Walk like an egyptian, run like a pirate

- T’es sûre d’pas vouloir t’engager hein ?
- Hahaha, j’apprécie l’offre mais hélas je tiens à ma liberté, cher Commandant d’élite Pognefer ! C’est donc ici que nos routes se séparent.

Teh, j’aurais essayé. Du peu qu’on s’est côtoyé, j’peux dire qu’j’l’aime bien c’te gamine. Elle et ses nombreux tissus colorés, amples, bouffants et ondulant au vent, avec toujours les gros bijoux clinquants, les pierres précieuses et les dorures, ses odeurs entêtantes et lancinantes d’encens ou d’thé à la menthe ... Ca fait son charme, sa p’tite personnalité ... Ca et ses traits au khôl autour des yeux, ses lèvres bien rouges, et sa peau ambrée.

Et sa démarche, bordel ouais, quelle démarche ! Toute fine et haut perchée sur ses talons, elle aurait pu toiser le monde et le mépriser sauf que la d’moiselle est pas comme ça. Ouais, okay, sa démarche est noble et assurée -sûrement un reste d’son passé, mais pas hautaine. Ça non.

Nan, l’est proche des gens la gamine, à part pour son apparence, elle fait pas trop d’chichis. Elle va bien t’causer, avec le sourire et tout m’enfin faut pas s’y fier, l’est pas méchante pour un sou, mais il arrive qu’ses yeux pétillent de malice. Ouais, l’est rusée et ça l’amuse. C’est une grand enjouée d’vant l’éternel. J’crois qu’c’est comme ça qu’elle s’tire des mauvais pas. Elle a pas la carrure d’une guerrière mais j’aimerais pas m’y frotter quand même. Je l’ai vue qu’une ou deux fois comme ça, quand ses yeux s’assombrissent et qu’ses traits s’durcissent. Quand elle a que’que chose en tête et qu’on la contrarie. J’espère qu’elle a pas d’Jules, parce que j’le plains l’pauvre, hahaha ! Quand l’miel s’transforme en fiel ...

Mais bordel, l’aurait fait une bonne Commodore ou Commandant d’élite moi j’dis. Quel putain d’gachis !

Parce que ouaip, si en temps normal la belle est plutôt douce, elle reste quand même pas mal lunatique ... C’est pas un r’proche hein -quoi que, mais t’as pas intérêt à t’mettre sur son ch’min quand elle a décrété que’que chose. Elle f’ra tout pour l’avoir. Parce qu’au naturel elle s’donne un maximum d’opportunités.

C’que j’veux dire, c’est qu’c’est une femme cultivée et qui en veut. L’est intéressée par l’histoire des îles et des peuples qui les habitent, qu’elle m’a dit. C’est pour ça qu’elle a toujours l’nez dans un bouquin, ou qu’elle m’a d’mandé à lui enseigner la navigation. J’crois qu’c’est la meilleure élève qu’j’ai jamais eu. Au bout d’quelques mois, elle savait déjà différencier une Survague d’un Stream up ! Elle s’donne vraiment tous les moyens d’arriver à ses fins. Et ses fins, c’est faire l’voyage autour du monde pour rencontrer elle-même tous ces peuples. Sauf que j’aurais bien aimer la détourner de son but, hahaha. Mais que veux-tu, elle sait c’qu’elle veut.

T’façons, j’m’en fais pas pour elle. La ruse, c’est son truc. La ruse, les risques et sa bonne humeur. Quand j’l’ai connue, elle s’faisait passer pour une pirate. Hahaha, la bonne blague ! Elle s’faisait appeler la Princesse de Pacotille à errer dans les dunes d’El Jezada. Mais c’était surtout une pirate de pacotille qui avait réussi à charmer un p’tit lot d’branleurs et qu’elle utilisait comme bouclier. C’était couillu comme plan n’empêche, tout ça pour amasser assez d’argent et s’tirer en laissant ses p’tits camarades en plan. Pour faire son tour du monde.

