- Bon, je vais réfléchir à votre demande, finis-je par dire.
- VRAIMENT ?
- Oui. Un peu moins de joie et gardez ça pour vous.
- Merci infiniment professeur !

Pauvre fille. Mais en même temps, elle est dans sa dernière année ici, habite sur mon océan de prédilection et a plus d'argent que la forêt interdite ne regorge de moustiques. Si je peux lui redonner goût à la vie, elle m'en sera bien reconnaissante.

[...]

- Hmmm. Où est Sinistros ? demandai-je en ne le voyant pas dans les parages. Davina et Mirabella étaient réunies dans la cour déserte de l'infirmerie.
- Avec Émeline. Elle est venue "l'emprunter". Elle n'a pas voulu dire pourquoi.
- D'accord. Sinon, Cooks m'a fait un compte rendu de votre réunion.
- J'avoue qu'elle a très bien géré la situation avec beaucoup de compromis. Je l'ai toujours connue sèche et autoritaire, je ne connaissais pas cette facette d'elle.
- Là où j'ai joui c'est quand le prince souverain à ré-accordé sa confiance au pensionnat et que toutes les filles n'ont plus voulu appeler leurs parents et partir. Le visage de sales-ongles s'est décomposé, j'ai vécu un moment très intense, dit-elle, la lueur de la nostalgie dans les yeux.
- Mais elle n'a pas abandonné pour autant.
- Quoi elle trouvait encore moyen de chicaner ?
- Et comment ! J'ai dit que c'est juste une fouteuse de merde pour le plaisir de foutre la merde. Quand on a dit le mot de la fin et que tout le monde est sorti, elle est retournée dans l'amphi s'entretenir avec la directrice qui rangeait les escargophones. Ça n'a pas duré longtemps et je n'ai entendu que des bribes de ce qu'elles ont dit mais Hangleton s'est méchamment faite rembarrer. Je crois qu'elle voulait appeler quelqu'un en particulier, enfin, j'ai entendu "Breinan". C'est peut-être son copain sauvageon qui l'attend sur leur ile de sauvages. En tout cas, j'aime cette vieille Cooks qui a tout solutionné d'une main de maître.
- Tout est bien qui finit bien.
- Ah, Jay a envoyé deux colis pour toi.
- Super.

J'ouvre le premier paquet et découvre un livre en cuir doré intitulé "Rois guerriers : Les Grantz de Bliss". Je le feuillette jusqu'à trouver l'erreur à la page cent-dix. Je lis d'une traite et souris en hochant du chef. C'est exactement ce que je soupçonnais. Je m'empare ensuite du second un paquet, bien plus petit. Il contient un minuscule coffret à bijoux où repose une bague verte grossièrement taillée avec un mot d'apparat à l'attention de Davina. "Oncle Moshe aurait voulu qu'il te revienne. Prends en bien soin. Ton frère qui t'aime."

- Oncle Moshe détestait les joailleries en tout genre, commenta-t-elle. ll ne m'aurait pas transmis ça.
- Un prétendu bijou familial et un livre sur la généalogie des Grantz, voilà qui passe tranquillement les vérifications à la douane. Ton frère est le meilleur.
- C'est de l’émeraude ou de l’améthyste, la bague ?
- C'est vraiment la seule question qui te vienne à l'esprit ? Pourquoi vous avez besoin d'un livre et d'une bague ?
- Pour définitivement résoudre cette affaire. Me faites-vous confiance, princesse ?
- Bien sûr que oui. Père vous a déjà gratifié pour avoir sauvé la flotte marchande Dakota et depuis presque une semaine, vous veillez sur moi.
- Dans ce cas, prenez cette bague et mettez la à un index de votre amie Henrietta Stemper. Ne posez pas de questions, ayez confiance.

Elle hésite puis prend la bague que je lui tends. Selon les ingénieurs de la Brigade Scientifique la jambe cybernétique de Stemper sera achevée d'ici le lendemain. En attendant, elle a des béquilles à sa disposition mais malgré les diverses sollicitations, elle a refusé net de s'aventurer hors de son lit. Nous l'y trouvons et comme à son habitude, elle s'y enfouit puis tira d'un coup sec la couverture jusqu'à son nez. Ses yeux de souris nous scrutent avec une timidité mêlée d’inquiétude. « Donne-moi ta main, Henrie, je vais voir si ça pourrait t’aller. »

- M-mira ! C-c'est q-quoi t-tous c-ces g-gens ? bégaye-t-elle d'une toute petite voix aiguë. J'ai du mal à croire que c'était elle qui beuglait à la trahison la dernière fois.
- Comment ça "tous ces gens" ? C'est la quatrième fois qu'on vient te voir aujourd'hui. Sois moins méchante ! Allez donne la main droite.
- E-elle est t-trop m-moche ta b-bague.

Mirabella lui glisse l'anneau à l'index et comme je m'y attendais, l'effet est immédiat. Moins percutant parce qu'elle est alitée mais la fatigue instantanée est visible. Son bas retombe lourdement, sa peau se couvre de sueur, sa langue pend et elle halète comme si elle vient de parcourir des kilomètres à fond. Sa meilleure amie panique, pense qu'elle a une attaque et lui retire la bague en catastrophe. « Ça va Henrie ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous m’avez… c’est quoi cette bague ?! Non, ne panique pas Henrie, c’est rien, c’est rien ! » Elle rentre sous la couverture pour consoler son amie tremblante comme une feuille sous le mistral.

- J'y crois pas ! C'est du granit marin cette bague. Stemper est une maudite des eaux.
- Quoi ? Raconte pas n'importe quoi elle n'a jamais...
- Enfile-lui encore la bague et observe comment le granit vampirise ses forces.
- Ce n'est pas un sujet à débat ça. Remettez-lui la bague.
- Non !
- Pas la b-bague, PAS LA BAGUE ! Elle s'agite violemment et j'accours fixer une nouvelle fois l'anneau à son doigt.
- Non, reculez princesse. Elle ne va pas en mourir, elle est juste exténuée d'un coup, elle ne ressent pas de douleur ! C'est ça où je l'attache ! Sinon, elle va paniquer, hurler et rameuter le Dr Joëlle qui va nous virer. Je croyais que vous vouliez résoudre cette histoire ?
- Et qu'est-ce que Henrie à avoir dedans hein ? réplique-t-elle en colère, aux bords des larmes en voyant son amie incapable de faire un geste.
- Ce serait elle le Cromagnon ?
- Tu délires Grantz !
- Non, je sais déjà qui est le Cromagnon. C'est Espéranto.
- HAN ?
- Depuis quand tu sais ça ?
- J'en ai été sûr hier, sinon je m'en doutais depuis qu'il a proposé que vous fassiez la retenue dans la forêt.
- Oh mon dieu ! Il est psy, c'est à lui que tout le monde raconte ses problèmes ! marmonne-t-elle, effarée.
- Presque tout le monde, moi je ne lui ai jamais livré une phrase. Sérieux binocle, pourquoi il est encore en vie ? Pourquoi on discute ? Et où se situe Stemper dans l'histoire ?
- J'ai besoin d'éclaircir tous les pans obscurs avant de me jeter à ses trousses, pour être définitivement sûr que je ne fais pas une erreur.
- Quel pan obscur ?
- Tu saurais expliquer le sphinx ?
- Non.
- Bah on poutre ce vieux dégoutant jusqu'à ce qu'il n'ait qu'une seule envie, dire oui. Il va nous expliquer de quel chapeau il a sorti cette créature.
- Et voilà. Tu ferais là une belle erreur qui pourrait t'être fatal. Même le Cromagnon n'a aucune idée d'où sort ce sphinx. En fait, il n'y a que trois personnes au monde qui le savent. Moi je l'ai deviné, une autre personne le sait de source sûre et une autre le sait inconsciemment.
- Pardon ?
- Le sphinx est devant nous. Dans ce lit.

Quand elles se tournent brusquement vers le lit, on dirait presque qu'elles s'attendent à y voir quelqu'un d'autre. Mirabella hoquète, hoche la tête de déni et d'horreur. « Vous aviez dit que le sphinx n’était pas un zoan ! Et puis ça peut pas être elle, elle était avec moi ! Tout le temps ! Si elle a un pouvoir, c'est forcément autre chose ! » éructe-t-elle. « Ah non, ce que je veux dire c'est qu'elle a créé ce sphinx. Elle a le pouvoir du Fruit du Bestiaire. Selon mon livre sur les fruits du démon, la victime de cette malédiction détiendrait le pouvoir de transformer les objets en animaux. Un objet banal se transformerait en une petite créature adorable alors que les armes auront tendance à se transformer en bête sauvage et agressive. La transformation est aléatoire, l'utilisateur ne peut pas choisir la bête qui apparaitra. »

