Je suis attaché. Pieds et poings liés, nu et le cul vissé sur une chaise en acier. C’est le froid qui m’a réveillé, enfin c’est ce que je pense, car en ce moment je me sens gelé. J’ai été enlevé, comment et par qui je l’ignore encore, mais à présent je suis enfermé. La pièce n’est pas plus grande qu’une cabine en seconde classe, l’endroit est sale et il y a beaucoup de poussière sur la table face à moi. On dirait une salle d’interrogatoire qui sert de manière ponctuelle au vu de son état. Pas de fenêtres et pas de moyens de déduire ma position. Seul une lampe à huile accroché au mur illumine la pièce. Et bien sûr, pas de fioriture ni de poinçon sur celle-ci pour tenter d’en connaitre l’origine ou la provenance. Celui qui m’a conduit ici est un pro, pas de doutes là-dessus. Je ne me souviens de rien, je ne ressens pas de douleurs, pas de marques apparentes sur mon corps alors…
Oui, un puissant sédatif. Je n’ai rien remarqué, est-ce que l’on m’a piqué, était-ce dans ma nourriture ? En tout cas, c’est précis et net. Un travail de haut vol et donc pas à la portée des quelques petites frappes que j’ai croisé ici et là. L’habit rouge ? Il m’aurait fait buter ou malmener. Ça pue réellement cette affaire et encore plus quand je tente d’y voir plus clair, car pour moi ça ressemble à un sale coup de la maison. Mes paupières deviennent de plus en plus lourdes, mais pourquoi ? La lampe, elle doit diffuser un poison ou alors, ça doit être le contre coup du premier… Merde, je ne vois plus rien !
***
Je me réveil. Mon corps n’est plus transi par le froid. Froid qui d’ailleurs devait être un effet secondaire de ce qu’on m’a inoculé et pas dû à cette satanée chaise inconfortable. Tiens, on a dû changer la mèche de la lampe à huile, son orientation a quelque peu bougé. Lentement mes forces me reviennent. J’en profite alors pour tirer sur mes bras le plus possible, mais rien n’y fait, mes liens restent solides. Tandis que je me résigne tout en cherchant un autre moyen de quitter ce lieu, une odeur de sang plane dans la pièce et tapis dans la pénombre je vois mon geôlier apparaitre.
Il avance et à chaque fois que je pense voir son visage, je vois que dalle. C’était comme si cet enfoiré se nourrissait de la lumière ambiante. Il est massif et sa silhouette éclipse la flamme derrière lui. Strict, en costard, il a tout du parfait sbire bien que la carrure ne soit, à ma connaissance, pas fournie avec la panoplie.
Ça et le corps qu’il traine avec lui comme une simple marionnette. Le pauvre bougre n’a plus les yeux en face des trous et son sang coule avec abondance sur le sol. Encore un effet, celui d’une sublime mise en scène. D’abord ils ont voulu me faire craquer en m’isolant et en me laissant mariner dans mon jus, à me triturer les méninges pour tenter d’y voir plus clair. La panique aurait dû suivre, mais garder son sang-froid et son calme dans ce genre de situation, c’est comme une seconde nature chez moi. On meurt tous un jour, ici ou là, pour ci et pour ça, plus tôt ou bien plus tard…
Mon amertume et mes vices sont des remèdes au poison de la vie, aux promesses et aux faux semblant. Et c’est les yeux gorgés par mon insolence naturelle et ma lassitude travaillé que je fixe cet enfoiré qui m’apparait à présent très clairement. Ni lui, ni son jouet ne m’impressionne. La bave aux coins des lèvres, je baille tout en faisant claper ma bouche pâteuse. Le gouvernement va devoir se recycler s’il pense qu’une pareille manigance pouvait mener quelque part. Et d’ailleurs, dans tout ça je ne voyais toujours pas la raison de la chose. Toutefois, la gueule grimaçante et furieuse de la brute épaisse en face, elle je la voyais bien. Ils avaient quand même choisi un bon acteur. Il crie et il gueule, il tente de me faire peur. Tiens, il lâche son jouet pour mettre ses gants. Qu’il me touche ne serait-ce que…Attends attends, il bosse pas pour le gouvernement ?!!