Citadelle. Quartier des étrangers.
Une rue pavée, humide, casse gueule. A peine éclairé par endroits par de pauvres lampadaires, bien incapables de percer efficacement l’épaisse brume qui remonte du port a l'approche de la nuit. On n’y voit guère plus loin que l’autre coté de la rue, et la nappe de brume qui s’accroche à la ville donne au moindre décor des allures étrangères, fantomatiques.
La sirène du couvre feu va retentir dans moins d'une heure, laissant la rue libre pour les rafles des loups de la BPP et les patrouilles de soldats, et dans la rue chacun se presse de finir ses activités pour rentrer chez soi.
Chacun ? Non, par exemple ce grand type la bas ,dont la tenue, grand manteau et chapeau sombre, suggère immédiatement qu'il a quelque chose à cacher. Il marche lentement, fait quelques pas, s’arrête, jette de furtifs regards autour de lui comme pour se repérer ou s'assurer qu'il n'est pas suivi. Une démarche a des lieux de l'allure rapide et pressés, des tête baissés et des regard soumis des locaux. Pour un œil averti, les tentatives de discrétion de l'inconnu sont autant de panneaux indicateurs de danger.
Et Citadelle ne manque pas d’œil averti qui ont depuis un moment repéré le manège du type. Et l'observent. Comme ce type la bas, qui parle visiblement a sa manche en observant la rue, et dont l'allure sereine de prédateur et les vêtements sombres hurlent à tous les locaux qu'il travaille pour la BPP. Ou comme cet œil révolutionnaire la haut, furtivement apparu entre deux mouvements de rideau et aussitôt disparu. Immédiatement remplacé par un autre un peu plus loin.
Arrét, regards furtifs, le type se décale, se glissant soudain dans l'encoignure d'une porte avant de sortir une craie pour y graver quelques traits rapides avant de regagner la rue et de reprendre sa marche. Une porte, une autre. Une dizaine de mètres plus loin, même manège. Pas glissés, griffonnage, départ. Et pendant que l'inconnu continue a descendre vers le port, déjà les yeux a l'affut ont observés le vague crayonnage qui salit certaines portes de la rue. Une marque, une marque qui pourrait être beaucoup de choses. peut être... une tortue ?
Et pendant que l'inconnu continue sa marche, les yeux a l'affut deviennent des pieds, de nombreux pieds qui lui emboitent le pas. Tous soudain désireux de lui poser quelques questions au sujet de ces étranges marque qu'il dessine.
Parfaitement inconscient de ce soudain intérêt pour sa personne, l'inconnu continue, finissant la rue avant de changer de manège, et de filer rapidement vers le quartier des étrangers ou il rentre sans encombre avant d'aller s'engouffrer dans un de ses baraquements que le bon gouvernement de Citadelle met a la disposition des équipages de passage qui se sont dument acquittés de leurs taxes.
Dehors, on s’arrête, on s'interroge, on se renseigne a voix basse et a mots couverts. Il ne faut pas longtemps aux suiveurs pour obtenir la certitude que le baraquement concerné est censé être vide. Le coté louche de cette affaire s'accentue chaque instant un peu plus. Et ici, c'est largement suffisant pour agir.
C'est la Brigade de Protection du Peuple qui ouvre le bal. La dizaine de types en noir sort les armes et s'égaille autour de la baraque, cernant les issues avec la précision en l'entrainement d'une meute de loups isolant un animal blessé à l'écart du troupeau. Et dés que la nasse est complète, ils passent à l'attaque. Se ruant à l'assaut de la maison avec l'entrain née d'une longue habitude d'assaut semblable, de ruée sur des civils désarmés ou des révolutionnaires surpris. Bris de verre brisé, course de pas précipités, claquement portes, et soudain plus rien. Juste un silence de mauvais augure.
Dans la maison d'en face, les quelques révos ayant suivi l'affaire s'interrogent de plus belle. Qu'est ce qui s'est passé dans la maison ? Pourquoi l'assaut ne donne pas lieu a l'habituel pillage en règle suivi de la sortie des agents encadrant plein de types menottés ? Très vite deux camps se dessinent, ceux qui pensent que tout ce qui peut avoir nui a des types de la BPP ne peut qu’être bénéfique à la cellule révolutionnaire de la tortue, et ceux qui pensent qu'au contraire ça pourrai bien nuire à tout le monde. Y compris aux braves défenseurs du peuple.