- Mais...
- Vous m'aviez dit qu'elle paniqua dans la forêt, que Fridluva et vous passâtes un temps fou à la chercher. Et quand enfin vous la trouvâtes, le sphinx apparut immédiatement après.
- Mais...
- Cette créature l'a attaquée aussi. Et puis, qu'est-ce qu'il y avait dans la forêt susceptible de se transformer en quelque chose d'aussi monstrueux ?
- Les créatures générées par le maudit du Bestiaire possèdent leur libre arbitre et dès que l'animal meurt, l'objet qui a été transformé réapparait cassé. Avez-vous souvenir d'un objet cassé qu'on aurait trouvé dans la forêt quand nous y retournâmes avec Jay-jay ?
- Le... le canon, marmonne-t-elle.
- Tout à fait, le colossal canon qui rouillait là depuis un demi-siècle. Ça explique aussi pourquoi nous l'avons trouvé vers la clairière où Fridluva et moi avions affronté le sphinx. Elle n'a pas utilisé le canon pour frapper le sphinx, le sphinx était le canon. Après que je lui ai coupé la gorge, je me suis effondré. Il s'est éloigné un peu avant de mourir et de redevenir le canon, mais cassé. Quant à sa queue que la géante a arrachée, elle est également redevenue de la ferraille cassée qu'on a trouvé sur place aussi. Il faisait trop sombre et j'avais un monstre à combattre, je n'ai pas remarqué la métamorphose.
- Mais c'est insensé... J'aurais remarqué si elle avait un pouvoir... On est amies depuis toujours...
- Elle a aussi la phobie de l'eau, donc vous n'étiez pas en mesure de le savoir. Elle non plus ne le sait pas d'ailleurs.
- Comment ?!
- Amnésie post-traumatique.
- Mais quel trauma ?
- Celui qui l'a handicapée d'une jambe. Que m'aviez-vous dit à ce sujet ?
- C'était à son anniversaire, elle jouait seule au bord de la piscine pendant que nous autres étions à l'intérieur puis elle a été attaquée par un alligator sorti d'on-ne-sait-où... Oh mon dieu ! s'exclame-t-elle les deux mains plaquées sur la bouche.
- Ce serait elle-même qui aurait généré l'animal qui lui a bouffé la jambe ?
- J'en suis certain. Elle avait dix ans, personne ne maitrise un pouvoir à cet âge-là, surtout un aussi puissant. Elle a peut-être transformé un pistolet à eau ou un sabre-jouet puis ça a été l'horreur. Dès lors, son esprit a mis en place deux barrières psychologiques. L'amnésie pour l'empêcher de se souvenir de cet évènement et de ce qui l'a engendré ; et la phobie qui l'a tenue éloignée de l'eau. Donc de la noyade accidentelle.
- Mais... Bordel, je suis dépassée... Si, si elle a oublié qu'elle avait ce pouvoir, donc elle ne l'a plus jamais utilisé ? Même inconsciemment ?
- Jusqu'à avant hier, je ne pense pas.
- Et qu'est-ce qui a déclenché son pouvoir ? La forêt ? Le stress d'être confrontée à cet anaconda ?
- Non. Les lézards sont légions ici et j'ai vu des crapauds au bord des piscines. Elle subit donc son herpétophobie presque tous les jours. Malheureusement, l'utilisation de son pouvoir n'était pas accidentelle, princesse. Elle voulait vous tuer.
- QUOI ?
- Parce qu'elle répondait à un ordre simple du Cromagnon. "Dans la forêt, tue Mirabella Greengrass."
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- Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?! demande-t-elle en état de choc.
- Le sphinx vous a attaqué non ?
- Mais... mais après il est parti !
- Comme je l'ai dit, les créatures créées ont leurs propres désirs. Le sphinx n'a attaqué que ce qu'il avait sous les yeux.
- Du coup, que veux-tu dire par un "simple ordre" ? Stemper est un sbire du Cromagnon ? Ou elle l'a fait sous la contrainte comme tu le supposais hier ?
- Ça ne peut être que contre son gré ! M'enfin regardez la ! Elle semble capable de tuer quelqu'un de sang froid ?!
- Vous avez raison princesse. Elle a été obligée de le faire, tout comme Nolande Shearer qui a tiré sur moi.
- QUOI ? Je le savais ! Je l'ai même dit, tu as répondu que cette tentative d'assassinat était motivée par un passif entre elle et ton personnage !
- A ce moment c'étaient juste des suspicions et c'est vous qui m'avez mis sur la piste, princesse. Après que Shearer eût tiré sur moi, vous avez hurlé "elle avait le même regard qu'Henrie quand elle m'a attaquée ! Il y a une épidémie de folie furieuse qui souffle ou quoi ?"
- Je m'en souviens.
- C'était ça la clé. Le regard. Leurs yeux étaient veinés, injectés de sang, vides, comme si elles n'avaient plus d'âmes. Toutes deux firent preuves d'une force qu'elles n'avaient pas en temps normal.
- Hypnotisées ?
- Mes pensées, précisément. Cette capacité à pouvoir soumettre les autres à sa volonté en les endormant est encore plus prononcée si la personne est déjà altérée psychologiquement. Shearer avait des griefs contre Randolph Lang depuis de nombreuses années qui petit à petit se sont mués en haine corrosive. Il fut facile pour le Cromagnon de l'hypnotiser et de lui ordonner de tuer Lang.
- L'enquête aurait révélé ce motif.
- Avec Stemper, il a procédé en deux étapes. D'abord fournir un motif pour le meurtre à venir.
- L'altercation quand elle m'a accusé de sortir avec ce garçon ?
- Oui. La lettre était sans doute fausse pour permettre au Cromagnon d'instrumentaliser la colère de votre amie. Il lui a donc ordonné de vous attaquer mais il était essentiel qu'il y ait des témoins qui pourraient arguer plus tard qu'elle avait un motif pour vous tuer.
- La jalousie. Il lui suffisait ensuite de proposer la retenue dans la forêt pour que ça se passe loin des regards avec comme témoin une géante.
- C'était ça l'idée mais quelque chose n'a pas marché, quelque chose le Cromagnon lui-même n'a jamais pu déceler parce qu'elle était profondément enfouie au sein de l'esprit de Stemper. Et ce quelque chose vous a probablement sauvé la vie, princesse.
- Quoi donc ?
- En psychiatrie on appelle cela un TDI pour Trouble Dissociatif de l'Identité. Cette affection est caractérisée par la présence d'au moins deux personnalités qui prennent le contrôle du comportement de l'individu. Il peut être causé par des antécédents traumatiques sévères. Quand elle a été attaquée par ce crocodile et que son esprit a choisi d'enfouir les souvenirs de cette horreur, une personnalité est née. Noire, violente et qui a conscience du pouvoir qu'est le sien. Ce type de TDI est nommé Double Personnalité Combative. Je sais de quoi je parle, moi-même j'en possède une qui a germée des tortures que j'ai subies étant esclave. La double personnalité de Stemper est beaucoup trop faible pour prendre le contrôle de son corps ou émerger d'elle-même. Pour faire surface, elle a sans doute besoin que Stemper soit dévorée par de la rage, une envie bestiale de tuer. Ce qui a été le cas dans la forêt quand l'ordre hypnotique s'est déclenché.
- Est-ce que c'est pour ça qu'elle s'est enfuie à la vue de l'anaconda ? J'ai trouvé bizarre qu'elle ne fût pas tétanisée et paralysée par la peur.
- Surement. Son autre elle était déjà à l’œuvre et elle n'a pas peur des reptiles. Avec une géante à côté, elle se sera dite qu'elle devait vous éloigner raison pour laquelle elle a couru. Elle s'est dissimulée près du canon qu'elle a transformé en sphinx, d'où le "pop" que vous aviez entendu. Mais juste après, la vraie Henrietta a repris le dessus et la suite vous l'avez vécue.
- Wow ! Et ben, c'est pas passé loin. Le doublon aurait juste pu la poignarder au lieu d'utiliser son pouvoir.
- L'erreur du Cromagnon sans doute de ne pas lui avoir spécifié la manière de commettre son meurtre. Comme nous tous, il a dû être très surpris par cette histoire de sphinx et a tenu à savoir pourquoi avant de lancer une autre étudiante à vos trousses. Mais avant il a tenu à se débarrasser de moi.
- Mais il était dans la salle avec nous ! La balle de Shearer aurait pu l'atteindre !
- Il a peut-être inclus dans l'hypnose une clause pour que ses créations ne se retournent pas contre lui. Et puis, vivre mon meurtre aurait pu lui être jouissif.
- Je suis convaincue par ton argumentaire mais il y a un gros truc qui ne colle pas avec la théorie Stemper.
- Ouais, en quoi me faire tuer par elle va inciter mon père à rompre les négociations ? Je vous l'ai dit, son père est certes ultra célèbre en tant que président fondateur de la National Geographic Explorer Society mais ça s'arrête là. C'est un aventurier. Il y a une dizaine de filles qui auraient fait de meilleures candidates et en premier lieu Davina.
- Il n'aurait jamais pu hypnotiser un esprit comme celui d'un Grantz. Ça marche mieux quand la personne est déjà brisée. Et je suis au regret de vous dire que votre amie vous a caché une information importante sur son identité et je ne l'aurais jamais trouvée sans Jay-jay, dis-je en lui montrant le livre que le prince m'envoyât.

J'ouvre l'ouvrage à une page qui concentre une trentaine de clichés de gens de toutes couleurs et physionomies. Aucun trait particulier ne les lie et surtout pas la crinière blonde et les yeux gris des Grantz. Ils n'ont rien à voir avec l'intitulé du livre. Mirabella indexe celui qu'elle reconnait comme le père de son amie. J'en suis satisfait et lui montre maintenant la page cent-dix. Elle lâche une exclamation de stupéfaction. Je commente.

« Henry Stemper n’est qu’une couverture, la face cachée de l’iceberg. Il s’appelle en réalité Nicolaïev Kirkin et c’est le directeur du Cipher Pol Number Two. Il est également le chef de file des négociateurs du Gouvernement Mondial en vue de l'adhésion de Myranah. Pour saboter le processus, il n'y avait pas meilleure candidate que Henrietta. Je m'attendais à ce qu'elle soit liée à quelqu'un de très important mais je suis tombé des nues en lisant, je ne m'attendais pas à ça. »

« Comment tu as pu… ! » la Myrananne se rue sur son amie toujours entravée par la bague qu’elle lui retire d’un coup sec. « Je croyais qu'on ne se cachait rien ?! Comment tu as pu me présenter ton père sous un faux nom en plus ! » Son juste en dessous du beuglement. La maudite a tout entendue de nos délibérations et promène son regard hagard sur nous, partagée entre terreur et incompréhension. Cette histoire de double personnalité, elle n’y a rien compris. Mirabella la secoue pour qu’elle s’explique sur sa "trahison". « J-je s-savais p-pas aussi ! » finit-elle par répliquer. « Il m-m’l’a d-dit y a un-un an q-quand j’-l’ui ai d-demandé p-pourquoi il a ab-bandonné ma m-mère p-pour p-parcourir l'-m-monde ! »

- Tu sais que tu as failli me tuer ?!
- B-balivernes ! D-Délires !  
- Le vice-directeur t'a hypnotisée !
- Men-mensonge ! Lâ-lâche-moi !  
- Ne vous fatiguez pas, il lui a sans doute demandé de tout oublier dès que la mission aurait été accomplie ou pas. Elle n'en aucun souvenir.
- LÂCHE-MOI J'AI DIT ! hurle-t-elle avant de s'arracher à l'emprise de son amie pour se réfugier sous le lit.
- Wow. Pauvre fille. Elle n'est vraiment pas bien. Tu sais où elle a trouvé le fruit du démon, des fois ?  
- Je suppose qu'il devait appartenir à son oncle. Il est sûrement la seule personne au monde à savoir pour cette malédiction. Peut-être qu'il a eu le courage de le dire à Kirkin.
- Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! continue de marmonner Stemper sous le lit.

