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Alors, qu'est-ce que t'en dis ?



Sortir. S'aérer l'esprit. C'était bien beau mais je faisais ça tous les jours ici. Sortir. Boire. Fight. Entraînement. La vie me laissait. 1627. Huit ans que je traînassais dans ce trou. Au début, la vie, c'était bien. Pas de contrainte, pas de pression. Tu faisais presque ce que tu voulais où tu voulais. Pas de règle. Sauf celle du plus fort. Mais à force, c'était chiant. J'en avais marre de picoler ou de recevoir, donner des coups. Et pour me pourrir la vue, toutes les nanas de l'île moisissaient dans les bars à se trémousser et glousser devant les misogynes pour quelques berrys de plus et un bébé imprévu dans les pattes. Vie de rêve non ? La vingtaine, pas de boulot, la malchance d'être arrivé sur cette île et la prostitution pour survivre. Je faisais peut-être une généralité, mais Rokade c'était pas l'île des contes de fée. Tu tombais pas sur un prince charmant au cheval blanc. Non, ce que tu trouvais c'était des mecs bourrés en manque après des semaines et des semaines à bord de navire sans femmes.

Mais y'en avait une qui se démarquait, qui sortait du lot. Une qui était là, qui se montrait toujours, qui criait, mais qui était presque différente. Elle passait de bar en bar. Voler de l'alcool en draguant le barman, faire une crise d'asthme ou un faux coma éthylique pour récupérer le portefeuille de celui qui lui ferait du bouche à bouche, piller les vivres d'un bateau pirate sans surveillance. Elle avait une vie de merde, certes, mais elle savait s'en sortir sans montrer son corps aux abrutis. Elle savait maîtriser cet art : la subtilité. Tout le monde la traitait de folle : une psychopathe, une schizophrène voir même une illuminée. Personne ne l'aimait. Mais franchement, qui la connaissait vraiment ? Schéma classique effectivement : la pauvre petite orpheline différente, aimée de personne à pleurer sur son sort. Sauf qu'elle, elle en avait rien à foutre, au contraire, elle adorait se faire détester, elle n'avait jamais coulé de larme, n'éprouvait pas le sens du mot tristesse et savait faire une chose : s'amuser en permanence tout en se foutant de la gueule des gens.

Cette femme je l'avais déjà vu. Quelquefois. Je n'avais jamais vraiment prêté attention à ses manigances, je n'avais jamais fais attention à ce qu'elle racontait. Ce que j'entendais sûr elle n'était rien de plus que des "on-dit", de vieilles rumeurs circulant sur l'île. C'était comme la sorcière du village, mais en bien plus jeune, sans pouvoir, avec des cheveux blonds et un sourire transcendant. Son nom : Gin -comme "jean"-. Pourquoi j'y pensais ? Parce que je voulais la rencontrer. Elle devait avoir une vie pourrie, pas grand monde à qui parler, et des journées bien trop longues, trop ennuyeuses. Pourquoi tout ça ? Et si je vous disais que j'avais envie de prendre le large avec cette soit-disante psychopathe.


Dernière édition par Aiko Nishimura le Dim 2 Oct 2016 - 14:25, édité 1 fois

    Une heure, pm. Un régale ce repas. De la viande rouge -plat préféré des Rokadiens-, un peu de légumes verts, du riz et des fruits. Un vrai repas de luxe. Pour moi bien sûr. Pauvre comme j'étais, je ne pouvais pas me permettre de manger aussi bien chaque jour. C'était soit du riz, soit de la viande, pas les deux. Et les légumes pour finir sur des fruits : un vrai cadeau de dieu. Économiser, gagner de l'argent par-ci par-là, en demander un peu sans voler, c'était le bon plan pour se faire un délicieux repas durant le mois. Je terminais mon verre d'eau, oui oui de l'eau, et réglais ce que ce repas me devait. Aie. Toujours aussi douloureux de lâcher des berrys.

    Je quittais l'auberge. Un endroit sympa, pas différent des autres tavernes. Il y avait de la violence partout sur cette île, pas la peine de fuir un bar pour un autre. Dehors le soleil jouait avec les nuages. Il y avait quelques rayons. Un vent toujours aussi glacial pour un été. L'île était aussi froide que les armes de ses habitants. J'étais prête à rentrer "chez moi" pour faire un petit somme sur le vieux canapé. Je n'avais rien d'autre à faire de toute façon.