L’instant d’not’ premier voyage, on a pas mal discuté, entre fortes têtes, et elle s’est assez vite livrée à moi.
Elle est née y’a une trentaine d’années dans l’opulence d’la noblesse marchande de Syrte, sur l’île d’El Jezada. Elle était vouée à la même destinée qu’ses parents mais la p’tiote en avait déjà décidé autrement. Elle, c’qu’elle aimait, c’est bouquiner. Découvrir toutes les cultures du monde. Alors c’est souvent qu’ses parents l’a r’trouvaient la grande bibliothèque d’la cité. Et son père avait beau sévir, sa passion était trop dévorante, héhé. Du coup, elle s’évadait là haut à chaque temps libres.

Mais plus elle grandissait, plus l’envie d’quitter l’île pour l’monde entier d’venait forte. Pis un jour un des Princes-marchands qui dirigeaient l’île s’est intéressé à elle à force de la voir v’nir en catimini dans la grande bibliothèque. Il a prév’nu ses parents qu’il en f’sait sa Chroniqueuse personnelle. En gros, elle était payée chaque soir pour qu’elle lui raconte l’histoire d’un peuple ou d’une île. Mais ses parents lâchaient pas l’affaire, alors que’ques mois après, elle s’est excusée auprès du Prince-marchand, fallait qu’elle devienne une marchande au moins aussi réputée que ses parents dans la cité.

Pis un jour, la tuile. La bougresse s’démerdait tellement bien qu’elle a attisé la rancoeur d’la concurrence. Et là bas, parait qu’le marché, c’est sacré et que la vengeance est aussi implacable que sanglante. Un concurrent lui a offert une offre qu’elle pouvait pas r’fuser. C’était risqué mais si ça marchait, c’était l’pactole.
Bah c’était surtout un bon piège en fait. Elle a foncé dedans, amusée et excitée par le challenge au début. Mais elle s’est r’trouvée sans l’sou, reniée par ses parents et pourchassée par des mercenaires engagés par l’concurrent.

Elle a pu fuir la cité dans un sale état mais survivre à la mer de sable colorée et vivante d’El Jezada, c’est pas d’la tarte, j’en sais que’que chose, hahaha ! ‘Reus’ment qu’elle avait la connaissance théorique du terrain pour elle. Deux jours plus tard elle est tombée sur un troupeau d’branques presque aussi mal en point qu’elle. Mais elle avait tout perdu, même sa mort leur aurait rien apporté, alors elle a abusé de sa ruse, la même ruse qu’utilisent les marchands. Elle leur a proposé un pacte : s’ils la tirent de ce merdier et qu’ils l’écoutent, elle les sauve à leur tour et ils rouleront sur l’or, sous prétexte qu’on arrive à rien seul.

La voilà qui dirigeait cette bande de trous du cul soumis. La Princesse de Pacotille qu’elle f’sait appeler, crois-moi bien qu’ils évitaient les vrais pirates des sables de la région et qu’ils préféraient s’en prendre aux abrutis d’étrangers un peu trop cons pour s’aventurer dans ce sable mortel qui s’étend à perte de vue.
Rigole pas, j’en f’sais parti. J’avais ordonné qu’on poursuive un équipage pirate qui nous filait d’entre les mains, qu’est ce que j’en savais qu’c’était des pirates des sables moi en fait ? Hein ?
Bah, toujours est-il qu’elle voulait m’débarrasser d’mes derniers biens d’valeur comme elle f’sait avec tous les autres, alors qu’j’avais d’jà perdu la moitié d’mes hommes et mon rafiot qui s’était échoué et éclaté entre deux dunes. Elle crève trop facilement la bleusaille d’nos jours ...

Alors on s’est envoyé quelques pics dans la tronche, c’est là qu’j’ai d’viné qu’elle était pas c’qu’elle prétendait être. J’ai d’viné qu’elle voulait s’barrer d’là d’elle même, alors j’lui ai fait une proposition. Nan, une promesse : si elle m’tirait d’là indemne, j’lui apprenais mon métier d’navigateur. Bizarrement, on était les bienvenus à bord après ça. Pire, te faire sauver la mise ça t’lie par les tripes avec ton sauveur. J’suis comme ça, j’ai qu’une parole, et elle est d’honneur.