La porte s'ouvre à la volée. Le Dr Joëlle arrive alertée par le précédent cri d'Henrietta, sur ses talons la directrice Cooks. Furieuse qu'on ait pu rester aussi longtemps à trois avec une personne aussi stressée, la doctoresse nous met dehors sans ménagement. « J’étais de passage pour prendre connaissance de leurs états. Qu’est-ce qu'elle a ? » s'enquit la directrice. « Je lui ai suggéré de se tatouer un reptile sur le bras comme ça, elle ne pourra plus en avoir peur. Elle n’a pas appréciée la recommandation et a commencé à hurler » fit Davina avec sourire. « Bon on y va non professeur Lang ? » J’acquiesce. Il est temps d'aller trouver le Cromagnon. Mais à peine avons-nous bougé qu'une détonation monstre nous parvient. Et là je pense que c'est plutôt le Cromagnon qui nous a trouvé.

[...]

Nous accourons dehors pour en localiser la source. Trois puis cinq autres explosions lointaines retentissent. Ça vient du nord, du nord-est. Le port ! Les pétarades qui se poursuivent indiquent maintenant un échange nourri de feu, par rafales interposées. Bon sang, le Cromagnon s'est dit qu'il n'a plus rien à perdre ! Ses amis essaient de briser le rideau des Marines pour accoster. Moi aussi, je n'ai plus rien à perdre. Ignorant l'exclamation de surprise de la directrice à mes côtés, j'arrache ma barbe, remets mes lunettes conventionnelles puis utilise la Rencontre du Troisième Type. Je monte très haut, assez pour avoir un aperçu de la situation. L'entrepôt principal et deux quais sont en feu, un des croiseurs tangue par tribord en dégageant une épaisse fumée noire pendant qu’un autre coule en position verticale. Les canons du cuirassé et les mitrailleurs des autres croiseurs criblent de petites embarcations qui slaloment si rapidement qu'ils sont flous de mon point de vue.

- Mais vous êtes Loth Reich ! Qu'est-ce que ça veut dire ?!
- Que ce n'est pas le moment. Les petits amis du Cromagnon attaquent l'île, ordonnez la levée des tabliers du pont-levis.
- Qui...
- Ce n'est pas le moment madame !
- J'ai vu tout un peloton d'Amazones sur le pont filer vers le port. Je pense que la Marine n'arrivera pas à les empêcher de débarquer, ils ont une trentaine de petits bateaux. Si on relève le pont, ils seront piégés de l'autre côté. Donnez cet ordre !
- Les pensionnaires ! Les enfants, il faut les faire rentrer !
- Oh non, vous vous ne bougez pas d'une semelle. Votre pied, mon pied. N'oubliez pas que c'est vous qu'ils cherchent. J'ai vu des Amazones se hâter vers les dortoirs, elles feront leur boulot.
- Moi je pars trouver ce connard.
- Non ! Toi aussi tu restes. Maintenons-nous groupés, j'ai un mauvais pressentiment. Cette attaque contre la 19e est presque suicidaire, ils préparent forcément quelque chose d'autre.
- C'est exactement pour ça qu'il faut le descendre ! C'est lui qui dirige l'assaut !  
- Au contraire, les dés sont jetés maintenant. Même si on le tue là, ce n'est pas ça qui arrêtera les autres. Le Cromagnon n'est pas le seul bénéficiaire de cette entreprise. Garde la tête froide, analyse la situation, prévois deux coups d'avances avant d'agir.
- Oh, tu me gonfles le bigleux !
- Alors, madame ?
- Je n'arrive pas à joindre l'Amazone gardienne du pont !
- Elle est peut-être partie combattre.
- Okey, bougeons vers le pont, il faut obligatoirement lever les tabliers ! Vous aussi vous venez directrice.
- Elle va nous ralentir !
- Elle connait cette île mieux que personne, montrez-nous le chemin, directrice. Ah, il ne faut pas oublier une autre personne !

« Oh bordel, je te jure quoi le bigleux. Si on se fait tuer à cause d’elles, je te tue ! » crache la Blissoise. Elle porte sur le dos Henrietta Stemper endormie par la doctoresse. Elle aussi doit être protégée au même titre que Mirabella mais comme le craignait Davina, leur présence nous ralentit énormément. La vieille directrice qui a un point de côté à peine cinquante mètres parcourus à fond et la Myrananne qui se plaint de la gêne occasionnée par ses talons et qui finit par les enlever et courir pieds nus. Nous conseillâmes au Dr. Joelle de se barricader avec ses patients en attendant que passe cette tempête. Dans la cour, nous croisons des professeurs et des domestiques affolés à qui nous conseillons de se terrer au Bloc B, près de l'infirmerie. Les pensionnaires sont déjà dans leurs dortoirs quand nous arrivons sur zone. Dix Amazones armées gardent la porte d’entrée.

Soudain...
BOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUMMMMMMMMMMMMM !

Le fracas est si infernal et si proche que mes oreilles tintinnabulent. La directrice et Mirabella sont à quatre pattes, désorientées. Malgré cette gêne auditive, j'entreprends une nouvelle ascension et constate ce que je craignais. Le pont est en feu, totalement détruit. Un des tabliers est emporté par la Roseraie et l'autre pend lamentablement, comme une porte sur ses gonds. Dix commandos tous de noirs vêtus sont déjà de ce côté de la berge alors que la Marine et les Amazones sont bloqués sur l'autre flanc. Et merde ! L'attaque du port n'était un piège destiné à attirer les Amazones sur la rive Est pour les isoler définitivement. « RENTREZ DANS LE DORTOIR ! VERROUILLEZ LA PORTE, ILS SONT DÉJÀ LÀ ! » beuglai-je aux Amazones en faction.

La première à bouger s'écroule et projette une gerbe de sang et de matière cérébrales sur les autres. Puis trois autres tombent. Mirabella et la directrice hurlent de terreur. Derrière-nous, plein sud, ils sont une centaine à avancer, armes aux poings. Les balles crépitent. J'attrape Mirabella sous une aisselle, la directrice sous l'autre et pique un sprint tout droit vers le nord-ouest. « BOUGE PLUS VITE ! NE SOIS PAS RIDICULE, COMMENT TU VEUX LES PROTÉGER QUAND NOUS SERONS SUBMERGÉS À UN CONTRE CENT ? »
Ces Grantz, je vous jure ! Aucune approche tactique ! Les premiers arbres sont en vue. Mais le commando que j’aperçus nous bloque le chemin. Ils nous ont en joue. Ils tirent. D'un pied, je cisaille horizontalement l'air et crée une lame qui annihile leur attaque et les tronçonne d'un coup. Ignorant les amas sanguinolents gisant à terre, nous pénétrons dans les bois. Je sais exactement où aller.

[...]

Vingt minutes plus tard, je m'écroule, hors d'haleine.

- C-c'est... quoi... cet... endroit... ? halète Mirabella.
- Ha ! Sé...rieux... j'aurais... jamais... dû... Ha ! te... suivre... bigleux...
- Fermez-la... con...ten...tez... vous... respirez...

Ici, nous sommes à l'abri. Dans la jungle, je dirigeai mon petit groupe vers la grotte de Fridluva puis escaladai la colline vers le plateau calcareux où elle chassait ses succulentes dindes. Hisser nos trois protégées au sommet de colline ne fut pas une mince affaire, même pour des gens aussi entrainés que Davina et moi. La pente était raide, inamicale, presque verticale. Mais le résultat en valait la peine, nous avons semé le troupeau de mercenaires qui nous poursuivit dans la forêt. Ici, à plus d'un kilomètre de la grotte de la géante, nous entendons encore des canonnades sporadiques.  

- On s'est pris la raclée du siècle sans même combattre ! Comment ils ont pu débarquer du sud ?
- Oh mon dieu ! mon dieu, mon dieu ! Qu'est-ce qu'on va devenir ?
- Peut-être ont-ils escaladé la Ceinturière avec armes et paquetages.
- Au sud, il y a des pics à plus de trois milles mètres ! Ça n'a rien à voir avec cette petite colline !
- Ça a une importance de savoir par où ils ont pu venir ?! Qu'allons-nous faire ? Je vous rappelle qu'il y a 1500 filles dans les dortoirs ! Et puis pourquoi vous êtes-vous fait passer pour Randolph Lang, détective Reich ? Il y avait une menace qui pesait sur mon école ? La voix cassée, tremblante, elle est encore sous le choc des morts qu'elle vit et des balles qui nous rasèrent.
- Oh, trois fois rien. Pour ce qui est de la marche à suivre maintenant...
- On y retourne et on se les fait !
- Quoi tu veux y retourner ?! Ils sont des centaines !  
- Ma vieille, c'est à cause de toi qu'on a fui. Enfin, vous trois. Des centaines ou pas, on ne va pas laisser 1500 filles dont plus de 10% sont des princesses royales des pays membres du Gouvernement entre leurs mains. Autrement, ce sera le plus gros casse jamais perpétré par la Révolution !

Je n'ai pas la force de leur expliquer que le Cromagnon n'est pas réellement un révolutionnaire et que ceux qui nous attaquent sont sûrement des mercenaires à la solde de la Confrérie.