Le conciliabule dure quelques minutes, jusqu’à ce que le plus courageux, ou le plus jeune de la bande se décide. Traverse la rue comme une ombre pour coller son oreille a un des murs du baraquement et épier ce qui s'y passe.
Comme des gens qui causent.
-Comment tu savais que les agents de la brigade de protection allaient se pointer en premier ?
-Facile, c'est une question de territoire. C'est un peu comme les grands prédateurs.Mettons que Citadelle soit une zone sauvage. Une steppe ou un truc dans le genre. La brigade c'est les loups du coin. Ils chassent en meute, et tant qu'ils sont en meute, ils savent très bien qu'ils n'ont personne a craindre dans le coin. Par contre ils doivent faire très attention a ce que ça dure. C'est pour ça que c'était tout a fait prévisible de les voir se pointer en force et en premier. Dans leur métier, on aime pas les trucs qu'on ne maitrise pas.
-Et les autres ?
-Ils sont déjà la. Mais ce ne sont pas des loups, plutôt des coyotes. Alors ils se méfient. ils sont prudents. Ils rodent autour de nous, vérifient que ce n'est pas un piège, cherchent à savoir qui nous sommes, ce n'est qu'une fois qu'ils seront sur qu'ils ne risquent rien qu'ils se décideront à rentrer.
-Alors ils ne vont jamais rentrer.
-Mais si, ils sont déjà la... Hey, toi la, a la porte. Je sais que tu es la. Nous sommes dans le même camp.
-Moi si j'étais un coyote, je ne me fierais pas a ce genre de déclaration...
-Nous sommes dans le même camp. Il suffit de nous le demander pour en être sur.
Dehors le jeune révo hésite. Prêt à s'enfuir a la moindre menace. Mais rien ne vient, personne dans la rue, rien d'autre que les regards inquiets de ses amis de l'autre coté. Alors il se décide, se rapprochant de l'entrée resté ouverte pour y glisser à voix basse.
-Que faites vous quand le désespoir vous touche ?
-Je me souviens... Je me souviens que tout au long de l’histoire, la voix de la vérité et de l’amour a toujours triomphé !
-Mais il y a dans ce monde des tyrans et des assassins !
-Et pendant un moment ils peuvent sembler invincibles, mais à la fin, ils tombent toujours. Je suis un ami de la tortue. Et mort au tyran.
Les réponses convenues aux questions convenues sont les bonnes, et le jeune révo se décide à jeter un œil à l'intérieur. Dans la salle presque vide il n'y a que deux personnes, deux personnes assis sur deux chaises, jouant aux cartes sur une caisse dans l'ombre d'une lanterne posée au sol, deux hommes, et pas trace des hommes de la Bpp.
-Entre. Approche toi.
-Qu'est ce que vous avez fait des agents de la brigade.
-Je les ai mangés.
Ricanements. L'un des homme range les cartes pendant que celui qui parle se tourne verse le révo.
-Qu'est ce que vous voulez ? Qui êtes vous ? Pourquoi ces marques sur les portes ?
-Beaucoup de questions... Les marques sur les portes servaient à vous amener ici, j'ai un cadeau a faire à la tortue, peu de temps à perdre, et je ne savais pas comment vous trouver rapidement.
-Qui êtes vous ?
-Je te l'ai dit, juste un ami de la tortue.
D'un coup de pied l'homme pousse la caisse au sol vers le révo, la renversant et la laissant déverser son contenu sur le sol. Des fusils. De beaux fusils luisants de graisse et d'acier neuf.
-Des armes ?!
-Plein. Un navire entier qui attend au large que vous me donniez un endroit ou les débarquer sans qu'elles soient saisis par la milice.
-Nous n'avons pas les moyens d'acheter ses armes.
-Elles ne coutent rien. C'est un cadeau.
-Pourquoi ?!
-Je te l'ai déjà dit aussi. Pour qu'a la fin, ils tombent toujours !
Dernière édition par Red le Ven 29 Juil 2016, 21:34, édité 1 fois