Pis enfin, l’instant d’trouver une garnison, on a papoté. Ca nous a bien laissé que’ques mois ... J’l’aime bien moi la gamine. Alors j’lui ai proposé d’s’engager dans la Marine pour qu’j’devienne son Commandant d’élite. J’aurais été fier d’lui laisser ma place d’vieux baroudeur bourru mais l'enflure veut s’faire la belle !

Bah, j’peux comprendre, elle veut plus d’attache la p’tiote. L’a passé sa vie à en avoir ...



Je t’apprécie beaucoup mon cher Commandant d’élite Pognefer, mais je suis désolée, j’ai du te mentir. Je ne peux décemment pas te dévoiler la vérité.
Je n’ai pas quitté mon poste de Chroniqueuse pour devenir marchande. Pas tout de suite en tout cas. Non, à ce moment là j’ai pris ma vie en main et je l’ai annoncé à mes parents avant de partir pour la cité pieuse qu’est Siddharta, malgré leur désapprobation.
Enfin je pouvais assouvir ma volonté de connaissances comme je l’entendais. Et je l’ai effectivement fait plusieurs mois durant avant de me confronter à un problème de taille.

De fil en aiguille, à force de lectures, j’ai découvert des ouvrages cachés, codés et interdits. C’est un fait : la connaissance est bridée pour le commun des mortels. Outre le choc et l’indignation, c’est l’excitation et la curiosité qui m’a poussé à persévérer dans l’inconnu et l’interdit. Qu’est ce que l’élite de ce monde voulait lui cacher ? Je me devais de le découvrir.
Alors j’ai dérobé un de ces ouvrages prohibés, il évoquait le mystère d’El Jezada, son sablier qui se trouve au coeur de l’île. Je l’ai couplé avec un autre ouvrage sur le même thème, étrange de prim’abord puisque ce n’était qu’il n’abordait que le plat favori de l’auteur : la recette de l’omelette à la chair de ver des sables.

Mais après des mois d’effort, de nuits blanches et de céphalées, j’avais enfin percé le mystère : la fable du Sablier serait bien réelle. Il s’agit en réalité d’un énorme fourmilion vénéré comme un dieu dans cette cité et qui sert de gardien à une immense tablette codée, un "Ponéglyphe". Si en bonne native de Syrte, je maintenais qu'il ne s'agit que d'un mythe, je devais en avoir le coeur sûr. Qu'est ce qu'il fait là ? Pourquoi ne se montre-t-il pas ? Tant de questions et si peu de réponse ...
J'ai également découvert que ce n'est pas le seul "Ponéglyphe", qu'il y en a à travers le monde mais l'étude de ces tablettes est interdite par le Gouvernement mondial lui même !
Un si grand tabou ne peut rester nimbé de mystère ! Je devais en apprendre plus ! Je voulais pouvoir les déchirer et accéder à leur savoir !

Quand j’ai voulu reposer ce livre caché pour en reprendre un autre, je me suis fait prendre en flagrant délit. L’homme qui m’a arrêté pensait que je voulais m’en emparer et a aussitôt appelé des renforts pour me bannir de la cité.

Ensuite, effectivement, je suis retournée vers mes parents à Syrte pour gagner assez d’argent pour parcourir le monde. Et je me suis bien faite évincer par la concurrence.

Et il est vrai que nous nous sommes croisés ainsi, cher Commandant d’élite Pognefer mais nous devons nous séparer ici désormais. Nos vies sont clairement incompatibles. Sans le savoir, vous protégez bec et ongle ce qui attise ma curiosité dévorante.
Nous aurons bien le loisir de nous recroiser un jour, mais ce sera certainement en tant qu’ennemis.