- Dans ce cas, je veux me battre !
- Qu'est-ce que tu n'as pas compris ? C'est pour toi qu'ils sont là, andouille !
- Raison de plus pour les combattre !
- Comment ça pour elle ? Avez-vous un quelconque rapport avec ces gens Miss ?
- Juste le rapport qu'ils veulent la crucifier et envoyer la photo à son père. Davina a raison, princesse. Si vous y retournez, ils vous tueront sans hésiter. Votre courage est louable mais il est hors de question de vous laisser faire quelque chose de stupidement héroïque. Je vous assommerais et vous attacherais s'il le fallait. Vous serez avisée de ne pas m'y contraindre.
- Mais...
- La ferme Mira' ! Bien parlé, binocle. Maintenant, on fait quoi ? La Marine et Jay sont bloqués de l'autre côté de la Roseraie.
- Mais ils vont bien trouver un moyen de traverser ! dit-elle alarmée. Il le faut !
- Le courant de la rivière est trop puissant pour le braver. J'ignore combien d'utilisateurs de Geppou il y a dans les deux divisions de Bliss mais ils ne sont surement assez nombreux pour renverser la tendance.    
- Et le soleil va bientôt disparaitre, dis-je en regardant l'astre du jour s'éclipser derrière les sommets. Je doute que la Brigade Scientifique soit susceptible de bâtir un pont rapide dans ces conditions ; sans compter que les assaillants ne vont pas sagement rester là à les regarder travailler. Pour résumer, nous sommes bien seuls et pour un long moment. Tiens, ça me rappelle...

Avec Davina, nous escaladons la trentaine de mètres qui sépare le plateau du sommet de la colline. Fridluva avait parlé de la vue panoramique qu'on a depuis le faîte. Elle n'exagéraient pas, d'ici, on surplombe toute la partie plane du Havre. Dans la trousse d'utilitaires de secours que je garde toujours sur moi, je sors mes jumelles et balaie la zone avec. D'abord le pont, toujours détruit. Pour défendre la berge, les mercenaires ont installé des forteresses de bois et des sac de sables, le tout surplombés par des mitrailleuses gatling. Sur la côte Est, les combats semblent avoir cessé ; plusieurs bateaux et le port fument toujours. J'aperçois toute une colonie de gens agglutinés sur le littoral du fleuve, incapables de franchir les eaux sans se faire emporter. De chaque côté, les deux camps s'observent avec la Roseraie en juge de paix.

- Oh bordel, regarde devant le dortoir !  

Internes, professeurs et domestiques sont entassés en une masse compacte et multicolore. Je vois les plus jeunes pleurnichant dans les bras de leurs ainées toutes aussi terrifiées. Là aussi, les forteresses et barricades ont transformé la cour et le jardin en place forte. Plus inquiétant, plusieurs grands feux de bois sont allumés, peut-être en prévision de la nuit qui tombe ou pour préparer un bucher ou deux... Je chasse cette idée de ma tête et cherche Espéranto dans la foule. Mon regard est d'emblée attiré par un homme massif et ventru assis sur un gros rocher. Difficile à dire d'aussi loin mais il semble plus grand que Fridluva. « Parle pas de malheur ! C’est Baba Giant ! » s'écrie Davina. «  Bleuuurp ! Beuargh ! ! ! »

"L'Ogre" Baba "Giant"
As de la Révolution
Prime : 100 000 000

La princesse Blissoisse s'écarte et vomit de tout son saoul. Mon estomac aussi est retourné. Je suis écœuré, les rumeurs sur Baba Giant sont donc véridiques. Embrochés au-dessus d'un feu en face de lui, une cuisse, un bras et un tronc de femme rôtissent. Qui est cette malchanceuse ? Une des Amazones abattue, j'espère. Pas une princesse. Que fait donc un As de la Révolution à la réputation aussi funeste que Baba Giant ici ? Pourquoi le Cromagnon aurait-il fait appel aux révolutionnaires ? Où me suis-je trompé ? Davina revient après deux minutes à vomir ses tripes. Ses yeux sont embués de larmes et sa colère visible. « Putain, on doit tous les massacrer ! » rage-t-elle. Un son strident nous perce les tympans puis se stabilise. C'est le géant qui s'adresse à nous via un mégaphone.

- Princesse Greengrass ! Tu m'entends, je sais ! C'est pas bien de fuir ses responsabilités, hein ? Gnar ! Gnar ! Voilà ce qu'on va faire ! Comme on a un peu de temps, je vais te laisser une heure pour te rendre. A chaque dix minutes, quelqu'un mourra ! Gnar ! Gnar ! Si à la fin de l'heure tu t'es pas toujours ramenée, je saurai que tu m'as tourné le dos et là je ferai le plus grand barbecue royal au monde ! Gnar ! Gnar ! Et pour donner le ton, tiens, cadeau !

Le géant se lève et s'empare de quelqu'un dans la foule soumise. J'ai l'impression que quelque chose danse la conga dans mes entrailles. Totalement interloqué, je reconnais Jordi Espéranto emprisonné dans la main du colosse. Il semble hurler quelque chose. D'une simple pichenette, Baba Giant lui arrache la tête qui tombe et dégringole sur la pelouse.
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- C'est quoi ce délire ?! Il vient de tuer le Cromagnon !
- Mais qu'est-ce qui se passe ? Qui parlait comme ça ? s'enquit Mirabella plus bas.
- Viens redescendons, j'ai besoin de réfléchir.
- Alors, que se passe-t-il ? C'était la voix de qui ?  
- Vaux mieux pas que tu saches.
- Quoi ? Dites-nous ! Cette personne vient de menacer d'exécuter des otages chaque dix minutes, qu'est-ce qui se passe à la fin ? Que signifient tous ces mystères ?
- Pour faire bref, ces révolutionnaires attaquent l'ile pour me tuer en espérant que ça déclenche la colère de mon père envers Bliss et qu'il renonce à entrer dans le Gouvernement. Le Cromagnon, vous en avez entendu parler non ?
- Bien sûr.
- C'est Jordi Espéranto et il commande l'attaque.
- Ridicule ! Impossible !
- "Commandait", Mira.
- Pardon ?  
- Le Cromagnon vient de se faire arracher la tête par un autre As de la Révo, Baba D. Sauro.
- L'Ogre ? Ce mangeur d'homme est ici ? Et il menace de... mon Dieu...
- Directrice ! Elles courent soutenir la vieille Cooks qui s'effondre à la perspective de ses filles dans le ventre de ce géant. Mais, je ne comprends plus rien ! Ils ne sont pas dans le même camp ? Et il a menacé d'exécuter quelqu'un chaque dix minutes, je dois y aller !
- Tu es folle ?
- Il est hors de question de laisser d'autres personnes mourir à ma place !
- Si tu y vas, ils te tueront !
- Ça m'est égal tant que les autres s'en sortent !
- Continue à crier et avec peu de chance ils nous entendront ! Tu sais ce que c'est que de voir quelqu'un rôtir au feu comme un cochon de lait ? Bah escalade cette arête et tu verras ! Tu es non seulement folle mais stupide ! Il y a à peu près 150 princesses royales dans ces otages ! Tu penses vraiment qu'ils rempileront leurs affaires et s'en iront comme des scouts si tu te rendais ? Ce sont des loups au milieu de la bergerie, le massacre, ils le feront, avec ou sans toi.
- Nous disputer ne fera pas avancer les choses non plus les filles.
- Pour riposter, il faut d'abord comprendre ce qui se passe. Pourquoi un As de la Révo' en tuerait un autre ? Binocle ?    
- Le Cromagnon n'était pas un révolutionnaire, dis-je après plusieurs minutes de silence. Vous le dire plus tôt aurait signifié m'étendre en explication, c'est pour ça que j'ai éludé ce détail.
- T'es sérieux, putain ?! Un détail ?
- Ça n'aurait rien changé que vous le sachiez et je vous en aurais parlé si nous lui avions mis la main dessus. Le Cromagnon, enfin, Jordi Espéranto ne faisait que vendre des informations tirées des étudiantes à la Révolution, d'où la présence d'un agent de contact sur l'ile. Parallèlement, le Cromagnon faisait aussi partie d'un petit groupe de gens puissants appelé la Confrérie et c'est eux qui ne désiraient pas que Myranah adhère au GM.
- Ce n'est pas donc la Révolution qui désirait me tuer ?!
- Non, c'était le Cromagnon pour ses intérêts personnels et de ceux de la Confrérie. Avant de voir Baba, je croyais que c'étaient des mercenaires qui nous envahissaient mais là, force est d'admettre que c'est bien une armée révolutionnaire qui est à l’œuvre.
- Du coup, où est le ver dans la pomme ?
- Je l'ignore. Je ne peux qu’émettre des suppositions.
- Dis toujours.
- Le Cromagnon n'était intéressé que par l'argent. Quand il a décidé avec ses amis de saborder l'intégration de Myranah, il a peut-être vu là une opportunité de soutirer plus de cash à la Révolution. En leur vendant le rêve de faire de la principauté un vivier révolutionnaire dès que le GM sera loin. Ainsi, ce qui aurait dû n'être au départ qu'une opération 100% Confrérie a été associée à la Révolution. Mais voilà, les gris n'ont pas les mêmes intérêts que le Cromagnon, ils n'ont pas besoin que Mirabella meure en discrétion comme désirait le faire Espéranto.
- Donc après l'échec du meurtre dans la forêt, ils auraient perdu patience ?  
- C'est ça. Espéranto perdait la mainmise sur son opération, sans compter qu'envahir cette île représenterait une victoire de choix pour les gris. Ils ont donc attaqué.
- Et Baba l'a tué parce qu'il ne leur était plus d'aucune utilité ?  
- Ouais. Son pouvoir de renseignement, c'est d'ici qu'il le tenait. Sans le Havre, le Cromagnon n'était plus qu'un homme extrêmement gênant qui devait connaitre bien des secrets de la Révo' à force d'en côtoyer les membres. S'en débarrasser était la meilleure solution.
- N'en parlez pas comme si c'est un poulet qui vient mourir !
- Je regrette la mort du Cromagnon parce que j'aurais voulu la lui donner moi-même, c'est tout. Mais notre pseudo-As a été remplacé par un vrai As cette fois-ci, primé à cent millions et qui raffole de chair humaine.  
- Les dix premières minutes sont passées.

Mirabella fond en larmes et plaque ses mains contre ses oreilles quand résonne la voix moqueuse du géant. Je gravis à nouveau la saillie pour voir. Ils ont installé une potence de fortune vers la laquelle ils trainent une fille que je reconnais comme une Akainu de dernière année que j'ai croisée plusieurs fois dans la cour. Elle se débat comme une diablesse puis est calmée à coups de crosse de fusils. En bon speaker, Baba Giant la présente comme étant Antonella Tagliaferro, princesse héritière du Duché de Bianchi. Je détourne mes jumelles le cœur lourd dès que cette pauvre fille commence à gigoter au bout de sa corde. Parmi les otages, je cherche Émeline mais la plupart ont enfoui leur tête dans leurs mains pour ne pas regarder cette atrocité. Le rire caverneux du mangeur d'homme se répète en échos dans les montagnes.