    Sans rien dire.
    Le silence.
    Le calme.

    Dans la rue, peu de monde. Soudain, un cri. Comme une agonie. Je ne faisais pas attention. Ici ce genre d'agissement ne méritait aucune attention. J'entendis un deuxième cri, tout aussi strident. Un rire puis plus rien. Étrange ? Pas pour moi, mais tout paraissait étrange pour un inconnu ici. Je tournais à l'angle. Dans la rue adjacente : un corps étendu par terre. Pas n'importe lequel. Cheveux blonds, deux couettes aux pointes roses puis bleus. Un maquillage de la même couleur. Un petit cœur sur la joue. Une batte de baseball à ses côtés. Elle était sur mon chemin alors j'approchais. Un groupe de mec debout autour. J'avais même pas envie de savoir ce qu'il s'était passé. Des doutes sur l'identité du corps ? Des voix à ma droite.

    - Elle veut quoi encore elle ?

    - Eh y'a Gin étalée par terre. Faites gaffe.

    La voilà enfin, celle que je cherchais depuis une semaine. Étendue par-terre, yeux fermés. Était-ce son cri que j'avais entendu ? Je réajustais mon bazooka ainsi que mon minigun. Simple précaution. Je m'approchais tranquillement. Un mec était à genoux, il semblait tout gêné. Il avait les yeux rivés sur la poitrine de l'arnaqueuse. Bande de sales pervers.

    - T'attends quoi mec ? T'as dis que t'étais médecin ?

    - J'suis censé les mettre où les mains pour le massage cardiaque d'après toi ?


    C'était quoi cette réponse ? Le mec gêné de toucher une poitrine alors qu'il était médecin. Le plus gros foutage de gueule. Poussé par son pote il opéra quand même. Rapidement. D'après lui, son cœur battait encore, il fallait juste attendre. Le pire diagnostic que Rokade ait connu.

    Puis, rapidement, le corps allongé se redressa. Un étirement, elle ouvrait les yeux, comme si de rien n'était. Elle attrapa sa batte, toute souriante. Elle nous observait, d'en bas. Personne ne parlait. Ambiance étrange. Des gars s'étaient rajoutés pour voir ce qu'il se passait. Une quinzaine autour de la blonde. Elle se mit sur les genoux puis enlaça celui qui lui avait fait un massage cardiaque. Elle soupira.

    - C'est gentil de m'aider mais.. je crois que j'ai failli m'endormir. Quelqu'un d'autre veut un câlin ? Toi t'en veux un.

    Elle se leva et câlina l'homme qui avait incité le sois-disant médecin à lui masser le cœur sans même attendre une réponse. Elle sourit, sa batte sur les épaules et traversa la foule. Je m'apprêtais à la suivre quand un homme s'agita à côté de moi comme un fou, celui qui avait reçu le deuxième câlin. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Une sensation enfouie ? Non. Il s'énerva. 

    -  Eh toi ! Mon portefeuille ! Rends-le moi.

    - Oups, grillé. Je t'avais bien dis d'en câliner un autre.


    Elle se mit à courir. Le "médecin" s'agita aussi. Bye bye les berrys pour toi. Il sortit un pistolet et se mit à tirer. Un coup. Raté. Un autre. Encore raté. Dis donc, quand on parle de sous il est moins timide le fou. Je me retirais du groupe agglutiné. Prendre une petite rue pour rejoindre l'arnaqueuse. Un raccourcit. Utile de sortir en permanence, à force vous connaissiez bien les rues. Les victimes se mirent à courir pour récupérer leur argent, courir derrière la blonde qui s'enfuyait à toute allure. Mais trop tard. La voleuse avait disparu.