- Dis-moi que t'as plan ! Merde ! fit Davina le visage ruisselant de larmes.
- Je-je n'arrive pas à appeler les Marines, se lamente Cooks.
- Inutile, j'ai vu un escargophone brouilleur blanc géant. Il nous faut des renforts, ils sont plus d'une centaine. Ouh là, la belle se réveille, ajoutai-je en voyant Henrietta Stemper ouvrir les yeux d'un air absent.  
- Console la toute de suite Mira', nous n'avons pas besoin de crise de panique.
- Q-qu'est-ce... Mira'...
- Ça va, ça va Henrie. Je suis là, tu es en sécurité avec moi, marmonne-t-elle en la prenant dans ses bras.  
- P-pourq-quoi tu -pleures ?  
- Rien. Pour rien.
- A cause du pont, nous sommes coupés des renforts, vous l'aviez dit détective !
- Justement, il n'y a pas que le fleuve. Au nord, il y a le lac Rose dans lequel il prend source. Le lac doit être plus facile à traverser non ?
- Binocle, tu ne doutes vraiment de rien.
- Le lac est tout aussi périlleux ou même pire que la Roseraie, détective. Le lac Rose est constamment agité par des geysers qui apparaissent aléatoirement. Ils sont très volumineux, capables de pourfendre n'importe quelle embarcation. Le pont était vraiment le seul moyen sûr de se rendre sur la rive Est.
- À situation désespérée, mesures désespérées. J'ai plus de chances de survivre à un geyser qu'à cette armada. D'ici une heure, 6 otages auront perdu la vie et après, c'est tout le monde qui y passera donc voilà.
- Jay-jay doit avoir déjà envisagé cette solution, ça m'étonnerait pas qu'il essaie de traverser le lac en ce moment même.  
- Nous allons y aller tous les deux, vous trois ne bougerez d'ici sous aucun prétexte. Compris, princesse ?
- Oui.
- Ou pour éviter un acte super stupide et héroïque, on l'assomme.
- Ça va, j'ai dit que je n'allais pas me rendre !
- J'ai confiance, vous êtes forte, princesse Greengrass, fis-je en m'accroupissant pour la serrer dans mes bras.
- M-mais i-il se p-passe quoi ? O-on est où ?
- Vous aussi êtes forte, miss Henrietta.
- Mira', c-c'est qu-qui c-cet homme ?
- Un bon ami, un très cher ami.
- Allez assez de mélodrame, allons-y avant qu'il ne fasse totalement nuit.
- Même si nous ne revenons pas, restez-là. Même s'ils massacrent des gens par centaines, restez-là et bouchez vos oreilles.

[...]

Dévaler la pente verticale demande du doigté. Prudemment, nous glissons le long du versant, nous servant de nos mains comme gouvernails pour ralentir ou équilibrer notre patinage. Nous atterrissons devant la grotte de Fridluva, bien râpés. Ne nous reste plus qu'à jouer à chat avec les révolutionnaires dans la forêt et rejoindre le lac sans encombre. On aurait pu attendre qu'il fasse totalement nuit, que j'emprunte la voie des airs et rejoindre l'autre rive mais le problème resterait le même. La puissance importe peu, je ne suis qu'un seul homme et c'est du nombre dont nous avons besoin ici. C'est également inenvisageable que je joue le mulet aérien en les faisant passer un à un. Donc notre solution demeure la meilleure, traverser le lac avec Davina pour tester de ces geysers et ce faisant, imaginer une solution pour un passage de masse. « Oh crotte ! Regarde mes mains ! Je n'aurais jamais dû t'écouter et les utiliser comme gouvernes ! J'ai des échardes pleins la paume !  »  

- Tu feras ta princesse plus tard, ce n'est pas le moment ! Viens, on passe par ces bois.
- Tu te rends pas compte, ma manucure s'est envolée, remplacée par de l'argile sous les ongles. Dégueulasse. Je les ais aussi sales que ceux de la chaotiseuse.
- Pardon ? fis-je en m'arrêtant subitement.
- Comment ?
- Que viens-tu de dire ?
- Que j'ai les ongles aussi sales que ceux de Terra Hangleton. Où est le problème ?
- Oh non, non, non ! Comment ai-je pu être aussi aveugle ! ajoutai-je m'assénant une claque sur le front.
- Quoi ?!
- Après la réunion avec les préfètes, Terra est retournée parler à la directrice, non ? C'est ce que tu m'as rapporté.
- Ouais, elle est retournée plaider sa cause seule à seule quand nous avons été libérées. Je t'ai même dit que j'ai laissé trainer l'oreille et que j'ai entendu le nom d'un certain Breinan ou je ne sais quoi.
- Tu n'as pas bien entendu. Ce serait plus "Brenner" que Breinan.
- Et Brenner c'est qui ?
- Kurt Ashenbrenner est un prince de Myranah.
- Et en quoi serait-il lié à Hangleton ?
- A elle, pas vraiment, mais à la directrice Cooks, si. Remontons, vite !
- Quoi ? Mais quelle mouche t'a piqué ? s'exclame-t-elle alors que mes cheveux s'enroulent autour de sa taille. Je ne m’embarrasse plus de la discrétion, je rebondis dans les airs.
- La mouche de la clarté Davina. Nous avons laissé Mirabella seule avec le véritable Cromagnon !
- QUOOOOOOOOOOI ? QUOOOOI ? NOOON !

Avec toute la rage accumulée depuis des jours, la Blissoise apponte et décoche un phénoménal coup droit à la forme qui fond sur Mirabella. L'assaillante est propulsée contre la paroi. De mon côté, c'est une Henrietta Stemper aux yeux intégralement noirs que je stoppe puis envoie valser d'un coup de paume au visage. « Ooh ! Ha ! Loth ! C’est-c’est elle le Cromagnon ! Elle a encore hypnotisé Henrie ! » s’écrie la Myrananne, tremblante, l'index dardé vers la directrice qui n’arbore plus mon masque de bienveillance. Mirabella a l'arcade sourcilière fendue, de même que ses lèvres. Dans sa main, elle tient Crépuscule, mon Wakizashi que je lui ai glissé plus tôt en la serrant dans mes bras. Juste au cas où. Je n'imaginais qu'elle aurait eu à s'en servir cinq minutes après. A côté de nous, Davina Grantz toise Terra Hangleton qui n'est plus tout à fait la même elle aussi.

- Vous vous êtes bien battue, Mira.
- A nous de faire le reste maintenant ! dit Davina en craquant des doigts. Je te laisse la vieille peau et Henrie, binocle. Tellement longtemps que je rêve de t'en coller plusieurs Hangleton, tu n'y couperas pas ! Putain d’anarchiste !
- Grantz, saloperie de robotomisée ! Ça ne change rien que tu aies compris, vous allez tous mourir d'une minute à l'autre ! Tetetetetetee ! Et ce free-lance qui t'accompagne, c'était lui le professeur Lang ?
- Quelle est cette forme qui est la vôtre ? Un zoan taupe ?
- Tu creuses ! C'est pour ça que tu avais les ongles toujours sales ces derniers temps ?! Je suppose que c'est comme ça que t'as aidé tes petits copains à venir ?  
- Et ils sont bien là. Dès que cette parvenue de Greengrass sera morte, on fera en sorte de brûler toutes ces minettes dont les parent posent leurs culs graisseux à Marijoa. Ça va déclencher une crise sans précédent !
- Tu m'écœures Terra ! Dire que tu étais révolutionnaire !
- N'en parle pas, ça crevait tellement les yeux qu'on ne voyait rien. La fille qui passe ses journées à se masturber sur le concept d'anarchie et de chaos, on a été trop aveugle.
- Vous nous avez démasquées et pourtant j'ai fait de mon mieux pour vous faire croire qu'Espéranto était le coupable. La forêt, c'est moi qui le lui ai suggéré comme lieu de retenue des jours avant durant une banale discussion. Il n'a fait que répéter.
- Très bien joué, j'ai failli n'y voir que du feu. Maintenant, je comprends mieux le message de Baba Giant. "C'est pas bien de fuir ses responsabilités [...]  Je saurai que tu m'as tourné le dos". En fait, c'est à vous qu'il s'adressait, parce que ses hommes vous ont aperçu avec nous, avec Mirabella. Il a pensé que vous aviez tourné votre veste. Ceci dit, toutes mes suppositions étaient correctes, juste que le problème avait deux solutions plausibles. Espéranto et vous.
- Si je l'avais pas vue, je n'aurais pas cru ! Espéranto était quand même le psychologue, il avait accès à l'esprit même des filles. Comment Cooks...
- Elle fait un travail semblable, princesse. Du Développement Personnel. Cela nécessite une bonne connaissance de la psychologie, comme le profilage.
- Oui mais c'est des cours en classe ça, non ? Pour affermir son emprise sur elles, les hypnotiser convenablement, il faut qu'elles soient seules.
- Elles l'ont été. Je fus abordé par une étudiante qui désirait un cours privé de développement personnel et elle m’affirma en suivre déjà un avec la directrice. Donc Cooks avait des moments privilégiés avec les filles.
- Mais si elles étaient alliées pourquoi Terra a clamé que la direction étouffait des informations et a fait toute une histoire pour contacter ses proches ?
- Étrange, n'est-ce pas ? Je trouvais son acharnement suspect, c'est pour ça que je vous ai envoyées participer à la réunion avec les autres préfètes. Mais je n'ai hélas pas fait le lien assez vite. Le tapage de Terra était sûrement motivé par le besoin de coincer Cooks et de lui parler seule à seule, ce qu'elle a fait après la réunion. Tout simplement parce que le Cromagnon évitait son agent de liaison depuis l'échec de votre meurtre. Parce qu'elles n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Il y avait de l'eau dans le gaz et ma main au feu que Terra a fait cavalier seule en invitant ses copains révolutionnaires ici sans l'approbation du Cromagnon.
- Tout couple est amené à se disputer. J'étais partisane d'une solution radicale, elle voulait se la jouer soft et protéger ses "investissements". Il n'y a pas besoin de tâtonner, d'essayer d'extirper des infos au compte-gouttes de ces filles alors qu'on peut toutes les capturer, massacrer et plonger leurs royaumes dans la tourmente ! Donc ouais, j'ai fait ce que j'ai cru juste et Alice a fini par comprendre qu'elle était dans l’erreur. Je n'ai reçu mon pouvoir qu'à la rentrée, sinon on aurait envahi cette île plus tôt. Teteteteteteteee !
- Bof, je perdrai mes sources d'informations mais je pourrai exercer mes talents ailleurs.
- On va s'assurer que non, vieille pie !  
- Ding Dong ! Vous voulez vraiment rester là et taper la causette ? Vous n'entendez pas Baba ? Tetetee ! Dix minutes de plus viennent de s'écouler, une deuxième princesse vient de se faire pendre ! Teteteee !
- Vermine !

La Blissoise s'élance contre l'anarchiste en mode hydribe femme-taupe. Sa peau est recouverte d'une fourrure couleur de boue et ses mains terminées par des griffes acérées de plus de trente centimètres de long. Sur son nez proéminent de taupe, elle porte des lunettes aux verres épaisses pour contrer la déficiente vue de cet animal. Davina n'a pas le temps de la toucher qu'elle s’enfouit dans le sol. « Tue-les ! Massacre-les ! Qu’il n’en reste rien ! » ordonne avec jouissance Cooks les bras levés au ciel. « C’est toujours Henrie, Loth ! S’il te plait ! » Ça me plait moyennement de retenir mes coups mais je sais mieux que personne ce que ça fait d'être spectateur impuissant, prisonnier de son propre corps animé par des pulsions incontrôlables. C'est d'ailleurs une chance pour Stemper de ne garder aucun souvenir de son côté obscur. De biais, je dévie son couteau de cuisine ; leste, elle esquive mon coup de pied rotatif puis fuse sur Mirabella. La belle esquisse une feinte mais inopinément, des griffes émergent du sol et bloquent ses chevilles.

- Te mêle pas du combat des autres, sales-ongles !
Toi dégage !


Elle vient plaquer l'hypnotisée au sol et moi je retiens Mirabella de se faire entrainer sous terre par la taupe. Les mains qui l'immobilisaient la relâchent quand elle y plante frénétiquement Crépuscule. Davina se fait éjecter par la Berséker. « Ne la blesse pas ! Ne la blesse pas ! » répète Mira d'une voix aigüe alors que la Blissoise contrattaque et bombarde Henrietta d'un coup de poing qui s'enflamme immédiatement. Hiken, le Style du Poing de Feu. Mais vu l'odeur âcre et la couleur blanche des flammes, j'opterai pour une forme moins puissante de ce style qui inclut l'utilisation du phosphore pour créer une réaction exothermique. Derrière moi, la taupe jaillit du sol tel un geyser. J'ai juste le temps de protéger mon dos avec une compacte masse de cheveux. Les griffes démesurées ricochent sur mon armure capillaire de fortune qui se ramollit en l'espace d'un battement de cœur. Ces vivants tentacules s'enroulent autour des membres de la taupe qui se démène, les tranchent avec ses griffes puis retourne sous terre.

- Ça commence à bien faire.

Depuis le temps, le Cromagnon dépourvue de capacité martiale s'était blottie contre la falaise en spectatrice attentive, aussi loin que possible des combats. Convaincue que l'éviscérer sortirait la Berséker de sa transe, Davina fonce sur elle puis s'arrête brutalement quand les griffes de la taupe apparaissent une nouvelle fois pour lui enserrer les chevilles. Derrière la Blissoise qui s'effondre en avant, Henrietta, les yeux anthracites de l'essence de la haine, la cible de son couteau. Mirabella s'interpose les bras tendus entre la lame et Davina. C'est un coup de poker que je laisse faire, curieux du résultat. La pointe du surin s'immobilise à un millimètre de la poitrine de la Myrananne. En face, Henrietta tremble, en proie à l'indécision. Je sais ce qu'elle vit. Au plus profond de sa noirceur, une flamme s'est allumée. Chaude, réconfortante, paisible. Elle illumine cet amas de ténèbres, elle lui donne un nom. Une âme. « Son nom, demande-lui son nom. » lui dis-je.

- Qu-qu'elle est ton nom ?
- Hetty. Sa voix est rauque, cassée.
- Hetty, je suis ta meilleure amie. Tu ne me feras pas de mal n'est-ce pas ?
- Tue la ! Tue la ! gesticule le Cromagnon.
- Ne l'écoute pas, tu n'as besoin d'entendre que ma voix. Tu te souviens de la première fois qu'on s'est rencontrée ? C'étaient dans les champs de tournesols du Prince Adam. On avait cinq ans, on a gravé nos noms dans ce saule centenaire. Tu te souviens ?
- Tue la ! Tue la !
- Dégage connasse !

Le coup de pied enflammé de Davina frôle la Taupe revenue à la surface pour mettre fin de ses griffes au dilemme de la Berséker. Elle retourne à la terre. Mirabella avance, quitte à ce que la pointe du couteau la blesse. A l'endroit du contact, une petite tache de sang imbibe sa chemise. « Je suis ton amie. Ta seule et meilleure amie. Mais plus qu’amies, nous sommes sœurs. Tu ne me feras jamais de mal, n’est-ce pas Hetty ? » Des larmes viennent se joindre à sa plaidoirie alors qu'à côté continue de gigoter le Cromagnon. « Tu veux qu'on retourne dans les champs et nous amuser encore comme si on avait cinq ans, non ? » L'entité acquiesce. C'est gagné. « C’est elle qui nous empêche de nous amuser, Hetty. Tues la et nous serons en paix. »  

Quoi ? Ben non, j'ai besoin d'elle moi ! La vitesse qu'elle insuffle dans son attaque est si hallucinante que je dois mobiliser l'entière capacité de mes réactions synaptiques pour la contrer. Mes tentacules capillaires fusent et saucissonnent Hetty à mi-chemin. Avec un sourire diabolique, je vois ses mains s'illuminer d'un halo rougeâtre puis le couteau se transformer en un petit serpent qui se jette sur la jambe droite du Cromagnon. Le crotale y plante ses crochets, Cooks hurle. Sa mission accomplie, Hetty s'évanouit et le reptile redevient un couteau. Mirabella se précipite sur le Cromagnon qu'elle met K.O d'un de ces uppercuts que je lui enseignai puis revient au chevet de son amie désormais paisible. De l'autre côté du plateau, le combat de Davina semble bien avancé. Les poings enflammés, elle halète et cherche à repérer son adversaire. Plusieurs entailles saignantes lui ornent le corps.

- J’aime la couleur de ton sang, Davina Grantz ! Ma prochaine attaque sera la dernière !
- Tu te bats comme la lâche que tu es !
- ATCHOUM ! Encore cette allergie. Ce qui veut dire... Davina, gare aux crocs traqueurs !
- Compris !
- Toute riposte sera veine ! Essayer de deviner d'où je sortirai est utopique ! Je n'ai pas besoin de vous voir, je vous sens !

Une énième fois, elle gicle du sol mais avant de porter un quelconque coup, elle émet une déchirante plainte de douleur. D'un des terriers émergent deux grands yeux jaunes puis la tête de Sinistros et ses crocs solidement enfoncés dans une cuisse de la taupe. Les crocs traqueurs. La princesse ne se pose aucune question et l'esquinte d'un fulgurant coup droit à la poitrine. Toujours auréolé de flammes, son poing vibre à haute intensité et quand il touche l'anarchiste, des espèces d'ondes visibles se propagent, comme si l'air est liquide et que quelqu'un vient d'y jeter une pierre. J'ai déjà vu mon maître le Moine Samaël utiliser cette technique. Les yeux de Hangleton sortent de leurs orbites et un flot vermillon cascade de sa bouche béante. Elle s’effondre dans une mare de sang qui continue de suinter d'autres orifices comme les yeux et le nez. C'est le Hasshoken, Davina a bousillé ses organes vitaux. A la suite de Sinistros, débarque Émeline.

- Belle entrée en scène ! Vous avez du style Eme'.
- Vous aussi, princesse. Ouf, que je suis soulagée ! Je craignais d'arriver trop tard.
- Je vous en prie ! Ha ! Sauvez-moi !
- Oouh ! Pourquoi sa jambe est violette et suppurée ?
- Mordue par un serpent.
- C'était un crotale diamantin du midi.  
- J'ai l'antidote, fit Eme' en sortant de son sac à dos une trousse qui contient un nombre incroyable de petites bouteilles aux liquides colorés. Loth est super allergique donc je trimballe de quoi le sauver. Cet anti-venin là est efficace contre les enzymes de type "crotalase", la principale protéine du venin de tous les types de crotale, ajoute-t-elle en montrant une épaisse solution jaunâtre.  
- Donnez-moi ! S'il vous plait !
- Vous méritez de mourir dans d'atroces souffrances !
- Votre jambe est presque déjà nécrosée, sans l’anti-venin vous souffrirez bientôt d'insuffisance cardiaque puis se sera la mort.
- Pitié !
- Vous avez eu pitié de Dellé Ali ? Combien sont et seront mortes aujourd'hui par votre faute ? Bon sang, lâchez-moi Émeline, je dois lui en coller une !
- Tenez, vous pouvez encore écrire. Inscrivez-y les noms des autres membres de la Confrérie. En échange de l'anti-venin.
- Contre ma liberté.
- Elle se fout de qui ?
- Vous finirez votre vie entre les mains de la Marine pour un très long débriefing. Mais au moins vous vivrez et peut-être pourriez-vous négocier avec eux. Vous ne serez pas la première.
- Ne lui promets pas la lune, binocle, le GM ne fait jamais de compromis !  
- Les Shichibukai, c'est quoi ? Elle aussi a beaucoup de choses à offrir, de quoi décapiter la révolution des Blues si ça se trouve. Mais avant, faut qu'elle vive pour ça. Alors, Cooks ?
- Tenez... La dernière, Linéa Ke'ra est morte, grimace-t-elle après avoir gribouillé les noms. L'antidote, vite !
- Comment savoir que les noms sont les bons ?
- Je vous jure que ce sont les bons ! Allez, vite ! De grâce !
- Je veux bien croire que ce soient les bons, dis-je après un moment. Injecte-lui l'anti-venin de toute façon, nous aurons besoin d'elle vivante si elle nous a fourni du faux.
- Votre clémence me dégoûte. On aurait dû lui écraser la tête à coup de pierres !  
- Bon comment on fait pour la suite ?
- On contrattaque, naturellement. Je l'ai peaufinée, les Marines n'attendent que nous.
- C'est pour ça, que tu complètes.