      Rien en vue. Pas même une mèche blonde. J'avançais dans la poussière bétonnée. Les hommes énervés avaient renoncé. Ils pestaient. Courir sans piste les fatiguait trop. Je sortais du petit sentier goudronné pour rejoindre la rue principale. D'après moi, la voleuse s'était dirigée à droite. Inimaginable de la laisser filer. Alors j'avançais en longeant les bâtiments. Jetant des regards à droite, à gauche. Par terre, un truc rose. J'observais, ramassais. C'était un élastique pour les cheveux, le même que celui de Gin. Je levais la tête. Elle était là, sur un toit triangulaire à m'observer. Flippant. Mais comment est-ce qu'elle avait fait pour grimper là-haut ? Elle me fit un sourire puis elle agita sa main comme pour me dire : coucou c'est moi. Je tournais la tête. Personne d'autre ne semblait l'avoir remarqué. Tant mieux. Je relevais les yeux. Elle s'était encore évaporée.

      Ça c'était vraiment le truc le plus chiant : courir après des gens sans même savoir où aller. Mais je ne courrais pas, je marchais vite. Enfin j'avais une démarche rapide sans pour autant étrange. Je n'aimais pas me faire remarquer. Je suivais les bâtiments et plus exactement l'enchaînement des toits. Elle ne pouvait pas sauter si facilement. Donc suivre les toits les plus rapprochés. Je tenais toujours l'élastique rose, même si je doutais de son utilité. Plus je marchais, plus je m'éloignais du centre-ville. Le béton s'estompait petit à petit pour arriver sur de la terre. Herbe défoncée, boue renforcée, mauvaise herbe à vue de nez. Et un sentier qui se découpait en deux côtés.

      Une pancarte pour deux directions. Une écriture d'enfant gravée dans le bois. A droite : la forêt magique. A gauche : le cirque magique. Hein ? Mais qu'est-ce que c'était que ces conneries ? La pancarte était plantée dans le sol, un coup de vent violent n'en aurait fait qu'une bouchée. Du coup, choix crucial. La forêt ou le cirque ? Je tournais à gauche sans grande conviction.  

      Après avoir contemplé la pancarte,
      Mon ombre avec moi,
      Direction le cirque fou.

      Au loin. Un aperçu imprécis. Une maison, abandonnée en apparence. J'approchais doucement. Fenêtres fermées, porte fermée. Sur cette porte en bois, des traces rouges formant deux mots : cirque, magique. Du sang ? Creepy. Je toquais. Rien. Je toquais encore. Rien. Je poussais le battant. Ouverture facile. J'entrais dans la baraque. Pas de lumière. Pas de bruit. Un pas. Deux pas. SALUT. Jack in the box terrifiant. Toutes les lumières s'allumèrent. Une musique de carrousel s'enclencha. Et d'un coup, une pagaille collective.

      Sombre. La pièce était sombre. Des lumières presque rouges, un papier peint noir, en face rose. Des tableaux à tête de mort ou de sucette. Un fil de funambule traversait la pièce en diagonale. Dans le coin : un carrousel avec des chevaux. Six en tout. Sur ces chevaux en bois : de la peinture, rouge, noire, et des signes incompréhensibles. A gauche un autre cheval en bois, à bascule, des bandages sur les yeux comme pour le rendre aveugle et des coupures dans le chêne. Des livres jonchaient le sol. Un désordre infernal. Contre le mur, à gauche, près de la porte, des cerceaux de différentes tailles. Une étagère avec des bougies et le numéro 6 inscrit un peu partout. Au centre un piano à queue en piteux état. Le "Jack in the box" remuait toujours à ma droite. Un clown aux vêtements rayés noir et blanc, au nez pointu, un regard de tueur. Apparemment, j'étais pas la bienvenue dans ce sanctuaire. 

      Cytise en fleurs
      Les yeux d'un chat noir
      Beaucoup plus jaunes.

      - Bonjouuuur. Mais qui es-tu ?

      La porte se ferma doucement sous l'effet du vent tandis que Gin apparaissait sur le fil avec une aisance ainsi qu'une grâce insoupçonnée. Tant de douceur dans un endroit si.. glauque. Le chat noir miaula et s'installa sur le piano.