A elle de sourire de contentement.  
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- Sans blague ? Vous avez peaufiné une contrattaque avec les Marines ? Comment les avez-vous joints ?  
- En utilisant la même voie que les révolutionnaires. Je vais vous expliquer rapidement, nous avons déjà assez attendu, le roi ne veut plus voir de pendues. Dans neuf minutes, nous passons à l'offensive.    
- Ouais, ça va saigner ! Attendez, comment ça le roi ? Papa est là ?!  
- Oui, c'est lui qui coordonne la controffensive.      
- Il est fou, il veut se tuer ou quoi ? Il tient à peine debout !  
- Vous lui direz ça. Pour en revenir ou au sujet, jusque-là je n'avais pas cartographié l'intégralité du dortoir des Roger mais juste l'aile où dormait la princesse Mira', aussi j'ai décidé d'aller terminer ce que j'ai commencé au cas où nous aurons eu à poursuivre quelqu'un là-bas. C'est en faisant le scan des douches du couloir B que je découvris un passage secret sous le lavabo principal.    
- Ces douches sont inutilisables depuis la rentrée, il y a eu des fuites d'eau intempestives.  
- Maintenant vous savez pourquoi. Partant des douches, le tunnel aboutissait dans la forêt interdite. Et là, je me suis dit que l'agent de liaison que nous cherchions était sans doute dans la même maison que Mirabella ; que c'est via ce tunnel qu'il disparut le soir où Loth le vit en transaction avec le Cromagnon. Du coup, je vins vous emprunter Sinistros et retournai à l'ancienne cantine où le supposé agent nous espionna. Je cartographiai la pelouse alentour jusqu'à trouver un tunnel semblable au premier. Je pensai alors qu'il nous mènerait vers le dortoir mais après nous être enfoncés pendant plus d'une demi-heure sous la terre, nous ressortîmes sur un point de la plage sud. Derrière nous se trouvaient les montagnes. Malheureusement, il était trop tard pour avertir qui que ce soit, trois galions fondaient sur la côte, sans compter que Hangleton nous talonnait de près. In extremis, nous nous cachâmes derrière un rocher et les regardâmes débarquer puis s'engouffrer dans le réseau souterrain guidés par la Taupe.    
- Mais je croyais que la 19e encerclait l'ile de ses patrouilleurs ?
- Les patrouilleurs patrouillent Mira. A cause de la Ceinturière, les rondes autour de l'ile sont très espacées, la sécurité n'est concentrée que dans la zone portuaire.  
- Ensuite, leurs galions de transport se replièrent en haute mer mais avant, ils débarquèrent une flottille de petits navires propulsés aux dials. Avec Sinistros, je saisis ma chance en m'emparant d'un des navires après avoir noyé son occupant. Quand ils prirent la direction du port, nous les suivîmes en restant derrière.  
- J'ai vu les dégâts qu'ils ont causé.
- Ouais c'était un genre de commando suicide, toutes les embarcations de la flottille étaient bourrées d'explosifs, ils harcelaient les Marines, ils étaient vraiment trop rapides. Ils coulèrent d'entrée un patrouilleur et un croiseur en jouant aux kamikazes. Bref, à partir de ce moment, vous avez eu conscience que l'attaque avait commencée.  
- C'était juste une diversion pour attirer les Amazones sur l'autre rive et les bloquer là en détruisant le pont.  
- Je suis restée très en retrait et quand la flottille fut décimée, je m'approchai à la nage. Comme prince vit Sinistros lors de sa venue ici, il crut mon histoire. Et pour ne pas alerter les révolutionnaires qui les observent depuis cette rive, Amazones et Marines ont été massés sur la berge.  
- Aaaah, c'est pour ça.
- Des troupes fraiches sont venues de Bliss et je les ai aiguillées vers l'entrée du tunnel que les révo ont laissé sans surveillance. Tenez, je vous montre la carte et la répartition des forces.    


- Wow ! Les crois bleus, ce sont les Marines ? Ils se vachement déployés !  
- Nous utilisons les galeries de la Taupe contre eux. Ils sont complètement encerclés. Le plus gros des forces est cantonné dans le bloc A ; cent hommes ont pris possession du Bloc B et de l'infirmerie, et presque autant sont en stand-by dans les dortoirs. Ceux sont qui sont disséminés dans la forêt, ce sont des Élites par petit groupes tactiques. Donc en totalité, nous sommes quatre fois plus nombreux qu'eux mais nous avons un problème de taille.  
- Les otages.
- C'est ça. Avant de lancer l'assaut, le maximum de pensionnaires doit être évacué et ça, c'est notre rôle les filles. Vous êtes déjà en uniforme, j'en ai un dans mon sac. En déjouant les rondes des chiens de garde, des soldates ont pu s’immiscer dans les otages depuis le dortoir. Elles passent déjà le mot, nous allons faire de même et nous assurer que les plus petites soit bien protégées quand le signal de se ruer dans les dortoirs sera donné.
- Je veux en être ! Loth ?
- Vous pouvez mais vous aurez besoin d'Hetty.
- Henrie ou Hetty ?
- Hetty. Elle ne s'en prendra plus jamais à Mirabella et je sais comment l'éveiller. Sa puissance ne sera pas de trop.  
- Dans ce cas, évacuez les mômes les filles, moi je vais taper du révo ! Oh la cavalerie ! dit-elle. Des tunnels émergent des hommes dont les cheveux blonds-dorés ne laissent aucun doute sur leurs identités. Super de vous voir cousins. Je craignais qu'on laisse la vieille seule ici mais maintenant que vous êtes là. Avigdor, je te présente le Cromagnon. Cooks, je te présente le prince Avigdor Grantz IX. Sa femme a été tuée au Protectorat des Sables durant le coup d'état dont tu as été le cerveau. Il sera ravi de garder ton corps, ajoute-elle avec délice, ce qui pousse le Cromagnon à se tasser contre la paroi, tremblante.
- Essayons de la garder en vie. Tu parlais de signal, Eme, qu'est-ce que ce sera ?
- Ça, fit-elle, la paume tendue vers le ciel nocturne.

Il commence à pleuvoir.  

[...]

Pour réveiller Hetty, rien de bien compliqué, il suffit de la "contaminer" avec une aura meurtrière pure. Et dans ce cas-ci, je fis appel à Shawn. Le processus d'activation est le même que celui qui me permet de m'éveiller au Retour à la Vie. Penser à mon passé, m'imprimer des horreurs que je vécus et laisser la colère me ronger partiellement. De la rage, je basculai immédiatement à l'espoir, au Retour à la Vie, pour brimer mon double démoniaque alors qu'Hetty se réveillait, les yeux noirs, les pupilles écarlates. Elles partirent se mêler aux otages pendant que Davina et moi rejoignîmes la première unité de commandos Élites dans la forêt interdite. Leur mission, prendre d'assaut le premier barrage formé par plus de cinquante révolutionnaires groupés entre la garnison des Amazones et le dortoir. Tous les groupes révolutionnaires seront attaqués de concert pour les prendre au dépourvu et donner une chance à l'évacuation.

La pluie tombe moyennement drue à présent et elle n'a rien de naturel. Pour arriver à ses fins, rien n'est tabou pour le Gouvernement, même quand ses propres lois l'affirment. Ils ont basé leur stratégie d'attaque sur le climat et pour ce faire, plusieurs kilos de Dance Powder furent brûlés sur la plage sud. Grâce à la poudre faiseuse de pluie dont je suis le plus important contrebandier des Blues, de lourds cumulonimbus se sont accumulés au-dessus du Havre promettant un orage certain. Patiemment, nous attendons le fer de lance de l'opération, j'ai nommé "Mme Cocorico", de son vrai nom Given Cocorico, un okama qui officie en tant qu'Ingénieur Général Commandant de la Brigade Scientifique de Bliss. Il reste trois minutes avant la prochaine pendaison et déjà, la voix moqueuse du géant retentit et se gausse de la prochaine à aller à la potence à cause de lâcheté de la Myrananne. Il se promène autour des otages, passant d'une fille à l'autre, les raillant et leur proposant la brochette de cuisse humaine qu'il dévore. Pour la première fois, mes sentiments sont en adéquations avec ceux de Davina. Ce type est une abomination, je ne boue que d'une seule envie, l'étêter. Allez, plus vite, Cocorico, ne nous fait pas languir !

Il m'a entendu, le travesti. Un grondement sonore précède le signal. Des quatre points cardinaux, des éclairs vergettent le ciel, convergent puis s'abattent simultanément sur les différents points de défense et forteresses aménagés par les Gris. Corcorico est un maître du Climat Tact, à notre première rencontre, il me givra le bras pour rigoler. Plusieurs ramifications foudroient également le géant qui tâte de l'électricité. Et soudain, c'est à nouveau un enfer de pétarades, de canonnades, de flashs et bien sûr de hurlements dans la nuit. Le géant est mon objectif, aussi, je me propulse et passe au-dessus des troupes Grises foudroyées et attaquées de toute part. Il est à genou, la tête fumante. La horde d'otages se rue dans le dortoir, je vois Émeline et Mirabella à l'arrière les diriger et les contenir. Hetty quant à elle s'en prend à un troupeau de révolutionnaires qu'elle surclasse de sa vitesse. Baba Giant la repère, beugle quelque chose puis presse sa volumineuse bedaine et crache un jet d'acide gastrique. L'attaque me semble complètement irréelle, écœurante. Je m'interpose, tournoie telle une toupie en brassant une grande quantité d'air au passage. Le vortex que je crée agit comme un bouclier qui disperse l'acide.

- LOTH REICH !

Quand son poing touche terre, c'est l'intégralité de la pelouse qui se désagrège sous sa force monstrueuse. Les géants sont une race à part et c'est la première fois que j'en affronte de ce niveau. La préoccupation reste la même, ne pas se faire toucher au risque que le combat ne s'abrège en un seul coup. Alors j'improvise un numéro de funambule, de gymnaste. Je gesticule, esquive et virevolte à rendre jalouses les danseuses étoiles. J'attaque, me retire, harcèle et asticote le colosse en espérant un résultat qui met du temps à venir. Tout autour de nous, les balles fusent et fauchent dans l'indifférence de la guerre. Et quand le harcèlement porte à son comble l'exaspération du géant, il plonge sa main dans le sol aussi facilement qu'un couteau surchauffé traverserait du beurre et arrache un gigantesque morceau de terre qu'il nous balance à haute vitesse. Je m'apprête à le trancher mais Baba me devance et émiette de lui-même son rocher. Au lieu d'un astéroïde, c'est une pluie de météores qui s'abat sur nous.

Complètement démentiel, chaque bloc est aussi gros qu'une calèche et ils tombent aussi vite que des boulets de canon. Je slalome, détruis ceux que je peux esquiver. Ils sont trop nombreux. Et je finis par m'en prendre un dans un angle mort en cherchant à en éviter d'autres. Le choc dans le dos est brutal, j'éructe du sang avant de planer et de retomber lourdement sur le sol. J'ai l'impression que je viens de me prendre un train de plein fouet. Tout mon être n’est que douleur. Bougez ! Bougez ! Bougez ! Rien. Mes muscles refusent d'obéir. Entre mon épaule fêlée sur laquelle j'ai forcé à mes utilisations répétées du Retour à la Vie sans recharger mes batteries en retour, je suis lessivé. Je suis là. Le regard fixé vers le ciel orageux et les gouttelettes qui tombent. Le goût du sang emplit ma gorge et mes narines. Je baigne dedans mais est-ce le mien ou pas, je n'en sais rien. Baba Giant vient de décimer tout un peloton de Marines avec son attaque. Je suis au milieu d'une hécatombe. Le sol tremble. Le géant vient finir sa tâche. Non, je n'ai pas peur. Je ne laisse pas ce genre d'émotion obscurcir ma réflexion. Pour sortir de là, j'ai une dernière corde à mon arc. Je n'ai pas le choix.  

- LOTH REICH ! JE VAIS T’ÉCRABOUILLER !
- C'est ça, vient !

Un halo violet recouvre mon corps qui bouge tout seul. Au volant, Shawn. Je l'ai invité, aussi, je ne combats pas la quintessence de la rage qui irrigue et coule dans mes veines. Tuer, uniquement tuer. Ses pensées ne sont que noirceur. Il contre la plante de pied du géant, la mitraille d'une multitude coups. Revient à la charge, déchire l'air et vise le mollet. Son but, faire tomber le colosse. Aussi leste qu'un oiseau de proie, Baba Giant esquive. Mais autre chose lui explose à la figure et le fait vaciller. Dans la lueur tremblotante des lampadaires surgit le roi de Bliss Gaiden Grantz Ier "La Montagne". Ironique. Ses enfants Jay-jay et Davina à ses coté. Tout comme Shawn, ils ciblent les jambes du colosse. A nouveau, l'air semble liquide, les Grantz en remuent la surface. Les ondes du Hasshoken se propagent dans les pieds du géant qui semblent imploser. L'Ogre chute. Un hourra s'élève. Faut l'achever. L'éviscérer. L'anéantir. Shawn bondit, Hetty à l'appui. Deux Bersékers. Une avalanche de bombes d'air crible l'officier révolutionnaire. Tous ceux qui tiennent encore debout se joignent à la fête à coup de roquettes qui noient Baba sous un panache de fumée et d'explosions diverses. Puis subitement, un cri animal et perçant agresse nos tympans. Un souffle d'air éjecte ceux qui sont trop près du géant. Baba Giant n'est plus.

- Le très rare pouvoir du zoan mythique. Modèle Griffon. Avec Hetty, Terra, en voilà un bestiaire intéressant, rigole Davina.
- Méfiance sœurette, c'est le roi des oiseaux !  
- Je sais. Hetty, c'est dans cette situation qu'un sphinx qui t'obéit serait particulièrement apprécié.  
- C'est pas sur commande ! répondit la Berséker de sa voix d'outre-tombe
- Vous m'avez mis en rogne ! Tous, je vais vous bouffer !

Il est mi aigle, mi lion. Ses mains se sont métamorphosées en serres ; son nez, un bec ; ses pieds, de puissantes pattes de lion. Les combats se sont tus, toutes les poches révolutionnaires submergées et anéanties. De tous les Gris, seul ce monstre demeure. Il monopolise toute l'attention. Il est seul. Contre un millier de combattants qu'il domine de ses quinze mètres de haut. Comment l'abattre ? Shawn ne réfléchit pas, je suis impuissant à lui insuffler la moindre dose de bon sens. Il n'est que pulsions. Tout seul, il s'élance contre le titan. Sa bêtise est contagieuse, son assaut déclenche une averse de projectiles sur le colosse qui ne bronche pas. Sa peau est une cuirasse imperméable à ces chatouilles. Il déploie ses ailes, leur envergure nous recouvre.  « Kamaitachi ! Le Vent du Chaos ! » lance le colosse. Il s'envole, le Griffon. Ses battements d'ailes déclenchent un cyclone qui emporte tout le monde telles des feuilles au cœur d'un orage d'automne. La tempête devient cinglante, Shawn est balloté, lacéré par de micros lames d'air. La douleur lui est inconnue, il renforce sa musculature grâce au Retour à la Vie et à un cocon capillaire.

Quand s'estompe enfin la tornade, la quasi-intégralité des forces Marines est annihilée. Presque milles guerriers gisent sur le sol détrempé. Shawn est le premier à se relever, totalement nu, couvert d'un manteau sang. « Arrête bordel ! Ce corps va partir en vrille ! Tu vas nous tuer ! » hurlai-je du fond de ma prison cadenassée. Il est trop fort et la rage qui l'anime après ce massacre est plus dense que jamais. J'essaie de percer, sans résultat. Je lutte contre un obèse qui m'écrase de tout son poids. D'une démarche totalement désarticulée, il avance vers le géant qui se gausse de sa supériorité. Puis sans prévenir, il s'affale. Une décharge électrique dans la nuque vient de le paralyser. Shawn est toujours là, je vois à travers ses yeux, mais il est figé, autant que je le suis dans ce corps. Quelqu'un nous traine vers l'arrière. Malgré les relents de sang et de viscères qui saturent l'atmosphère, je perçois les notes boisées du parfum d’Émeline. Quelqu'un d'autre est à ses côtés. « Merci, Votre Majesté ! » souffle-t-elle.

- Kof ! Kof ! Éloignez-le, il en a déjà assez, Kof !, fait, répondit la voix asthmatique de roi des Blissois. Il semble aussi mal en point que Shawn.
- Papa... non ! se lamenta la voix lointaine de Davina. J'imagine qu'il dut la paralyser aussi. Il irradie d’arcs électriques.
- Père !
- Gnar ! Tu devrais écouter tes enfants Grantz ! Vous n'êtes pas de taille, le Gouvernement n'est pas de taille ! Après vous avoir écrasés, je m'occuperai de ces minettes planquées dans les dortoirs puis j'atterrirai dans ton beau royaume. Tous ces gens bien nourris, succulents ! Miam ! Gnar ! Gnar !

Le sol tremble à nouveau. Et pourtant, Baba Giant n'a pas bougé. C'est un autre mastodonte qui est en mouvement. Émeline nous éloigne davantage quand Fridulva vient se poser près de Gaiden Grantz Premier. Elle n'a pas l'air plus en forme que le roi. « Permettez majesté, Fridluva combattre à vos côtés ! » tonne la géante. L'As se rit de ce nouvel adversaire "à sa taille" mais seulement. La pluie artificielle ne tombe plus. Le roi acquiesce et avance avec la Trèflonne malgré les supplications de ses enfants. Sous la lueur d'un lampadaire, je le vois plonger sa main dans l'étui accroché à sa ceinture. Il en extirpe une pilule ronde d'un rouge aussi sanglant que le sang qui ruisselle sur le sol. Je sens les doigts d’Émeline m'agripper. Elle stresse. « Loth, je ne me trompe pas, c'est bien... ? » Ouais, pas de doute. C'est le Régime. Les rejetons Grantz paralysés crient de plus belle.  

- Tu crois faire quoi avec ta petite copine, Grantz ?
- Te tuer.  
- La blague ! Gnar ! Gnar ! Gnar ! Pourquoi t'es encore debout vieux débris ? Parce qu'une connerie d'amour et de justice t'anime, hein ?
- Pas l'amour, pas la justice. La foi. En l'avenir. Un monde ou l'unicité du Gouvernement sera absolu et incontesté. Un monde débarrassé des vermines de ton espèce. Et ce futur, ce sont ces enfants et d'autres comme eux qui le réaliseront bien après que toi et moi soyons retournés à la poussière.
- Ah ! C'est pour ces mioches ! Compris !  

L'As fait volte-face, déploie ses ailes et fuse sur le dortoir. Son expression était carnassière. Nonchalamment, le roi darde son bras gauche qui génère des espèces de rayons multicolores qui se dispersent et touchent le géant. Suspendu entre ciel et terre, il semble se déplacer au ralenti, comme s'il était coupé du flux normal du temps. J'ai déjà lu des choses sur le pouvoir du roi de Bliss qu'il tient du fruit Ramollo.

- Laisse-moi te le dire encore une fois, Baba. Tu n'élagueras pas les branches de notre jeunesse ! dit-il avant d'avaler la pilule.    
- Papaaaaa noooooon ! Recrache ça !
- Soyez forts, mes enfants. N'oubliez pas que Bliss est la racine de cet arbre qu'est le Gouvernement. Et puis, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de faire le sacrifice suprême pour ses convictions. Aujourd'hui est un bon jour pour mourir !    

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Gaiden Grantz Ier "La Montagne"
Roi de Bliss
1577-1627
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