      - Tu veux me demander quelque chose ? Pause puis un chuchotement. Oui je sais sinon elle ne serait pas là.
        Une ambiance étrange. Mélangée au glauque et à la douceur. Improbable. Ces deux termes ne pouvaient s'associer. Oxymore ? J'observais Gin. Elle marchait sur le fil, aussi habituée qu'une professionnelle, comme si elle l'avait fait toute sa vie. Une passion ? Elle se pencha et attrapa le fil de ses deux mains. Elle se lâcha, se laissa tomber dans le vide. Il n'y avait plus que ses doigts pour la maintenir sur le fil, son corps était étendu dans le vide : une ligne verticale, non rectiligne, détendue. Majeur en moins. Index en moins. Pouce en moins. Elle tomba. Ses deux pieds collés au sol elle s'étira, encore. Elle n'avait chuté que de deux mètres. Elle m'observa et s'approcha.

        Je restais silencieuse. Je ne m'étais, disons, pas préparée à cette situation. Alors les rumeurs n'étaient pas fausses, cette femme était vraiment folle ? Toute cette décoration ne pouvait défendre le contraire. Le carrousel s'épuisa et la musique s'arrêta petit à petit comme un dysfonctionnement. Le chat s'écrasa sur les touches du piano, aiguë, grave, sol, si, ré, puis sauta. Il s'approcha, grimpa sur le dos de la blonde. Quelle affection. Gin s'installa sur un canapé. Je l'observais, je ne me sentais pas à l'aise. C'est vrai, j'avais débarqué chez elle et brisé son intimité. Elle semblait s'en foutre.

        - Tu veux du thé ?

        Pardon ? Comment ça du thé ? Elle était trop rationnelle. Je m'étais introduite chez elle, dans l'endroit le plus étrange de Rokade, avec des armes à feu sur moi, et elle me proposait du thé assise sur un canapé, sereine, avec un chat noir sur les épaules et des têtes de mort sur le mur. Aucun sens. Je remettais deux trois trucs en question. Était-ce vraiment une bonne idée de partir en mer avec ? Comment disait Izuku déjà ? Ah oui. Une vie sans risque ne vaut pas la peine d'être vécue.

        - Je suis à la recherche de pirates pour mon équipage.

        Un blanc. Silence trop pesant.

        - Des pirates ? Tu veux jouer avec les tous grands dans le cimetière ? Ahahahah trop bien. Mais tu ne comptes tout de même pas me demander de t'accompagner ?

        - Il paraît que tu es quelqu'un de.. fou. Une psychopathe schizophrène.

        - De fou.. Et qu'est-ce qui me dit que je peux te faire confiance ?

        - Rien du tout. Mais je compte bien te demander de me suivre.
         

        - Pourquoi je te suivrais ?

        - Peut-être que t'en as marre de la solitude. T'aimerais pas avoir des amis qui ne te considéreraient pas comme une folle ?


        - J'suis.. j'suis pas seule ahahah j'ai mes voix, ce sont mes amies. Elles, elles m'aident, me parlent et me conseillent. J'ai pas besoin de quelqu'un d'autre.


        L'expression de son visage s'était presque transformée. Elle n'était plus si sûr d'elle. Elle semblait carrément.. désemparée.

        - J'ai pas envie de crever de faim, j'ai déjà vu à quel point l'océan est cruel. J'en ai peur.

        Elle sanglotait, comme si elle allait se mettre à pleurer. Elle était carrément lunatique, c'était dingue.

        - Si tu le dis. Mais tu sais la mer est vaste. Crois moi, un jour, tu rencontreras des amis et moi aussi. Si ce n'est pas toi ce sera une autre.

        Jouer sur les sentiments était un art de salaud. Mais après tout je ne la forçais à rien, elle faisait ce qu'elle voulait. 

        - Fais ce que tu veux. Mais tu as le choix : prendre la mer et devenir hors-la-lois à mes côtés ou mourir seule sur cette île.

        Elle reniflait, prête à pleurer mais au lieu de ça elle rigola. Lunatique ouais, c'était bien pire. Je me retournais prête à partir. Je n'étais pas à l'aise ici et de toutes façons, j'avais tout fait : demander à Gin si elle voulait rejoindre mon équipage. Si elle refusait je n'avais rien d'autre à faire. Et elle semblait avoir refusée. J'empoignais la porte. 

        - Attends. J'accepte de rejoindre ton équipage si Gna reste avec moi.

        - C'est qui Gna ?

        - Mon cheval à bascule. Marché conclu ?

        J'en attendais pas moins.

        - Marché conclu.